SIC - Monde rural du rétro-futur

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FANZINE

INGÉNU

MONDE RURAL DU RÉTRO-FUTUR


EN VILLE TU COURS PARTOUT TU VAS NULLE PART Sic #2 Monde rural du rétro-futur Édité par les éditions EnScred Lucie Van der Elst Rédaction/Coordination Julien Croyal Rédaction/Graphisme Marie Aubry Grand reporter

Octobre 2014 leseditions.enscred@gmail.com sic-fanzine.tumblr.com facebook.com/siczineparis


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Édito

Monde rural du rétro-futur. Un monde en mutation forcée depuis 60 ans impose de s’arrêter parfois pour réfléchir, histoire de voir si par hasard «on» ne se serait pas trompé quelque part. Laissé pour compte quasi-permanent d’une pensée essentiellement tournée vers un confort urbain, où l’environnement rural est un accident du progrès ou au mieux un simple outil dont la valeur se mesure à l’aune du rendement des terres et des usines qui en quadrillent le territoire, pourvu que la ville en tire profit pour se répandre au fur et à mesure (bétonnant la superficie d’un département tous les 10 ans), qu’y a-ti-il à dire du monde rural, ou plus simplement, de la campagne? Pour SIC, le futur offre un terrain de jeu tentant et le présent reste, quoi qu’on en pense, toujours fertile. Mais pourquoi s’arrêter là, quand le rétro-futur nous tend les bras! Si le passé avait écrit pour nous un autre réel, déployant devant nous la carte d’un futur prometteur ou simplement différent, un présent plus exotique pour nos yeux d’occupants du futur que la vitesse du monde ne parvient plus à griser. Allez, viens! On est bien bien bien!

L’ÉQUIPE


SIC a bénéficié du soutien de L’Écurie (St-Jean-Brévelay, 56), une association qui se donne pour mission de soutenir la création en milieu rural à travers des expositions, des projections documentaires et des ateliers. Elle ouvre en 2015 un club de sérigraphie.

Organisatrice de «La Dinée» dont a pu bénéficier ce numéro de SIC, La Collective est un groupement d’artistes qui a pour but de promouvoir la jeune création contemporaine et de favoriser la mise en réseau et les échanges entre artistes. + lacollective.over-blog.com

+ lecurie.tumblr.com



TRACTOR MI AM R

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ic, « ainsi-soit-il » en latin, est un mot utilisé dans de nombreux pays pour montrer que l’on cite, telle quelle, une phrase dont les termes ou le sens peuvent paraître étrange ou surprendre le lecteur, ou pour indiquer que le dactylographe a noté une erreur mais qu’il l’a retranscrite littéralement pour rester fidèle aux propos tenus. (sic#1, la lecture) Il y a quelques mois, nous avons demandé à nos amis, aux amis de nos amis, artistes, illustrateurs, auteurs, photographes, cryptographes, agriculteurs… de nous livrer leur vision du monde rural. Le choix du thème a été motivé par notre rencontre avec l’Écurie, une association bretonne d’animation culturelle basée à St-Jean-Brévelay dans le Morbihan, qui a co-produit ce fanzine. C’était un pari risqué, où des bourdes pouvaient être commises selon les idées reçues de chacun, mais « ainsi-soit-il » ! Pas moins d’une trentaine de participants se sont prêtés au jeu. Afin de pimenter le sujet, nous y avons ajouté une touche d’humour et de loufoquerie avec la dimension rétro-futur* , époque imaginaire coincée entre nostalgie et science fiction. Allons-y gaiement, rêvons, délirons, tout est permis. Pourtant, ici point de zombies, de soucoupes volantes (ou si peu), point d’épiphanies extra-terrestres pour nous montrer la voie vers un monde meilleur.

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Peu importe leur profession ou leur lieu de vie, la plupart des contributeurs ont choisi de travailler sur l’agriculture, et leur mascotte, c’est le tracteur. Cliché ? Symbole ? Objet du rétro-futur par excellence ? Pourquoi ce choix tout droit sorti de l’inconscient collectif ? Depuis les premières « charrues motorisées » de la fin du XIXe, puis introduit en masse lors du plan marshall pour booster les récoltes en 1947, le tracteur devient le pivot entre l’ancien monde et la révolution technologique ; Machine providentielle, il est le fier destrier de la super-productivité céréalière et maraîchère par exemple, dont dépendent humains et animaux. Si le tracteur s’arrête, nous n’avons plus rien dans notre assiette. Conséquence de la modernisation du travail agricole, la population paysanne entame une phase de déclin qu’induit l’exode rural (cf : l’émouvant documentaire « Adieu paysans ») . Aujourd’hui, les tracteurs sont devenus indispensables, labourant sans relâche. Les tracteurs de demain n’auront même plus de conducteur puisqu’ils pourront être pilotés à distance, comme des drones… Où seront les agriculteurs ? Se nourrissant de pétrole, infatigable, fiable mais inquiétant par la dépendance vitale que nous avons envers lui, il est le robot ouvrier du monde agricole, dont pourraient s’inspirer un écrivain de science-fiction en mal de scénario . La science-fiction quant à elle fait son apparition lors de la révolution industrielle de la fin du XIXe, en même temps que les premiers tracteurs, donc. Parmi les grands auteurs, Jules Vernes, Lovecraft, H-G Wells.. Chaque avancée technologique ou découverte scientifique est accompagnée de romans et nouvelles qui se chargent d’enflammer l’imaginaire des écrivains, même quand la technique n’est pas encore envisageable….


On notera l’apparition du terme « robot » dérivé du mot russe « rabota» qui signifie « travail » en 1920 dans une pièce de théâtre de Karel Capek, R.U.R (Rossum’s Universal Robots) peu de temps après la Première Guerre Mondiale. Le courant connaît un nouvel essor pendant la guerre froide, avec la conquête de l’espace et la course à l’armement nucléaire. On constate que la science fiction fait souvent irruption dans des période de crise, politique, économique. On suppose que l’homme est toujours tenté d’anticiper le pire dans le but de se rassurer, de se dire que cela n’arrivera jamais. La popularité des films catastrophes en est un bon exemple. Aujourd’hui, l’évolution de la science et de la technologie n’a jamais été aussi rapide, les frontières tombent les unes après les autres comme autant de barrières . Jour après jour l’Homme repousse les limites, y compris celle des ressources terrestres. Aux prouesses de la science viennent s’ajouter les nouvelles technologies de l’information : réseaux sociaux, cloud, big data, intelligence artificielle, drones… L’être humain, alors au sommet de la chaîne alimentaire, se voit déjà dépassé par les machines, mais aussi par lui-même, noyé dans un flot continu d’informations qu’il ne sait pas, ne sait plus traiter. Le progrès en matière d’intelligence artificielle est également en train de rattraper les anticipations et commence à faire froid dans le dos. Transhumanisme, humain augmenté, cyborgs…le fantasme de l’homme-machine n’a jamais été proche.

|7 Et notre tracteur dans tout ça ? Notre bon vieux tracteur avec le moteur apparent, en opposition à la blancheur immaculée des produits Apple, est-il un allié ou un ennemi? Certains dessinateurs comme Antoine Trouvé le perçoivent comme un fidèle compagnon qui pourrait parfois se rebeller ou n’en faire qu’à sa tête, comme autrefois les bêtes de trait. D’autres nous le donnent à voir comme une entité mystérieuse, à demi-organique, tapie dans l’ombre en attendant son heure, comme dans l’univers pré-apocalyptique de Jérémy Boulard le Fur par exemple. Aujourd’hui, il semblerait que le tracteur ait été choisi par nos contributeurs pour symboliser le sillon qui s’agrandit entre les mondes , les connectés et les non-connectés, le matériel et l’immatériel. La « France profonde » par rapport à l’effusion des métropoles. Mais quand on parle de France « profonde », parle-t-on d’un état d’abrutissement, ou bien parle-t-on de sagesse, en opposition à la surabondance de données et de gesticulations inutiles ? Pas besoin d’aller chercher des invasions de zombies ou des guerres interstellaires pour fantasmer sur le futur, il y a matière à extrapoler juste à côté de chez soi. Pendant que des scientifiques s’évertuent à aller toujours plus loin vers des exo-planètes, nous sommes coincés ici, sur Terre, avec nos problèmes, nos ressources, notre futur. Alors, ainsi soit-il, allons-y gaiement les pieds sur terre, ou à cheval sur notre tracteur.


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LES NOUVELLES DU FUTUR

-Toutes les infos essentiellement superflues d’un présent plus que parfait-

Ce jeu va vous rendre chèvre

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epuis Avril 2014 vous pouvez incarner… une chèvre en vue à la troisième personne dans un jeu vidéo. Initialement créé lors d’un game jam sans ambition sérieuse, la présentation du jeu a rencontré un tel succès sur la toile que le développeur a décidé de mener à terme le projet désormais disponible sur Steam, Xbox one et Android. Ici pas de but précis comme dans un «Farming simulator» par exemple (si, si, ça existe!): votre chèvre n’a pas vocation à s’épanouir au sein d’un troupeau et à produire du lait. On est en réalité plus proche du mode cruisin’ dans une simulation de skateboard: vous pouvez enchaîner les figures en courant, sautant sur des trampolines ou vous projeter en l’air grâce à des ventilateurs géants afin de faire le meilleur score en allant le plus haut possible ou en détruisant certains objets. Sautez hors de votre enclos et c’est parti pour une exploration sans but d’un environnement plus ou moins urbanisé volontairement bourré de bugs et de glitchs en tous genres. Foncez dans la foule, faites sauter la station essence, sautez d’une grue… L’éclate totale pour 10€. Goat simulator, par Coffee Stain Studios

Ouverture bovine 12|

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n suisse certaines vaches de l’Agroscope de Grangeneuve ont un trou de 15 centimètres de diamètre dans le flanc et sont équipées d’une trappe en caoutchouc. Le tout permet aux chercheurs d’avoir un accès direct au bol alimentaire des ruminants, en y plongeant la main pour en analyser le contenu afin de tester la digestion de mélanges d’avoines expérimentaux. L’utilisation de ces fistules qui permettent aux chercheurs un accès direct de l’intérieur de l’animal est connue en France depuis de nombreuses année où elle servent notamment à l’étude de la production de gaz par les bovins.

La ruche, dessins à 15 mains

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’est dans l’État du Maine aux États-Unis que le Beehive Design Collective, le collectif d’artistes de la ruche, a son quartier général composé de 4 maisons anciennes. Ils sont une quinzaine à travailler sur des projets de sensibilisation aux problématiques liés à la globalisation: favorisation des multinationales aux dépends des économies locales et des communautés qui y sont liées, appauvrissement culturel et écologique… Leur plus ambitieux fait d’arme est une série de posters géants réalisés sur une durée de 9 ans, retraçant des histoires de résistance et de solidarité du Mexique à la Colombie, dans un style d’illustration rétro-colonial, où la figure humaine est remplacée par une marée d’animaux et d’insectes. Ces dessins, réalisés à plusieurs mains n’ont pas d’auteurs connus selon la volonté du collectif. Anti-copyright, ils distribuent leurs créations au gré des voyages pendant lesquels ils participent à des conférences et mettent en place des ateliers de sensibilisation. beehivecollective.org


Nature en réanimation

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our Anne-Caroline Prévot, chercheuse en sciences de la conservation au Muséum National d’Histoire Naturelle, la perception de la nature par le grand public tendrait à se simplifier. Elle a mené une étude qui s’appuie sur les productions des studios Disney, de Blanche Neige (1937) à Raiponce (2010) qui conclue à une diminution notable des scènes représentant la nature (de 80% dans les années 1940 à 50% dans les années 2000) ainsi qu’à une décroissance du nombre d’espèces animales représentées. Elle replace cette étude dans la perspective d’une déconnection graduelle du public avec la nature, véritable cercle vicieux, qui a pour conséquence un manque de réceptivité accru face au discours de sensibilisation émis par les scientifiques sur les questions environnementales.

Un âne qui a du jus

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té 2013. Philémon, artiste plasticien et Arnaud Verley, scénographe, mettent en place un projet insolite en Macédoine du nom de Pégase, comme le cheval ailé de la mythologie, sauf qu’ici les ailes ne sont plus faites plumes mais de panneaux photovoltaïques. Empruntant un âne à un fermier du coin ils ont déambulé quelques jours dans la campagne Macédonienne en proposant aux locaux de venir se brancher au dispositif harnaché au dos de l’animal qui, en broutant l’herbe paisiblement à flanc de colline n’a pas dû se douter qu’il ne rechargeait pas seulement ses propres batteries. Ordinateur portable, appareils numériques, téléphone, allume-cigare, scie sauteuse: tout y est passé.

Un futur «cliché»?

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’application Matter, disponible sur l’Appstore, vous propose d’intégrer à vos clichés des formes aux parois réfléchissantes, entre art minimal et jeu vidéo qui donneront un aspect futuriste à toutes vos photos. Un gadget qui rappelle la série Plug-in city (2000) de l’artiste Français Alain bublex, elle-même inspirée des photomontages de Peter Cook au sein du collectif anglais Archigram dans les années 1960. Matter, par Pixite LLC.

Textes et illustrations : Julien Croyal

Téléspetracteur

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010. Un fermier de la région de Moscou fait installer des écrans plasma dernier cri de 102 cm de diagonale dans le hangar qui abrite son troupeau pour y diffuser des images des alpages suisses en continu. Or l’entreprise se révèle absurde puisque l’association «Alpes-Vaches-Lait» tient plus de la perception humaine que bovine: «Dans les régions arides, on trouve des vaches parfaitement heureuses.» nous dit ainsi le professeur Beat Wechsler, directeur d’un centre spécialisé dans la détention convenable des ruminants et des porcs en Suisse. Petite précision, les téléviseurs ont été offerts par un grand fabricant d’électronique, coup de pub?

