Élections et démocratie : redonner voix aux citoyens

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BELGIE(N)-BELGIQUE

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Editeur responsable : Timur Uluç • Commission Justice et Paix francophone de Belgique, asbl Chaussée Saint-Pierre, 208 • B-1040 Etterbeek - Belgique

Revue d’analyse des conflits internationaux et des enjeux de paix

Élections et démocratie :

redonner voix aux citoyens

N° 106 1e TRIMESTRE 2019 - MARS


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ÉDITO SOMMAIRE ÉDITO

Chère lectrice, cher lecteur,

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L’ACTUALITÉ : REGARDS ET POSITIONS Brexit, un vote au nom de la souveraineté et de la démocratie

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DOSSIER ÉLECTIONS ET DÉMOCRATIE : REDONNER VOIX AUX CITOYENS Introduction

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Première réflexion La démocratie confrontée à son Histoire

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Depuis plusieurs semaines, deux mobilisations citoyennes de grande ampleur font la une des médias. Les gilets jaunes tout d’abord qui mènent une lutte active pour plus de justice sociale et fiscale, critiquant les inégalités croissantes de nos sociétés. Les citoyens mobilisés sur le climat ensuite, dont les jeunes des écoles qui descendent dans la rue chaque jeudi. En dehors des critiques dont ils peuvent être l’objet, ces mouvements traduisent un mécontentement important quant à la prise en charge de ces questions légitimes par nos décideurs politiques. Usant de leurs droits à la liberté d’expression et à la manifestation, ces citoyens tentent de faire entendre leurs revendications, critiquant une classe politique parfois trop éloignée des réalités dénoncées. Sont-ils entendus ? Ces leviers démocratiques sont-ils suffisants pour faire bouger les choses ? A première vue, nos décideurs semblent paralysés devant l’urgence des enjeux de justice sociale et climatique. Aux citoyens de maintenir la pression et d’exiger que ces questions soient traduites en engagements concrets par les prochains élus afin que les principes démocratiques retrouvent de leur substance. Géraldine Duquenne

Deuxième réflexion Élections européennes 2019 : quel horizon pour la démocratie ?

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Troisième réflexion Élections en RD Congo : démocratie de façade ou transition historique ?

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PORTRAIT / POINT DE VUE Elections 2019 : faut-il exprimer son choix ?

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BRÈVES

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L’ACTUALITÉ : REGARDS ET POSITIONS

Brexit,

DOSSIER

un vote au nom de la souveraineté et de la démocratie RAPPEL DES MOMENTS-CLÉS DU BREXIT : ❚ 1 5 avril 2016 : Lancement de la ❚ 29 mars 2017 : Londres active campagne pour le référendum l’article 50 du Traité de Lisbonne, sur l'appartenance à l'Europe, par déclenchant ainsi officiellement le Premier ministre britannique le processus du Brexit. Le compte David Cameron (promesse faite à rebours de maximum deux ans pendant sa campagne de 2015). pour trouver un accord a démarré. ❚ 2 3 juin 2016 : Contre toute at- ❚ 19 juin 2017 : Début officiel des tente des autres pays européens, négociations. le 'leave' l'emporte à 51,9% des voix. David Cameron, pro-euro- ❚ 13 novembre 2018 : Bruxelles et péen, présente sa démission. Londres parviennent enfin à un ❚ 1 3 juillet 2016 : Theresa May, projet d'accord.

une eurosceptique chef du Parti ❚ 15 janvier 2019 : Les députés briconservateur, succède à David tanniques rejettent par 432 voix Cameron et devient Première contre 202 l'accord de sortie de ministre. C'est à elle que revient l'UE, obligeant ainsi la Première mila tâche laborieuse de négocier nistre à renégocier avec Bruxelles. le post-Brexit. ❚ 12 mars 2019 : Deuxième rejet de l’accord par les députés britanniques

© Dunk (Banksy does Brexit) Flickr

Les Britanniques et l’accord de retrait (en bref) Le projet d’accord concerne notamment les droits des expatriés, la facture du divorce et l’épineuse question irlandaise 1. L’accord de retrait 2 fixe nombre de questions relatives à la séparation afin de garantir aux citoyens, parties prenantes et entreprises la sécurité juridique. Il prévoit également une période de transition jusqu’à fin 2020, qui peut être prolongée une fois d’un ou deux ans 3, durant laquelle les règles européennes resteront d’application.

Les conséquences du Brexit seront multiples. Au niveau économique, si l’accord de retrait n’est pas ratifié et sans demande de prolongation, le Royaume-Uni sera considéré comme pays ne faisant pas partie de l’union douanière ni du marché intérieur. Concrètement, lors des échanges commerciaux, taxes à l’importation et contrôles seront rétablis entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni 4. Au niveau politique, l’intégration européenne est remise en cause par cette décision des Britanniques de quitter l’UE et qui peut montrer la voie à d’autres pays eurosceptiques.

Les jeux sont faits, rien ne va plus En cas de non-accord, plusieurs solutions se présentent à Theresa May : 1. Demander un report de la date du Brexit, prévue au plus tard le 29 mars ; 2. Envisager la possibilité d'un divorce sans accord, le 'no deal' ; 3. Organiser un nouveau référendum ; 4. Négocier un nouvel accord. Sachant que les 27 autres États membres de l’UE refusent catégoriquement de renégocier l'accord et que Theresa May a, de son côté, toujours refusé d'organiser un second référendum ou de repousser la date du Brexit, il ne reste plus vraiment beaucoup d’options. En cas d'accord, le texte de 585 pages, composé de plusieurs protocoles et autres annexes, régira dorénavant les futures relations entre l'UE et le Royaume-Uni. Autrement dit, tout continuera à fonctionner, jusqu'à la fin de la période de transition, comme si le Royaume-Uni était encore membre de l'Union européenne. Londres devra également continuer à verser sa contribution financière, mais sans siéger dans les institutions ni participer aux décisions. En attendant le jour-J, le Brexit n'échappe pas à de nombreuses spéculations. Si pour les europhiles, le post-Brexit sera à l'origine du crash britannique, les eurosceptiques, quant à eux, parient plutôt sur un boom. Ce qui est certain, c'est que le Brexit c'est un peu l'équation à plusieurs inconnues, une situation encore jamais rencontrée jusqu'ici dans l'histoire européenne. Aicha Achbouk et Esi Darko

1. Brexit: quel est le contenu du projet d'accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE?, https://www.rtbf.be/info/monde/detail_brexit-quel-est-le-contenu-du-projet-d-accord-de-retraitdu-royaume-uni-de-l-ue?id=10073906, 15 novembre 2018. 2. Il est accompagné d’une déclaration politique qui fixe un cadre au partenariat entre UE et UK. 3. Négociations avec le Royaume-Uni dans le cadre de l’article 50 - https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ TXT/HTML/?uri=LEGISSUM:4301000&from=FR, le 30 novembre 2018. 4. https://economie.fgov.be/fr/themes/entreprises/brexit/consequences-du-brexit-pour - le 21 février 2019

Élections et démocratie :

redonner voix aux citoyens

Les élections approchent à grand pas. À cette occasion, prenons un moment pour réfléchir à la signification de ce rendez-vous démocratique. Saisissons l’opportunité de remettre en perspective le système politique dans lequel nous évoluons. La démocratie, c’est quoi en fait ? Et quelle place y occupe le vote ? Est-ce un mode de représentation juste et satisfaisant ? D’ailleurs, la démocratie se vit-elle de la même manière à travers le monde ? Nous vous proposons de revenir sur ces nombreuses questions dans notre dossier spécial "élections et démocratie" !


