Deux pays, deux agences, deux expériences Bernard Lab (France) & MAAM (Uruguay) Jérémy Lasne
ENTRÉE EN MATIÈRE /
AVANT-PROPOS
Pendant les deux années de master, les étudiants effectuent un stage ou deux dans une agence d’architecture. C’est l’occasion de se confronter à la réalité du métier d’architecte et à la vie quotidienne en agence. Ces stages me permettront de m’interroger sur mon engagement à l’école, sur l’image de l’architecte que je me fais et sur la manière que j’envisage de poursuivre dans cette discipline. J’ai eu de la chance d’être accueilli dans l’agence d’architecture de Bernard Lab, implantée en périphérie de Chambéry à Cognin. Au coeur de la Savoie, leurs projets sont enracinés dans l’histoire et les paysages de ma région à laquelle je suis très attaché. J’ai donc pu confronter l’enseignement méditérranéen que j’ai reçu à l’école de Marseille avec la sensibilité des Alpes. Par la suite, pendant mon échange en Amérique du Sud, je me suis rapporché du studio uruguayen MAAM à l’occasion d’un stage d’un mois. Proposé par un de mes professeurs qui en est l’un des fondateurs, cette expérience a été l’occasion de parler d’architecture dans un contexte completement différent. J’ai donc pu réinterroger mon enseignement marseillais et mes expériences en agences françaises d’un tout autre point de vue. C’est donc sous la forme d’une comparaison entre deux réalités que je vous propose de développer mes observations dans ce rapport.
PLAN
Entrée en matière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
Découverte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Dispositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Philosphies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Dessin de mobilier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8-17
Projet architectural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17-47
Leçons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Mercis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
2
DÉCOUVERTE /
LAB ARCHITECTES
La société LAB architectes a été créé en 1981. Son domaine d’activité est la conception, les études d’exécution, la direction des travaux, de bâtiments publics, industriels, de logements, d’ensembles tertiaires ainsi que des ouvrages d’art. L’ensemble de la structure, réunie sous le nom de Bernard Lab représente un équipe de deux personnes, une dessinatrice qui combine son travail avec ses études d’architectures et l’architecte Bernard Lab. Elle est à même de répondre à l’ensemble du déroulement d’une réalisation depuis les études de faisabilité, les permis de construire, la direction et la comptabilité de l’ensemble des travaux jusqu’à la réception des travaux. L’agence peut effectuer des missions complêtes pour les collectivitées locales ainsi que les «particuliers» en neuf ou en réhabilitation. Mais elle peut très bien être appellée pour des missions de conseil ou de jury de concours. Pendant sa formation, Bernard Lab a eu la chance de travailler avec André Ravérau sur la thématique de l’interprétation de l’architecture régionale et de l’habitat vernaculaire. Sujet que nous avons aussi développé ensemble aucours de l’une de nos discussions.
MAAM
Le studio uruguayen MAAM, en fusionnant avec STUDIOPARALELO donna MAPA studio. Ce sont deux agences d’architecture qui forment un collectif binational motivé par l’exploration continuelle et la recherche de la pertinence dans le champs disciplinaire et académique. STUDIOPARALELO et MAAM arquitectos sont deux agences initialement indépendantes qui ont vu le jour pendant la première décénie du siècle. En 2008 ils ont commencé à partager des commandes et des concours obtenant plusieurs prix en participant à des expositions et à des biennales. C’est au bout de cinq an qu’ils ont décidé de fusionner ensemble en établissant deux ateliers, l’un à Porto Alegre au Brésil et un autre à Montevideo en Uruguay. MAPA est donc un collectif qui aborde des projets d’architecture à différentes échelles autant au Brésil qu’en Uruguay. Du coté Uruguayen, la moitité des membres garde encore un pied à la faculté d’architecture républicaine de Montevideo. Cette double activité leur assure une recherche et une expérimentation continues.
