De la lumière au paysage - Johann Macke - Mémoire de recherche ENSP Versailles

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DE LA LUMIÈRE AU PAYSAGE Étude du mont Cassel et de la plaine flamande environnante

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DE LA LUMIÈRE AU PAYSAGE Étude du mont Cassel et de la plaine flamande environnante

Mémoire d’initiation à la recherche Diplôme d’Etat de Paysagiste Johann Macke Sous la direction de Monique Toublanc Année universitaire 2018-2019 3


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REMERCIEMENTS Je remercie tout particulièrement Monique Toublanc pour son suivi dans la fabrication de ce mémoire, ses conseils avisés et sa bienveillance. Je remercie également Antoine Santucci, Samuel Hamen, Titouan Joulain et Thomas Vogel avec qui j’ai réalisé l’Atlas des paysages de Flandre qui m’a accompagné durant la réalisation de ce mémoire.

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SOMMAIRE AVANT_PROPOS

INTRODUCTION GÉNÉRALE

1- LES LUMIÈRES DU PAYSAGE LA LUMIÈRE COMME COMPOSANTE ESTHÉTIQUE DU PAYSAGE

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L’INDIVIDU ACTEUR ET SPECTATEUR DU PAYSAGE

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LA PERCEPTION D’UN PAYSAGE PROPRE À CHACUN

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INFLUENCE SUR UN ÉTAT D’ÊTRE

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MISE EN VALEUR DE L’ESTHÉTIQUE D’UN SITE

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CHANGEMENT D’AMBIANCE PAYSAGÈRE

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« L’EMBELLIE TARDIVE »

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LA LUMIÈRE COMME ÉLÉMENT DE COMPRÉHENSION DU PAYSAGE

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LES ÉCHELLES, DIMENSIONS ET PROFONDEURS D’UN PAYSAGE

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RELATION ENTRE PAYSAGE ET MATÉRIALITÉ

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LA MORPHOLOGIE ET L’ORGANISATION DES TERRITOIRES

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HABITER LE PAYSAGE

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2- ÉTUDE DE CAS : LE MONT CASSEL

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INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR LES MORPHOLOGIES URBAINES

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L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE, EN QUÊTE DE LUMINOSITÉ

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UNE STRUCTURE ARCHITECTURALE ADAPTÉE À LA LUMINOSITÉ DU TERRITOIRE

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LES RELATIONS ENTRE L’HABITAT TYPIQUE FLAMAND ET LES MODES DE VIE

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DES COULEURS ET DES MATIÈRES QUI APPORTENT DE LA LUMIÈRE

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LE MONT CASSEL, ÉMINENCE TOURNÉE VERS LA LUMIÈRE LA TOPOGRAPHIE, ZONES HABITÉES D’OMBRES ET DE LUMIÈRES

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UNE ORGANISATION GRADUÉE DES ESPACES

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LE CLAIR-OBSCUR URBAIN

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LE PAVILLONNAIRE, UNE NOUVELLE CLARTÉ

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UNE DISPARITION DES CODES VERNACULAIRES

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DES NÉO-RURAUX DÉTACHÉS DU TERRITOIRE

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UNE AMBIANCE NOUVELLE

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LA LUMINESCENCE DU TERRITOIRE RURAL FLAMAND UN PAYSAGE OSCILLANT ENTRE SPLENDEUR ET OCCULTATION LES TRANSFORMATIONS DU PAYSAGE AGRICOLE FLAMAND CONSÉQUENCES SUR LES FORMES ET MODES DE VIES L’ÉMANATION DE NOUVELLES LUMIÈRES

UN PAYSAGE ENTRE STABILITÉ ET INCONSTANCE UN MOTIF PAYSAGER PRÉGNANT L’EFFACEMENT DU PAYSAGE VARIATIONS SAISONNIÈRES ET COURSE DU SOLEIL

STRUCTURES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES, UN NOUVEAU SCINTILLEMENT

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UTILISER LA LUMIÈRE AUTREMENT

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LA MODIFICATION DU MOTIF RURAL, UNE QUESTION SOCIALE

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UNE ATMOSPHÈRE NOUVELLE

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CONCLUSION

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QUELQUES ENSEIGNEMENTS POUR APPROCHER LE PAYSAGE À TRAVERS LA LUMIÈRE

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BIBLIOGRAPHIE

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AVANT-PROPOS

La lumière est sujet à l’expression d’une certaine sensibilité. Elle joue avec le paysage de sorte que celui-ci est toujours perçu de manière différente. Communément, elle trouve difficilement sa place dans la conception du projet de paysage. Source de motivation et de fascination dans l’élaboration de mes projets, elle est pour moi un élément qui fabrique l’espace, qui détermine des ambiances et qui joue un rôle sur la manière dont on habite le territoire. A travers la peinture et l’écriture, j’aime pouvoir l’utiliser pour raconter l’histoire d’un lieu, en décrire les atmosphères et partager un fragment de ma vision sensible du paysage, une part de moi en quelque sorte. La lumière parle alors d’un paysage, elle parle de sensations et de souvenirs et propose une vision personnelle et parfois subjective d’un territoire. Je m’intéresse tout particulièrement à la Flandre, pays de mon enfance et de mon quotidien. C’est un territoire qui me permet de tester l’élément lumière dans la compréhension et l’analyse d’un paysage. 11


INTRODUCTION

La lumière est une manière d’éprouver le paysage. Chacun la perçoit avec son propre regard et surtout avec son propre attachement au territoire dans lequel il se situe. Dans sa définition la plus générale, la lumière est ce par quoi les choses sont éclairées ; phénomène physique dont le rayonnement électromagnétique est perceptible par l’oeil humain. Lorsqu’on se situe dans un paysage, cette même lumière peut faire éprouver une sensation qui pourrait être qualifiée d’épidermique. Le rôle du paysagiste est alors de comprendre pourquoi cette lumière provoque ce saisissement. C’est en comprenant et analysant ce phénomène propre à chacun qu’il peut ainsi être possible d’affirmer que cette lumière peut avoir une influence sur la compréhension des paysages et leurs évolutions. Elle viendrait donc apporter un élément supplémentaire à une analyse qui pourrait être réalisée dans les domaines des sciences sociales, humaines ou encore physiques. Elle permettrait d’établir une vision singulière du paysage. L’objectif de cet écrit sur la lumière dans le paysage a pour but de fabriquer un guide d’approche du paysage par la lumière en l’élaborant d’abord sur un territoire en particulier ; les Flandres et le Mont Cassel. Il s’agira de comprendre et analyser, à travers la lumière, les transformations sous l’angle des sciences humaines et sociales : transformations des activités notamment agricoles, développement de l’urbanisation, changements d’usages du territoire,… Pour ce faire, il a d’abord été nécessaire de regarder comment les géographes 12


classiques, les historiens des sensibilités, les sociologues se sont emparés de la lumière et l’ont traitée lorsqu’ils ont cherché à décrypter un paysage et ses transformations. La lumière est dans un premier temps mise en relation avec l’homme dans le paysage. C’est une réflexion sur les postures à adopter dans et face au paysage. Et cela engendre des manières de voir esthétiquement un espace. Elle est ensuite abordée comme un élément de compréhension des territoires et d’apport à une analyse, mais également élément d’analyse à part entière. L’étude du paysage à travers la lumière renvoie souvent à la matérialité, les intensités et les couleurs. L’étude du mont Cassel et de la plaine flamande environnante permet d’appliquer et d’essayer une méthode d’analyse de ce paysage. D’abord en abordant l’espace urbain en partant par exemple de la fenêtre pour arriver jusque qu’à la structure du village avec des éléments de comparaison qui permettent d’analyser les manières d’habiter ce territoire ; en lien toujours avec les sciences sociales et humaines. Puis cette même approche est appliquée au territoire rural et agricole avec une vision plus sensible abordée par la peinture et l’écriture. Pouvoir utiliser l’écriture plutôt sensible et personnelle ainsi que la peinture vient apporter des éléments de compréhension différents de ce paysage. Cet apport est personnel et fut réaliseé pendant ou suite à des balades sur le territoire.

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1/ LES LUMIÈRES DU PAYSAGE 15



LA LUMIÈRE COMME COMPOSANTE ESTHÉTIQUE DU PAYSAGE La manière dont on regarde le paysage et ce qu’il va nous évoquer engendre une vision personnelle de la captation de l’espace. Différents éléments vont influencer notre manière de saisir le paysage : la posture physique, psychique et mentale. Le ressenti du territoire dépend également de notre vécu ; on accordera plus d’importance à certains éléments plutôt que d’autres et cela aura une influence sur la manière de regarder le paysage. Ce même paysage auquel on aura porté plus ou moins attention aura à son tour une répercussion sur notre manière de regarder. Par le biais de la lumière, il peut donc être possible

en relation avec d’autres éléments comme l’air, l’eau ou même le temps qui passe.

d’avoir une vision esthétique propre de ce paysage qui pourra être poussée jusqu’à une vision presque déformée : le paysage onirique. La lumière ne fabrique pas une émotion à elle seule ; elle est souvent mis 17


L’INDIVIDU ACTEUR ET SPECTATEUR DU PAYSAGE

L’équilibre dans la posture. C’est ce que Bruce Bégout, écrivain et philosophe, explique dans son chapitre intitulé Bref essai sur le paysage paru dans le livre Nord en 2016. Il raconte que « si le paysage devient trop sensoriel, si sa présence physique et émotionnelle est trop forte, il disparaît comme tel sous l’aspect d’une ambiance ». La place et la posture que prend l’individu dans ce rapport au paysage est donc essentielle pour ressentir l’émotion que celui-ci renvoie et fait éprouver. En effet, il est nécessaire d’avoir un certain éloignement avec le paysage et un recul sur la façon dont on le regarde pour pouvoir le ressentir et ensuite le comprendre. C’est donc l’équilibre physique et intérieur de la personne par rapport au paysage qui permet de ne pas être seulement spectateur ou acteur d’un espace. C’est une fusion de ces deux postures qui permet de capter toute la sensorialité et l’émotion d’un paysage. Cette position à prendre face au paysage et dans le paysage est également mis en avant par la professeure et chercheuse Catherine Grout dans son livre intitulé L’émotion du paysage paru en 2004 lorsqu’elle parle de la 18

différence entre voir et regarder. Elle précise que « l’oscillation entre voir et regarder » engendre une objectivation ou non de la captation d’un territoire. D’ailleurs dans leurs définitions, le mot voir désigne le fait d’être spectateur d’une scène, d’un espace, d’un paysage. Le mot regarder se tourne plus vers une forme d’analyse de quelque chose ; il induit de regarder avec attention pour analyser un territoire. Encore une fois l’individu, pour comprendre et capter toute la sensorialité et l’émotion d’un paysage, doit orienter son regard. Il doit se tenir dans une position bien précise face au site dans lequel il se situe pour soit en jouir d’une admiration esthétique et sensorielle, soit pour en comprendre le sens de la forme que prend le paysage. Si le plus souvent c’est l’individu qui doit orienter sa posture face au paysage pour le ressentir, celui-là possède également une vision et une appréhension personnelle qui influent sur sa perception.


