Les rizières de Mana - Penser le littoral mobile

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Les Rizières de Mana Penser le littoral mobile

Atelier Pédagogique Régional 2018/2019 Paysagiste concepteur : Johan Picorit Accompagnement : Patrick Moquay Béatrice Julien-Labruyère

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Les Rizières de Mana

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En tant que jeune diplômé Paysagiste concepteur, je réalise cette étude paysagère portant sur les problématiques littorales telles que l’érosion côtière. Le site des rizières de Mana en Guyane est particulièrement enclin à ces questionnements et mérite toute notre attention. Mes trois années d’études à l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles se conclurent par un diplôme concernant ces mêmes problématiques liées à l’eau. J’ai développé durant le temps de la formation de plus en plus d’attrait pour le sujet. C’est donc tout naturellement que je réponds à l’appel d’offre paru à l’ENSP Versailles. L’Atelier Pédagogique Régional que j’effectue est un travail qui vient préfigurer l’ouverture de la classe «Littoral» au Post-Master de l’école. La mission est réalisée en accompagnement de deux professeurs titulaires de l’ENSP Versailles, Béatrice Julien-Labruyère, paysagiste DPLG et responsable du PostMaster et Patrick Moquay, professeur chercheur en Sciences Humaines et directeur du Larep. Elle est commanditée par le Conservatoire du littoral auquel le terrain d’étude appartient pour partie. Cette plaquette est le résultat des recherches menées et des réflexions de projets. Elle a pour objectif de projeter le lecteur dans ce nouveau paysage que seront les rizières de Mana, de le sensibiliser aux problématiques littorales et de l’initier à la réflexion du projet de paysage à toutes les échelles. Le document permet de montrer comment le domaine du paysage peut intervenir dans l’adaptation aux problématiques d’érosion côtière et de submersion marine et de quelle façon le paysagiste peut s’impliquer dans toutes les approches qui touchent le paysage. Quelles soient économiques, humaines et écologiques...

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SOMMAIRE Introduction..................................................................................9 Une démarche Adapto.....................................................................13 Mana ..............................................................................................16

VOIR BEAU........................................................................................................18

Des petites rizières de mana au polder de la Savane Sarcelle Le complexe Bourg-rizières : des trames similaires

Un paysage monotone ?

Les usage(r)s

Les grandes prairies Les canaux Les cheniers La plage, mangroves et vasières

VOIR GRAND.................................................................................................47

La Guyane à l’échelle de la France (Collectivités ultra-marines)

La Guyane à l’échelle de l’Amérique du Sud

Plateau des Guyanes Un climat tropical Paysage d’eau et de forêt La Guyane à l’échelle du littoral Des terres basses Une végétation diversifiée comme richesse

VOIR MOUVEMENT.................................................................................87 Formation géologique Socle précambrien Plaine côtière ancienne et jeune

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Mouvements du trait de côte Dynamique des bancs de vases Mangrove, un écosystème mobile Un site soumis à des variations incertaines

L’homme dans le paysage

Les Amérindiens précolombiens Colonialisme Le bagne Anne-Marie Javouhey

A l’ère contemporaine Multiethnicité

L’orpaillage, catastrophe écologique L’exploitation agricole du territoire

VOIR PROJET...............................................................................................131 L’adaptation à la dynamique d’érosion Impliquer les populations locales Sensibiliser et dédramatiser

S’appuyer sur les points clés du site

Une diversité de paysages qui font la beauté du site Des repères visuels témoins de l’histoire

L’agriculture Adaptée au contexte de l’Ouest guyanais Développer l’élevage pour tendre vers l’autonomie alimentaire Pour un retour des oiseaux Des activités complémentaires pour une diversité de paysage Restauration des canaux hydrauliques L’écotourisme Un chapelet de sites touristiques Entre visites libres et visites guidées

Conclusion..................................................................................167 Remerciements............................................................................170 Lexique ..........................................................................................171 Bibliographie................................................................................172

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Introduction au site

En Guyane, le littoral est soumis à la dynamique des bancs de vases, influencée par l’Amazone, changeant le profil morphosédimentaire du trait de côte. En raison de cela, le littoral possède une succession de milieux particulièrement riches, passant de la mangrove aux savanes. Les rizières de Mana, installées sur le littoral, ont elles-mêmes vu leur milieu évoluer au cours du temps. C’est dans les années 1980 qu’un polder de 5000 ha a été créé afin de cultiver le riz. Sa création a engendré des habitats humides et ouverts riches en biodiversité. Après quelques années d’exploitation, la migration du banc de vase a mené à l’érosion du trait de côte sur une profondeur d’un kilomètre et demi, et donc à la disparition d’une partie des rizières. Les difficultés financières se sont par la suite installées avec de nouvelles législations d’exploitation et la concurrence des pays voisins. L’abandon des rizières a conduit à la fermeture progressive du milieu. Le polder est un véritable hot-spot de biodiversité et un lieu unique pour la richesse ornithologique. De nombreux limicoles migrateurs s’y arrêtent et la conservation de ce milieu ouvert est un enjeu à échelle mondiale. En 2018, le conservatoire du littoral fait l’acquisition de 1500 ha et initie un projet pour répondre aux enjeux de conservation en biodiversité. La préservation des rizières comme milieu ouvert afin d’accueillir les populations d’oiseaux passe par un entretien des prairies lié à une activité d’élevage bovin et bubalin. Une activité d’observation ornithologique sera mise en place avec l’ouverture du polder au public et des activités écotouristiques.

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Baie de Somme

3

1

Baie de l’Authie

2 5

6

Rizières de Mana

Baie de Wissant

Estuaire de l’Orne

Baie de Lancieux

1

2 3 4 5

7

6

Marais de Moëze

Site en cours d’étude

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Sites étudiés les années passées

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Autres sites Ad’Apto 10

11 12

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8

Delta de la Leyre

Estuaire de la Gironde

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Vieux Salins d’Hyères

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Grand Travers

12

0

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Embourchure du Golo

20

30 Km


Une démarche Adapto

Le programme Adapto a été initié par le Conservatoire du littoral afin d’explorer des solutions répondant aux problèmes que les changements climatiques causent aux littoraux. Afin de mener à bien cette mission, l’organisme collabore avec plusieurs partenaires dont l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles.

climatiques et les aléas tels que l’érosion et l’élévation du niveau de la mer mettent en péril l’un des milieux les plus riches du fait de son interface terre-mer. Rendre plus d’espace aux phénomènes naturels et offrir des zones tampons sont les solutions à prendre en compte dans l’élaboration des projets futurs. Ce programme concerne dix sites en France métropolitaine, un en Corse et un en Guyane, qui se différencie fortement des autres par son contexte côtier.

Les études paysagères réalisées, à l’époque par les étudiants, dans le cadre des Ateliers Pédagogiques Régionaux (APR) sont des outils précieux pour penser l’avenir des territoires côtiers sur la base du paysage.

L’objectif de ce travail est de proposer une réflexion sur l’avenir des Rizières de Mana. Un projet qui s’adapte aux aléas climatiques tout en préservant et valorisant cet espace naturel.

Après un travail passé sur la baie d’Authie, la baie de Somme, la baie de Lancieux, le marais de Moëze, puis l’année dernière sur l’Estuaire de l’Orne et la baie de Wissant, le Conservatoire du littoral a de nouveau fait appel à l’École Nationale Supérieure de Paysage pour collaborer sur le projet des Rizières de Mana en Guyane.

Les projets et réflexions issus de la démarche adapto jouent un rôle important dans la sensibilisation et la prise de conscience qui doit être opéré dans ces paysages côtiers. Il nous revient donc, paysagistes concepteurs, de collaborer et d’aider le Conservatoire du littoral en outillant et en facilitant une réflexion ouverte et apaisée sur le devenir des sites.

Le conservatoire du littoral adopte une position préconisant la gestion souple du trait de côte. En effet, les changements

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Mana Mana est une vaste commune française de la Guyane située dans l’Ouest du département. Elle porte le même nom que le fleuve qui la traverse réputé pour être l’un des plus longs de Guyane et pour ses très nombreux sauts. Après avoir fait pendant un temps estuaire commun avec le Maroni, sur la commune Amérindienne d’Awala-Yalimapo, ce dernier se jette depuis peu dans la mer du fait de mouvements d’alluvionnement et d’érosion qui procurent au site une dynamique côtière très importante. On trouve sur le territoire le bourg de Mana, relativement proche de la mer, implanté sur la rive gauche du fleuve où la mangrove fluviale s’est largement développée. La commune compte environ 10000 habitants, peuplée de 16 ethnies différentes parmi lesquelles on retrouve les créoles, les amérindiens Galibis, les Noirs-marrons et les haïtiens. Cette diversité culturelle est un véritable atout pour la commune et plus largement pour la Guyane. Un peu plus au Sud, font partie de la commune deux villages. Javouhey, peuplé de Hmongs et portant le nom d’une mère religieuse clunisienne qui a joué un rôle important pour la mise en valeur agricole du territoire, et Acarouany, nom d’un affluent de la Mana sur lequel se trouve le village. Le village de Charvein, né d’un ancien camp de bagne,

s’est implanté à la limite de la commune. Les nombreux hameaux se répartissent généralement autour des routes formant des ouvertures dans ce paysage forestier. Ce sont les terrains d’abattis, la culture traditionnelle la plus utilisée sur le territoire. Généralement les agriculteurs habitent sur les terrains qu’ils cultivent. Mana est aussi connue pour être l’une des communes les plus agricoles de la Guyane, notamment pour ses vergers et ses rizières, faisant d’elle, à l’époque, le premier producteur de riz de Guyane et le deuxième de France après la Camargue. La commune possède deux rizières l’une sur la rive droite de la Mana appelée Polder de la Savane Sarcelle et l’autre sur la rive gauche, de taille plus modeste. Après quelques années de pérennité, les rizières ont été abandonnées. Aujourd’hui la mer ronge progressivement le polder. Cet aménagement du XXe siècle est venu s’implanter sur le site de la Savane Sarcelle. Une très longue savane humide évoluant en mangrove dont une grande partie appartient à la Réserve de l’Amana depuis 1998. Une partie du polder de la Savane Sarcelle appartient désormais au conservatoire du littoral qui souhaite donner un renouveau au site et développer une activité agricole et touristique au profit de la biodiversité.

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Superficie

Awala-Yalimapo Organabo

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}

La commune de Mana en chiffres

6 332 km² Population Densité

10 566 hab

1,7 hab/km²

Coordonnées

5° 40′ 11″ nord 53° 46′ 41″ ouest Altitude

0 - 636 m


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VOIR BEAU 19


Des petites rizières de mana au polder de la Savane Sarcelle

Les rizières de Mana, par leur taille impressionnante, forment une unité paysagère à part entière. Elles ont été aménagées sur la plaine côtière jeune, prises entre la Réserve de l’Amana et l’axe routier, lui même construit sur l’ancien cordon littoral de la plaine côtière ancienne plus haute. On peut ainsi lire le paysage grâce au relief relativement bas mais bien visible. Les rizières sont scindées en deux sous unités : Les petites rizières de Mana représentent 1200 ha et le Polder de la Savane Sarcelle 4500 ha. On retrouve chacune d’entre elles de part et d’autre du fleuve Mana. Le polder de la Savane Sarcelle sur la rive droite et les petites rizières de Mana sur la rive gauche. Trois propriétaires fonciers se répartissent l’ensemble du polder. D’Ouest en Est : la société Agriyane, l’État, par le Conservatoire du Littoral et la Coopérative des Céréales et Oléagineux de Guy (COCEROG). Les petites rizières de Mana, sont détenues par les propriétaires de la Société Agricole de Mana. Le contexte agricole est très fort et relativement récent sur la commune, notamment pour la riziculture exploitée de manière intensive uniquement à la fin du XXe siècle.

20 Entités paysagères de l’Ouest guyanais


Pointe Isère

Savane humide d’Awala-Yalimapo

Mangrove Sarcelle Petites rizières de mana

Polder de la Savane Sarcelle

PAYSAGE FLUVIAL Forêt marécageuse d’Organabo Forêt humide du Maroni

Forêt sur sable blanc

DE L’AMANA FORET GUYANAISE

0

5 Km

Mangrove Sarcelle

BOURG DE MANA

RIZIERES DE MANA

Polder Sarcelle

FLEUVE MANA POLDER DE LA SAVANE SARCELLE

RÉS

E RV

ED

E L’ AM

AN

A

Forêt marécageuse d’Organabo

Forêt sur sable blanc

UYANAISE 21

0

5 Km


Fleuve Mana

SAS AGRIYANE

Vers Organabo

CDL

COCEROG

S O E N

22 Découpage foncier des rizières de Mana.


Acarouany

Bourg de Mana ni aro M du nte r u -La

t ain

rs S Ve

SAM Vers Awala-Yalimapo

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24 Habitat linĂŠaire du bourg de Mana


Le complexe Bourg-rizières : des trames similaires

Le bourg de Mana reprend la typologie des villes coloniales. Une trame en damier où les rues ont été construites de façon rectiligne. À l’Est, un long quai termine la ville et borde le fleuve. Au bord des rues de nombreuses maisons ajourées, en bois, typiquement créoles se sont implantées. Malgré l’état parfois délabré de certaines, on retrouve une ambiance chaleureuse et un patrimoine bien présent. Le clocher bleu de l’église est un repère visible dans ce plat paysage. La trame en damier du bourg fait écho à celle du polder dont les nombreux casiers et canaux forment un paysage anthropique et maîtrisé ; signe de la culture intensive pratiquée dans les années 1980.

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une trame hĂŠritĂŠe de la colonisation

0

100

200 m

26 Comparaison de la trame du bourg et des rizières


Un paysage monotone ? Le polder a cette particularité d’offrir globalement, et encore aujourd’hui un paysage vaste et plat ; son horizontalité, révélée autrefois par le riz, aujourd’hui par les pairies laisse voir tout élément vertical. Dans le polder usines et silos témoignent du passé agricole intense.

