12 janvier 2002 - NOUVELLES DE L'ENFER 1

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NOUVELLES DE L’ENFER

12 JANVIER 2002


Des Nouvelles de l’Enfer Les conditions de vie à Polunsky par Hank Skinner Le 12 janvier 2002 En fait, je ferais mieux de vous raconter ce qu’il se passe ici. Tout se détériore de mal en pis. Hier, c’est Richard Cartwright, #999224, qui s’est fait passé à tabac lors d’une extraction de cellule. Après l’avoir immobilisé au sol dans sa cellule, lui avoir passé les menottes derrière le dos et lui avoir entravé les chevilles, le Sergent Philip D. Griggs, de garde au 2ème service (14H/22H), qui était le "point man" celui qui est le premier de l’équipe d’extraction à entrer dans la cellule, s’est assis sur Cartwright et a commencé à lui mettre des coups de poing dans la figure, selon Cartwright, il l’a tapé comme ça 5 fois. J’ai vu sa figure et il est bien amoché. Griggs est plutôt un frimeur. Même pendant une extraction de cellule, les gardiens ne sont pas supposés vous taper dessus avec les poings fermés et surtout pas après avoir été immobilisé, couché par terre, menotté derrière le dos avec les 5 hommes de l’équipe d’extraction de cellule sur le dos et les chevilles entravées. Griggs était là l’autre jour à discuter avec nous et il nous racontait ses exercices de gym. C’est un grand gaillard, 1m78 pour 120 kilos, il fait de l’haltérophilie. Mais jamais je ne lui avais vu ce type de comportement dans le passé. Jamais jusqu’à aujourd’hui. Ce matin, rebelote pour Cartwright. Ils l’ont sorti de sa cellule après l’avoir gazé trois fois. Ils l’ont emmené à la douche, habillé, menotté, les chevilles enchaînées pour le décontaminer. Tout ce qu’ils ont fait c’est de le tremper de la tête aux pieds. Ils n’ont pas ventilé sa cellule pendant qu’il était à la douche. Ils l’ont remis dans sa cellule avec tout ce gaz qui stagnait. Comme le gaz repose au niveau du sol et qu’il était trempé, l’effet était pire que s’il avait été arrosé directement. Le gaz au poivre est très irritant pour la peau. En fait, ce qu’ils sont supposés faire quand ils vous gazent et vous forcent à l’extérieur de votre cellule, c’est vous mettre sous la douche, vous démenotter à travers le " beanhole ", vous déshabiller et vous laisser vous laver pour vous débarrasser du gaz. Mais comme ils ont peur que l’intéressé refuse de sortir de la douche, alors ils vous laissent menotté, entravé aux chevilles, la porte ouverte, ils laissent deux membres de l’équipe vous tenir et vous arroser pendant une minute, le tout habillé bien sûr. C’est facile de se retrouver noyé comme ça. Quand on ne peut pas utiliser ses mains pour se protéger le visage et détourner le jet d’eau, si l’un d’entre eux vous donne un coup de poing à l’estomac pour vous faire suffoquer, vous vous retrouvez très vite avec un poumon rempli d’eau. On sort de là en crachant et en toussant. Le gaz imprégné sur les vêtements mouillés, qui frottent sur la peau, la mettent à vif et à sang. Ca brûle l’enfer pendant des jours et des nuits. Des ampoules se forment et elles se remplissent d’eau. Ce n’est pas beau à voir. Les gardiens ont toutes sortent de trucs pour que la douleur soit plus forte. Ce ne sont pas des choses très fragrantes aux yeux de quelqu’un qui ne serait pas habitué à leurs façons de faire et qui ne comprendrait pas les conséquences d’un refus d’obéir. Quand ils s’y prennent comme il faut, dans les 24 heures vous êtes sur pieds à 50%. Mais quand ils s’y prennent mal, intentionnellement, c’est ce que nous appelons un " fuck job " et quand ils décident de vous en appliquer un, vous aurez de la chance de vous en remettre en moins d’une semaine ou deux. C’est ce qu’ils ont fait à Cartwright deux fois en moins de 24 heures. Paul Colella #999045, Rick Rhoades 999049 et Brian Davis #999036 ont essayé de faire venir un gradé pour mettre les choses au clair pour Cartwright mais personne ne s’est déplacé.

