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La direction de fait et la responsabilité associée, une immixtion dans la vie de l’entreprise à très grands risques La direction de fait d’une entreprise est une activité illicite qui est susceptible de mettre en jeu la responsabilité du dirigeant de fait. La responsabilité civile, comme la responsabilité pénale, du dirigeant de fait peut en effet être recherchée, soit individuellement, soit de concert avec celle du dirigeant de droit, lorsque les faits dommageables lui sont imputables en tout ou partie. Ce cahier juridique analyse :
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Qui est le dirigeant de droit ? Qu’est ce qu’un dirigeant de fait ? Quelles sont les particularités du régime de la direction de fait ?
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1. Le dirigeant de droit Le fonctionnement de toute personne morale n’est concevable qu’avec des organes sociaux chargés de l’assumer. La personne morale est, en effet, une entité abstraite qui nécessite, pour l’exercice de ses droits, l’intervention de personnes physiques dûment habilitées, qui constituent ce qu’on appelle génériquement les organes de gestion. La loi définit ces organes et leurs fonctions. Elle prévoit trois grands types d’organes qui ont en charge la gestion, l’administration et la direction de la société. • dans les sociétés civiles, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et dans les sociétés en commandite par actions, il s’agit du ou des gérants. • dans les sociétés anonymes, il s’agit des administrateurs, avec notamment le président du conseil d’administration, le directeur général, le directeur général délégué, ou les membres du directoire (les membres du conseil de surveillance n’encourent aucune responsabilité en raison des actes de gestion). • enfin, dans les sociétés par actions simplifiées, il s’agit du président ou de toutes autres personnes nommées à cet effet dans les statuts. Ces dirigeants de droit sont désignés lors de la création de la société ou bien en cours de vie sociale, selon les prescriptions de la loi et/ou des statuts. Ils sont susceptibles de voir leur responsabilité personnelle mise en œuvre du fait des actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions. La responsabilité civile des dirigeants s’appuie sur des fondements différents selon que la société est in bonis ou fait l’objet d’une procédure collective.
ARTICLE L. 223-22 DU CODE DE COMMERCE POUR LES SARL :
ARTICLE L. 225-251 DU CODE DE COMMERCE POUR LES SA : « Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage. » Si la société fait l’objet d’une procédure collective, le fondement de la responsabilité civile des dirigeants sera différent quelle que soit la forme de la société en cause. L’action tend au comblement du passif social :
ARTICLE L. 651-2 DU CODE DE COMMERCE SUR LA PROCÉDURE COLLECTIVE « Lorsque la résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tri-
« Les gérants sont responsables, individuelle-
bunal peut, en cas de faute de gestion ayant
ment ou solidairement, selon le cas, envers la
contribué à cette insuffisance d’actif, décider
société ou envers les tiers, soit des infractions
que les dettes de la personne morale seront
aux dispositions législatives ou réglementai-
supportées, en tout ou partie, par tous les
res applicables aux sociétés à responsabilité
dirigeants de droit ou de fait ou par certains
limitée, soit des violations des statuts, soit
d’entre eux, ayant contribué à la faute de
des fautes commises dans leur gestion.
gestion. En cas de pluralité de dirigeants,
Si plusieurs gérants ont coopéré aux mêmes
le tribunal peut, par décision motivée, les
faits, le tribunal détermine la part contribu-
déclarer solidairement responsables.
tive de chacun dans la réparation du dom-
L’action se prescrit par trois ans à compter
mage.
du jugement qui prononce la liquidation
(…). »
judiciaire ou la résolution du plan… »
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2. Le dirigeant de fait Absence de définition légale La notion de dirigeant de fait n’a jamais été définie en tant que telle par la loi. C’est prioritairement dans la doctrine qu’il faut rechercher une tentative de définition.