27 © ASAH


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3. Chenier 5. vasière 4. Plage, mangrove et vasières

6. Route 1. Prairies

2. Canaux

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Les grandes prairies

Bien que le paysage ait tendance à se refermer, le polder conserve globalement sont aspect vaste et plat. L’abandon de la riziculture a conduit à une évolution de la végétation. En effet, les prairies herbacées ont remplacé le riz, arbres et arbustes colonisent même quelques parcelles. Au grand bonheur des aigrettes, les prairies offrent des espaces à l’horizon dégagé, une visibilité sur les alentours procurant un lieu éloigné de tout danger. Herbes hautes et herbes rases se côtoient. Les grandes graminées se confondent dans un ballet aux vents littoraux. Parfois la terre est presque à nu, laissant entrevoir des tâches d’un sol noirâtre. Les herbes sèches et brunes laissent progressivement place aux jeunes pousses d’un vert tendre. Les plans se succèdent et se mélangent. Au loin, la forêt du cordon sableux termine le polder.

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Les canaux

Le polder est séquencé par de nombreux canaux hydrauliques. Des canaux d’irrigation et de drainage dont les milieux évoluent et se diversifient par manque d’entretien. On peut encore voir certains d’entre eux presque intacts. Ces longs couloirs reflétant le ciel au gré du temps. Tantôt un nuage gris, tantôt un ciel azur mais toujours un rayon de soleil perçant. Parfois les jacinthes d’eau ont colonisé le milieu. Des tapis verts flottent et ondulent à chaque mouvement causé par le remous d’un poisson. Les jacanas, eux, sont si légers qu’ils marchent sur ces tapis flottants, posant l’une après l’autre leurs délicates pattes. Avec leur couleur chatoyante, chaque battement d’aile est une vraie poésie dans ce décor de verdure. De part et d’autre des canaux des rangées de moucou-moucous poussent les pieds dans l’eau, la tête dans les airs. Leurs troncs très graphiques forment un élément marquant de ce paysage. Une simple balade vous permettra de voir quel rythme créent les canaux dans ce paysage de vastes prairies.

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Les cheniers

Ces formations géologiques ne sont autres que des cordons sableux retrouvés enfermés par des vases. Aujourd’hui, ils apparaissent donc à travers un paysage de bandes sableuses parallèles au trait de côte. La chaleur qui règne sur le polder se ressent d’autant plus ici. Comme si le sable captait toute l’énergie de cette source solaire. De grands arbres ont pu s’y développer procurant de temps à autre un peu d’ombre où vous reposer. C’est une flore adaptée qui a poussé dans ce sol drainant. Vous y trouvez par exemple des palmiers. De gros lézards, appelés localement Téju, prennent le soleil sans bouger jusqu’au moindre bruit qui les effraye. À peine le temps de les apercevoir ils se faufilent à toute vitesse dans les broussailles.

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La plage, mangroves et vasières

Les plages que l’on trouve sur les rizières sont quelque peu particulières. L’érosion est là ! La tension est palpable, on peut ressentir les dynamiques en jeu d’un seul coup d’œil. D’abord, la mangrove a colonisé l’arrière cordon sableux. Les propagules des palétuviers apportés par les courants sont venus s’enraciner dans la vase. En quelques années seulement une forêt est née. Il faut être bien équipé pour atteindre la plage. La traversée de la mangrove a de quoi surprendre. Aux heures les plus favorables, le matin et le soir, les nuées de moustiques sortent. La journée ces derniers se cachent à l’abri du soleil et de la chaleur. Une oreille attentive entendra alors un vrombissement lointain mais surtout les nombreux chants des oiseaux. Les regards aguerris verront parfois sous les feuilles des palétuviers de petits cristaux de sel que l’arbre rejette de son organisme. De temps à autres un groupe d’ibis vous survole, il faut donc rapidement lever la tête pour percevoir ces tâches d’un rouge vif contrastant avec le ciel bleu. La fin de la mangrove approche, chaque pas s’enfonce à moitié dans le sable. Les Canavalia maritima ou haricots plage rampent sur le sable. Ils étalent leurs longues tiges et quadrillent le cordon dunaire pour le fixer.  Arrivé

sur le sommet du mince cordon sableux l’ambiance presque suffocante de la mangrove laisse place aux vents littoraux et embruns marins qui vous chatouillent les narines. La scène mortuaire des troncs gisant sur le sol est stupéfiante. La mangrove est bel et bien menacée, les courants apportent sur l’estran les palétuviers déracinés par la houle. À marée basse, les vases forment un camaïeu de gris. Les argiles humides et luisantes reflètent la lumière du ciel. Au plus grand bonheur des limicoles, elles sont une ressource alimentaire incroyable. Vous pouvez apercevoir les oiseaux surmontés de leur grandes pattes, plonger leur long bec dans le sol en quête d’un met délicieux. Vous pouvez assister au spectacle d’un vol de milliers de volatiles, de leurs corps scintillants tantôt blanc, tantôt gris, ici ou là rouges, parfois se mélangeant. C’est en effet tout cela que vous pouvez voir dans les rizières de Mana. Un spectacle continu généreusement offert par la nature, à condition bien-sûr de savoir quoi regarder et d’y être sensible. Il y a tant à observer et à apprendre, les rizières sont loin d’être monotones, comme l’était ma première intuition.

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40 Zébus en pâture dans les rizières


Les usage(r)s

A l’apogée de l’exploitation des rizières, le polder représentait une immense surface où la monoculture était de rigueur. Après la chute de la filière économique, les rizières de Mana se sont retrouvées à l’abandon et sans riziculteurs pour l’exploiter. Bien qu’ils étaient déjà présents avant, c’est la raison pour laquelle aujourd’hui les nombreux usages informels s’y sont davantage développés. On y trouve par exemple des activités agricoles telles que de l’élevage ou du maraîchage. De temps à autres quelques bovins sont en pâture, notamment des zébus. Et quelques parcelles sont exploitées selon la technique traditionnelle de l’abattis. Elles sont situées en bordure des rizières, à la lisière du cordon dunaire boisé où passe la route et où sont installées les habitations. Leur emplacement est très probablement dûà une facilité d’accès et à la proximité avec le lieu de vie. On y effectue surtout une agriculture vivrière, une partie de la récolte est vendue de façon informelle sur le bord de la route, dans des abris construits sur le lieu de vie. Quelques activités de loisirs sont observées également dans les rizières comme lieu de promenade. Les habitants de Mana se rendent surtout sur les parcelles les plus proches du bourg mais

on peut y voir des sportifs effectuant le jogging en fin de journée. Le site est également utilisé pour son intérêt biologique. Sa richesse faunistique est très apprécié des naturalistes, notamment les ornithologues. Toujours pour ses qualités faunistiques mais dans un registre différent on trouve des activités de prélèvement telles que la chasse et la pêche. Une partie de l’activité effectuée est une chasse vivrière ayant peu d’impact sur le site. En revanche, la chasse récréative ou commerciale questionne la ressource avifaune. En effet, bien souvent vendus de manière informelle, les oiseaux chassés sont des proies facilement atteignable dans un milieu vaste et ouvert. L’excès de cette activité pourrait participer à la disparition progressive des oiseaux sur le polder qui peinent à trouver des espaces de repos et de reproduction. L’activité de pêche est plus légère. Elle se fait surtout en bordure littorale et dans les canaux entretenus, majoritairement à des fins vivrières. Bien que l’activité rizicole ait été abandonnée, le site est toujours utilisé et on perçoit un paysage vécu. C’est un territoire du vivant.

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L’aspect rustique de l’atipa avec ses grandes moustaches et ses grosses écailles fait penser à un poisson préhistorique.

Au milieu des prairies, les canards sont des cibles principales

comme en témoigne le nombre de cartouches retrouvées au bord des étendues d’eau.

42 Pêche à l’atipa dans les canaux et chasse des canards


Présence d’oiseaux Elevage bovin et bubalin Chasse autorisée Agriculture Abattis Pêche Usines Marchés Parcelles Conservatoire du Littoral Activité de marche et de stop

43 Répartition des usages dans le polder



Les rizières de Mana bien qu’elles semblent monotones de premier abord nous offrent en fait tout un tas de milieux, d’habitats. C’est une véritable mosaïque de paysages. Des milieux largement ouverts ou fermés, des prairies aux boisements en passant par la mangrove. Des milieux d’eau douce, d’eau salée et d’eau saumâtre qui influencent le type de végétation qui s’ancre dans le sol. Des points de vues remarquables et des cadrages offerts par la structure linéaire du site. La diversité floristique et paysagère qui peuple les rizières est une vraie richesse pour le territoire. Mais le site est également très riche au niveau faunistique. Notamment les oiseaux qui sont très nombreux. Les usages informels tels que la chasse ou la pêche se sont implantés dans les rizières. Le maintien de ces pratiques en l’état est souhaitable mais nécessitera néanmoins la mise en place de zonages afin d’éviter les conflits d’usages. Le site a donc un énorme potentiel de développement si l’on sait tirer partie des richesses et des usages qui le peuplent.

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VOIR GRAND GRAND 47


48 La houle attenuĂŠe par la mangrove


La Guyane à l’échelle de la France

La France possède de nombreux départements et territoires d’outre-mer (DTOM) qui lui assurent une présence planétaire. L’ultra-marin compte aujourd’hui pour 18 % du territoire terrestre et environ 4 % de la population de la France. La majeure partie des DTOM est caractérisée par l’insularité, exceptée pour la terre Adélie et la Guyane. Possédée par la France depuis le XVIIe siècle, la colonie de Guyane passe au statut de département en 1946, ce qui lui accorde les mêmes droits et mesures sociales que la métropole. Si la Guyane a pu bénéficier des avantages sociaux de l’hexagone, il ressort aujourd’hui un manque d’identité bien définie causé lors de la colonisation par la soumission aux pouvoirs français. Aujourd’hui, tous les DTOM ont des caractères humains communs. On y retrouve très souvent une diversité d’ethnies, dues aux vagues migratoires, une population jeune, une natalité forte et un niveau de vie relativement moins élevé que celui de la métropole. Bien que les traits sociaux soient comparables, la géographie est très diverse. En effet la France possède des DTOM aux quatre coins de la planète ce qui génère des

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paysages et des climats très différents. Répartis sur toutes les latitudes certains territoires, du fait de leurs géographies, sont beaucoup plus soumis aux risques climatiques telles que les tempêtes, les éruptions volcaniques, les séismes et les cyclones. Malgré ces aléas climatiques, les DTOM possèdent une richesse. Ils ont une diversité de paysages qui les rendent particulièrement attractifs pour les touristes. Ce qui peut être une véritable ressource économique. La Guyane possède également cet atout, du fait du climat chaud et humide induit par la proximité de l’équateur. En revanche elle a la particularité de ne pas posséder les évènements climatiques extrêmes cités ci-dessus. Elle est soumise à des phénomènes marins tels que l’érosion et la submersion. Mais la nature, faisant bien les choses, a souvent construit avec le risque des systèmes résilients. Notamment la mangrove, un écosystème particulièrement intéressant. Les palétuviers qui poussent les pieds dans l’eau ont la particularité d’atténuer la force des vagues grâce à l’entremêlement de racines. On a donc beaucoup à apprendre des relations que la nature a tissé avec le temps.


Saint-Martin Saint-Barthélemy Guadeloupe 10 Km

Martinique 10 Km

Polynésie 10 Km

Guyane 100 Km

50 Répartition des DOM-TOM et de la mangrove dans le monde

St-Pierre-e Miquelon 10 Km


etMayotte 10 Km

La Réunion 20 Km

Wallis et Futuna 10 Km

Equateur

Nouvelle-Calédonie 100 Km

Kerguelen

Saint-Paul

Amsterdam

50 Km

5 Km

5 Km

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côtes dotées de mangroves


52 La forĂŞt guyanaise


La Guyane à l’échelle de l’Amérique du Sud Le plateau des Guyanes

La Guyane française, bien qu’elle soit un département est l’un des six pays faisant partie du plateau des Guyanes. Ce dernier regroupe d’Ouest en Est, une partie de la Colombie et du Venezuela, le Guyana, le Surinam, la Guyane et l’extrême nord du Brésil. Cette dénomination représente donc un vaste territoire au nord de l’Amérique du Sud. Le plateau des Guyanes est l’un des plus anciens massifs au monde toujours visible constitué d’un socle rocheux datant du Précambrien, sur lequel pousse l’une des plus grandes forêts vierges tropicales humides, où émergent des plateaux d’altitudes appelés Tepuys et des cascades monumentales qui laissent échapper leur brume dans l’atmosphère. Le parc Amazonien de Guyane, d’environ 40000 kilomètres carrés, est l’un des nombreux territoires préservés du plateau auquel on accède uniquement en avion ou en pirogue.

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VENEZUELA COLOMBIE

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GUYANA

GUYANE FRANÇAISE SURINAME BRÉSIL Rizières de Mana

PLATEAU DES GUYANES

55 Emprise du plateau des Guyanes


Un climat tropical

Située au nord de l’équateur, la Guyane possède un climat tropical chaud et humide. Il existe donc globalement une saison des pluies de décembre à juin et une saison sèche de juillet à novembre. Les précipitations annuelles représentent 2500 millimètres par an mais possèdent des variations géographiques. Les pluies sont plus importantes au Nord-Est. L’humidité est constante et s’élève à 70 %. De décembre à janvier, les pluies sont courtes mais la mer est parfois un peu agitée du fait des vents atlantiques. Le petit été de mars qui dure entre une et deux semaines est très bref mais se ressent plus sur la partie Nord-Ouest du territoire qu’ailleurs. Les pluies intenses de la longue saison des pluies s’étalent d’avril à juin avec un mois de mai où il pleut presque tous les jours. Les vents relativement calmes apportent tout de même la chaleur et l’humidité étouffante de la forêt qui remontent vers le nord. De juillet à novembre c’est la saison sèche avec les mois de septembre et d’octobre les plus chauds et dont les précipitations sont faibles. La côte est effleurée par les vents ce qui la rend plus vivable, expliquant en partie la concentration des hommes sur le littoral.

