17 février 2004 - NOUVELLES DE L'ENFER 20

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NOUVELLES DE L’ENFER

17 FÉVRIER 2004


DES NO UVELLES DE L'ENFER Par Hank Skinner Le 17 février 2004 Bonjour à tous. Avant d'entrer dans le vif du sujet, quelques messages : Tout d'abord pour Mary Curtis : Paul a de la chance d'avoir une mère comme toi. Mes respects à vous deux et merci pour le message. Ensuite, je suis un peu déçu par mon lectorat. Je vous imaginais avec un peu plus de profondeur. Écoutez, vous savez tous que je rapporte des faits - factuellement ou chronologiquement. Alors si j'écris d'une certaine manière qui n'est pas la "mienne" ou si j'aborde certains types de sujets, vous devriez vous demander pourquoi. Le 23/12/03 et le 1/2/04 les Nouvelles de l'Enfer étaient intentionnellement écrites d'une façon plutôt pauvre. La plupart des gardiens du couloir lisent ces documents. J'ai décidé d'écrire avec un style qui corresponde à leur comportement et à leur vocabulaire pour savoir ce qu'ils en pensent. Comme je l'ai déjà dit, il y a des gens bien qui travaillent ici, mais d'autres ressemblent à une troisième génération issue de la consanguinité ou à des rescapés retrouvés sur la pelouse de l'Armée du Salut. Les faits que je rapporte sont vrais, mais l'accent et l'intonation que je leur donne ainsi que le point de vue et le lien de cause à effet que j'établis sont le reflet de ces bigots sadiques. On pourrait appeler cela une parodie satyrique. La seule personne qui l'ait compris c'est Joan Covici (Bien joué Joan !). Bref, "le miroir" est un procédé très efficace pour ceux qui ont assez de matière grise opérationnelle et leur permettre de reconnaître ce qu'on leur expose. Il y a toujours plus de choses sur le fond que ce que les apparences veulent laisser paraître. Les bureaucrates du TDCJ devraient l'apprendre. Je me suis plié en deux de rire en lisant le message posté sur Lamp of Hope concernant la "réorganisation" récente, la "redivision", la "création" et les changements de noms des divers services du TDCJ. Tous ces termes techniques et politiquement corrects "réunion de groupe pour les familles de prisonniers". Bon alors maintenant qu'ils utilisent ce procédé et bla, bla, bla, bla, quand vont-ils améliorer les choses dans ces foutues prisons ? (Où les prisonniers et les gardiens se trouvent et que les divers services sont supposés gérer et administrer ?). Que des grands discours, des arnaqueurs et des rebouteux. Les noms s'allongent de plus en plus alors que les services et les actions se racourcissent de plus en plus (TDC, TDCJ, TDCJ-ID, TDCJ-CID. Ha/ha/ha !). Encore plus de cynisme et de bigoterie en bleue et gris. Mais au final, comme je l'ai toujours dit, TDC n'est fait que d'apparences, sans aucune substance. C'est tellement évident et vrai. Il y a quelque temps (en décembre 1003 ou janvier 2004), j'ai eu la chance d'être logé à côté de Billy Frank "Sonny" Vickers. Vous vous souvenez qu'il avait fait une visite dans la salle d'exécution le 9 décembre et qu'il avait été épargné à la dernière minute, puis il est revenu ici. Mais finalement il a été exécuté le 28 janvier 04. C'est pendant cette période que je l'ai rencontré et que j'ai fait sa connaissance. Il avait une belle femme et une belle famille qui est resté à ses côtés pendant toutes ces années et souvent il me disait que sans eux et, sans leur amour, il n'aurait pas survécu aussi longtemps. Sachant qu'il y était allé et qu'il en était revenu, il m'a dit qu'il pensait que ce serait intéressant pour nous autres de savoir comment c'était et comment ça s'est passé exactement. Je peux vous dire que cela a pesé lourd sur ma conscience, il voulait en parler, sortir tout ça de sa tête. Vous savez dans ce cas-là les familles de victimes sont interviewées par le vieux Graczyk, toujours à l'affût d'une exécution qui semble tellement facile - "Ils donnent l'impression d'être étendus là et de s'endormir calmement" grâce au Pavulon qui paralyse complètement. Ensuite ils disent "Ceux que j'aime n'ont pas eu droit à ces années de procédure d'appel et ils n'ont eu aucune deuxième chance", etc. Que de propos insipides. Je me suis toujours dit "si vous aviez la moindre idée de ce que j'ai vu ici et le prix que ces hommes payent pour ces années de procédure, vous ne diriez pas cela". Voici le rapport de ses derniers 90-100 jours, comme Sonny me les a racontés. Multipliez tout ça par 11 années, rajoutez en encore, et vous vous approcherez à peu près du tableau :