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Le E GALL IV dans le

RÉTROVISEUR

Texte : Nicolas Simon Illustration : Lisa Mouchet

« Comme toute activité humaine, la révolution puise toute sa sève dans une tradition. » Simone Weil

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près guerre. Le Général De Gaulle veut relancer l’économie en modernisant la France et va jouer la carte de l’agriculture. Fort de ses 46 millions d’hectares exploitables et de ses 2,3 millions d’exploitations agricoles, la France vise l’autosuffisance alimentaire qu’elle atteindra dès les années 70. Poursuivant sa modernisation, l’agriculture deviendra un des moteurs économiques des trente glorieuses, affolant la balance commerciale française, mais au prix de profondes mutations. L’agriculture de subsistance laisse place, peu à peu, à l’industrie alimentaire et se voit à présent assignée une nouvelle mission : faire rentrer des devises aux pays. Elle y parviendra tellement bien que Giscard déclarera que « l’agriculture est le pétrole vert de la France ». Ces transformations radicales ne resteront pas sans conséquence et les premiers symptômes vont bientôt apparaître : disparitions des petites exploitations, omniprésence de la chimie, exode rurale…, la paysannerie, entres subventions et promesses de rendements inédits va, de gré ou de force, bâtir sa propre perte. Abandonnée à l’idéologie libérale, celle qui fût la gardienne de traditions ancestrales est en train de disparaître sous le regard complaisant du bourreau fier de la juste exécution de son travail, ravi d’avoir fait tomber ce rempart à sa logique. Car l’enjeu est bien là : au-delà des conséquences économiques et sociales, c’est bien tout un pan de notre Histoire qui est en train de mourir. Une véritable révolution arrive à terme. Jean-Pierre Le Goff en propose une lecture dans son livre, “La fin du village”*. Empruntons-lui le mot et quelques exemples. De quoi le village est-il le nom ? Pour Aristote, le village « est la première communauté formée de plusieurs familles en vue de satisfactions de besoins qui ne sont plus purement quotidiens ». Un élargissement de la cellule familiale? Un pas en avant dans un processus historique et politique en vue de satisfaire les besoins auxquels les structures antérieures ne peuvent plus répondre ? Le village pourrait alors être la volonté d’un vivre ensemble autour de valeurs communes et d’un projet commun. Aujourd’hui, il s’oppose aux centres urbains déshumanisés où la logique marchande a définitivement remplacé le vouloir vivre ensemble (des solidarités de quartiers existent toujours, évidement, mais la raison d’être des villes est avant tout utilitariste). Mais avec la fin de la paysannerie comme culture endémique, le village se retrouve vidé de la substance qui lui donnait sens.

* La fin du village, une histoire française. Jean-Pierre Le Goff, éditions Gallimard, 2012

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Le village authentique n’est plus, place au village authentoc ! Entre résidences secondaires, échoppes de « créateurs » et labels touristiques (Plus Beaux Villages de France), le village authentoc attire les urbains qui viennent déambuler entre ses façades et remplir les terrasses des cafés, mais à qui on évite de rappeler que 3 agriculteurs se donnent la mort tous les 2 jours en France. Comme souvent, le réel entre en confrontation avec la représentation qu’en fait la logique marchande. La tradition, qui devrait être un rempart à la modernité décadente se consomme ici comme une simple marchandise. On vient à la campagne en aimant à se dire que la ville nous avilit, nous dépossède (de notre argent, de notre âme…) mais sommes-nous prêt à sauter le pas et à dire non à la modernité ? Tirailler entre le potager et les lumières de la ville, nous voulons le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière. Au carrefour de cette schizophrénie contemporaine, les néo-ruraux pourraient bien sceller l’avenir du village : l’achever en finissant de le vider de toutes substances authentiques ou bien lui redonner vie, mais pas sans sacrifice.

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Reconstruisons le village ! Dans un contexte où la novlangue nomme progrès l’acceptation de la marchandisation du monde et où l’inversion des valeurs fait profession de foi, nous devons nous affirmer conservateurs. Pas de ceux qui se complairaient dans un obscurantisme béat en s’opposant à toutes formes de progrès (1). Mais plutôt de ceux qui pensent que le futur ne peut s’envisager qu’à l’aune de la modernité et que l’émancipation trouve ces racines dans une tradition (comment un être déraciné pourrait être capable de la moindre étincelle?). A cet égard, nous de devons pas penser la paysannerie comme un paradis perdu mais plutôt trouver en elle une inspiration salvatrice. Dès lors, nous pouvons encore faire de notre retour au village le retour du village. Néo-ruraux, plus que jamais vous devez être des pionniers plutôt que les idiots utiles du système (2). Venez avec vos envies, vos « ras-l’bol », votre volonté d’en découdre ou tout simplement pour retrouver une qualité de vie qui vous échappait jusqu’à présent. Mais n’oubliez pas que vous arrivez en étranger et que vous devez vous assimiler. Imprégnez-vous de la terre et de la main qui la travaille. C’est cette main, à peine tendue, parfois, qu’il va falloir saisir, fraternellement et sincèrement. Œuvrez ensemble à notre intérêt commun : la refonte d’un être ensemble, la paysannerie dans le rétroviseur *. Substituons le paradigme de l’individu à celui du village en lui redonnant sens et substance. Renouons avec notre Histoire, nos vieux, nos racines. La refonte du village, c’est un bras d’honneur à la logique marchande, un rétropédalage nécessaire pour un futur moins obscur. Dit autrement, ce pourrait être l’autre nom d’un ré-enracinement, la promesse d’une libération.

* J’emprunte l’image du rétroviseur à Jean-Claude Michéa. (Voir “Le testament d’Orphée”, Ed. Climats, 2011)


NOTES (1) Il est certain que nous aurons toujours besoin de progrès important pour le devenir de l’humanité. Le problème, il me semble, surgit dès lors que le progrès engendre des changements trop rapides, tels ou orientes de telle façon qu’il tend à modifier les éléments les plus élémentaires de la vie en société que l’on pourrait nommer les invariants constituants de l’être-ensemble. (2) Pour un bon nombre de (jeunes) citadins, la campagne est en déficit de Culture. Leur arrogance est si grande qu’ils sont incapables de se rendre compte que les paysans sont les détenteurs de traditions immémoriales et n’ont que faire de cette Culture que ces impétrants ont depuis longtemps assimilée presque exclusivement à l’objet culturel. Victimes à peine conscientes de l’idéologie libérale, ce serait bien à eux de venir prendre un bouillon de culture auprès des paysans et comprendre ceci : la paysannerie se meurt pour des raisons économiques et sociales, politiques et idéologiques, mais certainement pas par défaut de Culture(a).

(a) Je n’essentialise pas ici les différents protagonistes en posant, par exemple, que les citadins et néo-ruraux seraient Le Mal ou le mauvais et les paysans Le Bien ou le mieux (le monde rural à lui aussi succombé aux sirènes de la modernité, comme je le rappelle dès le début). La complexité traverse chaque situation et recommande un juste pragmatisme. Mais si on pose que la tradition est un des remparts a l’idéologie du progrès (celle qui nie l’existence d’invariants) et à une vision exclusivement utilitariste du monde, nous pouvons alors dire que le monde rural est, d’une manière générale, plus enclin à contenir cette idéologie en cela qu’il possède plus de traces et de ferments traditionnels que le monde urbain.

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Safari en

PYJAMA

Texte & Illustrations : Léo Lescop

À

travers le filtre de tes cils baissés, la vie s’inverse dans un rêve éveillé. Piste

en rampant sur un tapis volé, relâche tes paupières comme piège qui se referme. Ici 20|

et là, se replacent les lignes comme autant de collets sur le passage du lapin blanc. Braconnier du cauchemar, au poil sur la descente de lit, admire les reliques encadrées, le fier album de l’aventurier, l’herbier des faux témoignages, un élevage de phénix en cage.







Y'A PLUS DE BON SENS !

Texte : Nicolas Bongrand Illustration : Mathieu Choinet

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llez, un coup dans les rétroviseurs, le clignotant, et hop on tourne à gauche ! De toutes façons le clignotant dans une route de campagne complètement déserte ne sert qu'à prévenir les escargots et les écureuils de notre virage. C'est donc inutile...si virage à gauche il doit y avoir, on peut le faire sans les prévenir, les escargots et les écureuils. Si déjà tout ceux qui voulaient tourner à gauche le faisaient vraiment, sans prendre le temps de faire les contrôles stratégiques et de se poser trop de questions du genre : « Vaut-il vaut mieux suivre le GPS des sondages ou attendre la prochaine occasion de virer de bord en 2148…??? » Alors nous serions déjà, peutêtre, en train de tourner dans le bon sens... Bon sens qui voudrait aujourd'hui que ce genre de conduite politique soit dépassée. Car de nos jours, c'est bien connu, la question n’est plus de savoir s'il faut tourner à gauche ou à droite ni comment le faire... puisqu'il faut être réaliste : « Jette un œil dans le rétroviseur quoi ! Ça n'a jamais rien changé, toutes pareilles, pédales de gauche, pédales de droite, embrayage du centre ! Tous les mêmes branchés sur la même courroie ! Ces virages ne mènent à rien ou toujours au même endroit … » - Discussion réelle avec un garagiste (gars enragé et défaitiste). Si je comprends bien autant laisser le monde courir à sa perte, aux mains des prédateurs pressés et o combien pressants. En plus il n'y a déjà presque plus d'essence dans le réservoir, l'aiguille indique bel et bien qu'on puise dans nos réserves...laissons faire, le temps de se réveiller arrivera bien assez tôt.

Mais y a-t-il un BON sens ? Je pense que oui...alors cela pourrait être le contresens...le sens interdit ? Par qui par quoi ? Par nous-mêmes d'abord. À force de nous laisser guider par une multitudes de codes, de limites, et d'amendes coercitives, nous ne conduisons plus. Mais alors plus du tout. Nous n'avons plus confiance en nos sens, en notre bon sens et au sens commun. Une vision négative de l'homme s'est imposée comme s'est imposée la loi du marché. Pourtant l'universel existe. La conscience du juste et de l'injuste, si elle varie d'une culture à l'autre recouvre des aspects qui nous relient tous : • nous sommes tous mal à l'aise à la vision de notre semblable quand il mendie, quand il s'enfonce dans la dépendance, quand il est humilié gratuitement... • nous sommes tous sensibles à la beauté d'un coucher de soleil, au délice d'une bonne tomate ! • nous sommes tous aptes à ressentir de l'amour, et gratifié par le bonheur que l'on procure a autrui, quand cet autre a la «sincérité» d'assumer sa jouissance. Donc, pour croire à nouveau en l'animal humain, en la beauté, il semble que la cohérence passe par une reconnection à la nature, au cycle de la vie. Apprendre à retrouver le temps de la nature, et de notre nature individuelle.



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La

Nouvelle

Texte : Iban Yogo Illustration : Lucie van der Elst

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ranscription du rapport par CM de l’agent Ø1743 Mardi 12 Octobre 2039, 13h40, position Village S-34. J’ai abordé le sujet ce matin vers dix heures. J’ai réussi à le persuader de me servir de guide au moins jusqu’à NouEden et peut-être jusqu’à la Barrière Est. Le voyage devrait durer six jours si tout se passe bien. Si le sujet répond bien aux différents stimuli de sociabilisation, j’essaierai de le sonder pour détecter d’éventuelles implications avec les individus soupçonnés de collaboration. J’ai également obtenu le soutien d’un Technicien type Comb. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de faire calibrer son récepteur sur mon Communicateur Mastoïdien. BiotopieWiki : La population Il y a trois sortes d’habitants à Biotopie : - Les Anciens sont là depuis le début il y a 24 ans. Selon le règlement, ils sont officiellement des employés non rémunérés de SocialHub, jouissant à vie de l’usufruit de la zone de jeu. Ils ont pour charge de permettre l’accueil des Nouveaux, même si la plupart d’entre eux se contentent de ne leur accorder qu’un bref soutien de politesse, ou d’urgence. Le statut d’Ancien s’applique aussi aux enfants nés durant la première phase de Biotopie. - Les Nouveaux sont les participants au jeu de téléréalité Biotopie.TV. Ils ont été sélectionnés pour leur talent, leur prouesse, leur motivation, leur intérêt pour la vie en communauté ou dans la nature. D’autres ont payé très cher pour passer à travers les sélections (officiel). Et d’autres sont envoyés parce qu’ils présentent des particularités médicales ou sociales suffisamment intéressantes pour être étudiés dans

un milieu communautaire. Ils sont là pour une période d’une année et arrivent au rythme de 20 par mois. - Les Techniciens (ou les Voyeurs, c’est selon) sont les cameramans que l’on peut apercevoir de temps en temps filmer une activité de travail, une fête, une exposition d’artiste, ou n’importe quel événement qui leur parait digne d’intérêt. Ils sont censés être invisibles aux téléspectateurs, aussi sont-ils toujours habillés de façon identique avec vêtements militaires type sneak, visage caché, ne doivent jamais dire un mot ou intervenir auprès des habitants (sauf en cas de danger).

Jean-Chèvre, dans son épais costume en peaux de moutons, casque à cornes de bouc et masque de billes de verres colorées, commence immédiatement à marcher. « - On passe d’abord par le lac, je dois récupérer mes moutons que j’ai laissé là-bas. Je ne les amène jamais plus proche du Village, j’ai pas confiance dans l’herbe du coin. Et eux non plus ! - Pas de problème, je suis contente qu’on emmène un troupeau. - C’est pas un troupeau, je n’en ai que 6 avec moi là. Je bouge jamais sans quelques amis avec moi. Ils ne nous ralentiront pas, ne t’inquiète pas. » Jean est de bonne humeur. Il a rarement l’occasion de pouvoir se promener avec « une nouvelle » prête à l’écouter parler de ses passions. « - C’est quoi notre itinéraire alors ? Singaport ? C’est de l’autre côté du lac, ça fait un beau détour. - Pas vraiment. Le lac se resserre entre la combe verte et la vallée. Là ils ont mis en place un système de bac pour traverser et qui nous dépose juste au pied du Mur Est. On ne perdra qu’une heure par rapport au chemin plus direct.