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CAYENNE

Rizières de Mana

2000

2250

250 0

Marais de Kaw 2750

4000

3

75

0

350

0

3250

3000 2750

2500

2250

2000

57 Pluviométrie annuelle moyenne.

0

25

50 km


Un paysage d’eau

L’origine même du mot Guyane nous apprend beaucoup sur le territoire. Le terme s’applique à une vaste zone comprenant cinq pays pouvant être considérés comme une très grande île cernée à l’Ouest par l’Orénoque et le Rio Négro, au Sud par l’Amazone et au Nord par l’Océan Atlantique. Très tôt la notion de l’eau apparaît dans ces délimitations historiques qui s’appuient sur la géologie, l’hydrographie et autres sciences se rapprochant de la géographie. Plus tard le terme de Guyane s’est appliqué à trois pays (Le Guyana, le Suriname et la Guyane). Cependant cela ne change pas la racine du mot que l’on trouve dans les dialectes amérindiens. Retrouver l’origine du nom n’est pas chose aisée, bien des historiens ont abordé la question mais il apparaît que le terme de Guyane soit la transcription d’une langue aborigène renvoyant à plusieurs mots. Il y a en effet une polysémie du terme. Guiana serait le nom de diverses rivières affluentes de l’Orénoque et de l’Amazone. De plus, il renverrait également au nom d’une tribu indienne appelé « Guyanos », enfin il serait associé au palmier Awara, que l’on trouve sur le littoral, comme symbole totémique de cette tribu. Il y a là tout un champ sémantique qui renvoie

à l’eau et toutes les sources convergent pour dire que ce peuple vivait avant l’arrivée des européens sur les rives de fleuves bordés de palmiers. On se rend donc bien compte à quel point le territoire est fondé à partir de l’eau. Du fait de sa situation équatoriale, le réseau hydrographique de la Guyane est particulièrement dense et chevelu. Les fleuves et les rivières appelées criques drainent les eaux vers le littoral atlantique, du Sud au Nord et possèdent des caractéristiques communes. Leurs eaux sont plutôt brunes à rougeâtre en raison du lessivage du sol. La Guyane possède aussi plusieurs bassins versants et les fleuves Maroni et Oyapock, frontières administratives, partagent chacun un bassin versant avec leur pays voisin, le Suriname et le Brésil, qu’il est très facile de rejoindre en pirogue.

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ue énoq ’l Or

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59 Un paysage irrigué pour la Guyane


La Guyane à l’échelle du littoral Un territoire fait de deux milieux contrastés

La Guyane est un pays que l’on peut scinder en deux entités : le littoral et l’arrière pays forestier aussi appelé « l’intérieur ». On constate très tôt cette distinction et encore une fois l’étymologie nous apprend beaucoup. L’arrière pays se nomme Guyane et le littoral se nomme Caribana ce qui signifie côte sauvage. Issu d’une langue amérindienne, le terme désigne en fait l’espace géographique d’échanges. Le territoire est parcouru par le peuple Kalina et le peuple des Caraïbes. Le littoral était considéré pour les européens comme inhospitalier en raison de ce paysage « noyé » de marais et des populations caraïbes qu’ils considéraient comme anthropophages. Les deux entités se distinguent par la morphologie et la végétation, par l’altitude, par les populations et l’urbanisation.

60


CAYENNE O

E

Barrage de petit-saut Apatou

Grand Santi

St George

Saül Maripasoula Camopi

61 Les modes de déplacement en Guyane

0

25

50 km


Terre basse

Aujourd’hui le littoral guyanais ne représente que 6% du territoire. Et la plaine varie entre 5 et 40 kilomètres de large, avec une altitude souvent inférieure à 30 mètres. Quelques montagnes, ne dépassant pas 800 mètres d’altitude, ponctuent la plaine. Bien qu’elle ait autrefois été considérée comme insalubre et inhospitalière, la plaine côtière accueille aujourd’hui la majeure partie de la population guyanaise, par ailleurs fortement concentrée à Cayenne. Les principaux réseaux routiers s’étendent de part et d’autre de la capitale, point de référence usuellement utilisé pour parler de l’Est et de l’Ouest guyanais. Le seul moyen de se rendre dans l’arrière pays est par la voie des airs ou en remontant les fleuves et criques en pirogue. Le littoral de Guyane a la particularité de posséder des ambiances qui s’organisent parallèlement au trait de côte. Il y a d’ailleurs une grande cohérence entre le paysage que l’on voit, par la végétation et la géomorpologie du site.

62


Une végétation diversifiée comme richesse

Le littoral guyanais possède une très grande diversité d’écosystèmes qui se répartit, sur la plaine côtière jeune, la plaine côtière ancienne et la végétation de sables détritiques continentaux. La plaine côtière jeune accueille à proximité directe de la mer un espace plus ou moins large de mangrove quasi monospécifique qui joue un rôle très important sur le plan biologique. On y trouve seulement deux espèces d’arbres, les palétuviers gris et blanc qui s’installent sur les vases mobiles. La mangrove d’estuaire, ou fluviale, quant à elle, n’est pas mobile. Les palétuviers rouges s’installent sur les berges des fleuves, dans l’espace de balancement des marées. À proximité directe de la mer se trouvent les plages et les rochers littoraux. Les plages de sables sont parfois colonisées par les herbes rampantes qui fixent les dunes. Quelques palmiers se retrouvent la tête dans l’eau, déracinés par les houles ou subissent les vents littoraux. Les côtes rocheuses apparaissent où le socle affleure notamment à Cayenne, Kourou et Organabo principaux lieux d’habitats. La plaine côtière est dotée de marais sublittoraux, notamment à l’Est de Cayenne. Aussi appelés localement Pripris, ces marais sont des surfaces d’eau douce emprisonnées par des cordons

boisés sur des étendues marécageuses. Ils forment d’immenses miroirs d’eau avec des tapis herbacés flottants et des liserés de Moucou-moucous. Parfois des espaces plus denses de palmiers pinots forment les forêts marécageuses. Enfin les cordons sableux anciens appelés cheniers sont faits de forêts basses et broussailles dominés par le Coubaril et le palmier Awara. Sur la plaine côtière ancienne on retrouve la forêt de flat riche en palmier, notamment les Maripas et les savanes côtières faites de grandes étendues d’herbes rases parfois ponctuées d’arbrisseaux. Quelques galeries de palmiers bâches s’installent à travers la savane. Enfin la végétation des sables détritiques continentaux, ou formation des sables blancs est faite d’arbres moins élevés que la moyenne. De plus en raison du climat plus sec sur l’ouest guyanais et de la faible rétention en eau des sables, la végétation à caractère xérique s’exprime sous forme de forêts essentiellement de palmiers.

63


Mana

Iracoubo

St-Laurentdu-Maroni

Végétation des plages Mangroves Savanes sèches de la plaine côtière ancienne Marais et marécages boisés Forêts marécageuses et inondables Végétation de chenier Forêts de la plaine côtière ancienne Forêt sur sables blancs 64


Sinnamary

Kourou

CAYENNE

0 Typologies végétales du littoral guyanais

65

25 km


66


67 Socle rocheux affleurant de Cayenne


68 À l’extrème Ouest du littoral, la plage d’Awala-Yalimapo


69


70 Plage des Rizières de Mana, habitÊe par les liserons et les limicoles


71


72 Végétation de sables


73 La crique Acarouany, bordée de Moucou-moucous et Palmiers bâches


74


75 Pripri de Yiyi densément peuplé de Moucou-moucous


76 Pripri de Yiyi densément peuplé de Moucou-moucous Forêt humide d’Organabo


77 Forêt en lisière vers Tonnegrande


78 Forêt marécageuse


79 Berges sombres de la rivière Tonnegrande


80 Brume avancant vers le vieux pont enjambant la rivière Sinnamary


81 Herbes sèches aux Salines de Montjoly


82 Vastes savanes entre Kourou et Sinnamary


83


84


Afin de comprendre toutes les dynamiques qui font un paysage, et notamment celui de Mana, il est important de prendre conscience de toutes les relations qu’il existe entre les différentes échelles. Tout paysage n’est qu’une question d’échelle. Celle du polder de la Savane Sarcelle est directement influencée par l’échelle du bassin Amazonien par exemple. Il ne faut donc pas négliger les relations inter-échelles. Parfois traiter un problème à une échelle donnée nécessite d’agir à une autre échelle. Je parle bien évidemment ici d’échelle spatiale. Mais cela fonctionne également au niveau temporel. Le littoral possède une richesse de paysage incroyable qui a été façonné avec le temps. La répartition spatiale des habitats et des milieux s’est donc faite avec le temps. L’emboîtement d’échelles spatio-temporelles est omniprésent et à prendre en considération dans tout projet de paysage.

85


VOIR L MOUV 86


LEVOIR VEMENT 87


88


89


Carbonifère

Gondwana

Laurasia

Rift

Trias

90 Carte de l’évolution géologique du monde au Carbonifère et Trias


Formation géologique Socle rocheux

Au Carbonifère (360 millions d’années) la terre ne forme qu’un supercontinent, appelé Pangée, qui achèvera sa formation au Permien (300 Ma). La quasi totalité des continents sont alors rassemblés en un seul. La terre est peuplée des premiers reptiles, insectes géants et d’une flore primaire. Au Trias (250 Ma), un rift ouvre l’Océan Atlantique et sépare l’Amérique du nord, ainsi que la partie Nord et Sud de la Pangée. Deux dénominations apparaissent alors. Au nord on trouve Laurasia qui comprend approximativement l’actuelle Europe, Amérique du nord, la Russie et l’Asie. Au sud le Gondwana représente grossièrement l’Amérique latine, l’Afrique et l’Océanie. C’est pour cette raison que l’on peut retrouver le même socle rocheux en Guyane et dans l’Ouest africain. Un socle rocheux aussi appelé Bouclier, formé de granite ou parfois de gneiss. Il correspond au Bouclier guyanais ou Plateau des Guyanes supportant la forêt tropicale amazonienne.

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Jurassique Guyane

Crétacé

92 Carte de l’évolution géologique du monde au Jurassique et Crétacé


Durant le Jurassique (200 Ma), sous l’action des plaques tectoniques, le continent se mit a bouger et sépara progressivement l’Amérique Latine et l’Afrique. À la fin du Jurassique un rift se créa et au Crétacé, l’eau s’y insinua. Le temps faisant effet, les deux morceaux de terres se séparèrent l’un de l’autre. Il s’éloignèrent de plus en plus et formèrent ainsi les continents tels qu’on les connaît aujourd’hui de l’Amérique latine et de l’Afrique, séparés par un très large bras de mer qu’est l’Océan Atlantique. C’est l’époque des monstres marins et des dinosaures. Les continents poursuivirent leur dérive jusqu’au Crétacé supérieur (100 Ma). La Guyane est alors en grande partie sous l’eau car le réchauffement de l’atmosphère fit monter le niveau de l’océan 250m au dessus du niveau actuel. Une extinction de masse apparaît. Une nouvelle ère est née. Les premiers primates peuplent la terre ainsi que les gros mammifères. Les continents ont presque leur position actuelle.

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Barre prélittorale Socle rocheux Plaine côtière ancienne

Barre prélittorale Socle rocheux Plaine côtière ancienne Plaine côtière jeune

94 Carte de l’évolution géologique de la plaine côtière jeune et ancienne de la Guyane.


Plaine côtière ancienne

Plaine côtière jeune

Chenier ancien Polder de la Savane Sarcelle

Chenier

15m 5m 0m

Plaine côtière ancienne et Jeune

Au pléistocène (2,58 Ma), la terre va subir une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires qui vont faire fluctuer le niveau de la mer. C’est la formation de la plaine côtière ancienne peuplée des premiers hommes. Les dépôts de sables apportés par les fleuves forment des plages. Selon l’élévation ou l’abaissement du niveau de la mer, le trait de côte fluctue. Ces plages se retrouvent enfermées par des marécages formant ainsi des barres prélittorales. Il y a 20000 ans, le niveau de la mer alors bien plus bas qu’aujourd’hui (-120m) remonte progressivement jusqu’à former le cordon littoral ancien. L’entrée dans l’Holocène (-11700 ans) est marquée par une remontée continuelle du niveau de la mer. L’envasement des côtes démarre. C’est la formation de la plaine côtière jeune. Cette dernière est formée par des successions de terrasses basses argileuses induites par des phases d’érosion et d’accrétion liées au bancs de vases qui migrent depuis 3000 ans.