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PREMIÈRE REFLEXION L’une des missions de l’ONU est d’ailleurs d’aider les pays à mettre en place et à maintenir un système démocratique, et ce par le biais de l’organisation d’élections.

La démocratie confrontée à son Histoire

La Révolution française a bâti les fondations de nos démocraties actuelles. Aujourd’hui celles-ci rencontrent une crise importante. Pour y faire face, il est utile de se rappeler les intentions des fondateurs de cette démocratie au XVIIIème siècle.

© Wanderley Rocha Flickr

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De plus en plus de critiques se font cependant entendre à l’encontre de ce système politique. Afin de mieux comprendre les fondements de ces critiques, il est intéressant de remonter aux prémices de ce système au XVIIIème siècle, notamment lors de la révolution française.

Origines de notre système démocratique actuel Dans son ouvrage Principes du gouvernement représentatif, Bernard Manin, philosophe français, commence par rappeler que "les démocraties contemporaines sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie" 2. A y regarder de plus près, les fondateurs de nos démocraties actuelles n’ont en effet jamais eu l’intention ni la prétention de créer un système démocratique. Ils opposaient au contraire la démocratie telle qu’elle existait notamment en Grèce antique à la république qu’ils souhaitaient mettre en place. L’abbé Sièyes, l’un des acteurs-clés de la révolution française, déclare d’ailleurs expressément en 1789 que "la France (…) ne peut pas être une Démocratie" 3.

cratie" sont devenus synonymes pour presque tout le monde" et que "nous sommes imprégnés par l’idée que la seule manière d’être représentés passe par la voie des urnes" 1.

Quelques années avant la révolution française, Montesquieu considérait que : "Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la patrie" 4.

Il suffit de lire l’article 21.3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui prévoit que "la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote". Le mode de choix des gouvernants est devenu un droit fondamental au même titre que le droit à la vie, la liberté de religion et l’interdiction de la torture.

Alors que le tirage au sort était relativement répandu avant la révolution française, Bernard Manin s’étonne quant à "l’absence complète de débat, aux origines du gouvernement représentatif, sur l’emploi du sort dans la désignation des autorités publiques" 5. La bourgeoisie ayant soutenu la révolution française de 1789 ne souhaitait pas envisager le recours au tirage au sort, non pas en raison d’obstacles pratiques liés à l’étendue du territoire français, mais plutôt pour des questions de principe. Selon Bernard Manin, l’une des raisons

Cicéron dénonce Catilina, peint par Cesare Maccari en 1889.

Qu’est-ce qu’une démocratie ? Selon le dictionnaire Larousse, la démocratie est une "forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple". Dans son fameux discours de Gettysburg en 1863, le président américain Abraham Lincoln l’a définie comme étant "le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple".

Le mode de choix des gouvernants est devenu un droit fondamental

L’on distingue habituellement deux formes de démocratie, la démocratie directe et la démocratie représentative. Dans le cadre de la première, chaque citoyen exerce une partie du pouvoir sans intermédiaire, tandis que dans la deuxième, le pouvoir est exercé par des représentants du peuple, élus par les citoyens. Dans le monde actuel, les démocraties sont pratiquement toutes représentatives, voire même des démocraties représentatives électives. Ce modèle a en effet été adopté par tous les pays occidentaux et est celui encouragé par l’Organisation des Nations Unies (ONU) à travers le monde. L’écrivain belge David Van Reybrouck regrette ainsi que "les mots "élection" et "démo-

réside dans le fait qu’au XVIIIème siècle, les théoriciens de l’école du droit naturel considéraient que la nation ne pouvait être gouvernée par le biais de représentants que moyennant le consentement des citoyens 6, l’élection étant l’expression de ce consentement. Le système représentatif électif visait également à sélectionner les "meilleurs" pour régir la nation, plutôt que de s’en remettre au hasard du tirage au sort. Les "meilleurs" n’étaient pas tant ceux ayant des talents ou compétences innées pour représenter le peuple, mais généralement les plus fortunés. Entre 1789 et 1792, il fallait d’ailleurs posséder une propriété foncière et payer un impôt minimum (cens d’éligibilité) pour être éligible en France 7. La bourgeoisie privilégiait ainsi un système lui garantissant le pouvoir, s’assurant que les élus restaient socialement supérieurs à leurs électeurs 8. Selon Yves Sintomer, politologue français, la préférence donnée aux élections plutôt qu’au tirage au sort s’explique également par la progression, au XVIIIème siècle, d’une division du travail entraînant une professionnalisation de la politique. Les citoyens français n’auraient plus, suite à l’abolition de l’esclavage, de temps à consacrer à la politique 9. Dans son discours du 7 septembre 1789, l’abbé Sièyes estime que dans le cadre d’un gouvernement représentatif, qu’il prône au détriment d’une "vraie démocratie", les citoyens "se nomment des Représentants bien plus capables qu’eux-mêmes de connaître l’intérêt général et d’interpréter à cet égard leur propre volonté". Il ajoute que "la très

grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; leur avis est donc de se nommer des représentants" 10. Alors que les révolutionnaires proclament haut et fort la souveraineté de la nation, ils n’ont en réalité aucune confiance dans le peuple. Ils entendent au contraire protéger leurs intérêts propres, par le biais d’un système aristocratique. Nous sommes ainsi bien loin de la démocratie antique qui estime que tout citoyen doit être tour à tour gouvernant et gouverné 11. Pourtant, lorsque les mouvements ouvriers ont voulu faire entendre la voix du peuple quelques décennies plus tard, ils n’ont pas sollicité le remplacement de ce système par une "vraie démocratie", mais se sont battus pour le suffrage universel. Malgré le fait que tout le monde (hormis les mineurs et certains étrangers) a aujourd’hui le droit de se présenter aux élections dans nos démocraties, de nombreuses catégories de la population n’ont toujours pas réellement la possibilité de participer au pouvoir. Ceci est notamment dû aux importants moyens financiers nécessaires pour pouvoir organiser une campagne électorale, excluant ainsi toute personne ne disposant pas de fonds propres ou d’un réseau de soutien. En outre, le monde politique constitue une forme de milieu endogène, avec des codes implicites, rendant l’intégration de personnes extérieures plus difficile.