- On n’a jamais vu ce ce bac à la télé ! - Ah oui ? Remarque ça ne m’étonne pas. Il a surtout été mis en place pour raccourcir le trajet entre NouEden et Singaport. Rien d’intéressant quoi. On devrait y être en début de soirée. On campera là-bas, il y a quelques cabanes pour les voyageurs. - Cool, on verra du monde ? - Faut pas voyager avec moi si tu veux croiser des gens pour faire la fête ! Peut-être quelques bergers qui viennent troquer leurs fromages. Mais c’est pas trop le moment, je pense qu’on ne verra personne. On repartira demain de bonne heure pour une bonne journée de grimpette. Si t’es assez en forme on sera à NouEden pour le dîner de demain soir. - Je suis endurante, j’ai été sélectionnée pour ça. J’aimerais vraiment voir la Barrière Est, vous pensez que ce sera possible ? - Tu veux pas me tutoyer ? - Si bien sûr. Tu es un peu une légende avec ton costume, j’avoue avoir un peu de mal ... - Faut pas ! Mais bon ça fait plaisir de l’entendre. Pour la Barrière tu n’as pas choisi le meilleur côté. Elle se situe encore à une bonne journée de marche de NouEden, avec deux crêtes à passer. C’est pas moins long pour la barrière Nord, mais beaucoup plus facile, c’est presque tout plat. La Barrière Ouest tu peux presque tout faire en barque. Au sud, c’est compliqué, et dangereux, de la rocaille et de la falaise. Il faudra qu’on fasse bien attention au temps. C’est pas la meilleure saison pour une balade en montagne. On peut se retrouver coincé plusieurs heures en cas d’orage, et il me semble que tu as une limite pour retourner au Village. - Je viens de poster ma vidéo, j’ai une semaine pleine. - On fera en sorte que ça suffise. Allons pressons ! Je suis impatient de retrouver mes potes. Je te présenterai Simon, Gaston … BiotopieWiki : Le Village C’est le lieu d’accueil pour les Nouveaux le plus facile à vivre. 69 Anciens et 180 Nouveaux y étaient recensés le jour de la Fête de L’Hiver 2038. Le Village profite de l’exceptionnelle qualité de main d’oeuvre «fraîche» qui débarque tous les mois et tout y est fait pour

qu’ils y restent. Grâce au génie d’organisation et d’animation dont font preuve quelques Anciens comme le chanteur Tom Mix, le grand argentier Magnus Main D’Or ou le maître des plantations Pierrot Grands-Pieds, les participants de la téléréalité trouvent là-bas tout le luxe possible pour faire de leur année de passage une expérience unique. C’est au Village que l’on trouve tout les produits manufacturés de Biotopie : vêtements, petits outils de métal, verres, poteries, bois de charpente ... Les champs nécessaires à l’approvisionnement en nourriture couvrent plus de 80 hectares à l’ouest, le long de la rivière qui s’écoule du lac en direction de l’ouest et qui coupe la grande vallée en deux. Des séances de chasse de petits gibiers et de pêche sont aussi organisées régulièrement. La répartition du temps de travail de chaque habitant est optimisée pour permettre à chacun de pouvoir consacrer un maximum de temps à sa passion. L’exceptionnelle saison d’été de 2037 a permis à la population du Village de vivre celle de l’année suivante sur un rythme moins soutenu. C’est ainsi que la Fête de L’Hiver 2038, traditionnellement l’occasion pour les artistes, penseurs, scientifiques naturalistes, associations biotopiennes, ingénieurs ou autres de présenter leurs travaux, a certainement été la plus belle, la plus prolifique, la plus riche et la plus dansée de mémoire d’Anciens. À noter que la plupart des Anciens du Village sont des Enfants de Biotopie.

Ølivia observe Jean-Chèvre en train d’exécuter sa «danse des retrouvailles» avec ses amis, une demi-douzaine de moutons qui paissaient dans un petit enclos non loin du lac. Cette danse est une succession de mouvements de bras à la manière de ces vieux chanteurs de RapMusic du début du siècle, rythmé en se dandinant d’un pied sur l’autre et en bêlant le prénom de chacun des moutons. Ceux-ci tournent et sautent autour de lui en l’accompagnant de leurs cris chevrotant. Un bruit venant de derrière l’un des piliers de pierre attire l’attention de la jeune femme. Le Technicien Comb est là, presque invisible dans son vêtement mêlant couleur craie et vert

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clair, et lui fait signe d’approcher. Ølivia recule jusqu’au pilier, s’accroupit et fait mine de chercher quelque chose dans son sac. L’agent est en train de filmer Jean. «- Non mais quel taré celui-là, incroyable ... - Tu n’es pas censé te montrer, ni parler ! - Ouais ... les ordres ont changé. À la Barrière Est, on doit le neutraliser et le faire sortir. La Sécu estime que de toute façon il est trop dangereux à se balader partout comme ça. Si en plus il a des contacts avec les rebelles tant mieux. Ton boulot ne change pas, tu dois continuer à le cuisiner. La neutralisation je m’en charge. - Et si il veux pas aller à la Barrière à cause du temps. - Il faut, débrouille toi ! - Il revient.» Ølivia sort un carnet de son sac et griffonne dedans. «- C’était trop beau ! dit-elle à Jean avec un grand sourire. - Je passe voir une amie en vitesse, elle a quelques herbes pour moi et les moutons. Grignote un truc, on en a encore pour quelques heures avant d’arriver au campement de ce soir.» BiotopieWiki : Singaport «I want to sing a harbour.» Telle aurait été la phrase prononcée par l’un des Anciens fondateurs de ce village accolé à la rive nord du lac, à une vingtaine de kilomètres du Village. Mais l’usage en a déformé le nom (prononcer sïngueupor). Véritable oeuvre d’art construite sur les ruines du village originel disparue lors de la grande crue du lac au printemps 2022, c’est un assemblage d’une cinquantaine de plateformes de bois posées sur des piliers formés d’énormes pierres plates taillées et superposées. Toutes les plateformes sont reliées entre elles par un réseau de passerelles. On peux y voir, selon les goûts des propriétaires, des yourtes, des cabanes améliorées, quelques vraies petites maisons aux murs partiellement construits en pierre, et des grands bâtiments de bois servant d’entrepôts et de réserves de bûches. Les habitants cultivent des jardins individuels situés sur un petit plateau orienté plein sud à une heure de marche. Ils

vivent aussi beaucoup de la pêche. Le côté du village contre le lac est prolongé d’une jetée de pierres et de terre qui s’avance d’une vingtaine de mètres dans le lac. Deux grandes barges et une dizaine de barques y sont amarrées. L’ambiance est ici aussi très communautaire, mais les habitants, en grande majorité des Anciens, seuls, en couples, voir en famille, préfèrent conserver une certaine intimité. Rares sont les Nouveaux à trouver accueil en leurs murs, mais quelques baraquements et espaces de jardins leurs sont réservés. On remarquera la présence du seul éleveur de cochons sauvages ici.

Rapport de faits par l’agent Tech Type Comb07 12/10/39 19h42 arrivée au relais, coordonnées GPS en pièce jointe. 20h37 la chèvre quitte le relais, filature engagée 20h45 la chèvre dépose ses moutons dans une petite grotte, coordonnées GPS en pièce jointe, puis repart au campement 20h48 échec de la fouille de la grotte, les moutons s’agitent 20h58 retour de la chèvre 21h32 la chèvre retourne au relais silencieusement, espionne quelques minutes l’agent Ø1743, puis retourne à la grotte 22h23 idem 23h48 idem 13/10/39 01h56 idem 03h05 idem 05h20 idem 05h28 l’agent Ø1743 est informée de la présence de la chèvre et assure avoir émis le message en mode silencieux 08h02 la chèvre part de la grotte avec ses moutons, demande de la fouille du lieu par agent type comm vu le comportement suspect du sujet 08h27 la chèvre et l’agent Ø1743 prennent la direction de la montagne E1

Transcription du rapport par CM de l’agent Ø1743 Mercredi 13 Octobre 2039, 05h25, position non siglée. Le sujet a dormi à l’extérieur du relais de voya-


geurs, il est censé me retrouver une heure après l’aube. Les différentes discussions menées dans la journée ont été très instructives. Il est évident qu’il prend plaisir à ma compagnie, mais manifeste une réelle hostilité dès que l’on aborde des thèmes comme le progrès, la civilisation ou l’agriculture avancée. Il a plusieurs fois émis l’idée d’envoyer, selon ses termes, tous ces paquets de graines pourries par dessus la Barrière, voir pire, en parlant soit des participants en général, soit des graines qu’ils amènent avec eux en don pour la communauté. Il n’est peut-être pas affilié avec des courants collaborationnistes, mais sert une cause. Il parle de temps en temps, outre de ses «amis» les moutons, de réseau de résistance propre à la zone de jeu, d’une guerre contre l’avancée des extrémistes industriels qui se serviraient de Biotopie pour leur propagande. Il omet volontairement le fait que tout cela n’existe que grâce à eux. Je pense changer de protocole de sociabilisation aujourd’hui. Section de Sécurité pour l’agent Tech Type Comb07 La surveillance du sujet dit Chèvre doit être accrue. Vous êtes autorisés à utiliser la pilule énergie modèle F1 pour mener à bien votre mission qui reste inchangée. «- Allez, pause déjeuner, on l’a bien mérité. Tu as été bien silencieuse ce matin, manque de souffle ? - Non, je l’économise ! Encore 5 jours de voyage, je veux tenir le coup. Mais c’est vrai que c’est difficile de tenir le rythme ... - Voilà ce que c’est que de laisser des intermédiaires s’immiscer entre toi et l’environnement ! La dernière née de NouEden, neuf ans, faisait déjà ce trajet aussi vite que nous quand elle n’en avait que six. Ton corps et ton esprit cherchent de l’aide extérieure par réflexe, et te font voir les montagnes plus hautes qu’elles ne le sont. C’est une image ... - Merci j’avais saisi. - Apparemment il ne suffit pas de vous expliquer simplement ! Il faudrait aussi vous... - Arrêtons là s’il te plait, ne recommençons pas comme hier. C’est ... très difficile de passer du

temps avec quelqu’un qui te considère comme corrompu dés que tu émets l’idée que les choses peuvent être plus faciles. - C’est pas plus facile, c’est ... - Arrête ou je m’en vais ! Et ce sera un échec pour moi. Je voulais juste voir des troupeaux, un village de bergers, la Barrière, visiter les montagnes ... Pas pour entendre quelqu’un m’insulter en permanence pour des faits auxquels je ne peux rien ... - Houla, attends, non pleure pas ... - Je pleure pas ! - Ben si je vois bien ... Bon excuse moi. Je ne me rend plus compte, je ne parle presque plus qu’à mes moutons depuis plusieurs années.» La pause déjeuner s’achève dans un silence gêné. «- Repartons, il reste encore un petit morceau à faire. - Ok. - Quand je suis parti, il y a deux semaines, il y avait quelques chèvres en gestation. Avec un peu de chance tu pourras donner un biberon à un petit chevreau ce soir, ça te plairait ? - Je serais juste la plus heureuse du monde ! Tu sais qu’on ne peut plus faire ça en Europe à cause des bactéries ? À part dans les fermes-laboratoires qui acceptent les touristes. - ... on a dit qu’on arrêtait de s’insulter ... - Oui oui. Ce que je veux dire c’est : je suis née avec ça, mais je suis pas forcément d’accord non plus. C’est pour ça que je suis là.» BiotopieWiki : NouEden Il faut plus d’une journée de voyage depuis Le Village pour y parvenir. Ce lieu s’appelait à l’origine Nouvel Eden, de façon pour le moins arbitraire si l’on considère qu’il est situé sur un plateau herbeux de moyenne montagne où les arbres sont plutôt rares et à l’ombre des deux crêtes de la montagne appelée le Mur Est. Composés exclusivement de yourtes, le village pourrait ressembler à ceux des Indiens d’Amérique et change régulièrement d’emplacement. Mais jamais très loin de la profonde grotte que les Anciens ont trouvé dans une crevasse du plateau, et occupé le temps d’organiser leurs troupeaux. Cette grotte sert maintenant à la fois de grenier, de fromagerie

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et de bergerie. On compte exactement quarante bergers, enfants compris, une dizaine de Participants. et environ une centaine de chèvres et de moutons. Les habitants vivent en parfaite harmonie avec les troupeaux, chaque bête a son nom et fait l’objet de soins particuliers. Il n’y a aucun abattage, à part pour cause de maladies contagieuses si la quarantaine ne suffit pas. La laine et le lait de chèvre constituent les principales ressources. Vêtements, cordes, couvertures, tapis, fromages, yaourt, ... Tout ce qui ne sert pas aux habitants est troqué à Singaport ou au Village grâce aux Nouveaux qui résident à NouEden mais qui doivent obligatoirement y retourner chaque semaine poster leurs vidéos. Il n’y a plus aucune relation entre les Anciens de NouEden et ceux du Village depuis plusieurs années.