95 Coupe géologique de la plaine côtière jeune et ancienne de la Guyane.


Mouvements du trait de côte Dynamique des bancs de vases

La côte guyanaise est certainement l’une des plus instables et dynamiques au monde. Elle possède un système de balance sédimentaire unique. En effet le trait de côte subit une alternance entre phase d’érosion et d’accumulation conférée par la dynamique des bancs de vases. Le littoral guyanais ainsi que celui de tous les pays du nord de l’Amérique du Sud, soit environ 5000 km de long, est étroitement lié au système de dispersion Amazonien. L’Amazone est de loin le fleuve le plus grand de la planète. Il draine un bassin de plus de 6 millions de kilomètres carrés soit 40 % de l’Amérique du Sud et son débit moyen à l’estuaire est d’un peu plus de 200 000 mètres cubes par seconde. Son débit est également le plus élevé de tous les fleuves. Dans cette démesure, le fleuve charrie 1,2 milliard de tonnes de sédiments fins par an qui finissent directement dans la mer emportés par les houles. Les vents créent un courant dirigeant les houles vers le Nord-Ouest. La zone intertropicale de convergence (ZIC) est une ceinture de basse pression autour de l’équateur caractérisée par la convergence de masses d’air chaudes et humides. Elle oscille du Nord au Sud en fonction de la rotation de la Terre. C’est ce qui crée les quatre saisons aux durées inégales en Guyane. Les vents sont également liés à la ZIC. Pendant l’hiver boréal, l’alizé Nord-Est, souffle fort, ce qui explique les déplacements de vase et l’érosion forte. Pendant l’été boréal, l’alizé Sud-Est, est plus stable. Les vents et les courants sont moins forts. L’érosion est limitée. C’est

ainsi que la ZIC influence la migration des bancs de vases de façon saisonnière. Les sédiments charriés s’agglomèrent en masse formant un banc de vase jusqu’à ce que ce dernier ait atteint une taille imposante et se détache pour dériver le long du littoral. Un banc de vase moyen mesure entre 40 et 60 kilomètres de long, 10 à 20 kilomètres de large et 5 mètres de profondeur et sa vitesse moyenne est d’un kilomètre par an. Il existe donc, sur le littoral, des phases d’accrétion lorsqu’un banc de vase s’installe et est colonisé par la mangrove et des phases d’érosion lorsque le banc de vase migre. La zone jusqu’alors protégée devient vulnérable car située dans un interbancs. La houle attaque donc le cordon sableux ou fait reculer la mangrove. Parmi les conséquences de l’érosion on compte le recul des rivages, le dépérissement de la mangrove, la disparition des plages sableuses, l’envasement des ports… L’érosion parfois sous estimée est donc à prendre au sérieux sur le littoral guyanais. Le tronçon entre Mana et Awala-Yalimapo, appelé côte en dents de scie, illustre très bien cette dynamique. La particularité de ce type de côte est qu’il apparait dans des zones de forte érosion et est lié à l’angle d’incidence de la houle, oblique au rivage. Autrefois, la côte vers Mana était rectiligne puis est progressivement devenue échancrée à cause de l’érosion. Au niveau du polder, le recul annuel depuis 1950 est d’environ 50 mètres par an, avec une accélération depuis 2006 atteignant 150 mètres par an.

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HIVER BOREAL

ETE BOREAL

Régime d’alizés de N.E prédominant de décembre à mai, instable avec vents forts

Régime d’alizés de S.E d’août à octobre, plus stable

ZIC en dessous de la Guyane

ZIC au Nord de la Guyane

ZIC en stationnement sur la Guyane

ZIC au Nord de la Guyane

Direction des flux Zone Intertropicale de Convergence Equateur

ZIC en stationnement sur la Guyane

97


5 4

3

2

1

1969

1979

1989

Bassin versant de l’Amazone et mouvement des bancs de vases dans le temps. (source : BRGM)


1

Érosion des Andes

5

2

3

Expulsion des vases dans l’océan par l’Orénoque

Déplacement des sédiments par l’Amazone

Formation des bancs de vases dans le delta de l’Amazone

4

99 Trajectoire des sédiments depuis les Andes, jusqu’à l’Orénoque.

Migration des bancs de vases le long de la côte guyanaise


1785

1960

Pointe Iisère

1856

1976

Polder Sarcelle

1940

2005

MANA

1950

2017 100

Evolution de la pointe Isère vers l’ouest et érosion des rizières

0

8km


Mangrove, un écosystème mobile

La mangrove est un organisme euryhalin, c’est à dire qu’il peut supporter de grandes variations de salinité du milieu. Mais elle peut aussi mourir en cas de sursalure ou à l’inverse lorsque la quantité d’eau douce est trop importante. En plus de cela la dynamique d’érosion forte conduit au dépérissement du milieu. On pourrait croire que la vitalité de colonisation des palétuviers compense cette perte mais ce n’est pas la cas. Bien que les propagules soient présentes en nombre important et que les palétuviers croissent rapidement, l’érosion conduit toujours au recul du trait de côte. En revanche, les palétuviers et les bancs de vases vont de pair. Ces derniers s’implantent sur les vases une fois que le banc est fixe. On se rend compte de la vitesse d’érosion lorsque même les jeunes palétuviers meurent. La mangrove possède une balance sédimentaire  : autrement dit, lorsque la mangrove est dense, la balance est positive, lorsqu’elle est dégradée ou détruite, la balance est négative. Cet écosystème a une importance capitale pour le littoral, en terme de protection des côtes mais également pour son rôle socio-économique. La mangrove est bien plus efficace qu’une digue. Le Guyana en est le parfait exemple. Ses côtes fortement anthropisées sont beaucoup plus sujettes à l’érosion car la mangrove a en grande partie été détruite au profit d’ouvrages bétonnés. La mangrove est un écosystème écotone qui fait l’intermédiaire entre le milieu aquatique qu’est la mer et le milieu terrestre. Elle

possède en raison de cela une faune abondante et des activités économiques. Elle sert de nurserie pour les juvéniles, de cachette contre les prédateurs ou encore d’espace de repos et de nidification pour les oiseaux. Sa disparition affecte donc directement les activités liées à la faune comme la chasse ou la pêche. Dans le cas de Mana, le polder de la Savane Sarcelle a évolué au cours du temps. Il y a 5000 ans, la zone était entièrement recouverte de mangrove. Ce qui signifie que le site est en progradation depuis tout ce temps. Jusqu’à aujourd’hui, où l’érosion fait reculer le trait de côte. Vers 1980 le marais Sarcelle est doté de grands espaces amphibies en arrière de la mangrove, sillonnés de cheniers qui séparent les phases de sédimentation. On a donc dans l’ordre depuis la mer : Une mangrove, une arrière mangrove, un marais d’eau saumâtre, un marais d’eau douce et enfin une forêt hydromorphe. Les échanges d’eau permettaient d’avoir une excellente nurserie de crevettes au grand bonheur des pêcheurs. La côte sableuse alors rectiligne s’est déplacée vers l’Ouest, bloquant les échanges d’eau, conduisant au dépérissement de la mangrove. L’érosion s’est à son tour installée continuant le travail et grignotant toujours un peu plus le polder. La mangrove est un écosystème complexe à manipuler et très variable mais néanmoins des plus importants. C’est un écosystème dynamique et résilient qui s’adapte aux variations climatiques et qu’il convient de sauvegarder.

101


1950

2012

2018 102


2030

2050

103 Évolution du paysage et du trait de côte de la Savane Sarcelle entre 1950 et 2050.


Milieu terrestre

Ecotone = Mangrove

Est mangé par Se réfugie dans

104 Relations écosystèmiques issues de la mangrove


Milieu marin

105


Un site soumis à des variations incertaines Le polder de la Savane Sarcelle est un site dont le trait de côte est fortement mobile et varie de façon aléatoire. Il est important d’aborder la question de l’adaptation du projet à une mouvance incertaine. La trame des casiers qui a été créée pour les besoins de la riziculture dans les années 1980 est encore présente et visible. Désormais les canaux de drainage et d’irrigation perpendiculaires au trait de côte se fondent en partie avec les eaux de la mer. Certains d’entre eux sont déjà envahi par les propagules des palétuviers qui colonisent rapidement les casiers envasés. Il y a sur le site une véritable mosaïque de milieux. Différents paysages se forment donc lorsque l’on passe de l’eau à la terre, d’un milieu doux, saumâtre, salé, entretenu à dégradé, d’une végétation rase à boisée... Aujourd’hui, les oiseaux apprécient particulièrement les prairies humides et dégagées où ils viennent se poser, ainsi que la mangrove où ils peuvent nicher. Face aux changements climatiques, à la montée du niveau des océans ainsi qu’au phénomène d’érosion côtière qui touche les rizières, plusieurs solutions s’offrent à nous. Dans un premier temps, on peut imaginer un scénario de résistance et de lutte contre ces événements par la construction d’une digue. Les hollandais maîtrisent parfaitement la technique et l’ont d’ailleurs largement développé au Guyana. Malheureusement, la construction d’un tel ouvrage serait très coûteux et nécessiterait de lourds

travaux aux conséquences destructrices pour l’environnement. Une digue, contrairement à un cordon sableux n’absorbe pas la force de la houle et ne retient pas la sédimentation, ce qui fragilise considérablement l’écosystème. On assisterait alors à la disparition progressive de la mangrove, un écosystème fondamental pour la biodiversité. De plus la digue rendrait le site hermétique, empêchant les échanges d’eau douce et d’eau salée. Les milieux d’eau saumâtre bénéfiques à certaines espèces aquatiques telles que les gros yeux cesseraient d’exister. Afin d’accueillir l’avifaune, la conservation des rizières comme espace ouvert nécessiterait un entretien mécanique coûteux, au vue de la superficie du site. De manière générale, le site serait soumis à une perte d’habitats et de milieux ayant ainsi des répercutions écologiques et économiques pour les personnes vivant de la pêche et de la chasse. Enfin ces ouvrages peuvent être soumis à des surverses ou débordements et nécessitent, à long terme, l’investissement régulier de fonds afin de les consolider ou réparer.

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État actuel

Eau

douce Sau

mât

re

Eau sa lée

Coût : Biodiversité : Habitat :

Scénario 1 : Résister

Eau

Coût : Biodiversité : Habitat :

douce

Eau sa lée

107


Le deuxième scénario consiste à subir les événements climatiques. A l’inverse du premier scénario, celui ci ne nécessite aucun travaux et donc n’a aucun coût. Promouvoir l’évolution naturelle de ce site conduit irrémédiablement à la fermeture de son milieu. Premièrement, l’érosion côtière s’accompagne d’un recul de la mangrove, réduisant davantage la superficie des rizières. Deuxièmement, les prairies aujourd’hui ouvertes, aux horizons dégagés s’enfricheront et deviendront des forêts. On assisterait alors à la perte d’identité des lieux, et de sa population riche d’oiseaux qui apprécient les étendues herbacées. La mangrove fragilisée par sa segmentation permettrait à l’eau de mer de progresser aisément dans les rizières et inonder une grande partie de ces dernières. L’augmentation des échanges d’eau douce et d’eau salée permettrait le développement d’un nouveau milieu, profitant à certaines espèces. L’économie de la pêche en serait avantagée. Mais ce scénario aurait des répercutions sociales et écologiques tragiques. Les rizières de Mana sont très ancrées dans la culture guyanaise et leur disparation totale n’est pas envisageable à cours terme. Enfin la fermeture du milieu conduirait à une perte d’habitat et donc de biodiversité. Le troisième et dernier scénario fait émerger la question de l’adaptation. C’est ce scénario qui sera privilégié pour le projet à venir. Dans ce scénario, on cherche une gestion raisonnée

des espaces. On souhaite conserver toute la beauté et la richesse du site. C’est pourquoi conserver les habitats présents et développer de nouveaux milieux est à envisager. Le chenier s’alimenterait et s’autorégulerait grâce aux apports sédimentaires permettant le développement d’une végétation arborée plus abondante. Les activités implantées permettraient de préserver le site et le mettre en valeur. Le pâturage conserve des prairies comme milieu ouvert de façon peu coûteuse et respectueuse de l’environnement. La diversification des habitats permet le développement de la biodiversité. On donne plus de liberté de mouvement à la mer et à la mangrove afin qu’elles co-évoluent naturellement. Ce scénario nous montre l’importance de travailler avec des activités adaptables dans des milieux dont le futur est incertain. Des activités qui comme à l’époque des amérindiens sont mobiles et ne nécessitent pas d’infrastructures lourdes. C’est pourquoi il est préférable d’organiser les activités selon un gradient de vulnérabilité, de la mer à la route. En préférant une agriculture en bord de route, de l’élevage à mi-distance et une zone tampon en arrière du chenier. Les sentiers de balades et boucles de promenades sur les digues en sécurités peuvent également être adaptés et déplacés.

