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BELGIE(N)-BELGIQUE
P 008189
Editeur responsable : Timur Uluç • Commission Justice et Paix francophone de Belgique, asbl Chaussée Saint-Pierre, 208 • B-1040 Etterbeek - Belgique
Revue d’analyse des conflits internationaux et des enjeux de paix
Droits humains : de la Déclaration à l’action N° 105 4e TRIMESTRE 2018 - DÉCEMBRE
SOMMAIRE ÉDITO
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L’ACTUALITÉ : REGARDS ET POSITIONS Le Prix Nobel de la Paix,"une arme" à disposition des femmes
page 4
DOSSIER LA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME… ET APRÈS ? Introduction
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Première réflexion La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme face au défi de l’universalisme
page 6
Seconde réflexion L’exercice des droits de l’Homme en Afrique centrale : défis et opportunités
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Troisième réflexion Un plaidoyer pour la justice et la paix : 50 ans de citoyenneté mondiale
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PORTRAIT / POINT DE VUE Société trop individualiste et compétitive, et s'il y avait "Tout autre chose" ?
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BRÈVES
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ÉDITO Chère lectrice, cher lecteur, Tout au long de l'année 2018, l'actualité a été rythmée par des événements témoignant de l'impact des inégalités sur les droits humains au sens large : les crises économiques et sociales, les conflits armés, les crimes de guerre et contre l'humanité, les répressions sur les minorités et les femmes, l'insécurité alimentaire, le changement climatique, etc. Toutes ces atteintes à la dignité humaine ont poussé certains à descendre dans la rue pour réclamer plus d'égalité sociale et d'autres à traverser les frontières et les mers au péril de leur vie, dans l’espoir d’une vie meilleure. Face à ces femmes, ces enfants et ces hommes jetés sur les chemins de l’exil, de nombreux décideurs politiques en Belgique et en Europe adoptent une attitude irresponsable, formulant un discours de fermeté, de peur, voire de haine pour certains d’entre eux. Cette menace qui pèse contre les droits humains n'a toutefois pas empêché la solidarité entre les citoyens du monde. Certaines victoires ont même été remportées, ce qui laisse entrevoir de l’espoir et de la motivation pour porter au plus haut les voix en faveur d'un monde plus égalitaire. Aicha Achbouk
L’ACTUALITÉ : REGARDS ET POSITIONS
Le Prix Nobel de la Paix,
"une arme" à disposition des femmes © Jakob Reimann
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2018, ANNÉE SYMBOLIQUE POUR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE Cette année nous célébrons le centenaire de la Première guerre mondiale, mais aussi les 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. A l’occasion de ces anniversaires, un autre enjeu très important a été mis en avant, la lutte contre les violences sexuelles en temps de conflit armé, à travers l’attribution du Prix Nobel de la Paix à deux militants de ce combat : le gynécologue Denis Mukwege et Nadia Murad. En temps de conflit armé, les violences sexuelles sont utilisées à des fins politiques ou militaires. Elles sont infligées surtout à l’encontre des femmes, bien que les hommes soient aussi visés. Durant un conflit armé, les femmes sont "les victimes privilégiées de violations spécifiques et graves du droit international humanitaire" 1. Nadia Murad est devenue militante après avoir elle-même subi ces crimes de guerre. Elle a été enlevée par l’Etat islamique en 2014 quand son village a été attaqué. Elle a réussi à s’échapper et est devenue la voix des femmes yézidies, pour raconter ce que les femmes subissent encore. Denis Mukwege est gynécologue et mène ce combat depuis 2008, en "réparant" les femmes qui ont subi des violences
sexuelles pendant la guerre civile en République démocratique du Congo. Il a créé la fondation Mukwege dont la stratégie de lutte contre les violences sexuelles est "d’aborder les causes et les conséquences" 2. Bien que les violences sexuelles et les viols de masse aient été une arme souvent employée par la plupart des pays en temps de guerre, ce n’est qu’à partir des années 1990 que le caractère criminel de ces actes a été dénoncé par le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. En droit international humanitaire les violences sexuelles infligées aux femmes sont qualifiées de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Malgré cela, les violences sexuelles restent encore répandues. C’est le cas par exemple au Myanmar (Birmanie), où cette pratique est utilisée pour pousser au départ des Rohingyas ou bien en Syrie, à l’encontre des femmes yézidies. Les différents groupes armés, rebelles ou même gouvernementaux, utilisent les violences sexuelles pour
transformer les femmes en armes de guerre. L’objectif étant de déstabiliser une communauté, terroriser la population et déshumaniser les victimes. Les violences sexuelles restent un tabou dans certaines sociétés, ce qui signifie que beaucoup de femmes ne peuvent pas raconter ce qui leur est arrivé. Elles sont isolées, mises à l’écart du débat à cause de leur statut de victime et de "femme tachée". Les conséquences sont de longue durée, tant physiques (maladies, grossesses) que psychologiques. Néanmoins, un cap très important vient d’être franchi par la reconnaissance internationale du combat contre les violences sexuelles et de la souffrance des victimes de telles atrocités. L’attribution du Prix Nobel de la Paix à Denis Mukwege et Nadia Murad donne la parole aux victimes et permet d’avoir un espace de discussion libre sur les causes et les conséquences de ces crimes. Plusieurs questions demeurent toutefois : la reconnaissance suffit-elle ? Estil suffisant de nommer les coupables ? Maintenant que le débat est ouvert, il faudra remettre en cause l’impunité accordée aux coupables et les politiques de certains gouvernements. Il faudra lutter pour un progrès dans la dénonciation des coupables. La consécration de Denis Mukwege et Nadia Murad devrait ainsi être mobilisatrice d’un engagement sans précédent "pour changer la situation des victimes en zones de conflits armés" 3. Elena Giorgiana Lupu
1. Lindsey-Curtet, C., Tercier Holst-Roness, Fl., Anderson, L., "Répondre aux besoins des femmes affectées par les conflits armés - Un guide pratique du CICR", CICR, novembre 2004. 2. Fondation Mukwege, https://www.mukwegefoundation.org/. 3. Discours d’acceptation du Prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, 5 octobre 2018.