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«- Tu as passé une bonne soirée alors ? - Pas bonne non. Juste merveilleuse. Le chevreau orphelin, la bergerie, le repas, les gens ici sont si accueillants. Et qu’est-ce que ça fait bizarre de voir des enfants ici ... Je me sens détendue, repue, heureuse, … Vraiment. - S’ils sont accueillants, c’est un peu parce que tu étais avec moi. Ils sont beaucoup plus rustres d’habitude, demande aux Nouveaux qui sont là. Enfin bon, je suis bien content que ça t’ait plu ... Vraiment.» Jean se relève, fait quelques pas puis se retourne. «Je pense qu’il fera beau demain, tu voudras toujours aller voir la Barrière ? Tu peux rester quelques jours ici si tu veux. Je peux même rester avec toi et te raccompagner. Là-bas c’est triste, rocailleux, et puis c’est qu’une grosse palissade en fin de compte. - Si, il faut. - Faut ? - Je veux dire, je n’aurais jamais de meilleure occasion. Ma saison se termine en mars et ce sera encore plus difficile pendant l’hiver. - Il fallait le faire cet été ! - Je voulais le faire avec toi ! Mais tu étais introuvable ... - Je croyais que tu plaisantais quand tu disais que j’étais une légende mais apparemment non

... Tu te plais vraiment pas assez ici ? - Si, beaucoup, je te l’ai dit. Mais je pourrai revenir ... S’il-te plaît. - Très bien, j’aurais essayé. À demain, à l’aube ce coup-ci !» Rapport de faits par l’agent Tech Type Comb07 13/10/39 21h58 la chèvre part de la yourte où est installée l’agent Ø1743 22h03 l’agent Ø173 est informée du dernier message de la SdS et m’assure que la sécurité-anonymat est encore valide 22h07 j’aperçois la chèvre s’engouffrer dans la crevasse G22 22h12 échec de l’infiltration, les bêtes sentent mon approche et s’agitent 22h15 suis en observation depuis un poste élevé 14/10/39 06h59 la chèvre rejoint l’agent Ø1743 07h23 ils partent en direction du nord, certainement pour contourner la crête E1, la chèvre a emmené six moutons, deux chèvres et un bouc «- Là, on peut l’apercevoir d’ici, la ligne noire derrière les arbres. - Ah oui. Mais c’est encore loin ... - On a marché que trois heures. Encore au moins six, facile. Mais faisons une courte pause, profite du paysage.» Ølivia fait un lent tour sur elle-même. Ils sont sur une basse crête du Mur Est et de là, ont une vue imprenable sur le lac dans son ensemble et sur les deux petites vallées au-delà du Mur Nord. Elle peux apercevoir, minuscules, Le Village et Singaport, noyés au milieu des forêts qui recouvrent une grande partie de la vallée principale. La rivière qui part du lac devient presque fleuve au-delà des champs d’agriculture et d’arbres fruitiers quand il reçoit l’eau d’autres rivières descendant des chaînes de montagnes nord et sud. Sous leurs pieds s’étend sur toute la longueur de la montagne, entre les deux crêtes, le plateau isolé de NouEden avec sa crevasse qui, vue d’aussi haut, ressemble à une étoile dont on aurait coupé les pointes. Á l’est, la petite vallée suivie de la montagne qu’il leur reste à passer. - C’est, comment dire, ... ouaah. Tu vois toujours des choses comme ça ?


- C’est ma vie oui, et celle de mes potes,» répond-il en flattant John, le bouc, sous le menton. «- Tu vas me rendre jalouse ! De ta vie hein ? - Bah, ça peux être la tienne aussi. - Qu’est ce que tu veux dire ? - Ben tu arraches ta puce et tu disparais. D’après mes estimations, la zone fait plus de dix mille kilomètres carré. Quasiment que de la montagne ou de la forêt, il faudrait plusieurs armées de chasseurs pour te retrouver. Ils me retrouveraient pas moi en tout cas. - Facile à dire non ? - J’ai déjà entendu dire que certains l’avaient fait ici, d’arracher leur puce. - Oui, et ils se sont vite fait rattraper et interner. - Ça c’est ce qu’ils vous racontent je suis sûr. Moi j’en mets pas ma main à couper ... - Et pour quelle vie ? Toute seule ici, tu me vois m’en sortir ? - Non, pas toute seule. Il y a les expatriés, personne ne sait vraiment où ils sont. À part moi. Et puis moi aussi je pourrais être là. - Attends, il y a deux jours à peine tu me considérais comme une graine pourrie et maintenant tu veux faire ta vie avec moi ?! Je suis pas stupide non plus hein ? Et tu veux pas enlever ton satané casque que je vois si tu te fous de moi ou pas ? - Du calme, j’ai dis que je pourrais être là, j’ai pas dis qu’on allait se marier. Je ... t’ai trouvé mignonne avec le chevreau. J’ai pensé que peutêtre, tu pourrais vraiment y croire aussi, à la vraie vie. Je me suis trompé ... - Tout le monde vit une vraie vie, même ceux au-delà des Barrières. Je ... Tu... m’as un peu fait peur là d’un coup. Je me suis énervée, désolée. C’est gentil de me proposer ça, vraiment. Mais je suis pas obligée de me décider de suite hein ? - Non bien sûr, ni demain héhé. Allez, reprenons la route ! On a encore du pain sur la planche comme on disait de mon temps ! - Jean ? - Oui ? - Merci.» BiotopieWiki : Les Expatriés La zone de Biotopie dans sa première phase était circonscrite aux frontières naturelles de la vallée, d’où les noms de Mur Est, Sud et Nord pour les montagnes voisines de la vallée. La

frontière ouest était matérialisée à environ cinquante kilomètres par un énorme mur de béton avec système de caméras de surveillance et service de sécurité. On retrouvait ce mur de béton aux différents cols et points de passages potentiels sur les Murs. Au moment de la phase deux, la zone a été considérablement agrandie, notamment au nord et à l’ouest du Village. Les murs ont été abattus Les habitants estiment qu’il faut au moins 3 jours de voyage dans toutes les directions à partir du Village pour atteindre ce qu’on appelle maintenant les Barrières (à part la Ouest où il faut un peu moins de deux jours, il est possible que les organisateurs n’aient pas pensé qu’on puisse utiliser un bateau sur la rivière de la vallée ...). Quelques Anciens en ont profité pour s’éloigner le plus possible du Jeu. On estime à une trentaine le nombre de ces personnes, dont certains n’ont pas réapparu depuis plusieurs mois. Mais certains grands itinérants comme Jean Caprais (aka Jeanchèvre) ou Elsa (oui, la chanteuse) assurent prendre des nouvelles de temps en temps. Ce sont principalement des marginaux qui n’intéressent que très peu les participants. À part bien sûr les Déçus de l’Amour est dans le Pré, quatuor d’hommes aux mœurs décousues, dont le style de vie en attirent toujours quelques-uns. Quelques légendes courent à propos de participants ayant réussi à «s’évader» et qui vivraient grâce au soutien de quelques Expatriés, ce que les dirigeants de SocialHub démentent formellement, preuves à l’appui.

Transcription du rapport par CM de l’agent Ø1743 Jeudi 14 octobre 2038, 13h23, zone non siglée. Nous sommes à mi-hauteur de la dernière crête avant la descente jusqu’à la Barrière Est. Le sujet est parti depuis presque une demie-heure chercher des plantes de montagne. J’en profite d’être seule pour demander à ce que l’opération de neutralisation soit annulée. J’ai bon espoir que le protocole de sociabilisation ait porté ses fruits. Il a été jusqu’à me proposer de disparaître du Jeu avec lui. Il m’a aussi parlé des Expatriés. Je suis convaincue de pouvoir en

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apprendre beaucoup plus sur ses relations avec les autres sujets suspectés de collaboration avec la rébellion. Je suis également convaincue que, si cette collaboration existe, le faire disparaître de la zone de jeu ne pourra qu’indiquer aux rebelles que nous sommes proches de les intercepter. Section de Sécurité pour l’agent Tech Type Comb07 À l’attention de l’agent Ø1743, demande refusée, la mission ne change pas. Une équipe de neutralisation est prête en renfort derrière le Mur Est au point supposé d’arrivée du sujet. Rapport de Faits de l’agent Tech Type Comb07 14/10/39 12h57 la chèvre et l’agent Ø1743 s’arrêtent de marcher sur un promontoire dégagé, coordonnées GPS en pièce jointe 12h58 la chèvre s’éloigne et laisse l’agent Ø1743 avec les animaux 13h09 la chèvre semble avoir trouver des plantes à baies qui l’intéressent, coordonnées GPS en pièce jointe, il commence à les ramasser 13h25 réception du message de la SdS, je retourne vers la position de l’agent Ø1743, le sujet continue à ramasser ses baies 13h31 l’agent Ø1743 s’est éloigné des bêtes, je lui transmet le message de la SdS, je repart en direction de la chèvre 13h33 la chèvre est en train de revenir, je me remets en observation « - J’ai trouvé ce que je cherchais. Un genre de cynorrhodon, ou gratte-cul, tu connais ? - Euh non. C’est une plante médicinale ? - Pas vraiment, mais ça contient plein de vitamine B, C, PP, bla bla. Bref, ça donne pas mal d’énergie. Je pensais … Ça te dirait une petite tisane ? - Maintenant ? On peut pas la faire en arrivant à la Barrière, je croyais qu’on y était presque. - Oui ça on y est presque, j’en déprime déjà. En fait on va passer la crête au dessus de nous là, et puis on aura plus qu’à redescendre, la Barrière passe juste au pied de la montagne. Ça veux dire que dans une heure on ne verra plus le soleil, et

qu’on ne le reverra pas avant demain matin en remontant la pente. On va avoir froid ce soir je te le cache pas, même moi. - Ben autant la boire ce soir pour se réchauffer … - Oui, on en boira une autre ce soir, je me suis fais des provisions. Mais faut le temps de digérer pour que ça agisse. Oh, et puis c’est moi le guide hein ? On n’est vraiment pas en retard, là on est au soleil, bien à plat et en montagne c’est pas rien, et oui ça me fout le bourdon de continuer tout de suite. Quelque chose me dit que le voyage de retour sera moins sympa … - Ok, pourquoi pas. J’adore les tisanes en fait. C’est pas trop la mode au Village, c’est dommage. - Tout les Anciens en boivent, crois moi. Même ceux du Village. Tu savais qu’aucun cas de cancer à cause environnementale n’a été recensé chez les vieux de Biotopie ? - Grâce à la tisane de gratte-culs ? - Haha, non j’irai pas jusque là. Mais grâce aux bienfaits des tisanes en général ça m’étonnerait pas. - Et pour le feu ? - À l’ancienne. Mousse sèche, résine, silex, regarde ... »

Transcription du rapport par CM de l’agent Ø1743 Je ne peux plus bouger mes mains, il m’a empoisonné, je peux pas me lever, à l’aide, … (bruits incompréhensibles) Section de Sécurité pour l’agent Tech Type Comb07 Intervention immédiate, agent Ø1743 en danger. Mort du sujet proscrite. Utilisation de la pilule énergie modèle F2 autorisée. « -Ça va faire vite effet. Stressée comme tu es à mener ton p’tit jeu et avec la fatigue du voyage, tu devrais déjà en sentir les effets. N’accuse pas le gratte-cul, il n’y est pour rien, j’avais prévu le coup avant. C’était dans la gourde que j’ai utilisé. Je l’ai préparé à Singaport quand j’ai vu l’autre à côté de toi. Je t’entends grincer des dents, difficile de parler dans ton machin avec les mâchoires bloquées hein ? Héhé, je suis bien aise que tu adores les tisanes. Bon, l’autre de-

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vrait pas tarder ... » Une fléchette apparaît comme par magie au milieu de la poitrine de Jean, avec un petit bruit de bois creux, suivie d’une autre juste à côté. « C’est parti ... »

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Transcription des événements vu par la caméra d’épaule de l’agent Tech Type Comb07 L’agent tire les deux fléchettes neutralisantes droit au but mais le sujet se lève apparemment sans gêne. L’agent court vers le sujet distant d’une vingtaine de mètres, dans le même temps avale la pilule modèle F2. Le sujet arrache son masque et le jette dans le feu qui crépite aussitôt, et recule. L’agent contourne le feu quand celui-ci explose en libérant beaucoup de fumée. L’agent traverse le nuage, repère le sujet, mais se jette sur un mouton et essaye de le faire tomber. Au bout de quelques secondes, il lâche le mouton, mais pour se jeter sur le bouc. Il arrive à lui saisir les cornes et lutte pour ne pas se faire renverser. Un coup provenant apparemment de derrière lui l’envoie au sol. L’agent roule sur lui-même pour faire face au sujet que l’on voit armé d’une pierre tachée de sang. Mais au lieu de se relever l’agent recule sur les mains en hurlant jusqu’à être coincé par un arbre ou un rocher. Il semble plus paniqué par les animaux du sujet qui sont maintenant en demi-cercle autour de lui que par le sujet lui-même qui pourtant s’avance de façon menaçante en brandissant la pierre. Le sujet frappe l’agent au crâne deux fois, puis détruit la caméra. Pendant toute l’action, l’agent Ø1743 est restée allongée au sol, apparemment en état de choc.


« - Ça ne sert pas à grand chose de trop s’agiter, tu vas vomir et ce sera encore pire. Essaye plutôt de reprendre conscience de tes membres en les ... - Où on est ... - Pas très, très loin de là où on était, mais suffisamment pour qu’il ne t’entendent pas crier dans l’état où tu es. - Connar ... » Jean la plaque au sol, et Ølivia cesse de résister, prise de haut-le-coeurs. «- C’est pas parce que j’ai eu pitié que tu es en vie. La pitié je l’ai eu quand je t’ai proposé de tout quitter. Mais t’as pas saisi l’occasion. J’ai un message. Dis-leur qu’il y a pas de rébellion ici, pas encore, mais qu’ils viennent d’en planter la graine. C’est eux qui vont m’écrire ma légende maintenant. Je vais disparaître comme ils le veulent, mais dis-leur bien, que je sais qu’il n’y a pas que la télé ici ... » L’homme à cornes de bouc se relève et commence à partir. «- Tu le sens pas encore mais j’ai dû t’enlever ta puce GPS, et le communicateur de bouche aussi, désolé pour ça. Bon courage ! »

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La star story

Biotopie

Origine

Tom Mix est l’un des rares non-francophones à avoir été sélectionné dés la première phase. Jeune chanteur de country prometteur, il s’engage alors dans l’aventure de Biotopie en espérant trouver « la voix de la Terre » et promet de revenir la faire partager. Mais il est resté. Il est maintenant le leader charismatique du Village et le porte­parole attitré de la communauté. Une fois par mois, SocialHub diffuse un de ses concerts en direct live de la zone de jeu sur Biotopie.vod, avec un succès qui ne se dément pas.

