REVUE DE L'ART ANCIENNE ET MODERNE Nº 199 , tomo J4 - 1913
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GIANELLO DELLA TORRE HORLOGER DE CHARLES-QUINT ET DE PHILIPPE II
la prestigieuse collection de portraits que rcnferment les galeries du Prado, a ~fadrid, figure un tablea u de Titien que le catalogue de M. ~ladrazo, sous le nº 412, désigne par ces mots : Retrato de personaje desconocido, portrait d'inconnu; c·e~t la mention que reproduisent en général les autres catalogues des reuvres du peintrP de Cadore ; quelques auteurs donnent une indication plus précise : portrait d'un chevalier de $aint-Jcan de Malte. Cet inconnu est un homme dans la force de l'ilge, d'une stature et . . d'une vigueur qui semblent peu communes. TI est debout, de face, vu jusqu'a mi-cuisses, vetu d'un pourpoint de soie noire, ~erré a la taille, sur lequel une grande croix de Malte en étofTe blanche écartelc ses branches fonrchues. Par dessus le pourpoint, un surtout aux manches serrées aux poignets, également en soie noire, jette parmi les teintes sombres du tablean, le chatoiement de ses revers moirés. La main droite, blanche, p9telée, portant une bague au petit doigt, pend le long du corps ; la gauche s'appuie sur une table ou se trouve placée une horloge oruéc de colonnettes et surmontée . d'une coupole ciselée. La figure tout entiere se détache sur le fond, plus clair, de la toile, avec un relief et une vie qui font de ce portrait une des bonnes ceuvres de la maturité du maitre, • rappelant de pres le portrait de Benedetto Varcbi, conservé a Vienne. Pourtant, sj nous contemplons le visage du mystérieux chevalier de ~falte, nous ne verrons pas vibrer en son regard ce reílet d'Ame ARMI
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profond et inquiétant ~ui rive nos yeux a ceux de l'Hvmme au gant . Les traits n'en sont point contractés et creusés par la méditation ou la vie intérieure. Ils nous apparaissent au contraire détendus par une bonhomie un peu lourde, empatés par une barbe et des che...-eux épais, d'un noir opaque, qu'accuse cncore la tache hlanche du col qui les souligne. Les joues sont pleines, le nez gros, les yeux a fieur de tete; ce paysan du DanubQ, solide et balourd, semble mal a l'aise dans ses vétements d'apparat que gonflent ses muscles puissants . Mais ce l"ront de taureau doit abriter une patience inébranlable, une obstination a toute épreuve, bien servie par des yeux au regard tranquille et pénétrant. roete ou réveur, non ccrtes, artiste a peine, mais adroi t et méticuleux ouvrier d 'art, inventeur et constructeur de minutieux mé-canismes, sans cesse aux prises avec une matierc rebelle et dure qui ne par...-ient poUl'tant pas a user sa volonté, d'un grain plus dur encare, voila bien. n'est-il pns nai , quP.lques traits de caractére que ni dément pas au p n:•111i e l' auo l'(l l'image que noús avo11s sous les y P. ux. En elTet , l'inconnu peint par Titieu n'est autre que Gianello della Tul're , le l'ameux horloger de Charles-1.Juint et de PhilippP II, cclui que Leone Leoni appelait bue in /orma umana, un bll!uf en maniere d'homme, e t dont un contemporain plus honnete disait: Joannes Cremo11e11sis l'ognomento Jo11ell11s , aspee/u in/ormis, sed ingenio clarus ' . N t! á Crémone au déb~ du xv1• siecle, t iianello della To rre attira sur lui l'att e11tion de Charl es-Quint de la fa,on :a-uivante : en 1.",29, lor:-- du passage d(• 1·empereur a 13ologne, on avait apporté a la cour les pieccs rouillées et épar:_;1es d 'une antique et prEkieuse horloge, et Sa ~lajesté exprima le dégir qu'un ounier adroit , s'il se pouvait, la remontllt et la réparat. Uianello se présenta, se fit fort de construire lui-meme une horloge cxactement semblable, et tint parole. Des lor::;, il resta attach1! a la personne du souverain qui, curieux de mél'anique, prit son horloger e n afTe ction e t le laissa mé~e, semblc-t -il , jouir d'une certaine influence. Apres l' a l,d ication, úianello suivit son maitre au monastere de Yuste, ou • il séjourna jusqu'a la mort de Charles-Quint, en 1558. L'empereur visitait souvent son atelier, s'amusant a le voir construire des machines de toute sorte , deg automates , des jouets a mouvements d'horlogerie , des instrul. ::iaccv , ,le llul i~ u r um ,·uum uu ,·itlult ti tfrµ,rn/ia. Ti d n1 . l56i , (· ";'ti.