LE CONTRÔLE DE LA COUR DE CASSATION « Attendu que pour condamner M. X…, en qualité de gérant de fait, l’arrêt retient
DÉFINITION DU DIRIGEANT DE FAIT
qu’il est à l’origine de l’intégralité du capital social, ce qui caractérise un rôle particuliè-
La notion de dirigeant de fait désigne aussi bien les personnes physiques que les personnes morales qui se sont immiscées dans la gestion, l’administration ou la direction d’une société, alors qu’elles étaient dépourvues de tout mandat social, et qui ont exercé, en toute souveraineté et indépendance, une activité positive de gestion et de direction.
rement déterminant dès la constitution de la société, que la société Chaptal Éric Y…, le considérait comme en étant le dirigeant et qu’il résulte d’extraits du registre du commerce et des sociétés qu’il a eu par le passé, sur le même site, deux expériences commerciales portant sur des activités pratiquement identiques à celles de la société ; Attendu qu’en se déterminant par des motifs
Peuvent ainsi être notamment qualifiés de dirigeants de fait les associés, personnes physiques ou personnes morales, qui excéderaient leurs prérogatives, notamment en participant activement à la gestion de la société dont ils détiennent les titres, ou bien
impropres à caractériser en quoi M. X… avait exercé en toute indépendance une activité positive de direction dans la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision… » Cass. com., 4 mars 2003, n° 016-01.115
les anciens dirigeants de droit qui continuent à s’immiscer dans la gestion des affaires de la société ou encore les tiers, tels que le plus souvent les partenaires financiers.
« Attendu que pour confirmer le jugement et dire que M. X… s’est comporté en dirigeant de fait de la société, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que son rôle dans
Ainsi, selon la doctrine, est dirigeant de fait celui qui accomplit des actes positifs de gestion ou de direction en toute indépendance.
la création de la société, dont il est associé à concurrence de vingt-quatre pour cent, a été déterminant, que lors des assemblées générales, il détenait la majorité des parts, du fait de la représentation de M. Y…, que
L’appréciation des juges
pour justifier l’investissement dans l’acquisition d’une machine de prototypage rapide
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permettant le lancement de la société, il a fait miroiter aux associés un marché avec la société PSA et a ainsi influencé la société et son gérant, que le contrat de crédit-bail afférent à la machine n’a pu se réaliser que
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Les juges du fond, qui disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation, se sont largement inspirés de cette définition. Selon la jurisprudence le dirigeant de fait est une personne physique ou morale s’immisçant dans les fonctions de direction, ce qui impliquerait des actes positifs de direction réalisés en toute indépendance. La Cour de cassation se réserve un contrôle de la motivation des juges du fond.
grâce à son intervention en qualité de caution à côté de celle du gérant, qu’il a mis à la disposition de la société le fichier clients de la société MG2 Anjou technologie et qu’il est intervenu de manière déterminante dans toutes les phases majeures de la vie de la société ; Attendu qu’en se prononçant par de tels motifs, impropres à caractériser en quoi M. X… avait, en fait, exercé, en toute indépendance, une activité positive de direction de la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision… » Cass. com., 30 mai 2006, n° 05-14.958 Ainsi, pour établir la qualité de dirigeant de fait, il convient de prouver l’existence d’une activité positive de direction et de gestion en toute souveraineté et indépendance. Mais qu’entend-on exactement par « activité positive de direction et de gestion » ? À cet égard, le juge recherche si les actes accomplis ou si les fonctions exercées par le dirigeant de fait sont analogues à ceux relevant de la compétence des dirigeants de droit, ou encore, si ce dernier prend une part active et constante à la direction de la société. Les éléments généralement retenus sont : • l’exercice de pouvoirs généraux de gestion, tels que notamment la signature de contrats au nom de la personne morale, la prise de décision portant sur des investissements, la signature des déclarations fiscales, ou la maîtrise des décisions de direction commerciale ou technique (dans le cas, par exemple, de passation de marchés, de fixation des prix), • ou l’exercice des pouvoirs financiers, tels que la prise d’engagements de dépenses, de décision d’emprunter, • ou encore l’exercice de pouvoirs généraux en matière de gestion et de recrutement du personnel. Le deuxième élément pris en considération par les juges est l’indépendance de l’action du dirigeant de fait. L’action, dans ce cas, doit être dirigée par des personnes agissant en toute indépendance, ce qui exclut, en principe, les salariés.