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Scénario 2 : Subir

Ea u

douce Sau

mât

re

Eau sa lée

Coût : Biodiversité : Habitat :

Scénario 3 : S’adapter

Eau

douce Sau

Coût : Biodiversité : Habitat :

mât

re

109

Eau sa lée


110 Village Kali’na - Source : Wikipédia


L’homme dans le paysage Les Amérindiens Précolombiens

Les travaux archéologiques mentionnent en Guyane des peuplements Amérindiens au VIe millénaire avant Jésus Christ. Ces populations précolombiennes vont avoir une influence considérable sur leur environnement et sur la formation du paysage actuel. Les premiers peuplements considérés comme des horticulteurs, les Saladoïdes, se sont majoritairement installés autour de l’Orénoque. Au IIIe siècle, C’est la branche des Barrancoïdes qui va progresser vers l’Est, puis au VIe siècle Les Arauquinoïdes, largement considérés comme des agriculteurs vont les remplacer, tout en continuant leur lente migration vers l’Est. On retrouve les vestiges de ce groupement tout au long de la côte, de l’extrême Est du Guyana à la pointe Ouest de Cayenne. Les quatre cultures qui se succèdent se sont majoritairement installées au Suriname, en raison de sa large plaine côtière. On retrouve aujourd’hui des traces des Themires, la dernière culture Arauquinoïde, vers les plaines de Sinnamary et Kourou. En revanche, très peu d’Amérindiens se sont installés dans la région de Mana. Probablement parce que la plaine littorale était trop étroite. Toutes ces branches d’Amérindiens se sont toujours installées à l’Ouest des fleuves sans jamais s’éloigner de la mer car elle était pour eux une ressource dont ils tiraient partie. Il n’y a que le

tout dernier groupement, les Koriabos, qui se sont largement déployés sur tout le plateau des Guyanes au Xe siècle. Les premières familles d’Arauquinoïdes commencent à disparaître au XIIe siècle, suivi de toutes les autres qui s’éteindront après la colonisation. La colonisation des Amériques par les européens se fait d’abord par les Espagnols et commença réellement à partir de 1492, lorsque Christophe Colomb découvrit le « Nouveau Monde ». Les nombreuses guerres et les épidémies apportées par les européens firent baisser de 90% le nombre d’Amérindiens en un seul siècle, favorisant ainsi largement l’emprise coloniale. Durant des siècles d’existence, les Amérindiens précolombiens ont créé leurs paysages. Ils ont réellement été les paysagistes de leur époque. Mais ils étaient surtout de talentueux agriculteurs sachant étudier leur environnement, l’habiter et l’exploiter. En effet, on retrouve deux typologies d’espaces basés sur la géomorphologie des côtes guyanaises. La plaine côtière ancienne entre 5 et 15 mètres d’altitude est formée de barres prélittorales. Des cordons limono-sableux formant des espaces privilégiés pour l’habitat. La plaine côtière jeune quant à elle, constituée de sédiments limono-argileux provenant de l’Amazone, monte jusqu’à

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Kali’na au Jardin d’acclimatation de Paris en 1892 - Source : Wikipédia

4 mètres d’altitude. Elle était alors utilisée comme espace agricole. L’habitat s’installait sur des terrains surélevés. Ce choix stratégique permettait aux amérindiens d’une part d’être en sécurité face aux aléas de submersion et d’autre part d’être au milieu de toutes les ressources, celles provenant de la forêt, de la mer, de l’agriculture. Ces populations étaient mouvantes. Cette mobilité était possible grâce à la gestion communautaire car ils ne possédaient pas de propriétés foncières. La condition pour vivre mobile était de créer des habitats éphémères, en matériaux légers, facilement démontables, notamment le bois. Il y avait une grande relation entre le paysage et ces populations qui vivaient dans la nature et la respectaient. Ainsi une fois les populations se rendant ailleurs, tous les matériaux dégradables étaient rendus à la terre. Le génie de ces civilisations a été de savoir « cultiver sur l’eau » selon plusieurs procédés. Avec, par exemple, une agriculture de décrue, la Varzea, le long des fleuves. Mais la technique

la plus répandue est celle des champs surélevés ou Terra preta. Ils sont situés en arrière-mangrove ou dans les savanes inondables. Ce système est l’opposé même des polders. Plutôt que de creuser des canaux de drainage, les Amérindiens ont relevé le niveau du sol sous forme de buttes. Leur emplacement et leur disposition permettaient aux buttes d’être hydratées en saison sèche ou en saison des pluies, souvent entre un chenier et un marécage. Les dernières générations d’Amérindiens ont laissé derrière elles un passé beaucoup plus horticole ; en effet, on retrouve aujourd’hui comme exploitation dominante la culture sur brûlis héritée des Thémires qui ont su tirer parti des sols de bonne fertilité. Cependant on retrouve quelques agriculteurs haïtiens et noirs-marrons notamment qui surélèvent leurs plantations, une réminiscence du passé qui s’est probablement transmis de façon très locale et à la manière des Amérindiens, oralement.

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Aujourd’hui, on peut réellement dire que le paysage côtier actuel est le résultat de l’Amérindien précolombien et de la nature. C’est l’association du terrassement, des terres et de l’eau, et des ingénieurs naturels d’écosystèmes (fourmis champignons…). Car si les buttes sont encore visibles maintenant, c’est aussi grâce aux organismes ingénieurs. Leur bon état de conservation est du à l’action des organismes qui les habitent. C’est un paysage co-construit, d’abord par les dynamiques naturelles, puis par l’homme, enfin par les insectes. Le mélange subtil entre culture et nature. Si ces buttes se sont si bien conservées, c’est que les organismes y habitant les ont rendues poreuses. En effet, elles ont une capacité d’infiltration supérieure à la moyenne d’un sol de consistance similaire.

113


114

Source : gallica.bnf.fr


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Histoire coloniale

On ne peut nier l’évidence que l’apparition des colons fut un événement tragique pour les populations locales qui ont fini par disparaître ou être de moins en moins nombreuses. Les anciens peuplements amérindiens étaient de grands agriculteurs particulièrement adaptés à leur environnement et en phase avec le paysage. Cette culture se transmet, sous forme d’histoire, les connaissances acquises au cours du temps. Ce que ne possèdent pas les colons venus de loin. En raison de cela on peut dire qu’ils détiennent un rapport au paysage différent des locaux. Un rapport qui leur est propre, occidental, non adapté aux lieux. Mais on peut tout de même affirmer qu’ils ont contribué à façonner le territoire et à construire le paysage actuel de la Guyane. L’histoire coloniale s’étale sur plusieurs siècles. Aujourd’hui française, elle a très longtemps été disputée entre les espagnols et les anglais. Si Christophe Colomb découvrit par hasard les Amériques, c’est bien volontairement que les autres flottes vinrent s’amarrer aux côtes guyanaises. C’est en 1500 que le premier groupe de français s’installe sur l’Île de Cayenne, à l’aube de la colonisation. Cette tentative fut un réel

échec car les amérindiens, défendant leur territoire, détruisirent la colonie. Au XVIIe siècle, sous la régie du Capitaine Daniel de la Touche, on nomme pour la première fois cette terre France équinoxiale en raison de sa proximité avec l’équateur qui lui confère une durée de jour et de nuit égale. Le territoire englobe alors le Suriname, le Guyana et une partie du Brésil. S’en suit alors de nombreuses tentatives de colonisations. Les grandes flottes européennes telles que la Hollande, l’Angleterre, l’Espagne ou même le Portugal se mettent à la conquête de ces terres. En 1668, les jésuites s’installent en Guyane et fondent la maison Loyola vers Cayenne. Leur mission a pour but de convertir les locaux qui peuplent le territoire. Mais ils rencontreront un plus grand succès d’évangélisation auprès des esclaves et non pas des amérindiens comme prévu à l’origine. On peut dire que les jésuites avaient à l’époque le monopole dans le domaine religieux mais ils étaient aussi les maîtres de l’économie. En effet, la maison Loyola, tristement célèbre, a accueilli près de 500 esclaves. Elle est de loin la plus importante que l’on connaisse et eut des rendements importants comme avec la sucrerie par

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exemple, ou encore les exploitations de café, de coton, de cacao. Les jésuites ont donc eu un impact non négligeable sur l’économie de la Guyane et l’exploitation des terres. On retrouve leurs domaines et habitations répartis entre l’Oyapock et le fleuve Kourou sur une étroite bande côtière. L’Ouest guyanais n’est alors pas connu. Les jésuites seront expulsés en 1762, laissant à l’abandon les grandes architectures telles que celle de la maison Loyola. Au XVIII e siècle, et plus particulièrement en 1713, le traité d’Utrecht considère le fleuve Maroni comme la frontière ouest de la Guyane. Louis XIV abandonne alors l’actuel Surinam aux Portugais. La limite géographique avec le Brésil sera beaucoup plus compliquée à délimiter et le conflit ne prendra fin qu’en 1900. Sous l’ordre de Louis XV, une nouvelle colonie Française est destinée à s’installer en Guyane, 15000 personnes sont donc envoyées à Kourou en saison des pluies. Les trois quarts périront de maladies.

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118 Travaux forcĂŠs des bagnards - Source : http://bagnedeguyane.canalblog.com


Le bagne C’est en 1792 que l’on voit apparaître le premier bagne à Sinnamary. Une nouvelle tentative de colonisation est envisagée. Les prêtres réfractaires sont envoyés sur les lieux où ils vont périr en grande partie du fait de l’insalubrité des lieux. L’abolition de l’esclavage est voté en 1794. On remplace alors les esclaves par des religieux. Malheureusement elle fut de courte durée car rétablie en 1802. La Guyane connut alors une période plutôt prospère économiquement. Les bagnes sont des établissement pénitentiaires de travaux forcés. Le terme vient de « bagno » en italien, qui veut dire bain public et fait référence à ceux convertis en prison pour esclave à Constantinople. Le bagne est d’abord une façon d’éloigner de la France métropolitaine les individus trop dangereux mais surtout d’assurer l’économie de cette colonie française qu’est la Guyane. On parle alors de colonisation pénale. Il existe de nombreux camps qui vont se répartir essentiellement sur la côte guyanaise. Le plus important est incontestablement celui de SaintLaurent-du-Maroni, dont de nombreux sous-camps vont dépendre. Les bagnards sont répartis en trois catégories selon leur peine et ne vont pas avoir les mêmes responsabilités et actions sur le territoire. Les déportés sont les 3000 prisonniers politiques du coup d’état de Napoléon III. Lorsque la peine est inférieure à huit ans, les bagnards sont appelés les transportés. Après leur peine, ils doivent vivre sur le territoire pendant un temps égal à leur peine. Enfin, les relégués sont les individus dont la peine est supérieure

à huit ans. Ces derniers ne pourront retourner en France métropolitaine, c’est pourquoi on leur offre un lopin de terre pour s’installer définitivement en Guyane. Durant près de cent ans les forçats, ou bagnards, construisent des briqueteries et défrichent. Ils édifient ainsi des grands réseaux routiers ou les villes naissantes telles que Saint-Laurent-du-Maroni, travaillent sous une chaleur accablante à drainer les marécages et abattre les arbres. Les plus dangereux sont envoyés sur les nombreuses îles, livrés à eux mêmes, tandis que les plus dociles et les plus âgés peuvent cultiver, élever du bétail ou travailler dans les services publics. La période de bagne sur le territoire aura contribué au développement économique de la Guyane. Elle aura permis de développer les infrastructures et l’habitat selon les procédés coloniaux. Sans avoir la connaissance du territoire qu’ont les amérindiens, ils ont tout de même continué de développer l’agriculture et ont surtout largement défriché et exploité le bois de la forêt guyanaise. Durant tout ce temps de nombreux bagnards vont périr des conditions climatiques extrêmes, des travaux épuisants et des maladies transmises par l’insalubrité des camps. Les conditions des forçats se font connaître en France métropolitaine et la période de bagne prit fin. Les derniers bagnards furent libérés en 1953 après la seconde guerre mondiale.

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120 Anne-Marie Javouhey - Source : http://reflexionchretienne.e-monsite.com


Anne-Marie Javouhey

Dans ce contexte de société esclavagiste et de bagne, l’arrivée en 1828 de Anne-Marie Javouhey, religieuse clunisienne, à Mana marque un point important de l’histoire. Une petite centaine de personnes venue de métropole et constituée de sœurs religieuses, d’agriculteurs, d’ouvriers et d’enfants s’installèrent à Mana avec l’intention de développer les lieux. Des locaux, des terres et du bétail sont mis à leur disposition. Après quelques années, une grande partie des colons repartent en France métropolitaine. Seuls trois s’installent dans le commerce du bois, une ressource considérable en Guyane. La mère Anne-marie Javouhey fit face au départ des colons laïcs en rachetant des esclaves. Certains sont destinés à l’agriculture, d’autres à l’élevage ou encore à l’exploitation du bois, assurant des revenus à la colonie. Sous l’autorité de Cayenne, elle recueille 520 noirs. Elle leur apprend un métier, les christianise et les laisse repartir. La colonie de Mana correspond alors à l’actuel bourg de Mana et au village de Javouhey habité aujourd’hui majoritairement par des Hmongs où l’on trouve de nombreux terrains cultivés en maraîchage et arboriculture. En 1848, l’abolition définitive de l’esclavage fait fuir la

main d’œuvre et met fin à la prospérité économique de la Guyane. Grâce aux meilleures conditions de vie et de travail, en comparaison des autres esclaves de Guyane, il n’y eut pas de grandes émeutes. Le colonialisme est bien-sûr une tragique période pour les populations locales. Il a eu de nombreux impacts sur les populations et les cultures locales mais a également permis de développer le pays. La découverte du pays par les colons a rendu possible l’établissement des premières cartes. En revanche, le littoral et la Guyane intérieure n’ont pas été traités de la même manière, conduisant à une répartition inégale des populations sur le territoire.

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À l’ère contemporaine (fin XIXe siècle – XXIe siècle) Multiethnicité A la fin du XIXe siècle, un nouveau dynamisme se met en place en Guyane. C’est le début de la ruée vers l’or. De nombreux Libanais et Chinois, attirés par ce nouveau souffle, vont s’installer sur le territoire. Au tout début du XXe siècle, la tragique éruption de la montagne Pelée qui fit des milliers de morts fit fuir les Martiniquais. La Guyane fut alors la principale destination de ces réfugiés. En 1946, la Guyane devient officiellement un département d’Outre Mer de la France. Le but premier étant de sortir le territoire de la précarité et de le développer économiquement et socialement. Cependant, en dépit de toute bonne volonté, l’effet inverse se produit. La fermeture des bagnes fit chuter considérablement l’économie et le territoire subit un dépeuplement massif. Les années suivantes ont remis d’aplomb la Guyane et de nombreuses populations s’y sont installées. Notamment dans les années 1980 et 1990 où des milliers d’Haïtiens et de réfugiés Hmongs sont venus s’installer en Guyane. Le département français est un véritable territoire d’accueil pour les sans papiers. Aujourd’hui on compte énormément d’ethnies sur le territoire. Rien qu’à Mana il y en a plus de seize. Cela a pour conséquence un mélange de cultures et de savoirs-faire qui s’observe sur

l’architecture par exemple. Le paysage bâti est hétéroclite et dispersé. Il y a aussi beaucoup d’habitat illégal formant parfois des villages informels. Mais cela a pour conséquence, du fait du manque de formations, un chômage très élevé car le développement du territoire par les colons est inadapté aux multiples cultures qui ne parlent parfois pas la langue ou n’ont pas les mêmes coutumes. Il y a donc sur le territoire un fort taux de chômage, beaucoup de locaux vivent de cultures vivrières et de nombreux métropolitains viennent travailler en Guyane avec en plus de cela un turn-over important. Il y a donc de l’emploi sur le territoire qu’il faut rendre accessible aux populations locales. De plus la création d’emplois liés à l’agriculture et à l’écotourisme sont des pistes à développer, adaptés au contexte guyanais ils permettront des emplois pérennes.