3
LIEUX /
LAB ARCHITECTES
J’ai été accueilli à l’agence dans une petite salle regroupant quatre bureaux réservés aux membres. Un des murs est recouvert d’une armoire impressionnante où sont stoqués des centaines de dossiers de projets en cours ou archivés, des dossiers techniques, des revues, des catalogues, etc.. Contrairement aux locaux de mon précédent stage, il y avait des fenêtres. Détail qui a son importance car il n’est pas évident de travailler toute la journée sur des ordinateurs éclairés à la lumière artificielle. Sans parler de l’hiver l’on passe des semaines sans voir le soleil. Les postes de travail de chacun est dans un coin de la pièce ce qui reflète tout à fait la philosophie de l’agence : chacun sa place, son projet et son rythme. L’agence est aussi composée d’une salle de réunion que l’on découvre en entrant. Bordée de revues accumulées, et de documentations en tout genre, l’espace est relativement saturé visuelement ce qui lui donne un caractère «comme à la maison» intéressant. Accueillir ces clients dans son salon chargé mais organisé et décoré avec goût est peut être une stratégie comerciale. En tout cas ça semble fonctionner. J’ai eu l’impression que cet espace est l’antre de l’architecte. Un lieu où il se sent bien et fort avec les références à proximités et son mobilier de qualité. Le client peut donc se sentir en présence d’un professionel qui a de l’expérience et du savoir accumulé. J’ai compris que le contexte français laisse à l’architecte une «fexibilité» dans son travail. En effet il peut être multiple: mission de conseil, jury de concours, diversité programatique des projets, etc... En même temps, l’état économique actuel de la France oblige aussi aux architectes d’être pluridisciplinaires, de s’adapter et de se battre.
MAAM
Le studio a prit place au rez de chaussée d’un bâtiment remarquable de Montevideo : Le Panamericano. Conçu par l’architecte Raul A. Sichero Bouret dans les années 60, l’édifice est connu pour sa double hauteur en rez de chaussée et sa structure en «V» de soutien. L’atelier est une pièce unique où les membres travaillent autour d’une grande table en longueur. Justement cette table en dit long sur la philosophie de l’équipe que je developperai plus tard dans l’exposé. La pièce est ouverte sur deux de ces quatre côtes sur un petit port de voiliers et un immeuble en construction. La lumière y est claire et uniforme. C’est un cadre très agréable pour travailler, réfléchir, penser en regardant dehors. Cette vue, large et profonde sur le paysage à l’air de libérer l’esprit et de le rendre plus clair. Le soir, une lumière orangée douce, comparable à la couleur des couchers de soleil de Marseille, inonde l’atelier. Les membres de l’agence MAPA accueillent les personnes de l’extérieur dans ce même espace dit de «co-working». Une table rectangulaire, plus petite est placée parallèle à la première. Dans son prolongement un écran surplombe un étagère basse rempli de revues et magazine d’architecture, de détails, de paysage, etc. Les clients se placent toujours dos à la plus grande table et peuvent suivre les explications des architectes à l’aide des plans, croquis qu’ils ont devant les yeux mais aussi grâce à l’écran qui permet de projeter des visuels en complément. Cette espace est aussi utilisé par tous les membres de l’équipe pour des moments de «brain-storming».
DISCUSSION
Dans le local de Bernard LAB, il y avait cet effet «comme à la maison» que j’appréciais beaucoup. Comme en colocation, nous travaillons dans la salle à manger et recevons dans le salon. On se sent rapidement à son aise. Des meubles de qualité, une lumière agréable et l’odeur du café. Je me suis dit en rentrant la première fois dans l’agence : «ces gens-là doivent dessiner des lieux avec un grand soucis de détail, d’échelle humaine, d’usage millimétré et de sensibilité». Il régnait cependant un certain désordre, «organisé» sûrement, qui accrochait l’esprit rêveur et l’empêchait de s’évader. Focalisé toute la journée sur un projet, j’avais l’impression d’avoir du mal à me déconnecter. C’est un peu à l’image de notre société occidentale, frénétique, concentrée dans un but précis, la rapidité, l’efficacité, la rentabilité, la productivité. C’est l’impression inverse que j’ai ressenti dans l’agence uruguayenne «Studio MAPA». Une pensée, vagabonde, flottante, papillonnait et s’ouvrait aux possibles. Elle passait d’un architecte à l’autre. La réflexion me paraissait plus lente mais plus réelle et partagée. Observé de haut, et avec plusieurs regards, le projet pouvait être scruté sous toutes ses coutures. C’est avec l’esprit pensif mais léger que je rentrais chez moi le soir. Le lieu de travail a beaucoup d’influence sur la capacité à imaginer et à se concentrer. Il est le reflet de la manière de voir le monde et d’interagir avec lui. Il dessine alors les rapports avec les clients, entrepreneurs, stagiaires et autres.
