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BELGIE(N)-BELGIQUE
P 008189
Editeur responsable : Timur Uluç • Commission Justice et Paix francophone de Belgique, asbl Chaussée Saint-Pierre, 208 • B-1040 Etterbeek - Belgique
Revue d’analyse des conflits internationaux et des enjeux de paix
L’énergie du changement
dépendances et alternatives N° 104 3e TRIMESTRE 2018 - SEPTEMBRE
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ÉDITO SOMMAIRE ÉDITO
Chère lectrice, cher lecteur,
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L’ACTUALITÉ : REGARDS ET POSITIONS Rios para la vida, no para la muerte Sur les barrages hydroélectriques et la privatisation de l’eau
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DOSSIER L’ÉNERGIE NOUS ENTOURE AU QUOTIDIEN, ELLE EST OMNIPRÉSENTE ET CHALEUREUSE, ÉCLAIRANTE ET RASSURANTE… QUE FERIONS-NOUS SANS ELLE ? Introduction page 5 Première réflexion L’accès à l’énergie en Afrique : Perspective d’une vie meilleure et d’évolutions majeures pour les sociétés rurales
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Seconde réflexion Les terres rares… Une transition énergétique plus vertueuse
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Troisième réflexion Au-delà du pétrole. Cheminer vers la résilience
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PORTRAIT / POINT DE VUE Café "zéro déchet" à Bruxelles : des idées créatives pour un défi de taille !
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BRÈVES
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Le numérique, la digitalisation, les objets connectés… Le discours “numérisant” est devenu omniprésent dans la bouche de nos politiques, et repris à cœur joie par le monde du marketing “high tech”. De l’électro-ménager aux accessoires vestimentaires, tout devrait être connecté pour nous servir et nous accompagner. Lorsque ma montre me permettra de commander automatiquement des repas à domicile livrés par drone, en fonction des calories qu’elle m’aura vu dépenser dans ma journée… serai-je plus heureux ? Est-ce que la liberté d’agir et le devoir de comprendre, pour lesquels nous plaidons au quotidien, n’en seront pas compromis ? Dans ce monde virtuel qui est à nos portes, quelle place sera laissée à l’esprit critique, notamment à l’égard de l’origine et du coût réel du confort qui nous entoure ? Adoptons de nouveaux réflexes, prenons le temps de décortiquer notre environnement matériel. Calculons l’addition réelle. Il faudra être innovant, pour nous reconnecter véritablement ! Timur Uluç
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L’ACTUALITÉ : REGARDS ET POSITIONS
DOSSIER
Rios para la vida, no para la muerte 1 Sur les barrages hydroélectriques et la privatisation de l’eau Après l’assassinat de Berta Caceres en mars 2016 2, le cas d’Hidroituango en Colombie – tout comme tant d’autres en Amérique Latine – remet en lumière les dérives du modèle de développement économique néolibéral qui pèse sur des communautés, territoires et écosystèmes à travers le monde.
De la violence aux luttes pour la défense des biens communs
© Colombia Plural
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Hidroituango : un désastre annoncé Imaginée dès les années 60, la construction du barrage hydroélectrique "Hidroituango" a finalement démarré en 2010. Celui-ci doit s'étendre sur 79 km de rivière traversant 12 municipalités, touchant près de 167 873 personnes sur 26 000 hectares. Un projet de grande envergure, le plus important de la Colombie 3. L’inondation du barrage, annoncée pour cet été, met pourtant définitivement à mal le projet de construction. Les fortes pluies des mois de mars et d’avril et les tonnes de bois - coupés au cours de la construction du barrage et qui obstruent désormais les tunnels génèrent une forte pression sur la structure. De lourds dégâts matériels, sociaux et environnementaux sont ainsi à prévoir. La tragédie humanitaire et sociale a toutefois commencé déjà bien avant l’annonce du possible débordement du barrage. Depuis des années, les populations et collectifs situés dans la vallée de la rivière Cauca, organisés au sein du mouvement Rios Vivos 4, dénoncent inlassablement tous les risques liés au projet aussi bien aux niveaux géographique, social, culturel qu’environnemental 5.
Les mégaprojets d’infrastructure énergétique et miniers sont souvent promus par les États, les entreprises nationales et internationales comme étape incontournable du développement économique pour les pays du Sud. Pourtant, ils ne prévoient pas toujours une évaluation des potentiels impacts négatifs sur les droits humains ni de consultation préalable des populations concernées. Perçus comme source d’énergie propre, les barrages hydroélectriques altèrent en réalité les cours d’eau et les écosystèmes situés aux alentours, menaçant ainsi la biodiversité de régions entières. A la violence des déplacements forcés, pour lesquels aucune compensation de l’État ou des entreprises n’est prévue, s’ajoute une violence épistémique et culturelle, à savoir la domination de connaissances ‘techniques’ sur des savoirs ancestraux et bio-culturels que les peuples originaires ont sur le territoire et l’environnement qui les entourent. Les collectifs au sein du mouvement Rios Vivos manifestent par exemple pour la protection de la pratique culturelle et économique du barequeo 6 et de la pêche.
La privatisation des biens communs permet donc aux entreprises de se les approprier pour une exploitation intensive, très lucrative, mais qui ne bénéficie que très peu aux communautés locales. Ces dernières se trouvent alors dépourvues de leurs droits d’accès à la terre, à la gestion durable des ressources, ainsi qu’aux droits vitaux à leur culture et à leur survie. Cette situation est source de nombreux conflits socio-environnementaux dans la région. Les assassinats des leaders sociaux et environnementaux (en Colombie près de 300 en deux ans) tout comme la criminalisation croissante des manifestations sociales en sont la preuve 7. Malheureusement, l’enjeu économique que représente l’extraction de ressources naturelles pousse souvent les États à protéger les investissements générés, les faisant passer avant le respect des droits de sa propre population.
L’énergie nous entoure au quotidien, elle est omniprésente et chaleureuse, éclairante et rassurante…
Que ferions-nous sans elle ?
