Le Réemploi in situ : Un processus de conception expérimentale Etude du Projet de la Caserne de Reuilly
Quel rôle joue le réemploi dans le processus de conception architecturale ?
Maître d’ouvrage : Paris Habitat ; Maître d’oeuvre : Lin architecte/Anyoji Beltrando /NP2F/Mir architecte/ C-H. Tachon/Lacroix Chessex/H2O ; AMO Réemploi : Rotor d
Julien PERRET ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE CLERMONT-FERRAND DOMAINE D’ÉTUDES ECO CONCEPTION DES TERRITOIRES ET ESPACES HABITÉS 2019-2020
2 - Remerciements
Remerciements
Je souhaite adresser mes remerciements aux personnes qui m’ont accompagné dans la réalisation de ce mémoire. Tout d’abord, je tiens à remercier Victor Meesters, qui m’a accueilli durant deux journées à l’agence de Rotor à Paris. Élodie Capelle ainsi que Bryan Tierpied qui m’ont accordé du temps pour des entretiens ainsi qu’une visite de chantier. Camille Salomon qui m’a accueilli pour un entretien à la maison du projet sur le site de la Caserne de Reuilly. Je souhaite aussi remercier Tomoko Anyoji de l’agence Anyoji Beltrando architecte, Nicholas Diddi de l’agence NP2F, Nicolas Gaudart de l’agence MIR ainsi que Camille Cochet de l’Agence Lacroix Chessex, qui m’ont accordé du temps pour des entretiens. Je souhaite remercier, Mme Amélie Flamand, Mr Rémi Laporte et Mme Bénédicte Chaljub pour l’encadrement et leur aide à la réalisation de ce mémoire. Pour finir, je remercie Isabelle Perret ainsi que Adélaïde Perret qui m’ont aidé pour la relecture de ce mémoire.
3
SOMMAIRE
Remerciements
3
Sommaire
5
Avant-Propos
9
Introduction
13
I/ Une mutation des pratiques de l’architecte par la coconception
25
1. L’architecte n’est plus seul concepteur A/ Nouveau schéma des acteurs B/ Le rôle de l’AMO Réemploi C/ Les filières extérieures
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2. Un nouveau phasage du chantier A/ Evaluation du potentiel des matériaux B/ Un processus encore très fragmenté C/ La Maison du projet
36
3. La particularité du réemploi in situ A/ La déconstruction B/ Une solution plus complexe à mettre en oeuvre C/ Vecteur d’emploi
52
26 29 34 38 42 46 52 56 59
II/ Les matériaux comme approche de conception 1. Des ressources à révéler A/ Le potentiel narratif B/ Expérimenter pour retrouver du lien C/ Les perspectives de projet
6 - Sommaire
65 68 68 72 76
2. Le potentiel des matériaux in situ A/ Des matériaux réversibles B/ L’entropie des matériaux 3/ Une pratique qui doit passer par la consensus A/ Les moyens de financements B/ Adapter le projet aux aléas des matériaux C/ Un cadre normatif encore très stricte
80 80 83
87 87 90 94
4/ Quel est l’impact de ces matériaux A/ Une pratique encore marginale B/ Une économie de matière et de moyens
100
Conclusion
109
Bibliographie
115
Iconographie
120
Annexes
123
100 103
7
8
Avant-Propos
Nous traversons actuellement une période de crise écologique. Par conséquent, nous devons modifier nos manières de vivre et entrer dans une démarche plus durable. Le secteur du bâtiment figure parmi les plus grands contributeurs d’émissions de gaz à effet de serre ce qui demande de réfléchir à une manière de construire qui soit plus respectueuse de l’environnement. Dans la continuité de mon rapport d’étude de troisième année sur la question du logement passif, je souhaitais étudier un sujet en lien avec les problématiques relatives au « low-tech » ainsi qu’à une architecture plus consciencieuse, d’un point de vue environnemental, mais aussi social. Lors d’un voyage à Venise effectué pendant de la biennale de 2018, j’ai pu rencontrer l’agence Encore Heureux qui exposait au pavillon français dans le cadre de l’exposition « Lieux infinis ». J’ai été très sensible à leur travail, aussi bien pour les expérimentations effectuées, mais aussi pour la thématique du réemploi abordée. Je me suis alors renseigné sur la signification du terme de « réemploi » afin de m’informer sur la teneur de cette pratique ainsi que les projets qui avaient déjà vu le jour avec ce type de matériaux. Il en est ressorti que ce sujet commence à être largement documenté, en témoignent, notamment, l’ouvrage Matière Grise rédigée par Nicola Delon et Julien Choppin ainsi que l’exposition au pavillon de l’Arsenal à Paris qui met en lumière différents projets réalisés à partir de matériaux de réemploi. Ce sujet a également fait l’objet de mémoires et de thèses traitant de l’aspect général du réemploi. Par la suite, je me suis renseigné plus précisément sur cette pratique notamment en m’intéressant au travail de Bellastock, collectif français qui questionne l’usage de matériaux de réemploi dans la construction, ou encore de l’agence Rotor, agence belge et précurseure, en Europe, dans la thématique du réemploi et de la déconstruction. Mes recherches m’ont permis d’acquérir des connaissances portant sur le sujet du réemploi, mais aussi de m’en détacher en m’intéressant aux problématiques connexes. À titre d’exemple, des projets de réemploi de déblais de chantier invitent à se poser des questions sur le métabolisme urbain et la mine urbaine, mais aussi sur la manière dont les bâtiments d’aujourd’hui peuvent devenir une ressource pour la construction de demain.