4
DISPOSITIONS /
LAB ARCHITECTES
MAAM
L’équipe de l’agence est restreinte : Bernard Lab, diplôme de l’école d’architecture de Grenoble en 1979 et une dessinatrice qui alterne entre études d’architecture (de 2ème année) et présence dans l’agence. Les horaires sont fixes et doivent être respectés. Il y a un cadre de travail millimétré. L’architecte pense et organise, la dessinatrice et stagiaires dessinent et exécutent. Bernard LAB s’occupe quotidiennement d’esquisser les idées de projets mais aussi de traiter le courrier, les mails et les appels d’offres. Il organise les rencontres avec les clients et les visites de chantier. La dessinatrice quant à elle met en image les intentions de projet (documents 2D et 3D). La hiérarchie est clairement ressenti aussi entre les deux personnes. Il y a comme une relation de maître à élève. Cette distance entre ces deux personnages est alors perceptible, comme une méfiance mutuelle pour défendre ses intérêts propres. Mais c’est une structure qui n’est pas inhabituel en France. Je l’ai constaté lors de mes autres stages, systématiquement les rôles sont distribués et la cadence structurée, tout ceci à la recherche de quantité, de rapidité et d’efficacité.
L’équipe de MAAM est diversifié et en mouvement. Étudiants, architectes et architectes-professeurs s’organisent autours de projets. Chacun, conscient de son travail à apporter au groupe, s’organisent autour d’horaires flexibles. Une partie de l’équipe se rejoint pour déjeuner ensemble le midi avant de commencer à travailler. D’autres arrivent au moment du café. Débat sur l’actualité, les concours, la vie de tous les jours, ce moment permet de faire une transition entre le quotidien et le travail de l’agence. J’ai senti plus qu’une relation d’équipe, d’interdépendance. Il y avait là de l’amitié qui rassemblait ces personnes pour travailler. L’agence est née ainsi selon les dires d’un des fondateurs. Ils étaient une bande de trois amis, étudiants ensemble à l’époque, plus ou moins dans la même promotion. Cette rencontre est le fruit de la philosophie de l’école, basée sur le travail en groupe. Ils ont alors travaillé sur des concours extrascolaires qu’ils ont remporté et petit à petit ils ont fondé une agence. Cette ambiance de camaraderie est perceptible. Elle participe au bon fonctionnement de l’agence.
Étrangement l’espace de travail reflète cette organisation. Montrez-moi où vous travaillez, j’en déduirai votre philosophie. En effet, les deux personnes ont leur bureau respectifs disposés parallèlement et séparé par une porte donnant sur la salle de réunion (qui est aussi l’entrée). La séparation montre bien l’idée d’autonomie. Leur position, d’un bout à l’autre de la pièce, révèle quant à elle l’impossibilité que l’un contrôle par un coup d’œil ce qu’est en train de faire l’autre. Chacun dans sa bulle, chacun à son rôle, chacun à sa responsabilité, chacun à son rythme. Le bureau du stagiaire, placé de l’autre coté, se retrouve dos à la dessinatrice. Il peut être alors surveillé et faire l’intermédiaire entre les deux personnages.
Dans un unique espace de travail, les membres de l’équipe s’entraident : quand quelqu’un rencontre une difficulté, les autres se rapprochent en quittant ce qu’ils sont en train de faire pour en discuter. Ils ne partirons que quand le problème sera résolu. Cette attitude est similaire au début d’un projet. Après avoir rencontré le client, l’équipe se rassemble autour d’une table pour parler du programme, des axes de réflexions et pour tirer les premières idées. Ce moment peut durer toute une après midi, les échanges sont intéressants et sont accompagnés de dessins et de fous rires. Nous pouvons sentir cependant la responsabilité d’Andrés et de Matías, qui prendront les décisions finales et seront consultés pour des questions administratives.