Face à un paradigme contre la vie humaine et l'environnement, il est urgent d'activer une solidarité consciente, s'impliquer et agir où que nous soyons. Qu'attendons-nous? Angela Ocampo
1. Des rivières pour la vie, pas pour la mort. 2. S’opposant au projet hydroélectrique “Agua Zarca” sur la rivière Gualcarque au Honduras et dénonçant les conséquences de la privatisation de l’eau et des rivières sur la vie des populations originaires, paysannes et de pêcheurs de sa région, Berta Caceres est assassinée en mars 2016. http://www.justicepaix.be/La-defense-de-la-vie-Un-combat-devenu-dangereux. 3. Informe sobre extractivismo en la region andina. “Abusos de poder contra defensores y defensoras de los derechos humanos, del territorio y del ambiente”: http://censat.org/es/publicaciones/ informe-sobre-extractivismo-y-derechos-en-la-region-andina. 4. Movimiento Rios Vivos : http://debatehidroituango.blogspot.com/2010/. 5. Colectivo de Abogados: La tragedia del cañon del Rio Cauca https://www.colectivodeabogados.org/?La-tragedia-en-el-canon-del-Rio-Cauca-es-una-realidad. 6. Pratique minière ancestrale et artisanale d’or fait aux bords de la rivière : http://censat.org/es/publicaciones/informe-sobre-extractivismo-y-derechos-en-la-region-andina. 7. https://colombiaplural.com/hidroituango-la-criminalizacionde-la-resistencia/.
Alors que le taux d’accès à l’énergie a considérablement augmenté ces dernières années, nombreux sont ceux et celles qui ne disposent toujours pas d’accès à cette précieuse ressource. Pourtant, alors que les solutions “vertes” se profilent à l’horizon, certaines voix s’élèvent pour inciter à la prudence. Il ne s’agirait pas de passer d’une pollution à une autre, d’une dépendance à une autre. Si nous avons l’opportunité de repenser nos modes de production, il faudra également aussi beaucoup d’imagination et d’ouverture pour repenser nos modes de consommation.
PREMIÈRE REFLEXION
L’accès à l’énergie en Afrique :
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© Caroline Blanc-Jacquier
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L’environnement est donc évolutif et plus complexe qu’auparavant.
Perspective d’une vie meilleure et d’évolutions majeures pour les sociétés rurales En 2015, 193 États membres de l’ONU se sont mis d’accord sur l’Objectif de Développement Durable (ODD) 7.1 d’accès universel à l’électricité. Dans cet article nous nous intéresserons spécifiquement à l’accès à l’électricité en zone rurale africaine. Depuis plusieurs années, le secteur de la production et de l’accès à l’énergie connaît un boom en Afrique subsaharienne, bon nombre de gouvernements ayant lancé des projets de production de grande envergure et proposé d’ambitieux objectifs d’accès. Ainsi au Kenya et en Tanzanie le taux d’accès a progressé de plus 3% par an entre 2010 et 2016 1.
État des lieux de l’électrification en Afrique Le lien entre accès à l’énergie et développement n’est plus à démontrer. La littérature regorge d’études sur le sujet. Le schéma suivant résume bien les nombreux impacts positifs 2 :
Sécurité alimentaire ❚ Amélioration de la production agricole ❚ Réfrigération
Amélioration de la santé ❚ Moyens de cuisson propres ❚ Electrification des dispensaires
Amélioration de l’accès à l’eau ❚ Pompage électrique ❚ Potabilisation de l’eau
Contribution à l’éducation ❚ Eclairage pour étudier en soirée ❚ Accès au matériel technologique (web…)
ENERGIE
Réduction de la pauvreté ❚ Développement d’activités économiques
Protection de l’environnement ❚ Diminution de l’usage de biomasse nonrenouvelable et de combustibles fossiles
Principaux liens entre énergie et développement
L’ODD 7.1 évoque une énergie économiquement accessible, fiable et moderne. Cela implique un accès à domicile à une électricité de qualité, c’est-à-dire avec des coupures minimales et aux conditions techniques permettant une utilisation sans risque, ainsi qu’à un tarif accessible pour le consommateur. Selon le récent rapport Tracking SDG7 de la Banque Mondiale, le taux d’accès est passé de 15% en 1990 à 43% en 2016. Ces progrès ne doivent cependant pas faire oublier le fossé avec les autres régions du monde 3 et surtout les disparités entre les villes (76%) et les campagnes africaines (23%).
Parallèlement aux besoins d’électrification, le changement climatique fait largement sentir ses effets en touchant en premier lieu les pays les plus vulnérables, comme la région du Sahel.
les plus proches du réseau existant. Mais pour les zones plus éloignées et les moins densément peuplées, elle représente un lourd coût d’investissement dans les lignes électriques.
Quelles sont alors les solutions disponibles pour développer l’accès à l’énergie tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre ?
Le transport d’énergie sur de grandes distances occasionne également des pertes énergétiques importantes.
Les organisations nationales en charge de la production et de la desserte en énergie cherchent classiquement à étendre les réseaux électriques et à transporter l’électricité produite par de grandes unités. Cette solution est adaptée aux zones les moins reculées,
Une seconde option consiste à reproduire ce modèle à l’échelle locale, sous forme de mini-réseaux. Il s’agit de construire une petite unité de production électrique et à partir de ce point, de développer un petit réseau qui desservira les villages alentour. Ce système est plutôt adapté aux zones
assez peuplées mais éloignées du réseau national existant. Il demande des arrangements financiers et institutionnels innovants. En effet, il faut définir le rôle des différents acteurs pour tous les maillons de la chaîne (conception, construction, opération et entretien, tarification, facturation, encaissement…) et il s’agit de monter à l’échelle locale un service comparable à celui qui existe à l’échelle nationale. Enfin se développe actuellement un accès totalement décentralisé à l’électricité grâce à des installations individuelles, d’une simple lampe solaire à un système domestique complet. Ces systèmes proposent une approche radicalement différente des autres : l’énergie est produite et consommée sur place. La diffusion de ces installations est rapide puisqu’elles ne nécessitent pas de montage financier, institutionnel et réglementaire complexe, ni de délai de conception et de construction. Ainsi, la société allemande Mobisol, dont les premiers produits ont été testés en 2012, est maintenant active dans 12 pays d’Afrique et a vendu plus de 85 000 systèmes solaires domestiques desservant environ 425 000 personnes et évitant environ 35 000 tonnes de CO2 par an 4. Ces solutions ne sont pas exclusives les unes des autres. Les technologies (réseaux intelligents, solutions de stockage de l’énergie) et les coûts des équipements évoluent très vite. L’environnement est donc évolutif et plus complexe qu’auparavant. Le rôle des institutions du secteur électrique est aujourd’hui d’appréhender cet environnement et de mobiliser les différents modèles pour permettre l’accès au plus grand nombre.