1. D . VAN REYBROUCK, Contre les élections, Actes Sud, 2014, p. 51. 2. B. MANIN, Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1996, p. 11. 3. Dire de l’Abbé Sieyès, sur la question du veto royal, à la séance du 7 septembre 1789, Paris, Assemblée nationale, p. 15. 4. Ch. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1748, livre II, chapitre 2, p. 22. 5. B. MANIN, op. cit., p. 108-109. 6. B. MANIN, ibidem, p. 113-116. 7. B. MANIN, ibidem, p. 132. 8. B. MANIN, ibidem, p. 133-134. 9. Y. SINTOMER, Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, La découverte, 2011, p. 101. 10. Dire de l’Abbé Sieyès, op. cit., p. 14 - 15. 11. ARISTOTE, Politique, VI, 2, 1317 cité par B. MANIN, op. cit., p. 44. Il y a toutefois lieu de rappeler qu’en Grèce antique, une grande partie des habitants étaient exclus du statut de citoyen, tels que les femmes, les enfants, les étrangers et les métèques. Si la démocratie athénienne permettait donc à tous les citoyens de participer activement à la vie politique, ces derniers ne représentaient que 10 à 20 % de l’ensemble de la population. Voir notamment Y. SINTOMER, Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, La découverte, 2011, p. 50-51 et 133.

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PREMIÈRE REFLEXION

DEUXIÈME REFLEXION Le retour, ne fût-ce que partiel, au tirage au sort est de plus en plus souvent avancé comme une solution à la crise que connaissent nos démocraties. Ceci permettrait une plus grande diversité au sein des gouvernants.

Nos démocraties actuelles étant fondées sur un système initialement condescendant et paternaliste envers la grande majorité des citoyens, il n’est pas étonnant qu’elles finissent par souffrir d’un criant manque de légitimité. A cela s’ajoute également un manque d’efficacité des politiques actuelles à répondre aux grands enjeux de société, tels que le réchauffement climatique, les inégalités grandissantes entre les plus riches et les plus pauvres ou les migrations. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant de voir apparaître des mouvements comme celui des gilets jaunes.

C’est ainsi qu’en 2011, 27 personnalités belges mirent sur pied le G1000 12, un sommet citoyen permettant de discuter de différents enjeux de société. Un panel de 32 citoyens fut ensuite tiré au sort afin d’énoncer des recommandations concrètes suite aux thématiques abordées. Une nouvelle liste électorale "Agora" se présente également aux élections de mai 2019, afin d’instaurer "une forme de démocratie par tirage au sort" au sein de la Région de Bruxelles-Capitale 13.

Bien que les revendications de ces derniers, sujettes à de nombreuses interprétations, ne font pas consensus au sein même du mouvement, il est incontestable que ce mouvement exprime principalement un ras-le-bol général du système politique actuel, qui favorise une certaine élite socio-économique, au détriment de toute une frange de la population exclue de l’exercice du pouvoir.

Le tirage au sort ne fait cependant pas l’unanimité. Seppe De Meulder, membre du Parti du Travail de Belgique (PTB), reproche par exemple au G1000 d’avoir émis des propositions correspondant au cadre dominant néolibéral 14, rejoignant l’idée de Karl Marx, selon lequel "les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes" 15. La démocratie ne peut cependant se contenter de refléter les idées de la majorité. Ceci fait d’ailleurs dire à Albert Camus que "la démocratie ce n’est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité" 16.

Le Klérotèrion est une machine à tirage au sort utilisée dans la démocratie athénienne antique pour choisir les jurés parmi les citoyens athéniens. On y introduisait des jetons portant le nom des personnes à tirer au sort.

12. www.g1000.org/. 13. www.agora.brussels/. 14. S. DE MEULDER, “Contre le tirage au sort”, Revue Lava, avril 2018, https://docs.wixstatic.com/ugd/ 840ed9_db4f7c399c3142468dc063943ded5ab5.pdf; voir également Cl. Sénéchal, “Contre le tirage au sort, réaffirmer la politique”, Mediapart, novembre 2014, https://blogs.mediapart.fr/clement-senechal/blog/ 281114/contre-le-tirage-au-sort-reaffirmer-la-politique. 15. K. MARX et Fr. ENGELS, L’idéologie allemande. 16. A. CAMUS, Carnets III, Gallimard, p. 260.

quel horizon pour la démocratie ?

A deux mois des élections européennes, plusieurs questions émergent spontanément : comment les électeurs européens façonneront le nouveau Parlement européen, qui les représentera au cours des 5 prochaines années ? Seront-ils nombreux à participer au vote ? Ou est-ce l’abstentionnisme qui gagnera cette fois encore ? Et finalement, est-ce que nous pouvons encore considérer les élections comme l’instrument fondamental de la démocratie européenne ?

Or, les citoyens tirés au sort vont-ils savoir prendre en compte les intérêts des minorités qui, par le fruit du hasard, ne seraient pas représentées dans le panel constitué ? Vont-ils également réussir à résister aux pressions importantes des lobbies extérieurs ? Ces questions méritent d’être posées, tout comme celle de la possibilité de mettre en place un système mixte, combinant le tirage au sort à la représentation par la voie des urnes. Il n’ y a pas uniquement lieu de repenser la méthode de sélection des représentants de la société, mais également de permettre une délibération de plus grande qualité. Un dispositif de tirage au sort devrait ainsi s’accompagner d’une éducation citoyenne de haut niveau. Il ne fait aucun doute que le débat quant à la façon dont nos démocraties devraient être changées ou améliorées est éminemment complexe. Il devient cependant urgent de le mener, au risque de voir des clivages de plus en plus importants se créer, entre la classe politique et ceux qui, pour des raisons économiques, culturelles, idéologiques ou d’origine sont ou se sentent exclus du système. En espérant que le débat fasse émerger à terme, un système permettant de refléter les aspirations de la majorité du peuple, tout en garantissant le respect des minorités et des générations futures… Marie Gilliot

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Élections européennes 2019 :

La démocratie ne peut cependant se contenter de refléter les idées de la majorité

Le 26 mai on vote !

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Comment faire évoluer nos démocraties actuelles ?