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"TROIS PAS ET DEMI" Par Billy Frank Vickers, alias "Sonny" Tout a commencé quand j'ai eu "ma date" en septembre. Jusque-là, tout ça restait très lointain. Maintenant, cela devenait trop réel. C'est comme si un poids incommensurable me tombait sur les épaules. Soudain le calendrier apparaissait de plus en plus gros et chaque numéro prenait une importance énorme. Chaque jour, chaque heure et chaque minute qui s'écoulaient, il y avait ces pensées qui revenaient, comme "bon, je n'aurais jamais sans doute l'occasion de faire ci ou ça (ou voir, entendre, dire, lire, etc.). Chaque chose revêtait un parfum d'oppression définitive. Mon esprit galopait encore et encore et ce pendant des heures et des heures. Au début de chaque jour, je me réveillais en réalisant qu'un autre jour venait de s'écouler. Je me souviens avoir penser parfois à tous ceux qui sont morts de façons horribles et je me suis surpris à les envier. Pour eux, aussi horrible qu'ait été leur mort, c'est arrivé vite et ça s'est terminé en quelques minutes/moments. Pour moi, ca aura pris un peu plus de 11 ans. Elle a toujours été là, la mort. Mais maintenant elle est juste au-dessus de ma tête, encore à quelques jours de moi. Je ne pouvais pas imaginer comment tenir le coup jusqu'au bout, puis j'ai ri de moi-même et de la démence de cette pensée. Le jour de mon exécution, je n'ai pas du tout dormi. Je n'arrivais pas à penser de façon cohérente. Tout me semblait une éternité, pourtant je me demandais où partait tout ce temps. Et puis les regrets ont fait surface car je pensais principalement à ma famille et à quel point elle souffre. Je n'arrêtais pas de penser à ce que j'aurais dû dire à ma famille et que j'ai oublié de dire. Les choses que j'aurais dû écrire. Mais maintenant c'est trop tard. Le temps semblait se rapetisser quand j'étais en visite avec eux et que je leur répétais combien je les aime et les adieux. Ensuite je me suis retrouvé enchaîné et embarqué dans une camionnette et c'était trop tard pour dire quoi que ce soit. Toutes ces pensées et ces regrets se répèteront à l'infini dans ma tête pendant ces heures dans l'antichambre de la mort à attendre ma mort. Dans cette maison de la mort, je ne pense qu'à ma famille. Je prie pour que d'une façon ou d'une autre, elle soit délivrée de la souffrance et de la douleur pour que je puisse gérer le reste seul, comme mon problème. Puis je me suis surpris à revoir défiler mes pensées lors de mon transfert à Huntsville, tous mes sens étaient tellement exacerbés que cela en était douloureux. J'entends encore les pneus de la camionnette sur la route comme un bruit qui inonde mes oreilles avec chaque voiture qui passe, chaque arbre, chaque maison que nous dépassons. Je me suis dit "Je ne verrais plus jamais cela". Ensuite j'ai commencé à percevoir chaque battement de mon cœur comme si mon oreille était posée dessus. Pourtant ça faisait mal et je ne comprends pas pourquoi il continuait à battre si fort. Puis mes pensées se sont éparpillées quand le directeur est venu me voir dans ma cellule pour m'expliquer le déroulement des opérations le moment venu. Il pointe en direction d'une porte que je peux voir de ma cellule et me dit qu'il s'agit de la porte d'accès à la chambre d'exécution. Quand l'heure arrivera, ils viendront me chercher. Si je ne peux pas marcher, ils me porteront mais d'une façon ou d'une autre, c'est là que j'irai. Il me dit que le prêtre va bientôt arriver. Le prêtre arrive et me dit que lorsque je serais attaché sur la table, il sera là et tiendra ma cheville pour me réconforter. Alors que ces gens me parlent, je sais que ce sont des gens mais ne même temps je les perçois autrement, en mal. Pendant que ces pensées lancinantes me turlupinent, tout semble s'assombrir alors que nous sommes au milieu de la journée et qu'il y a de la lumière partout. Puis je visualise la porte derrière laquelle l'ambulance attendra pour récupérer mon corps et tout me revient en pleine face , "ça y est". Il n'y a pas de mots pour décrire la tension que je ressens alors que je prie qu'ils se dépêchent pour qu'on en finisse.