Un saut technologique est en cours Les systèmes solaires domestiques (SHS - Solar Home System en anglais), dont les composants sont généralement fabriqués en Chine, contiennent un panneau solaire installé sur le toit, une batterie pour stocker l’énergie, quelques ampoules, un chargeur de téléphone et souvent une télévision. D’autres appareils à basse consommation et courant continu sont disponibles ou à l’étude chez certains fabricants tels que le ventilateur, le rasoir et bientôt le réfrigérateur. Le SHS est le plus souvent équipé d’une technologie de contrôle à distance qui centralise toutes les informations de fonctionnement. On peut ainsi identifier d’éventuels dysfonctionnements et envoyer un technicien en cas de besoin. La plupart du temps, le paiement d’une somme fixe se fait chaque mois par avance via smartphone. De nombreuses entreprises d’origine européenne ou américaine se sont développées sur ce marché ces dernières années (BBOX, Mobisol, M-Kopa, Ignite,…). Bien que la pénétration de ces équipements soit encore limitée, la flexibilité de l’installation, le fait que la décision de s’équiper soit individuelle, la fiabilité d’entretien et de paiement ainsi que la modularité des équipements nous laissent penser que l’impact sur l’ac-
cès peut être décisif à moyen terme. Tout comme le téléphone mobile a représenté un saut technologique dans les années 2000, supplantant totalement l’extension du réseau de téléphone fixe en quelques années.
Les conséquences socio-économiques Une émancipation incontestable… Comme présenté au début de cet article, les impacts positifs d’un accès facilité à l’électricité en milieu rural sont nombreux et décisifs pour les individus et leurs communautés. Outre les exemples cités dans le schéma ci-dessus, on peut espérer un désenclavement des campagnes et une plus large ouverture sur le monde des individus grâce à un accès accru aux technologies mobiles et à internet 5 (en supposant que la couverture des territoires en réseau 3 ou 4G s’étende parallèlement). En étant à même de mieux prendre en charge des besoins primaires tels que la santé et l’éducation des enfants, sécurisés par une activité économique mieux établie et étant mieux informés, on peut espérer que les habitants des zones rurales seront plus en mesure de réaliser leurs aspirations 6, d’exercer leur citoyenneté et pour certains d’être un soutien et un moteur pour leurs communautés.
1. www.energies-renouvelables-afrique.com. 2. Source : ENEA consulting, accès à l’énergie, état des lieux, enjeux et perspectives 2014. 3. Moyenne mondiale 86%, source International Energy Agency. 4. Source: www.infc.org. 5. Le problème de la recharge des GSM et smartphones reste récurrent en zone rurale où l’électricité est rare et chère. 6. Dans la théorie des capabilités d’Amartya Sen développée dans les années 80, la pauvreté est présentée comme une privation de capacités d’exercer des libertés fondamentales, y compris celle de faire des choix personnels dans sa vie, compte tenu de contingences telles que l’ignorance, l’oppression et le manque de ressources financières.
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PREMIÈRE REFLEXION
DEUXIÈME REFLEXION
…doublée d’une confrontation à la société de consommation
Quels impacts à long terme sur les communautés rurales ?
En parallèle, la population rurale africaine devient un marché. Les études et les articles de presse abondent pour présenter l’Afrique comme le dernier eldorado pour faire des affaires. Selon une étude du Boston Consulting Group de 2016, malgré un pouvoir d’achat des familles inférieur de 49% aux zones urbaines, les marchés ruraux sont une opportunité de niche pour les multinationales. Mais les consommateurs ruraux africains ne sont pas faciles à atteindre. L’expertise développée en matières de distribution et de logistique par certains fabricants de systèmes solaires individuels est indéniable et peut lever les barrières pour bien d’autres biens et services. C’est déjà le cas pour de multiples produits électro-ménagers proposés avec les SHS.
N’étant pas sociologue et n’ayant pas eu l’occasion de creuser ce sujet, je souhaite ici simplement soulever des questions. Sur les questions de genre, l’accès élargi à l’électricité permettra-t-il rapidement l’accès à des équipements permettant d’alléger les tâches domestiques dévolues aux femmes (pompe à eau, machine à laver) et à quelles conditions ? A long terme, quel peut être l’impact social des SHS par rapport à des systèmes communautaires ou à un service public classique ? Y-a-t-il une "solidarité énergétique" avec les voisins qui n’ont peut-être pas les moyens de s’équiper ? Dans quelle mesure la possession d’un système d’énergie domestique estelle un signe de supériorité sociale ?
On peut se réjouir de la perspective que de nombreuses familles accèdent ainsi à un peu plus de confort domestique. Mais on peut s’interroger sur l’équilibre des forces en présence. Ainsi les sociétés qui commercialisent les systèmes solaires avec un contrôle à distance, collectent de nombreuses données personnelles, sur la consommation d’énergie, mais aussi sur les revenus de la famille en vue d’estimer sa capacité à payer. La question de la protection, voire de la revente, de ces données se pose. Ces données peuvent aussi être utilisées pour proposer de nouveaux équipements aux familles de manière ciblée et proposés à crédit, quitte à exposer les familles à un surendettement. Nous avons également pu noter un certain flou juridique sur la nature du lien entre l’entreprise et la personne qui s’équipe d’un système. S’agit-il d’une location, d’une location-vente, d’une vente à crédit ? Le consommateur rural africain est-il pleinement conscient de ces biais ? On peut en douter. A ce stade, tout repose sur la déontologie des entreprises 7 d’une part, et sur l’information et le bon sens de ces nouveaux consommateurs ruraux d’autre part ; le développement du droit du consommateur étant encore souvent embryonnaire.
La liste est longue et montre bien l’ampleur des mutations que les sociétés rurales s’apprêtent à vivre, si les différents types d’accès se développent rapidement.