10 - Avant-Propos
Dans ce contexte, j’ai finalement choisi d’étudier la thématique, du réemploi in situ qui est une des manières de réemployer des matériaux de construction. La particularité du réemploi in situ est le fait que les matériaux proviennent directement du site. Ce sont donc des matériaux disponibles sur le site qui vont faire l’objet d’un réemploi par le maître d’œuvre et être ainsi intégrés au nouveau projet, permettant, entre autres, une économie de matière importante. Je me suis donc concentré sur une étude de cas précise, celle de la Caserne de Reuilly située dans le 12e arrondissement de Paris où le réemploi in situ prenait une part importante du projet commandé par le maître d’ouvrage Paris-habitat avec un potentiel de matériaux réemployables conséquent.
Avant-Propos - 11
INTRODUCTION
1 . Collectif Bellastock. 2018, Repar 2 : Le réemploi passerelle entre l’architecture et l’industrie p8, pour l’ADEME
En France le secteur du bâtiment est l’un des plus gros contributeurs du réchauffement climatique avec 120 millions de tonnes de CO2 émises par an soit environ 24 % des émissions nationales. La loi relative à la transition écologique pour la croissance verte (LTECV) adoptée en juillet 2015 a pour objectif de contribuer à limiter le gaspillage et à favoriser l’économie circulaire. L’objectif fixé par cette loi est de valoriser 70 % des déchets du bâtiment et des travaux publics à l’horizon 20, sachant que, actuellement, entre 40 et 50 % des déchets sont valorisés.1
- Le réemploi, une activité vernaculaire 2 . Citation de Jean-Marc Huygen. 2008, La poubelle et l’architecte vers le réemploi des matériaux, publié par Actes Sud Beaux Arts L’impensé.
« Depuis la fin du XIXe siècle avec l’apparition des nouveaux matériaux, avec les conceptions hygiénistes de la ville et surtout un capitalisme de plus en plus consumériste, nous avons vécu siècle où les vieilleries n’avaient plus la cote et constituaient un frein à la croissance. À la fin du XXe siècle, le réemploi n’était plus synonyme que de pauvreté. »2
Le réemploi est une notion qui a toujours existé. En effet, à l’époque, les briques et les pierres qui étaient proches du site sur lequel était construit un bâtiment étaient réemployées dans le cadre de sa construction, permettant ainsi la récupération des matériaux dans le cadre du projet. De nombreux bâtiments voués à disparaître ont ainsi été détruits afin de permettre la construction de nouveaux en appliquant cette technique du réemploi des matériaux, comme, par exemple, les vieux temples dont les colonnes étaient récupérées pour créer de nouveaux édifices. Puis, au cours des XIXème et XXème siècles, le réemploi a perdu en popularité, remplacé petit à petit par le consumérisme inhérent à l’ère industrielle ayant vu apparaître de nouveaux matériaux. En raison du développement de l’industrialisation dans le secteur du bâtiment, les matériaux qui étaient auparavant réemployés sont désormais perçus comme des freins à la croissance, devenant ainsi synonymes de pauvreté ou de bidonville.