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DOSSIER La Déclaration universelle des droits de l’Homme…
Et après ? L’actualité nous rappelle tous les jours que la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) est loin d’être effective pour toutes et tous. Son anniversaire est l’occasion de la questionner au sein de notre association. Dès lors, il est légitime de se demander : Qui bénéficie de cette déclaration ? Quelle est sa portée ou son impact ? Comment ses valeurs se traduisent-elles dans l’action menée par la Commission Justice et Paix qui fête également son anniversaire ? Par ailleurs, le prix Nobel de la Paix 2018 attribué à Denis Mukwege nous donne l’occasion de porter un regard particulier sur la République démocratique du Congo.
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PREMIÈRE REFLEXION
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
© United Nations Photo
face au défi de l’universalisme Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la communauté internationale décida de créer l’Organisation des Nations unies (ONU), afin de favoriser une coopération internationale et ainsi éviter de nouvelles guerres. Au sein de cette nouvelle organisation internationale, une commission des droits de l’homme fut mise sur pied en 1946, en vue de rédiger un texte établissant les libertés et droits fondamentaux.
7 LA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME (DUDH) fut adoptée, deux ans plus tard par l’Assemblée Générale des Nations unies, le 10 décembre 1948. Le texte connut un important soutien, puisque sur les 58 États membres de l’ONU à l’époque, seuls 8 États se sont abstenus, 2 étaient absents mais aucun ne vota contre. A ce jour, la DUDH est toujours considérée comme le texte fondateur des droits fondamentaux. Il y a toutefois lieu de rappeler qu’il ne s’agit nullement de la première déclaration de droits fondamentaux, puisque de nombreux États ou Nations avaient déjà établi de telles déclarations auparavant (pensons notamment à la Bill of Rights anglaise de 1689, aux Déclarations des droits des États américains de 1776, à la Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, pour ne citer que les plus récentes). La particularité de la DUDH réside en revanche dans le fait qu’il s’agit de "la première reconnaissance internationale des droits fondamentaux" 1. Si cette déclaration n’a pas de valeur juridique en tant que telle, sa valeur symbolique est quant à elle non négligeable. En raison de l’importance qu’on lui confère, il est généralement considéré politiquement incorrect de critiquer le contenu de la DUDH 2. Pourtant, celui-ci n’a pas toujours fait l’unanimité et continue à faire l’objet de critiques.
Ni universelle dans ses idées… Avant même son adoption, l’UNESCO 3 avait récolté l’avis de nombreuses personnalités, de différentes nationalités, concernant les problèmes que soulevait la rédaction d’une déclaration internationale des droits de l’homme 4. Il ressort des résultats de cette enquête que la vision occidentale des droits fondamentaux n’est pas partagée par toutes les populations et cultures de par le monde. De plus, dans le cadre de cette enquête, de nombreuses personnalités ont tenu à attirer l’attention des rédacteurs de la DUDH sur le fait que des droits ne peuvent être énoncés sans être associés à des devoirs.
Mahatma Ghandi précisa par exemple à l’occasion, qu’il a appris de sa mère que "tous les droits dignes d’être mérités et conservés sont ceux que donne le devoir accompli". Edward H. Carr, historien et théoricien des relations internationales, renvoie également aux devoirs inhérents à toute déclaration de droits, rappelant qu’une telle déclaration "détermine le rapport entre l’individu et la société dans laquelle il vit". Selon lui, les droits politiques impliquent par exemple automatiquement l’obligation passive de respect envers l’ordre politique accordant la jouissance de ces droits. De même, les droits sociaux et économiques requièrent une obligation active des citoyens de mettre leurs capacités productrices à disposition de l’État 5. Cette vision a également été défendue par l’un des membres de la Commission des droits de l’homme, Peng Chung Chang, qui estimait que la DUDH "ne (devait) pas se faire le reflet des seules idées occidentales", mais également s’inspirer du Confucianisme 6, qui est notamment basé sur la notion d’ "obligations mutuelles". L’enseignement principal du Confucianisme est que les relations sociales et politiques sont basées sur l’accomplissement des devoirs envers son voisin plutôt que sur la revendication de ses propres droits 7.
Cette absence de référence aux devoirs et/ou obligations pourrait s’expliquer par le fait que certains considèrent que les droits fondamentaux impliquent intrinsèquement des "obligations-réflexes" 8, sur base de l’adage "ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui". Cette conception est cependant bien trop réductrice, étant donné qu’"il existe certaines obligations (…) sans droits correspondants", notamment "les obligations à l’égard des animaux, de l’environnement ou des générations futures". De plus, selon cette conception, les devoirs ou obligations se limiteraient à "assurer l’effectivité des droits". Selon François Ost et Sébastien Van Drooghenbroeck, professeurs à l’Université Saint-Louis de Bruxelles "tant qu’on ne comprendra pas que notre liberté s’accroît (plutôt que de s’arrêter) en proportion de celle des autres, tant qu’on ne comprendra pas que le lien social est moins une contrainte que la condition de possibilité du développement de ma liberté autant que celle d’autrui, on ne pourra que discréditer le thème des devoirs et responsabilités" 9.
Cette vision n’a cependant pas été réellement prise en compte par les autres membres du comité de rédaction. Seul l’article 29 de la DUDH fait une timide allusion aux devoirs des individus envers la communauté.