Avant d’être l’émission de téléréalité la plus suivie dans le monde, Biotopie a d’abord été un projet scientifique. A la fin de l’année 2014, plusieurs organismes scientifiques indépendants (biologie, anthropologie, sociologie, ...) mirent en commun leurs soutiens financiers afin de lancer une expérience in vivo d’études de la population humaine en milieu naturel. Il fut décidé qu’une population composée de quelques centaines d’individus serait observée sur une période d’au moins 10 ans dans un environnement complétement vierge d’exploitation humaine.

Les personnes voulant faire partie de l’expérience devaient accepter ou répondre aux conditions suivantes : • S’engager pour la période entière du projet (soit 10 ans). D’accepter pendant toute cette période tout les examens ou entretiens (médicaux ou autres) demandés par l’équipe scientifique, d’accepter aussi de pouvoir être filmé ou enregistré à tout instant, à l’insu du plein gré ou non des participants (service fournit par les agents de la CNIL). • Les participants recevront à la fin du projet 100k€, uniquement si ils se sont soumis à toutes les règles décrites ci-dessus. Les enfants nés pendant cette période recevront 10k€ par année pleine sur site. • Ne pas être malade, ni fou, avoir moins de 60 ans et pas d’enfants. Possibilité de postuler en couple. • Faire preuve de haute vie morale et culturelle (témoignages, oeuvres, travail reconnu, ...), être libre de toutes entraves judiciaires, ne pas être fiché par la CNIL. La campagne de recrutement fut lancée dans la discrétion début 2015 et Biotopie débuta le 1er juillet suivant, dans un lieu tenu secret.

Chronologie Michael Lombardini, ex-culturiste

reconverti dans la finance, laisse tout tomber pour se consacrer au mécénat. C’est le principal actionnaire de Social Hub . Ayant tenté d’être luimême candidat anonyme sur Biotopie, il s’est rapidement fait démasquer en raison de ses sautes d’humeur et de son caractère colérique. Il reste néanmoins l’un des piliers de l’émission et intervient régulièrement sur le prime du samedi soir. En vingt ans, il n’a pas pris une ride.

2015-2025

210 participants sont recrutés (110 hommes, 100 femmes). Après quelques mois d’installation durant lesquels un approvisionnement est assuré, les biotopiens sont livrés à eux-mêmes courant décembre 2015. Et ce seront les seules informations officielles. Si on a entendu de temps en temps parler de biotopie dans les médias pendant ces 10 ans, c’est uniquement par des on-dits, des pseudo-scandales et des légendes. La direction du projet a imposé le plus grand secret sur le déroulé de l’expérience. Ainsi ce jeune « évadé » affirmant que les biotopiens avaient remis au goût du jour de vieilles religions chamaniques luxurieuses que les plus extrémistes imposaient à toute la communauté, cette mère qui racontait avoir reçu un SMS de sa fille décrivant des scènes de cannibalisme durant l’horrible hiver de 2023, des histoires de drogues, de


Émission phare des programmes SocialHub

La star story

tests scientifiques non consentis, sans parler de l’incroyable histoire à propos d’humains livrés en gage de cadeau de bienvenue à des explorateurs extra-terrestres s’étant installés sur le site de Biotopie. Reste que rien n’a jamais été prouvé, ou alors en tant que faux, et que rien n’a jamais filtré sur cette période, ni par la direction du projet, ni par les participants. Les archives et résultats d’expériences, ainsi que les vidéos et enregistrements, sont alors protégés par les lois sur la propriété intellectuelle des années 1951 et 1978 pour 100 ans.

2025-2030

Ce n’est qu’à partir de là que la direction recommence à communiquer. On apprend alors avec surprise que la population de Biotopie demande un soutien financier de mécènes ou d’industriels pour continuer l’expérience et qu’ils menacent de rompre tous les protocoles de confidentialité si la direction ne les soutiens pas dans leurs démarches. C’est là que SocialHub entre en jeu. Elle convainc plusieurs grandes entreprises (monsanto, google, ...) de l’aider à racheter l’intégralité du projet afin d’en faire une téléréalité, en contrepartie de l’accès en intégralité et en exclusivité des archives en fonction de leurs domaines de spécialités. C’est chose faite en août 2025, un mois après la fin du projet, grâce aux accords d’... août 2025 dits TAFTA4 (ou TAFTA TV) qui modifient notamment les lois sur le commerce de la propriété intellectuelle. Il faut encore trois ans à l’entreprise pour négocier tous les termes du contrat liant les Biotopiens à la future téléréalité, puis encore une année à apporter les différentes mises à jours de matériels audio/vidéos disséminés dans la nature. Une seule Biotopienne participera aux négociations avec SocialHub, et qui deviendra ensuite la Directrice de programmation de la chaîne Biotopie TV, Gertrude Rebsamen. Pendant ce temps le monde découvre enfin quelques images du Village et de ses habitants. Mais aucune prise de vue ne montrera plus haut que le fait des toits ou des arbres, empêchant toujours la localisation de la zone de jeu. Aucun chiffre ne sera non plus communiqué sur le nombre exact de la population. En 2029, est lancée la saison 0 de Biotopie, une saison test, où sont d’abord envoyés des professionnels de la communication pour préparer les Biotopiens à l’arrivée future de candidats « tout frais », puis des personnes connues du sport, showbiz, cinéma, pour en assurer la partie promotion.

21 mars 2030

Lancement de BiotopieTV Saison 1 !

Ermite mystérieux, Jean Caprai, plus connu sous le nom de JeanChèvre, figure parmi les plus excentriques de la zone de jeu. Berger de profession avant de s’engager dans la première phase, il est le fondateur du village de NouEden en 2020. Très engagé dans la mouvance du « retour à la Terre », il s’oppose fermement aux conditions imposées aux Anciens lors du lancement de la téléréalité, et notamment sur le principe du « don » utilisé par les nouveaux arrivants. Il s’exclut finalement de la communauté, et depuis sillonne Biotopie, toujours accompagnés de quelques moutons ou chèvres. On peut l’apercevoir de temps à autre dans un des villages rendre visite à un Ancien.

Envoyez dès à présent votre candidature pour la saison 2 ! sic-fanzine.tumblr.com leseditions.enscred@gmail.com





C

édric Guillermo est un artiste plasticien basé dans le Morbihan. Une partie de son travail s’appuie sur un contexte rural, point de départ de détournements, glissements singuliers qui donnent à voir une campagne nouvelle à laquelle vient se greffer son regard souvent teinté d’humour. www.cedricguillermo.com




La grande crue d'artichauts bretons de 2055



Mon poussin, Ma grand-mère m’avait écrit la même let tre que celle que je m’apprête à te transmet tre, simplement, la sienne commençait par cet te phrase bien théâtrale : « Éline, je ne sais quand tu recevras ceci, mais si je suis sûre d’une chose, c’est qu’à ce moment je serai morte. » Tu en conviendras, je ne peux décemment pas débuter de la même manière, bien que cela m’aurait facilité la tâche je l’avoue… Mais à l’heure d’aujourd’hui où l’on peut prévoir avec une précision étonnante l’heure de notre trépas ; autant dire que mon entrée en matière perd de sa force et de son mystère. C’est tout de même une drôle d’époque mon garçon. Quand j’avais ton âge on avait bien anticipé les dégâts écologiques infligés à la Terre, la colonisation de Mars et même les puces intra-corps auxquelles les jeunes de ton âge ne font même plus at tention mais alors mon chéri laisse moi te dire que les voyages dans le temps et les services de prévision mortuaire, ça nous a un peu raidi, nous les vieux… Non, quand j’avais ton âge, on résistait, on s’insurgeait contre les grandes firmes, la pollution, et les manipulations sur le vivant ! C’était stupéfiant : on était plein d’espoir et plein de colère, prêt à lâcher tout ce qu’on avait pour apprendre à faire pousser des salades. Le monde était quasiment divisé entre ceux qui avaient réalisé que leur nourriture venait de la terre, et ceux qui pensaient qu’un bâton de crabe poussait de nulle part déjà tout rutilant dans son emballage plastique. Bon bien sur, tu connais ta grand-mère mon petit radis noir, n’oublie pas qu’elle kiffe être originale et même dans son testament ! Mais je sais que tu es fier d’avoir une mamie baba-cool et mon petit, tu es bien le seul dans cet te famille d’astronautes givrés du citron. C’est d’ailleurs pour ça que tu es mon petit préféré et que je vais te livrer le seul secret que j’ai jamais eu. Toute ma vie, j’ai précieusement – et jalousement, je l’avoue – conservé mystérieusement mon petit ingrédient magique. Ah peu importe les convictions politiques et écologiques mon lapin, vous avez tous, toujours été dingues de mon gâteau magique ! J’en suis fière de cet te recet te mon grand, elle m’a ouvert de nombreuses portes et me permet tait de séduire n’importe qui. Tu aimeras surement savoir que c’est comme ça que j’ai mis dans ma poche la grand-mère de ton Pépé adoré. Le pauvre, il est mort sans même savoir comment j’avais fait pour conquérir sa Mamie landaise ; elle qui tremblait d’indignation à l’idée que son petit-fils vive avec une végétarienne. Alors mon petit loup, ce n’est peut-être qu’une vulgaire recet te de gâteau au chocolat, mais j’espère que tu comprendras le sens de toute cet te aventure culinaire : dans la vie, il suffit d’un peu de magie… Ta mamie courget te.


GÂTEAU MYSTÈRE de MAMIE COURGETTE

USTENSILES : C’est un gâteau donc, il te faudra un moule, un four, un fouet et un bat teur à oeufs. Dans mon gâteau il y a : Chocolat patissier : 400g. Oeufs : 6 Sucre de coco : 170 g. Farine sans gluten : 100 g. Ingrédient secret : 200 g.

avec le plus de cacao possible. sève de fleur de cocotier, extra-bonne et avec un IG bas Farines de quinoa, sarrasin, chataigne, riz...

1.. Raper les courget tes plus ou moins fines selon la reluctance aux légumes. 2. Faire fondre le chocolat au bain-marie. 3. Séparer les jaunes et les blancs dans deux saladiers. Met tre les blancs au réfrigérateur. 4. Ajouter le sucre aux jaunes et fouet ter pour obtenir un mélange mousseux. 5. Ajouter la farine. Fouet ter encore. 6. Ajouter une partie du chocolat, incorporer la courget te et ajouter encore le chocolat. 7. Monter les blancs en neige. 8. Ajouter la neige dans la pâte de manière délicate pour ne pas les briser. 9. Verser le tout dans un moule. 10. Préchauffer le four à 180° et laisser cuire 25 à 30 minutes. 11.. L’astuce de grand-mère : plonger un couteau, s’il ressort immaculé : c’est cuit! Pour les Variations de grand-maî tre : Un piment d’espelet te, Infusé dans le chocolat qui fond, ça déchire. Ou Une pincée de sel, une pincée de poivre. Du basilic et des pâqueret tes : Disposer les paqueret tes sur le gateau sorti du four et placer les feuilles de basilic autour des fleurs = effet champêtre assuré (+ basilic-chocolat, ça déchire grave)




Texte : Naej Mahrad Illustrations : Barbara Govin

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Donc, pour résumer, depuis deux ans que TAFTA est en vigueur, on peut résumer la situation ainsi : Côté agriculture, tous les gros céréaliers sont passés aux produits transgéniques et dépendent donc de la multinationale qui a le monopole des semences – et qui a décidé d’en fournir moins cette année pour faire baisser les charges, et donc de menacer le pays de famine. Côté fruits et légumes, la Californie et le Texas ont fait s’écrouler les cours en employant de la main-d’œuvre immigrée mexicaine. Bien sûr leurs produits ne sont pas mûrs, n’ont aucun goût, sont bourrés de pesticides et dangereux pour la santé, mais ils les vendent la moitié du prix de revient de ces mêmes produits pour les producteurs français. Et comme l’arrivée, justement, de ces aliments à bas prix a provoqué une baisse des salaires… * Côté élevage, l’importation du poulet périmé lavé au chlore, du porc, du veau et du bœuf gavés d’hormones et d’antibiotiques ont coulé toutes les productions animales françaises ; il n’a pas fallu six mois pour que toutes les énormes productions de porc de basse qualité, en Bretagne, soient toutes ruinées. Il ne reste que quelques fermes “bio“ qui survivent, mais ne peuvent même pas s’étendre car plus personne n’a les moyens de se payer une telle viande. * Pour l’énergie, suite aux explosions des centrales nucléaires de Fessenheim et du Tricastin, le gouvernement avait autorisé des compagnies à tester des techniques de prospection de gaz de schiste, mais quand il a voulu l’interdire au vu des catastrophes écologiques subies par les régions concernées, ces compagnies ont attaqué