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Chaque fois qu'un son de talkie-walkie me ramène à la vie, une porte qui claque, un téléphone qui sonne, je sursaute comme si je sortais de mon propre corps. Cela dure pendant presque 6 heures. Le prêtre me dit que si j'entends des bruits dans la pièce derrière, je ne dois pas m'inquiéter, c'est juste l'équipe d'exécution qui se met en place et que je ne dois pas "m'alarmer" (ils sont juste en train de se préparer pour te tuer, pas de quoi s'inquiéter ! HWS). Ils m'ont tenu "alarmé" pendant ces longues heures de torture. J'ai parlé un peu avec le prêtre pendant que je faisais les cent pas dans ma cellule. Je me dis que je vais avoir un infarctus avant qu'ils ne viennent me chercher pour m'allonger sur cette croix horizontale et me mettre des aiguilles dans les bras au lieu des clous. Ça fait deux heures que j'ai des sueurs froides. Je n'arrive pas à penser. Je marche, encore et toujours, trois pas et demi. Je ne me souviens d'aucun détail ou sujets que le prêtre a dû aborder, juste un paquet de mots. Je mange un peu de mon dernier repas, mais rien n'a de goût. Je regarde le repas dans l'assiette et constate qu'il en manque une partie. Six heures arrivent. Rien. Je continue à déambuler, encore et encore ces trois pas et demi. Sept heures, huit heures, toujours la même chose. Ma bouche est tellement désséchée que rien ne pourrait l'humidifier. Je sais qu'ils vont ouvrir cette porte à tout moment et que je vais faire face à cette table et à ces aiguilles. Ça y est. Chaque fois que je cligne de l'œil pour faire tomber les gouttes de sueur, je la vois qui s'ouvre cette porte, enfin c'est ce que je crois voir. Neuf heures. Je déambule toujours. Je n'en peux plus ! Je ne peux pas y échapper. "Mon Dieu", je prie, "qu'on en finisse, d'une façon ou d'une autre mais qu'on en finisse". J'ai l'impression que mon esprit est éclaté par le stress dans des millions de directions et ce n'est plus qu'un morceau de gruyère plein de trous. Dix heures. Je marche encore et toujours. Je sais que mes avocats sont en train de déposer des recours et je veux avoir l'espoir, mais cette porte……. J'y crois, si un sursis avait été accordé, on le saurait déjà. Onze heures - Je tourne en rond. Tout mon corps va exploser et se réduire en brumes. Ça ne peut pas être vrai. Minuit moins dix. Je suis tellement déphasé et confus que ce méli-mélo de pensées brouille mon esprit et que tout me semble n'être que bruit. Ils me disent que c'est trop tard, qu'ils ne peuvent plus me tuer. Ils me demandent de préparer mes affaires pour retourner à Polunsky. Je ne comprends rien. Je devrais déjà être mort. Je me souviens à peine du retour, je n'arrive pas à marcher droit. Les jours suivants je me suis senti vraiment bizarre, comme si j'étais dans l'espace, hors du temps et de la réalité. Je ne parviens plus à penser, je n'arrive pas à croire que je suis encore là. Ils ont laissé le mandat d'exécution expirer. Je pense qu'ils devraient me laisser la vie sauve. Je n'ai eu qu'un seul jeu d'appels, alors ils ne devraient pas avoir une deuxième occasion de m'exécuter, non ? Il n'y avait aucune raison juridique, ils ont juste raté leur coup. Peut-être devrais-je m'estimer chanceux, mais je me sens trompé et maudit. Je ne peux même pas être exécuté correctement ! Pourtant je suis reconnaissant et heureux d'être en vie, juste pour ma famille. Ma plus grande inquiétude est de les imaginer endurer tout cela avec moi, à cause de moi. La semaine dernière, j'ai appris par mon avocat que j'avais une nouvelle date d'exécution. Le 28 janvier, 2004, il va falloir remettre ça. Je n'y crois pas. Je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir dire à ma femme et à mes enfants. Je reste assis dans ma cellule, je tente de comprendre et je pleure. Je crois n'avoir jamais versé autant de larmes pendant autant de jours d'affilée ou avoir eu le cœur déchiqueté à ce point. Il n'existe pas de mots pour décrire ces sensations. Maintenant

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le cauchemar recommence, je n'arrive pas à y croire. Je ne sais qu'il n'y aura pas d'autre fois ce coup-ci. Par Billy Frank "Sonny" Vickers #999087 - Polunsky Unit