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A l’heure de déjeuner, Paul a bloqué la trappe (il a sorti son bras pour les empêcher de le refermer) pour qu’un gradé se déplace. L’officier Chance et le lieutenant Roach sont venus et se sont faits asperger de merde humaine. Ils ont été informés que le Sgt Griggs avait cogné Cartwright à coups de poings 5 fois après qu’il ait été maîtrisé, immobilisé, menotté, entravé aux chevilles et complètement contrôlé. Roach et Chance sont partis. Un peu plus tard, à peu près 20 minutes, ils sont revenus avec une équipe d’extraction et du gaz. Paul a annoncé qu’il se rendait et qu’il soumettrait calmement à une fouille à corps et aux menottes. Ils l’ont fait sortir de sa cellule et lui ont pris toutes ses affaires, toutes, ils ont tout mis à sac dans le couloir pour que tout se mélange bien à la merde qui était par terre. Les papiers juridiques de Paul, ses livres et ses autres affaires étaient couvertes de merde. Ensuite, à coups de pieds, ils ont tout fait valser dans les escaliers et du coup, tout est sorti des sacs et de la couverture dans lesquelles les affaires étaient regroupées, tout s’est éparpillé dans le couloir 1. Ensuite ils ont remis Paul dans sa cellule. 30 minutes plus tard, ils sont revenus et ils ont coupé l’eau et la ventilation. L’Officier Chance est revenu après avoir lui même nettoyé les dégâts du couloir, il jurait et pestait contre Paul, le traitait de punk et il répétait, " toi mon salaud, c’est sûr que t’as rien fait ". Il nous a dit que nous étions tous là pour une bonne raison et que c’est notre faute si on est dans le couloir et que, du coup, quand nous les laissons nous extraire de nos cellules, nous devons nous attendre à être passés à tabac. Ils sont là pour appliquer le règlement à tous les niveaux et que c’est bien ce qu’ils ont l’intention de faire, etc… C’est le truc habituel que l’on entend à chaque fois. Quoi qu’il se passe, c’est toujours de notre faute et jamais de la leur et que de toutes façons nous méritons notre sort. Le discours de Chance est très révélateur. Il n’a pas dit " suivre le règlement " mais " appliquer " le règlement (pour les anglophones " enforce "). Condamnation et punition, " accepter sa responsabilité personnelle ", dit-il. Tous ces beaufs culs-bénis du sud ressassent toujours le même message. Puisqu’un jury nous a condamné, c’est donc normal qu’ils nous punissent un peu plus puisque de toutes façons ils vont nous tuer. On n’en a rien à faire qu’il assume une responsabilité personnelle pour ses actions illégales ou celles des gradés qui enfreignent le règlement concernant l’utilisation de la force de façon régulière et soutenue, encore une hypocrisie de plus parmi tant d’autres. Ils pensent que c’est un devoir de patriotisme que de nous punir et de nous maltraiter ainsi, de nous rendre la vie la plus dure possible, etc… Comme Nietzsche le disait si bien : " Méfiez vous de ceux qui ont un besoin très fort de punir ". Ils pensent que l’utilisation de la force est la réponse à tout. Vous savez quand on subit une extraction de cellule, on sait qu’il ne s’agit pas d’un jeu. Ils ne sont pas là pour rigoler et d’une façon ou d’une autre ils arriveront à vous mater. Pourtant il y a un certain nombre de règles non dites qu’il faut observer. Ces gradés dans cette équipe d’extraction sont habillés pour l’occasion, comme une équipe de CRS, casques avec viseurs, une protection grillagée devant le visage, des masques à gaz, des protections corporelles pour la poitrine, les genoux, le menton, des gilets contre les coups de couteaux, des bottes de combats. Certains portent même des gants en cuir. Il y a peu de manière de les atteindre pour leur faire mal. Ils utilisent un bouclier de capture qui est en fait un grand bouclier en résine transparente et concave avec des poignées sur les bordures externes. Le " Point man ", le premier à entrer, le tient par les poignées devant lui à hauteur de la poitrine. Tous les autres membres de l’équipe sont en file indienne derrière le point man. Après ils vous gazent deux ou trois fois à cinq minutes d’intervalle. Ils s’alignent et le Sgt ou le Ltd se tient dans