3 . Ibid
14 - Introduction
C’est à partir de 1987, suite au rapport de Brundtland qu’est défini le concept de soutenabilité,3 ce principe "repose sur la logique du consommer autrement : économiser les ressources, produire moins de déchets" et que la question d’économie de la matière est soulevée, car les ressources que nous avons ne sont pas inépuisables.
Depuis cette prise de conscience, de nombreuses entreprises, collectifs et architectes ont développé cette pratique du réemploi des matériaux au sein des projets, apportant ainsi de nouvelles techniques de conception et de réalisation présentant des atouts écologiques et économiques majeurs.
- Définition du réemploi Même si la pratique du réemploi des matériaux existe depuis plusieurs siècles, elle ne fait toujours pas l’objet d’une définition claire et complète. D’un point de vue juridique, la notion de réemploi figure dans le code de l’environnement qui la définit comme «toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus.» La réutilisation est, elle, définie comme «toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau.»4
4 . Extrait de l’article L. 541-1-1 du code l’environnement.
Par conséquent, dans le cadre du réemploi, l’objet sera à nouveau utilisé avant même d’avoir atteint le stade de déchet alors que seuls des déchets peuvent faire l’objet d’une réutilisation. Par ailleurs, le bien objet d’un réemploi sera affecté à un usage identique à celui pour lequel il avait été élaboré initialement alors que ce n’est pas une condition de la réutilisation. Cependant, cette définition est différente pour les architectes. Ainsi, dans l’ouvrage Repar 2, rédigé par le collectif d’architectes Bellastock, mais aussi dans l’ouvrage la poubelle et l’architecte, de Jean-Marc Huygen, le terme de réemploi est défini comme : «l’acte par lequel on donne un nouvel usage à un objet existant tombé en désuétude, qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué.»5
5 . Jean-Marc Huygen. 2008, La poubelle et l’architecte vers le réemploi des matériaux, publié par Actes Sud Beaux Arts L’impensé.
Pour Jean-Marc Huygen, le terme de réemploi est cependant distinct de celui de réutilisation et de recyclage : «je différencie trois actes de récupération distincts : la réutilisation, qui consiste à se resservir de l’objet dans son usage premier ; le réemploi, d’un objet ou de parties d’objet, pour un autre usage ; le recyclage, qui réintroduit les matières de l’objet dans un nouveau cycle.»6
6 . Ibid
Introduction - 15
Il s’agit d’une distinction de trois modalités d’usage en fonction du type de conservation de l’objet choisi : la réutilisation conserve la fonction, le réemploi conserve la forme, le recyclage conserve la matière. Les définitions du réemploi et de la réutilisation élaborées par Jean-Marc Huygens diffèrent donc tout à fait des définitions légales, sans toutefois soulever la question du passage des matériaux à l’état de déchet.
7 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur la définition du réemploi.
Pour ce mémoire, je souhaite m’attacher à la définition donnée par Victor Meesters, lors de notre entretien. Le terme de réemploi peut être abordé plus largement : «Le réemploi c’est faire durer la vie des matériaux et leur trouver un nouvel usage. Réutiliser un matériau de manière efficace reste le fait de ne pas le modifier et conserver son usage, car ses spécificités techniques ne vont pas correspondre à une transformation.»7 Cette dernière définition du terme de « réemploi » ne se concentre pas sur la question de l’usage du matériau, il peut à la fois avoir un usage identique ou différents. Ce qui importe c’est le simple fait de faire recirculer le matériau. L’objectif de ce mémoire est de répondre à la problématique suivante : «Quel rôle joue le réemploi dans le processus de conception architecturale ?»
8 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p23.
Deux hypothèses sont ainsi formulées : - Le réemploi in situ permet aux architectes de se tourner vers des pratiques de «bricoleur»8 et d’échanger avec les différents acteurs impliqués dans la conception du projet afin de la faire évoluer. - L’utilisation de matériaux de réemploi incite les architectes à procéder à des expérimentations et impacte la phase de conception du projet.
- Situation du cas d’étude Pour développer le sujet du réemploi in situ, j’ai fait le choix de me concentrer sur un cas d’étude, celui de la Caserne de Reuilly, afin de comprendre précisément les enjeux du réemploi et son impact dans le processus de conception d’un projet.