1. C RISP, http://www.vocabulairepolitique.be/declaration-universelle-des-droits-de-lhomme/. 2. Gilles Lebreton se pose même la question de savoir si l’on peut encore critiquer la DUDH (G.Lebreton, "Critique de la Déclaration universelle des Droits de l’homme", CRDF, 2009/7, p. 17, https://www.unicaen.fr/puc/images/crdf0702lebreton.pdf). 3. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. 4. UNESCO, Problèmes et aspects des droits de l’homme, 15 juin 1948, http://unesdoc.unesco.org/ images/0015/001550/155041fb.pdf. 5. UNESCO, Problèmes et aspects des droits de l’homme, 15 juin 1948, http://unesdoc.unesco.org/ images/0015/001550/155041fb.pdf (p. 9-13). 6. Mémoires d’Eleanor Roosevelt - http://www.un.org/fr/sections/universal-declaration/history-document/ index.html. 7. UNESCO, Problèmes et aspects des droits de l’homme, 15 juin 1948, http://unesdoc.unesco.org/ images/0015/001550/155041fb.pdf (p. 154). 8. Fr. Ost et S. Van Drooghenbroeck, "La responsabilité, face cachée des droits de l’homme", Classer les droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 92. 9. Fr. Ost et S. Van Drooghenbroeck, "La responsabilité, face cachée des droits de l’homme", Classer les droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 93.
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PREMIÈRE REFLEXION Ni dans son application… Le manque d’universalisme de la DUDH n’apparaît pas uniquement dans le texte lui-même, mais également dans l’application qui en a été faite. Malgré la déclaration que "tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits" (art. 1er), les grandes puissances européennes ont continué, durant plus de 10 ans, à considérer les populations de leurs colonies comme des "sauvages" ou des "barbares", ces derniers ne bénéficiant aucunement des mêmes droits que les citoyens des États colonisateurs. Il en était de même aux États-Unis où des lois ségrégationnistes prévoyaient des droits et obligations différents pour les personnes noires. Actuellement, nos gouvernements continuent à faire une application différenciée des droits fondamentaux, en fonction principalement des origines des personnes concernées. Ainsi, l’article 23 de la DUDH prévoit que "quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine (…)". Ce droit à une rémunération équitable et satisfaisante est globalement respecté en ce qui concerne les travailleurs sur le ter-
ritoire belge. Par contre, nombre de biens de consommation vendus en Belgique ont été fabriqués par des travailleurs étrangers qui ne perçoivent qu’un salaire de misère (on pense par exemple aux femmes et enfants en Chine ou au Bengladesh, pour ne citer qu’eux, travaillant dans l’industrie du textile, dans des conditions proches de l’esclavage). En permettant la vente de ces produits sur le territoire belge, notre pays ne se fait-il pas le complice de la violation de ce droit prévu par l’article 23 de la DUDH ? Les droits de la DUDH font donc l’objet d’une application qui est loin d’être universelle. Selon le politologue franco-syrien Joseph Yacoub, les droits de l’homme n’ont jamais eu de base universelle, mais s’inscrivent dans l’histoire, changeant à travers le temps et l’espace en fonction des cultures et des imaginaires collectifs 10. Les droits fondamentaux ne seraient donc que relatifs 11. Cette relativité peut par exemple être constatée par rapport au droit de vote. Si de nombreuses personnes se sont battues, durant les deux derniers siècles pour obtenir ce droit qu’elles considéraient comme fondamental, certaines sollicitent actuellement le droit en Belgique de pouvoir "ne pas aller voter".
© Jérémy R-T
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10. J. Yacoub, "Pour un élargissement des droits de l’homme", Diogène, 2004/2 (n° 206), https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-2-page-99.htm. 11. UNESCO, Problèmes et aspects des droits de l’homme, 15 juin 1948, http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001550/155041fb.pdf (p. 131). 12. https://www.amnesty.be/camp/declaration-universelle-des-droits-de-l-homme/ sondage-exclusif-vous-et-les-droits-humains/sondagedudh.
Quel avenir ? Si le contenu de la DUDH constituait un pas important et indispensable afin de marquer le coup après les atrocités de la Seconde Guerre Mondiale, l’on pourrait se demander si son contenu reste suffisant à l’aube du XXIe siècle. Face aux grands enjeux de notre époque, tels que le changement climatique, le retour du nationalisme et du repli sur soi, les limites de l’économie basée sur la croissance ou l’hyper-mondialisation tendant à gommer les spécificités culturelles, n’est-il pas de notre devoir d’aller un pas plus loin et de repenser nos droits fondamentaux ? Non plus uniquement d’un point de vue purement individualiste, où chaque individu est amené à revendiquer ses droits avec pour seule limite de ne pas porter atteinte aux droits des autres, mais dans un esprit de solidarité et de prise en compte de l’humanité dans sa globalité. Il n’est bien entendu pas question de rejeter les droits fondamentaux consacrés par la DUDH, mais de prendre conscience qu’ils ne sont peut-être que le reflet d’une vision du monde à un moment donné et qu’il nous appartient de poursuivre la réflexion afin de permettre à tout un chacun de mener une vie digne. Selon un sondage réalisé par Amnesty international Belgique, 75 % des Belges se disent très ou assez sensibles au respect des droits humains. Etrangement, seuls 50 % des Belges connaissent ou savent ce que contient la DUDH 12. Un quart des Belges ne sait pas vraiment ce que sont les droits humains auxquels ils attachent pourtant de l’importance. Cette méconnaissance se retrouve principalement chez les plus jeunes (tranche d’âge 18-34 ans). Un important travail de sensibilisation, notamment dans les écoles, reste dès lors indispensable. Dans le cadre de cette sensibilisation, il est néanmoins primordial de faire part, non seulement du contenu de la DUDH, telle que rédigée il y a 70 ans, mais également des critiques dont elle a fait l’objet et des défis qui l’attendent pour les 70 années à venir. Marie Gilliot
DEUXIÈME REFLEXION
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L’exercice des droits de l’Homme en Afrique centrale :
défis et opportunités
Septante années après l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les droits humains ne sont toujours pas garantis en Afrique centrale. Si le contexte demeure instable, la lutte contre les violations des droits humains doit se poursuivre à tout prix. LE SEPTANTIÈME ANNIVERSAIRE DE LA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME (DUDH) est l’occasion de nous interroger sur son application en Afrique centrale, et plus particulièrement dans la région des Grands lacs (aux Burundi, Rwanda et en République démocratique du Congo). Quels en sont les perspectives et acteurs ?