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ments de mathématiqucs, clont les invcntaires nou:- ont tranl-mi:- la nomenclaturc. La réputatiou de l'horlogcr allait granclissuut , il L;¡ait considéré commc l'Archimcdc de son temp:a; : mas ,¡ue Archi111edcs !ti::.v, nous dit de lui son ami Ambrosio Morales, avant de nous rapporter l'anecdote qu'on va Jire 1 • Gianello f'it un jour pour l'ernpercur une merveilleuse horloge, a laquelle il avait pensé pendant vi11gt ans et qu'il avait mis plus de trois ans a construire. C'était une horloge de forme ronde, qui repruduisait les difTérents muuvements des astros dans la spherc célcstc. Ccux de :\Iercure· et de la lunc avaient coúté a l'auteur, parait-il, une peine inou1e . CharlesQuin t, émerveillé, demanda a l'horlogcr ce qu'il comptait insAL•'~ si, lJ ~ 11 11 l' •, ll t T t , - (.j l.\ ~ t L l. O IJ t: L L .\ T111l l i t:. crirc sur le socio de la machi ne. íl répondit, avec plus de simplicité que de f1nesse : Janellus turria,ws, Cf'•! 111c111e11si.\·: horolvgiorum architector. Et , cummc il s'cn tcnait la, :-:a :'llajcstc lui fit la grace d'ajouter deux mots : /acile prínceps ; l'in::;criptiun ain:;.i complétée fut gravée: a la base: de l"horloge . 1. A. '.llorale,. C,·611i.:a ¡¡ene1·al de E,p o.;ía , ~d . d~ I , ~~. IX. ~;iu.
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A la mort de son pere, Philippe If invita Gianello, ou, comme on disait a l'espagnole, Juanelo Turriano, a demeurer a son service, moyeonant 200 ducats l'an, a condition qo.'il séjournat á la cour. Cette pension fut doublée en 1562, et l'horloger fut alors autorisé a demeurer a Tolede aussi bien qu'a Madrid. C'est qu'une entreprise considérable appelait alors notre inventeur daos !'imperial ciuda<l des bords du Tage. On sait quel administrateur, quel batisseur fut Philippe 11. Les palais, les jardins, les f'ortifications, les ports, construits par ses ordres, non seulement en Espagoe, mais daos le l\'lilanais, dans les Pays-Bas, dans tous ses Étnts, ne se comptent pas . 11 accueillit tres favorablement l'idée que lui soumit Juanelo de construire une machine sur le Tage pour élever l'eau du fleuve jusqu'a l'Alcazar de Tolede. Juanelo, étant encore en Italie, avait entendu le marquis del \"astQ se plaindre du manque d'eau daos la_ville ; il ne cessa, depuis ce temps, de songer aux moyens d'y remédier. La machine élévatoire qu'il inventa a cet elTet, et dont il ne 1mbsiste que les plans et les dcscriptions, ful considérée, lorsqu'elle fut terminée, en 1568, comme une des merveilles de l'époque '· Bien qu'elle n'ait pas répondu, semblc-t-il, ü tout ce qu'on en avait altendu, le succes en fut tel que l'on voulut placer au faite de la construction une statue de son inventeur, et sur le socle de cettc statue, dont il ne reste pas trace, on inscrivit les mots suivants: Virtus nu11qurz111 quiescit. C'est encore Morales qui nous fournit ce renseignemcnt, et il paraphrase longuement cette inscription par une poésie latine a la louaogc de son ami. Tout autour de Philippe II, encouragés par le