16 - Introduction
La Caserne de Reuilly se situe dans le 12e arrondissement de Paris, sur le site enclavé d’une ancienne caserne militaire construite en 1830. Le maître d’ouvrage est le bailleur social publique Paris Habitat, qui a choisi de racheter ce site à la ville de Paris pour faire un projet de 600 logements en réhabilitant cinq bâtiments de la caserne et en ajoutant de nouveaux bâtiments, de nouveaux équipements ainsi qu’un jardin public pour ouvrir l’ilôt sur le quartier. Ce projet a débuté en 2013 et sera livré entre fin 2019 et début 2020. Ces deux enjeux majeurs sont de réussir à réhabiliter un bâtiment historique tout en y intégrant des logements mais aussi de réemployer le plus possible de matériaux provenant du site existant. En 1839, le site de la Caserne de Reuilly était une place militaire et c’est à partir de 1847 que la Caserne fut construite. Elle est composée de trois bâtiments édifiés autour d’une place d’armes. En 1900, elle accueille plus de 2500 soldats.9 À partir de 1999, c’est le tribunal des armées de Paris qui s’installe au sein de la Caserne de Reuilly. Elle s’est ensuite vidée de la plupart des services qu’elle abritait, pour être finalement cédée à la ville de Paris en 2013. Paris Habitat devient alors aménageur délégué, désigné par la ville de Paris.
9 . Document qui retrace l’histoire de la Caserne de Reuilly, produit par ParisHabitat.
À partir du printemps 2014, la Caserne de Reuilly accueille, temporairement, un centre d’hébergement d’urgence, deux collectifs d’artistes ainsi que l’association Emmaüs et le centre d’information et de recrutement des forces armées, ce, jusqu’a fin août 2015. Le projet de la Caserne de Reuilly se compose de six lots. Six cabinets d’architecture ont été désignés pour le projet par le biais d’une note d’intention, ainsi que le cabinet d’architecture H2O, chargé de la coordination et de la planification du projet. C’est d’ailleurs une volonté du maître d’ouvrage d’avoir un architecte par lot pour permettre l’instauration d’un dialogue avec les bâtiments existants et travailler l’écriture des volumétries entre les projets. Le cabinet d’architecture H2O était chargé de la coordination et de la planification des différentes phases du projet, allant de la conception à la réalisation, notamment par l’organisation d’ateliers destinés à l’élaboration du projet de manière concertée, ainsi que la réflexion sur l’espace paysager en coeur d’îlot.
Introduction - 17
Le lot A est le projet de l’agence LIN Architecte. Il se compose de l’aile gauche de la Caserne de Reuilly située au niveau du Boulevard Diderot avec un bâtiment réhabilité et trois bâtiments neufs. Le projet est composé de 92 logements sociaux familiaux, 129 lits étudiants et 5 locaux commerciaux en rez-de-chaussée. Les logements ont été conçus sur la base de vingt-quatre propositions de typologies différentes. Les matériaux de réemploi in-situ qui ont pu être intégrés sont les radiateurs, les panneaux en trespa ainsi que les placards en bois. Le lot B est le projet de l’agence Anyoji Beltrando. Il se compose du bâtiment principal de la Caserne de Reuilly qui fait l’objet d’une réhabilitation ainsi que la création de 133 logements à loyer libre encadré situé Boulevard Diderot. Les logements ont été conçus sur la base de trente-quatre propositions de typologies différentes. Les matériaux de réemploi in-situ qui ont pu être intégrés sont les rambardes en acier ainsi que les grilles en façade. Le lot B1 est le projet de l’agence C-H. Tachon. Il est composé d’un bâtiment neuf, avec la création de 22 logements sociaux ainsi que d’un local associatif situé Rue de Chaligny. Aucun matériau de réemploi in situ n’a été intégré. Le lot C est le projet de l’agence NP2F. Il concerne l’aile droite de la Caserne de Reuilly ainsi que la construction de trois bâtiments neufs et d’une maison de ville. Le projet est composé de 110 logements à loyer intermédiaire, 17 logements sociaux, 7 ateliers d’artiste ainsi que d’un local médical et associatif. Les matériaux de réemploi in situ qui ont pu être intégré sont les portes métalliques des sous-sols. Le lot D/E est le projet de l’agence MIR. Il porte sur deux pavillons à l’entrée de la Caserne de Reuilly qui font l’objet d’une réhabilitation ainsi que sur une extension pour des locaux commerciaux situés Rue de Reuilly. Les matériaux de réemploi in situ qui ont pu être intégrés sont les barreaux en acier. Le lot F est le projet de l’agence Lacroix Chessex. Il est composé d’un bâtiment comprenant 79 logements sociaux, d’une crèche ainsi que de deux locaux commerciaux situés Boulevard Diderot. Aucun matériau de réemploi in situ n’a été intégré.