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La date du 26 mai 2019 sera déterminante pour les citoyens belges et d’autres pays de l’Union européenne (UE), car ceux-ci seront appelés à voter pour les membres du Parlement européen, le seul organe de l’Union élu au suffrage universel direct. Suite au Brexit, le nombre de députés européens passera de 751 à 705 1. Les sièges sont répartis entre les États membres en tenant compte de la taille de la population, et une fois élus, les membres des partis politiques nationaux se regroupent en groupes politiques transnationaux au sein du Parlement européen. Depuis les élections européennes de 2014, chaque groupe politique européen est encouragé à proposer directement un candidat à la présidence de la Commission européenne, permettant ainsi aux citoyens de voter indirectement pour le futur président de la Commission.

Démocratie représentative ou déficit démocratique ? L’élection directe du Parlement européen est l’une des avancées du Traité de Lisbonne de 2007, qui, en tant que dernière étape historique du processus d’intégration européenne, a renforcé les pouvoirs du Parlement dans l’effort de réduire le déficit démocratique de l’Union et de renforcer sa légitimité 2. Cependant, si pour certains "la démocratie représentative repose sur les élections" 3, pour d’autres l’Union n’a pas réussi à combler ce manque de légitimité démocratique. Les causes sont multiples : la nature et les pouvoirs de ses organes, la complexité de

son fonctionnement, le faible taux de participation au vote, le manque de reddition des comptes, l’absence d’un espace public européen… sont autant de facteurs qui poussent certains citoyens européens vers le scepticisme. Une claire compréhension des différents organes de l’Union et de leurs rôles dans la prise de décision semble donc être nécessaire afin de mettre en perspective les accusations portées à l’égard de l’UE.

Comprendre les institutions Le Parlement européen est le seul organe élu directement par les citoyens de l’Union, d’où découle son rôle de représentant de leurs intérêts. Les préoccupations citoyennes sont ainsi défendues lorsque le Parlement exerce son pouvoir de vote sur les législations, l’approbation du budget de l’Union, ainsi que la supervision du travail de la Commission – dont le Parlement en élit le Président 4. Cependant, son pouvoir législatif et budgétaire est partagé de manière égalitaire avec le Conseil de l’Union européenne qui est composé des ministres des États membres de l’UE et représente les intérêts des gouvernements.

Il ne doit pas être confondu avec le Conseil européen, qui regroupe les premiers ministres et présidents des États membres. Le Conseil européen n’a pas de pouvoir décisionnel mais définit les orientations générales de l’Union et les priorités sur lesquelles elle doit se plonger. Dans le processus d’adoption d’actes législatifs, la Commission européenne, enfin, a un rôle fondamental au sein des structures de l’Union. C’est un organe qui représente les intérêts de l’Union dans son ensemble – dont les membres sont désignés par les gouvernements nationaux – et a le pouvoir de proposer les textes législatifs à soumettre au vote du Parlement et du Conseil, ainsi que de veiller à leur application dans les États membres 5.

Une répartition de pouvoirs unique Ce qui émerge est donc un système de gouvernance internationale unique, sui generis, dont la nature de ses organes et leurs caractéristiques se différencient largement de celles des États membres qui la composent. Le premier questionnement par rapport au système démocratique européen

1. P arlement européen, Réduction du nombre de députés après les élections européennes 2019, 2018 www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20180607IPR05241/reduction-du-nombre-de-deputesapres-les-elections-europeennes-2019. 2. Démocratie européenne : avancées et limites, La documentation française, 2011 www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/traite-lisbonne-crise-economique/democratie-europeenne.shtml. 3. Mathis Porchez, Le déficit démocratique de l’union européenne : une critique discutable, Le Taurillon, 2018 www.taurillon.org/le-deficit-democratique-de-l-union-europeenne-une-critique-discutable. 4. Parlement européen, La voix des citoyens dans l’Union européenne, 2017 www.europarl.europa.eu/about-parliament/files/home-page/fr-ep-brochure.pdf. 5. Union européenne, Institutions et autres organes de l'UE, https://europa.eu/european-union/about-eu/institutions-bodies_fr.

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DEUXIÈME REFLEXION © Cettefoisjevote.eu

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dépend ainsi du fait que la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et juridique, qui est le fondement des régimes démocratiques, n’est pas totalement assurée dans l’Union 6. Celle-ci est ainsi accusée d’ingérence de l’exécutif dans le législatif, le Conseil "étant à la fois l’élément principal du "législateur communautaire", mais aussi un élément essentiel de l’exécutif" 7. Le pouvoir exécutif est fragmenté entre la Commission, le Conseil et les gouvernements nationaux, tandis que la Commission, de son côté, possède à la fois des fonctions exécutives, législatives et judiciaires 8. De plus, le Parlement européen, à la différence du parlement belge par exemple, n’a pas de pouvoir d’initiative législative. Il ne peut donc proposer de son propre chef des lois qui émergeraient directement des parlementaires élus. Cette compétence est confiée aux techniciens de la Commission, l’expertise étant l’élément qui permettrait de surmonter les divergences partisanes et nationales 9.

Peut-on parler de peuple européen ? Aux critiques sur la répartition des pouvoirs au sein de l’UE s’ajoutent celles sur l’absence de légitimité démocratique face aux citoyens européens. La complexité du fonctionnement de l’Union est perçue comme inaccessible par les citoyens. Cette distance entre citoyens et institutions européennes génère un manque d’intérêt à l’égard des affaires européennes, qui se traduit par un très faible taux de participation aux élections 10. Depuis les premières élec-

tions de 1979, le nombre d’européens participant au vote n’a fait que décroître. En 2014 seulement 4 personnes sur 10 ont voté aux élections européennes (soit 42.54% de la population européenne 11). Cette faible participation mine ainsi la légitimité du Parlement, qui en même temps est critiqué pour son absence de reddition des comptes (elle-même due au manque de lien direct entre les députés et leurs électeurs). D’un côté les citoyens votent pour des partis nationaux sur la base de thèmes et de revendications nationales. De l’autre, les décisions au sein de l’Union sont prises par des groupes politiques européens transnationaux qui regroupent des partis nationaux idéologiquement proches 12. Néanmoins, la cause du déficit démocratique de l’UE qui semble trouver le plus de consensus parmi les experts semble être l’absence d’un espace public européen. La question est donc posée : peut-on avoir une démocratie européenne sans un peuple européen qui partage un sentiment d’appartenance à l’Union et sans "débats proprement européens" 13 ? Plutôt qu’un véritable lien entre les institutions européennes et la société civile, ce sont toujours des discours nationaux sur l’Europe qui prédominent.