LA PERCEPTION D’UN PAYSAGE PROPRE À CHACUN

Chaque individu regarde le paysage avec une sensibilité qui lui est propre. C’est ici que la lumière prend sa place dans la participation à l’émotion que peut engendrer un paysage et ce qui le compose. Il s’agit d’une « conception du monde » dont parle le philosophe Frédéric Paulhan dans L’esthétique du paysage paru en 1913 quand il déclare que notre regard porté sur le paysage et l’émotion qu’il peut nous procurer dépend de notre « conception sentimentale et affective, conception intellectuelle ou philosophique, conception morale ou conception religieuse ». Ce qui signifie que chaque individu sera sensible à certaines choses plutôt que d’autres ; la lumière peut alors provoquer cet effet épidermique chez certains et d’autres diront que c’est juste de la lumière. Il est également utile de dire que l’émotion que chaque personne peut ressentir ne dépend pas que d’elle ; Frédéric Paulhan ajoute que le paysage est « indépendamment de notre humeur à nous qui le regardons, une sorte d’émotion. Un jardin d’automne est une tristesse fut-il contemplé par une gaité ». Pour appuyer cette idée que la perception d’un

paysage est propre à chacun et au final un saisissement individuel et individualiste, certains historiens des sensibilités comme Alain Corbin dépeignent cette idée. Dans son livre intitulé L’homme dans le paysage, il dit que « bien entendu, l’appréciation du panorama constituait l’essentiel mais le contact du sable sous le pied nu, la chevauchée sur les grèves, le mariage du corps et de l’eau en pleine nature, l’expérience neuve de la fusion avec l’élément liquide, de l’affrontement avec la vague, en même temps que l’exaltation de la transparence, tout cela a fait que le paysage s’est très vite trouvé associé à cette cénesthésie, dont on détecte alors l’émergence dans le discours et qui serait une sorte de sixième sens ». Dans la continuité de sa description des sensations perçues sur la plage, il aurait tout a fait été possible de parler de la lumière qui vient réchauffer notre peau, du soleil qui scintille dans chacune des gouttelettes expulsées des vagues qui viennent s’échouer sur le sable. Mais cette dernière description n’est que personnelle et n’est propre qu’à moi même.

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INFLUENCE SUR UN ÉTAT D’ÊTRE

En plus d’avoir une posture intérieure singulière, l’individu dans le paysage peut également être influencé par la lumière sur sa posture physique face à celui-ci. Dans son livre intitulé Histoire buissonnière de la pluie, Alain Corbin explique que la pluie « cause d’ailleurs par la disposition où elle oblige notre corps à se mettre un certain recueillement qui rend alors l’âme infiniment plus sensible. Ce bruit même qu’elle cause […], en occupant continuellement l’oreille, éveille l’attention et la tient en haleine ». Cet exemple sur l’influence qu’a la pluie sur notre corps peut également être transposé au phénomène de la lumière lorsque celle-ci vient par exemple nous forcer à froncer les sourcils lorsqu’elle est trop forte ; elle réduit notre champ de vision et nous oblige à se concentrer sur un élément : elle cadre le paysage. La position dans laquelle le corps se place a donc une influence sur la façon dont on regarde le paysage. Cette position est d’ailleurs dépendante de la lumière qui appartient au paysage et donc dépendante du paysage lui même. C’est un jeu qui se crée entre le paysage et la personne. C’est comme s’il nous obligeait, 20

durant certains moments, à nous saisir d’une émotion du moment présent. Cela pour qu’on se saisisse d’une partie ou d’une facette de ce même paysage. A d’autres moments, la lumière mise en relation avec d’autres éléments de la nature engendre une nouvelle posture de notre corps face à celle-ci. Durant un voyage en Chartreuse, la lumière dépendant du moment de la journée avait une influence sur l’ambiance créée dans le paysage mais également une influence sur notre état d’être ; ce qui a laissé place à un travail d’écriture. La lumière a donc une influence sur notre état psychique, physique mais également émotionnel et sensible.


« Saint Laurent du Pont. 7H30. La Chartreuse n’est pas encore réveillée et dort encore sous sa couverture nuageuse qui l’entoure. La brume est épaisse, presque opaque, lourde. Seul le noir de certaines parties de la roche reste visible, et il nous est impossible de comprendre le relief, de

deviner la montagne, de savoir que l’on est en montagne. C’est comme si la brume, blanche et humide, se déroulait depuis le haut de chaque som-

met jusqu’à nos pieds, puis nous contournait et continuait son chemin dans notre dos. Tout est presque blanc, tout est terne, tout est pastel. La lumière

est indirecte, elle ne fait rien briller, elle matifie le paysage, l’homogénéise. Et cette lumière créée par la brume pousse chacun de nous dans une forme de retranchement, d’introspection ; c’est l’écho du Monastère qui arrive jusqu’à nous ».

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MISE EN VALEUR DE L’ESTHÉTIQUE D’UN SITE

Le saisissement d’un paysage engendre un avis personnel sur le degré de beauté de celui-ci. L’historien Alain Corbin dans son livre intitulé L’homme dans le paysage paru en 2001 explique que « l’environnement constitue un ensemble de données que l’on peut analyser, dont on peut faire l’inventaire, en dehors de toute application esthétique ; ce qui fait qu’il n’équivaut pas au paysage ». Il montre que pour qu’un environnement devienne paysage il est nécessaire de lui attribuer un jugement esthétique bon ou mauvais mais qui dépend et est propre à chaque individu. La lumière est souvent mise en relation avec l’ombre. Dans Penser l’architecture paru en 2006, Peter Zumthor relate le fait que l’équilibre des ombres et des lumières permet de mettre en valeur un paysage. La lumière artificielle que l’homme crée doit être maitrisée pour embellir le paysage. Il dit : « si plutôt que de concevoir les lumières que nous faisons nousmêmes comme un effort visant à l’abolition de la nuit, j’essaie de les penser comme des lumières dans la nuit, comme une accentuation de la nuit, comme des lieux de clarté créés par 22

l’homme, elles deviennent belles et peuvent déployer tout leur charme ». C’est donc ici un jeu d’équilibre de l’intensité de la lumière dont parle l’auteur pour magnifier le paysage par endroits. D’une manière plus naturelle et plus contemplative, le géogrpahe Elisée Reclus utilise la lumière pour faire l’éloge d’éléments du paysage. Dans Histoire d’un ruisseau paru en 1869, il dépeint la nature souvent de manière négative et utilise l’élément lumière pour la rendre plus belle. Il raconte que « le flot n’a pas encore eu le temps de se salir en démolissant ses berges et en se mêlant aux boues qui suintent du sol ; il vient de jaillir du sein même de la colline et, tel qu’il coulait dans son lit ténébreux de rochers, tel il bondit maintenant sous la lumière joyeuse ». Ici, la lumière embellit des éléments inesthétiques et banaux du paysage. Dans son autre livre intitulé Histoire d’une montagne, Elisée Reclus explique que la lumière a une influence sur la beauté d’un paysage. Le contraste d’un paysage change et dépend de trois facteurs : la forme, la


couleur et l’éclat qui eux mêmes dépendent de la lumière. Sa description très détaillée sur les roches qui composent le paysages fait ressortir des adjectifs qualifiants ces éléments. Il dit que « il en est de mouchetées, de diaprées et de rubanées ; de transparentes, de translucides et d’opaques ». Ces attributs permettent de qualifier l’esthétique d’un paysage au travers de la lumière.

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CHANGEMENT D’AMBIANCE PAYSAGÈRE

En plus d’accentuer ou altérer la beauté d’un paysage, la lumière peut en modifier son ambiance. Souvent mise en relation avec l’ombre ou autrement dit le manque de lumière, le paysage peut perdre ou alors s’ouvrir à de nouveaux regards. La lumière est souvent mise en relation avec le fantastique et l’irréel ; elle crée un paysage onirique. Le géographe Elisée Reclus décrit la rivière tel un spectacle lorsqu’il raconte dans Histoire d’un ruisseau que « ce qui nous enchante surtout, c’est le jeu de la lumière qui pénètre dans les profondeurs de l’eau et nous y montre de si charmants spectacles incessamment modifiés par les rides et les ondulations de la surface ». Ici, la lumière est mise en rapport avec l’eau ; ensemble ils créent différentes ambiances, différents spectacles. Le livre intitulé Paysage de Flandre, de l’infiniment petit à l’infiniment grand et écrit par la conservatrice du musée départemental de Flandre Sandrine Vézilier met en regard des créations contemporaines et des oeuvres anciennes parlant d’un même territoire : la Flandre. Dans le Paradis terrestre de Jacques Quecq, l’auteur décrit le paysage où « ces 24

puits de lumière en révélant les tons chauds de la terre ocre apporteraient au paysage à la fois un effet mystérieux et irréel ». On peut retranscrire cette description du paysage au tableau intitulé La vue panoramique de Cassel par un anonyme de l’école française dans lequel le mont et la plaine environnante sont représentés avec une lumière pesante et une modification des textures des éléments qui composent le tableau, lui donnant ainsi une forme plus idéalisée de ce que pouvait être le territoire de Flandre.

ANONYME école française, La vue Panoramique de Cassel, fin du XVII ème siècle, huile sur toile, Musée de Flandre, Cassel QUECQ D’HENRIPRET Jacques, Le paradis terrestre, 2004, photographie, 110x230 cm, Musée de Flandre, Cassel


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La lumière vient également modifier la qualité d’un site ; c’est comme si elle était positionnée sur une jauge et que la joie éprouvée l’était aussi. Lorsqu’on diminue l’intensité de l’une, celle de l’autre diminue aussi. C’est ce que le géographe et écrivain Julien Gracq explique avec son propre ressenti dans son livre Les eaux étroites paru en 1976 : « Avant d’arriver en vue du château, on longe sur la rive gauche la pente d’un coteau qui plonge dans la rivière, et dont l’ombre semble y verser de l’encre, en épaissir le silence ». On retrouve cette idée d’ambiance paysagère modifiée lorsqu’il dit : « La rivière qui traverse la contrée d’argot, plus tard, s’est souvenue sans doute de cette eau plombée, brusquement enténébrée par l’ombre portée de ses rives comme par la montée d’un nuage d’orage ». Autre forme de changement d’ambiance paysagère lorsque la lumière engendre une modification du sens donné à un élément du paysage. Catherine Grout dans son livre intitulé L’émotion du paysage explique qu’en fonction du moment de la journée, la lumière change et rend particulier certains éléments du paysage. 26

Elle l’explique lorsqu’elle annonce que « l’église lui semble un accident, ne plus dépendre des causes esthétiques et sacrées qui ont présidé à sa réalisation, apparaissant momentanément […]. L’événement est somme toute d’une grande simplicité et plutôt anodin. Pourtant il gène le narrateur, car il ne correspond pas au schéma attendu ». Autre manière que peut engendrer la lumière sur l’ambiance d’un paysage est le lien que cette lumière possède avec les aménagements d’un site. Julien Gracq met en relation les aménagements de pique-nique en forêt et l’influence de la lumière sur l’ambiance de cet environnement. Il caractérise « les lieux de pique-nique fléchés des forêts de plaisance. Médiocrement humanisé par ces accessoires sans poésie, le lieu pourtant reste sombre et lourdement ombragé. Le demi-jour du sousbois s’y réduit à sa signification purement menaçante : mauvaise halte ». La lumière renvoie donc à une atmosphère créée qui prend le dessus sur l’artificialisation de l’espace.