Un contexte précaire qui n’enlève rien à la pertinence des droits humains Au lendemain de la seconde guerre mondiale, à la création de l’ONU, les États ont adopté un ensemble de règles qui concernent chaque individu sans distinction aucune : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme 1. Cela a été fait pour ne plus voir se répéter les horreurs de la guerre. Il s’agit donc d’un ensemble de principes qui reconnaissent à tous les êtres humains le droit à la vie, à la dignité, à l’égalité, à la sécurité, à la santé, à la liberté d’expression et d’opinion, à l’éducation, et à une justice équitable. Ces droits sont dits universels, c’està-dire communs à tous et applicables partout dans le monde, même en Afrique où, quelques années plus tard, en 1981 fut adoptée la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples 2 lors de la 18e Conférence de l'Organisation de l'Unité Africaine. Comme le précise son préambule, cette Charte africaine s’appuie sur la Charte de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), la Charte des Nations unies ainsi que sur la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, tout en "tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de la civilisation africaine qui doivent
inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l'homme et des peuples". Parler alors des droits de l’Homme peut à priori, sembler très théorique dans un environnement de pauvreté 3. Mais, en réalité, la question des droits humains reste fondamentalement concrète, même en Afrique centrale où : Le salaire mensuel minimum garanti est inférieur à 100€, n seul médecin est disponible pour U 2.000 habitants, ne infime part du budget national U est allouée à la santé et à l’éducation.
Dans ce contexte de sous-développement manifeste et d’extrême pauvreté 4, la situation des droits humains comme on le voit reste précaire. Cela nous pousse à nous demander s’il est possible pour un peuple paupérisé d’apprécier la liberté d’expression alors qu’il lui est interdit de s’exprimer ? Comment un parent, dont les enfants ne vont pas à l’école et qui vit en deçà du seuil minimal de pauvreté, peut-il apprécier le droit à l’éducation pourtant dit fondamental et universel 5 ? Comment l’ouvrier habitant un bidonville peut-il comprendre la notion de droit de propriété ? A l’inverse,
RD Congo
Burundi
Rwanda
Salaire mensuel moyen
36$
23$
58$
% PIB budget santé
0,7
3,2
1,69
% du PIB budget éducation
2,29
5,41
3,55
Nombre de médecins pour 1000 Habitants
0,11
0,3
0,4
Accès internet %
6,2
5,17
20
36,69
59,91
74,8
499,44
298,17
1912,9
Espérance de vie des Femmes
61ans
59 ans
69 ans
Espérance de vie Hommes
58,14
55,52
64,97
Accès au téléphone portable % Produit Intérieur Brut (PIB) par Habitant
Source : in "L’année stratégique", Analyse des enjeux internationaux, Direction de Pascal Boniface, IRIS/ Armand Colin
1. h ttp://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/. 2. http://www.achpr.org/files/instruments/achpr/achpr_instr_charter_fra.pdf. 3. La notion même de pauvreté n’est pas aisée à définir. Selon le Petit Robert, est pauvre "celui qui manque du nécessaire ou n’a que le strict nécessaire ; qui n’a pas suffisamment d’argent, de moyens pour subvenir à ses besoins" (Dictionnaire Le Petit Robert, 1996). 4. L’éradication de la pauvreté est le premier élément des objectifs de développement durable (https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/poverty/).
>>>
10
DEUXIÈME REFLEXION certains pays. Par exemple : la liberté d’expression y est limitée, le droit de grève quasi-inexistant, etc. De surcroît, comme si certains pays cherchaient à s’en réserver la pratique, on peut encore faire remarquer la réticence de certains gouvernements à abolir complètement la peine de mort et à bannir la torture
Engrenage régional et constat amer n’est-il pas injuste de protéger le droit de propriété des grandes entreprises (minières surtout) étrangères dont le budget total dépasse, quelquefois considérablement, le budget des États au détriment desquels elles occupent une place dominante ? Comment accéder à la liberté d’expression, alors que les journaux se trouvent souvent entre les mains des politiques ou celles de sociétés ayant leur siège en dehors de cette région d’Afrique ? Peut-on alors vraiment parler des droits humains dans ce contexte centre-africain où les activistes des droits de l’Homme sont réprimés de façon régulière lorsqu’ils essaient de revendiquer leurs droits 6 ? Ces droits humains n’y sont donc ni garantis, ni protégés et ne revêtent pas la même signification et importance selon le pays et la région. Malgré tout, cela n’enlève rien à leur pertinence et nous pousse d’autant plus à en parler et lutter contre leurs violations nombreuses.