DISCUSSION
A l’agence Bernard Lab, lorsque l’architecte et la dessinatrice étaient présents, l’atmosphère y était pesante, souvent électrique. La hiérarchie imposée et bien lisible m’a mise mal à l’aise. Il est toujours question de bien réfléchir pour « bien faire ». Je me suis aperçu qu’il m’arrivait m/ême de rentrer en concurrence avec la dessinatrice par moment. Ce sont des sensations négatives que je n’ai pas vécues en Uruguay. L’entrée dans l’ambiance de camaraderie de MAPA s’est faite en douceur. Accueillants, souriants, j’ai eu la sensation d’être l’un des leurs. Ils m’ont immédiatement intégrés et partagé les discussions, leurs fous rire avec moi. Ainsi il est possible d’avoir un sentiment d’appartenance à quelque chose, comme une responsabilité. « Je fais parti de l’agence, c’est la mienne et j’en prend soin ». L’implication dans l’agence est donc très différente : on se lève le matin pour faire de l’architecture avec des amis, et non uniquement pour se faire de l’argent. Nous recherchons alors plus la qualité que la quantité. C’est une attitude qui est comparable à celle que nous avons mes amis et moi quand nous travaillons ensemble : un esprit de découverte, de recherche, de libre pensée créative partagé entre tous, à parts égales.
5
PHILOSOPHIES /
LAB ARCHITECTES
Pour assurer une continuité dans le travail, Bernard Lab a fait le choix de diversifier ses terrains d’intervention. Ainsi, dans une idée de concevoir des « réalisations pour tous », il peut prendre en charge aussi bien la conception d’habitats collectifs, de maisons individuelles, d’équipements publics, de bâtiments d’activités ou encore des opérations de réhabilitation. Pour cela, j’ai eu l’impression qu’ils profitent d’un « bouche à oreille », d’une réputation relative à plus de 30 ans d’expérience. Cependant, de nouveaux clients sont souvent accueillis pour discuter de idées de projet. Ces derniers sont à la recherche de professionnels dans la construction « responsable ». Justement l’agence s’affiche comme « spécialiste de l’écoconstruction en Savoie » prônant une « démarche écologique » qui est le résultat d’une « adaptation aux changement dans l’éthique environnementale ». Ainsi, face aux inquiétudes de changements climatiques et avec un soucis d’économie d’énergie, l’atelier propose des « conceptions bioclimatiques et architectures en bois ». Une sensibilité environnementale perceptible surtout au niveau technique. Il est question de faire de bons choix de matériaux, de techniques de chauffages et de dispositifs architecturaux fournissant une « une réponse thermique performante ». Dans la même optique, l’agence consacre exclusivement son domaine d’opération à la région Rhône-Alpes et essaye de d’utiliser des ressources premières originaires de celleci. S’ajoute une recherche de valorisation des bâtiments construits par des labels (BBC, Minergie et PassivHaus) dans l’idée d’être en avance sur les réglementations et les standards du bâtiment. Pour finir, j’ai ressenti dans l’agence une curiosité continue pour ce qu’il se fait aujourd’hui dans le domaine de l’architecture.
MAAM
Le contexte économique difficile de l’Uruguay rend les appels d’offre et les concours rares. Ainsi, en plus d’une deuxième polarité au Brésil grâce à la fusion avec Studioparalelo, l’équipe MAAM a du adopter des stratégies différentes de projet. En effet, j’ai été surpris de voir qu’ils n’hésitaient pas à faire des propositions de projet sans qu’il y ait forcément de demande. C’est un paris risqué puisqu’ils travaillent sur leur temps libre. L’attitude conceptuelle conventionnelle est alors bouleversée mais pas pour autant inintéressante. De plus, l’agence n’hésite pas à étendre son travail au design et à l’enseignement. Toujours à l’affût d’actualités artistiques, d’expérimentations architecturales (souvent à l’école), d’histoires en tout genre et de débats politiques ou sportifs, le quotidien nourrit leur imaginaire, leurs rêves et leur recherche architecturale. D’ailleurs, cette ouverture alimente chez eux une envie de rencontrer et travailler avec des étrangers (moi par exemple) pour croiser les regards et ainsi grandir. Pour ce « groupe d’amis », la richesse se trouve dans l’ouverture au monde et à ses curiosités. Ils ont confiance en leur capacité de « digestion » de ces éléments et de les réinvestir dans une situation de conception architecturale. De là ils peuvent passer 30 minutes en plein milieu de l’après midi, debout devant la baie vitrée de l’agence et faire la critique du bâtiment voisin qui est en train de se construire en me demandant aussi mon avis. Avoir un pied dans l’école en tant qu’enseignants leur permet de se mêler à un fourmillement d’idées, d’expérimentations, et de recherches en tout genre. Je suppose que c’est une manière de communiquer une pensée pour en avoir un retour. C’est aussi une occasion de se lancer dans des situations de réflexions avec les étudiants qui auraient été difficile de mettre en place dans le monde professionnel.