« L’EMBELLIE TARDIVE »

C’est de cette manière que Julien Gracq nomme, dans Les eaux étroites, ce phénomène où la lumière vient donner une beauté au paysage après un événement lié au temps et à la météorologie. En effet, il décrit ce phénomène de la sorte : « l’embellie, par exemple, des longues journées de pluie qui laissent filtrer dans le soir avancé, sous le couvercle enfin soulevé des nuages, un rayon jaune qui semble miraculeux de limpidité – l’embellie mouillée et nordique de certains ciels de Ruysdaël – l’embellie crépusculaire au ras de l’horizon, plus lumineuse, plus chaude ». Cette lumière qui laisse à découvrir une nouvelle facette du paysage donne également des indices sur le temps passé. La lumière et la pluie par exemple permettent de révéler l’éclat de certains matériaux, de certaines textures et donc permettent de comprendre, tout en faisant ressentir une émotion, comment le paysage se constitue. De manière plus descriptive, Alain Corbin dépeint la nature sous l’angle de la lumière après le passage de la pluie dans Histoire buissonnière de la pluie. Il annonce que « grâce

à l’effet retardé de la pluie, les feuilles, naguère penchées et flétries, se relèvent sur leur tige et se parent d’une verdure fraîche et brillante […], les mousses, les gazons recouvrent leur ton d’émeraude ». Ici encore, la pluie « donne de l’éclat aux objets de la nature » et permet d’en révéler, grâce à la lumière, différents éléments du paysage qui permettent ainsi de le comprendre. Autre élément que la pluie, le crépuscule laisse également à voir le paysage d’une toute autre manière. C’est ce que Elisée Reclus explique dans son livre intitulé Histoire d’une montagne lorsqu’il raconte que « le soir, après le coucher de soleil, la pyramide se montre dans sa beauté la plus pure et la plus splendide à la fois. Le reste de la terre est dans l’ombre, le gris du crépuscule voile les horizons des plaines ; l’entrée des gorges est déjà noircies par la nuit. La lumière est donc un élément qui influence une manière de regarder le paysage et d’en ressentir des émotions. Le saisissement d’un paysage doit être pris comme un travail d’approche de ce paysage au même titre 27


qu’une description d’un espace qui serait l’amorce d’une analyse. C’est à partir de ce ressenti qui est d’une certaine manière propre à chacun que l’on pourra essayer de comprendre comment se constitue le paysage autour de la lumière et comment il est fabriqué.

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LA LUMIÈRE COMME ÉLÉMENT DE COMPRÉHENSION DU PAYSAGE La lumière, après une approche esthétique et émotionnelle, qu’il faut voir comme une description du paysage, va permettre d’en comprendre le sens, la structure. Ce travail de compréhension personnelle du paysage au travers de la lumière va engendrer une vision et une analyse atypique de ce même paysage. Peut être que la lumière ne donnera pas toutes les réponses au décryptage du territoire. Mise en relation avec l’ombre, elle permet de donner une échelle au paysage, de la dimensionner mais aussi d’en révéler la matérialité et cette même matérialité permettra également de révéler la lumière. A ce stade, il pourra donc être possible d’établir une compréhension de l’organisation et de la morphologie des paysages.

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LES ÉCHELLES, DIMENSIONS ET PROFONDEURS D’UN PAYSAGE

La lumière peut être vu comme un élément qui participe à la compréhension de l’espace. En effet, elle crée cette sensation de profondeur dans le paysage. Dans la peinture, le blanc est employé pour retranscrire, par un travail sur l’effet d’atténuation des couleurs, une impression d’éloignement et de profondeur ; cela par un jeu de plans ou par procédé de dégradé. Dans la réalité, le paysage se compose de la sorte et la lumière permet de créer cette sensation d’éloignement et donc de compréhension des dimensions et des échelles. C’est ce que l’architecte Peter Zumthor explique dans son livre intitulé Penser l’architecture lorsqu’il évoque : « L’étude de la lumière et des ombres, que ce soit de la lune ou du soleil, l’étude de la lumière et des projections d’ombres qui partent de la lampe de mon bureau me donne le sentiment des échelles et des rapports de dimensions ». Ici, la lumière est utilisée de manière plus mesurée au même titre que les éléments de mesures existants permettant de comprendre les échelles dans le paysage. Dans le domaine de la peinture, le choix du 30

moment de la journée à capter pour pouvoir représenter un paysage engendre une compréhension et une difficulté plus ou moins variable à la représentation du paysage. Alain Corbin, dans son livre appelé L’homme dans le paysage raconte que « l’attention portée par les artistes aux saisons et aux quatre parties du jour obligeait à représenter l’été et le midi ; mais la lecture de la littérature normative destinée aux élèves peintres montre que ces tableaux étaient considérés comme les plus difficiles à réaliser ; c’est qu’à midi la campagne apparaît statique, comme si tous les mouvements étaient interrompus ». On observe dans ce passage que la lumière en plus de permettre une lecture des dimensions, profondeurs et échelles dans le paysage permet également de créer une sorte d’énergie ; sans cette lumière particulière d’un moment de la journée, le paysage devient plus difficile à capter et se fige de la sorte à affaiblir les sensations et les émotions perçues. A contrario, la lumière peut dans certains cas empêcher la compréhension des dimensions d’un espace. Durant de nombreuses balades dans le paysage de Flandre, la lumière rendait


encore plus opaque le brouillard présent. Il était donc impossible de deviner le relief ; le champ de vision était tout à coup très restreint. C’est peut être pour cette raison que la lumière fût autant travaillée dans la peinture flamande ; un travail de la lumière pour comprendre l’éloignement du regard dans le paysage et la succession des plans qui fabriquent la profondeur de ce même paysage.

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RELATION ENTRE PAYSAGE ET MATÉRIALITÉ En plus de comprendre les dimensions, échelles et profondeurs dans le paysage, la lumière permet de mettre en avant la matérialité, les textures et les surfaces de celuici. Dans son livre intitulé L’émotion du paysage, Catherine Grout fait l’analyse d’une oeuvre de Markus Raetz appelée Zeemansblick et composée de zinc non peint. Elle décrit son avancée vers cette réalisation. Elle dit : « À chaque fois, je retrouve le ciel, l’horizon et la mer. Lorsqu’enfin je me trouve devant l’oeuvre accrochée, je découvre, étonnée, qu’il ne s’agit pas d’une peinture mais d’une pièce de tôle en zinc poncée et découpée. Ce que je prenais pour l’horizon est un plissement régulier du métal qui apporte un léger relief barrant toute la surface en son milieu. De même, les couleurs proviennent de la tonalité de la matière, des reflets de la lumière ambiante et de l’ombre due au relief ». On comprend que la lumière révèle la texture d’un paysage. Cette oeuvre peut être rapproché au paysage réel dans lequel la lumière laisse à voir, en fonction de son orientation, certaines textures et matériaux. En prenant cette idée à l’inverse de ce qu’elle exprime où la lumière permet de révéler la 32

matérialité d’un espace, Peter Zumthor parle de la matérialité qui permet de révéler la lumière dans le paysage. C’est ici le paysage qui vient modeler la lumière. Il exprime cette idée dans le livre Penser l’architecture lorsqu’il raconte que « les événements et les objets cessent d’exister, ils disparaissent, se décomposent sous leur propre poids, et si je les regarde et les décris, c’est uniquement parce qu’ils réfractent la lumière, la façonnent et lui donnent une forme que nous sommes en mesure de comprendre ». C’est un jeu qui se crée entre la lumière permettant de révéler la matérialité du paysage et cette même matérialité qui fabrique et donne du caractère à une lumière particulière.

RAETZ Markus, Zeemansblick, 1988, tôle de zinc sur châssis en bois, 74 x 118 x 4 cm, Museum of contemporary Art San Diego, La Jolla


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LA MORPHOLOGIE ET L’ORGANISATION DES TERRITOIRES Le paysage comporte des formes de constructions naturelles et artificielles différentes. La lumière en fait partie. Cette même lumière donne des indications, après observation, sur la composition, l’organisation et la morphologie du paysage. Lorsqu’elle dévoile une texture, elle dévoile également un espace. Cela permet de comprendre la morphologie du lieu. C’est ce que Peter Zumthor explique dans son livre intitulé Penser l’architecture. Il dit : « la lumière venue de loin et qui touche la terre, sur une infinité de corps, de structures, de matériaux, de liquides, de surfaces, de couleurs et de formes qui rayonnent sous la lumière ». Comprendre à travers la lumière la matérialité des éléments qui composent le paysage permet d’en comprendre le sens. Il pourrait être plus simple de ne pas passer par le biais de la lumière pour analyser le territoire mais ce serait peut être passer à côté d’une vision particulière et nouvelle du paysage. Dans L’émotion du paysage de Catherine Grout, la peinture de Johannes Vermeer intitulée la Vue de Delft est présentée. L’auteur met en avant son « travail inqualifiable de la lumière ». Cette oeuvre met en avant « les canaux, façades des maisons, la structure 34

urbaine étagée dans l’ombre et la lumière ». C’est en fait le reflet du bâti dans l’eau qui permet de donner une nouvelle vision de cette architecture et de la comprendre autrement. Par une approche plus naturaliste, Elisée Reclus dans son livre Histoire d’une montagne présente les éléments du paysage et les explique par la lumière. Le soleil est montré comme l’élément qui engendre, associé à d’autres éléments de la nature comme l’eau, une modification du paysage. La lumière permet de révéler l’évolution de ces transformations qui ont eu lieu ; transformations chimiques et mécaniques. Il raconte que le soleil engendre une érosion des roches et les met à nu ; cela induit une nouvelle accroche de la lumière sur le paysage qui laisse à voir ainsi la topographie. Cette même lumière est montrée comme un élément qui dévoile un « air pur » ; la qualité de l’air laisse deviner une qualité de vie et donc une manière dont le territoire est façonné, construit.

VERMEER Johannes, Vue de Delft, 1661, huile sur toile, 96,5 x 115,5 cm, Mauritshuis, La Haye


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Par une autre approche, l’auteur Sandrine Vézilier dans son livre intitulé Paysage de Flandre, de l’infiniment petit à l’infiniment grand présente l’oeuvre de Jacques Quecq intitulée Le paradis terrestre de manière à ce que la lumière laisse deviner la topographie du territoire. Elle dit : « fin d’après midi, la lumière accentue les ondulations du sol ». Ondulations qui reflètent la micro-topographie du paysage de Flandre.

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HABITER LE PAYSAGE

Rentrer dans le paysage par la lumière permet de le comprendre. Cela permet également d’approcher différents modes de vie d’un territoire donné et de mieux comprendre ainsi le paysage de ceux qui l’habitent. Le géographe Paul Vidal de la Blache, dans son livre intitulé La France de l’Est, montre une organisation de l’espace dans lequel l’homme se situe en fonction de la géographie des territoires. Cette géographie dont parle l’auteur met en évidence des modes d’habiter et de partager l’espace avec la lumière. Il raconte que les « différences de sol, dans un espace si étroit, ont favorisé des rapports de solidarité entre les habitants. La répartition des établissements humains en fournit la preuve géographique. Ils recherchent en général des ligne de contact des zones, de façon à combiner les avantages de l’une et de l’autre. C’est ainsi que sur la lisière du grès, les villages aiment à profiter de la proximité des prairies, des champs et des bois ». La lumière permet de comprendre le sol par sa texture, la végétation qui y pousse, sa couleur, … et ainsi permettre après cette analyse d’en déduire quelles sont les formes d’habitats et quelles lumières appartiennent et correspondent de ce fait à ces formes d’habitat. La prairie et

les champs seront bien plus illuminés que la ville dense et élevée. Paul Vidal de la Blache l’explique lorsqu’il raconte que les groupements de maisons dans la vallée illuminée forment des taches sombres. Chaque tache raconte de manière peut être indirecte les formes d’habiter et de vie de ce territoire particulier. La lumière est donc un élément qui influence une manière de regarder le paysage et permet d’en comprendre sa structure. Elle permet de faire l’expérience du paysage et permet également de produire un paysage.

