8 avril 2002 - NOUVELLES DE L'ENFER 10

Page 1

NOUVELLES DE L’ENFER

8 AVRIL 2002


Des nouvelles de l’Enfer Par Hank Skinner 8 avril 2002 J’ai entendu dire qu’il y a des dissensions parmi certains lecteurs du journal de Paul et du mien. Il semble que des prisonniers du niveau I pensent que nous, au niveau III, ne sommes que des « fouteurs de merde » et que nous leur rendons la vie difficile. Quel dommage. Je me demande comment ils sont au courant puisque que le bâtiment 12 est divisé en six blocs de 84 cellules qui sont en fait comme des bâtiments séparés et aucun prisonnier du niveau I ne vit de ce côté-ci. Ils ne viennent jamais ici. Alors d’ou tiennent-ils leurs informations ? Vous savez quoi ? Je suis prêt à parier que ce sont les gardiens, qui font la rotation à l’autre bout du bâtiment, à votre avis ? Qui un gardien peut-il considérer comme un semeur de merde ? ? Sans doute quelqu’un qui résiste ? Hummm… Il a également été dit par ces prisonniers que nous ne faisons que déformer la réalité de notre quotidien. Une fois de plus, je me demande comment ils peuvent le savoir, ils ne sont pas ici ? De plus, vous avez eu ces informations directement par ceux qui vivent ici, qui voient directement ce qu’il se passe. Qui pourrait bien avoir plus d’informations ? Ceux qui me connaissent savent que je ne mens pas. Je vous raconte les évènements comme ils se déroulent selon notre perspective. Je défends les prisonniers habillés en blanc. Je ne mens pas à propos des gardiens parce que je ne suis pas un bigot et je ne veux pas qu’ils me mentent. Mais je ne suis pas ici pour vous donner la perspective du TDCJ. Ils ont leurs propres propagandistes en la personne de Fitzgerald et Lyons, alors laissez les mentir, comme il se doit… Il est vrai que chacun d’entre nous ici a son propre objectif, sa motivation pour agir. Paul et moi avons des points de vue idéologiques qui diffèrent grandement. Mais cela n’a pas d’importance. Je soutiens Paul Colella, Rick Rhoades et Richard Cartwright à 100 %. Personne ne m’en dissuadera et certainement pas quelques prisonniers pleurnichards du niveau I. Il faut aussi comprendre qu’il y a plusieurs motivations en scène ici. Lorsque qu’une lutte révolutionnaire s’installe (et ne vous méprenez pas, c’est bien de quoi il s’agit aujourd’hui), il y a toujours un peu de chaos. Il y aura toujours ceux qui ne sont pas d’accord et se désolidarisent. Un prisonnier ne déteste jamais vraiment un autre prisonnier pour ses actes, mais nous sommes un peu à court de prisonniers engagés dans cette prison. Vous savez, si vous ne souhaitez pas nous rejoindre, au moins, ne travaillez pas contre nous ou contre ce que nous essayons de faire. Je pourrais citer quelques noms mais ce n’est pas mon genre. Vous savez qui vous êtes et moi aussi. Il y a ceux qui agissent par jalousie. Ils regardent les autres attirer l’attention et ne le supportent pas. Ils veulent la même attention alors ils tentent de se démarquer en cassant les autres par détourner l’attention. Il y a ceux qui sont manipulateurs et qui pensent « qu’est-ce que je pourrais bien en retirer pour moi-même ? Qu’y a-t-il d’intéressant pour moi ? » « L’Homme » sait tout cela. Il veut en ressortir grandi. Zeller est égocentrique, probablement mégalomane. Il veut casser cette rébellion ici. Vous ne pourriez à peine croire les techniques qu’il déploie pour y parvenir. Diviser pour mieux régner. « Je vais semer les graines de la divergence et mettre fin à tout cela », pense-t-il. Ils convoquent certains prisonniers à des heures bizarres du jour ou de la nuit. Ils font apparaître que certains prisonniers bénéficient de meilleurs traitements que d’autres, un tas de trucs comme ça. Ils font circuler de fausses rumeurs. «L’Homme » sait que tant que nous nous tenons par la gorge, il n’aura pas à s’inquiéter de nous voir nous retourner contre lui. Ces techniques sont vieilles comme le monde. Il y a des textes de la Chine ancienne qui ont