la France, qui a non seulement été contrainte de lever son interdiction, mais aussi de payer une amende de dix milliards de dollars. - Merci Professeur, pour cet exposé passionnant. Y a-t-il des questions dans la salle ? Oui, Madame ? - Professeur, si la loi française interdit quelque chose, comment une compagnie privée peutêtre l’obliger à revenir dessus ? - Un accord international l’emporte sur la loi, et TAFTA permet de placer les intérêts de compagnies privées à un niveau supérieur aux lois nationales. - Autres questions ? Oui ? - Il me semble qu’il y a eu des études inquiétantes concernant les OGM ainsi que les viandes aux hormones ou aux antibiotiques… - C’est exact. Les tests d’OGM sur les rats – la physiologie des rats est très proche de celle des humains – ont montré, du moins pour tous ceux menés de façon totalement indépendante, une énorme augmentation des cancers et de la stérilité ; de même pour le chlore des poulets, qui est déjà un poison, et pour les hormones. Quant aux antibiotiques, ils favorisent l’apparition de bactéries à souche résistante ; et des maladies qui étaient devenues bénignes redeviennent mortelles faute d’antibiotiques assez puissants pour les combattre. Mais ces résultats ont de plus en plus de mal à être publiés, car ils sont attaqués en justice par les compagnies qui réclament des fortunes aux chercheurs. - Merci Professeur. Nous allons arrêter là pour ce soir, car il est déjà tard. Quant à vous, merci d’être venus nombreux, ce soir encore, à la soi-


rée thématique de l’Ecurie. La prochaine soirée de l’association, le mois prochain, aura pour thème : “Avec la crise du logement, les escargots vont-ils devenir des limaces ?“ » La foule quitta la salle de l’association, et seuls quelques membres de l’Ecurie restèrent avec le professeur. « Vous dormez chez nous comme convenu, ce soir, Professeur ? demanda Karine. - Oui. Avec plaisir. - Tant mieux. Car les dernières questions m’ont donné une idée dont je voudrais vous parler… » L’association “l’Ecurie“ avait mis les petits plats dans les grands pour recevoir cette sommité de la recherche en biologie génétique. Un buffet bien garni de produits locaux, fabriqués, cultivés à l’ancienne, comme on n’en trouvait hélas presque plus. Il était tard quand enfin tout le monde fut parti, non sans s’être partagé les délicieux restes du buffet. Karine et Cédric emmenèrent le Professeur chez eux. La soirée n’était pas finie. « Professeur, commença Karine, vous avez

bien dit… » L’aube se laissait deviner quand enfin ils se couchèrent. Près d’un an s’écoula. Karine avait développé la maquette d’un magnifique fauteuil en bois massif, aux formes épurées, et Cédric améliorait sa machine à peindre où des flacons de peinture s’écoulaient doucement sur des feuilles entraînées par une manivelle, formant des tableaux colorés originaux. Tous deux passaient aussi beaucoup de temps au téléphone, avec les USA, pour monter une tournée sur l’ensemble du pays, titré « Art and Design, a French touch » ; une tournée de six mois où ils sillonneraient l’ensemble des Etats-Unis en présentant leurs œuvres. Ils restaient en contact avec le Professeur, qui revint les voir à l’issue de cette année. Ils lui montrèrent leurs œuvres, échangèrent des conseils et mirent en place la dernière phase du programme. « Au fait, ajouta Karine quand tout fut réglé,


nous voudrions investir dans l’industrie. Comment faire ? - Dans l’industrie ? » Et la conversation dura encore. Six mois de préparatifs furent encore nécessaires. Karine et Cédric prirent un congé sans solde et, munis d’un visa spécial leur permettant de rester assez longtemps aux EtatsUnis et d’y travailler, ils partirent pour Washington. De petites villes en petites villes, leur exposition se déplaçait en spirale dans tous les USA jusqu’à fini à Iowa City, après avoir parcouru plusieurs dizaines de milliers de kilomètres, et attiré quelques millions de visiteurs emballés par les œuvres exposées, dont les clous étaient le fauteuil et la machine à peindre. Le coût modique mais l’abondance des entrées leur permit non seulement de rembourser leur séjour, mais aussi de disposer d’un pécule conséquent, suffisant pour les projets qu’ils gardaient pour leur retour.

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C’est environ dix-huit mois après leur retour que le Professeur fut à nouveau invité à une soirée thématique de l’Ecurie, sous le titre « TAFTA, finie la cata ! ». Karine l’introduisit : « Il y a trois ans et demi, le Professeur venait ici-même nous parler du désastre provoqué par TAFTA. TAFTA est toujours en vigueur, mais la disparition quasi-totale de l’agriculture et de l’élevage aux Etats-Unis change la donne : et pas seulement du point de vue politique après le changement d’orientation du gouvernement des Etats-Unis après la grande famine et l’embargo qu’ont subi les USA pour raisons sanitaires, comme nous le savons tous. Le Professeur va donc nous montrer l’évolution du monde rural depuis cette crise. - Merci Karine. Je me demande si, au lieu de “évolution“ on ne devrait pas parler de “révolution“. Car les changements induits par l’arrêt de la pression économique des Etats-Unis et de leur mainmise sur les produits de base liés à notre agriculture et notre élevage – semences, hormones, antibiotiques, … - ont provoqué l’arrêt obligé, en un temps très court, del’agriculture productiviste et de l’élevage intensif… »


Le Professeur exposa pendant une bonne heure les évolutions actuelles et probables du monde rural avant de conclure : « … Pour résumer, je dirais que les terres des céréaliers, dont celles ayant produit du maïs particulièrement, mais c’est vrai de toute culture intensive, sont empoisonnées, appauvries, inutilisables pour des dizaines d’années, de même que toutes les zones d’élevage intensif, polluées par les lisiers et autres déjections, mais une nouvelle forme d’agriculture coopérative a vu le jour en un temps record, basée sur la solidarité entre ses membres, sur le respect de la terre, des animaux, de l’environnement, qui nous permet de revenir à un niveau de qualité des produits de consommation que l’on avait perdu depuis près de soixante ans. - Merci Professeur. Y a-t-il des questions ? Oui ? - Vous n’avez pas abordé les causes de la famine aux USA. Avez-vous une idée ? - Cette famine est liée a la destruction des cultures par des insectes inconnus, et du bétail sous l’effet d’une bactérie d’apparence anodine. Les choses se sont passées très vite. La contamination a dû se passer sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis en six mois environ. On peut imaginer qu’un laboratoire de biogénétique a bricolé d’une part des insectes nuisibles et voraces munis des mêmes gênes que les céréales transgéniques : ils peuvent détruire les cultures mais si on veut les détruire, on détruit aussi les céréales. Ce même laboratoire pourrait également cultiver une souche de bactéries auxquelles l’homme n’est pas sensible, mais le monde animal si, et qui résiste aux antibiotiques. Pour la propagation, on pourrait imaginer que les œufs des insectes soient injectés dans un meuble en bois, et que les conditions climatiques à l’arrivée aux USA provoquent une éclosion progressive, échelonnée sur six mois, le temps de balayer tout le pays ; les larves creusant le bois pour sortir et essaimer dans différentes régions à mesure que le meuble se déplace. Un petit coup de papier de verre suffisant à faire disparaître toute trace de trou de ver. De même, si une machine à peindre contient des encres qui li-

bèrent au contact de l’air un solvant saturé de bactéries résistant aux antibiotiques, chaque utilisation, dans chaque ville, va contaminer les cheptels locaux. Mais il s’agit d’une supposition qui n’est basée sur rien de sérieux. Un simple exemple. - Oui. De la science-fiction, quoi. Autre question ? Oui ? - Vous n’avez pas parlé de l’arrêt de la recherche de gaz de schiste… - C’est vrai. Mais la raison en est assez bien connue. Un jeune couple d’artiste a investi ses gains dans une fabrique de pétards, puis a attaqué le gouvernement, qui n’autorisait l’usage de pétards que le 14 juillet, pour entrave au commerce. Le procès ayant été gagné, l’autorisation des pétards a été totale, et des groupes s’en sont emparés, se relayant pour les faire exploser sur les lieux d’exploitation du gaz de schiste. Les fuites sont telles, dans les techniques utilisées, que les forages explosaient, et toute l’industrie concernée a dû arrêter son activité. - On peut donc être confiants pour le futur ? - Aux Etats-Unis même, des coopératives de petits agriculteurs et éleveurs se mettent en place. Les choses changent. Mais il ne faut jamais être trop confiants ni baisser la garde, car l’appât du gain, même au détriment de l’espère humaine, n’est pas prêt de disparaître. »

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23 juin 2124 (ZUD/nord--> 105 km)

28 juin 2124 (ZUD/nord --> 231 km)

Début du tournage chez Mac Farm. Entretien avec le superviseur du complexe hydroponique. Plans intérieurs du complexe, bacs de nutriments chimiques, forte odeur de souffre dans le nez, je suis encadré jusqu'à la fin de la visite. Je quitte le site de Mac Farm le lendemain et me dirige à nouveau vers le sud.

J'ai trouvé le groupe extra-urbain n°1. Les portes de la ferme sont hautes et semblent lourdes. Je rencontre les coordinateurs et suis finalement autorisé à filmer. Entretien de Maya et Georges ± 60 ans, co-fondateurs de cette colonie. Ils m'expliquent le fonctionnement de la ferme (cultures hydroponiques sans chimie, destinées à être implantées en sol), en quoi consiste le RéASP (rééquilibrage agro-sylvo-pastoral des sols ) et ce qu'implique pour eux d'être des "Néo-originels". Va-et-vient, d'un mur à l'autre, ma caméra oculaire sur le nez. Je pars le lendemain.


4 juillet 2124 (ZUD/sud --> 440 km)

7 juillet 2124 (ZUD/sud --> 120 km)

Apparitions de carcasses d'URE (unité robotisée d'extraction) ± tous les 70 km. Leurs longs bras servaient à fracturer la roche – aujourd'hui, ils jonchent le sol des enclos miniers.

J’ai trouvé le groupe extra-urbain n°2. Edwige et Edmund ± 30 ans, "Néooriginels".

Ma balise a changé de référentiel, elle indique la ZUD/sud. Je n’ai jamais été aussi loin de chez moi. Je m’attendais plus à souffrir de la solitude que du froid - les nuits sont toujours aussi fraîches et mon véhicule n’est définitivement pas assez isolé.

Entretien avec Edwige et Edmund, ils m’expliquent en quoi consiste leur RéASP, Installés ici depuis 5 ans, ils ont réussi à faire pousser des arbres. Disposés en enclos, ceux-ci abritent un maraîchage expérimental. Ils pratiquent la "polainisation" (pollinisation à la main) effectuant le travail que pratiquaient autrefois les insectes. Tournage interrompu, Voir le film  : sic-fanzine.tumblr.com Vidéo  : "Extra-Urbains"






É

tudiant aux Beaux-Arts de Quimper, Damien Rouxel s’attache particulèrement à questionner la notion de genre et n’hésite pas à entamer un dialogue avec le milieu rural dont il est issu pour faire évoluer sa pratique entre photo, vidéo, sculpture et dessin. r-damien.tumblr.com



Texte & illustrations : Julien Croyal

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0h15, Mathéïs-Kévin est enfin enclin à se réveiller, après deux-trois ouvertures de paupière irrésolues, il pause un pied puis l’autre sur le béton ciré, redresse son regard en fixant la fenêtre et de là un large sourire vient se dessiner sur sa figure, oui, on y est, aujourd’hui c’est samedi. À partir de cet instant tout ne s’enchaîne pas aussi bien qu’il le voudrait, son esprit rivé à la perspective de la fête qui, par un rituel quasiment sacré, ne manquera pas au rendez-vous ce soir encore. Suit un petit-déjeuner copieux de céréales en forme de têtes de super-catcheurs bleues, il garde les rouges pour la fin, c’est l’équipe qu’il soutient. Il part à la recherche de celles qui représentent son combattant favori, vainqueur la veille au soir. Les parents sont partis au travail comme tous les samedi matins tandis que la petite soeur est occupée à regarder les dessins animés dont les images émanent directement du mur. Dehors il fait gris mais les filtres «smart» dont sont équipées les fenêtres font le travail. La maison est figée dans l’illusion d’un été éternel, la protection anti-UV en plus. Évidemment la chasse aux catcheurs n’est qu’un intermède et l’attention de Mathéïs-Kévin est vite

accaparée par la lecture de son fil d’actualité. Le Stargate promet une soirée inoubliable avec le concert exclusif en simultané d’un célèbre DJ, diffusé depuis le penthouse monégasque de la marque de discothèques dans toutes ses franchises, par le système d’hologramme le plus sophistiqué du moment. Il regarde si son avatar a récolté des points, et si avec un peu de chance, les «battles» de danse de son double numérique lui feront gagner une entrée gratuite ou des consommations. Les résultats sont plutôt décevants, il n’a remporté qu’une vingtaine de danses contre les quelques 200 autres inscrits à l’événement et les messages moqueurs de ses amis sont venus encombrer sa messagerie. Il procède à quelques correctifs sur son avatar avec le peu de points récoltés, peut-être que d’ici ce soir il y aura du changement. Il choisit ensuite parmi une trentaines d’alertes le jeu qui aura sa préférence pour occuper l’heure et demi suivante et se rend dans la pièce dédiée à ce loisir avant d’enfiler son casque. L’occasion pour « Matké », comme l’appellent ses amis, de constater que la guerre opposant les zombies nazis et les forces rebelles fait toujours rage. Comme d’habitude les morceaux de chair s’éparpillent et laissent entrevoir,


dans les blessures à vif, du cartilage et des muscles dégoulinant de sang dans une résolution d’image inégalée. Il sursaute brusquement quand il sent une pression sur son épaule et donne un coup maladroit au bras de sa mère qui, excédée après l’avoir appelé pendant dix longues minutes pour venir prendre le déjeuner, est venue le trouver en plein conflit armé, pratiquant seul des mouvements étranges dans la salle de jeux presque vide, la tête dans le casque. Un autre genre de conflit l’attend lorsqu’il retire ce dernier, nez à nez avec sa mère Mathilde, les yeux rougis par les milliards de stimulations visuelles qu’il vient de subir et le cerveau bourré d’un subtil cocktail dopamine+adrénaline. Il se dresse alors tout en prenant le chemin du couloir, assénant une rafale de «oui c’est bon, ça va j’ai compris» vaguement expiatoires en direction de sa mère courroucée. On le retrouve quelques heures plus tard sur la banquette arrière de la voiture du père de son voisin Enzo. Ils se rendent au terrain de foot où doit se jouer la confrontation entre leur équipe et un quelconque club visiteur. Les moins de 17 ans sont en milieu de tableau, l’équipe ne possède pas vraiment de bons joueurs et pour Mathéïs c’est d’avantage l’occasion de retrouver les copains qu’une question de performances. Il y en a bien trois ou quatre qui se donnent à fond mais ils sont loin d’être doués. Ici rien n’a changé, c’est toujours le même terrain gras accidenté, avec ses surfaces de réparation chauves, prêtes à se muer en marres boueuses à la moindre averse. ça ne rate pas, derrière le filtre des fenêtres le ciel se révèle grisâtre et une pluie fine commence à tomber. Les chaussures à crampon multicolores au look toujours plus futuriste n’y peuvent rien, les locaux réalisent un match médiocre et encaissent 3 buts sans réussir à en marquer un seul. Au sortir du match les mines sont déconfites mais ont tôt fait de s’en remettre, alors que les uns demandent aux autres ce qu’ils ont prévu de faire de leur soirée. Mathéïs et ses amis font profil bas, ils finissent par dévoiler leur plan pour la nuit avec un ton sec et un air entendu histoire de dissuader certains joueurs qu’ils n’aiment pas beaucoup de venir troubler leur fête, c’est LEUR soirée.