roi, dont !'esprit analytique et précis se complaisait en de semblables études, se réunissaient, a cóté des peintres ou des sculpteurs, une foule d'architectes, d'ingénieurs, de mécaniciens. Nombre d'inventions, de machines extraordinaires virent le jour a cette époque en Espagne. Aux archives de Simancas, on conserve un curieux traité de Juan de Herrera, l'architecte de !'Escorial, destiné a expliquer au roi, par le menu, les détails de la construction, le fonctionnement des appareils destinés a l'édification du monastere, au montage des échafaudages . La machine hydraulique de la Monnaie de Ségovie, construite par des Allemands, eut l. Luis de la Escosura, el Artificio ¡Je Juanelo y el puente de Julio César. Madrid, IS&8, in - ~•-
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son heure de éélébrité. Jacopo da Trezzo, si réputé comme graveur de pierres fines, avait inventé une machjne destinée a la taille des jaspes qui devaient entrer dans la construction du tabernacle de f::an Lorenzo de !'Escorial. Déja rapprochés par leur tournure d'esprit, leur génie inventif, leur expérience d'ingénieurs, Juanelo Turriano et Jacopo da Trezzo furent amenés a se lier d'amitié, a cause du domaine oú. s'exerc;a leur activité. Nous possédons des lettres de Jacopo ou il parle au roi de la richcsse exceptionnelle de l'Espagne en pierres fines, notamment en émeraucles. « Ce serait grand dommage, dit-il a Philippe II, ele ne pas développer en Espagne !'industrie de la taille, et d'en laisser aux étrangers le monopole, alors qu'eux sont ohligés de venir cherchrr hors de leur pays ces précieux matériaux et les revrndent ensuite fort cher en E:-pap;ne m•~me, aprcs les avoir travaillés. » Or les memes questions lapidaires préoccupaient Juanelo, puisqu'il rédigea un traité intitulé : De la calidad de las piedras y el modo <ÍI' ha=er rejolas y rejas y otras cvsns de /J(lrro para adornar etli/icios, 11u il énumere les dilférents genres et qualités de picrres que l'on rencnntre en Italie ou en Espagne, donnant une sorte de nomenclature dt?s carrieres d'ou on !Ps extrait 1 • Le lecteur nous pardonnera cette longue exposition de quelques points de biographie nécessaires a flxer . .Juanelo mourut le t:i juin l 5K5. ,\gé par conspquent d'environ 8;') ans. r,n l'enterra en l't:'.·glise del Carnwn, a Tolede.
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Plusieurs monu~nts figurés nous permettent d'rntrewtir sous le masque des documents historiqurs, la physionomie humaine d,:- nntre personnage; ce sont eux que nous voudrions maintenant examiner l.iri1·vement. Le tablefu de Titicn, dont il a t'.•té question aux premieres li~nes de cet article, serait le premier en date des portraits de notre horloger. La physionomie du personnage, si nous la comparons uu buste, a la médaille dont nous allons parler, l'indication fournie par le peintre, qui a placé une horloge a coté de son modele, ne laissent guere de plal·e au doute quant au nom qu'il faut inscrire sous la peinture . Or, Juanelo y est t. llibl. nac. de ~ladrid, 1uss. 3:112-3:l~ti.