Restaurer la confiance des européens, un défi de taille Avec l’évolution des traités européens, beaucoup d’attention a été portée sur l’importance d’accroître la légitimité démocratique de l’Union. Au-delà de l’élection au suffrage universel des

membres du Parlement européen, le Traité de Lisbonne a introduit les fondements démocratiques de l’Union : le principe d'égalité démocratique, de démocratie représentative et de démocratie participative 14. Le principe d’égalité des citoyens trouve une importante concrétisation dans l’établissement du Médiateur européen pour les plaintes individuelles 15. La démocratie représentative se fonde sur la représentation directe des citoyens au Parlement, tandis que le principe de démocratie participative trouve sa réalisation dans l’introduction d’instruments tels que l’initiative citoyenne européenne et le droit à la pétition. Alors que le droit de pétition et le médiateur européen étaient déjà prévus par le Traité de Maastricht de 1992, l’initiative citoyenne européenne a été introduite avec le Traité de Lisbonne, permettant à un million de citoyens originaires de différents États membres de présenter à la Commission de nouvelles propositions législatives 16. D’importantes réformes institutionnelles ont ainsi été introduites par le Traité de Lisbonne, dont l’apparition du nouveau système du "Spitzenkandidaten" initié en 2014 17. Il s’agit pour les groupes politiques de pouvoir désigner les candidats à la tête de la Commission (le nouveau Jean-Claude Juncker, pour mieux s’entendre). Cela permettrait ainsi de renforcer non seulement le contrôle du Parlement sur la Commission mais aussi de renforcer la transparence de cette nomination à l’égard des citoyens européens. De nombreux pas ont été faits en direction d’une meilleure légitimité démocratique européenne, qui semble toutefois encore à conquérir. L’on comprend alors mieux les efforts entrepris par le Parlement européen dans le lancement d’une campagne électorale qui vise à mobiliser les citoyens européens au niveau local 18. Des rencontres d’information sont organisées dans tous les États Membres afin d’activer des volontaires sur place pour sensibiliser leurs proches à l’importance du vote et susciter le rapprochement des institutions et des citoyens. Reste à voir si cette campagne sera suffisante pour faire émerger un véritable sentiment collectif et citoyen européen, et sous quelle forme.

À nous donc de saisir ces opportunités pour façonner l’Europe de demain à notre image. Au-delà du positionnement individuel et de l’idée qu’on puisse avoir de l’Union européenne, ces élections donneront la parole aux citoyens. Ceux-ci auront la responsabilité du choix, entre demeurer spectateur amer face aux évolutions politiques, ou agir et se positionner pour un avenir commun. Veronica Lari

6. Démocratie européenne : avancées et limites, La documentation française, 2011 www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/ traite-lisbonne-crise-economique/ democratie-europeenne.shtml. 7. Le système institutionnel européen au regard de la séparation des pouvoirs : spécificité et évolution du processus de décision communautaire, Forum-scpo.com - www.forum-scpo.com/union-europeenne/ systeme-institutionnel-separationpouvoirs-processus-decision-europeen.htm. 8. Ibid. 9. Nilsa Rojas-Hutinel, Peut-on parler de concentration du pouvoir dans l’Union européenne ?, 2017 https://hal.archives-ouvertes.fr/ hal-01479460/document. 10. Maxime Parodi, L’Union européenne : une démocratie de démocraties, 2018, Economie européenne 2018, www.cairn.info/l-economie-europeenne2018--9782707198778-page-69.htm. 11. European Parliament, Post-election survey 2014. European elections, https://www.europarl.europa.eu/pdf/ eurobarometre/2014/post/post_ee2014_ sociodemographic_annex_en.pdf?fbclid=IwAR3e1mMl0orzxSo9vHjGAoFAYIAWS3ZK7tGcQWzDo3iTL91-smJ2p9Ot3vA. 12. Dieter Grimm et al., Démocratie européenne : les raisons de la défiance, Esprit, 2015, http://bnf.libguides.com/ld.php? content_id=31536059. 13. Ibid. 14. Le prétendu déficit démocratique de l'UE, Europedia www.europedia.moussis.eu/books/ Book_2/4/09/05/index.tkl?lang=fr. 15. Le médiateur européen pour les plaintes individuelles ou ombudsman enquête sur les plaintes pour mauvaise administration déposées contre les organes de l’UE. Tout citoyen ou résident de l’Union, ainsi que les associations ou entreprises établies dans l’UE peuvent introduire une plainte auprès de l’ombudsman. Pour en savoir plus : https://europa.eu/european-union/about-eu/ institutions-bodies/european-ombudsman_fr. 16. Qu'est-ce que le droit de pétition au Parlement européen ?, Toute l’Europe, 2017 www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ceque-le-droit-de-petition-au-parlementeuropeen.html. 17. Yves Bertoncini, Les crises démocratiques dans l’Union européenne : vers de "nouvelles frontières", 2017, http://institutdelors.eu/wp-content/ uploads/2018/01/LescrisesdemocratiquesdanslUE-Bertoncini-oct17.pdf. 18. Campagne du Parlement européen “cette fois je vote” - https://www.cettefoisjevote.eu.

Intervention libre Je suis Je suis demandeur d’infini devant une offre dérisoire. Je suis postulant d’absolu devant un guichet ridicule. Je suis assoiffé de sublime devant une coupe grotesque et j’ai beau remuer le ciel, n’y a que terre qui bouge. Vous qui Vous qui semblez vous-même, vérifiez bien si on ne vous fait pas marcher à votre opposé, vérifiez même si vous n’êtes pas déjà un autre aux ordres du marché. Il se murmure Il se murmure des choses criantes, que ce temps bête serait sur sa pente. Je ne sais si notre angoisse voit clair mais point de salut sans l’art et l’éclair. Il se crie des choses indicibles, que ce monde aurait une fin terrible. Je ne sais si notre angoisse voit juste mais point de salut sans le feu des justes. Il se dit des choses assez idiotes, que ce siècle buterait Don Quichotte. Je ne sais si notre angoisse voit bien mais point de salut sans l’or de Titien. Poèmes extraits de Petites éruptions d’Alphonse Royen

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TROISIÈME REFLEXION

Élections en RD Congo :

démocratie de façade ou transition historique ? Après plus de deux années de report et un processus électoral chaotique, les Congolais ont finalement été appelés aux urnes le 30 décembre 2018 pour élire leur nouveau Président de la République et leurs députés. Retour sur des élections qui interrogent notre conception de la démocratie et sur les défis titanesques qui attendent les nouveaux responsables politiques de la RD Congo.