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Les immigrations en Guyane. Source : Serge MAM-LAM FOUCK Histoire Générale de la Guyane Française - 1996. INSEE-2000

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L’orpaillage, catastrophe écologique

Au début du XXème siècle, l’orpaillage est toujours très répandu. Pendant une vingtaine d’années de nombreux chercheurs aurifères vont parcourir le territoire, remonter les fleuves et longer les criques. Depuis les années 2000 l’orpaillage ne cesse de faire parler de lui et anime des débats houleux. Aujourd’hui encore cette activité est une source économique pour le territoire. Mais qu’elle soit légale ou non, c’est un véritable fléau pour l’environnement. L’orpaillage a de réels impacts sur le paysage et les populations. Généralement les filons aurifères proviennent de sommets essentiellement situés dans l’intérieur de la Guyane ou sur les cours d’eau. Premièrement l’exploitation de l’or cause la destruction de la forêt primaire qui forme un habitat de grande importance pour la faune et la flore qui s’y développe. Deuxièmement, cette activité nécessite des produits toxiques tels que le mercure ou le cyanure qui sont rejetés directement dans les sols et les cours d’eau. En 2005, plus de 4000 kilomètres de fleuves et rivières étaient impactés par les pollutions en aval des chantiers. Ces produits toxiques touchent directement les populations vivant en forêt. Elles possèdent un taux de mercure plus élevés que la moyenne car elles se nourrissent de poissons contaminés et de gibier buvant l’eau polluée. De plus la majeure partie des populations habitent le littoral qui se situe en aval des cours

d’eau. Les eaux polluées se jettent directement dans la mer et les bourgs, villages et villes généralement situés aux bord des cours d’eau sont impactés. Aucune population n’est donc épargnée. La région de Mana et les rizières pourraient être directement touchées, s’il a lieu, par le projet de montagne d’or qui se situe en amont sur le fleuve Mana. Les rizières alimentées par les eaux de la Mana pourraient donc être polluées et la faune contaminée. L’orpaillage est certes un apport économique pour la Guyane mais il se fait au détriment de l’environnement et n’est pas durable. Le territoire possède énormément d’atouts. La Guyane, avec une surface couverte à 98% d’arbres est l’un des territoires les plus forestiers au monde. Son littoral possède une diversité de paysages incroyables. Ce qui en fait un pays des plus riches en biodiversité. Son réseau hydrographique irrigue largement le territoire, source de vie. Ses forêts luxuriantes abritent une faune variée répartie du sol à la canopée. Les Savanes laissent voir les lointains et la proximité de la mer permet de tirer partie des ressources marines. La Guyane a donc réellement de quoi se tourner vers des revenus économiques durables. Elle a largement la capacité de développer des emplois pérennes autour de la ressource qu’est la biodiversité, comme avec un écotourisme par exemple.

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125 Déforestation d’un site d’orpaillage - source WWF


126 © ASAH


L’exploitation agricole du territoire L’histoire du polder de la Savane Sarcelle est plutôt récente. On sait que la culture de riz existe au moins depuis les deux derniers siècles, il s’agissait de riz pluvial cultivé en quantité peu élevée sur abattis, la forme d’agriculture traditionnelle la plus pratiquée en Guyane. Mais ce n’est que vers 1975 lors du lancement du plan vert que l’histoire du polder de la Savane Sarcelle commence réellement. Dès lors, on tente dans le département la riziculture irriguée a grande échelle. Un canal de drainage est creusé et une partie du site commence à être cultivée. Au nord de ce canal apparaît alors un marais d’eau saumâtre qui évoluera par la suite en mangrove et à l’est un marais d’eau douce. En 1980, la Savane Sarcelle est désherbée, puis on y retire la couche de pégasse jugée trop acide pour cultiver. La surface du polder a donc considérablement augmenté. On y effectue deux récoltes par an. Les frères Kalloe créent la société agricole de Mana (SAM) sur la rive gauche du fleuve, puis les frères Hollandais Van Uden forment la Compagnie Rizicole de la Savane Sarcelle (CRSS) sur 1000 ha. En 1988 de nouveaux exploitants arrivent et cultivent le riz Paddy. La filière se met en place afin de développer le riz sur le modèle de la Camargue avec de grands moyens, une mécanisation importante et des traitements phytosanitaires pulvérisés en avion. Dans les années 1990, le pont à l’entrée de Mana est enfin construit et enjambe le fleuve, favorisant considérablement les échanges. Dès 1994 les difficultés financières s’installent. En 2003, la menace de l’érosion est trop forte

et le banc vaseux qui protégeait le polder a migré vers l’ouest. Les rizières sont donc situées dans un interbanc, une fenêtre de vulnérabilité où la houle attaque le cordon sableux. Progressivement la mer grignote les rizières. L’érosion détruit une partie du canal de drainage principal. Alors que les rizières ont déjà perdu une bonne partie de leur surface, une décision d’urgence est prise. Des travaux pour le recul du canal de drainage à l’est des rizières parallèlement à la mer sont effectués. Une partie est achevée en 2004, la mer le détruit à nouveau en quelques mois. En 2008 les rizières sont protégées de l’avancée de la mer en sacrifiant des casiers qui acceptent l’entrée de mer pour limiter les dégâts. On y prélève de la terre pour construire des barrages qui prennent comme axe un cordon dunaire existant depuis 6000 ans. En 2010, c’est la faillite. La menace de l’érosion n’est pas le seul responsable. Le renforcement des législations contre l’utilisation des produits phytosanitaires et la concurrence du Suriname, ainsi que la vétusté des infrastructures et des équipements sont autant de causes d’abandon. En 2013, la société Agriyane rachète 3300 ha de terre. Aujourd’hui, le polder est aussi occupé de manière informelle par les locaux et l’abandon de la riziculture conduit à la fermeture du milieu. La commune de Mana possède un énorme potentiel agricole qu’il convient de mettre en valeur dans le projet.

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La Guyane et plus particulièrement son littoral est un paysage mouvant en tout point. D’abord, en ce qui concerne les dynamiques naturelles, puis pour les dynamiques anthropiques. La formation géologique nous montre que depuis toujours le paysage est en constante mobilité. Bien souvent, la vision anthropocentrée qu’a l’homme fait qu’il en oublie qu’il se situe au milieu de paysages évolutifs. Remonter si loin dans le temps permet de rappeler que l’Homme n’est qu’une infime partie de l’histoire comparé aux temps géologiques. Les dynamiques naturelles qui ont façonné le paysage d’aujourd’hui continuent leurs actions. Prétendre pouvoir lutter contre serait prétentieux, il faut s’adapter. Qu’on parle d’activités ou d’habitat, l’adaptation est la clé pour ne pas subir les aléas des dynamiques naturelles. La Guyane est un territoire de mobilités. L’Homme dans sa quête de découverte a toujours été mobile, du nomadisme au sédentarisme. Notre époque contemporaine est à la fois en constant progrès et en recul permanent. La modernité nous conforte dans la volonté de construire toujours plus. Plus vite, plus grand, en dépit des paysages qui nous entourent. Cela est valable pour l’habitat mais aussi pour l’agriculture et les infrastructures qui répondent à la modernité grandissante. Peut-être faut il repenser le contexte socio-économique et faire preuve de simplicité et d’humilité pour construire le monde de demain?

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VOI P 130


R PROJET 131


L’adaptation à la dynamique d’érosion Impliquer les populations locales

Les rizières de Mana sont très fortement soumises à la dynamique d’érosion, plus que n’importe quel autre site du littoral. Les dynamiques naturelles qui régissent l’évolution du trait de côte sont particulièrement variables et incertaines. Il est donc très compliqué de prévoir quelle transformation va subir le site. Cependant, trop longtemps l’homme a cherché à contrôler et prévoir. Aujourd’hui il est temps de s’adapter et coévoluer avec les dynamiques naturelles. Dans ce projet, s’adapter c’est implanter dans activités qui ne viennent pas en contradiction avec l’érosion côtière. C’est à dire que les activités s’implanteront selon un gradient de vulnérabilité. Les activités les plus sensibles, telles que le maraîchage, nécessitant du sol et de l’eau douce, pourraient s’installer en bordure de cordon sableux ancien, proche de la route, tandis que l’élevage, dont les bêtes peuvent être déplacées, pourrait s’installer sur une large surface entre le maraîchage et l’arrière mangrove. C’est cet espace qui pourrait voir sa surface diminuer en cas de forte érosion et du recul de la mangrove. Il semble important de préciser le projet promeut des aménagements s’intégrant au site, les plus simples possibles et

légers, puisque menacés par l’érosion. S’adapter c’est aussi et avant tout accepter. Accepter de revoir la posture de l’homme face aux éléments naturels. Accepter de donner plus de place à la nature. Bien que l’abandon des rizières peut être vu comme un échec, je propose de voir ce site comme une opportunité. L’opportunité de développer de nouvelles activités résilientes sur un littoral mobile. L’acceptation et l’adaptabilité passe par une implication des populations locales dans le projet. Les rizières de Mana pourraient, comme pour les jeux Kalin’a d’Awala-Yalimapo, organiser un événement annuel qui permettrait de valoriser et de partager les cultures de Mana. Cela pourrait donner l’opportunité aux Guyanais de se réunir une ou plusieurs fois dans l’année, sous forme de jeu en mettant a disposition quelques prairies de repos. Cela permettrait réellement de fédérer les populations autour des rizières et de les impliquer dans la transition de ces dernières. L’implication des populations locales sur le polder passe aussi par la création d’emplois pérennes. Les nouvelles activités qui s’implanteront sur le polder seront plus durables et permettront des emplois locaux.

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Sensibiliser et dédramatiser

Les rizières de Mana pourront accueillir de nombreux touristes en quête de nature idyllique. Ce site est l’occasion parfaite d’informer le public à ces problématiques d’érosion mais également à la démarche Adapto, aux ambitions et au fonctionnement du conservatoire du littoral. Apporter cette connaissance pourra prendre la forme de panneaux d’informations illustrés dispersés sur le site mais aussi sous forme de visites commentées par des spécialistes des littoraux par exemple. L’information sur site permettra de dédramatiser la situation dans le cas d’une mangrove en recul, en expliquant que l’évolution du trait de côte est une dynamique naturelle et que le profil morphosédimentaire de ce dernier a changé au cours du temps, que c’est un phénomène de longue date. Cela permettra de replacer la condition humaine face à l’évolution géologique du site. Cela à pour objectif de faire comprendre que l’homme ne peut indéfiniment lutter contre les aléas naturels mais qu’il doit s’adapter et utiliser la nature comme un allié. La nature rend de nombreux services écosystémiques et en réfléchissant de manière intelligente il est possible de les tirer à l’avantage de l’Homme. C’est

pourquoi je propose un projet dont les économies s’adaptent à l’évolution du trait de côte. En offrant plus ou moins d’espace à telle ou telle activité, en donnant un peu plus de liberté de mouvement à la mangrove.

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Cordon sableux ancien Route

Prairies Usine

Aujourd’hui : 2019, un milieu qui se referme et soumis à l’érosion côtière

Demain: 2030, des activités installées selon un gradient de vulnérabilité

Après-demain: 2050, des activités qui s’adaptent et reculent en fonction de l’érosion côtière

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Mangrove Chenier

Mer

Plage Vasières

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Poteaux tĂŠmoins


S’appuyer sur les points clés du site Une diversité de paysages qui font la beauté du site

Les rizières de Mana sont, comme nous l’avons vue précédemment, un paysage aux multiples facettes. C’est une vraie mosaïque de paysages qui s’offre à nous. Une partie du projet se base sur cette incroyable richesse. Je parle notamment des parcours écotouristiques qui prendraient deux formes. D’abord, il existerait trois transects qui permettraient d’appréhender les différentes entités des rizières. Puis, d’autres traversées seraient créées, longeant les parcelles d’élevage, rejoignant une digue à l’autre pour former des boucles. Le premier transect partirait depuis le cordon dunaire ancien boisé, traverserait ensuite les vastes et planes rizières où l’on peut observer aigrettes et autres oiseaux se restaurer. Puis il passerait sur

le chenier afin de rejoindre la mangrove qu’il faudrait traverser. Enfin, l’arrivée sur la plage se ferait sentir par une légère brise et une ouverture sur l’horizon. Le deuxième transect serait une traversée latérale des rizières. Il permettrait de profiter d’un paysage rythmé par les canaux et les prairies. Passant d’un milieu largement ouvert et vaste à des canaux cadrant la vue sur un mince couloir qui mène sur le lointain cordon dunaire et reflète le ciel. On peut également y découvrir les tapis de jacinthes et les mouvement furtifs des jacanas. Enfin le troisième transect se ferait sur le chenier. Cette traversée aux heures les plus chaudes est surement la plus difficile et destinée aux aventuriers les plus aguerris. Quelques grands arbres

Cordon dunaire ancien

Chenier Prairies

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Transect 2 : Un paysage rythmé

peuvent cependant procurer de l’ombre. Parcourir ce transect en cheval peutêtre une bonne solution afin de profiter d’un point de vue légèrement plus haut et d’effectuer la traversée plus aisément. De manière générale les parcours se feraient sur les digues de taille plus ou moins importante qui bordent les canaux d’irrigation ou de drainage. Tout ceci prendrait effet sur les parcelles du conservatoire. À plus long terme, dans une démarche de développement territorial, je propose une réflexion à plus large échelle. Le parcours effectué sur le chenier pourrait être prolongé sur la totalité de sa longueur, soit environ 20 kilomètres afin de rejoindre l’extrémité ouest des rizières et se rapprocher du bourg. Le chenier passant à travers le terrain privé de la société Agriyane, un

droit de passage pourrait être envisagé. Le transport en pirogue qui existe déjà en Guyane, pourrait davantage être exploité et une liaison entre les rizières et le bourg en pirogue permettrait un accès plus direct en évitant de prendre la route et son véhicule. Enfin le sentier du littoral qui s’installerait dans l’épaisseur du cordon dunaire ancien devrait vraiment être réalisé afin de lier le bourg, les rizières, le nouveau marché et tous les autres pôles importants pour le développement agricole et touristique de la région. De plus celui ci permettrait de connecter tous les espaces en voie douce en offrant un chemin sécurisé pour tous les marcheurs et autostoppers. Ces derniers bénéficieraient d’ailleurs d’un arrêt en bord de route à mesure fixe, par exemple à chaque kilomètre.