18 - Introduction
Au total, le projet est composé de près de 600 logements, dont 50% de logements sociaux/familiaux, 20% de logements à loyer maîtrisé ainsi que 30% de logements locatifs à loyer libre encadré. De plus, le projet héberge des commerces et activités, une crèche, des places de stationnement ainsi qu’un jardin public d’une surface de 5 700m2 situé sur la place d’armes.(fig.1)
- Méthodologie Pour l’élaboration de ce mémoire, j’ai souhaité me concentrer sur une seule étude de cas qui est le projet de la Caserne de Reuilly, ce, afin de me permettre d’être le plus précis possible et d’approfondir au mieux les méthodes pour réemployer des matériaux in situ. Ce travail de recherche s’est déroulé sur une année. Les premières recherches ont été effectuées principalement par des lectures destinées à mieux cerner ce sujet très vaste qu’est le réemploi en architecture et d’en comprendre le processus. Parmi ces lectures, figurent notamment celles des ouvrages suivants : Matière Grise, écrit par Nicola Delon et Julien Choppin, La poubelle et l’architecte de Jean-Marc Huygen ainsi que Déconstruction et réemploi de l’agence Rotor. D’autres ouvrages m’ont permis d’intégrer des notions plus théoriques tel que Au tournant de l’expérience de Chris Younés et Céline Bodart ainsi que La matérialité de l’architecture d’Antoine Picon. Des entretiens téléphoniques préliminaires avec le maître d’ouvrage ParisHabitat, l’agence Lin Architecte qui s’occupe du lot A ainsi que l’agence Rotor m’ont permis d’acquérir une compréhension globale de l’étude de cas de la Caserne de Reuilly. Suite à ces échanges, j’ai pu rencontrer Camille Salomon, architecte de l’agence LIN architecte, à la fin du mois d’août 2019 à la maison du projet sur le site même de la Caserne de Reuilly. Dans ce contexte, nous avons pu échanger à propos du réemploi effectué au sein du lot A et cela m’a aussi permis de prendre des photos sur site et de récolter des documents tels que la proposition d’intégration des matériaux de réemploi faite par le cabinet LIN architecte, les plans du projet, ainsi que le détail des matériaux.
Introduction - 19
20 -
- 21
Figure 1. Document qui prĂŠsente le projet de la Caserne de Reuilly CrĂŠdit Paris-Habitat
Suite à cela, j’ai pu rencontrer Victor Meesters en octobre 2019, dans les locaux de l’agence de Rotor à Paris. Nos échanges se sont étalés sur deux jours durant lesquels il m’a présenté le détail de l’ensemble du processus de réemploi mis en place pour le projet de la Caserne de Reuilly, le rôle de l’AMO (Assistant à Maîtrise d’Ouvrage), ainsi que le diagnostic effectué pour chaque matériau et la proposition des différents architectes pour l’intégration de ces matériaux au projet. Dans le même temps, j’ai pu rencontrer Bryan Tierpied, exerçant au sein de Paris Habitat, afin d’effectuer une seconde visite de la Caserne de Reuilly. Cela m’a permis d’obtenir des informations complémentaires sur le rôle du maître d’ouvrage dans le processus de réemploi, de prendre des photos sur site des matériaux réemployés et de récupérer des photos et informations de la maison du projet. La dernière étape, fut l’échange avec les autres architectes du projet qui ont pu ou n’ont, au contraire, pas pu intégrer des matériaux de réemploi in situ. J’ai pu échanger avec eux par email sur la question du réemploi et récupérer quelques documents tels que des coupes ou des dessins de l’intégration des matériaux de réemploi avec Tomoko Anyoji de l’agence Anyoji Beltrando architecte, Nicholas Diddi de l’agence NP2F, Nicolas Gaudart de l’agence MIR ainsi que Camille Cochet de l’Agence Lacroix Chessex. Tous ces entretiens, documents récoltés, photographies et visites de chantier m’ont permis de nourrir et approfondir cette question du réemploi in situ et de comprendre son impact sur le processus de conception architecturale, ce, afin d’élaborer un plan qui sera le fil conducteur de ce mémoire. Nous étudierons, dans une première partie, les mutations générées par le réemploi in situ dans le cadre de la Caserne de Reuilly, notamment par la coconception, qui impliquent que le temps du projet ne soit plus cloisonné, mais donne lieu à des échanges avec l’AMO, la maison du projet et les nouveaux acteurs du projet, entre autres. Dans une seconde partie, nous verrons si ces matériaux modifient le processus de conception de l’architecte, ce, en cherchant à comprendre la manière dont ces ressources sur site sont exploitées, les possibilités qui s’offrent aux architectes et les compromis qu’ils doivent faire afin de permettre la viabilité du réemploi des matériaux.