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l’encadrement de la porte pour donner le signal au gardien de service pour faire ouvrir la porte (tout est automatisé et gérer par le picket officer). Quand la porte est ouverte, l’équipe décolle comme une équipe de football sur la ligne de départ, ils ont plutôt l’air d’un train. Tous les hommes derrière le point man poussent vers l’avant, comme dans une mêlée de rugby, les épaules des uns contres les fessiers des autres. Cinq hommes de plus de 100 kilos chacun, c’est plus de 500 kilos qui vous arrivent dessus d’un seul coup par la porte de votre cellule. L’idée est d’utiliser le bouclier de capture pour vous scotcher contre un mur, contre le lit ou contre le sol. Une fois que vous êtes épinglé, ils jettent le bouclier, vous attrapent les bras pour les passer derrière le dos et vous passer les menottes. Ensuite, ils vous entravent les chevilles avec des chaînes. Chaque membre de l’équipe a, sur son casque, un numéro qui correspond à une fonction bien précise qu’il doit remplir une fois le prisonnier à terre. Chacun remplit sa mission avec la même détermination et énergie que pour un rodéo. Lorsqu’ils passent la porte, tout devient chaotique. Vous avez 5 mecs sur le dos, ils ont tout l’équipement nécessaire pour se protéger alors que vous êtes pieds nus et en caleçon. Comme ils ne peuvent rien sentir, c’est probablement difficile pour eux de se rendre compte des dégâts ou de la casse et s’ils vont font mal ou pas. C’est beaucoup plus dangereux que le football professionnel parce que ces mecs sont dans un espace ouvert en extérieur sans obstacles et pourtant ils n’arrêtent pas de se faire mal. Il y a bien des carrières sportives qui ont tourné court en deux secondes chrono. Dans nos cellules, c’est du béton et de l’acier avec des obstacles partout. Si vous glissez et tombez sur un coin de votre lit en acier, ou la table soudée au mur, ou les toilettes en acier, ou le lavabo, vous pourriez facilement vous briser le crâne ou vous fracturer la colonne vertébrale ou vous enfoncer la cage thoracique (comme c’est arrivé à Rick Rhoade l’autre jour lorsqu’il s’est retrouvé balancé contre les toilettes au niveau de la poitrine quand les cinq gardiens lui sont tombés sur le dos pour le forcer à terre, il s’est retrouvé projeté contre les toilettes à pleine vitesse). De toutes façons, ils sont là pour vous mater et pour vous faire sortir de la cellule sans vous faire mal. Les règles non-dites sont les suivantes : on peut se bagarrer avec eux à condition de ne pas utiliser d’arme, de ne pas donner de coup dans les parties génitales, de ne pas repousser leurs casques vers l’arrière et de ne pas arracher le filtre de leur masque à gaz. C’est un jeu de cache-cache. Vous essayez d’éviter le bouclier pour atteindre la porte de la cellule et sortir. Mais pour ça, il faut passer la muraille des cinq types. Si vous arrivez à sortir de votre cellule, vous pouvez considérer que vous avez gagné. Quelqu’un capable de passer ce barrage est celui qui sait lutter et ne baisse pas sa garde. Si vous commencez à leur balancer des coups de poings, ou à concevoir des pièges dans votre cellule en utilisant les fils électriques ou autres… Là, vous passez à un autre niveau. Certains prennent des positions de départ différentes des autres – tout est bon pour tenter de trouver une position de force, pour prendre l’avantage pour se défendre, une meilleure chance de s’en tirer. Vous pouvez aussi bloquer les fenêtres et les ampoules pour qu’ils se retrouvent dans le noir et qu’ils ne vous voient pas trop bien. Vous pouvez attendre accroupi à côté de la porte pour sortir dès que la porte s’ouvre. Vous pouvez mettre de l’huile ou du shampoing par terre pour les faire glisser et tomber. Tout ça fait partie du jeu. L’équipe n’a pas le droit de vous cogner à coups de poing. Mais c’est quand même ce qu’ils font. Ce qui prouve combien d’entre eux détestent les condamnés à mort et veulent nous faire du mal. Toute cette violence est une terrible escalade et s’aggrave constamment. Ce n’est vraiment pas nécessaire. Même si vous les cognez à coups de poing et de pied, de toutes façons, ils ne sentent rien avec leur équipement. Vous vous esquintez juste les articulations des mains sur leurs protections. S’il l’un d’entre eux, ou plusieurs, vous tapent fort, vous allez le sentir parce que vous