Application sélective des droits humains Les pays africains, en voulant adapter ces grands principes à leur propre culture dans la pratique, ont voulu instituer un cadre de référence adéquat : la charte africaine. Pourtant, dans les pays d’Afrique centrale, les lois internes semblent préférer retenir des formules insistant davantage sur les obligations des individus à l’égard de la société plutôt que sur les droits garantis aux individus pris isolement. La timidité des États à se retrouver dans l’obligation d’assurer l’intégralité des droits de l’Homme pourrait se faire ressentir dans la pratique voire à la lecture des textes constitutionnels de
Au vu de ce qui précède, on remarque que l’exercice effectif des droits de l’Homme en Afrique centrale demeure plutôt hypothétique. Bien que le cadre juridique soit clair, des graves violations sont toujours commises. Certaines situations de dépassement ont été référencées abondamment, y compris dans le rapport Mapping 7 pour le territoire de la République Démocratique du Congo 8 ou au Burundi, qui s’est par ailleurs retiré récemment de la Cour Pénale Internationale 9. A la veille des élections en RD Congo et dans une situation sociopolitique sensible au Burundi, toute étincelle est redoutable. La pacification de la région passera aussi par le renforcement et la légitimation des institutions. Ces enjeux liés aux droits humains doivent nécessairement être abordés au niveau régional, tant les pays d’Afrique centrale sont liés par leur histoire et la mobilité régionale. Le contexte de précarité est partagé par de nombreux pays de la région. On y dénombre plus de six millions de morts ces deux dernières décennies, ce qui devrait constituer une alerte suffisante. Une stabilisation régionale, soutenue par la communauté internationale, est donc indispensable pour le bien-être des populations concernées. Les destins de ces pays demeurent aussi, largement interdépendants 10. Il suffit de penser aux échanges économiques transfrontaliers existants ou aux rébellions qui se déplacent d’un territoire à l’autre. La pacification de la région passe par un renforcement de la légitimité des institutions qui doivent se focaliser sur le bien-être de tous les habitants sans distinction. En RD Congo, au moins 13,1 millions de personnes auront besoin d'assistance et de protection humanitaires en
2019. Plus de 2 millions d'enfants de moins de 5 ans souffriront encore de malnutrition aiguë sévère - soit 12% du total mondial - et des épidémies de maladies, dont le choléra, touchent des dizaines de personnes 11. La communauté internationale doit donc se saisir de cette question en prenant en compte les réalités transfrontalières comme celles de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL) 12 car tout danger aurait de facto un impact régional. L’embrasement est donc un risque non négligeable.
Quelles perspectives pour les acteurs en Afrique centrale ? Le respect des droits humains demeure la base de tout développement. Différents acteurs peuvent y contribuer. La société civile, premièrement, qui se décline sous la forme d’ONG locales de plus en plus présentes, ou sous la forme de groupes activistes courageux et infatigables, se mobilise au quotidien pour veiller au respect des droits humains et s’époumone à chaque transgression. Ils sont pour beaucoup un symbole d’espoir et de protection des populations. Les études et campagnes que ces organisations mènent permettent de tirer la sonnette d’alarme, de référencer les crimes commis, d’attirer l’attention sur des situations inacceptables, de dénoncer les réalités structurelles qui brident le développement de la région… Toutes ces actions, cumulées et régulières, mèneront potentiellement au changement. Il est donc crucial de soutenir leur action. La presse généraliste joue également un rôle-clef, via une veille politique assidue. Elle constitue une caisse de résonnance aux mobilisations et s’efforce d’assurer un archivage. Elle mérite un renforcement de capacité et un équipement adéquat. Les responsables politiques jouent évidemment un rôle central dans l’attention sociopolitique portée aux droits humains. De plus, il faudrait appuyer l’autonomisation et la séparation des pouvoirs traditionnels, renforcer la capacité des médias et de leurs acteurs afin que les gouvernements ne se dérobent pas à leurs fonctions
11 principales : offrir aux populations une sécurité maximale, des emplois et des services de base de qualité (approvisionnement en eau, électricité et voies de communication, etc.). Les citoyens, enfin, restent l’élément déterminant de l’accès aux droits humains. En prêtant attention aux situations congolaise, burundaise, en soutenant les démarches de la société civile et en partageant les mêmes préoccupations, ils renforcent une dynamique de responsabilisation sociétale, où chacun et chacune est capable d’influencer l’opinion publique. A cet égard, la nomination récente du Dr. Mukwege au prix Nobel de la Paix récompense son engagement pour les droits humains de "réparateur des femmes" violées, mais aussi, sa révolte qui prend racine dans l'irrationnel paradoxe de misérables peuples héritiers d'un continent immensément riche. Patrick Balemba
5. L ’article 26 de la DUDH : "1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants". 6. https://afrique.lalibre.be/26816/rdc-la-torture-en-rdc-un-moyen-pour-ecraserla-contestation/. 7. Concernant les violations les plus graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003. 8. https://www.ohchr.org/documents/ countries/cd/drc_mapping_report_final_fr.pdf. 9. http://www.justicepaix.be/Violationsdes-droits-humains-au-Burundi-et-en-RDCongo-quel-role-pour-la-Cour 10. https://www.codesria.org/IMG/pdf/8_ interde_pendance_peace_security_paix_ et_se_curite_.pdf?8935/afaffa6f51061d3c4e8053a06ec3a7605a850f28. 11. https://www.unocha.org/democraticrepublic-congo-drc/about-ocha-drc. 12. http://www.icglr.org/index.php/fr/paix-etsecurite.
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TROISIÈME REFLEXION
Un plaidoyer pour la justice et la paix :
50 ans de citoyenneté mondiale La coïncidence des 70 ans de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et des 50 ans de Justice et Paix est une belle occasion pour revenir sur le parcours de notre organisation, qui s’investit depuis sa création pour la promotion et la protection des droits humains. Si ces droits humains évoluent, les enjeux qui y sont liés changent également : petit retour sur les défis pour la Justice et la Paix.