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2/ ÉTUDE DE CAS : LE MONT CASSEL 39


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INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR LES MORPHOLOGIES URBAINES

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L’étude du mont Cassel débute par une approche architecturale en s’appuyant sur les éléments de composition de la maison ; celle-ci s’est adaptée au territoire et à sa lumière particulière. De la fenêtre à la forme du village, des espaces ouverts et lumineux au lieux sombres et fermés, l’organisation physique de la ville parle aussi des manières d’y vivre. La quête de la lumière dans l’espace urbain met en avant les relations entre intérieur et extérieur, les espaces clos et ouverts mais aussi entre le haut et le bas, le nord et le sud. L’espace pavillonnaire vient apporter des éléments de compréhension sur la mutation du territoire dans un rapport entre l’habitat, le paysage et la lumière. Une approche par la peinture et l’écriture d’un paysage urbain flamand qui force à puiser dans les souvenirs, à adopter une certaine posture physique et psychique permettant un ressenti et une représentation personnelle où la lumière a fabriqué l’espace urbain et où celui-ci fabrique des lumières. Les textes sur fonds gris et les peintures font partie d’une production personnelle réalisée pendant et après plusieurs balades en Flandre.

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Carte de situation du mont Cassel (extrait de Hamen S. et al., 2018, Drainer la terre, canaliser l’eau, un carrefour Européen, ENSP 2ème année du DEP, Atlas, p.42)

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L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE, EN QUÊTE DE LUMINOSITÉ L’architecture traditionnelle sous plusieurs aspects suivant son implantation dans le territoire : de l’habitat isolé à la maison de bourg, les formes et les matières varient, le rapport au paysage change et la quête de luminosité est présente à plusieurs reprise. Une quête où la lumière parfois rare dans le paysage flamand est contrôlée et utilisée de façon économique. Des manières d’habiter et organiser la maison en découlent. L’argile, présente partout sur le territoire de Flandre a servi à la fabrication des maisons, elles semblent sorties de terre. Le jeu des couleurs et des matières pour illuminer les façades des habitations met en avant la recherche d’une esthétique du paysage.

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UNE STRUCTURE ARCHITECTURALE ADAPTÉE À LA LUMINOSITÉ DU TERRITOIRE L’habitat traditionnel flamand compose avec le paysage et s’adapte à la géographie de son environnement, à son climat et donc à sa luminosité. Les conditions climatiques déterminent les intensités et types de lumières que l’on retrouve en flandre. Elles sont rarement d’une grande brillance. Lumière étouffée par la couverture grisâtre qui enveloppe parfois le mont Cassel et s’étale jusque loin dans la plaine environnante. Les éléments climatiques, dont dépend la lumière, jouent un rôle sur l’implantation, la forme et la structure des maisons et leur rapport au paysage. L’architecture s’organise en adéquation avec le climat et prend un aspect parfois recroquevillé, forme de protection face aux éléments climatiques ; possibilité également d’avoir une multitude de façades permettant de mieux capter la lumière. L’habitat prend la forme d’un parallélépipède rectangle surmonté d’une toiture triangulaire qui se compose autour d’une cour, le long d’une rue ou autour de la place du village. Les dimensions du bâtiment peuvent varier et font donc également varier la taille des murs et de la toiture. A cela s’ajoute 48

parfois des bâtiments annexes. Différents types d’habitats constituent l’identité architecturale de la flandre et peuvent être classés en deux catégories : l’habitat dispersé qui se situe le plus souvent dans la plaine flamande ou aux abords des villages et l’habitat villageois et de centre bourg. La chaumière, habitat dispersé, permet d’observer le lien étroit entre habitat, paysage et lumière. Ces habitations possèdent des dimensions spécifiques qui varient entre 15 et 18 mètres de long, plutôt basses et sans étage. C’est la faible largeur du bâtiment qui permet à la lumière de pénétrer jusqu’au fond des pièces éclairant ainsi la maison dans sa presque totalité. L’habitation a un rapport transversal au paysage. La question de l’axe et de l’orientation prend place dans cette relation entre l’intérieur et l’extérieur. Photographie d’un habitat isolé flamand travaillé d’après : CAUE, Restaurer une maison rurale traditionnelle, Pays des moulins de Flandre, 2008 Schéma de la façade d’un habitat isolé flamand dessinné d’après : CREPAH du Nord Pas-de-Calais, Le bâti ancien en Flandre-Artois, Paris, Electricité de France, 1982, 96 p.


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La maison de bourg, comme il est possible d’en observer à Cassel, est une construction verticale qui s’élève sur deux ou trois niveaux. Sa forme allongée permet d’occuper que peu d’espace. La forme de la maison traduit d’une certaine façon la quête de luminosité. Tout n’est que verticalité dans ce type d’habitat : de la façade jusqu’aux fenêtres. L’étroitesse de du front de maison compense avec la longueur du bâtiment. Pour que la lumière puisse traverser plus facilement la maison, les façades sont ouvertes de baies plus hautes que larges qui permettent d’amener plus de luminosité dans l’habitation. La verticalité des ouvertures fabrique une relation spécifique entre l’intérieur et l’extérieur, entre habitat et paysage : la vue est cadrée, elle engendre une relation directe au ciel et au sol. La platitude du territoire apparait moindre et laisse place à une vision verticale, un fragment du paysage. La composante lumière est alors prise en compte dans la construction des habitations flamandes. La luminosité particulière de la région engendre des formes particulières d’architectures ; elles-mêmes fabriquent un 50

paysage urbain spécifique. Mais la structure de l’habitat flamand dépend de son environnement proche, à savoir s’il est ouvert où très dense, naturel ou construit. La maison de bourg par sa forme allongée cherchant la lumière se cherche également une place : lumière partagée. Habitation vernaculaire depuis lesquelles la relation entre l’intérieur et l’extérieur, entre habitat et paysage est induite par la lumière.

Photographie de la vue depuis le haut du mont Cassel, Johann Macke, février 2019 Schéma de la façade d’un habitat de bourg flamand dessinné d’après : CREPAH du Nord Pas-de-Calais, Le bâti ancien en Flandre-Artois, Paris, Electricité de France, 1982, 96 p.


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LES RELATIONS ENTRE L’HABITAT TYPIQUE FLAMAND ET LES MODES DE VIE

La recherche de lumière dans la fabrication de l’habitat flamand produit une organisation particulière de l’espace. Celle-ci induit une organisation des pièces selon leur taux d’occupation et leur dimension esthétique. C’est en fonction de ces critères que l’on va accorder plus ou moins de lumière aux pièces de la maison. Autrement dit, moins la pièce a d’importance, moins elle sera lumineuse. La maison de bourg illustre ce schéma de répartition des espaces. Le salon se situe dans la partie la plus éclairée de la maison qui donne sur la rue. Les pièces de services comme la cuisine, les W.C ou encore la laverie sont situées à l’arrière de la maison. La lumière est utilisée dans les espaces liés à la détente, où l’on accueille les gens et passe le plus de temps. La répartition des pièces en fonction de l’intensité lumineuse donne des indices sur l’organisation de la maison et le rapport entre ce qui veut être vu ou caché ; de ce qui doit avoir un rapport à l’extérieur ou non, un rapport au paysage ou non. On en déduit donc que la lumière joue un rôle sur la manière de se comporter dans la maison : une pièce sans 52

lumière naturelle est souvent une pièce où l’on recherche une certaine forme d’introspection et d’isolement ; une pièce éclairée naturellement appellera plus à des moments de partage. Il est aussi notable d’observer une séparation jour/nuit dans l’organisation de la maison. Les chambres se situent à l’étage et le reste des pièces au rez-de-chaussée ; un étage très peu éclairé, avec de rares ouvertures de petite taille. Pour certains types de constructions, ce sont les manières de vivre qui influent sur la façon d’habiter la lumière. Les conditions climatiques et les intensités de lumière organisent les pièces de la maison. La question de l’orientation est donc primordiale dans l’implantation de la demeure. La façade exposée au nord dispose d’un nombre de fenêtres réduit pour éviter les déperditions de chaleur ; les pièces sont donc plus sombres. Pour contrer les vents venant de l’ouest, ce pignon ne possède qu’un minimum d’ouvertures. Ce sont les pièces disposées coté sud qui captent le plus de lumière. A noter que l’implantation de l’habitation conditionne la


disposition des bâtiments annexes. Les fenêtres donnent énormément d’indices sur les manières d’habiter. Les ouvertures dans la toiture sont rares car jadis, l’étage qui servait de grenier n’avait nul besoin d’être éclairé du fait de sa faible utilisation. Les portes sont parfois divisées horizontalement en deux vantaux ; ce système permet de laisser entrer la lumière dans la maison sans que les animaux puisse y pénétrer.

l’extérieur, un jeu d’orientation et donc une position particulière face à la lumière dans le paysage. Il aurait été intéressant de réaliser un travail d’enquête pour avoir différents témoignages et expériences de modes de vie.

La lumière et les conditions climatiques engendrent donc une architecture particulière qui donne des indices sur la composition des pièces de l’habitat flamand ; notamment grâce aux ouvertures. Cette composition particulière de la maison est déterminée par la lumière créée qui elle même influe sur l’occupation de l’espace. Cependant, même si elle permet de comprendre la disposition des pièces à l’intérieur de l’habitation, la lumière ne donne que peu d’information sur les modes de vie à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Cependant, elle induit une relation particulière au paysage; une relation entre l’intérieur et 53


DES COULEURS ET DES MATIÈRES QUI APPORTENT DE LA LUMIÈRE

L’utilisation de l’argile, omniprésente sur le territoire, à engendré des constructions plutôt sombres dans leur aspect esthétique. La recherche de la luminosité n’éclarait pas seulement l’intérieur de la maison mais également l’extérieur. Le contraste coloré joue donc un rôle important dans l’esthétique de la maison et se répartit sur trois éléments : les murs, les menuiseries et le soubassement. La brique illustre bien cette quête d’illumination de la façade. Pour solutionner la problématique des murs sombres, les joints des briques sont blanc. Ils représentent environ 20% de la façade et permettent donc de créer un réel contraste d’intensités lumineuses sur celle-ci. Pour ajouter des teintes colorée à la façade qui se compose de couleurs neutres, les menuiseries revêtent des tons pastels. Pour les maisons à pans de bois et torchis, les boiseries sont peintes avec des couleurs plus concentrées comme le vert, le rouge, ou encore le bleu ; cela pour contraster avec les façades blanchies. Une esthétique qui compose donc avec la lumière. La quête de luminosité passe 54

également par le choix des matériaux, les textures et les couleurs. C’est un jeu d’équilibre des contrastes qui se fabrique sur les façades des maisons. Les matières participent également à ce contraste entre des parties de la maison qui réfléchissent la lumière et d’autres qui l’absorbent.