Les conséquences environnementales Le principal sujet actuel concerne le recyclage des batteries inclues dans les SHS. La plupart sont des batteries classiques au plomb. Leur durée de vie est de quelques années contre 15 à 20 ans pour les panneaux solaires. Si par exemple le Nigeria atteint son objectif de 30,000 MW installés d’ici 2030, cela représenterait sur 15 ans 280 millions de batteries 8. Actuellement le recyclage en Afrique est souvent artisanal et effectué dans des conditions dangereuses pour la santé et avec des risques de pollution des sols. Il est donc essentiel de développer des filières officielles de recyclage. Une unité a ainsi récemment vu le jour au Rwanda dans le cadre d’un partenariat entre le gouvernement, Mobisol et EnviroServe. Dans le même ordre d’idées, si les familles s’équipent progressivement en appareils électro-ménagers, d’ici quelques années se posera la question de la collecte et du recyclage de ces équipements. L’accès à l’énergie
permettra aussi un développement et une diversification des activités économiques. Ces nouvelles activités auront un impact environnemental différent des activités purement agricoles qui dominent encore largement le paysage rural africain. Là encore, nouveaux enjeux dans ces zones rurales et nouvelles mesures de protection environnementales à mettre en place.
Conclusion Une révolution est très probablement en cours dans les campagnes africaines ! A moyen terme, les effets induits toucheront tous les domaines : la santé, l’éducation, l’entreprenariat, les télécommunications, le transport, l’accès à l’eau. Il ne suffit donc pas de développer l’accès. Une vision d’ensemble de ces transformations est nécessaire pour qu’elles profitent au plus grand nombre dans le respect de l’environnement naturel des communautés. Mission on ne plus politique qui incombe aux structures administratives, politiques, traditionnelles locales et aux organisations de la société civile. Le désenclavement des campagnes et le développement des activités économiques devraient permettre une certaine forme d’émancipation des individus. Mais il s’agit là d’un processus lent. Et information ne rime pas forcément avec éducation, esprit critique et capacités d’analyse et d’action. Sans vouloir tomber dans le conseil paternaliste, le développement de l’éducation populaire et citoyenne serait un moyen pour permettre à chacun d’appréhender ce cortège de mutations, d’éveiller les consciences face aux dangers de la société de consommation et d’éviter au moins partiellement les dérives que nous connaissons dans les pays du Nord. Les transformations liées à un accès élargi à l’énergie nous semblent donc une formidable occasion d’un renforcement des bases démocratiques dans les zones rurales africaines.
7. Certaines sont conscientes des déséquilibres et des risques pour le consommateur et mettent en place de bonnes pratiques. 8. Institute of Development Studies de 2016 : Will solar PV create a wave of toxic battery waste in rural Africa?
Anne Berger
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Les terres rares…
Une transition énergétique plus vertueuse Les terres rares sont des matières premières, indispensables au développement des technologies dites vertes, les "greentechs" (comme les éoliennes, les panneaux solaires ou les voitures électriques), mais aussi des technologies numériques telles que les ordinateurs, smartphones et écrans plats. Ces métaux sont également utilisés dans les domaines médicaux et militaires.
SI CES MATIÈRES PREMIÈRES SUSCITENT DE NOMBREUX ESPOIRS, notamment au niveau de la transition énergétique, leur mode de production génère pourtant d’importants dégâts environnementaux, une pollution délocalisée, principalement en Chine où 90% de terres rares sont produites. Dépendance qui n’est pas sans rappeler la dépendance des pays européens vis-à-vis des producteurs de pétrole.
plus ou moins efficace, des énergies renouvelables. Mais la réalité est bien différente en ce qui concerne les processus de fabrication et d’installation des équipements nécessaires pour exploiter ces énergies. Ainsi, ces infrastructures sont fortement dépendantes des terres rares, ce qui rend la transition énergétique plus gourmande en métaux, lesquels ne sont pas inépuisables et dont l’exploitation est extrêmement polluante.
Les fausses promesses des "greentechs"
La transformation des terres rares en un métal pur, exigé par l’industrie hightech, nécessite plusieurs étapes, toutes destructrices pour l’environnement. Le raffinage, qui consiste à séparer les terres rares du minerai, constitue la phase la plus polluante dans ce processus. Cette technique exige l’utilisation d’importantes quantités d’eau, de produits chimiques et d’énergie. Lors de cette étape, différents résidus toxiques sont également générés et rejetés dans l’environnement : de l’acide sulfurique, des poussières chargées en métaux lourds, de l’eau acide et des déchets radioactifs provoquent ainsi la pollution de l’air, des sols et des eaux et impactent la qualité de vie des villageois vivant non loin des mines et des usines de traitement. Des maladies (respiratoires, de peau, gastro-intestinales, rénales et cancers) et des terres devenues infertiles, conséquences de cette pollution, poussent le plus souvent la population à l’exode, aggravant ainsi davantage leurs conditions sociales, déjà fortement fragilisées par une pauvreté extrême.
Un petit rappel s’impose, afin de comprendre la discordance qui existe entre les postulats qui motivent la transition énergétique et le choix des "greentechs" comme solution alternative et durable aux énergies fossiles et nucléaires. Une mutation de notre consommation énergétique, pour l’instant principalement "carbonée" (pétrole, gaz naturel, charbon) et nucléaire, est nécessaire afin de lutter contre le réchauffement climatique, la pollution environnementale et l’épuisement des ressources naturelles. La révolution énergétique se veut donc plus écologique, sociale, équitable et plus sûre d’un point de vue géopolitique. Le scénario envisagé pour mener à bien cette transition énergétique serait un mix d’énergies basé principalement sur des ressources renouvelables, telles que les énergies vertes (solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, marémotrice, biomasse…). Certes, ces technologies polluent peu au moment de la production de l’énergie. Les "greentechs" avec l’appui du numérique, permettent en effet d'exploiter et de stocker, de façon
Par ailleurs, l’exploitation des terres rares provoque une transformation de paysages et de terres cultivables en un décor de type lunaire. Cette
destruction sévère de la végétation provoque l’érosion du sol, avec pour conséquence un lessivage des terres (déplaçant ainsi la pollution plus loin) et un risque d’inondation accru (coulées de boue, augmentation de l’intensité et du volume des crues de rivière).
