PRESSE
DANS L’OMBRE DE LA BARBARIE L’HUMANITÉ 7 NOVEMBRE 2011
"Dans l’ombre de la barbarie", par Sandrine Ageorges-Skinner Le 7 novembre 2011
L'Humanité
TEMOIGNAGE. Sandrine Ageorges-Skinner, militante abolitionniste et épouse de Hank Skinner, a confié à l'Humanité ses pensées, avant la décision de lundi soir de la Cour d'appel du Texas de surseoir, pour un temps, l'exécution de son mari prévue mercredi.
"Derrière l’ombre des barbares, qui se cachent à peine ici, au Bushmenistan, se dessine un horizon sinueux, tortueux et douloureux. On y arbore la haine et la vengeance avec fierté et légitimité. Force est de constater que la justice est un privilège, que peu ont les moyens de s’offrir, plutôt qu’un droit, comme le prévoit pourtant la Constitution américaine. Les illusions ne sont pas de mise aujourd’hui, le réalisme qui s’est imposé à nous depuis des années ne nous laisse que peu d’espace pour rêver ou même imaginer une issue saine et positive.
Pourtant, Hank et moi, nous nous autorisons toujours à rêver à un lendemain de liberté, un espace qui n’appartiendrait qu’à nous deux, loin de toutes ces manigances et de ces manipulations. Depuis plusieurs semaines déjà, le temps s’est dématérialisé et la notion du lendemain reste aussi lointaine qu’improbable, nous la laissons donc de côté pour nous préserver un tant soit peu et pour nous retrouver loin du reste. Pour lui, comme pour moi, exister entre les vagues de l’angoisse et de l’attente reste une tâche difficile, mais jamais impossible ; comme une tornade qui vous tombe dessus par surprise et qui disparaît en laissant derrière elle de profondes blessures. Vivre dans l’instant prend alors une dimension très forte, comme un bouclier fragile pour se protéger un moment et prendre enfin une respiration profonde. Souvent le souffle reste court, mais de temps à autre il est profond, apaisant, presque rassurant. Même si nos plages de sommeil sont souvent identiques, ce sommeil commun aussi est court, agité et peu réparateur. Nous oscillons en permanence entre la sensation d’être aspirés dans une sorte de vortex sans fin et la sensation de flotter dans une dimension sans nom.
Dans l’attente de demain, nous nous souvenons d’hier, nous pensons à ce qu’aujourd’hui peut nous apporter de force et d’espoir, sans pour autant oublier que mercredi prochain sera peut-être le jour où Hank, contraint et forcé, prendra son ultime respiration, au nom d’une justice qui ne compte ses succès que par le nombre de condamnations à mort et le nombre d’exécutions en vue des prochaines échéances électorales, et non par le nombre d’affaires résolues par une vérité qui parfois met des décennies à voir le jour. Dans cette justice américaine, jusqu’à présent, je n’ai vu que l’ombre des barbares d’une époque que j’imaginais révolue. Nous ne demandons qu’à être agréablement surpris pour le meilleur, parce que pour le pire, nous avons déjà donné. Cette exécution potentielle, que certains journalistes américains n’hésitent pas à qualifier, si elle doit avoir lieu, du plus grand scandale de l’ère contemporaine de la peine de mort aux États-Unis, fera de ce 9 novembre peut-être un grand jour pour la justice, ou simplement une date honteuse de plus dans l’histoire de cette barbarie américaine. Sans avoir de réponse, nous continuons ensemble à croire et à œuvrer pour un avenir meilleur."
Houston, le 5 novembre 2011