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n’avez rien d’autre que votre caleçon et un sweat-shirt sur vous. Ces poings et ces bottes font très très mal. S’ils vous donnent des coups de pied, il y a une très forte probabilité de se retrouver avec des os cassés au visage, dans les pieds et les mains, ou dans les côtes. Ils savent là où il faut cogner, ça fait partie du " fuck job ". Ce crétin d’officier Chance est enragé contre Paul qui lui a balancé ses excréments. Mais Paul lui a dit " Si tu viens ici, tu sais ce que ça veut dire ". Il l’a prévenu deux fois auparavant, il est quand même venu sans imperméable ni protection. " Regarde moi, je suis un gradé, je fais ce que je veux ". Ca me perturbe vraiment parce qu’en fait il venait juste pour parler avec Paul – enfin c’est ce qu’il nous a dit. Le problème est en fait, lorsqu’il a finalement décidé de se bouger les fesses pour venir dans le bloc, que c’était trop déjà trop tard. Le blabla était dépassé depuis longtemps et Cartwright avait été dérouillé. Il était où à ce moment là ? Qu’est-ce qui a déclenché tous ces lancers d’excréments ? Le Capitaine Bacon. Avant qu’il ne dérape et commence ses conneries, rien de la sorte ne s’était jamais produit. Mais il a fallu qu’il en rajoute et qu’il aille raconter aux média que les gardiens étaient obligés de souder les fenêtres des portes des cellules à cause des prisonniers qui balancent de l’urine et des excréments. Comme on nous accuse à tort et qu’on nous punit pour les mêmes faits, autant qu’on en retire un quelconque bénéfice. Cette histoire a été publiée dans le Houston Chronicle du 21 novembre 2001. Avant cet article, il n’y avait jamais eu de lancer d’excrément. L’Officier Chance disait qu’il ne comprenait pas comment un prisonnier pouvait se laisser mater par une équipe de 5 hommes et prendre tout ce gaz dans la figure. Nous, on appelle çà la " récréation en cellule ". Je ne sais pas comment expliquer clairement mais les conditions ici sont telles qu’elles nous poussent à ce type de comportement. La privation sensorielle absolue, l’isolement et la privation de sommeil vous laissent sur le carreau, déprimé, triste, sans vie mais anxieux et hypertendu. Certains officiers nous manquent de respect tous les jours. Comme la nuit dernière, ils avaient décidé de fouiller ma cellule et cette gardienne a grimpé sur mon lit pour vérifier ma fenêtre. Elle a marché sur mon lit alors que je venais de mettre des draps propres. Elle m’a bien regardé et s’est essuyé les pieds comme si elle essayait de décoller de la boue ou de la crotte de chien de sa chaussure. Puis elle a dit : " Oh, pardon, je ne l’ai pas fait exprès " sur un ton ironique et moqueur. Ils ont balancé une partie de mes affaires par terre. Elle a laissé deux grosses empreintes de pieds noirs sur mon drap. Si j’avais pu l’attraper, je lui aurais mis des coups de pieds. Je voulais vraiment qu’elle arrête de sourire bêtement et lui botter le derrière pour qu’elle s’en aille. Bien sûr, je n’ai rien dit, mais ce genre de truc s’accumule, s’accumule et s’accumule encore. On devient complètement insensibilisés par manque d’interactivité sociale. Les mecs commencent à faire des trucs juste pour sentir quelque chose, pour obtenir quelques minutes d’attention. c’est comme ceux qui se mutilent ou qui se coupent. Ils ne le font que pour sentir qu’ils sont encore vivants, même si c’est de la douleur, au moins ils ressentent quelque chose. J’ai déjà entendu des psychiatres dire que les enfants à qui leurs parents n’accordent aucune attention, vont commencer à faire des petites bêtises même s’ils vont se prendre une fessée. Pour un être humain, un peu d’attention, même négative, est mieux que pas d’attention du tout. Ce qu’il se passe ici c’est un peu comme ça. Tout ce que nous pouvons récupérer, c’est une réaction négative, des dysfonctionnements. L’autre jour, je me suis fait fouillé et gazé. Je n’avais pas le choix. Le Lt Bolton m’avait déjà fait subir 20 mise à sacs/fouilles 20 fois en 16 jours, je n’en pouvais plus. La seule résistance que je