Cordon dunaire Mangrove

Vasières

Transect 1 : Du bois à la plage 137


Des repères visuels témoins de l’histoire

Lorsque les rizières étaient encore exploitées de façon intensive, quelques usines ont vu le jour. Mais aujourd’hui elles tombent en ruine car elles sont inexploitées. Malgré leur état plus ou moins délabré, elles forment des repères visuels importants. L’usine la plus abîmée marque l’extrême ouest des rizières ce qui en fait un point clé comme repère dans ce vaste paysage. La végétation qui l’a envahie et ses couleurs dans les tons verts la rendent plutôt discrète de loin mais pourtant bien visible grâce à sa taille importante. Son état de délabrement est un parfait marqueur temporel et témoin de l’age d’or de la riziculture. La conservation en l’état après sécurisation des lieux est souhaitable. L’évolution de cet édifice face au temps servira de repère spatiotemporel pour quiconque s’intéresse à l’histoire des lieux. La deuxième usine appartient aujourd’hui à la société Agriyane. Cette dernière est dans un état de délabrement moins important. Située sur l’ancien cordon dunaire elle est surélevée face aux rizières et sa taille importante fait d’elle un point de repère remarquable. Il serait intéressant de pouvoir la réhabiliter et la transformer afin d’en faire un point de départ des activités, un point de rassemblement

autour duquel viendrait graviter toute la connaissance et l’information. Le sommet de l’usine serait accessible aux visiteurs comme belvédère. Cette dernière peut être ouverte au public afin de le renseigner sur la marchandise et les modes de production. Elle pourra subir une reconversion suite à l’abandon de la riziculture. Une partie pourrait être réservée au marché couvert par exemple. Cela ne signifie pas l’abandon de son usage agricole pour autant. Ici pourrait s’installer le nouveau marché local en dialogue directement avec les rizières d’un côté et les habitations de l’autre côté de la route. Dans un premier temps, afin de développer l’activité écotouristique sur les parcelles du conservatoire, il semblerait nécessaire d’avoir une « Maison des rizières », un lieu d’accueil et d’information à proximité des parcelles. La réhabilitation de l’usine peut venir dans un second temps. Un partenariat avec le lycée pourrait être initié afin d’une part de servir de mise en situation pour les élèves du BTS tourisme en apprentissage et d’autre part d’avoir des agents d’accueil pour la «  Maison des rizières  » par exemple.

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Usine de la société Agriyane

Usine délabrée

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Usine délabrée

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Lycée MFR Abattoir

140 Schéma d’intention pour l’évolution agricole et touristique du polder

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Axe routier Parcours écotouristiques

Canal principal d’irrigation Canal principal de drainage Canal secondaire d’irrigation Canal secondaire de drainage

1 Traversée longitudinale des entités . Prairie, chenier, mangrove, plage 2 Traversée sur le chenier. 3 Traversée laterale. Alternance praires et canaux.

Poche d’eau saumatre Mangrove

Intersections, espaces repos ombragés

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Emprise du chenier

Points clés et d’interêts

Plages

Parking

Parcage bovins/bubalins

Terrain privé Lieux de pêche sur canaux d’irrigation

Point stop tous les 1km Sentier du littoral

Espaces de maraîchage

Rotation, transhumance

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Zone tampon Habitats diversifiés avec variation des niveaux d’eau Liaison Bourg-Rizières en pirogue

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Accueil

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Groupe de visiteurs Canaux d’irrigation

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Demain, une mosaïque de milieux aux habitats diversifiés

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Milieu en cours de fermeture

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Casier inondé Carbet d’ombrage

Aujourd’hui, un milieu qui se referme

Casier hors d’eau

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L’agriculture Adaptée au contexte de l’Ouest guyanais

L’Ouest guyanais connaît une vraie croissance démographique. La demande alimentaire est donc de plus en plus importante. Mana représente 25 % de la surface agricole utile de la Guyane. Elle est également le troisième pôle bovin et le deuxième pôle maraîcher. Sans compter la maison familiale rurale et la possession du deuxième abattoir de Guyane. Elle est donc parfaitement adaptée à un contexte agricole. C’est pourquoi il est important de tourner une partie du site vers l’agriculture, pour conserver l’identité des lieux et répondre à la demande croissante en nourriture. On sait déjà que la vente directe, les circuits courts fonctionnent actuellement sur le territoire, on le voit par exemple à la vente de proximité des productions vivrières le long des routes ou aux marchés qui ont lieu quasiment tous les jours de la semaine dans différentes villes de l’Ouest guyanais. De plus Mana forme réellement un point de bascule pour ce système de production et de consommation locale. La création de deux marchés locaux supplémentaires, à la frange des rizières et à Awala-Yalimapo permettrait de tisser une toile sur le territoire.

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Développer l’élevage pour tendre vers l’autonomie alimentaire

Aujourd’hui, les productions vivrières et maraîchères satisfont la demande locale, à contrario de la production animale qui ne représente que 20 % de la demande locale. Il y a beaucoup de viande importée, ce qui ne favorise pas le développement du territoire. C’est pourquoi l’élevage est l’un des enjeux majeurs en Guyane car il permet de tendre vers l’autonomie du territoire. Après la chute économique de la filière rizicole, les nombreuses parcelles disponibles sont tout à fait capables d’accueillir la filière d’élevage. De plus la présence d’un abattoir et de la Maison Familiale Rurale le long de la route de Mana à Organabo est un avantage considérable. Pour que cela fonctionne il faudrait tout de même que le kilo de viande vendu soit compétitif à celui de la viande importée même si aujourd’hui les consommateurs n’hésitent pas à dépenser un peu plus pour des aliments de qualité. L’élevage bovin et bubalin, autrement dit de zébus et de buffles est très adapté au site. Ce sont deux espèces ayant une très grande tolérance à l’eau et aux terrains inondés, parfaitement adaptées aux rizières. De plus les buffles engendrent peu de charges car ils sont très rustiques.

Ils possèdent une bonne qualité laitière et sont une race de viande docile, ce qui permet d’être conduit facilement en agriculture biologique. Il faut cependant faire attention à limiter le pâturage car mené de façon excessif, cela mène à amoindrir la qualité du site et la quantité de graminées qui poussent moins voire plus du tout. La présence des canaux dans les rizières est un atout pour les buffles et les zébus qui apprécient les milieux humides et qui permettent de les entretenir. Il faudra cependant limiter l’accès aux berges car la surfréquentation peut mener à leur dégradation. Mener une activité d’élevage sur le polder permet de garder le milieu ouvert, comme l’a toujours été le site et donc conserver cet aspect historique du site. La présence de faune telle que des buffles dans les rizières attire, c’est le tableau d’une nature idyllique que les touristes viennent chercher sur le site. L’activité d’élevage a un grand intérêt pour la flore et la faune sauvage car elle permet d’entretenir le site et donc de conserver les milieux ouverts apprécié de l’avifaune et elle n’exerce aucune pression sur les populations d’oiseaux sauvages.

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Awala-Yalimapo Mana

Javouhey

St-Laurent du Maroni

Dynamique agricole du territoire


Maison familiale rurale

0

5 Km Abattis Arboriculture Maraîchage

Abattoir

Marchés existants Rizières

Marchés créés Elevage

Iracoubo


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Pour un retour des oiseaux

La culture du riz, bien qu’inexistante aujourd’hui, est depuis longtemps pratiquée en Guyane et encore plus sur le polder depuis les années 1980. Bien que les oiseaux étaient déjà présents avant la création du polder, son exploitation en riziculture a permis le maintien des populations. En offrant du riz comme nourriture. Les rizières qui offrent de grandes étendues et des horizons lointains devraient être associées à des prairies qui offrent le même aspect paysager. Ce sont ces prairies qui pourront accueillir les élevages de buffles et de zébus. Une rotation devrait également être envisagée entre les prairies inondées, les prairies laissées au repos et fauchées et les rizières. Cela permet d’amoindrir les parasites. Les prairies au repos permettront d’offrir du foin après fauche pour l’élevage. Ces prairies rases sont très appréciées des oiseaux car elles offrent des espaces de repos et donnent une bonne visibilité sur les prédateurs. Afin de conserver cet aspect paysager et nourricier, il serait intéressant d’avoir des parcelles dédiées à la culture d’espèces fourragères qui répondent vraiment à la demande locale pour le bétail.

c’est le contexte de l’Ouest guyanais. Afin de conserver l’histoire il pourrait être envisagé d’avoir de façon minime, quelques espaces de riziculture. Les parcelles dédiées feraient l’objet de mesures agro-environnementales et climatiques. Avec les réglementations liées à l’utilisation des produits phytosanitaires il peut-être difficile de cultiver du riz. Les rizières pourraient être conduites en agroécologie. Par exemple la rizipisciculture. Les poissons amendent le sol avec leurs fèces et mangent les larves d’insectes nuisibles. De même que l’association avec des canards peut être envisagée, cependant cela nécessite plus de moyens et d’infrastructures contre les prédateurs.

Mais la culture de riz c’est également l’identité de la commune, du polder,

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Des activités complémentaires pour une diversité de paysage

Le maraîchage est déjà plutôt répandu sur le territoire notamment avec la culture sur abattis que l’on retrouve le long de la route de Mana à Saint-Laurentdu-Maroni par exemple mais aussi sur celle d’Organabo à Mana. De plus on recense trois marchés qui permettent la vente locale. Celui de Saint-Laurentdu-Maroni, celui de Javouhey et celui de Mana. Le développement plus conséquent du maraîchage contribuerait à rendre le territoire de plus en plus autonome et favoriserait la vente en circuit court. Les parcelles maraîchères sont à imaginer plutôt en lisière, entre la route et le polder pour des questions de facilités d’accès et de salinité de sol. A long terme, après quelques années passées, il pourrait être envisagé d’imaginer de façon hypothétique, d’autres types d’exploitation des sols. Par exemple, la canne à sucre adaptée au site et au sol. Sa transformation en rhum à Saint-Laurent-du-Maroni pourrait apporter une plus-value au produit. Une activité complémentaire de pisciculture pourrait être imaginée dans les rizières. Il existe un poisson appelé atipa, naturellement présent sur le site pêché par quelques locaux. Une exploitation très simple et naturelle serait peu coûteuse.

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Rénovation des canaux hydrauliques

Afin de pouvoir mener à bien le projet il faut une remise en état des canaux. Nombre d’entre eux sont en train de se combler et il est nécessaire d’intervenir si l’on veut préserver un habitat favorable à la faune du polder. De plus afin de pouvoir inonder certains casiers il est nécessaire d’avoir un bon fonctionnement. Les nouveaux usages du site permettront une mise en eau partielle des parcelles pour les prairies, après pâturage ou encore pour les buffles qui apprécient les terrains humides et d’offrir une diversité d’habitats pour l’avifaune. Mais il est inutile de faire de gros travaux, on est dans l’incertitude, on ne connaît pas et on ne peut prévoir réellement l’évolution du polder, comme la surface de terre qui va être submergée et la quantité de parcelles qui vont disparaître. L’idée est de créer un système le plus simple possible où l’on

s’adapte. Le rejet d’eau douce dans la mer au nord permettrait d’avoir des milieux saumâtres propice au développement de certaines espèces comme les gros yeux ou les crevettes brunes. Autrefois, la Savane Sarcelle offrait des eaux saumâtres indispensables au développement des larves de crevettes. À terme, la restauration de ce milieu pourrait être envisagée pour faciliter le retour de la crevette brune. Mais attention de ne pas avoir une fragmentation de la mangrove qui accentuerait sa vulnérabilité.

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155 Coupe montrant l’installation des observatoires ornithologiques


Pointe Iisère Réserve Naturelle de l’Amana Awala-Yalimapo Mana

Rizières de Mana

Parc Naturel Régional de Guyane

Crique et marais de Yiyi

A

Iracoubo A

St-Laurent du Maroni

Sinnamary L’Écotourisme Un chapelet de sites touristiques

Aujourd’hui il y a peu d’usagers du site. On y rencontre quelques locaux se promenant, des chasseurs et des pêcheurs. Mais il est peu probable que les touristes du monde arrivant à l’aéroport de Cayenne se déplacent à Mana uniquement pour voir des rizières abandonnées. Des rizières, qui plus est, qui semblent monotones, où la biodiversité et les populations d’oiseaux diminuent, et dont le milieu se referme. Pourtant le site a plein de potentiel et de nombreuses opportunités sont à saisir pour transformer ce lieu. Les Rizières de Mana s’inscrivent désormais dans un chapelet de sites appartenant au Conservatoire du Littoral. Il semble intéressant de proposer un itinéraire de contemplation qui mènerait de site en site le long du littoral allant des marais aux forêts classées, du Conservatoire du Littoral aux Réserves Naturelles. Un itinéraire qui permettrait à chaque touriste de découvrir la grande diversité

de paysages et la richesse biologique de la Guyane. Cet itinéraire pourrait être l’occasion de créer des emplois spécifiques comme des guides du littoral par exemple. Idéalement un sentier du littoral piéton et cyclable serait créé et servirait de base pour cet itinéraire de contemplation. Le long des rizières, ce sentier serait situé sur le cordon sableux de la plaine côtière ancienne un peu plus haut en altitude. Il longerait les rizières offrant une vue imprenable sur l’immensité des prairies et bénéficierait de l’ombre des grands arbres. Il rejoindrait différents points de repères comme l’usine, la Maison Familiale Rurale et l’abattoir. Mais il pourrait également lier le projet de logements temporaires notamment pour la saison estivale par exemple ou des parkings les plus naturels possibles parmi les arbres.