22 - Introduction
Cela nous permettra de comprendre l’impact que le réemploi peut avoir sur le projet. En annexe on pourra retrouver les différents entretiens qui ont eu lieu avec les intervenants sur le projet ainsi qu’une fiche détaillant les différents matériaux retenus pour le réemploi et exposés à la maison du projet.
Introduction - 23
. Maison du projet, crĂŠdit photo Rotor
I Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
1. L’ architecte n’est plus seul concepteur
Les projets architecturaux deviennent aujourd’hui de plus en plus complexes, avec des acteurs beaucoup plus spécialisés dans leur domaine. La question de l’encadrement des acteurs devient alors un enjeu pour le bon déroulement du projet. Pour le projet de la Caserne de Reuilly, le cabinet d’architecture H2O a été mandaté pour coordonner les six lots du projet et organiser des temps d’échanges. De plus, deux assistants à maîtrise d’ouvrage ont été mandatés, un pour le réemploi et le second pour la dépollution. Montrant ainsi la nécessité d’accompagner les acteurs du projet.
A/ Nouveau schéma des acteurs 10 . Citation du maître d’ouvrage Paris-habitat, Isabelle Quet-Hamon, dans le magazine CTB, « Déchets, un gisement pour le bâtiment », Avril 2017.
11 . CHARM : un projet européen pour mieux valoriser les matériaux et matières premières des chantiers. Rencontre avec Victor Meesters.
« Si l’acte de construire nécessite un changement des mentalités, le rôle du maître d’ouvrage est de l’impulser »10
Dans l’ouvrage Repar 2, rédigé par l’association Bellastock, on voit que les différents acteurs du projet sont concernés lorsque l’on parle de réemploi, chacun à son niveau peut en être l’initiateur. Aujourd’hui, les deux acteurs principaux à l’initiative du réemploi sont le maître d’ouvrage ainsi que le maître d’œuvre. Parce que le réemploi se résonne d’abord à l’échelle du projet ou du territoire. Tout d’abord la maîtrise d’ouvrage peut être le porteur d’idée le plus influent, c’est lui le commanditaire du projet. Les choix qu’elle effectuera pourront ainsi permettre d’intégrer la volonté du réemploi dans son appel d’offre et d’imposer pour le projet, l’utilisation d’un minimum de matériaux issus du site. C’est notamment ce que souhaite faire Paris Habitat avec son projet CHARM11, en valorisant l’économie circulaire et le réemploi des matériaux de chantier, ce qui permettrait d’avoir un guide pour les bailleurs sociaux public. La maîtrise d’œuvre peut aussi être un acteur clé en proposant au client le reconditionnement des matériaux pour le nouveau projet. C’est alors l’architecte qui encadrera le processus de réemploi, de manière à ce que ces matériaux soient en adéquation avec le projet et ne complexifient pas la tâche des entreprises. Lors des notes d’intentions énoncées par les architectes pour le projet de la Caserne de Reuilly, LIN Architecte avait d’ailleurs déjà émis la volonté d’intégrer des matériaux de réemploi dans son projet tel que
26 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
les « panneaux en trespa »12 qui avait un grand potentiel sans que l’idée du réemploi ne soit proposée par le maître d’ouvrage . Pour finir, ce sont les entreprises de travaux qui peuvent aussi faire la proposition de réemployer des matériaux si c’est une pratique qu’ils connaissent. C’est le cas pour les filières extérieures qui récupèrent et stockent déjà des matériaux sur d’autres projets, on parle alors de réemploi ex situ.13 Le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre ainsi que les entreprises de travaux font partie du schéma habituel de la réalisation d’un bâtiment. Dès lors qu’un projet intègre des matériaux de réemploi, de nouveaux acteurs vont venir s’immiscer dans le processus de conception et de réalisation du projet.
12 . Entretien de Camille Salomon de l’agence LIN Architecte. 27/08/2019.