BRIQUE, texte écrit à la suite d’une promenade à Cassel, Johann Macke, février 2019,


Une brique d’argile rugueuse, indélicate et sombre. Elle capte assez mal la faible lumière de flandre Autour d’elle, un joint blanchâtre l’enclos. Et ce joint encadre la brique du dessus, celle du dessous puis toutes les autres C’est un maillage blanc qui se fabrique Il met en valeur la matière brute du pays, il l’anoblit La façade devient jeu de clair-obscur Elle nous parle de lumière Elle nous parle de paysage Elle nous parle d’histoire Elle fait parler les sens De cette brique on construit la demeure Cette demeure impersonnelle qui manque de couleur Alors sur les menuiseries et les volets On y ajoute du rouge, du vert, du bleu Et la peinture lisse fait briller la façade Un nouveau reflet apparaît, Celui de l’habitat habité

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LE MONT CASSEL, ÉMINENCE TOURNÉE VERS LA LUMIÈRE Éminence de sable flandrien appartenant à la chaines des monts de flandres qui traverse le territoire d’ouest en est, la topographie du mont Cassel a induit une structure particulière du village portant le même nom. Le modelé du sol induit une organisation de l’espace où l’on cherche toujours à s’orienter vers la lumière. Les manières d’habiter et d’organiser l’espace sont alors portées indirectement par la lumière de la Flandre. La question des zones d’ombres et de lumières, le clair-obscur urbain, permet une compréhension des lieux et développe un imaginaire, fait surgir et ressurgir souvenirs, sensations et émotions : une saisie urbaine de Cassel.

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LA TOPOGRAPHIE, ZONES HABITÉES D’OMBRES ET DE LUMIÈRES

Le village de Cassel s’est fabriqué avec la contrainte topographique. Toujours dans la quête de luminosité, ce mont s’est tourné en essayant de capter la lumière. On observe alors des zones plus construites que d’autres, des formes particulières qui engendrent une morphologie particulière au village, un étagement des espaces, des zones transitoires. La manière dont les maisons sont implantées montre la volonté d’orienter l’habitation en suivant la course du soleil. C’est une succession de lignes d’habitats continus orientés d’ouest en est qui fabrique les bases de la structure du village. Ces lignes se placent à des niveaux différents sur le mont. Il faut aussi noter que le mont Cassel s’étire d’Ouest en Est avec des pentes plus douces et les versants Nord et Sud paraissent plus abrupts. La quête de luminosité est donc plus forte que l’adaptation à la topographie. Cette structure particulière a donc engendré une voirie particulière qui suit la forme longitudinale du mont. Dans la fabrication des rues, les conditions climatiques ont été prises en compte. Les vents venant d’ouest 58

ont entrainé la fabrication de peu de voiries de ce même coté du mont. Cela pour limiter les courants d’air. Les densités urbaines sont moins importantes du coté de cette éminence. Une évolution des intensités lumineuses à l’intérieur du village est visible ; une évolution qui se fait d’un coté vers l’autre, d’une lumière presque unifiée qui temps à se contraster par l’alternance de pleins et de vides, de matériaux et de textures différentes. En bas du mont Cassel, c’est la plaine agricole. Sur certaines parties du mont on retrouve également des zones de platitude, ouvertes et non bâties qui captent bien mieux la lumière que le reste du village. Il y a comme un étagement du relief. Depuis le sommet du mont on voit la place centrale du village ; depuis cette place, la plaine en contrebas apparait par intermittence, elle est cadrée par les anciennes portes qui permettaient autrefois de contrôler les arrivées dans le village. Ces zones où la lumière est directe sont en fait des lieux de rencontre : parc, cafés, commerces, église,… Les espaces ouverts de lumière participent à la fabrication de lieux communs.


Les continuités de l’esapce bâti de Cassel, plan réalisé à partir de données QGIS, Johann Macke, avril 2019

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Ces différentes zones de lumière sont alternées par des lignes de bâtis continus et de voiries. Les traversées transversales du mont pour passer d’un espace ouvert à un autre se font par de petites ruelles étroites qui prennent place dans les lignes d’habitations. Ces axes de traversée moins importants sont des éléments de structure moins visibles dans le paysage urbain de Cassel mais qui renvoie à la question du déplacement.

MARCHE, texte écrit en haut du mont Cassel, Johann Macke, février 2019, 60

Il est temps de partir Pour changer de niveau Aller un peu plus haut Monter au belvédère Pour changer de lumière. Et soudain se présente Un chemin biscornu Il paraît pittoresque Mais le béton le trahit Ce n’est que tromperie Alors il faut gravir les marches Les marches de béton Toutes irrégulières Humides et pleines de mousses Sous les vieux chênes centenaires Qui fabriquent de l’ombre. La montée est rude Il faut gravir les marches Les marches de béton Toutes irrégulières Il faut gravir les marches


Puis soudain On observe la lumière La montée se termine Mais ce n’est qu’illusion Alors il faut continuer Continuer à gravir les marches Les marches de béton Toutes irrégulières Qui apparaissent soudain Un peu moins mouillées Un peu plus éclairées Juste un dernier effort On y arrive bientôt Encore quelques marches Quelques marches en béton Quelques marches irrégulières Baignées d’une vive lumière Puis soudain on y est En haut du mont Cassel Sur ce plat belvédère Baigné d’une vive lumière

La lumière de la flandre Bien méritée après la dure montée Où il a fallu gravir les marches Les marches de béton Toutes irrégulières Pour pouvoir admirer Pour pouvoir profiter Pour pouvoir regarder Ce splendide paysage Et cette belle lumière

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UNE ORGANISATION GRADUÉE DES ESPACES

La forme particulière du mont a déterminé des types d’espaces. Il y a une gradation entre le nord et le sud mais également entre le haut et le bas. Il est ainsi possible d’observer des zones chaudes et des zones froides où les concentrations de populations sont plus ou moins importantes. Sur la partie sud du mont on retrouve de l’habitat qui s’étale jusqu’en haut de celui-ci. Puis le sommet est délimité par le parc belvédère. De l’autre coté, sur la partie orientée au nord, on observe des constructions plus récentes : logements sociaux, gendarmerie, caserne des pompiers, écoles… C’est un espace dédié principalement aux services. Il y a donc une partie de Cassel habitée et l’autre qui concentre principalement les fonctions. Cette différence s’observe également à travers la lumière. Il y a plus d’espaces ouverts dans la partie orientée au nord : prairies, terrains de sport, parkings… Les constructions sont plus espacées, moins denses et la lumière est moins concentrée, elle s’étale. La matérialité n’est pas la même. On quitte les pavés pour laisser place au goudron, la brique 62

se fait plus rare pour laisser place au béton. Ces matériaux plus lisses reflètent différemment la lumière ; impression d’arriver dans un espace plus lumineux, moins contrasté. Il y a un homogénéité lumineuse qui ne renvoie pas le caractère du village historique. Cassel, élu « village préféré des français » en 2018, est un lieu touristique. il y a une gradation entre le haut et le bas. Le partie culminante du mont est un parc qui se compose d’un belvédère qui oriente la vue vers le sud, partie plus illuminée avec vue en contreplongée sur le village. Il y a également des monuments, un moulin, un estaminet avec vue panoramique, des aires de jeux… Tous les services liés au tourisme prennent place dans cet espace baigné de lumière et qui donne sur le paysage de plaines. Les voies romaines sont visibles. La lumière générée en haut du mont à induit cet espace comme lieu de concentration touristique proposant une vue panoramique sur la Flandre qui renvoie une lumière particulière et changeante en fonction des moments de la journée, de l’année et participant à la fabrication de cette ambiance si particulière.


Le paysage flamand, avec sa platitude à perte de vue, renvoie une lumière singulière et changeante en fonction des moments de la journée, de l’année. Mouvance du paysage et mouvance des lumières.

Parc Belvédère en haut du mont Cassel 176 mètres NORD

Niveau de la plaine agricole

Place du village Eglise

SUD

Schéma de l’organisation graduée des espaces, Johann Macke, mars 2019 63


LE CLAIR-OBSCUR URBAIN

Photographie d’un passage reliant la partie nord du village à la place de Cassel, Johann Macke, février 2019 PASSAGE, texte écrit à la suite d’une promenade à Cassel, Johann Macke, février 2019, 64


Le passage interdit Le passage qui fait peur Le passage pour montrer son courage Le passage à franchir à plusieurs C’est un petit chemin sombre dont les extrémités sont baignées de lumières Pas plus large d’un mètre ou deux On y sent une nouvelle atmosphère Plus fraiche et plus humide Etriqué entre deux maisons de briques Dans cet imaginaire de quand on est petit C’est comme un raccourci dont il faut garder à tout prix Le secret pour que ça ne se sache jamais Et puis bien plus tard on comprend que ce chemin de traverse Permet bien mieux de relier le centre ville à d’autres rues plus retirées Tout un monde fantastique disparait pour laisser place à ce chemin Ce chemin qui permet juste, pour des raisons pratiques, De relier deux espaces, Juste pour aller plus vite

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La lumière de la place La lumière éclatante Concentrée et éblouissante. Elle change nos visages Modifie le regard Elle ne fait plus rien voir Tout apparait trop clair Tout est mis en lumière Le soleil est au zénith Il aplatit presque tout Les matière disparaissent

Toutes les textures se lissent Alors il faut attendre un peu Lorsque soudain au soir Les contrastes apparaissent La lumière du crépuscule Redonne de la consistance à la place Et l’on y voit enfin Le clair-obscur urbain

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La lumière de la place, peinture réalisée à la suite d’une promenade à Cassel, Johann Macke, avril 2019 PLACE, texte écrit à la suite d’une promenade à Cassel, Johann Macke, février 2019, 67


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LE PAVILLONNAIRE, UNE NOUVELLE CLARTÉ Mettre en comparaison la maison des quartiers pavillonnaires à l’habitat traditionnel flamand montre une nouvelle manière de s’emparer de la lumière et du territoire. Cela explique et s’explique par des modes de vie différents, des relations différentes au paysage et d’autres aspects économiques et géographiques prennent place. Toujours en partant de la fenêtre, le lien au paysage se fait à différentes échelles. Une écriture venant appuyer et préciser les propos ; une vision sensible et personnelle du paysage flamand à travers les habitudes de vie, la composition et l’organisation des espaces et du paysage.

