PRESSE
« HANK DEVAIT MOURIR LE JOUR DU CONGRÈS ABOLITIONNISTE » LIBÉRATION 24 FÉVRIER 2010
«Hank devait mourir le jour du congrès abolitionniste» Par Hélène CRIE-WIESNER, Envoyée spéciale à Houston (Texas) pour Libération
24 février 2010
Sandrine Ageorges, qui milite contre la peine capitale, a épousé par procuration un condamné à mort au Texas. Son exécution a été reportée in extremis au 24 mars.
Sandrine Ageorges mange un breakfast américain dans un restaurant grill au bord d’une autoroute texane. Elle vient d’arriver de France, l’exécution de son mari est prévue le 24 février. Encore une semaine, croitelle. Elle a 49 ans, de longs cheveux épais qui encadrent un visage émacié par la fatigue. Sandrine n’a pas vu son mari, Hank Skinner, depuis vingt mois car le directeur de la prison leur a interdit les visites. Mais si Skinner doit mourir, sa femme pourra quand même le rencontrer la veille, une dernière fois. Sandrine Ageorges est donc venue à Houston dans cette perspective, en espérant cependant bien autre chose : «Il pourrait obtenir un sursis, et moi, je pourrais aussi récupérer mon droit de visite ordinaire. Le consulat général de France au Texas m’aide depuis des mois, j’espère que cette fois, il va y parvenir.»
En fait, ni les autorités françaises ni les avocats de Skinner n’ont réussi la semaine dernière à rétablir les parloirs. Mais une cour d’appel du Texas vient d’ordonner in extremis un report technique de l’exécution, désormais fixée au 24 mars. Sandrine Ageorges est donc repartie et elle sera ce matin à Genève pour assister au quatrième Congrès mondial contre la peine de mort, dont elle est une des organisatrices. «Je milite depuis vingt ans pour l’abolition de la peine de mort dans le monde. Pour ne pas personnaliser les choses, je n’avais jamais dit que j’étais mariée à Hank. Je l’ai annoncé seulement il y a trois semaines, parce que la date de son exécution a été fixée le jour de l’ouverture du congrès de Genève. Ça a fait un choc à tout le monde.»
Le cas de Hank Skinner mobilise les associations abolitionnistes depuis longtemps, pas seulement celle du Texas. Tout le monde savait que Sandrine et lui étaient très liés… mais mariés ? «Le mariage n’était pas du tout dans notre planning au départ, sourit Sandrine. On en avait parlé un peu en riant. Je lui avais dit : "Si un jour tu as besoin de ça, on le fera." Besoin moral ou besoin légal…»
Tatoué. Hank Skinner a 45 ans. Le 17 février, dans la cage voisine de celle d’un condamné s’entretenant avec Libération, il répondait aux questions d’un journaliste d’Arte : ses bras très blancs qui n’ont pas vu le soleil depuis longtemps sont tatoués, son visage était rasé de près, il avait l’air hagard de celui qui vient d’apprendre, un quart d’heure plus tôt, qu’il ne va pas mourir dans huit jours, mais dans trente-huit.
Hank Skinner a été condamné à mort en 1995, à l’âge de 31 ans, accusé du meurtre de sa compagne et des deux enfants adultes de celle-ci. Son histoire est tristement banale pour le Texas : un procès bâclé, un avocat d’office corrompu, un refus d’expertiser les preuves et notamment d’analyser les traces d’ADN. Depuis, les différentes cours se renvoient ses appels, refusant d’admettre que la procédure a été entachée d’irrégularités notoires, ce qui ouvrirait la possibilité d’un nouveau procès sur le fond. La même année, en 1995, en France, Sandrine Ageorges lit un article dans Télérama. Elle est directrice de production dans l’audiovisuel. Nombre de ses clients sont des Américains qui tournent en France. Elle parle bien anglais. L’article évoque des condamnés à mort du Texas qui se sont regroupés sous l’appellation Lamp of Hope («le lampadaire de l’espoir») et rédigent un petit journal avec l’aide de militants extérieurs. Elle décide alors de contacter Télérama : «J’ai commencé à traduire cette feuille d’information pour que les associations françaises de lutte contre la peine de mort en aient connaissance.»