DISCUSSION
Les deux agences prétendent vouloir s’imprégner d’une actualité cependant j’ai senti que les architectes uruguayens sont ouverts à de nombreux domaines contrairement à Bernard Lab. J’ai eu l’impression que ce dernier restreignait sa réflexion à la théorie : l’architecture évolue avec son temps, d’où son envie de comprendre le temps dans lequel nous vivons. Actuellement, il vrai que les réflexions se tournent autour d’une architecture qui se veut plus respectueuse. Cependant il me semble que l’enjeu ne se limite pas aux solutions techniques face aux crises environnementales, politiques, économiques et sociales. Il me parait qu’aujourd’hui est l’heure de repenser la manière d’habiter avec le monde (le vent, la roche, la pluie, etc.) et de cohabiter avec les autres (humains et autres être-vivants). Cette course aux labels, à la science et à la technique pour nous prévenir du monde n’est pas un cas isolé ici. En effet, j’ai eu l’occasion d’observer cette attitude de ton étude sur l’écoquartier de la Zac de Bonne à Grenoble. Cependant je dois nuancer mon propos sur l’apparente froideur de l’agence française. En effet il m’est arrivé à plusieurs reprises de participer à de longues conversations sur des thèmes variés comme le rôle de l’architecte, la question du patrimoine, le contact avec les clients, la mise en œuvre, les suivis de chantier, la gestion d’une agence, etc. J’ai apprécié la curiosité de l’architecte et de la dessinatrice portée à mes enseignements, mon travail, ma vision de l’architecture et du monde. Mêlée à la mienne, nous avons beaucoup appris les uns des autres pendant ces échanges riches.
6
ETUDES /
LAB ARCHITECTES
J’ai eu la chance de jouir d’une grande liberté dans le travail qui m’a été demandé. Une liberté dans mon organisation, dans le choix des outils, des méthodes et des représentations a guidé mon travail. L’idée de Bernard était de me laisser expérimenter cette liberté pour qu’il observe les techniques actuelles de penser et dessiner un projet que je véhiculais. Soucieux de ne pas décevoir je me suis mis à reproduire les gestes appris à l’école. Pendant les stages subsiste toujours une anxiété due au nouvel environnement et à l’envie de « faire ses preuves ». Mais ici la confiance qui m’a tout de suite été accordée m’a rendu plus serein et sûrement plus efficace. Je me suis vu attribué dans un premier temps un concours d’un opération de logement (+commerces) dans le centre historique de Chambéry (73), ma ville natale. Par la suite, il m’a été confié la conception d’un bureau pour l’entrée de la maison des énergies à Cognin (73). En parallèle de ce travail et à l’occasion d’un jury de concours, Bernard Lab m’a laissé un peu de temps pour consulter les trois propositions de maison de retraire médicalisée. A la suite de cela nous avons eu une longue conversation pour débattre des différents thèmes abordés. J’ai eu aussi la chance de le suivre sur un chantier sur la commune de Bourdeau (73) au moment du second œuvre. Cette expérience de terrain m’a permise de rencontrer les clients, les ouvriers mais aussi de mesurer la responsabilité de l’architecte et l’importance de sa capacité à bien communiquer avec tous ces acteurs. Nous avons aussi profité d’une visite de chantier pour faire un tour de quelque réalisations dans la vallée chambérienne. Cette « balade » a été l’occasion d’avoir des échanges sur la conception architecturale, le respect du site, l’usage des lieux, la technique, etc.
MAAM
Ma façon de travailler avec l’agence uruguayenne était proche de celle d’un étudiant se faisant corriger par un enseignant : les exercices qui m’ont été confié étaient ponctués de corrections par les différents membres de l’agence. Il m’est aussi arrivé de faire une présentation projetée de mon travail devant tous. Tout comme l’ensemble des membres de l’agence, je pouvais organiser mon temps comme je le souhaitais et me déplacer sur le site si il le fallait. Destitué de mes repères français j’étais plongé dans un milieu qui m’était étranger. Il n’était pas évident de cerner avec précision les attentes des architectes et encore moins d’anticiper la meilleure manière d’y répondre. A la différence culturelle s’ajoutait la difficulté de la langue. Par chance, ils ont été patients (en vue de mon espagnol approximatif), et curieux d’observer ma façon de voir les choses.