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pouvais opposer était de refuser de sortir de ma cellule, refuser d’obéir, leur rendre la tâche le plus difficile possible. Ils n’ont pas arrêter de déchirer mes affaires, de confisquer des choses qu’ils n’avaient pas le droit de prendre, c’était la dernière goutte d’eau, je n’en pouvais plus. Après m’avoir gazé deux fois, même s’ils m’ont mis ko presque en douceur, après je me suis senti vraiment bien. Pendant un moment, j’étais vivant à nouveau, je me suis senti revigoré. Tout le stress et la tension avaient disparu pour un moment. Tout le monde était surexcité. On en a parlé pendant des heures, on a tout analysé, disséqué, chaque action de chaque individu, chaque mot prononcé. Lorsque je me suis finalement endormi, j’ai bien dormi. Le jour suivant, je suis redevenu le même zombi d’avant. J’ai même essayé de les provoquer pour qu’ils reviennent me chercher dans ma cellule mais ils ont refusé. Finalement, ils ont décidé de me ficher la paix et j’ai accepté ce statu quo pour finalement m’en satisfaire. Comme le disait un article dans le magazine " Fortune ", ces endroits (les SHU) fabriquent des monstres. J’ai presque honte de ce que j’ai ressenti et d’avoir même ressentir ce besoin. Ils s’attendent à ce que vous vous opposiez à leurs règlements mais ce n’est pas une réaction humaine. Si vous en parlez avec un gradé qui s’en prend à vous, il vous dira que lui ne pourrait pas supporter ce genre de traitement. Je leur dis " alors si vous êtes conscients que vous-même ne pourriez pas agir différemment, qu’est-ce que vous attendez de moi ? " Ils repartent dans le même discours " oui, un jury vous a condamné et c’est comme ça que l’état et la direction de la prison nous demandent de vous traiter. J’ai un boulot à faire et je le fais, ça n’a rien de personnel "… Cet endroit fait le même effet sur les gradés. On leur apprend cette stratégie, cette logique antihumaine, ils la répètent comme un mantra, " ça n’a rien de personnel, je fais juste mon boulot ". Ils (l’administration pénitentiaire) les ont convaincus que nous ne sommes pas humains. Une fois qu’ils ont accepté cette logique-là, ça leur permet de mieux gèrer leur sentiment de culpabilité qu’ils ressentent inévitablement à force de nous maltraiter, nous, leurs frères humains. Ces gradés s’endurcissent et deviennent incapables de réagir. A partir de là, il n’y a que quelques pas pour arriver au sadisme et à la brutalité. Il n’y a rien de pire que de voir un gradé essayer de mater un prisonnier qui a dégoupillé en lui serrant la gorge pour lui casser la nuque. Tout ça avec le sourire aux lèvres en répétant au prisonnier " arrête de résister "… alors que le mec est déjà inconscient. 13/1/02 J’ai parlé avec le Sgt Griggs hier soir tard. Il admet avoir donné des coups de poings à Cartwright mais insiste sur le fait qu’il n’avait pas encore été menotté à ce moment-là et qu’il était tenu par les 4 autres membres de l’équipe mais qu’il se " débattait " encore et il dit " j’ai du lui mettre quelques coups pour le maîtriser ". Il a dit aussi " C’était moi le point man de l’équipe. Tu sais que ce n’est pas un jeu. Si tu te tiens tranquille quand je rentre dans ta cellule, je vais quand même te mettre quelques coups jusqu’à ce que tu tombes à terre, aussi simple que çà ". " Quelques coups ", c’est quoi cet euphémisme ou cette analogie pour dire " je vais te défoncer la figure à coups de poings ? ". Ce que Griggs a oublié de mentionner c’est que Cartwright avait ou n’avait pas été menotté à ce moment-là, il était, de toutes façons, bloqué par les 4 autres mecs de l’équipe – " il se débattait encore " - ça veut bien dire qu’il était déjà à terre sinon il n’aurait eu personne avec qui se débattre. Les 4 mecs de l’équipe le tenaient fermement quand il s’est fait cogner par Griggs. Du coup, l’Officier Chance a ordonné des fouilles de cellules pour tout le monde et nous a placé en restriction de conteneur. Ca veut dire qu’ils nous ont confisqué tout ce qui est susceptible de contenir du liquide, y compris notre gobelet en plastique qui nous sert pour boire. Essayons donc de vivre dans une petite tombe sans même un gobelet pour boire. C’était la punition pour