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représenté manifestement en pleine jeunesse, dans la force de l'age . Nous savons d'autre part que Titien ne vint jamais en Espagne. Le portrait a done du étre peint avant que Juanelo quittAt d-éfinitivement l'Italie, c'est-a-dire vers 1530. :\L Lafenestre attribue au tableau la date de t ?>50, mais, si nous y reconnaissons Juanelo, ce qui ne peut gucrc etre contesté, nous si:-rons forcés de rcculer cette date, puisqu'il tiaquit vers -t;jllO, et que, manil'e:::tement, nous ne sommes pas en présencC' du portrait dºu11 homme de cinquante ans. MM . Crnwe et Cavalcaselle parlcnt du l'hevali e r de :-:aintJean comme d'un homme qui a atteint enviran tr<'nte-cinq ans. 11 nous parait plus logique de flxer la date de l'exécution de la peinturc, ou du moins de sa premiP-re esquisse, au momcnt ou les t'!vénerncnts rr.unircnt a Bolognc Charles-Quint, rt Titien et Juanelo, :'t l'époque 11ú, sPlon \"asari, le cardinal llippolyte de '.\lédicis , :,;ur le consPil de L\r1'!ti11, ílt n ~nir l'illu:-tre pcintre aupres de l'empereur, en 1:;:11,, un pcu apri•:-. l'P.ntrevue de Sa '.\lajesté Catholique avec le p~pe Clément \"11 . ":\ou:- arnn:,; rn plus haut que Juanelo, déja fameux comrne horloger , se Jistingua d'une f'a <; on toute spéciale aux y e ux de l'empereur, a cette m,\me époque, quelques mois auparavant peut-,;tre, et, précisément, ü Bologne. Titien aurait alors célébré par une peinture la renommée naissante et déjit t!clatantc de l' artisan . · Quant a la ctoix de :\falte qui décore la poitrine de l'horloger, il faut admettrc qu'clle fut ajoutée postérieuremcnt :'t l'e:xc!cution du portrait. A quelle occa:-;ion ·t fut-ce du vivant de Juan<'lo on, au 1·1111traire. a une épo4ue oú J'on arnit perdu le :,;ouvenir du célebre ingénieur -~ ce :--unt la des question:=; que les documents que nous pos~édons '-UI' la Yi e de Juanelo ne nous pennettP.nt pas d 'tclaircir. A Tolcdc mt•mc, au :\lusée provi~cial, se trou.ve un bustr. en marbr<' de Juanelo attribué a Alonso Berruguete. Ce bustc, antéri c ur ü ljtil, date de la mort du sculpteur, porte l'inscription sui...-antc : r ., :--F. r. L \" s . T \' R R l..\ X . t: R E )1 O '.'\ . 11 O R O LO G • AR C H J TE r. T .
• c·est-a-dire les mots mfmes que l'horloger aurait gravés, si l'on s'en
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rapporte a Morales, snr la íameuse horloge de Bologne . Ríen dans cette inscription ne t'ait allusion, bien entendu, a la machine du Tage , qui
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devait couronner, mais sept ans plus tard au moins, la réputation de l'ingénieur. Celui-ci est représenté sous l'aspect d'un homme 'lui a déja dépassé la maturité, agé de cinquante-cinq ou _soixante ans, ce buste serait, par conséquent, une des dernieres reuvres de Berruguete. Le sculpteur n'a certes point idéalisé son modelP.. Plu!- Pncore que deYant le portrait de Titien, nous sommcs id en présencc du IJlle in (vr111a u ·11a1w. Le cr.'tne massil', le l'ront earré, In boul.!he lippue, le:- traits épais , la barl,c drue de l'horlog·er de Crémonc so11t repl'llduits av,:c uue rude franchi~e et une :;évere impnrtiolilé . Le n ·gnrd Yuilé et rnmmc
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alnurdi el e la :--tatue 11 ·a rie11 'llli 11ous f:i:-:--c :,,;ong,.· r aux statucllc:; polychromcs, cuntournér::- et extf\tiquc:-- <¡u'1111 admire avce un pcu de ~t.upcur, au muséc <le Valladolid, parmi le::- reuvre:- cL\1011~0 Ucrruguell' . Le plu:-my:-;ti'111C de:-- taillcur:; tl'ima~cs, qui :-l'ulpta commc priguit 1_;rc t·u , :;e montrc ici dairvuyaut, i11tran:-i¡;ca11t portraiti:;le . l.'ne médaillc aus:;i uou:; a con:;ervé le souvl'11ir de In phy:-iiu11omie de Juanelo Turriano . .-\u droit, figure l'horloger portant le mt'.•me costume que sur le bu:;te de llcrruguetc; la légende reproduit cellc qui est gravée sur le socle du marbre: 1.-1.:sELL\·:.. T\'RR1.-1.:s. CRE:>10:s. IIOROLQG . .-1. Re H1r E e r ., et ne fait allusion, par consf quen t, a la célébrité de Juanelo qu ·cn tant que constructeur d horloges