1


été traduits en Anglais. Je crois qu’ils s’intitulent « l’Art de la Guerre » où quelque chose comme ça ? écrits autour de 1500 avant JC qui décrivent très bien ce dont je parle. Ensuite on me fait savoir que certains « Chrétiens » dehors qui prient pour nous, trouvent difficile de nous épauler parce que nous jurons et que nous utilisons un langage cru. Excusez-nous du peu. Ne vous méprenez pas, je crois en Dieu de tout mon cœur. Mais le Dieu que je connais est un Dieu de substance et non d’apparence. Ces types ici se font passer à tabac juste pour le principe, pour défendre ce en quoi ils croient : un traitement humain et vivre avec un minimum de dignité. Alors quelques-uns d’entre vous, soi-disant pieux et pratiquants, vous devriez sortir tout ça de votre système. Si vous êtes plus inquiets sur la forme que sur le fond et de savoir si vous respirez toujours, le monde de vos croyances est plutôt léger et vous feriez mieux de vous occuper de vous et de nous laisser nous préoccuper de ce que nous faisons. Ici c’est une prison, pas une infirmerie. Attica, Santa Fe… Ça vous rappelle quelque chose ? Et puis il y a ceux qui répandent des rumeurs de l’autre côté de la vitre du parloir et qui ont toujours besoin d’en rajouter. Il y en a une, en particulier, qui passe 90 % de son temps ici pour attiser les divergences entre les prisonniers. Elle exacerbe la haine plus qu’il ne m’en faudrait pour le reste de ma vie et peut-être même pour la suivante. Mais que peut-on attendre d’une vieille peau qui n’existe qu’à travers la couleur artificielle de ses cheveux ? Fausse, j’imagine. Je suis sûr que bon nombre d’entre vous n’apprécie pas vraiment ce que j’ai à dire, une ou deux personnes en particulier. Ça énerve, non ? ça dérange ? Vous trouvez ça vexant ? Tant mieux ! Cela signifie que le message est bien passé. Essayez de comprendre tout cela et ce que je peux ressentir lorsque je constate que mes propres supporters doutent de moi, supputent, me disent ce que je devrais faire, se demandent si je mens… ? ? ? Au lieu de tout cela, pourquoi n’arrêtez-vous pas toutes ces conneries et ne soutenez-vous pas cette cause, nom de Dieu ! Ceci n’a rien à voir avec vous ou votre égoïsme. Ceci n’est pas à propos de personnalités. Lisez ce qui suit : « Théorie pour les prisons de haute sécurité » : (Reproduit de « Breaking men’s mind : Behavior Control and Human Experimentations at the Federal Prison in Marion, Illinois » PNS. Nov-Dec 1992) « Prison particulière, prison destinée à la modification du comportement, des appellations différentes mais toutes illustrent le même propos. Ces prisons ont été conçues spécialement pour contrôler le comportement ; c’est de l’expérience humaine sur les prisonniers et c’est légal. L’objectif de la prison de Marion est de contrôler les comportements révolutionnaires des prisonniers et ceux de la société dans son ensemble », d’après l’ancien directeur de Marion, Ralph Aron. Le juge fédéral James Foreman a déclaré « Dans certains cas (les prisons de haute sécurité) le silence a été utilisé pour étouffer les critiques. Parfois à l’encontre de leaders religieux. Elles ont été utilisées également pour bâillonner les dissidents du monde de l’économie et de la philosophie. » En 1962, lors d’une réunion à Washington DC entre les chercheurs et les directeurs de prisons, le Docteur Edward Schein à exposer ses idées sur le concept du lavage de cerveau. À propos de « l’homme contre l’homme : le lavage de cerveau », il a dit : « Afin de produire les effets désirés sur le comportement et/ou l’attitude, il est nécessaire d’affaiblir, de diminuer ou de faire disparaître l’ancien schéma comportemental et l’ancienne structure de l’attitude. Celles-ci existent chez ceux qui entretiennent des liens affectifs, il est donc souvent nécessaire de briser ces liens affectifs. Ceci peut être obtenu soit en éloignant l’individu physiquement et en lui interdisant toute forme de communication avec ceux qui l’aiment ou bien en lui démontrant que ceux qu’il respecte ne sont pas dignes et qu’il ne devrait pas leur faire confiance ». Dr Schein a ensuite cité quelques exemples :