Comme toujours le rendez-vous est fixé chez Thibaut vers 20h30. Ce n’est pas le leader du groupe, il n’y a rien qui le distingue réellement des autres sinon le «squat» au dessus du garage de ses parents, véritable institution de leur débuts de soirée. Là ils se « chauffent », parlent du match de l’après-midi, de leurs parties de jeux vidéo, du lycée, du Super-Catch, des filles, des garçons, des nouveaux blousons à la mode à cette période précise. Le lobby alcoolier est parvenu sans trop de souci à maintenir le binge drinking d’actualité, avec quelques variantes : On prend des shoots d’alcool en spray mais la boisson reste le premier choix, il reste quelques capsules de cocktails aromatisées de la dernière soirée et Mathéïs a apporté un pack de redka, sorte d’ersatz bon marché d’un mélange de vodka et de boisson énergisante un peu plus alcoolisé que la bière. Les Redkas avaient rencontré un franc succès au début de leur commercialisation. Les canettes étaient dotées de puces: Dès qu’on parvenait à toucher la canette du « joueur » adverse avec un des opercules détachables prévu à cet effet, une question était posée via les Iwatch que tout le monde porte au poignet, si le joueur donnait une réponse fausse il devait alors boire tout le contenu de sa canette. La puce posait des questions de manière aléatoire via Internet grâce à un algorithme tenu secret mais les plaintes se sont accumulées à mesure que les puces généraient des questions de plus en plus tordues, à caractère explicite voire diffamatoire sans qu’on sache vraiment pourquoi. Le produit avait alors été retiré du marché dans sa version d’origine, c’en était fini du jeu à boire. Aux alentours de minuit le groupe s’anime. Les uns, grisés par l’alcool, secouent les autres qui semblent un peu trop profiter du confort des sofas au risque de s’endormir. On finit de se prendre en photo aux côtés d’hologrammes à l’effigie des célébrités du moment et on se décide quant au motif animé qui ornera le tee shirt ou le top doté de gel électroluminescent qu’ils portent tous. Tout ça prend un temps fou et la navette mise à disposition de la discothèque est déjà là. Le groupe se rue dans le bus qui se remet rapidement en route et les plaisanteries de potaches s’enchaînent à un niveau sonore élevé pour égaler

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celui de la musique et des autres fêtards. Le bus a une dizaine d’années au compteur et montre déjà des signes de fatigue, on voit le chauffeur obligé de reprendre la main lorsque l’on croise un autre véhicule, par crainte de collision. Le régulateur de distance doit être endommagé car une alarme se fait entendre presque sans discontinuer. Après quelques arrêts dans des bourgs ou à l’entrée de chemins menant vers des maisons isolées, la navette rejoint sa destination. Le nombre de véhicules sur le parking confirme l’affluence des samedis soirs et on s’inquiète de la longueur de la file d’attente avant même de l’apercevoir. C’est une bonne surprise qui les attend, une dizaine de personnes seulement est postée devant l’entrée. On passe rapidement l’épreuve du vigile qui, après un coup d’oeil rapide sur l’état d’ébriété général, prend cet air à la fois auguste et martial qui veut dire à la fois l’approbation et la désapprobation, un air que la foule ivre attroupée devant lui interprète instinctivement comme un laisser-passer. À l’intérieur une foule hétéroclite se bouscule, le bar est pris d’assaut et dans la pénombre on discerne les regards qui percent depuis des loges VIP bondées. Enfin, Matké et ses amis y sont! L’hologramme de DJ Sfinkter est bien là, levant les bras en l’air derrière son décor de platines en néons. Des écrans souples diffusent partout des clips vidéo truffés de placements produits à chaque image, avec la possibilité de commander toutes sortes de babioles par simple pression digitale. On a atteint des sommets de sophistication en matières de suggestions d’achats sur des masses alcoolisées. La soirée avance, le groupe se scinde en plusieurs subdivisions et se retrouve sporadiquement dans le vacarme assourdissant. Matké et les autres hurlent à l’oreille de Thibaut que c’est son soir, à lui qui n’est pas spécialement doué pour les rencontres. Il les remballe difficilement, gêné devant les filles du groupe. Ils reviennent à la charge plusieurs mélanges à la main. Matké prend son ami par l’épaule et lui tend un verre avant de désigner un petit groupe de filles à l’écart de la lumière. La perte progressive de l’inhibition fait doucement progresser le projet et une approche tactique s’amorce.

Les filles ont l’air d’être plutôt jolies, avec ce maquillage un peu électrique à la mode et leurs tenues un peu vulgaires. On fait semblant de se comprendre malgré le bruit et elles prennent vite les devants, interrompant leurs assauts pour rire entre elles. À partir de là c’est un peu le trou noir, on quitte la discothèque à l’heure où les cocktails produisent leurs effets sur des organismes qui finissent par décorer l’asphalte. On s’embrasse, on fait toutes sortes de blagues installés dans une voiture qui sent le neuf mais aussi un parfum aux exhalaisons capiteuses. La suite appartient à la nuit. À son réveil Mathéïs peine à comprendre ce qui l’a conduit dans une chambre à la décoration un peu fanée mais il acquiesce en lui-même lorsqu’il convient de la réussite toute à fait patente de cette nouvelle soirée au stargate. Là son regard se pose sur la table de chevet, ou plus précisément sur un masque relié à une prise électrique derrière lequel est posée toute une pharmacie de crèmes et de lotions… Il ne lui faut pas longtemps pour reconnaître avec effroi un Botoxor Z3 en train de se recharger, une prothèse faciale permettant, entre autres, de l’illusion de jeunesse à son porteur. Il entend alors à travers la porte des bruits pas de plus en plus prononcés et une voix de crécelle vient résonner depuis le couloir : « Matké, mon petit coquin, le petit déjeuner arrrrriiiiiive ! »


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Mud Ball

BALL

Texte : Lucie van der Elst Illustrations : Shoboshobo

U

n grand bal. Des petites boules bizarres, des boules de boue, disposées en pyramide façon soirées de l’ambassadeur. De grosses boules en papier mâché sur des nappes à carreaux. Une piazza éphémère. Des New Yorkais qui se vautrent dans la boue en rigolant. Des robes à crinoline et des chapeaux haut-deforme, des enfants qui courent partout… Cela pourrait ressembler à n’importe quelle kermesse en france, mais que fête-on ici, bien à l’abri des gratte-ciels ?

C’est l’été à Long Island City dans le Queens, à New York et le MudBall Ball, célébration bisannuelle orchestrée par les doux dingues du collectif MoS (« Masters of Succession »), prend place comme tous les ans au Smiling Hogshead Ranch (le « ranch-à-la-tête-de-sanglier-qui-sourit »). Nous retrouvons DeeDee Maucher en maître de cérémonie haute en couleurs, et Gil Lopez en hôte de ces bois, couronné d’une boule de papier mâché de trente centimètres. Le ranch, c’est son oeuvre : une friche New Yorkaise, que Gil a « piraté » et transformé en verger et potager. Après trois années de dur labeur, son initiative a finalement été reconnue et officialisée par la mairie de New York. C’est donc dans ce verger-village, à l’intérieur de la grosse pomme, que l’on célèbre le MudBallBall, une « cérémonie de dépollution ». Le but du jeu? Le « lancer de boules » dans la rivière Hudson : la pyramide de boules de tout à l’heure n’était pas un met délicat ! La combi-

naison de micro-organismes actifs, les « EM » ou « bokashi » a des vertus dépolluantes et peut éliminer les dépôts dans les cours d’eau. Cette pratique est déjà répandue dans les pays d’Asie : Corée, Malaisie, Japon…et depuis quelques années, à New York. Bizarre coïncidence, les rituels de « lancers de boules » ont souvent lieu dans des villes très polluées… La fête bat son plein, adultes, enfants, costumés ou en bermuda, tout le monde y va de sa boule de boue. C’est aussi réjouissant que de faire des ricochets ou de jeter un gros caillou dans une mare pour faire le plus gros plouf possible, Des centaines de boules sont ainsi jetées dans l’Hudson, comme une offrande pour apaiser la rivière, comme s’il y avait un génie vivant dans son lit. Les lanceurs de boules ne seraient-ils pas un peu animistes ? En général, quand on décide de prêter une âme à un objet inanimé, c’est dans le but de se sentir plus proche de lui, en empathie. Nous imaginons que la rivière est vivante, et qu’elle nous sera reconnaissante de cette action bénéfique . Ainsi, en faisant un geste pour l’environnement, on accomplit un geste pour soi : on se sent toujours apaisés après une bonne action… Surtout avec d’autres personnes dans un cadre aussi festif ! Car c’est avant tout une occasion de se rassembler. Ici on retrouve tous les ingrédients d’une fête : le banquet, les jeux, les déguisements, la danse… Et en clôture de cérémonie, un rituel. Solstices, fête des moissons, carnavals, feu de la st jean, jour de la marmotte… Les fêtes païennes ont souvent calqué leurs fêtes et célébrations en fonction des cycles naturels : selon les récoltes, le calendrier lunaire, les saisons. En général on célèbre la fin d’un cycle, ou son début. Dans le cas du Mud Ball Ball, c’est peut-être le début de nouvelles habitudes à prendre, en symbiose avec la rivière. www.moscollective.net

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RECETTE des

BOULES DE BOUE

Boules de boue aux ME, « micro-organismes efficaces » pour remédier aux eaux usées et polluées. Ingrédients pour quelques boules de boue (16 litres de matière) • 8 volumes de terre* (13 litres) • 2 à 4 volumes de Bokashi** (3 litres) • 1 litre de micro-organismes actifs pour16 litres de matière

Ajouter de l’eau si la préparation n’est pas assez malléable pour la formation des boules. Laisser les boules de boue sécher à l’air libre et fermenter pendant au moins 2 semaines avant utilisation. Compter au moins 1 boule de boue par mètre carré environ au fond de l’eau polluée (bassins, mares, lacs, rivières, canaux etc.) * terre, terre argileuse ou partiellement sableuse, boue, vase ou une combinaison de tout. ** Bokashi : matière biologique fermentée telle que du son fermenté (enveloppe du grain de blé fermenté avec des ME, Micro-organismes Efficaces), feuilles fermentées, sciure de bois fermentée, etc.

Pour faire le Bokashi soi-même Ingrédients (pour 5 Kg de Bokashi): • 0,025 L de ME • 0,025 L de mélasse épuisée • 2,5 L d’eau (soit 0,5 L d’eau par Kg de son de blé) • 5 Kg de son de blé Matériel seaux, verre doseur, cuve à mélanger (capacité de 40 litres), seaux hermétiques ou sacs poubelle. Procédé 1- Dissoudre la mélasse dans les 2,5 L d’eau, mélanger. 2- Incorporer délicatement le liquide au son de blé jusqu’à ce que le son soit humide à 30% (pour le tester, prendre une poignée et la presser en une boule ; l’eau ne devrait pas ruisseler du mélange pressé. Le mélange devrait constituer une masse unie sans qu’il s’émiette.) Le Bokashi est prêt dès qu’il répand une odeur sucrée de matière fermentée (l’odeur de la bière ou du vin) et lorsque l’on y voit des champignons. Si l’odeur est mauvaise, le Bokashi a mal fermenté et ne devrait pas être utilisé. De préférence, le Bokashi est à utiliser tout de suite, mais il est aussi possible de le mettre en sacs et de le stocker pendant environ 3 mois, dans un endroit sec et bien ventilé, à l’abri du soleil. IMPORTANT ! En france, on peut se procurer des « EM » via plusieurs sites internet, comme Hector, Purin d’ortie & Cie ou tout simplement EMshop.fr).

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FERMIERS

( très rétro mais aussi très futurs )

KIWIS Par Marie Aubry

S

ue a 54 ans; elle se dit fermière, jardinière et gérante du foyer, bien qu’elle en fasse bien plus (professeur amateur en permaculture, par exemple). Greg a 51 ans et est chef de projets espaces verts pour le conseil Régional du Taranaki. Il travaille a la ferme quand il est en week-end.