Loin des yeux, loin de la conscience Aujourd’hui, l’extraction et le raffinage de ces métaux sont majoritairement pratiqués en Chine, en raison de normes environnementales plus souples. La délocalisation de la pollution a commencé dans les années 1980, à la suite notamment d’un durcissement des réglementations dans les pays occidentaux, lesquelles ont obligé les entreprises à rendre leurs activités minières plus respectueuses de l’environnement. L’investissement nécessaire pour convertir ces mines "polluantes" rendait l’activité minière non rentable. De ce fait, les entreprises ont délocalisé progressivement une grande partie de leurs activités extractivistes, principalement vers la Chine, puissance qui était prête à troquer une partie de son environnement contre la richesse produite par ces métaux.
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DEUXIÈME REFLEXION Cette délocalisation de la pollution engendre des comportements absurdes en Europe. Ainsi, dans le but de diminuer l’impact de l’homme sur l’environnement, les gouvernements des pays occidentaux encouragent les citoyens à acheter des voitures électriques, à placer des panneaux solaires, à utiliser toujours plus de technologies vertes… Du bon sens à première vue. Ces politiques se traduisent cependant par un supplément de pollution ailleurs, principalement en Chine. Les problèmes environnementaux, au lieu d’être résolus, sont donc seulement déplacés et rendus invisibles à travers la délocalisation. Un autre aspect insidieux de cette délocalisation est la désinformation qu’elle génère auprès des consommateurs "greentechs", lesquels s’autorisent à consommer au-delà des limites environnementales, sans problème de conscience. Or, le changement comportemental des consommateurs est indispensable pour mener à bien la transition énergétique.
Terres rares , le "pétrole chinois" En théorie, les énergies renouvelables (EnR) sont supposées accroître l’indépendance énergétique des pays ou régions du monde disposant de peu de ressources fossiles et du coup, de diminuer les tensions géopolitiques liées aux intérêts énergétiques. Et pour cause, puisque le soleil, le vent et l’eau… sont considérés comme des ressources énergétiques inépuisables à l’échelle du temps humain et disponibles un peu partout sur le globe terrestre. Cependant, l’exploitation des EnR, rendue possible grâce aux "greentechs", technologies fortement dépendantes en terres rares, crée à nouveau une dépendance envers une ressource qui est détenue par un nombre restreint de pays (la Chine principalement). Cette dépendance vis-à-vis des terres rares, ne fait en vérité, que maintenir les pays importateurs (l’Europe notamment) dans un régime de dépendance, comme pour le pétrole. Aujourd’hui, la position dominante de la Chine sur l’approvisionnement en terres rares, lui confère le pouvoir d’influencer le cours des matières premières, et par conséquent les stratégies minières et technologiques des autres acteurs.
Si jusqu’en 2010, c’est dans une insouciance totale que les pays consommateurs ont pu profiter abondamment d’une matière première chinoise à bas prix, ce pacte, a permis d’un côté aux pays importateurs le développement de leurs nouvelles technologies à faible coût, et de l’autre, l’enrichissement des entreprises chinoises.
SUPRÉMATIE CHINOISE Selon une étude de l’Ifri 1, la Chine représente 88% de l’offre en métaux critiques, dont 58% pour les seules terres rares (ce qui représente 90% de la production mondiale), 60% de la capacité mondiale de production en cellules photovoltaïques et 50% de la capacité mondiale de production d’éoliennes. Mais c’est également un important investisseur extraterritorial avec l’acquisition de plusieurs licences d’exploitation de mines : RD Congo, Madagascar, Malaisie, Mali…
C’est une tout autre histoire qui se dessine, lorsque la Chine décide d’introduire des restrictions à l’exportation (quotas et taxes) afin, selon elle, de satisfaire sa demande intérieure et de préserver son environnement. D’après les pays importateurs, il s’agirait plutôt d’une stratégie à des fins géopolitiques et économiques. C’est pour dénoncer cette manipulation que les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne ont déposé une plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à l’encontre de la Chine. Par la suite, un groupe d’experts a donné ainsi raison aux plaignants et a contraint la Chine à mettre fin à sa politique sur les quotas et taxes. Cette mauvaise expérience sur les quotas chinois, fait prendre conscience aux pays importateurs que l’accès aux terres rares, indispensables au développement de leurs technologies vertes n’est pas garanti.
Depuis cette prise de conscience, c’est avec frénésie que les pays importateurs se sont lancés dans la quête de nouvelles sources d’approvisionnement, la recherche de nouveaux gisements et/ ou la réouverture d’anciennes mines. Dans cette perspective, les pays les plus productivistes (le Japon entre autres), investiguent les océans où le potentiel minier serait gigantesque, sans tenir compte des dégâts que cela risque de générer. Dans une moindre mesure, ils investissent dans des alternatives à l’utilisation des terres rares ainsi que dans le recyclage. Le paradoxe des "greentechs" met clairement en évidence la difficulté d’inscrire les ambitions de la transition énergétique, tout en restant dans le cadre d’une économie purement productiviste. En définitive, les dégâts environnementaux et sociaux induits par l’exploitation des terres rares doivent amener l’Europe à se remettre en question. D’une part, sur le choix des "greentechs", comme solution alternative et durable aux énergies fossiles. D’autre part, sur sa responsabilité dans le sort réservé à l’environnement et aux populations dans les pays exportateurs. A défaut de pouvoir exploiter des mines sur son territoire, et vu les tensions géopolitiques générées par l’approvisionnement en terres rares, l’Europe devrait investir davantage dans la recherche de ressources de substitution, l’isolation et le recyclage. Ces options permettraient à l’Europe de diminuer à la fois sa dépendance envers une ressource dont elle ne dispose pas et de limiter les dégâts environnementaux causés par l’exploitation minière.
Les problèmes environnementaux, au lieu d’être résolus, sont donc seulement déplacés et rendus invisibles.
1. L’Ifri est l’Institut français des relations internationales. Il s’agit d’un centre de recherche et de débat indépendant consacré à l’analyse des relations internationales. www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ etude_lepesant_transition_2018_complet.pdf.