2


1. Éloignement physique des êtres chers au prisonnier afin de briser irrémédiablement ou d’affaiblir complètement ses liens affectifs. 2. Isolement de ses leaders naturels. 3. Utilisation de prisonniers coopératifs en tant que leaders. 4. Interdiction d’activités de groupe pour rester en ligne avec les objectifs du lavage de cerveau. 5. Espionner les prisonniers et rendre compte de leurs vies privées. 6. Amener les détenus à faire de fausses déclarations afin de les montrer aux autres. 7. Exploiter les indics et les opportunistes. 8. Convaincre les prisonniers qu’ils ne doivent faire confiance à personne. 9. Traiter ceux qui collabore de façon plus souple que ceux qui ne le font pas. 10. Punir ceux qui ne sont pas coopératifs. 11. Ralentir systématiquement le courrier. 12. Éviter tout type de contact avec quelqu’un qui ne serait pas en accord avec le traitement et le régime imposés à la population carcérale. 13. Développer une conviction de masse parmi les prisonniers qu’ils ont bien été abandonnés et qu’ils sont totalement isolés de toute caste sociale. 14. Réduire tout soutien affectif. 15. Éviter que les prisonniers n’écrivent à propos de leurs conditions de détention. 16. Favoriser uniquement la diffusion de publications neutres ou qui soutiennent l’attitude recherchée. 17. Placer les individus dans des situations nouvelles ou ambiguës, à propos desquelles aucun règlement officiel ne serait délibérément clair ; pour ensuite les forcer à se soumettre et pour les pousser à obtenir des faveurs et un relâchement de la pression. 18. Placer les individus, dont le soutien affectif aura été réduit ou érodé, dans un contexte de vie avec plusieurs autres individus à un stade plus avancé dans leur mode de pensée modifié afin de réduire encore les soutiens affectifs du premier. 19. Utiliser les techniques permettant de réduire l’individu, ie. l’humiliation, les hurlements pour développer un sentiment de culpabilité, induire la peur par suggestion en les privant de sommeil, les interrogatoires répétés et un régime carcéral astreignant. 20. Répondre avec hostilité à toute tentative de ne pas se plier aux exigences des co-détenus. 21. Utiliser les co-détenus (qui vivent dans la même cellule) pour répéter que l’individu n’a pas, par le passé ou par le présent, été capable d’être à la hauteur de ses propres valeurs. 22. Récompenser la soumission et la servilité face à l’attitude espérée pour atteindre l’objectif du lavage de cerveau en soulageant la pression et en reconnaissant l’humain. 23. Fournir un soutien social et affectif qui pourrait renforcer cette nouvelle attitude. Suite à la déclaration du Dr Schein, le directeur du Bureau des Prisons des USA, James V. Bennett, a ajouté : « … La chose que nous devons faire, c’est plus de recherche. Il a été indiqué que certaines grandes organisations avec quelque 24000 hommes aujourd’hui, vont nous donner l’opportunité de tester différents types d’expérience auxquelles les différents intervenants ont fait allusion. Nous pouvons manipuler notre environnement et notre culture. Nous pourrions peut-être commencer par certaines des techniques développées par le Dr Schein. Faites vos propres choix. Commencez par une petite expérience et voyez ce que vous pouvez faire avec les Musulmans. Il y a de nombreuses expériences à faire. Faites les pour un individu, faites le sur des groupes et communiquez nous les résultats. »

Ils font toutes ces choses ici et même d’autres. Nancy Bailey m’avait envoyé une lettre au mois de janvier. Je ne l’ai eue que 30 jours plus tard. Je pourrais vous donner un exemple pour illustrer du numéro 1 au numéro 23. Je vais vous dire ce qu’il se passe ici aussi simplement que possible. Ces hommes ont été poussés au-delà du supportable. Je n’ai aucun moyen de vous l’expliquer, mais l’objectif est de nous voler notre identité, notre virilité, notre dignité pour nous briser. Certains hommes y sont plus

3


sensibles que d’autres. Ceux qui sont intelligents et ont un peu de recul sont plus à même de se gérer. D’autres ne comprennent pas vraiment, mais ils savent juste qu’ils sont perturbés et souvent irritables. Cela m’est même arrivé. Ça fait très peur. Je n’ai jamais été quelqu’un de violent. Durant mes 20 ans d’incarcération en population générale à Santa Fe et ici au Texas, je n’ai jamais eu un seul rapport disciplinaire pour m’être battu avec un autre prisonnier. Je vis grâce à mon sens de l’humour et mes connaissances juridiques m’ont porté. Je peux me battre. Je déteste ça. Ici, je suis tellement angoissé que je tourne comme un lion en cage dans ma tombe, jour et nuit. J’ai des rêves violents. La seule chose qui m’interdise de les mettre en application pendant mes périodes d’éveil, c’est ma conscience. J’ai regardé par ma fenêtre pour voir les manifestants sous la pluie, pour moi, pour nous. J’avais des larmes qui coulaient le long des joues. C’était la même chose pour d’autres prisonniers. Je crois que cela nous a tous fait le même effet. Certains d’entre eux me l’ont dit, d’autres sont trop fiers pour l’admettre. Ici, c’est une prison. Nous sommes supposés être endurcis et nous comporter en tant que tel. Pendant ces quelques minutes où je vous ai vu manifester sous la pluie pour nous, j’ai retrouvé de l’espoir. Mon Dieu, quel sentiment de joie après m’être senti mort pendant si longtemps. Il y avait aussi d’autres sentiments. Trop sans doute pour décrire la rage envers un système aussi peu attentif ; la honte pour une société composée de mes semblables qui a laissé les choses en arriver là ; la douleur de ceux qui sont ici avec moi et les êtres qui leur sont chers qui souffrent là-dehors. Merde, je pourrais écrire pendant des années et ne parvenir à vous en expliquer que la moitié. En fait, je suis fatigué, mon esprit est fatigué. Mais comme Martin Luther King, j’ai eu une vision. Dieu m’a envoyé Constantine et Maria di la Carceri pour me rendre visite. Ils m’ont dit de persévérer. De l’autre côté de l’Océan, Don Guido Todeschini a entendu mon appel au secours. Il est venu avec Telepace. Le Pape a prié pour moi, béni un chapelet qui a fait tout ce chemin de Rome jusqu’à moi, juste pour moi. Je ne peux pas arrêter. Je ne peux pas laisser tomber Dieu. Je ne peux pas décevoir mes amis. Hank Skinner #99143

4


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.