Dynamique touristique

A


Île royale îles du Salut

CAYENNE

Pointe Buzaré Coline de Montabo Anse de Montabo Coline de Bourda

Kourou

Salines de Montjoly

Réserve Naturelle du mont Grand Matoury

Réserve Naturelle Régionale Trésor

Point de vue A

Artisanat Ruines PNR

Réserves Naturelles Sites du CDL

0

20 Km

Îlets de Rémire Réserve Naturelle du Grand Connetable

Réserve Naturelle des Marais de Kaw


Route d’Organao à Mana

Route d’Organao à Mana

Espaces de repos

Place de parking dissimulées

Sentier du littoral

158 Des gîtes comme nouvelle offre de logement et un sentier du littoral surplombant les rizières


Sentier du littoral

Habitats temporaires divers

Canal d’irrigation principal

Casiers

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Entre visites libres et visites guidées

Il y a pleins de chose à voir dans les rizières. Ne serait-ce que, pour les amoureux de nature, des canaux bordées de moucou-moucous, des cheniers au sol sableux et couverts de palmiers, des mangroves monospécifiques à travers lesquelles on perçoit de temps en temps une biche des palétuviers ou bien encore les vastes étendues de prairies qui laissent respirer et offrent un grand bol d’air. Les rizières sont bien plus que monotones et un regard attentif saura le voir. C’est pour cette raison qu’elles doivent d’une part être accessibles en libre accès pour le public, où chacun viendra y voir ce qu’il aura envie d’y voir et d’autre part être soumises à des visites organisées et commentées qui offriront toute la connaissance et la sensibilisation que le touriste désire. Je propose des boucles de promenades à pied ou en cheval. Les chevaux utilisés seront les mêmes que ceux nécessaires pour guider les élevages de buffles et zébus. En fonction du moyen utilisé et de l’itinéraire, il est important de penser aux zones d’ombres. En effet en saison sèche, les rizières sont très exposées au soleil et la chaleur peut vite devenir suffocante. Il est important de penser à la production d’ombre par les arbres (peu présents) ou par la réalisation de carbets par exemple, très communs sur le territoire et ancrés dans l’identité des lieux. D’autres boucles de promenades peuvent être imaginées en canoë par exemple, dans les canaux. Ces différents

moyens de transport offrent des points de vues différents, plus ou moins hauts, et ne donnent pas à voir la même chose, le même paysage. Puisque l’un des enjeux fort du projet est de bénéficier d’un lieu de préservation pour la biodiversité, il est nécessaire de ne proposer que des activités écoresponsables, non bruyantes, ne dérangeant pas la faune en place. L’installation du projet va permettre une recrudescence de la faune et des populations d’oiseaux, ce qui va accroître l’attrait des chasseurs pour le site. L’interdiction totale de cette activité n’est pas envisageable. Il suffira de mettre en place des zones de protection, des espaces protégés sur lesquels la chasse ne sera pas autorisée. Cela permettra d’offrir des zones de refuge et de développement pour les nouvelles générations d’oiseaux. De plus les espaces protégés pour les oiseaux seront mis à disposition du public. Des observatoires ornithologiques seront donc implantés sur place se fondant dans le paysage afin d’assurer la plus grande discrétion. L’écotourisme devrait permettre de faire connaître l’aspect naturaliste du site, mais aussi la riche histoire de ses occupants et l’importance de la filière agricole sur le territoire. Des guides naturalistes pourront parler de la faune et de la flore, les touristes pourront assister à des démonstrations du système agricole en place.

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161 Des carbets comme lieu d’ombrage aux intersections


Route d’Organabo à Mana Habitations

162 Repenser la relation entre production et consommation

Groupe de visites agrotouristiques


Belvédère

Sentier du littoral Nouveau marché

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Conclusion

Dans ce contexte de paysage évolutif et de littoral influencé par l’Amazone, la Guyane est un territoire à enjeux. Le projet des Rizières de Mana est à voir à plusieurs échelles. En effet, ce projet est important pour le développement économique de la commune mais également pour le littoral. C’est un projet qui amorce une transition du territoire vers un paysage résilient, adaptable et mobile. Les populations sont majoritairement implantées sur le littoral construisant des villes à proximité directe de la mer, nécessitant de nombreux logements et de grosses infrastructures. À l’avenir, il est indispensable de repenser l’habitat afin de concilier hausse démographique et dynamique côtière à risque. À l’image des habitats traditionnels amérindiens, mobiles et éphémères en privilégiant les matériaux naturels, alliant savoirsfaire locaux et technicité contemporaine, un type d’habitat est à inventer. Le développement touristique de la Guyane essentiellement basé sur la découverte de l’architecture et de la faune est à diversifier. Avec un écotourisme mettant en valeur la richesse biologique du territoire et un agritourisme basé sur la découverte des pratiques agricoles locales. En Guyane, une partie de la population locale pratique déjà une

agriculture vivrière. Il semble important de tendre vers une économie durable et résiliente qui génère des emplois pérennes et des emplois locaux que se soit pour l’agriculture ou le tourisme. Afin de pallier à l’importation de viande, la filière d’élevage doit être davantage développée et les marchés locaux multipliés. L’agriculture est un fort enjeu si l’on veut répondre à la demande de la croissance démographique et tendre progressivement vers l’autonomie alimentaire. Enfin, les transports sont à améliorer et diversifier. Un sentier du littoral pourrait être crée afin d’offrir un cheminement piéton et cyclable qui servirait de guide vers tous les sites touristiques du littoral. Les transports fluviaux tels que les bateaux légers ou les pirogues pourraient aussi être développés et l’utilisation des transports en communs comme les bus davantage encouragée. Le projet développé sur le Polder de la Savane Sarcelle s’inscrit dans diverses échelles qui permettront peut-être de faire naître l’ambition de devenir l’un des pays modèles en terme d’adaptation climatique, d’adaptation à la mobilité constante du territoire et du trait de côte.

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TRANSPORTS

AGRICULTURE

TOURISME

HABITAT

168 un littoral plus durable et résilient


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Remerciements

Tout d’abord merci à Patrick Moquay et Béatrice JulienLabruyère pour m’avoir permis d’accéder à cette étude paysagère et avoir su m’accompagner tout au long du travail. Merci à Lucie Mato pour ses merveilleuses explications, son implication dans le projet et pour les visites de terrain. Merci à Eric Girard, Patrick Bazin et Alain Freytet pour les échanges et les conseils. Merci à Yvonne Battiau Queney et tous les organisateurs du voyage EUCC France. Merci à tous les participants scientifiques et habitants qui nous ont apporté leurs connaissances. Merci à Johan Chevalier, François Fromard, Valérie Morel, Morgane Ballet Baucor, Isabelle Lise, Adrien Privat et Manuel Moisan pour les discussions. Merci à François Longueville qui a su donner de son temps pour une relecture et des conseils. Merci à Jean-Marie Havar pour le tour de benne, son écoute et sa force de conviction.

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Lexique Abattis : Système agraire, aussi appelé agriculture sur brûlis, dans lequel les champs sont défrichés par le feu permettant un transfert de fertilité puis cultivés pendant une période brève pour être ensuite mis en friche Accrétion : Accumulation de sédiments Anthropique : Se dit de tous les phénomènes qui peuvent être conséquents de la présence ou de l’action de l’être humain Barre pré-littorale : Cordon de sable ou de gravier long et étroit en bordure d’une côte ou d’une rive, enfermant le plus souvent une lagune. Bubalin : Relatif à l’élevage de buffles Chenier : Type de plage sableuse formée sur un substratum de sédiments fins dans une côte caractérisée par des phénomènes d’accrétion et de recul Érosion : Ensemble des processus responsables du recul du trait de côte Euryhalin : Se dit d’un organisme supportant de grandes variations de salinité Morphosédimentaire : Relatif à la forme du trait de côte influencé par la dynamique sédimentaire Polder : Terre gagnée sur la mer Progradation : Disposition des terrains détritiques, caractérisée par un développement horizontal vers l’aval du courant constructeur, que l’on peut trouver en bordure de la plate-forme continentale, à l’extrémité des deltas sous-marins et abyssaux et sur certaines pentes continentales Résilience : Capacité d’un milieu à résister à des agressions ou à retrouver son intégrité Rift : Région où la croûte terrestre constituant une plaque tectonique s’amincit en formant en surface un fossé d’effondrement sous l’action de forces d’étirement Service écosystémique : Bénéfices que l’Homme tire des écosystèmes Tepuy : Haut plateau à contours abrupts, riche en espèces endémiques en raison de l’isolement de ces reliefs et de leurs contrastes climatiques forts Trait de côte : Ligne d’intersection de la surface topographique avec le niveau des plus hautes mers astronomiques Xérique : Milieu caractérisé par une aridité persistante

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Bibliographie Ouvrages APOLDA.A, CADALEN.J, DELAVAUD.G, FOULON.E, PELLERIN.A, Adaptation du système socio-écologique de la mangrove face aux changements globaux. 14 pages. 2016 BARRET Jacques, Atlas illustré de la Guyane. 218 pages. Septembre 2001 BLANCHARD Elodie, Avancées et reculs des mangroves guyanaises : Bilan par analyse spatiale sur plusieurs décennies. 25 pages. BLANLOEIL Jonathan, DESJARDIN Camille, DOS SANTOS Inès, GRANIER Maud, RITI Alice, Le rôle des mangroves dans la protection face aux aléas côtiers 14 pages. 2016 COURCOUX Gaëlle, Quand la mangrove ne protège plus la côte. Actualité scientifique n°419. Décembre 2012 DAVOULT Gérard, L’agriculture en Guyane, faibles et originalité. 4 pages. Novembre 1996 DE GRANVILLE Jean-Jacques, Un transect à travers la Savane Sarcelle (Mana Guyane Française) 19 pages. 1973 FREYTET Alain, Les paysages du conservatoire du littoral. De la reconnaissance au projet. 75 pages. Septembre 2013. FROMARD.F, PROISY.C, Coastal dynamics and its consequences for mangrove structure and functioning in French Guiana. 9 pages. GALLIER Patrick, Évolution des écosystèmes côtiers de l’Ouest guyanais : description et compréhension de la dynamique des milieux naturels de la Savane Sarcelle. Mémoire de stage. 74 pages. 2015 GARROUSTE.R, Impacts écologiques de la riziculture dans la région de la Basse-Mana et conservation des écosystèmes littoraux. Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée. 40e année, bulletin n°1-2. Conserver, gérer la biodiversité : quelle stratégie pour la Guyane ? Pages 137 à 146. 1998 GENSAC Erwan, Dynamique morpho-sédimentaire d’un littoral sous influence amazonienne  : Impact des forçages hydrosédimentaires sur la migration des bancs de vase et la mangrove côtière : Le cas de la Guyane française. 216 pages. Décembre 2013 GUYANE CONSULT, Diagnostic des potentialités des polders de la commune de Mana. 123 pages. Juillet 2018 HUYGHUES-BELROSE Vincent, Aux origines du nom Guyane : Essai de toponymie historique. 10 pages.

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LEFEBVRE Jean-Philippe, DALMASSO Marine, Évolution de l’occupation des sols en Guyane Française entre 1990 et 2012. 9 pages. Juillet 2015 LEPAGE Marie, DOURMAP Coline, GALIBERT Célia, SOL Amaury, RABAT Alexandre, Mana : Etat des lieux et reconversion possible - Entre conservation de la nature et développement économique. 16 pages. PROST.MT, CHARRON.C, L’érosion côtière en Guyane. 17 pages. 1992 RAYE. E, Diagnostic territorial socio-économique : Savane Sarcelle. 34 pages. Février 2017. ROSTAIN Stéphen, La mise en culture des marécages littoraux de Guyane à la période précolombienne récente. 40 pages. 1995 ROSTAIN Stéphen, H. VERSTEEG Aad, Recherche sur l’archéologie de la côte occidentale de Guyane. Journal de la société des Américanistes. Pages 161 à 175. 2003

Sites internets Article Plateau des Guyanes de Wikipédia en français. https://fr.wikipedia.org/wiki/Plateau_des_ Guyanes Site de la DEAL Guyane. http://www.guyane.developpement-durable.gouv.fr/ Article Histoire de la Guyane de Wikipédia en français. https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_ de_la_Guyane Bagne de Guyane. http://www.bagne-guyane.com/ Guyane, cartes et départements. https://www.lexilogos.com/guyane_carte.htm Site Maison Archéologie Ethnologie. «Agriculture précolombienne dans les guyanes  ». https:// mae.hypotheses.org/3421 Brève histoire de la terre et de la vie. https://www.u-picardie.fr/beauchamp/histoire_vie/histoire_ vie-3.html Pôle-Relais Zones Humides et Tropicales. Services Ecosystémiques. http://www.pole-tropical. org/zones-humides-doutre-mer/services-ecosystemiques/ Nature rights. Le réseau des centres de savoirs amazoniens et des cultures ancestrales en Guyane. http://www.naturerights.com/blog/?p=1897

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