© Giampaolo Musumeci

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Retour sur des élections contestées Si le jour du vote s’est déroulé sans heurts majeurs, l’annonce des résultats par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a suscité quelques remous. Le 10 janvier, soit 11 jours après le scrutin, la CENI, a finalement annoncé les résultats tant attendus : Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat de la majorité a, selon cette dernière, obtenu 23,81% des voix ; Martin Fayulu, grand favori de l’opposition, a remporté 34,83% des voix, et Félix Tshisekedi a pour sa part récolté 38,57% des votes, faisant de lui le nouveau Président de la République. Mais l‘annonce des résultats électoraux n’a pas tardé à soulever de vives contestations. Par la CENCO (Conférence Épiscopale Nationale du Congo) tout d’abord, qui avait déployé la plus vaste mission d’observation électorale du pays : 40 000 observateurs de court terme, 1000 observateurs de long terme et près de 400 agents en charge de la centralisation des informations récoltées. Les évêques se sont fortement impliqués

tout au long du processus électoral et leur rôle a été souligné et salué à de nombreuses reprises par les membres de la communauté internationale. À l’annonce des résultats, la CENCO, a décrété que ces derniers n’étaient pas conformes à ceux récoltés lors de sa mission d’observation électorale. Martin Fayulu, le candidat malheureux, a quant à lui introduit un recours auprès de la Cour Constitutionnelle pour contester les résultats annoncés. Bien que son appel ait été rejeté, l’ex-candidat continue de protester et poursuit aujourd’hui encore son action en dépit de l’entrée en fonction du nouveau Président. Il a par exemple déposé un recours auprès de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et vient de proposer la réorganisation de nouvelles élections dans un délai de 6 mois. La communauté internationale, investie dans le processus électoral depuis plusieurs années, a suivi de près le scrutin. Durant un moment de flottement entre le jour des élections et la proclamation officielle des résultats, la communauté internationale, et notamment l’Union européenne et l’Union africaine, ont insisté sur la nécessité de proclamer des résultats fidèles au choix des citoyens congolais. Elle a ainsi suivi la CENCO qui avait exigé le recomptage des voix et l’affichage des PV dans chaque bureau de vote du pays, telle que l’exige la loi électorale nationale. Cependant, la pression internationale s’est rapidement relâchée. Le nouveau Président F. Tshisekedi a ainsi prêté serment le 24 janvier dernier. Depuis lors, la situation patine, le Président n’ayant toujours pas nommé de Premier Ministre pour constituer son gouvernement, ni de facilitateur pour aider à la mise en place de ce dernier.

Si les élections présidentielles ont fait grand bruit, les Congolais ont également élu leurs députés nationaux en décembre dernier. Or pour ce scrutin, c’est l’ancienne majorité de J. Kabila qui a remporté une grande majorité des sièges. Cette configuration laisse présager des difficultés pour le nouveau Président qui ne dispose pas de la majorité au Parlement et qui aura donc du mal à faire voter ses réformes. La désignation d’un facilitateur devrait permettre de concilier les divergences pour constituer un gouvernement équilibré entre les partisans de l’UDPS 1 (parti du Président Tshisekedi) et les députés affiliés à l’ancienne majorité présidentielle (par le biais de la plateforme FCC 2). Les résultats des élections législatives n’ont pas suscité beaucoup de commentaires de la part des observateurs internationaux, alors qu’ils soulèvent pourtant tout autant de questions. Il est interpellant de constater que les électeurs auraient choisi un candidat issu de la coalition de l’opposition conduite par F. Tshisekedi "CACH" pour la présidence, mais qu’ils se seraient prononcés en faveur de l’ex-majorité présidentielle pour la députation. Cette configuration politique est inédite en RD Congo. La situation a déjà fait couler beaucoup d’encre et les supputations vont bon train quant à la réelle marge de manœuvre du nouveau Président.

La démocratie : une géométrie variable ? Outre ces considérations de la scène politique congolaise, ces élections, tant scrutées depuis l’étranger, suscitent la curiosité et peuvent interroger notre conception de la démocratie.

Le discours– vivement critiqué- du Ministre des Affaires Étrangères français, Jean-Yves le Drian, qui a qualifié le résultat des élections "de compromis à l’africaine", est à cet égard révélateur. Si le fonctionnement de nos systèmes de représentation sont critiqués et régulièrement remis en question par la population européenne, les conditions dans lesquelles se sont organisées et déroulées les élections congolaises ont été quant à elles virulemment dénoncées par de nombreux observateurs. Le principe de souveraineté de l’État et celui de non-ingérence étrangère qui en découle doivent être respectés, toutefois de nombreuses questions sont soulevées par ces élections. Alors que d’aucuns parlent de "transition historique", de "passation pacifique du pouvoir", "d’alternance démocratique", d’autres, à l’instar de Mgr Laurent Monsengwo, ancien archevêque de Kinshasa et connu pour son fort engagement, sont plus critiques : "La pantomime à laquelle nous avons assisté, n’a rien d’une transition démocratique, de passation pacifique ou d’alternance historique. Bien au contraire, elle passe outre les principes démocratiques et fait manquer au peuple un véritable rendez-vous avec son histoire. En réalité, le président Kabila a cédé son siège tout en conservant le pouvoir dans l’espoir de le récupérer après cinq ans ; obtenant pour cela, le vibrant satisfecit de multinationales et d’autres prédateurs des richesses du pays". On a, en effet, observé de nombreux manquements tout au long du processus électoral qui entachent la crédibilité des élections. Finalement, les résultats proclamés n’apparaissent-ils pas comme une sorte de compromis conciliant de manière acceptable les attentes de la population et la préservation des intérêts d’une frange des élites dirigeantes ? Le cas échéant, est-il acceptable de privilégier la paix sociale au détriment de la vérité des urnes ? Si la paix n’a pas de prix dans un pays qui a déjà été dévasté de trop nombreuses fois par des conflits meurtriers, est-il toutefois acceptable qu’un peuple qui a exprimé son désir de changement soit réprimé, brutalisé, et que ses revendications soient finalement ignorées ? Qu’en est-il dès lors de la souveraineté du peuple ? Si les résultats proclamés, ne correspondent effectivement pas à