Un réseau historiquement international Un des aspects-clefs de la durabilité de l’organisation, c’est évidemment l’institutionnalisation dans laquelle elle a pu s’inscrire à travers le temps. Émanation de l’Église catholique, c’est en 1967 que le pape Paul VI a mis sur pied la Commission pontificale Justitia et Pax à l’occasion du Concile Vatican II, afin de promouvoir l’essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations. "Pas de Paix sans Justice, pas de Justice sans Paix" ; tel fut le mot d’ordre qui lança le mouvement des Commissions Justice et Paix à travers le monde, certaines locales (diocésaines), d’autres nationales. Aujourd’hui encore, nous pouvons retrouver des Commissions Justice et Paix dans de très nombreux pays à travers le monde, autant en Europe qu’en Afrique centrale, en Asie… Si celles-ci n’entretiennent que peu de liens institutionnels entre elles et demeurent autonomes 1, elles partagent toutefois les mêmes valeurs et objectifs. Les Commissions se concertent et s’organisent ponctuellement sur des thématiques de travail communes afin de bénéficier d’un impact international. Au niveau national, la Belgique fut l’un des premiers pays à s'approprier la démarche et à créer sa propre Commission ; à la particularité près que celle-ci fut présidée par un laïc. Justice et Paix a ainsi pu formaliser sa structure progressivement sous forme d’ASBL (1978), avant d’être reconnue comme association d’éducation permanente par la Communauté française (1982) et par la Coopération belge au développement, comme organisation non gouvernementale (ONG) d’éducation au développement (1997). Elle combine encore ces trois "casquettes", toujours dans l’esprit de l’enseignement social de l’Église.
En 1974, le contexte politique belge amena la Commission Justice et Paix nationale belge à être scindée en deux entités distinctes : l’une néerlandophone, l’autre francophone. Une séparation qui amènera les deux organismes à poursuivre des routes différentes. L’entité flamande (le Netwerk Rechtvaardigheid en Vrede) se transformera petit à petit en coupole d’ONG, rassemblant différentes associations d’inspiration chrétienne telles que Caritas Vlanderen, Broederlijk Delen, Pax Christi, Orbit… Côté francophone, l’orientation institutionnelle fut différente : la Commission Justice et Paix a préféré conserver ses actions et ses thématiques propres, sans pour autant délaisser les synergies avec ses pairs francophones et néerlandophones (Caritas International, Entraide et Fraternité…). Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir les membres de ce réseau s’allier pour proposer des conférences, mettre en œuvre des stratégies de plaidoyer… bref, pour profiter de leur complémentarité.
Mises à jour thématiques : entre cohérence et flexibilité La pérennité d’une organisation ne peut être garantie sans des remises en question récurrentes, y compris sur les thématiques portées par l’organisation. A ce titre, la Commission Justice et Paix a su porter de nombreuses préoccupations, diverses et variées, à travers le temps. De la campagne contre l’apartheid en Afrique du Sud (et le boycott de banques belges) à celle sur les minerais des conflits, en passant par le conflit israélo-palestinien, l’évolution thématique de Justice et Paix a toujours reflété les enjeux contemporains internationaux. Cette polyvalence est précieuse, car elle permet de s’attaquer à des contextes socio-politiques d’actualité, sans se figer sur des combats obsolètes.
Toutefois, une telle adaptation thématique ne peut se faire au détriment de la cohérence d’une organisation citoyenne. Les enjeux sociétaux évoluent de plus en plus rapidement, il serait vain de chercher à se flexibiliser toujours plus. Cela pourrait brouiller la lisibilité de l’organisation et pourrait disperser les forces vives qui la constituent. C’est un équilibre délicat qu’il convient donc de trouver pour profiter au mieux des expériences et expertises, tout en demeurant à la fois réactifs et polyvalents. Mais ce qui sous-tend tous les combats de Justice et Paix est la recherche d’un monde plus juste et en paix. L’ONG a pu affermir son message, avec ce souci permanent pour les populations les plus vulnérables, ici ou ailleurs, consciente que la question sociale est – depuis bien longtemps – devenue mondiale 2.
Une mission ultime, structurée autour d’une logique solide Après avoir développé des créneaux thématiques, il convient de développer des stratégies et méthodes pour parvenir à nos résultats, tout en tenant compte du contexte dans lequel on évolue. A ce titre, la "Théorie du Changement" peut être un outil utile. Développée dans les années 90, cette méthodologie vise à promouvoir le changement social à long terme. Elle cherche à identifier les missions des organisations sociales, ainsi que les liens de causalité qui existent entre les actions directes effectuées sur le terrain et les résultats (directs ou indirects), sous forme de "chemin de changement" 3. Un véritable exercice intellectuel pour identifier nos impacts à long terme et nos leviers d’action sur le changement social que nous souhaitons voir aboutir. Poursuivant cette méthodologie, Justice et Paix a axé sa mission en Belgique autour de différentes actions (analyses,
13 sensibilisation, formation, plaidoyer politique) orientées vers des publics complémentaires (citoyens, professeurs, journalistes, responsables politiques). L’ONG parie sur un changement des mentalités et de comportements, et cherche ainsi à aboutir à l’émergence d’initiatives citoyennes positives, tant collectives qu’individuelles. Nous demeurons convaincus de l’existence d’une interconnexion forte entre le "Nord" et le "Sud", par notre consommation, notre politique internationale, notre passif historique, notre présence au sein de l’Union européenne… Nous pensons que les actions mises en place chez nous peuvent avoir un impact concret sur les problématiques des pays du Sud, dont nous portons une part de responsabilité. Notre travail vers le changement social s’organise aujourd’hui autour des trois axes que sont la démocratie, la paix et les ressources naturelles. Au centre de cette stratégie réside donc le "Sud". Le "Sud ", pour Justice et Paix, c’est essentiellement l’Afrique centrale et l’Amérique latine. Deux régions sur lesquelles l’ONG a pu développer une expertise certaine et où elle bénéficie d’un solide réseau de partenaires. Ainsi, au Burundi, en République démocratique du Congo, ou encore au Pérou, Justice et Paix peut compter sur des organisations de la société civile expertes sur les thématiques précitées. Ce sont les populations du Sud qui subissent le plus les inégalités et les injustices, les violences économiques, sociales, environnementales et politiques de notre modèle de société/développement, il semble donc normal que la parole leur revienne, et que nos partenaires puissent s’exprimer ici en Belgique.