13 . Citation de BELLASTOCK. 2018, Repar 2, en partenariat avec l’Ademe et le cstb, p 87.
Tout d’abord, dans le cadre du projet de la Caserne de Reuilly, Paris Habitat a fait le choix de faire appel à un AMO Réemploi (Assistant à Maîtrise d’Ouvrage), qui a pour mission d’aider les différents acteurs impliqués sur le projet en procédant par une expertise du potentiel de réemploi des matériaux ainsi qu’à un suivi de leur mise en œuvre. Un second type d’acteurs vient modifier le schéma habituel, ce sont les filières extérieures qui généralement viennent récupérer les matériaux sur le chantier pour ensuite les reconditionner pour le nouveau projet. Pour le cas de la Caserne de Reuilly, le réemploi est dit in situ c’est-à-dire que les entreprises extérieures vont devoir venir récupérer les matériaux sur site pour leur donner une seconde vie. Dans le cas du réemploi ex situ, les matériaux sont récupérés sur d’autres chantiers. « Le schéma Architectes / Entrepreneurs / Maîtrise d’ouvrage est bousculé, le réemploi vient se mettre entre ces trois intermédiaires. »14
Ce nouveau schéma d’acteurs vient modifier le mode de fonctionnement du projet, permettant ainsi de créer une interaction plus forte entre les différents intervenants. Par exemple pour le réemploi des radiateurs en fonte sur le projet de la Caserne de Reuilly, pas moins de six acteurs différents sont intervenus à un moment du processus. L’architecte a ainsi du échanger avec le maître d’ouvrage que le matériau réponde à la commande, l’entreprise de curage pour que les matériaux soient bien déposés et stockés ainsi qu’avec l’entreprise qui se chargera de la pose. (fig.3)
14 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur la question des acteurs, 04/10/2019.
CHAPITRE I - 27
L’architecte se nourrit alors des échanges avec les autres acteurs intervenant sur le projet lors de la phase de conception afin d’intégrer les matériaux de réemploi de la meilleure manière et prendre en compte ses contraintes. Maître d’ouvrage : Paris Habitat
Pose sur le chantier: lot plomberie
Inventaire de l’AMO : Rotor
Evacuation vers une filière : Radiastyl
Architecte : LIN Architecte
Déconstruction/Curage : ATD Figure 3. Schéma des différents acteurs nécessaire au réemploi des radiateurs en fonte. Production personnelle.
28 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
B/ Le rôle de l’AMO Réemploi « Ce diagnostic, qui doit être réalisé par un expert habilité, consiste à réaliser un inventaire des produits mais aussi à en évaluer l’état et leur possibilité de réemploi tout en précisant les éventuelles restrictions d’usage ou les précautions à prendre lors de la dépose, du stockage et du transport. »15
15 . VAN EECKHOUT Laetitia, dans le magazine Le Monde, « Bâtiment : comment faire du déchet une ressource », Nov 2019.
Julien Choppin, exerçant au sein de l’agence d’architecture Encore Heureux, observe que « de plus en plus de maîtres d’ouvrage s’attachent les services d’Assistants à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) qui les accompagnent dans cette voie du réemploi. »16
16 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p22.
L’Assistant à Maîtrise d’Ouvrage a pour mission d’aider le client à définir, piloter ou diagnostiquer le projet. Il facilite la coordination du projet et joue un rôle d’assistance et de conseil. Concernant le projet de la Caserne de Reuilly, l’AMO a été désigné afin de suivre, étudier et fournir des conseils relatifs au réemploi de matériaux. C’est un acteur très important car il permet d’évaluer le potentiel des matériaux disponibles sur site, de rédiger une fiche explicative pour chaque matériau, de faire des propositions pour intégrer ces matériaux dans la conception et pour finir d’accompagner les entreprises pour la mise en œuvre. L’AMO est aussi présent pour encadrer le déroulement des différentes étapes liées au réemploi, telles que la déconstruction, le stockage, le décapage ou encore le prototypage. Paris-Habitat a choisi de faire un appel d’offres pour la mission AMO réemploi. Deux entreprises ont répondu pour cette mission. Le collectif d’architecte Rotor, spécialisé depuis une quinzaine d’années dans les projets utilisant des matériaux de réemploi ainsi qu’AJIR Environnement, un bureau d’étude lui aussi spécialisé dans le diagnostic environnemental ainsi que dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage. « Le but est de faire des choses simples et plausibles en matière de réemploi pour ne pas faire de l’extravagant. » 17
L’entreprise retenue comme AMO réemploi est le collectif Rotor. Le choix s’est fait en tenant compte du diagnostic réalisé sur site. Les deux entreprises se sont rendues à la Caserne de Reuilly afin d’évaluer le potentiel de chaque matériau, de prendre des photos leur permettant d’avoir un premier aperçu et un ordre d’idée de la quantité de matériaux disponible sur site. Ensuite, chacune des deux entreprises a procédé à une restitution sous forme de fiche
17 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur la question du rôle de l’AMO, 04/10/2019.