la réalité des urnes, quel message cela envoie-t-il à la population congolaise qui s’était massivement mobilisée pour ces élections ? Comment, dans cette jeune démocratie, les populations continueront de croire aux élections si leurs choix n’ont pas été respectés et qu’elles se sont senties dupées. Les gens voudront-ils retourner voter pour les grands rendez-vous électoraux à venir de cette année encore si on n’écoute pas leur voix ? La démocratie, bien qu’elle puisse être critiquée et sujette à amélioration dans de nombreux pays à travers le monde, reste un moyen d’assurer la stabilité et la paix des États. Comme le souligne Serge Sur 3 : "au fond, la conception minimale de la démocratie, c’est qu’elle constitue une procédure de règlement pacifique des différends : sans elle il n’est d’autre solution que la violence civile et politique. Les élections sont une procédure d’arbitrage entre groupes et thèses opposés, suivant une règle commune – le gouvernement de la majorité dans le respect des droits de la minorité – que tous acceptent. Indépendamment de toute préférence de caractère idéologique, la supériorité des régimes démocratiques réside dans leur capacité à assurer l’évolution tranquille des sociétés et la solution pacifique des tensions internes. C’est ce que résumait Tocqueville par une de ses formules pénétrantes : "L’élection est une révolution institutionnalisée"" 4. Le système démocratique permet donc, dans ses principes, une gestion apaisée de la société. Toutefois, les questions d’élections, de multipartisme ou d’alternance, attenantes à la démocratie, bien qu’elles soient des conditions nécessaires à son exercice, ne peuvent être suffisantes pour l’établissement d’un système démocratique réel. Il faut donc dépasser ce que certains illustrent par le concept de "démocratie de façade" 5. Le contexte pré-électoral et les violences politiques et civiles qu’on a pu observer à de multiples endroits en RD Congo, peuvent nous interroger sur l’ancrage de la pratique et la consolidation du fonctionnement démocratique dans le pays. Toutefois, comme cela a été

soulevé à de nombreuses reprises 6 par les évêques congolais, la population a fait preuve quant à elle d’une grande maturité politique, en se mobilisant pacifiquement tout d’abord en faveur de la tenue des élections et pour le respect des délais impartis, en se rendant ensuite aux urnes, et enfin, dans les comportements post-scrutin et face à l’annonce des résultats. Le chemin de la consolidation démocratique est long et périlleux mais le travail doit se poursuivre. De nombreux acteurs de terrain sont mobilisés sur ces questions et doivent être soutenus.

Et maintenant ? Si ces élections ont effectivement fait l’objet de manipulations électorales, qu’à cela ne tienne, la population congolaise semble, dans sa majorité aujourd’hui, avoir accepté les résultats proclamés par la CENI. La population voulait un changement, et c’est aujourd’hui F. Tshisekedi qui l’incarne. Si les autres pays doivent à présent accepter et respecter ce choix, on peut toutefois s’interroger sur les possibles effets néfastes à court et moyen termes de ces élections contestées. Un avenir meilleur peut-il se construire sur ce que certains interprètent comme une supercherie ? Gardons également à l’esprit que la proclamation de résultats non consensuels, porte potentiellement en elle le germe de futurs conflits très préjudiciables pour la population et le développement démocratique de la RD Congo. Si la proclamation du nouveau Président semble également avoir été acceptée auprès de ses pairs (F. Tshisekedi a été nommé Vice-Président de l’Union Africaine), il repose sur les épaules de ce dernier une lourde responsabilité. Après des décennies d’inertie, de mauvaise gouvernance et de corruption, le pays est aujourd’hui très affaibli et économiquement exsangue. La RD Congo compte par exemple parmi les quelques États considérés comme fragiles de ce monde. Un État en situation de fragilité est un État qui n’assume

1. Union pour la démocratie et le progrès social. 2. Front commun pour le Congo. 3. Serge Sur est un universitaire et analyste reconnu en droit et relations internationales. 4. https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/0502-SUR-FR-2.pdf 5. Voir notamment : Patrick Quantin, Céline Thiriot, Jean-François Médart… 6. Voir notamment : Communiqué de Janvier 2019, Communiqué de Mars 2019.

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TROISIÈME REFLEXION plus ses fonctions essentielles, ne maîtrise plus l’entièreté de son territoire et ne parvient donc pas à assurer la sécurité de sa population. La RD Congo, bien que très riche en ressources naturelles, stagne malheureusement toujours dans les dernières positions du classement de l’indicateur de développement humain (IDH). Le manque d’État s’observe à tous les échelons et sur presque tout le territoire. Le pays pâtit d’un manque criant d’infrastructures et n’est pas en capacité de fournir à sa population les services publics de base. La corruption y est endémique et empêche le développement et la structuration d’une économie stable, forte et durable. En conséquence, le taux de chômage y est très élevé, l’économie informelle se développe et la pauvreté endémique n’arrive pas à être endiguée. De nombreuses poches d’insécurité s’enlisent à travers le pays (Kivu, Ituri, Kasaï) et des groupes armés y pullulent par dizaines. Cette insécurité grandissante contraint des milliers de personnes à fuir leur habitation. Les violations des droits humains et le non-respect de l’État de droit prévalent sur l’ensemble du pays et menacent la stabilité de la région tout entière. Le système judiciaire enfin, ne permet pas non plus de lutter contre l’impunité, et ce même pour les crimes les plus graves. On le voit, le tableau est bien sombre et les défis à relever demeurent considérables. On comprend donc pourquoi les citoyens congolais attendent beaucoup de cette élection, qu’ils espèrent porteuse d’un souffle nouveau pour le pays. Les partenaires de la RD Congo, dont la Belgique et l’Union Européenne, doivent à présent s’interroger sur le rôle qu’ils pourront jouer dans cette nouvelle équation, pour soutenir au mieux les aspirations de la population congolaise. Une nouvelle page s’ouvre en RD Congo : celle du changement qui, on l’espère, rencontrera les attentes du peuple qui aspire à un mieux vivre et à la paix. Clara Debeve

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PORTRAIT

Elections 2019 :

faut-il exprimer son choix ?

BRÈVES

Devoir citoyen ou formalité administrative ? De nombreux citoyens belges se demandent encore si cela vaut la peine d’exprimer leur choix lors des élections fédérales et européennes qui auront lieu ce 26 mai. Nadine, Belgo-béninoise de 33 ans, nous explique pourquoi, selon elle, c’est un rendez-vous démocratique à ne pas manquer.

Avez-vous voté lors des dernières élections fédérales/européennes ? Non. Je n’ai pas voté lors des dernières élections fédérales ni européennes parce que je n’avais pas vraiment conscience de la valeur et de l’importance de ces élections.

Allez-vous voter lors des prochaines élections le 26 mai ? Si oui, qu’est-ce qui vous motive plus particulièrement ? Oui, et désormais, je voterai certainement. Je me suis rendu compte que les eurodéputé.e.s nous représentent réellement et prennent, une fois élu.e.s, des décisions qui nous concernent tous et toutes, aussi bien au niveau européen qu’international. Auparavant, ce vote me semblait lointain et une formalité de trop.

Que représente le vote pour vous ? Voter, pour moi, est une manière de choisir parmi les candidats celles et ceux dont le programme politique m’inspire confiance et rencontre mes aspirations profondes.