J'aurais aimé que vous soyez là pour voir cela de vos yeux. Cela aurait sans doute suffi pour convaincre les plus durs à voter contre la peine de mort. J'ai dit à Sonny qu'il devait mettre tout cela sur papier. Il a essayé, mais il n'y arrivait pas. Il s'effondrait pendant qu'il se souvenait. Alors il m'a dit "Hank, je crois que je pourrais le raconter en t'envoyant des messages par le tuyau, comme ça personne ne nous entendra. Tu écriras ce que je te dirais, d'accord ?" Sentimental comme je le suis, j'ai dit d'accord. Sonny avait 58 ans et il allait mourir. Je n'aurais pas pu lui dire "non" de toutes façons. Le tuyau entre nos cellules est creux, alors on peut se parler et s'entendre comme si on était assis côte à côte, surtout quand il fait nuit et que tout est calme. Il y a un brouhaha constant - les talkie-walkies, les gardiens qui vont et qui viennent, les portes qui claquent, les sauts d'eau et les poubelles qui cognent sur le sol quand l'équipe de nettoyage passe vers 2h du matin - ça aussi c'est ridicule, mais je garde ce sujet pour une autre fois. Il nous a fallu deux nuits, et puis une troisième et une quatrième de questions-réponses pour que je complète mon brouillon et m'assurer que j'avais bien compris et interprété ce que Sonny m'avait raconté. Je pense avoir échouer misérablement. Il y a tellement de choses que j'aurais dû ajouter, d'autres questions que j'aurais dû lui poser. Vous pouvez imaginer ce que c'était pour cet homme que d'être assis là pendant 90 jours et regarder les autres prisonniers partir vers leur mort, sachant que la même chose l'attendait ? Pour ensuite y aller, survivre et seulement se retrouver avec une nouvelle date d'exécution ? Endurer tout cela encore une fois ? N'importe qui en deviendrait dingue, vous ne pensez pas ? Moi, je crois que oui. Enfin, voilà ce que Sonny voulait partager sur cette expérience. Il m'a raconté tout cela d'une voix lente et pourtant directe et méthodique. Parfois il en perdait le souffle et devait s'arrêter un moment ou c'était moi qui étais trop secoué ou en sueur et je lui demandais de faire une pause. Pour l'ensemble, c'est vraiment la retranscription mot pour mot de ce qu'il m'a raconté. C'était important pour moi de faire ça, de capturer exactement ses mots, le sens qu'il voulait leur donner et pas mon interprétation. Sonny avait un style bien à lui, une bonne compréhension de la nature humaine et de sa folie. Bien que cette expérience l'avait réduit en miettes, il a été capable de se détacher de cela pour voir à quel point il était en décalage avec ce qu'il avait fait pour finir ici et à quel point la société est malade de faire endurer autant de souffrance aux autres à titre de punition. Comme Sonny le disait "Il n'y a pas de correction, de justice, de réhabilitation ou d'apaisement ici. C'est simplement une erreur de ma part qui fait boule-de-neige avec les erreurs de l'Etat du Texas qui cherche à me punir. C'est fou." La seule chose qui ne soit pas incluse dans "trois pas et demi" est l'analogie suivante que Sonny a faite à titre de comparaison: "Disons qu'un homme tue quelqu'un de ma famille. Je ne vais pas tourner autour du pot, je vais le trouver et rectifier l'affaire. Qu'est-ce que je vais faire. J'attrape ce type. Je l'enferme dans mon sous-sol jusqu'à ce que je décide comment et quand le tuer. Je lui prends tout. Je le nourris très mal. Je le maltraite tous les jours et je lui explique que c'est pour des raisons de "sécurité". Chaque fois que je m'apprête à le tuer, je n'y arrive pas et je m'arrête. Et cela dure pendant onze ans. Puis finalement un jour, je me dis qu'il est temps qu'il paye pour son crime. Alors je descends au sous-sol pour lui donner quelques drogues pour que mes voisins ne soient pas alertés par des coups de feu. Puis je me dis "Ca serait une mort trop douce, non ? Il va s'allonger là et s'endormir". Du coup je sens frustré et trompé. Alors les policiers m'arrêtent et toute l'histoire arrive au grand jour. Vous pouvez imaginer ce qu'ils vont dire de cette histoire ? Qu'estce que les média vont rapporter ? Pourquoi, je serais une sorte de monstre ou de diable atroce,

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plein de haine et ce genre de trucs. Ils me condamneraient à mort et me tueraient 10 fois s'ils le pouvaient, non ? Pourtant ce que je viens de décrire est exactement que ce l'Etat du Texas est en train de me faire au nom de la "justice", non ? La même chose que je voulais infliger à l'assassin d'un membre de ma famille. Ma question est la suivante : "si ce n'est pas bien pour moi de faire cela, pourquoi est-ce que c'est bien quand eux le font ? C'est mal et ce quelle que soit la personne qui commette cet acte. Deux monstruosités additionnées ne donnent jamais un résultat positif, vous ne croyez pas ?". Réponse : Non. Sonny, je prie pour que Dieu ait réponse à cette question. Repose en paix.

Hank Skinner

#999143 - Polunsky Unit H.W. Hank SKINNER 3872 FM 350 South Livingston TX 77351-8580 USA

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