En même temps, un peu partout en Europe, émergent de plus en plus d’initiatives citoyennes à l’échelle locale qui permettent d’envisager une diminution de la consommation d’énergie : les achats groupés, les jardins partagés, les Repair cafés, les initiatives Do it yourself, Zéro déchets ou Sel (Système d’Echanges Local). Des concepts comme l’économie circulaire, l’économie participative, la permaculture sont de plus en plus mobilisés. Nombre de ces initiatives mériteraient que l’Europe et les politiques locales les soutiennent davantage, tant celles-ci ont un impact positif aux niveaux socio-économique et environnemental. Aicha Achbouk
SOURCES ❚G uillaume Pitron, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018. ❚G illes Lepesant, La transition énergétique face au défi des métaux critiques, Ifri, www.ifri. org/sites/default/files/atoms/ files/etude_lepesant_transition_2018_complet.pdf. ❚ J im Ritter, L'érosion du sol – Causes et effets, 10/2012, www.omafra.gov.on.ca/ french/engineer/facts/ 12-054.htm. ❚R enato Pinto et Jean-Yves Buron, Vivre ensemble, Initiatives citoyennes : et le politique dans tout ça ?, 2016, https://vivre-ensemble.be/ IMG/pdf/2016-11_initiatives_ citoyennes-politique.pdf. ❚B ureau d’étude géologique et environnementale, BEGE-RDC, Dégradation de sol par l’érosion: causes, conséquences et mesures préventives, 2016, http:// bege-rdc.e-monsite.com/ blog/environnement-et-developpement-durable/ degradation-de-sol-par-l-erosion-causes-consequences-etmesures-preventives.html.
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TROISIÈME REFLEXION
Au-delà du pétrole Cheminer vers la résilience AU COURS DES DEUX DERNIERS SIÈCLES, les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) ont constitué le moteur principal du développement industriel de notre civilisation. Grâce à l’extraordinaire pouvoir calorique du pétrole, les êtres humains ont enclenché une grande accélération, selon les termes d’Hartmut Rosa 1. De nombreux paramètres permettant d’appréhender l’évolution de nos sociétés ont suivi une allure exponentielle : la consommation d’énergie, la croissance de la population, du PIB, des transports, des transactions commerciales, des services et des biens en tout genre. Cette croissance multiforme générée par les énergies fossiles a un prix : notre dette écologique. A cet emballement de l’activité humaine correspond l’évolution de nombreux paramètres permettant de mesurer l’évolution des systèmes écologiques terrestres : la concentration de CO2 dans l’atmosphère, la perte de forêts tropicales, la fonte de la calotte glaciaire, la dégradation de la biodiversité… etc. Tous les gains de productivité et de confort générés par les énergies fossiles apparaissent à présent comme une gigantesque bulle spéculative dont nous subissons de façon croissante les conséquences environnementales.
Vers la fin de l’âge du pétrole Aujourd’hui, le basculement dans une ère civilisationnelle post-carbone est tout d’abord une nécessité éthique. Il s’agit de contenir le changement climatique et de préserver les écosystèmes afin d’assurer aux générations présentes et futures des conditions d’existence dignes. Au mois de novembre 2017, 15 000 scientifiques lançaient un ultime avertissement à l’humanité pour un changement de comportement drastique. Rappelons les recommandations du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du
Climat (GIEC) : au-delà de deux degrés d’augmentation de la température moyenne depuis l’ère préindustrielle, le climat s’emballerait, entraînant des catastrophes en cascade de grande ampleur (ouragans, sècheresse, montée des eaux, incendies) et leur lot de souffrances. Pour cette raison, il est urgent d’apprendre à se passer des ressources énergétiques qui ont fait la prospérité de notre civilisation moderne : le pétrole et le charbon. Par ailleurs, qu’on le veuille ou non, la fin du pétrole "bon marché" est inévitable. En ce début du XXIème siècle, nous sommes en train de franchir le pic de pétrole, c’est-à-dire le moment où le débit d’extraction de la ressource a atteint son maximum de production. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, le pic de pétrole conventionnel aurait été franchi en 2006. Si l’on prend en considération le pétrole non conventionnel (les pétroles de schiste ou de sables bitumineux… etc.), de moins bonne qualité, le pic de production se situerait aux alentours de 2020. Un pic d’extraction d’une ressource s’explique par le caractère limité des réserves accessibles. Bien entendu, de grandes quantités de pétrole demeurent sous la croûte terrestre, mais le coût d’investissement énergétique devient trop important pour pouvoir l’extraire, malgré l’amélioration des techniques d’exploitation. En effet, si au XIXème siècle, il suffisait à une entreprise pétrolière de creuser à la surface du sol pour voir le pétrole jaillir, aujourd’hui, le pétrole conventionnel se situe à de grandes profondeurs ou sous les océans. Pablo Servigne et Raphaël Stevens, experts en résilience socio-écologique, expliquent "pour extraire du pétrole, il faut de l’énergie, beaucoup d’énergie : la prospection, les études de faisabilité, les machines, les puits, les pipe-lines, les routes, l’entretien et la sécurisation de toutes ces infrastructures, etc. Or, le bon sens veut que, dans une entreprise d’extraction, la
quantité d’énergie que l’on récolte soit supérieure à l’énergie investie. 2" Pour des raisons physiques et économiques, la production de pétrole devrait donc décliner au cours des prochaines années. Des signes avant-coureurs sont d’ailleurs déjà perceptibles, à travers notamment l’investissement de différents acteurs dans des énergies alternatives à l’or noir. Ainsi, l’extraction du charbon a connu un essor surprenant depuis le début du 3ème millénaire. La multinationale Total a commencé à investir dans le gaz naturel pour anticiper le déclin de la production de pétrole. Enfin, la Chine investit massivement dans les énergies solaires et éoliennes. Toutefois, selon Philippe Bihouix, les énergies alternatives renouvelables ne parviendront pas à compenser l’épuisement de la production de pétrole. "Indéniablement nous pouvons, et nous devons, développer les énergies renouvelables. Mais ne nous imaginons pas qu’elles pourront remplacer les énergies fossiles. Et nous permettront de remplacer la débauche énergétique actuelle. 3" Après l’accélération enclenchée au XIXème siècle, nous devrions connaître de façon irréversible, une grande descente énergétique 4. En effet, l’exploitation de l’énergie solaire et éolienne repose sur des infrastructures, des processus de fabrication, des transports qui nécessitent également une grande quantité de minerais et d’énergies fossiles, lesquels viendront justement à manquer. S’il est nécessaire, bien entendu, de développer des énergies renouvelables alternatives, les sociétés contemporaines seront également obligées de "décélérer" leur consommation en ressources naturelles et d’orienter les citoyens vers des modes de vie beaucoup plus sobres en énergie. Autrement dit, l’économie de demain, beaucoup moins dense en activités, ne ressemblera plus du tout à celle que nous connaissons aujourd’hui. Nous
devrons renoncer à certains biens et services qui nous semblent naturels. Mais à quoi peuvent bien ressembler des sociétés post-pétroles ? Sur base de quel imaginaire pouvons-nous penser et déjà mettre en place des sociétés soutenables et désirables ?