Qu’attendez-vous des futurs élu.e.s ? D’eux, j’attends d’abord qu’ils appliquent vraiment, à la lettre, les programmes pour lesquels nous les avons choisis. J’attends ensuite une implication pour l’amélioration de la qualité de la vie quotidienne de tous les citoyen.ne.s européen.ne.s. J’espère aussi qu’ils agiront pour le développement des pays du Sud, ainsi que de l’avenir de la planète.

SOIRÉE-DÉBAT : POUR UNE MIGRATION SOLIDAIRE !

Vous exprimez-vous autrement que par le vote ? Existe-t-il une autre forme de démocratie selon vous ? Oui, personnellement je suis membre des Jeunes Européens fédéralistes (JEF), une organisation de jeunes active dans la plupart des pays européens et qui vise à promouvoir l'intégration et la coopération européennes par le renforcement et la démocratisation de l'Union européenne. Je suis aussi membre de "Cette fois je vote", une campagne qui a pour but de convaincre les citoyen.ne.s européen. ne.s de manifester leur choix. Enfin, je participe très souvent à des manifestations publiques sur l’immigration, la protection de la planète, etc. Pour moi, cela est également un moyen d’expression démocratique.

Que conseilleriez-vous aux autres Européen.ne.s encore indécis ? Les citoyen.ne.s européen.ne.s doivent comprendre qu’ils peuvent, en se prononçant pour l’un.e ou l’autre des candidat.e.s qui porte nos revendications et visions, soutenir les causes auxquelles ils/elles croient, et pour lesquelles ils/elles ont l’habitude de manifester. Le vote de chacun compte ! Il faut le faire parce que les député.e.s nous représentent, qu’on le veuille ou non, et prennent des décisions en notre nom. Au lieu de râler par la suite, c’est à nous de choisir les personnes qui incarnent notre philosophie !

Suite au Forum citoyen qui a eu lieu en novembre dernier, Justice et Paix et Magma ont organisé le 21 février, soit près de trois mois avant les élections fédérales et régionales, un débat avec les représentant.e.s des principaux partis politiques francophones. Les citoyen. ne.s ont ainsi eu l’occasion d’interpeller leurs futurs élus politiques sur le thème de la migration.

DES DROITS POUR LES PEUPLES, DES RÈGLES POUR LES MULTINATIONALES Alors que les multinationales ont accès à une justice parallèle - des tribunaux d’arbitrage, appelés ISDS beaucoup de victimes de violation des droits humains par les multinationales restent sans voie de recours ni réparation. Afin de rééquilibrer la balance, une large coalition d’organisations de 16 pays de l’Union européenne, dont fait partie Justice et Paix, ont lancé le 22 janvier une pétition pour demander à l’Union européenne et aux gouvernements de mettre fin aux privilèges des multinationales et de les rendre juridiquement responsables de leurs actes. A l’heure où nous bouclons la rédaction de ce numéro, nous étions près de 550.000 personnes à l’avoir signée ! Rejoignez-nous en signant la pétition ! https://stopisds.org/fr/

PISTES D’ACTION Alternatives en Amérique latine Justice et Paix et son groupe de volontaires Amérique latine vous proposent des récits interactifs d’acteurs et actrices latino-américain.es porteur.euses de discours et de projets alternatifs. De multiples projets s’inscrivent dans un modèle de développement différent et valent la peine d’être rendus visibles pour s’en inspirer. Découvrez le Mexique, le Honduras ou le Pérou à travers leurs acteurs de changements !

Engagement citoyen et consommation responsable Vous êtes nombreux.ses à vouloir vous engager pour plus de justice sociale et de solidarité internationale. Bonne nouvelle, les actions ne manquent pas ! Découvrez ce que vous pouvez faire en tant que citoyen.ne et consommateur.rice. Rendez-vous sur www.justicepaix.be/ Pistes-d-action ou contactez-nous info@justicepaix.be


FORMATIONS Comme chaque année, Justice et Paix vous propose plusieurs formations sur ses principaux thèmes d’expertise en lien avec les conflits tels que l’exploitation des ressources naturelles, les enjeux géopolitiques des conflits internationaux, les migrations, le travail de mémoire post-conflit, etc. Les prochaines dates : COMPRENDRE LES CONFLITS INTERNATIONAUX

MIGRATIONS ET CONFLITS

❚ Samedi 27 avril 2019 ❚ Vendredi 7 juin 2019

❚ Lundi 8 avril 2019 ❚ Vendredi 10 mai 2019

Les conflits internationaux sont complexes et, dans le flot d’informations actuel, il est parfois difficile d’en mener une analyse "objective". Cette formation vise à transmettre des clés de lecture pour décrypter les conflits et confronter différents points de vue à leur égard.

Pourquoi migre-t-on ? Où vont les personnes qui quittent leur village, leur maison ? Quelles sont leurs routes ? Ces questions seront le point de départ d’une formation de Caritas International et Justice et Paix visant à se saisir de la complexité du phénomène migratoire.

Prix : 12 euros - Informations et inscriptions sur www.justicepaix.be/formations - ou au 02/896 95 00.

ABONNEMENT DE SOUTIEN AU “POUR PARLER DE PAIX” DE JUSTICE ET PAIX À PARTIR DE 15 € À VERSER SUR LE COMPTE BE30 0682 3529 1311

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Soutien financier : à partir de 40 €, déductible fiscalement À verser au compte BE30 0682 3529 1311 avec la mention “DON”. Pour tout renseignement à propos d’un don ou d’un legs, merci de bien vouloir prendre contact : Tél. +32 (0)2 896 95 00 - miguel.arrimadas@justicepaix.be

CONTACTS Arnaud Gorgemans, président

N’hésitez pas à nous contacter !

Timur Uluç, secrétaire général Hannane Ahedar, Miguel Arrimadas, Patrick Balemba, Chantal Bion, Clara Debeve, Géraldine Duquenne, Pauline Laigneaux, Agathe Smyth, Valéry Witsel, permanents

Commission Justice et Paix francophone de Belgique, asbl Chaussée Saint-Pierre, 208 B- 1040 Etterbeek - Belgique

Volontaires ayant collaboré à ce numéro : Aicha Achbouk, Laetitia Belsack, Yvonne Clément, Esi Darko, Marie Gilliot, Veronica Lari, Elena Giorgiana Lupu, Sylvain Lauwers

Tél. +32 (0)2 896 95 00 E-mail : info@justicepaix.be facebook.com/justicepaix Twitter : @Justice_et_Paix

Design : www.acg-bxl.be Dessin : wwww.sylvainlauwers.be

Publié avec le soutien de la Direction Générale de la Coopération au Développement et Aide Humanitaire et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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