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Le reY c.' rs est une reproduction du fameux camée connu sous le nom de la Fonlaine des sciences, et la légende nous rappelle les mots de Morales, que nous avons cités plus haut, quand il vante l'ingénieux artífice de Tolede: vrnTvs. :-;v:-;QvAM. 0Ent:1T. Armand, et Pion d'aprcs lui, attribuent cette médaille a Leone Lconi, en laissant supposer toutefois qu'elle puurrait etre de Jacopo da Trezzo. Fabriczy en fait !'une des premicres reuvres de ce dernier, et lui donne la date de 1548 '· M. Herrera en recule la date jusqu'en 1554 ou 1555 , et ne_ rejette pas l'attribution a Jacopo da Trezzo ~. Nous allons lcntcr de fixer ces données de maniere plus précise. En premier lieu, notons que le revers figure déja sur une médaillc de Philippe II, non signée, mais frappée a une époque ou le roi n"était encorc que prince d'Espagne et roi d'Angleterre, datant par conséquent de 1554. ou ·1555. D'aprcs E. Plon, le portrait du prince serait 1'1l!uvre de Jacopo da Trezzo qui l'aurait copié sur une médaille signéc de Leone Leoni, avec la désinvolture qu'autorisaient les mreurs de l'époque. (Jn sait que .Jacopo reproduisit de la meme fa~·on, trait pour trait, une autre reune de son émule : la médaille d.llippolyte de Gonzague. :-::i ron admel cette opiniun, il faut supposer égalcment que le revers, la Fo11Lai11e eles sciences, cst aussi l'reuvrc de Jacopo da Trezzo - soit qu'il l"ait tiré Je son propre fonds, soit qu'il l'ait également copié - , et cela nous autoriscrait a croirc que le meme artiste a pu l'utiliser une seconde fois, plus tard, pour une autre de ses médailles l . Par ailleurs , il t"·,t diílicile de supposer que Leone Leoni ait employé son burin a consacrer la gloire de Gianello della Torre. Une hostilité, qu·aggravaient saos doute l'ob:;tination de l'un, le caractere fougu eux et iutraitable de l'autre, séparait les deux hommes, depuis que Leoni accusait Juanelo de l'avoir desservi aupres de Charles-Quint. Nous avons vu' plus haut que le sculpteur s·exprimait sur le compte de l'ingénieur avcc un insolent dédain. Au contraire, Juanelo entretint sans eesse, nous
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l. Die .lfecluillen cler ituliiFnischen Renaüsance. 1903, p. I0t. :!. Revista de archivos ,bibliolecas y museos, {905, t. XII, :!66. ;J. Le musée archéologique de .\llldrid .:ooser.-e de celte wédaille un exeUJplaire en plomb düol le re vers esl un peu JiU-éreol: le deroier personnuge de gnuche lienl un ,·ose au lieu ,J"uo co111pas. el l"un de ~cux du ;;roupe de Jroite lcud une coupe, au lieu <lesa 1110111 uuverle, a la rnurcc 4ui ju.ilhL. .\la1s II ue s ·1tg1l la •tue J une reluu i: he poslt!rieure .
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l"avons vu aussi. d'cxcellcnts rapports avec Jacopo da Trczzu, do11t les contemporains vantcnt les mreurs douces et facilc:-;. Cr. sont la autant de présomptions en faveur d'une attribution de notre médaille a Jaenpn. En outrc, la paternité de Leoni devra néccssairement etrc écartéc, si l'on admet ce qui suit. . L ·auteur de la médaille de Juanelo a choisi pour rc,·crs le s ujet ele la Fvntaine des scie11ces, parce que le groupe de la déesse répandant a ílots la sagcsse sur le:-; hommcs accourus pour se désaltércr aux ::.-ources vives de la vérité, ofTrait une allégoric toute trouvéc pour mag11iílcr et ---·- ···· · .