Sur le chemin de la résilience La "résilience" constitue un conceptclef pour élaborer les sociétés de demain. Mis en lumière par Boris Cyrulnik en psychologie 5, ce concept, désigne pour une personne, la "capacité à rebondir" après un choc ou un traumatisme. Appliquée à la société, l’incitation à la résilience pourrait se traduire comme ceci "préparons-nous à la chute d’un modèle de société pour mieux pouvoir nous relever". Contrairement aux approches qui mettent l’accent sur la décroissance ou la catastrophe, la "résilience" a pour mérite d’être porteuse d’espoir et d’encourager à l’action, tout en restant lucide sur l’état préoccupant des ressources naturelles. Nul doute que la fin des énergies fossiles devrait constituer un choc pour les milliards de femmes et d’hommes bercés par le confort et l’illusion de la croissance sans fin de biens, de services et de richesse. Il convient dès lors de se préparer à vivre dans des sociétés moins abondantes en énergie. Cette mutation passera par la mise en place de sociétés, à la fois souples et résistantes, capables de s’adapter et de répondre à des bouleversements économiques, sociaux et environnementaux majeurs 6. Aujourd’hui, le système industriel mondialisé est puissant, mais fragile. A la moindre augmentation majeure du prix du pétrole ou crise économique, toute l’économie risque de se contracter et d’entraîner, par effet domino, l’ensemble de la population mondiale dans de grandes difficultés. Tant du point de vue de l’énergie que de l’économie, il devient donc nécessaire de tendre vers l’élaboration de petits systèmes résilients, connectés les uns aux autres, à travers notamment une relocalisation de la production, du stockage, de la maintenance et de la consommation de l’énergie. Il s’agit de "relocaliser la puissance", dans le
même esprit que "la relocalisation des systèmes alimentaires". En paraphrasant Jean de Lafontaine et les acteurs du Mouvement de la Transition, le contexte actuel nous oblige à nous orienter vers la philosophie des "roseaux qui plient, mais ne rompent pas" plutôt que vers celle du "chêne puissant" qui risque de se briser à la prochaine bourrasque de vent.
LA RÉSILIENCE OU LE SENS DE L’OUVERTURE La résilience repose également sur des aspects non matériels comme la coopération, la solidarité, la justice ou l’ouverture à la diversité. Lors d’une catastrophe climatique, par exemple, les membres d’une société peuvent relever la tête en faisant preuve de cohésion, d’empathie et d’ouverture d’esprit. Ces valeurs doivent également s’exercer à l’extérieur d’une société donnée. Des échanges culturels et économiques entre communautés connectées sont même indispensables. Si par exemple une communauté subit une catastrophe naturelle, comme une sécheresse, les liens qu’elle aura noués avec d’autres communautés lui permettront de recevoir de l’aide. En définitive, des sociétés résilientes se tiennent à l’écart de deux extrêmes : d’une part la dépendance complète à d’autres communautés, situation qui crée des risques d’effets en cascade lors d’une crise économique ou climatique ; l’autarcie complète, d’autre part, qui met en danger les sociétés isolées touchées par une catastrophe.
Le développement d’une multitude de systèmes énergétiques résilients peut se traduire de différentes manières, selon les caractéristiques des territoires : systèmes solaires thermiques, hydroélectriques ou éoliens...etc. Pour renforcer l’autonomie des sociétés, c’est-à-dire leur pouvoir d’action, il faudra s’assurer que ces différents moyens de production d’énergie puissent être gérés ou réparés localement, sans l’apport extérieur d’énergies fossiles. Pour Philippe Bihouix, la résilience énergétique passe dès lors par l’élaboration de Low Tech (par opposition aux High Tech), c’est-à-dire, de techniques simples et modulaires, de façon à ce que la production d’énergie puisse être maîtrisée et gérée par les membres d’une communauté locale. Concrètement, il vaut mieux par exemple de petites éoliennes, simples, à taille humaine, que de gigantesques infrastructures off-shore dont la maintenance repose sur un investissement énergétique insoutenable et l’intervention d’une multinationale. Enfin, la maîtrise locale de l’énergie et d’un bon nombre de techniques suppose aussi la requalification d’un grand nombre de personnes en techniques Low Tech. De nouveaux métiers doivent voir le jour, du côté de la production, de l’entretien et de la réparation d’outils de production énergétique. Dans un autre domaine : des systèmes alimentaires industriels gourmands en énergie fossiles devront faire place à des systèmes alimentaires biologiques et résilients. Cette transformation nécessite la formation de paysans de nouvelle génération, spécialisés par exemple en permaculture, en fabrication d’outils ou en conservation de semences. En conclusion, cet ensemble de mutations liées à l’énergie est indispensable pour assurer à l’ensemble des sociétés le respect des besoins essentiels et des droits économiques fondamentaux de chacun.e. Valéry Witsel
1. Hartmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte, 2010. 2. Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, Le Seuil, p.52. 3. Philippe Bihouix, L’âge des Low Tech, La Découverte, p. 75. 4. David Holmgren, Permaculture. Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Rue de l’échiquier, 2014. 5. Boris Cyrulnik, Résiliences, connaissances de base, Odile Jacob, 2012. 6. Agnès Sinaï, Raphaël Stevens, Hugo Carton, Pablo Servigne, Petit traité de Résilience locale, Editions Charles Léopold Mayer, 2015.
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PORTRAIT
BRÈVES
Café "zéro déchet" des idées créatives pour un défi de taille !