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UNE DISPARITION DES CODES VERNACULAIRES

Il est facile d’observer des différences entre l’espace pavillonnaire et les centres de bourgs et villages. Le rapport à la lumière et au paysage est différent depuis l’intérieur de la maison mais également depuis l’intérieur du quartier. Les villages de Bavinchove et SainteMarie Cappel, situés au pied du mont Cassel présentent différentes relations au paysage et à la lumière. Comme pour l’habitat traditionnel flamand, les ouvertures dans les façades expriment ce nouveau rapport au paysage et à la luminosité. La baie vitrée, élément constituant de l’habitat pavillonnaire, parle de ce rapport entre l’habitat, la lumière et le paysage. C’est une manière de faire entrer le plus de lumière possible. Peut importe l’orientation de la maison, on agrandi les ouvertures pour avoir le plus de luminosité. Cette quête de la lumière est donc encore recherchée. Mais les conditions climatiques, avec l’arrivée de nouveaux matériaux et de nouvelles méthodes de constructions et d’isolation, ne sont plus une contrainte forte dans la fabrication de l’habitat. Cela engendre un nouveau rapport au paysage. 70

La baie vitrée induit une proximité plus forte avec l’extérieur. Il y a une continuité du sol de la maison et celui du dehors, le rapport au ciel est également fort. Le paysage peut se lire dans une plus grande globalité et devient moins cadré. La frontière entre intérieur et extérieur, entre habitat et paysage, disparait presque. Cependant le plus souvent, la vue donne sur le jardin, sur une haie ou chez le voisin. C’est le cas dans le village de Bavinchove ou celui de Sainte-Marie Cappel. Chacun possède son terrain. On observe un clivage à plusieurs échelles : de la parcelle individuelle au quartier déconnecté du reste du village. En effet, les quartiers pavillonnaires apparaissent souvent comme des poches qui semblent détachées de la structure du village, générées par les manières de construire. Manières de constructions des habitations en adéquation avec la lumière. Ces constructions sont assez

récentes notamment pour Bavinchove où la poche pavillonnaire continue de s’agrandir. Il y a eu différentes vagues de constructions d’espaces pavillonnaires : d’abord les


espaces pavillonnaires à Cassel puis ceux dans les petits villages comme Bavinchove et Sainte-Marie Cappel. Dans le cas de Cassel, l’espace pavillonnaire est principalement construit sur la partie sud-ouest du mont. Ces constructions datent environ des années 1970. Les maisons s’intègrent mieux au territoire car la contrainte de la topographie est présente. Elle sont dans la continuité des rues venant du centre du village. On observe comme une extension des lignes structurantes de l’espace urbain et non un ajout de poche d’habitations déconnectées. Le rapport au paysage est également différent car le fait d’avoir construit dans une continuité de la structure urbaine engendre une orientation, dans la plupart des cas, vers le Sud ; mais lorsqu’on s’éloigne du mont, que l’on perd de la hauteur et là où les pentes deviennent plus douces, on perd

cette logique d’organisation et d’orientation de l’espace bâti dans le paysage.

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DES NÉO-RURAUX DÉTACHÉS DU TERRITOIRE

Lors d’un entretien avec une personne vivant dans le village de Bavinchove au pied de Cassel, il a été abordé la manière dont celleci vivait dans le territoire et son rapport à la lumière. Aurélie, 30 ans, explique d’abord ses choix d’être allée habiter dans le village de Bavinchove. C’est un secteur calme, avec une impression d’être en campagne avec tout de même une certaine proximité avec ce qu’il y a autour. Aussi, les terrains sont moins chers et les taxes également : taxes d’habitation et taxes foncières. Elle a décidé de faire construire à la campagne plutôt que de vivre en ville juste pour des raisons économiques. Elle se sent vraiment en campagne parce que d’abord il n’y a pas grand chose et qu’elle est obligée d’aller dans des villes et villages plus importants pour accéder aux services. L’utilisation de la voiture est primordiale. Elle recherchait l’aspect convivial de la vie de village. Ça fait 5 ans que Aurélie vit à Bavinchove avec son compagnon et leurs deux enfants. Sa relation avec ses voisins se résume à « bonjour et au revoir » mais il se disent tous 72

bonjour car tout le monde se connait. Surtout grâce à l’école. C’est vraiment un petit village donc il y a de la proximité. Ils se réunissent une fois par an à la fête des voisins. Aurélie parle de sa relation assez pauvre avec le centre du village. Elle dit : « Le centre du village… il n’y a rien, il n’y a plus rien. Dès qu’il faut quelque chose je vais sur Hazebrouck. Pour les courses je vais sur Hazebrouck ». Elle dépend aussi du village de Cassel qui la dépanne avec la présence de petits commerces. Les médecins et autres services sont sur Hazebrouck, ville la plus importante dans les environs. Elle passe environ 80% de son temps au travail. Si elle sort c’est à l’extérieur de Bavinchove. Elle passe le plus de temps au travail, puis à l’extérieur puis chez elle. Le village est plutôt bien situé car il est à mi chemin entre son lieu de travail et celui de son compagnon. Cependant ils ne prennent pas les grands axes mais passent par des routes importantes, très empruntées et qui traversent parfois d’autres villages. Après avoir parlé de ses habitudes de vie, on


L’étalement urbain en Flandre (extrait de Hamen S. et al., 2018, Drainer la terre, canaliser l’eau, un carrefour Européen, ENSP 2ème année du DEP, Atlas, p.60) : p.42 73


a discuté de sa relation au paysage et à la lumière. Pour amorcer la discussion, on a commencé par parler de l’orientation de sa maison. Aurélie n’est pas certaine : « j’ai le temps de demander ?… C’est pas sud-ouest ?… Si je pense que c’est sud-ouest ! La terrasse est au sud ouest, on a le soleil durant toute l’après midi. » Elle parle de ce quelle voit depuis l’intérieur de sa maison. Elle a une grande baie vitrée qui sépare la salle à manger de la terrasse. Elle a une vue sur son jardin, puis sur un autre jardin. Elle n’a pas de maison totalement en face d’elle. Chez elle c’est lumineux et « ça rentre de partout ». Elle explique : « l’orientation joue un rôle et les baies vitrées aussi. Après j’ai quelques pièces plus sombres comme le couloir. Dans le garage il n’y a pas de lumière du tout, ni dans le cellier car il n’y a que des petites fenêtres et la lumière ne passe pas ». Elle passe le plus de temps dans sa salle à manger et son salon. Le jardin elle n’en profite que l’été pour boire un verre et surveiller les 74

enfants en train de jouer. Ensuite on a parlé de sa relation à l’extérieur. Elle va se balader avec les enfants en « campagne ». Elle dit : « je reste dans les alentours, je fais comme une boucle ». Ce n’est que pour la détente, pour les enfants. Pour parler de la lumière elle passe par la couleur du ciel : « Je dirai bleu foncé … non plutôt gris, je dirait que la lumière est maussade, mais je pense à l’hiver quand je dis ça ». Aurélie explique qu’elle ne va jamais en haut du mont Cassel pour se balader et que si elle va dans le village c’est pour des raisons purement pratiques. Habiter dans le pavillonnaire prend alors une dimension économique mais aussi géographique. L’aspect social est également différent et le rapport au paysage et à la lumière n’est que très peu éprouvé. La maison devient purement pratique, elle est le point central entre deux lieux de travail et ne sert que pour dormir ou pour passer le week-end. Durant l’interview, les réponses aux questions liées à la lumière dans le territoire était difficiles à formuler car il n’est pas habité au sens d’être occupé mais


la manière de l’habiter se résume à des points d’intérêts, des traversées et des boucles. L’attachement au paysage est moins fort. C’est la question du village dortoir qui apparait ainsi.

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UNE AMBIANCE NOUVELLE

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Platitude monotone des maisons toutes identiques Le coeur et l’âme du village s’efface Laissant place à l’horizontalité extrême Qui continue sa course. Un nouveau rythme lumineux Ennuyant et sans échapatoire. Matières et couleurs nouvelles Que de goudrons, crépis et béton Fabrique une grisaille Pareille que lorsqu’il pleut. Difficile de s’en défaire Un seul chemin pour accés Le même pour s’en échapper

Photographie de l’espace pavillonnaire situé à Méteren, Johann Macke, février 2019 PAVILLONNAIRE, texte écrit à la suite d’une promenade en Flandre, Johann Macke, mars 2019, 77


Ainsi je roulais, fonçant continuellement dans cet écran blanc et opaque qui gardait

pointilleusement sa distance au fur et à mesure de mon avancée. Imprécise, évolutive, visible. Durant des heures cela dura. Car la durée du trajet changea. Contournement récent pour éviter de passer par les petits villages. Fini le bruit pour eux, fini le foisonnement économique généré par les pots d’échappement.

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Bien moins de monde s’arrête pour acheter son pain en rentrant du travail, se poser au café pour décompresser. Mais terminé également le trajet rythmé par les changements de vitesses, le passage dans les villages. La nouvelle D642 permet de gagner une dizaine de minutes de trajet pour se rendre à Lille mais la sensation de durée subit une expansion, un ralentissement, le trajet parait bien plus long. Bien plus long encore quand on le subit matin et soir pour se rendre et rentrer du boulot ; migrations pendulaires des personnes vivant dans le pavillonnaire.

D642, texte écrit à la suite d’une d’une traversée en Flandre, Johann Macke, février 2019, Croquis de la vue sur la D642 reliant le village de Cassel à la métropôle de Lille, Johann Macke, avril 2019, 79


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LA LUMINESCENCE DU TERRITOIRE RURAL FLAMAND

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L’étude du mont Cassel se poursuit par une approche du milieu rural et agricole qui l’entoure. Une compréhension des dynamiques de ce territoire montre une évolution des pratiques. Elle permet également de comprendre la structure de la plaine flamande par le biais des changements d’ambiances lumineuses. Proposition d’analyse qui se fabrique principalement par la peinture et l’écriture, mettant en avant des phénomènes liés à l’esthétique et le ressenti du territoire mais également les manières dont on y vit. La transformation de certaines pratiques agricoles montre les manières dont on s’empare de la lumière. Cela questionne donc sur les manières dont on s’empare du territoire pour l’habiter. Un questionnement qui découle de balades, de moments de pauses et d’observations sur le territoire mais aussi des souvenirs et sensations.

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UN PAYSAGE OSCILLANT ENTRE SPLENDEUR ET OCCULTATION Comprendre et analyser les transformations du paysage rural et agricole en Flandre à travers des apports théoriques qui permettent d’identifier les ambiances lumineuses qui évoluent. Du paysage fermé et sombre de bocage au paysage ouvert et clair des openfields, les paysages de Flandre ont évolués. Leur caractère, en constante évolution, marque l’identité changeante de ce territoire qui subit de constantes transformations. Cela engendre de nouveaux rapports face au territoire notamment sur les manières de l’habiter et de s’en emparer. L’approche sensible par la peinture et l’écriture permet de mettre en avant les traces présentes de ces transformations.

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LES TRANSFORMATIONS DU PAYSAGE AGRICOLE FLAMAND

Le territoire de Flandre a subi différentes évolutions et changements. Les paysages autour de Cassel, appelés paysages de l’Houtland, étaient autrefois très boisés. Raoul Blanchard, dans sa thèse écrite en 1906 et intitulée La flandre, étude géographique de la plaine flamande en France, Belgique et Hollande, cite l’ingénieur Cordier qui décrit le paysage flamand « comme une forêt de haute futaie qui forme de toute parts l’horizon ; à mesure qu’on s’avance, la forêt semble s’éloigner, et au lieu d’entrer dans un bois épais et sombre, on continue à voir des arbres magnifiques, isolés et fort espacés… ». Après la guerre de 1939 à 1945, il est possible d’observer un remembrement des parcelles agricoles avec en plus l’apparition de la mécanisation et de la motorisation des machines, les engrais chimiques et produits phytosanitaires. Cela a engendré un paysage ouvert, un paysage d’openfield. Cela a engendré une modification des routes et des chemins. Les cultures se sont diversifiés. Aujourd’hui, on observe de la polyculture : pomme de terre, mais, betterave, blé,… 86

Il est actuellement possible d’observer l’apparition de nouvelles méthodes et formes de cultures comme la réintroduction du houblon qui vient fabriquer de la verticalité dans un paysage où presque tout tend vers l’horizontalité. Une verticalité qui fabrique de l’ombre et qui change les intensités lumineuse de la Flandre. Ces changements de l’espace rural et agricole mènent également à des modifications des formes et des couleurs du paysage flamand. La lumière générée par les nouvelles matérialités et textures sont différentes ; les lumières perçues le sont donc également.