Lettre. Puis elle commence à correspondre avec ces détenus. «J’ai bien accroché avec certains d’entre eux. Mais la première lettre de Hank, je dois dire… dès que je l’ai lue, ça a été évident entre nous.» L’amour, comme ça, tout de suite ? Sandrine se fâche presque. «On n’est pas tombés amoureux : on s’est trouvés. On pensait pareil, on était pareils, sur la même longueur d’onde.» Elle demande un permis de visite pour rencontrer ses trois correspondants. En 2000, elle arrive au Texas. Skinner et elle s’écrivent déjà depuis cinq ans. Comme tous les hommes condamnés à la peine capitale (les femmes sont détenues ailleurs), Skinner vient d’être transféré de Ellis One Unit, à Huntsville, vers la nouvelle prison de Livingston, la Polunsky Unit, où les conditions de détention sont terribles. «Et j’y suis ensuite retournée souvent. Je partage ma vie personnelle et professionnelle entre la France et le Texas. Heureusement, je gagne bien ma vie.» Elle ajoute : «Même si, avec l’économie en crise, ça a été très dur en 2009.»
Sur place, elle rencontre les militants de la Texas Coalition Against the Death Penalty (TCADP, lire Libération du 26 septembre), dont elle devient membre et qui l’épaule dans sa seconde vie à Houston. «J’avais noté que les associations européennes avaient besoin de recevoir des informations plus sérieuses sur ce qui se passait ici. J’ai convaincu la TCADP de créer une section internationale pour
pouvoir être représentée au sein de la coalition mondiale.» D’où son implication dans le congrès de Genève aujourd’hui.
Et le mariage, dans tout ça ? «En mai 2008, je reçois une lettre de Hank, très longue, comme toujours. Au détour d’une page, il écrit : "Au fait, faut qu’on se marie maintenant." Je réponds : "Si tu veux." Et j’entame la procédure légale. Ça prend du temps.» Un mois plus tard, alors qu’elle sort d’un parloir avec son ami, le directeur de la prison apprend à Sandrine qu’il va la retirer de la liste des visiteurs de Skinner. Le prétexte est tiré par les cheveux. On accuse Sandrine Ageorges d’avoir déposé de l’argent sur le compte d’un autre détenu à la demande de Hank. Soupçon de trafic ! «Hank n’est accusé de rien, finalement, mais moi oui, allez comprendre ! En plus, si je présente un risque pour la sécurité de la prison, pourquoi suis-je toujours autorisée à visiter d’autres condamnés à mort ?» L’interdiction de correspondance arrive dans la foulée. «L’administration pénitentiaire ne peut pas supporter Hank, il est toujours sur leur dos, c’est un activiste, ils lui en veulent.» A elle aussi, pour le coup : ses amis de la TCADP manifestent systématiquement devant la prison de Huntsville les nuits d’exécution.
Visites. Sans l’avoir revu depuis juin 2008, Sandrine épouse Hank Skinner en octobre de la même année, dans un hôtel de Houston, et c’est une amie qui tient le rôle du mari devant le juge. «Le consulat français a été un soutien important. Notre mariage a été validé par la France, ce qui n’est pas évident quand on épouse quelqu’un par procuration.» Leur droit de correspondance vient d’être rétabli, mais pas les visites. Les deux époux ne se sont jamais touchés. Leurs rencontres ont toujours eu lieu de part et d’autre d’une vitre en Plexiglas, lui étant bouclé dans sa cage, communiquant par téléphone. Mais, même ainsi, c’était mieux que rien. «Vingt mois de torture, je n’en peux plus !» Avec ce mois de délai, tout peut arriver, y compris l’ordre d’une révision de procès. Ou rien.
En attendant, à Genève, Sandrine Ageorges va témoigner de l’évolution spectaculaire de la situation aux Etats-Unis. «On n’a jamais été aussi près d’un moratoire sur la peine de mort. Les Américains s’indignent notamment de son coût phénoménal. Quelles que soient leurs raisons de vouloir la supprimer, je m’en tape ! Que ça s’arrête, voilà !»