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célébrer l'industrie de l'architectc qui avait répnndu le::; c-aux lJicnl'aisantes du Tage dans Tolede dessécnée et assoiffée . La lt'· gen dc de ce revers complétait aussi parfailcmcnt cellc tlu druit, da11s le s1_•11:-: pnrnphrasé par ~!orales: le génie de Juanelo, déja famcux comme horlogcr, n'est jamais épuisé, n'est inférieur a aucune uouvelle cutrcprisc, si considérable soit-elle 1 • Il faudrait done, tout en attribuant la médaille a Jacopo da Trczzo - et en efTet, Leone Leoni ne fit jamais le voyagc d'Espagne, - en reculer la date jusqu'en 1568, année ou les travaux de Toledc furcnt l. L'ne fois J,:já, au woins, Jacopo avail copié l'un de ses cawées pour en íuire le r.,,·.,rs ,fune m ¿Jaill.: . Je ,·eux parler 1d de la belle méda1lle d'Hippolyle de Gunzague, tlunl le re,·ers : ,e Cltu r cit l'.~w·ore, est diredewenl 10sp1ré d'un c-a111ee du 11,usée de Vienne. \'uyez Arndh ..lfo11u111e11lll "~" k . k ..U1i11;-u11ci A11liken-Cubi11tlle~ 111 \\'1e11 , lijali, , die li11yuea111c> Cumte11, ¡¡l. XI\', tl ¡,. -iU .
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achevés. A cettc époquc, .Juanelo avait soixantc-huit ans. TI 11c nou,- parait pas contraire a la vraisemblance de donner cet age au personnage figuré au droit de notre piece, surtout si nous considérons qu'il était d 'une constitution exceptionnellement robuste, puisque nous 8avons qu 'a cet Age avanr~ , il dirigea e n personne les travaux dont il avait élaboré les plan:--, et !-i nous songeon~ aussi qu'il vivait encore pres de Yingt ans apres. Ce r¡ui corrobore en quelque fa,on notre sentiment, c'est un dernier purtrait de Juanelo, évidemment postérieur a l'édification de sa machin C', et qui figure dans le vcstibule. de la bibliotheque de l'Escorial, a c,·,té eles portraits d' ..\rias ?ilontano ou de Herrera. C'est une amvre médiocre, due au pinceau d 'un inconnu. < ;ianell(I y parait amaigri, la barbe et les cheveux tout blancs, évidemment au déclin d e ses jours. <>r, au has du tableau, le peintre a reproduit textuellement les deux inscriptions qu'on lit au droit et au revers de notre 111édaillP : 1 .\'-E l. l.\º:'-
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11 est assez rare de posséder une suite de portraits qui fass e rt!vivre a nus yeux un personnage historique aux époques successives de sa vie, qui 11011!- conrl11ise pas i\ pas de ses jeunei- :-rnnéc !-- h ~n vieillesf-c. Il est surtout précieux de gruuper dans 1·ette série d'image~ les 1111111:-- ,r 1111 pc: inlre vé nitien comme Titi,~n, d'un sculpteur cspagnol tcl ,¡ue J:errugucte, d'un niédaillcur milanais tcl que Trezzo. Cette triple vi:-i <,n mct en relief, avcc une singulicre pui~sance évocatrice, l'e11igie de l'horlnger <le Charlcs-lJuint et de l'hilippc 11. J:ien pcu d'h0mmcs illustres , pnrmi l e~ plus grands, aurout cu pour immortaliser leurs traits, pour sauvcr le ur nom de l'oubli, un aussi auguste parrainage que 1;ianello, le rudc ingénicur de Cri~rnonc. .) EA:-- BAR E !J I:'\
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