Les transformations du paysage agricole en Flandre (extrait de Hamen S. et al., 2018, Drainer la terre, canaliser l’eau, un carrefour Européen, ENSP 2ème année du DEP, Atlas, 60 p.) : p.39


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L’ouverture du paysage flamand (extrait de Hamen S. et al., 2018, Drainer la terre, canaliser l’eau, un carrefour Européen, ENSP 2ème année du DEP, Atlas, 60 p.) : p.27 L’évolution des installations agricoles en Flandre (extrait de Hamen S. et al., 2018, Drainer la terre, canaliser l’eau, un carrefour Européen, ENSP 2ème année du DEP, Atlas, 60 p.) : p.26 88


CONSÉQUENCES SUR LES FORMES ET MODES DE VIES La baie vitrée, élément de composition des habitations des quartiers pavillonnaires et leur rapport particulier au paysage, se retrouve dans la composition architecturale de certaines fermes. C’est une manière de faire entrer le plus de lumière possible d’autant plus que le bâtiment avait déjà été pensé en fonction de celle-ci. Manière également de moderniser l’habitat et de lui donner une certaine forme esthétique. Les parcelles agrandies, les exploitations se font de plus en plus

importantes. Certaines fermes sont aujourd’hui devenues des résidences principales ou secondaires et les terres agricoles qui y étaient autrefois rattachées appartiennent à d’autres exploitations qui ne cessent d’être de plus en plus importantes. Les paysages agricoles de Flandre sont de plus en plus prisés par l’arrivée d’une nouvelle population. Il y a donc une plus grande diversification de manières d’habiter ces terres.

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CASSEL, peinture réalisée à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, février 2019, FLANDRE, première partie d’un texte écrit à la suite d’un balade en Flandre, Johann Macke, février 2019 90


Au fur et à mesure de mon avancée vers ce mont, je vois la texture et la matérialité se préciser. Cassel est une éminence boisée et habitée ; elle semble avoir gardé son aspect d’autrefois. Quelques couleurs de briques d’argile apparaissent, le pavillonaire quant à lui reste bien caché derrière le manteau de verts feuillus. Mais l’ombre dissimule certains éléments du paysage ; elle garde pour secret une partie de ce mont, elle cache des formes de vies, elle cache des chemins tournoyants et de modestes cours d’eau. On ne se rend pas vraiment compte que le mont est habité tellement il réussit à me transporter dans des souvenirs et des imaginaires, et tout cela avec une forme de sensibilité.

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Et lorsque l’on s’éloigne, la plaine agricole apparait. Elle vient lisser le paysage qui autrefois était bien plus contrasté. Et l’on devine ainsi que l’homme, avec beaucoup d’artificialité, Avec des machines et beaucoup beaucoup d’engrais A voulu dompter ce paysage On voit de la polyculture sur d’énormes surfaces Toutes les fermes du coin ne le sont pour la plupart que d’apparence Les exploitations s’agrandissent Et le paysage s’est ouvert Mais c’est cela qui aujourd’hui est devenu l’image mentale d’un territoire Le territoire de Flandre

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MONT, peinture réalisée à la suite d’une balade en Flandre, Johann Macke, février 2019, FLANDRE, deuxième partie d’un texte écrit à la suite d’un balade en Flandre, Johann Macke, février 2019 93


L’ÉMANATION DE NOUVELLES LUMIÈRES

Un paysage de bocage dans le pays de l’Houtland, pays du bois et de l’eau en abondance. Paysage fermé depuis le lointain mais qui s’ouvre lorsqu’on commence à l’apprécier d’un peu plus près.

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Paysage agricole, plaine à perte de vue, openfiels et ouvertures. Le paysage garde quelques secrets qu’il cache dans ses microreliefs qui ne peuvent être observés que depuis des espaces précis.

FERMÉ, peinture réalisée à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, février 2019 OUVERT, peinture réalisée à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, février 2019, Du paysage fermé au paysage ouvert, texte écrit à la suite d’une balade en Flandre, Johann Macke, mars 2019 95


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UN PAYSAGE ENTRE STABILITÉ ET INCONSTANCE Une approche personnelle et sensible du paysage flamand à travers l’écriture ; textes écrits sur site ou quelques temps après. Une inspiration par les souvenirs, les images mentales et la photographie. Une appréhension du site par la peinture en mettant en avant la matérialité du territoire qui permet d’en saisir les lumières ; et de voir également comment les matières et les couleurs changent, la manière dont le paysage change, lorsque la notion de moment laisse place à celle de la durée, du temps et de la course du soleil. Le questionnement sur la lumière dans le paysage permet d’adopter une certaine posture physique et mentale dans cet environnement. C’est un travail sur ce qui est vu, caché, analysé et ressenti.

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UN MOTIF PAYSAGER PRÉGNANT

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Figure identitaire du paysage flamand. Preuve d’une géologie particulière propre à la région ; éminence de sable flandrien sous laquelle repose et s’étend bien plus loin le plateau argileux. Territoire plat absorbant facilement la lumière. Le mont est un belvédère, depuis lequel, avec ces lignes on a tracé un village fortifié. Adossé au moulin, deux voies romaines ramènent à moi le territoire. On voit le plateau agricole qui s’étend, ouvert et clair, clairsemé d’ombres boisées.

PLAINE, peinture réalisée à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, février 2019, NORD, texte écrit à la suite d’une balade en Flandre, Johann Macke, mars 2019 99


Cette même lumière change à l’intérieur même des terres. Le paysage de plaine apparait dans un ensemble, on ne le comprend pas facilement. Peut être est ce le fait que la lumière ne met pas en évidence une structure forte du paysage. Il apparait comme un motif ; motif d’un jeu d’éparpillement plutôt régulier des villes, des villages, des fermes, des espaces boisés et des champs. Motif également d’un jeu d’ombres et de lumières différentes. Cela s’explique par l’omniprésence de l’eau et des matières premières qui servaient à la construction des habitations. Les zones boisées apparaissent sombres, les champs voient leurs couleurs se modifier par le type de culture pratiquée. Les textures apparaissent également ; c’est par ce jeu de clair-obscur qu’il est possible de les observer et la lumière rasante du soir démultiplie encore plus les écarts de contrastes et de luminosités.

NORD (suite), texte écrit à la suite d’une balade en Flandre, Johann Macke, mars 2019 Zoom d’une peinture réalisée à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, février 2019, 100


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Le boisement, comme pour protéger la

ferme, apparaît de manière dispersée dans le territoire ; il est une partie d’un motif plus important.

BOIS, peinture réalisée à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, mars 2019, 103


L’EFFACEMENT DU PAYSAGE C’est un aplat de couleurs et de lumières générées par le sol qui fabrique ce paysage dépourvu de toute topographie importante ; les courbes sont douces, la lumière évolutive. Je vois ainsi cette platitude s’estomper de plus en plus, les couleurs deviennent blanches, se ternissent et effacent le paysage.

L’éffacement du paysage, texte écrit à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, avril 2019 EFFACEMENT, peinture réalisée à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, mars 2019,


L’éloignement marque la limite de lecture du territoire. C’est comme si la lumière possédait un filtre blanchâtre qui opacifie de plus en plus les éléments à mesure qu’on éloigne le regard. Les couleurs se confondent, leur intensité diminue, le paysage disparaît.


VARIATIONS SAISONNIÈRES ET COURSE DU SOLEIL De la Flandre nocture à celle d’une journée éblouissante ; d’un frais matin d’hiver au brumeux après-midi d’automne ; de la pluie qui vient de tomber au soleil couchant ; de l’atmosphère maussade à celle rassurante et joyeuse ; celle qui fait revivre les bons souvenirs et cela qui remet en tête les mauvais ; de l’aspect flou d’un brouillard étouffant aux couleurs texturées ; d’une variation visible d’un moment à celle dont il faut rechercher dans nos lointains souvenirs.

Les variations du paysage flamand, texte écrit à la suite d’une balade en Flandre, Johann Macke, avril 2019 Série de peintures réalisées à la suite d’une balade autour de Cassel, Johann Macke, avril 2019, 106


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STRUCTURES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES, UN NOUVEAU SCINTILLEMENT De nouvelles formes et manières de cultiver, des lumières qui changent et qui sont le reflet d’un paysage en constante évolution, le territoire de Flandre se voit modifié physiquement, esthétiquement mais aussi socialement. Le manque de lumière autrefois vu comme un inconvénient peut aujourd’hui être apprécié pour la mise en place de nouvelles pratiques. On continue de s’emparer de la lumière pour fabriquer et construire un paysage en mutation. La lumière devient un lien entre l’ancien et l’actuel. De nouveau points lumineux apparaissent dans le paysage : les places rurales aux abords des rond-points, à proximité de l’autoroute et de leurs portes d’entrées menant tout droit à la métropole européenne de Lille. Une approche difficilement personnelle par le trop fort attrait pour la Flandre typique, chargée d’histoire et souvenirs. C’est le début d’une nouvelle mutation vers le paysage rural soumis à l’urbanité.

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UTILISER LA LUMIÈRE AUTREMENT

Lors d’un entretien avec une arboricultrice dans le village de Oxelaëre, au pied de Cassel, il a été abordé la manière dont celle-ci s’emparait de la lumière pour la pratique de son métier. Fanny présente d’abord son exploitation. C’est un verger d’une surface totale de 13 hectares composé d’un seul bloc autour de la ferme. Il se situe à l’endroit où le mont Cassel arrête de descendre. Il y a donc beaucoup d’arbres autour de la ferme pour absorber les eaux de ruissellement. Elle parle ensuite de l’influence de la lumière sur son exploitation. Les lignes de pommiers s’orientent de deux manières différentes. Soit nord-sud ou soit est-ouest. L’un permet d’éviter les vents dominants venant de l’ouest et l’autre permet de capter un maximum de soleil et permettre ainsi une meilleure pollinisation et donc avoir une meilleure charge de fruits. Concernant le bâtiment, elle a utilisé l’ancienne étable comme espace de vente et de stockage des fruits. Autrefois, cette pièce était utilisé pour abriter les animaux. Pour avoir le minimum de déperdition de chaleur, il n’y avait que de très petites fenêtres et les murs étaient épais. Ce 110

qui a fabriqué un espace très sombre. Elle utilise aujourd’hui cet espace pour ses qualités. En effet, le stockage des fruits dans un endroit sombre permet une meilleure conservation. Et l’épaisseur des murs permet d’avoir une fraicheur constante dans la pièce. La rencontre avec Fanny, propriétaire de l’exploitation, montre que le manque de lumière qui pouvait autrefois être vu comme un inconvénient est perçu comme une qualité dans la pratique d’une nouvelle manière de cultiver. La lumière est utilisée autrement.