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Quelques illustrations de direction de fait reconnue : Ont été ainsi qualifiés de dirigeant de fait par la jurisprudence : • l’actionnaire majoritaire à l’égard duquel la société n’a aucune autonomie ; • l’établissement financier qui participe au capital et délègue un gestionnaire qui prend souvent seul des décisions importantes ; • des investisseurs, qui dépassant leur rôle de conseil, ont exercé un pouvoir de direction en plaçant le conseil d’administration dans un état de dépendance, en soumettant les décisions de ce conseil aux résultats de leurs recherches et de leurs avis ; • le contrôleur de gestion d’une société qui dépasse les fonctions de contrôle pour exercer de véritables pouvoirs de gestion ; • le gérant d’une société mère étrangère qui s’est immiscé dans la gestion de la société filiale française ; • la société mère qui, non seulement, détient la majorité du capital de sa filiale, mais qui, en outre, prend les décisions importantes dans cette filiale qui est vis-àvis d’elle dans une totale dépendance financière ; • l’ancien dirigeant de droit qui continue de représenter la société mère auprès des banques, reste l’interlocuteur privilégié des banques et des cocontractants de l’entreprise, signe les contrats ; • la société franchiseuse qui intervient dans la gestion de la société franchisée au-delà de son droit de contrôle ; • la personne morale qui, sans être dirigeant de droit de la société en redressement judiciaire, a exercé en fait, par l’intermédiaire d’une personne physique qu’elle a choisie et qui a agi sous son emprise, des pouvoirs de direction sur la société ; • celui qui intervient avec le dirigeant de droit pour décider de l’emploi des fonds sociaux afin de prendre le contrôle d’une autre société et de fournir un soutien financier à une entreprise dans laquelle il a des intérêts personnels et qui participe à une cession de créance ; • celui qui participe au conseil d’administration en participant aux délibérations, sans être administrateur.
Quelques illustrations de direction de fait non reconnue : À l’opposé, n’ont pas été considérés comme dirigeants de fait par la jurisprudence : • le directeur administratif qui émet des chèques pour le règlement de dépenses qu’il n’a pas décidées ; • l’actionnaire majoritaire de société sur cette simple
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considération de détention du capital social et des voix ; • le directeur commercial qui n’a jamais possédé la signature bancaire, ni participé à l’élaboration des bilans ; • les membres du conseil de surveillance, leurs fonctions ne constituant pas en soi la direction de fait en l’absence d’actes positifs de direction en toute indépendance quand bien même les membres ainsi poursuivis auraient la majorité du capital et des voix au sein du conseil de surveillance ; • l’associé qui, s’étant porté caution hypothécaire de la société auprès d’une banque, exige de contresigner toutes les opérations effectuées par la société avec cette banque.
Appréciation de la qualité de dirigeant de fait La construction de la définition jurisprudentielle de la direction de fait appelle plusieurs observations. C’est ainsi que la qualification de direction de fait : • doit être établie, selon les principes généraux du droit, par le demandeur qui entend faire qualifier une
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personne physique ou morale de dirigeant de fait : elle ne se présume pas (Cass. com., 13 avr. 1970, n° 6810.816) ; • doit être démontrée : elle ne peut être appréciée de manière abstraite. Le juge du fond doit préciser comment la personne poursuivie a exercé une activité positive de gestion et de direction, en quoi elle s’est immiscée « dans des fonctions déterminantes pour la direction générale de l’entreprise » (Cass. com., 18 mai 1981, n° 80-11.124) ; • est contrôlée, comme on l’a vu, par la Cour de cassation : elle vérifie que les motifs retenus par les juges du fond sont suffisants et pertinents (voir notamment Cass. com., 27 févr. 2007, n° 05-22.036) ; • ne saurait être exclue en cas d’incompétence ou d’absence de rémunération de la personne poursuivie ; • est un point de droit sur lequel l’aveu ne peut pas porter (article 1354 du Code civil sur l’aveu, Cass. com., 10 mars 2004, n° 00-17.577) ; • peut être partagée avec un ou plusieurs dirigeants de droit (CA Paris, 10 mars 1992, Torgue c/Sté Novamark International).