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Sue et Greg Rine sont propriétaires d’une ferme superbement située bénéficiant d’une vue pas piquée des hannetons sur le mont Taranaki sur la côte Ouest au Nord de la Nouvelle-Zélande. 140 hectares de collines verdoyantes comme terrain de jeu dont plusieurs prés qu’ils se font un point d’honneur a vider de leurs bêtes plusieurs fois l’an pour régénération. De même, 50% de ce terrain est planté d’arbres endémiques de la Nouvelle Zélande. Leur potager produit, au rythme des saisons, plusieurs variétés de patates (parmi elles une tout petite, violet brun foncé, ingénieusement appelée Tutaekurin en Maori, soit « dog shit » en anglais), fenouil, choux, choux-fleurs, salades, oignons, ail, brocolis, carottes, quinoa et j’en passe. Tout cela plus ce qui pousse dans les 2 petites serres tunnel (tomates, courgettes, concombres…) et une incroyable collection de haricots divers. Dispersés autour du coeur de la ferme, parmi les ânes fans de chardon, quelques oies et canards, un petit troupeau de vaches nourries a l’herbe et un bon troupeau d’agneaux et moutons certifiés bios, 3 poulaillers. Un est en forme de tente, les 2 autres en dômes. Dedans, les poules et le coq occasionnel tra-

vaillent la terre sous eux, la nourrissent et la fertilisent. Après quelques semaines, Sue n’a qu’à déplacer le petit poulailler là où la terre le demande, et planter ce qui convient le mieux sur la parcelle ainsi fertilisée. C’est une des façons que Sue applique les principes de la Permaculture. Pour couronner le tout, leur maison (dessinée par eux-mêmes) utilise une toilette sèche, est orientée plein Nord (oui, hémisphère Sud) et est principalement chauffée par une énorme et géniale cuisinière à bois. Ce qui suit est une interview de Sue et Greg ensemble. Nicolas et moi Wwoofions pour eux en février dernier. 12 jours hauts en inspiration.

Marie: votre ferme en quelques mots... Sue : Nous sommes une petite ferme a bétail, mouton bio et arbres endémiques avec un grand potager. M : En quoi est-elle certifiée biologique ? S: Eh bien, évidemment nous n'utilisons ni fertilisant ni pesticides chimiques. Notre choix de variété de moutons et de bétail est aussi très important car nous n'avons nul besoin de leur donner de traitement spécial ni de médicaments. Aussi nous laissons nos prés en jachère la moitié de l’année pour les reposer et les laisser auto composter. Greg : Au vu des changements climatiques, considérer les 4 éléments est aussi d'importance majeure pour nous. Nous fonctionnons


en système fermé de ce côté-là. Notre énergie est fournie par le vent (éolienne) et le soleil (panneaux photovoltaïques), notre eau est celle de la pluie et notre feu pour la cuisine et le chauffage, se nourrit de nos arbres. Ce qui signifie que nous pouvons, tout seuls, survivre en toutes conditions climatiques. (pause) Aussi nous avons peu de bétail et ainsi ne surpaturons pas nos terres. M : Quel est l’âge moyen d’un fermier en Nouvelle-Zélande, dites ? S : 58. G : et encore... ! M: Avez-vous vécu à la campagne (par opposition a la ville) toute votre vie ? S : Non, je suis née dans une famille itinérante. Mon père travaillait dans l’armée. Nous voyagions de base Air Force en base Air Force dans les villes voisines jusqu’à mes 15 ans. G : Non… Mais j’ai grandi dans une toute petite ville. Et j’ai toujours eu un penchant pour le mode de vie rural, toujours voulu planter des arbres et avoir ma propre ferme. M : Quel genre de relation entretenez-vous avec les villes ? Combiren pensez-vous en dépendre ? S : Nous faisons nos courses au supermarché pour les fruits et une partie de nos produits laitiers. Je pense que nous pourrions cueillir bien plus de nos propres fruits s'il n'y avait pas tout ces opossums*. G: Je passe le moins de temps possible en ville. Et Stratford (la ville la plus proche, ndlr) n'en est pas vraiment une. Mais je comprends le rôle que je joue dans l’économie mondiale et j'aime comprendre comment villes et industries fonctionnent, peu importe leur complexité. S : Ah et aussi la plupart de nos produits vont a la ville bien que nos clients soient des particuliers.

M : Étiez-vous plus dépendants des villes lorsque vous viviez dans un chalet sans électricité pendant 4 ans avant de vivre dans cette maison ? G : ben.. c’était plutôt une situation de transition : nous avions déménagé dans ce chalet pour nous rapprocher du chantier de la maison. Nous consommions des quantités folles de bougies par contre... Des piles pour les torches... des allumettes... S: Et nous cuisinions au gaz car nous n'avions pas encore notre cuisinière a bois alors. Donc nous dépendions bien plus des énergies fossiles (en plus de l'essence pour les véhicules, ndlr) et achetions des bouteilles de gaz. Mais nous dépensions bien moins en essence car nous étions juste a cote des travaux qui nous prenait la majeure partie de notre temps. M : Pourriez-vous revivre de cette façon ? G+S: OUI ! G : Si la Nouvelle-Zélande connaissait un effondrement majeur du système bancaire ! (il rigole... jaune) S : J'adorais regarder les étoiles en allant aux toilettes (sèches, dehors, ndlr) la nuit. Et les enfants jouaient toujours tout plein de musique ensemble, faisaient des jeux... Donc oui.

*voir SCIshow – Climate change www.youtube.com/watch?v=M2Jxs7lR8ZI www.fao.org/docrep/007/y5053f/y5053f0d.html

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M : À quel pourcentage d’autonomie pensez-vous vivre à l’heure actuelle ? S : Pour la nourriture ? (pause) 50%. G : Va pour 60. Mais cela dépend énormément des saisons... M : Et vos enfants ? 2 d’entre eux vivent en ville, votre 3e, Holly, s’apprête à en faire autant...Pensez-vous que la vie à la ferme ait pu rendre le mode de vie citadin plus attirant ? S : Eh bien Elisabeth vit sur l'ile Tonga donc... (pause, sourire) Je pense qu'ils n'ont pas encore complètement réalisé les bénéfices de leur vie ici. Je ne pense pas que Samuel aura jamais l'envie de vivre sur un bout de terre. Mais Matthew (le cadet) veut hériter de la ferme... donc... G : Je pense que tous les enfants doivent goûter a la ville pour s’éduquer. 95% des gens (en NZ) vivent en ville de toutes façons. Mais il doit y avoir une part de réaction de leur part car nous sommes un peu différents des autres parents. Ils doivent voir pour eux-mêmes. Et ils sont peut-être même plus capables d'adaptation que beaucoup d'autres enfants quoi qu'il arrive. Holly peut tuer un opossum en l’assommant contre un arbre!! (fierté de papa). M : Craignez-vous ce qui arrive après vous ? G : Eh bien, tu sais... ce qui doit arriver arrivera. Matthew veut la ferme maintenant, mais ça peut changer. Je sais que je veux vivre ici et de cette façon aussi longtemps que je le pourrais, c'est tout. (pause) Et quoi qu'il arrive, les arbres que nous avons planté prendront de la valeur a un moment donné, et cela représentera un sacre bonus pour nos enfants dans le futur. S : Je suis d'accord... Bien que c'est sûr qu'il serait agréable de savoir que notre ferme sera préservée, entretenue et vécue d'une façon proche ou similaire à la nôtre aujourd'hui.

M : À quoi pourrait ressembler le monde rural dans, disons, 100 ans ? S : C'est se projeter drôlement loin ! Beaucoup de choses pourront avoir changé. La phosphorite* pourrait s’épuiser d'ici 2030 et ainsi changer radicalement les méthodes de l'agriculture biologique. Il pourrait y avoir une chute de production pendant la transition. Nous vivrons dans un monde post-antibiotiques donc hommes et bêtes pourrait être vulnérables aux virus infectieux... Les ressources naturelles devraient du coup être bien plus surveillées et contrôlées pour être mieux préservées... G: ...plutôt comme il est aujourd'hui mais avec une proportion plus importante de petites fermes et de fermes associées, et tout usage de terre serait fortement régulé et évalué. M : Combien de temps pensez-vous pouvoir survivre, confinés dans votre ferme, si le monde devenait dingue à l’extérieur ? G : Des mois avec un peu de chance… Les humains s'adaptent. S : Si nous étions laissés pour seuls, ce qui est peu probable, nous pourrions survivre un bon et long moment, même si notre régime alimentaire s'en trouverait un peu moins varié que maintenant. Nous avons de la viande, pourrions traire une vache, et avons tout plein de légumes et de bois de chauffage. Nous devrons être plus disciplinés et ferions pousser tout au long de la saison chaude puis ferions beaucoup de conserves pour les mois d'hiver. Si le courant venait a être complètement coupé, cela serait mal aisé, mais pas insurmontable. (pause) La plus grande menace serait une blessure ou maladie grave...

*Phosphorite : peut être utilisée comme engrais minéral biologique: elle est simplement broyée ou aujourd'hui plus souvent transformée après traitement industriel à l'acide sulfurique qui libère le superphosphate, soit un mélange de phosphate mono-calcique et de sulfate de chaux.

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90| M : Iriez-vous vivre sur la lune, ou ailleurs, si la terre devenait inhabitable ? S : Non. Si nous ne parvenons pas a prendre soin de notre planète, ni a vivre au sein de ses limites, il n'y aurait aucun sens a aller ailleurs. Nous ne ferions que bousiller ca aussi. M : Retour sur terre aujourd’hui… Pourquoi accueillez-vous des Wwoofers? G : Parce que c’était son idée ! S : Eh bien... j'avais l'impression que la famille n'aidait pas vraiment et Greg a son emploi qui nous aide d’ailleurs à garder la tête hors de l'eau, donc je me suis trouvée un peu débordée de boulot à un moment donné. J'aimais aussi évidemment l’idée d'accueillir différentes personnes venant d'un peu partout dans le monde pour me donner le coup de main dont j'ai besoin dans mon travail dans la ferme. G : Mais parfois certains Wwoofers sont d’une ignorance ! Pas dans un mauvais sens hein...

Et puis tu vois le monde est un peu venu chez nous quand nous ne pouvons pas vraiment nous permettre de voyager. Nous inspirons des gens et des gens nous inspirent ! … Il y a des choses que je peux contrôler, comme notre ferme, comme planter des arbres... Et d'autres choses que je ne peux pas contrôler parce que je ne suis pas 'mainstream' ! Mais a travers mon poste au conseil régional, a travers le Wwoofing et l'initiation de ceux qui le veulent a notre mode de vie simple, nous essayons de mettre notre grain de sel à la construction d'un monde un peu meilleur. S : Même si cela veut juste dire que l'on aura appris a quelqu'un que, pour pousser, une plante doit avoir ses racines dans la terre, pas dessus ! (rigole, rigole) Merci !



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CONTRIBUTEURS

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NINA BAHSOUN p. 5. www.ninabahsoun.com JULIEN CROYAL Couverture, p. 4, 12-13, 24, 74-77, 93. www.juliencroyal.com MAELENN GUILLARD+MAUD LODEVIS p. 29, 85. BARBARA GOVIN p. 57-58. www.barbaragovin.fr THOMAS MESTRALLET p. 69. thomas-mestrallet.blogspot.fr CEDRIC GUILLERMO p. 44-47. www.cedricguillermo.com DAMIEN ROUXEL p. 72-73. r-damien.tumblr.com ANGAEL BOURNOT p. 10, 84. ELODIE MAULUCCI p. 60-62. emaulucci.wix.com/mahou FANNY LEGRAND p. 70-71. fannylegrand.fr TORGEIR STIGE p. 25. cargocollective.com/kanalje PIERA ASTORG p.63. pieraastorg.com SLIP p. 11. www.iamslip.com SHOBOSHOBO p. 80-82. www.shoboshobo.com NILS BERTHO p. 79. www.nilsbertho.com OLIVIA SAUTREUIL p. 51, 54-55. oliviasautreuil.co.uk MARIE AUBRY p. 86-90. lebigshrimpdoubt.tumblr.com NICOLAS SIMON p. 17-19. LUCIE VAN DER ELST p. 6-7, 36, 42-43, 64-65, 81. findumondisme.tumblr.fr LISA MOUCHET p. 16, 78. JEREMY BOULARD LE FUR p. 92. jebou.over-blog.com LEO JAHAAN p. 68, 91. www.leojahaan.com MATHIEU CHOINET p. 27. ANTOINE TROUVÉ p. 48-49. antoinetrouve.tumblr.com IBAN YOGO p. 30-35, 37-39. NAEJ MAHRAD p. 56-59. NICOLAS BONGRAND p. 26. JEAN PETIT, ELODIE RIVALAN p. 66-67. GALA VANSON p. 14-15. www.galavanson.com YANN SERNIK p. 8-9. NICK JACKSON p. 28. nickmerlockjackson.tumblr.com LÉO LESCOP p. 20-23. MATHYLDE PAGÈS p. 52-53. + DE CONTENU, D'IMAGES ET DE LECTURES SUR : sic-fanzine.tumblr.com


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NINA BAHSOUN JULIEN CROYAL MAELENN GUILLARD MAUD LODEVIS BARBARA GOVIN THOMAS MESTRALLET CEDRIC GUILLERMO DAMIEN ROUXEL ANGAEL BOURNOT ELODIE MAULUCCI FANNY LEGRAND TORGEIR STIGE PIERA ASTORG SLIP SHOBOSHOBO NILS BERTHO OLIVIA SAUTREUIL MARIE AUBRY NICOLAS SIMON LUCIE VAN DER ELST LISA MOUCHET JEREMY BOULARD LE FUR LEO JAHAAN MATHIEU CHOINET ANTOINE TROUVÉ IBAN YOGO Naej Mahrad NICOLAS BONGRAND JEAN PETIT ELODIE RIVALAN GALA VANSON YANN SERNIK NICK JACKSON LÉO LESCOP MATHYLDE PAGÈS sic-fanzine.tumblr.com

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