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l’officier qui s’était fait arroser d’excréments la veille. Il a placé la section entière en restriction de conteneur. La seule raison pour justifier une restriction de conteneur est si vous attaquez un gradé, ce qu’aucun d’entre nous n’avait fait. Seulement Paul avait balancé des excréments et si une personne aurait du se voir confisquer ses conteneurs, c’était bien lui et personne d’autre. Réfléchissez-y pendant une minute, combien c’est difficile. Pensez à tout ce que vous utilisez dans un conteneur ; les médicaments, le shampoing, le déodorant, les autres produits d’hygiène (lotion, produits pour les cheveux, les vitamines, le talc, etc…) le dentifrice. Tout ça confisqué. J’en ai parlé avec deux Lieutenants et quatre sergents depuis hier et tous sont d’accord pour dire que l’Officier Chance comment infraction au règlement et qu’il n’a aucune autorisation pour justifier ce qu’il a fait. Si vous voulez comprendre pourquoi c’est si difficile pour nous, essayez donc de vivre une seule journée sans utiliser aucun type de conteneur. Laissez-moi vous expliquer et vous montrer ce qu’un mec comme Chance, bigot et hypocrite peut faire. Hier, il fait un grand sermon sur le fait que chacun doit " assumer sa responsabilité personnelle pour ses propres actions " et expliquer à Paul que s’il souffre c’est parce qu’il est incapable d’assumer ses responsabilités dans le monde libre et ce qui l’a entraîné dans le couloir de la mort. (Paul, au même titre que moi, est l’un des rares ici à avoir un dossier d’innocence hallucinant concernant l’inculpation qui l’a fait condamner à mort). Hier quand Paul a bloqué la trappe à l’aide de son bras, il l’a fait pour que le gardien de service fasse intervenir les gradés de permanence. Donc le Lt Larry Roach et l’officier Chance sont venus. Chance connaissait exactement le contexte et il y est allé à pieds joints : " vous avez un prisonnier dans la rangée 2 qui retient la trappe en otage et il refuse que le gardien la referme ". C’est exactement ce que le sergent lui a dit. Lorsque vous avez un prisonnier qui agit de la sorte, il est forcément en colère et donc pas nécessairement rationnel. Alors soit vous lui parlez d’une distance raisonnable, soit vous portez des vêtements de protection (des lunettes et un imperméable coupe-vent) avant de vous approcher de lui. C’est juste une histoire de bon sens. Normalement, ils le gazeraient, lui fonceraient dessus et lui mettraient quelques coups. Pour les prisonniers, lancer des excréments sur un gradé c’est le plus beau trophée qui puisse exister. Plus haut est le grade, meilleur c’est. Chance savait tout ça avant même d’avoir posé un pied dans le couloir. Chance a lui-même décidé de venir en vêtements de ville – T-Shirt et Jeans, tennis – il a amené Roach avec lui, habillé en uniforme, pas de protection non plus. Ils ont monté les escaliers, Paul leur a fait des sommations, pas une fois mais deux fois " Ne venez pas jusqu’ici. Si vous venez ici, vous savez ce qu’il vous attend ". Chance a pris une 2ème décision personnelle en continuant de monter les escaliers. Lui et Roach ont été touchés directement sur le visage et sur le corps. Alors Chance, au lieu d’assumer sa responsabilité personnelle pour ses propres actions, nous punit tous. Il savait le risque qu’il prenait. Il s’est laissé emporter par son arrogance " je suis le gradé, il n’osera pas me faire ça ". Mauvaise pioche. Il était en tête de liste. Juste à côté de ce putain de Larry Fitzegerald. Pourquoi punir tous ceux qui n’avaient rien fait ? Parce que nous avons tous ri ? Forcément on a ri, on avait l’impression qu’ils s’étaient fait entarter… Vous n’auriez pas pu vous en empêcher. Roach a paniqué et s’est énervé, il s’est précipité vers la porte du milieu et à commencer à cogner dessus, comme si quelqu’un allait lui ouvrir. (Tout est verrouillé électroniquement à partir du piquet de surveillance, il n’y a personne de l’autre côté de la porte). Evidemment, on a vite réalisé que ce n’était pas drôle du tout pour eux et on s’est senti plus mal en fait. Il ne nous a pas fallu longtemps pour arrêter de rire.

