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PILIER LIBÉRAL, PILIER HISTORIQUE ?

Il serait impossible de parler de secteur associatif libéral sans expliquer la manière dont il s’est formé et ses raisons d’être. Il est tout aussi impossible d’en faire une synthèse historique complète et de détailler le phénomène qui l’a façonné, couramment appelé « pilarisation ». Si vous êtes intéressé par cette question, nous ne pouvons que vous conseiller l’excellent ouvrage Piliers, dépilarisation et clivages philosophiques en Belgique, édité en 2019 par le Centre de Recherche et d’Information Socio-Politiques (CRISP) sous la direction de Lynn Bruyère, AnneSophie Crosetti, Jean Faniel et Caroline Sägesser, et dont les informations reprises dans l’article proviennent pour leur très grande majorité.

La pilarisation est un phénomène ou concept social et culturel que l’on retrouve à travers l’Europe des XIXe et XXe siècles, sous des définitions qui varient d’un auteur à un autre.

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À la base d’un pilier se trouve un groupe ou un mouvement « [qui] parvient à mobiliser un pan entier de la population et à le souder profondément, en créant une sous-culture omniprésente et en établissant un vaste réseau d’organisations interdépendantes […] Le mouvement qui en résulte ressemble à un bloc puissant et impénétrable, dit “ pilier ” »1 .

Historiquement, on retrouve les piliers catholique, socialiste et libéral en Belgique de même qu’existent ou ont existé aux Pays-Bas les piliers catholique, protestant, socialiste ou encore le pilier communiste en France.

La Belgique est un cas à part parmi ces pays et la pilarisation a suivi une voie toute « belge ». Pour comprendre la naissance des piliers belges, il faut remonter à son Indépendance. La Constitution de 1831 proclame la liberté des cultes et de leur exercice, la liberté d’enseignement et la liberté de la presse, abolissant le Concordat de 1801. L’Église n’est plus soumise à l’autorité de l’État. Néanmoins, le nouvel État belge conserve un principe de ce même concordat : le financement public du culte catholique.

Dans le courant du XIXe siècle, d’autres cultes y seront associés. Forte de ce financement et de sa proximité avec la monarchie, l’Église catholique développera tôt une position dominante reposant, entre autres, sur ses églises et ses écoles. Ses adversaires ne cesseront de se multiplier et de s’organiser. Les libéraux sont les premiers, en 1834, à franchir le pas en fondant l’Université libre de Bruxelles, puis le parti libéral en 1846. Les catholiques, et non l’Église catholique qui refuse de participer au

processus politique, s’organiseront à leur tour à partir des années 1860 au travers d’associations, d’œuvres et de cercles et, enfin, d’un parti en 1884.

L’opposition entre catholiques et libéraux structura la vie politique belge jusqu’à la fin du siècle et se focalisa autour des questions scolaire et du financement public des cultes. Derrières ces questions qui peuvent sembler techniques se cachent avant tout deux visions totalement opposées de la société. À cette ligne de fracture viendra s’ajouter, dès les années 1880, la question sociale née de la misère provoquée par les révolutions industrielles successives. Le mouvement socialiste s’est déjà implanté en Belgique dans la seconde moitié du XIXe siècle via des associations se revendiquant de cette même idéologie, associations qui donneront naissance en 1894 au Parti ouvrier belge, ancêtre du parti socialiste. Suivront les créations des syndicats et des mutualités respectives, de mouvements de jeunesse, ou encore d’associations féminines au sein des différents piliers, principalement catholique et socialiste.

Le pilier catholique est celui qui s’est développé le plus largement, d’une part en raison de la situation institutionnelle belge que nous avons développée précédemment, et d’autre part grâce à l’organisation de l’Église. Face à lui, le pilier « laïque », porté dans un premier temps par le parti libéral, s’est scindé en trois à la fin du siècle : un pilier libéral, un pilier socialiste et, plus tardivement, ce que l’on peut appeler un « pilier apolitique », qui n’en est pas un car non organisé. Au sein même du pilier libéral a persisté pendant un certain temps une division entre progressistes et doctrinaires. Les premiers étaient, pour résumer sommairement, favorables à la mise en place du suffrage universel, les seconds y étaient opposés. Cette division sera définitivement résorbée par l’adoption du suffrage universel en 1921, étendu aux femmes en 1948.

La seconde moitié du XXe sera celle du reflux de l’influence religieuse au sein de la société belge, en particulier de la déchristianisation. Le pilier catholique a cependant survécu, en s’élargissant bien souvent sur une base « chrétienne » et non plus seulement catholique, grâce à des membres et des responsables qui, de plus, ne se sentent plus nécessairement « chrétiens ». Quant au pilier socialiste, il n’a pas non plus disparu malgré la victoire en trompe-l’oeil du modèle libéral sur le modèle socialiste représenté par l’URSS. S’iI semble, à première vue, qu’en Belgique, tout soit resté figé depuis 75 ans, il n’en est rien. Les piliers ont, à des degrés divers, embrassé une certaine forme de pluralisme, tant à l’intérieur vis-à-vis des membres, qu’à l’extérieur, principalement dans les discours.

À l’heure actuelle, force est de constater que le pilier libéral est le moins développé, et de loin, des trois piliers historiques. Il faut également noter que, même restreint, une partie des acteurs économiques sociaux libéraux conserve sa référence philosophique : la Centrale Générale des Syndicats Libéraux de Belgique, la Mutualité Libérale ou encore le Centre Libéral d’Action et de Réflexion sur l’Audiovisuel.

Adrien Pauly Jeunes & Libres

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