DISCUSSION
Finalement, bien que différentes, ces deux agences m’ont proposé des études similaires. Elles seront alors systématiquement présentées en comparaison pour enrichir l’observation. L’explication se suivera pas une logique chronologique mais plutôt thématique. Dans un premier temps, il se question des dessins de mobilier. Ensuite, seront présentés le concours de logements étudiants et l’extension de commerce. Les commentaires accompagnerons les documents graphiques de réflexion et de présentation.
Tout comme l’agence Bernard Lab, il m’a été demandé de dessiner un bureau d’accueil pour le hall d’entrée d’un laboratoire d’une entreprise laitière. Cependant le principal travail qui m’a été confié est celui d’une extension d’un commerce au centre ville de Montevideo. Ce travail consistait à établir plusieurs propositions de programmes et d’espaces correspondants à présenter a un client qui n’avait préalablement rien demandé. Comme je l’ai expliqué plus haut, il était courant de se réunir pour chercher en groupe des solutions à un problème rencontré par un des membres de l’agence. Ainsi j’ai pu participer à ces discussions en dessinant avec eux de rapides croquis et en apportant quelque propositions.
7
ETUDES / Dessin de mobilier / Bernard Lab
8
9
10
11
DISCUSSION
La première fois pour moi qu’il me soit demandé de dessiner un meuble. Quelle attitude adopter ? Sur quel raisonnement s’appuyer ? Réfléchir à partir du lieu où il se trouve, de l’utilisation des personnes ? Peut-on penser le mobilier comme une architecture ? Finalement mon attitude était similaire à la démarche de conception architecturale. L’idée était de récolter toutes les données disponibles qui pouvaient influencer le dessin du bureau. Tout comme un bâtiment, il m’a semblé important qu’il rentre en discussion avec son environnement, dans un échange, un dialogue respectueux. Il m’a paru nécessaire de comprendre l’ambiance et l’atmosphère de la pièce qui allait l’accueillir. Comme une phase d’analyse je suis alors parti à la recherche de photos, de matières, de témoignage d’usage, etc. De là ont été tiré des problématiques pour mettre en relation l’usage et l’éthique des lieux avec la forme, les matériaux et leur mise en œuvre. Il faut savoir que la maison des énergies s’inscrit dans une démarche de développement durable. Ainsi il a fallu articuler la réflexion autour d’intentions responsables chères à l’établissement. Le bois, ressource présente localement, renouvelable et réutilisable, fut alors naturellement choisi. Il a été question par la suite de déterminer une idée directrice, un concept, qui pourrait unir toutes ces intention. Ergonomie, assemblage, savoir faire local disponible, aisance de montage et démontage sont autant de thèmes qui ont été abordé.
12
ETUDES / Dessin de mobilier / MAAM
13
14
15
Pieza de uniรณn
Corian
Cajรณn
16
DISCUSSION
Le projet uruguayen s’est inscrit dans une toute autre approche. Nous devions répondre à une commande d’une grande firme de distribution de lait uruguayenne. Ils ont été sollicité comme ils avaient déjà travaillé sur la signalétique dans les locaux à l’occasion d’un de leurs premiers projets. Nous devions dessiner un bureau qui, une fois placé dans le hall du laboratoire d’analyse, pourrait accueillir les visiteurs. Une fois de plus il a fallu s’imprégner de l’ambiance, l’atmosphère et l’étique de l’établissement. Les maîtres d’ouvrage étaient dans l’attente d’un dessin minimal de volumes épurés qui correspondrait à l’image du laboratoire en question. Cette fois-ci, nous nous sommes lancés dans une recherche plastique, un jeu formel de blocs encastrés, glissés, tirés ou encore extrudés. L’exploration m’a menée à représenter à la manière « ikéa ». Celle ci à été proposée aux maîtres d’ouvrage.