Munie de mon récipient en verre, j’entre dans le Boentje Café situé place Colignon en face de la maison communale de Schaerbeek. Ce n’est pas tous les jours que j’apporte mon propre contenant dans un café, prêt à recevoir un smoothie fraîchement préparé. Peut-être le premier de son genre à Bruxelles, le Boentje Café a la particularité d’être un café à "objectif zéro déchet".
L’EXISTENCE DU BOENTJE CAFÉ TÉMOIGNE D’UNE RÉALITÉ, le zéro déchet n’est plus juste l’apanage de certains ménages réceptifs aux discours écologiques. Il a fait définitivement son entrée dans le monde professionnel. Le Boentje Café est le projet de deux jeunes bruxelloises : Sandrine et Victoria. Il est le résultat d’une prise de conscience des déchets produits par les Établissements HORECA où nos deux jeunes entrepreneurs ont travaillé pendant un an avant de lancer leur projet. Mais l’objectif zéro déchet s’est d’abord imposé dans leur quotidien, lorsque les deux responsables, écologistes de conviction, ont essayé de limiter leurs déchets dans leur propre foyer. "Éviter et réutiliser", telle pourrait être la devise du zéro déchet. Celle-ci prend racine dans l’économie circulaire, où il est question de repenser notre mode de production et de consommation afin d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles et ainsi limiter les déchets générés. Ici, tout est donc réfléchi minutieusement : les déchets alimentaires deviennent du compost pour le petit potager, le marc de café est transformé en substrat pour la culture
de champignons qui vont se retrouver dans les petits plats du Boentje Café… la boucle est toujours bouclée ! Les accessoires matériels, quant à eux, voient leur vie prolongée : les pailles sont en inox, les serviettes en tissu. Composé uniquement de récupérations diverses, le mobilier intérieur redonne une seconde vie à de nombreux objets délaissés. De plus, les produits utilisés pour la petite restauration saine, bio et locale du Boentje Café proviennent de producteurs locaux, limitant ainsi leur empreinte carbone. Ces mêmes producteurs sont mis à contribution dans le projet, notamment via un système de consigne… Adieu les emballages plastiques de la chaîne d’approvisionnement ! Le laitier livre son lait dans des bouteilles en verre alors que le torréfacteur utilise des bidons consignés. Les clients représentent également un maillon de ce système de consigne. Ils peuvent apporter leur propre récipient ou alors repartir avec un récipient fourni par le Boentje Café, via un système de caution. Et ça marche ! Composé avant tout d’une clientèle du coin, cette proximité permet au système de consigne d’être plus qu’une simple utopie écologiste. Source : www.boentjecafe.com
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Le passage au zéro déchet implique ‘’juste’’ de reprogrammer nos habitudes.
L’EUROPE A MAUVAISE MINE ! Lors de sa mission au Nord de la Grèce en mai, Justice et Paix a pu constater une nouvelle fois les ravages sanitaires, sociaux et environnementaux de l’extractivisme minier. Comme au Pérou ou en République Démocratique du Congo, des populations locales en Europe subissent
de plein fouet la démesure de notre développement industriel... Mines pharaoniques d’or ou de charbon, ces formes d’exploitation de la nature nous invitent à réinventer de nouveaux modèles de société !
Pour découvrir le reportage de Justice et Paix suite à cette mission : www.justicepaix.be.
Victoria et Sandrine prennent le temps d’expliquer le concept du zéro déchet à tous les clients intéressés. En effet, le Boentje Café souhaite aller plus loin encore pour promouvoir ce rapport neuf et positif à l’environnement. Si une démarche individuelle, c’est bien ; une réponse collective, c’est mieux pour réduire notre impact sur l’environnement ! Ainsi nos deux Bruxelloises comptent bien étendre cette philosophie du zéro déchet autant que possible ! Via des ateliers, elles essayent de conscientiser, de sensibiliser à un mode de consommation différent, pour que chacun.e puisse repartir avec des outils et techniques pour changer notre façon de consommer et limiter au mieux nos impacts environnementaux. Il reste maintenant à voir si cette philosophie du zéro déchet viendra réconcilier notre rapport ambigu d’exploitation et de conservation, bien étendu au-delà de notre quotidien ménager. Car si les citoyens s’organisent pour faire des efforts conséquents, il ne faut pas oublier que d’autres changements doivent être faits à plus grande échelle, pour modifier le rapport de la société tout entière à la production ! Laetitia Belsack
PUBLICATION Une fin d’année sous le thème du
CLIMAT ET DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE Pour cette rentrée, avant la fameuse COP 24 en décembre à Katowice (en Pologne), plusieurs évènements en lien avec le climat et la transition énergétique sont prévus aux quatre coins du monde. Bangkok accueillera les réunions intercessions organisées au centre de conférence des Nations unies début septembre (du 4 au 9), le "Global Climate Action Summit" aura lieu en Californie (du 12 au 14 septembre) et la "Climate week NYC" se tiendra du
24 au 30 septembre à New York. Sur le continent africain, le Maroc organisera le Sommet Africités du 20 au 24 novembre. En Belgique, à un niveau plus local, on retrouvera parmi d’autres activités une formation intitulée "Les négociations climatiques" par le SCI Projets Internationaux le 20 septembre à destination des enseignants, éducateurs et animateurs ou "Je cours pour le climat" à Namur le 10 octobre.
CONFÉRENCE
L’âge des low tech Les low-tech, vers une civilisation techniquement soutenable. Philippe Bihouix, auteur du livre L’Âge des Low Tech et membre fondateur de l’Institut Momentum (l’anthropocène et ses issues), nous emmènera à la découverte des low tech et des opportunités qui en découlent, à l’occasion d’une conférence organisée par les Alumni Agro Louvain et Ingénieurs Louvain, Justice & Paix et Louvain Coopération le mardi 9 octobre à 19h00 (Place des Sciences, 1348 Ottignies-Louvain-la-Neuve).
Gratuit pour les étudiants et les membres de Justice & Paix. Informations et inscriptions sur www.justicepaix.be ou au 02/896 95 00.
ABONNEMENT DE SOUTIEN
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Volontaires ayant collaboré à ce numéro : Aicha Achbouk, Laetitia Belsack, Anne Berger, Esi Darko, Angelo Ocampo
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Publié avec le soutien de la Direction Générale de la Coopération au Développement et Aide Humanitaire et de la Fédération Wallonie-Bruxelles
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