3. Particularités du régime de la direction de fait Alignement de la responsabilité du dirigeant de fait sur celle du dirigeant de droit
ARTICLE L. 241-9 DU CODE DE COMMERCE POUR LES SARL : « Les dispositions des articles L. 241-2 et L. 241-6 sont applicables à toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura, en fait, exercé la gestion d’une société à responsabilité limitée sous le couvert ou au lieu et place de son gérant légal. »
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Les implications de la notion de direction de fait pour le « dirigeant » sont larges car elles sont identiques à celles relatives à la direction de droit. Il en est ainsi : - en droit des sociétés sur le plan civil - en droit fiscal, en droit social et en droit des procédures collectives sur le plan pénal. Cet alignement de la responsabilité du dirigeant de fait – qui ignore le plus souvent agir comme tel – sur celle du dirigeant de droit a des conséquences particulièrement graves pour ce dernier. La jurisprudence de la Cour de cassation, en la matière, est ferme et bien établie. Les dirigeants de fait étant assimilés aux dirigeants de droit, encourent la même responsabilité que ces derniers, s’agissant de certains manquements spécifiquement imputables. Il en est ainsi des infractions pénales prévues par le
Code de commerce, que la loi a prévu identiques pour les dirigeants de droit et pour les dirigeants de fait, de même que des fautes susceptibles de conduire, dans le cadre d’une procédure collective, à une action en comblement du passif ou en paiement des dettes sociales. Par ailleurs, la loi a appliqué le délit de banqueroute au dirigeant de fait, c’est-à-dire à toute personne qui a, indirectement ou directement, dirigé en fait une « une personne morale de droit privé. » (art. L. 654-1 du Code de commerce).
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ARTICLE L. 245-16 CODE DE COMMERCE POUR LES SA : « Les dispositions du présent chapitre visant le président, les administrateurs, les directeurs généraux et les gérants des sociétés
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dettes sociales dans le cadre des procédures collectives, le dirigeant de fait n’est pas expressément visé par les règles spécifiques applicables au dirigeant de droit.
ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL
par actions sont applicables à toutes per-
« Tout fait quelconque de l’homme, qui
sonne qui, directement ou par personne
cause à autrui un dommage, oblige celui par
interposée, aura, en fait, exercé la direc-
la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
tion, l’administration ou la gestion desdites sociétés sous le couvert ou au lieu et place de leurs représentants légaux. »
La loi a étendu ce principe aux autres formes de sociétés afin de faire supporter, par le dirigeant de fait, tout ou partie des dettes sociales et de permettre d’ouvrir à son encontre une procédure de redressement judiciaire ou de le déclarer en faillite.
Limites à cet alignement
Quelle que soit la forme juridique de la société dans laquelle il exerce ses activités, sa responsabilité civile relève du droit commun, c’est-à-dire de l’article 1382 du Code civil. Or, celui-ci paraît plus rigoureux que les dispositions spécifiques applicables au dirigeant de droit, tout particulièrement en matière de prescription. En effet, alors que la prescription opposable au dirigeant de droit est la prescription de trois ans, celle opposable au dirigeant de fait est celle de droit commun, à savoir cinq ans (loi du 17/06/2008 portant réforme de la prescription en matière civile).
Sur le plan de la responsabilité civile, hors les cas des actions en comblement du passif et en paiement des
Thierry BERNARD et Bernard BERDOU, Avocats associés,
cabinet BERNARDS Thierry BERNARD Avocat
Bernard BERDOU Avocat
Le Cabinet BERNARDS est un cabinet indépendant qui accompagne l’entreprise dans son développement. Ses domaines de prédilection sont le conseil et le contentieux au service de l’entreprise. Conscient de la complexité d’un droit en constante évolution, BERNARDS développe une expertise adaptée aux besoins et attentes de ses clients. BERNARDS intervient dans les principaux domaines du droit des affaires. L’expérience de BERNARDS en matière de contentieux corporate et dans le domaine de l’arbitrage font de BERNARDS un cabinet incontournable. BERNARDS est un cabinet du réseau Cicero League of International Lawyers et est certifié ISO 9001 : 2000. E. mail : avocats@bernardsfirm.com
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