17
ETUDES / Projet architectural / Bernard Lab
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
DISCUSSION
Ici, il s’agissait d’un concours de logements étudiants et d’un petit commerce dans une rue de la vieille ville de Chambéry. Capitale de la Savoie elle est aussi la ville natale. Je vous laisse imaginer la sensation que j’ai ressenti quand il a fallu arpenter de nouveau les rues pavées de mon enfance cette fois ci avec un carnet à croquis à la main. Je réalise seulement maintenant la chance que j’ai eu. Bernard Lab a largement contribué à mon excitation en me laissant libre d’aborder ce concours comme je le souhaitais. À sa grande surprise j’ai passé ma première journée de stage en ville, dessiner la dent creuse en question, prendre des mesures, des repères et noter mes premières intuitions. J’avais l’avantage de connaître l’esprit du quartier, les rituels de ses habitants et d’avoir mes propres souvenirs. Ma sensibilité n’était qu’exacerbée ici. Exercer son métier dans la région me paraissait alors naturelle si ce n’est pas indispensable. C’est alors que ma pensée libre guidait mon stylo qui en dessinait les contours de chacune de ses évolutions. Le déroulé du processus à été rythmé par de nombreuses discussions avec Bernard, élève de André Ravéreau, sur la notion de patrimoine. Elles sont rentrées en résonance avec un stage que j’avais effectué dans une agence d’architecture du patrimoine (CAIRN) à Lyon. Parmi elles : quelles attitudes faut-il adopter un environnement de monuments historiques protégés ? Comme dialoguer respectueusement avec l’existant sans tomber dans le mimétisme ? Il a été particulièrement intéressant de vivre un charrette (que j’ai provoqué) en passant la nuit de la veille à l’agence à faire une maquette avec la dessinatrice. Pendant ces derniers instants l’agence s’est transformée en un gigantesque atelier de maquette. Malgré le dessin des fenêtres qui ne m’a pas convaincu, le projet a sûrement révélé la passion qui m’habitait à ce moment, puisqu’il a été mené jusqu’en finale. 28
ETUDES / Projet / MAAM
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
DISCUSSION
Ici, une fois de plus, je me suis retrouvé dans un cadre de vieille ville. Mais comme toute ville sud-américaine, les plus vieilles de constructions n’ont que deux siècles. Ce sont des villes jeunes par rapport aux européennes. Ceci pourrait expliquer l’attitude différente des deux agences vis à vis du patrimoine. A Montevideo, chaque maison qui dessine chaque rue est un éclat de couleur, de forme, de végétation rythmant de surprises un parcours à travers la ville. C’est une qualité qui pourrait requestionner notre tendance aux boulevards monumentaux uniformes et souvent froids et sans réelle vitalité quotidienne. Dans un cadre alors de spectacle et de sensationnel, il m’a été confié la conception anticipée de locaux commerciaux. « Anticipée » parce que le propriétaire, ancien client de l’agence, à laissé croire qu’il avait quelques espaces disponibles et un peu d’argent de coté sans évoquer l’envie de construire. En vue du contexte économique du pays, les architectes m’ont alors demandé de présenter des propositions de programmes et des aménagements correspondants à ceux-ci. Étrange approche avec très peu d’accroches pour aider à la conception. C’est alors une réflexion empirique par tâtonnement, rythmée d’intuitions explorées issues d’une pensée vagabonde qui s’est entamée. Après plusieurs présentations de ma part, nous nous sommes réunis autour d’une table pour réfléchir ensemble à une seule proposition mélangeant plusieurs de mes idées intéressantes. Il était intéressant de travailler de cette manière, libre mais avec le soucis de se rapprocher des besoins du quartier, de la sensibilité du client avec l’éthique de l’agence. La richesse de ce travail repose sur la possibilité qui m’a été donné de projeter dans une ville d’Amérique, dans une autre culture et histoire de l’architecture. Les échanges avec les architectes m’ont aussi interrogé sur notre manière occidentale de voir le monde. 46
LEÇONS /
L’architecte ? Qu’est-ce qu’être architecte ? Maître-maçon, maîtreespace, chef d’orchestre spatial, artiste ingénieur, constructeur éveillé, entrepreneur de volumes, juriste de l’habitat, anthropologue de l’habiter, dessinateur de quotidiens, rêveur du réel ou encore utopiste explorateur ? Ces stages m’ont aidé à définir ce métier mais surtout de lui donner du sens et ce, aux deux acceptions du terme : en lui donnant à la fois une direction et une signification. L’espace A la sortie de l’école, il nous a été enseigné les outils pour « maîtriser » l’espace. Effectivement, nous devrions être capable de proposer des situations et des atmosphères qui seront le support de la vie. Cependant, aussi bien qu’à l’école, il est souvent question d’image, d’apparence et de forme en agence. Donner du sens à l’espace c’est lui donner une vibration qui résonne avec son paysage mais aussi avec ses habitants. De ce point de vue, il est difficile de rendre perceptible ce lien entre les choses. Seule l’atmosphère peut être suggérée avec une part d’incertitude et un flou d’interprétation indispensable à l’appropriation. Le temps Grâce à ces expériences en agence, j’ai compris l’importance du temps. Il vaut mieux faire moins et mieux, plutôt que plus et mal. Ainsi, privilégier la qualité à la quantité revient à prendre le temps de réfléchir, d’expérimenter, d’échanger, d’interroger pour avoir une réponse raisonnée. Ce qui n’est pas synonyme de perte de temps, au contraire. La durée est aussi une composante de la conception : j’aime l’idée de penser dans le temps, pour le temps et avec le temps, de temps en temps.