La ferme et le verger qui l’entoure, schéma réalisé à partir d’une vue Google Maps, Johann Macke, Avril 2019


Ferme et batiments annexes

Vergers dont les lignes de pommiers sont orientĂŠes Nord-Sud ou Ouest-Est

N

Alignements d’arbres et haies

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LA MODIFICATION DU MOTIF RURAL, UNE QUESTION SOCIALE

Depuis les années 1960-1970, la création de l’autoroute reliant Dunkerque à la Métropole Européenne de Lille et traversant le territoire de Flandre, a fait de celui-ci un environnement très prisé. Des poches pavillonnaires se sont greffées aux villages ; entre elles et l’autoroute, de nouvelles place rurales se fabriquent : les distributeurs alimentaires. Sans jamais savoir à qui on achète vraiment les produits, les distributeurs proposent des fruits et légumes, du pain, … Les néo-ruraux s’y arrêtent quelques minutes seulement juste avant d’aller au travail ou de rentrer chez eux. Ces points d’arrêts se situent aux abords des intersections et rond points. Ils sont vraiment la représentation d’une manière d’habiter et de vivre dans le territoire tout comme le pavillonnaire avec le phénomène des villages dortoirs. Cela pose d’ailleurs la question de la proximité avec l’apparition des circuits courts par exemple. Les transformations des pratiques agricoles comme l’apparition de la permaculture, la réintroduction des cultures de houblons, la mise en place de serres,… ont favorisé l’apparition 112

de ces nouvelles formes de ventes. C’est donc de nouveaux motifs qui composent le paysage de Flandre. De nouvelles lumières présentes comme le reflet d’un nouveau dynamisme de ce territoire. La route devient également un lieu qui invite à acheter directement chez les producteurs. On observe une multitudes de panneaux indiquant où s’arrête

En haut : Photographie d’un stand de distribution automatique de produits frais, Johann Macke, avril 2019 En bas à gauche : Photographie des casiers de fruits et légumes, Johann Macke, avril 2019 En bas à droite : Panneau annonçant la vente de fraises directement chez un producteur (extrait de Hamen S. et al., 2018, Drainer la terre, canaliser l’eau, un carrefour Européen, ENSP 2ème année du DEP, Atlas, 60 p.) : p.40


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UNE ATMOSPHÈRE NOUVELLE

Photographie d’une nouvelle place de distributions automatiques de poduits frais, Johann Macke, février 2019 DISTRIBUTEUR, texte écrit à la suite d’une traversée de la Flandre en voiture, Johann Macke, avril 2019 114


En sortant de l’autoroute On peut s’arrêter un instant C’est une petite place de gravier Baignée d’une vive lumière polluée Et les couleurs ternes N’invitent pas à s’y aventurer Des cabanes en bois et contreplaqué Contiennent une multitude de casiers Remplis par pleins de produits d’ici Tout est automatisé Mais qui vend ces produits ? Alors on prend son panier De pain, de légumes ou de fruits Et au moment de partir Il faut retourner dans le flux incessant Des automobiles et camions Essayer de réintégrer la course De celui qui sera rentré en premier

L’espace d’un instant Sans même le savoir On a touché du doigt Pas mal de savoir-faire Les paysages de plaines Les cultures traditionnelles Et celles nouvellement installées Les travailleurs de tous les jours Qui habitent nos terres Celle de la Flandre Mais emprisonné dans la spirale du travail On s’engage dans le rond-point Pour rentrer Pour retrouver la maison Individuelle si chanceux Dans un quartier pavillonnaire Baigné d’une terne lumière

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CONCLUSION

L’étude de la lumière a montré que celle-ci doit d’abord être saisie au travers des émotions et des sensations pour pouvoir être utilisée comme outil de compréhension du paysage. C’est un travail qui doit être fait soit en deux parties ou de manière parallèle entre le moment de l’observation et du ressenti et le moment de l’analyse et de la compréhension. Il est nécessaire d’adopter une certaine posture physique mais également psychique pour déjà orienter le discours de l’analyse. La question qui se pose sur l’intérêt de s’appuyer sur la lumière pour la compréhension des paysages pourrait avoir comme réponse que la lumière permet une analyse singulière de ces mêmes paysages. L’exploration générale de la lumière sur la compréhension des territoires a permis de passer ensuite à une analyse appliquée à un site : le mont Cassel et la plaine flamande environnante. Le cheminement suivi est personnel et orienté sur certains éléments qui posent les enjeux du territoire et des projets futurs pouvant potentiellement être réalisés. On observe que la lumière et d’autres éléments faisant référence à la topographie, la géologie ou encore le climat ont engendré une fabrication particulière du paysage. Ils ont participé à la création d’une structure spécifique des villes et de l’espace rural et agricole, ; à la fabrication d’un paysage dans lequel l’ensemble des éléments forment un motif : celui des villages, de l’habitat dispersé, des champs, des routes,… Le paysage de Flandre compose avec la lumière et fabrique la lumière. La mutation du territoire l’a changé et continue de les modifier. C’est à travers ces changements d’ambiances lumineuses, sur des temporalités différentes, que l’on comprend également les mutations d’ordre social, environnemental et territorial. La Flandre est un territoire soumis à l’influence de la métropole de Lille et de la ville de Dunkerque, 118


respectivement situés au nord et au sud du territoire. Elle engendre de nouvelles manières d’habiter le territoire flamand, de s’y attacher et de s’en emparer. La lumière devient prétexte pour parler de cette modification de l’identité des paysages de Flandre. Le chemin de cette rédaction pourra donc être la voie à suivre pour saisir un territoire de manière sensible ainsi que son esthétique et d’en comprendre le sens, la morphologie, la composition. La lumière pour parler d’un territoire, pour parler d’histoire, d’espace urbain, d’architecture, pour parler de ruralité, d’agriculture, du social, de temporalité, d’économie, d’écologie, d’environnement, de mutations, de devenir ; et la lumière, qui transmet émotion et sensibilité, mise en relation avec tout ces domaines, plutôt théoriques et fondés, permet alors à un lieu d’être paysage.

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QUELQUES ENSEIGNEMENTS POUR APPROCHER LE PAYSAGE À TRAVERS LA LUMIÈRE UNE SAISIE SENSIBLE DU PAYSAGE - Adopter une posture physique personnelle - Se tenir plus ou moins loin du territoire pour capter l’ambiance et l’émotion du paysage - S’interroger sur le fait de voir ou regarder le paysage - Voir le paysage avec une sensibilité personnelle - Laisser la lumière influencer la posture physique de l’observateur - Attribuer un jugement esthétique personnel au paysage en essayant de définir son caractère - Appréhender le paysage à différents moments de la journée et de l’année - Parcourir le paysage pendant ou après un changement de météo - S’intéresser à la profondeur du paysage et aux éléments qui en ressortent ou non - Observer la manière dont la lumière s’accroche au paysage - Voir comment la lumière révèle la matérialité et comment cette matérialité révèle la lumière

REGARDER - ANALYSER - Traverse le territoire de différentes manières et à différentes vitesses - S’interroger sur le fait de voir ou regarder le paysage - Regarder le paysage avec une sensibilité personnelle - Définir la façon dont la lumière fabrique un espace - Observer comment les espaces urbains et ruraux se sont organisés par rapport aux espaces d’ombres et de lumières - Définir la manière dont les espaces urbains se sont construits par rapports à la lumière : matière, 120


couleur, orientation - S’intéresser à un élément typique de construction (exemple de la fenêtre pour la Flandre) et définir le rapport au paysage - Voir comment la lumière engendre des manières d’habiter la maison et ses espaces extérieurs - Déterminer le lien entre topographie et lumière : manière dont la lumière s’accroche au territoire - Voir comment les zones sombres et de lumières participent aux habitudes de vies - Définir les différents types d’espaces bâtis et comprendre leur implantation dans le territoire (par le biais de la lumière) - S’intéresser à la structure des villes et villages à différentes échelles et le rapport avec le paysage (relation avec les autres bâtiments, le reste de la ville et l’espace rural) - Voir les manières dont le territoire s’est construit dans le temps - Comprendre comment le territoire à évolué dans le temps et comment la lumière s’est modifiée ou a modifiée le territoire - S’intéresser aux habitudes de vies, l’attachement des habitants au territoire et leur rapport à la lumière - Observer comment la lumière peut être utilisée autrement dans le territoire et (manière dont on s’en sert pour cultiver par exemple) - Définir un lien entre la lumière, le paysage et le social Dans chacun des cas, adopter une vision personnelle du territoire qui peut permettre de fabriquer ce lien entre paysage ressenti et paysage analysé. Cette vision personnelle peut passer par une approche artistique, par l’écriture,...

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BIBLIOGRAPHIE RÉFÉRENCES LITTÉRAIRES : BÉGOUT B. et LENOIR J., NORD, La Madeleine (59110), éditions Light Motiv, 2016, 80 p. CORBIN Alain, Histoire buissonnière de la pluie, Paris, éditions Flammarion, 2017, 108 p. CORBIN A., L’homme dans le paysage, Paris, éditions Textuel, 2001, 190 p. CREPAH du Nord Pas-de-Calais, Le bâti ancien en Flandre-Artois, Paris, Electricité de France, 1982, 96 p. GRACQ J., Les eaux étroites, Paris, éditions José Corti, 1976, 74 p. GROUT C., L’émotion du paysage, ouverture et dévastation, Bruxelles, éditions La Lettre volée, 2004, 172 p. MUZARD F. et ALLEMAND S., Le périurbain, espace à vivre, Marseille, éditions Parenthèses, 2018, 277 p. PAULHAN F., L’esthétique du paysage, Paris, éditions Hachette Livre BNF, 2013, 214 p. RECLUS E., Histoire d’un ruisseau, Lonrai (61250), éditions Actes Sud, 2014, 216 p.

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RECLUS E., Histoire d’une montagne, Lourai (61250), éditions Actes Sud, 2006, 129 p. VÉZILIER S., Paysages de Flandre, De l’infiniment petit à l’infiniment grand, Cassel, éditions musée de Cassel, 2006, 87p. VIDAL DE LA BLACHE P., La France de l’Est, Londres, éditions Forgotten Books, 2018, 280 p. ZUMTHOR P., Penser l’architecture, Berlin, éditions Birkhäuser, 2006, 95 p.

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RÉFÉRENCES PICTURALES ET ARTISTIQUES : ANONYME école française, La vue Panoramique de Cassel, fin du XVII ème siècle, huile sur toile, Musée de Flandre, Cassel QUECQ D’HENRIPRET J., Le paradis terrestre, 2004, photographie, 110x230 cm, Musée de Flandre, Cassel RAETZ M., Zeemansblick, 1988, tôle de zinc sur châssis en bois, 74 x 118 x 4 cm, Museum of contemporary Art San Diego, La Jolla VERMEER J., Vue de Delft, 1661, huile sur toile, 96,5 x 115,5 cm, Mauritshuis, La Haye

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AUTRES : BLANCHARD R., La Flandre, étude géographique de la plaine flamande en France, Belgique et Hollande, thèse de doctorat en géographie, sous la direction de Paul Vidal de la Blache et Lucien Gallois, Lille, Facultée des Lettres de l’université de Lille, 1906, 529 p. CAUE, Restaurer une maison rurale traditionnelle, Pays des moulins de Flandre, 03/07/2008, disponible sur : https://www.caue-nord.com/fr/portail/41/mediatheque/22025/guide-derecommandations-restauration-traditionnelle.html HAMEN S., JOULAIN T., MACKE J., SANTUCCI A., VOGEL T., Drainer la terre, canaliser l’eau, un carrefour Européen, ENSP 2ème année du DEP, Atlas, 2018, 60 p.

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La lumière comme manière d’éprouver le paysage et permettant d’en établir une vision singulière. Saisir un territoire, le comprendre et l’analyser. Un mémoire qui parle de la relation entre le paysage, la lumière et les manières d’habiter. L’exemple du mont Cassel et de la plaine flamande environnante, une recherche personnelle à travers l’écriture et la peinture.

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