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D’ordinaire, les prisonniers ne lancent que de l’eau savonneuse en direction des gradés s’ils cherchent la bagarre. Quoi que vous lanciez de toutes façons on vous pique vos conteneurs. Mais tellement de prisonniers l’ont fait qu’ils ont commencé à utiliser l’équipe d’extraction de cellule juste pour faire fermer les trappes. Alors là, vous avez l’impression de vous être fait rouler. L’urine et les excréments sont réservés à ceux qui ont vraiment et violemment abusé d’un prisonnier. Comme la séance de coups de poing sur la figure de Cartwright. La confiscation des conteneurs peut être faite à la demande d’un gradé pendant le week-end car il n’y pas de comité présent en dehors des jours ouvrables. Mais dès le lundi matin, la première chose à faire, c’est de saisir le DRCC pour faire approuver la punition. C’est pourquoi le formulaire I-203 est un formulaire en deux parties. Mais ceux-ci ne s’appliquent qu’à des individus qui auraient lancé quelque chose en direction d’un gradé et non à une section entière de 42 prisonniers qui eux n’ont rien fait. C’est la 2ème hypocrisie de Chance durant le week-end. Non seulement il refuse d’assumer sa responsabilité personnelle pour ses actions, en plus il brise le règlement qu’il a juré de faire respecter. Chance n’a ni I-203 ou tout autre formulaire officiel pour conforter ses décisions. Il le fait, c’est tout. Comme le lieutenant me l’a expliqué " nous ne pouvons pas nous permettre de répondre comme ça quand l’un d’entre nous se fait coincer, alors pourquoi Chance s’en tirerait-il comme ça, juste parce qu’il est gradé ? ? ". Mais bon, c’est l’exemple parfait pour illustrer l’ensemble des problèmes ici. Personne ne suit le règlement ou ne l’applique, sauf quand ils l’interprètent ou s’appuie sur ces textes pour nous maltraiter ou pour nous confisquer encore plus de choses. Toute partie du règlement qui stipule nos droits est systématiquement ignorée. Neuf fois sur dix, ils n’en font qu’à leur tête et si l’un d’entre nous dépose une plainte en interne, ils tentent de trouver un autre article du règlement pour justifier ce qu’ils ont fait. C’est comme ça que nous entendons toutes sortes d’interprétations ridicules juste parce qu’ils essayent de modeler les règlements internes pour couvrir leurs abus. Enfin bon, une journée de plus en enfer. Si tout cela ne peut être considéré comme " significatif et atypique ", alors qu’est-ce qui peut l’être ? Ils enseignement comment modifier le comportement et comment décliner ces techniques à tout ce qu’ils font. Mais ils sont complètement inconscients de ce en quoi ils nous transforment. Ils découvrent au fur et à mesure. 13/1/02 – tard le soir – une dernière mise à jour, tard dans la nuit. Chance s’est pointé ici entre 21H30 et 22H30 aujourd’hui pour harceler Paul car il voulait qu’il sache qu’il n’oublierait rien de tout ça mais qu’il n’allait pas risquer sa carrière pour le passer à tabac. Il lui a dit qu’il est convaincu que la justice fera son boulot et que Paul sera exécuté pour tout ce qu’il a fait et que lui (Chance) sera là pour le regarder mourir en tant que témoin pour l’Etat du Texas. Histoire de bien clôturer l’affaire, ils ont laissé Chance participer à l’audience du DRCC ce moisci, du coup il me maintient au niveau III. Je n’ai eu aucun rapport disciplinaire pour violence. Hank Skinner #999143

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