Des citoyens, au cœur d’une organisation Une organisation qui se prétend/dit citoyenne doit bien évidemment faire ses preuves et démontrer son ancrage dans la société belge. La Commission Justice et Paix a été fondée par des citoyens engagés, et elle existe encore et toujours aujourd’hui à travers et grâce à ses volontaires, de tous âge et tous horizons. Ceux-ci s’engagent sur les thématiques de justice sociale, de démocratie et d’enjeux internationaux, et les nourrissent également.
Veronica et Jean sont deux membres très actifs au sein de l’organisation, ils nous racontent leur parcours et leurs motivations : Jean "Je suis né en 1938, là où disponibilité et engagement à servir les autres étaient le sens même de l’existence. Militance, bénévolat, volontariat et volonté du travail professionnel bien fait étaient des synonymes pour les présidente et président jocistes régionaux qu’avaient été mes parents. J’en ai été pénétré, et J&P est un des maillons d’une chaîne de concrétisation de cet état d’esprit. (…) C’est professionnellement que j’ai découvert Justice et Paix en 1993, envoyé comme membre de l’AG par la Confédération Mondiale du Travail, syndicat dont j’étais secrétaire confédéral. Coopté après ma mise à la retraite, j’en suis devenu président, et le suis resté 8 ans. J’y suis toujours membre de l’AG et de deux commissions, disponible par ailleurs, tant que faire se peut, pour répondre aux appels ponctuels des instances ou de l’équipe de permanents de cette institution ecclésiale !"
Veronica "Arrivée en Belgique en septembre 2015 pour commencer un Master en Relations Internationales, je m’étais vite rendu compte que j’avais beaucoup de temps à disposition entre un cours et l’autre. Je voulais faire une expérience de bénévolat (…) et pourquoi pas commencer par le monde des ONG ? J’avais toujours eu un fort intérêt pour les questions liées aux droits humains, aux conflits et aux pays en développement… Justice et Paix m’a permis d’approfondir tout ceci et encore plus de m’amener vers un parcours de croissance tant professionnelle que personnelle (…) À l’heure d’entamer mon bénévolat, je ne m’attendais pas à tirer autant de cet engagement ! J’ai appris la valeur du travail de groupe, à exprimer mes idées parmi un public d’experts et à ne pas me sous-estimer lorsqu’une nouvelle expérience se présente"
S’appuyer sur des membres et des volontaires, c’est garantir une ouverture d’esprit réelle sur les enjeux qui touchent les citoyens. Leur rôle est donc primordial pour une association qui se veut reliée aux considérations citoyennes. À travers trois commissions régionales et une petite dizaine de groupes thématiques (Afrique centrale, Amérique latine...), les groupes de bénévoles enrichissent les échanges et sont au cœur de l’action.
Petit guide pour créer une ONG Nous l’avons vu, il est loin d’être aisé d’inscrire un mouvement citoyen dans le temps et dans l’Histoire. Loin d’être figés, les contextes socio-politiques évoluent rapidement et nécessitent une capacité sérieuse d’adaptation (sans même évoquer les contextes budgétaires non-propices à la coopération au
développement). Toutefois, certaines organisations, telle que Justice et Paix, bénéficient d’une assise historique, qui l’a amenée à se formaliser au cours du temps et s’enraciner dans le paysage de la société civile belge. Pour autant, une veille stratégique assidue du contexte socio-politique belge et international permettra à toute organisation de ne pas se figer dans le temps. Entre renouvellement continuel et cohérence identitaire, il convient d’ajuster le curseur pour répondre, aux nouveaux défis de notre temps, aux nouveaux enjeux en termes de droits humains, dont les violations demeurent – quant à elles – toujours présentes… Si la route du changement est encore longue, nous sommes convaincus que nous allons dans la bonne direction. Timur Uluç
1. Certaines s’inscrivent dans une logique de concertation régionale, comme les 31 Commissions européennes qui s’organisent via une alliance commune "Justicia et Pax Europa". 2. J-M Faux, Que penser de… ? L’enseignement social de l’Église, fidélité, 2018. P.27. 3. https://www.theoryofchange.org/what-is-theory-of-change/.
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PORTRAIT
Société trop individualiste et compétitive, et s'il y avait
"Tout autre chose" ? En réponse à un mode de société où le profit prime sur la solidarité et la coopération, l’engagement citoyen témoigne de la volonté d’instaurer un modèle alternatif qui valorise le débat et priorise une série de valeurs - comme la recherche, la santé, la culture, l’action politique ou encore le partage de biens communs. Aujourd’hui, quelle forme prend l’engagement citoyen ? Portrait du mouvement citoyen belge "Tout autre chose" 1. "TOUT AUTRE CHOSE" est l’enfant né des vives protestations face au souhait du gouvernement fédéral sorti des dernières législations de couper l’aide à la coopération ou encore les investissements dans le secteur culturel. Il est le cousin francophone du mouvement néerlandophone "Hart Boven Hard". "Tout autre chose" est guidé par l’envie de stopper la progression d’un modèle sociétal où les citoyens ne se retrouvent plus dans les décisions prises par quelques élus et d’offrir des alternatives en vue de se réapproprier le débat politique. Pour ce faire, il offre une plateforme regroupant divers collectifs. Ces collectifs abordent des thèmes aussi variés que les questions migratoires, les inégalités, l’opposition aux traités transatlantiques (TTIP, CETA) ou l’enseignement. De l’association militante au mouvement d’éducation permanente en passant par les associations développant des relations entre personnes vivant des réalités de vie différentes ou encore celles d’aide, de soins et de prise en charge, l’engagement peut se décliner selon différents degrés. Mais tous ces collectifs ont un point commun, ils partagent tous les valeurs promues par "Tout autre chose", notamment la démocratie, la solidarité, la coopération, l’égalité ou encore la créativité.