L’être humain En pratiquant je me suis rendu compte de l’importance de se rapprocher de l’humain, oser une complicité dans la conception, indispensable à une réponse raisonnée et raisonnable, saisissante et pertinente en vue des multiples faces du contexte. Cette humanité se trouve dans un contact avec les gens, les clients, mais aussi avec son équipe et soi-même. Le monde Plus que l’humain, l’architecture peut éveiller au monde. L’expérience qu’elle propose réveille les sens, pour s’émerveiller de la présence des choses, des êtres et de soi-même. Tout comme le poète, l’architecte n’a t-il pas cette envie de révéler la beauté et cette sensation d’être vivant, d’être au monde, d’exister ? Donner du sens à son existence est-il possible en tentant de (re)lier l’humain à la nature, les humains entre eux et l’humain avec lui même ? Être là, c’est avoir conscience de sa présence dans un lieu, considérer sa présence par rapport à d’autres êtres vivants. Voilà peut-être quelque chose que l’architecte peut s’évertuer à révéler.
Le rêve En ce sens, il me paraît important d’avoir un travail diversifié mais précis et complet, qui irait au bout de son développement. En équipe il serait partagé, dans une atmosphère de confiance, de non-hiérarchie et de camaraderie. Ainsi, dans un lieu propice à l’évasion de la pensée, l’esprit créatif pourrait se libérer, explorer et expérimenter. Cette ouverture conceptuelle doit accompagner celle culturelle en glissant dans d’autres disciplines pour répondre efficacement à l’habiter d’aujourd’hui.
Vivre avec ses semblables, la nature et soi même : il y a là plus qu’un rêve d’un métier, c’est aussi celui d’un monde cohabité.
L’architecte ! En vue des observations faites pendant ces stages, un futur idéal commence à se dessiner. La manière actuelle de travailler ne me convient pas. J’en crois, à entendre la plus part de mes camarades, qu’elle ne convient à pas grand monde. Et comme d’habitude, on s’en contente parce qu’il est plus économe en énergie de s’y plier que de chercher une alternative. L’idéal devrait se trouver à mis chemin entre la philosophie de Bernard Lab et celle de MAAM. 47
MERCIS /
LAB ARCHITECTES
Merci Bernard pour votre accueil, confiance et nos longues discussions.
écoute,
intérêt,
Merci Gaëlle pour, ton énergie, ta complicité, ton amitié et la charrette que nous avons partagé. MAAM
Merci Andrès pour m’avoir proposé ce stage, accueilli dans votre équipe, accompagné mes réflexions et partagé les vôtres. Merci à toute l’équipe pour avoir supporté mon espagnol et mes pains d’épices. ECOLE
Merci Gilles Sensini pour votre lecture et correction.
48
« Pendant la période de son stage Jérémy Lasne a rempli les fonctions de projeteur au sein de notre équipe, accomplissant et dépassant nos attentes. Il démontra un grand intérêt et engagement, ainsi qu’une grande maîtrise des outils de projection et graphiques. Son apport se révéla de grande valeur pour l’équipe et l’agence. »
Jérémy LASNE Étudiant de 5ème année en parcours recherche École nationale supérieure d’architecture de Marseille H21 . Relation & Soutenabilité . Vivre ensemble 2015 . 2016