idées. Etre conscientisé et motivé ne suffit pas forcément, il faut encore un sentiment de capacité d’action, une occasion d’agir offerte par un collectif ou une association. Là est la plus-value de "Tout autre chose". Il met en relation les projets et les personnes. Cela passe par des rencontres lors de manifestations, comme lors du village des possibles durant le festival Esperanzah, afin notamment d’accroître la visibilité des actions lancées par les différents collectifs. Les moments de rencontre avec les acteurs de terrain permettent de conscientiser et sensibiliser les citoyens aux actions prises au-delà du discours présent. Tel était le cas lors de la grève des trains où la présence des accompagnateurs de train, des syndicats et des cheminots, outre d’avoir reçu un bon accueil, a permis de redorer l’image des grévistes. De telles rencontres sont favorisées par la présence sur le site web de "Tout autre chose" d’un agenda répertoriant les actions en cours. A côté de rencontres traditionnelles, les réseaux sociaux ont également un beau rôle à jouer, surtout à l’ère du numérique. Ils se font alors l’écho des mouvements citoyens. L’engagement citoyen se décline aujourd’hui aussi en dehors de toute structure associative. Un bel exemple
Ce mouvement s’adresse tant aux citoyens et collectifs déjà investis qu’à ceux en quête d’engagement, ceux qui râlant devant le journal télévisé veulent sortir de leur canapé et partager leurs
1. Je tiens à remercier Patrick Jonniaux qui a pris le temps de répondre à mes questions concernant "Tout autre chose".
est la liste citoyenne "Kayoux" dont deux élus siègent maintenant au conseil communal de Louvain-la-Neuve. L’engagement citoyen s’oriente aussi vers un engagement ‘’physique’’ où l’implication du volontaire se conjugue avec un investissement de son temps et moins de son portefeuille, même si le soutien financier reste une réalité. Quant aux personnes qui s’engagent, si la parité homme/femme est en général respectée, la diversité reste encore un objectif à atteindre. En effet, bien que l’engagement citoyen n’ait pas vocation à être représentatif de la société belge actuelle, la diversité permettrait néanmoins d’apporter une richesse culturelle d’idées et de visions du monde. Ainsi, il se voudrait à la portée de tous et ouvert à tous. Les jeunes via les réseaux sociaux n’hésitent plus à crier haut et fort qu’ils ne sont pas d’accord, à avoir un discours politique car au final, la politique au sens large correspond aux actions que l’on fait chaque jour au sein de la société. Avec cette redynamisation de l’engagement citoyen, il semble que ce dernier a de beaux jours devant lui. Laetitia Belsack
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BRÈVES PISTES D’ACTION EN VUE DES ÉLECTIONS
En 2019, je vote ! Considéré comme un acquis, le droit de vote, emblème essentiel des institutions démocratiques, nécessite aujourd’hui d’être réaffirmé. L’année 2019 sera révélatrice à cet égard, avec les électeurs belges appelés à voter aux élections fédérales, régionales et européennes le 26 mai. Le taux d’abstention à ces dernières est des plus élevés, avec seulement 42,54% d’européens ayant voté en 2014. Pour inverser cette tendance, l’Union européenne demande à ses citoyens de se mobiliser. Avec le lancement de cettefoisjevote.eu, chacun est encouragé à s’engager pour promouvoir une plus grande participation lors des prochaines élections. Pour en savoir plus : https://www.what-europe-does-for-me.eu/fr/portal.
Forum citoyen Justice et Paix, BePax et Magma ont organisé le samedi 24 novembre un "Forum citoyen pour une migration solidaire !". À travers des ateliers animés par des volontaires, experts, témoins et artistes, ce forum a permis de débattre, mieux comprendre et identifier ensemble des actions citoyennes et politiques à mettre en œuvre pour faire de la Belgique un pays respectueux des migrants et de leurs droits. Les participants ont également pu exprimer de façon originale tous les messages qu’ils souhaitaient adresser aux partis politiques en vue des élections fédérales de 2019.
PUBLICATION
Trajectoires vers le bien commun Boussole éthique pour toute décision politique, économique et citoyenne Convaincus de la nécessité de promouvoir un certain nombre de valeurs communes pour relever les nombreux enjeux éthiques et politiques contemporains, les membres du groupe de travail sur les enjeux économiques et sociaux "EthEcoPol" de la Commission Justice et Paix ont souhaité mener une réflexion sur le "bien commun". Mais qu’entend-on par bien commun ? D’où vient cette notion ? Quels sont les compromis que suppose sa mise en œuvre ? L’étude répond dans la première partie à ces questions en mettant en
lumière le fait que le bien commun concerne tout l’être humain (dans toutes ses dimensions) et tous les êtres humains. Dans un deuxième temps, l’étude explique en quoi la recherche du bien commun est indissociable de la poursuite de la justice sociale, de la protection de l’environnement et de la démocratie. Prix : 5 euros, à commander auprès de info@justicepaix.be (+32 2/896 95 00)
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CONTACTS Arnaud Gorgemans, président
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Timur Uluç, secrétaire général Hannane Ahedar, Miguel Arrimadas, Patrick Balemba, Chantal Bion, Clara Debeve, Géraldine Duquenne, Pauline Laigneaux, Annabel Maisin, Agathe Smyth, Valéry Witsel, permanents
Commission Justice et Paix francophone de Belgique, asbl Chaussée Saint-Pierre, 208 B- 1040 Etterbeek - Belgique
Volontaires ayant collaboré à ce numéro : Aicha Achbouk, Laetitia Belsack, Esi Darko, Marie Gilliot, Veronica Lari, Elena Giorgiana Lupu, Sylvain Lauwers
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Publié avec le soutien de la Direction Générale de la Coopération au Développement et Aide Humanitaire et de la Fédération Wallonie-Bruxelles
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