CHAPITRE I - 29
diagnostic destinée à évaluer le potentiel de chacun des matériaux, pour pouvoir soumettre les fiches aux architectes et entreprises de travaux. Le diagnostic proposé par l’entreprise AJIR Environnement ne catégorisait pas les différents matériaux présents sur site et ne procédait pas à leur hiérarchisation. Par conséquent, de nombreux éléments avaient été identifiés, de la cloison intérieure à la vis ou au boulon. Cet inventaire était trop exhaustif, pour que le réemploi soit viable, le fait de laisser la possibilité de réemployer tous les matériaux inertes le rendait trop complexe.
18 . Fiche réalisée par Rotor, pour l’inventaire du réemploi des matériaux de la Caserne de Reuilly.
A l’inverse, l’agence Rotor a sélectionné 26 matériaux pouvant faire l’objet d’un réemploi et répartis dans trois catégories : Plausible / Éventuel / Anecdotique.(fig.4) Cette classification a permis aux entreprises de travaux ainsi qu’aux architectes de rapidement se projeter sur les matériaux qui les intéressaient. La classification a été organisée pour retenir uniquement des matériaux pouvant être démontés simplement, avec des filières de réemploi déjà existantes ce qui permet d’identifier leurs usages potentiels et pouvant être stockés sur site. Cette classification des matériaux s’accompagnait d’une fiche 18 par matériau renseignant sur la localisation du matériau, sa quantité, son état, ainsi que les différentes possibilités de recyclage et réemploi. Pour la partie relative à l’assistance à maîtrise d’ouvrage, l’agence Rotor a entamé le diagnostic de réemploi à la fin de l’année 2015 en même temps que le début des étapes de curage et desamiantage. Le diagnostic de réemploi impliquait tout d’abord d’identifier plus précisément les matériaux sélectionnés en procédant à leur référencement précis dans tous les étages des bâtiments afin de connaître leur localisation ainsi que la quantité disponible. Il fallait ensuite expliquer aux différentes entreprises la manière avec laquelle les matériaux devaient être déposés ainsi que la faisabilité (matériaux qui se détériorent, fragilité), puis la seconde étape fut celle du stockage.
19 Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur l’AMO, 04/10/2019.
Comme l’explique Victor Meesters, le stockage est la partie la plus importante du réemploi car «c’est à ce moment précis que les matériaux peuvent être cassés ou dérobés si les choses ne sont pas faites correctement.»19 Il convient également de prendre en considération les différentes entreprises qui vont travailler sur le chantier et faire en sorte que les matériaux entreposés ne constituent pas une gêne.
30 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
1. Plancher - parquet bois massif
2. Ardoise de toiture 3. Poutres et structures en bois massif 4. Dalles pierreuses noires 5. Radiateur en fonte
Réemploi éventuel
6. Placard en bois ancien
7. Équipements sanitaires ordinaires
A
A
filière pro filière pro
B
filière pro
B! A
filière pro
A
OK
A!"
A! B
?
OK
A
OK
9. Garde-corps
B
OK
10. Poignées de porte chromées
C
selection
8. Grilles en Acier
11. Luminaire ‘Vintage’
C
OK
12. Panneaux HPL colorés - type Trespa
A
OK
Réemploi anecdotique
13. Revêtement mural en bois léger.
B
OK
B
OK
B
selection
17. Divers : Luminaires
B
selection
18. Fenêtres
B
EMMAUS
B
selection
14. Rails tubulaire en acier 15. Divers : Grandes poignées de portes 16. Divers : Équipements sanitaires
19. Stores extérieurs électriques 20. Portes 21. Divers : Décor 22. Divers : Dalles de faux plafond variées 23. Divers : Équipements plomberie 24. Divers : Équipements techniques 25. Étagères 26. Escaliers
B
B
OK
YA + K
C
OK
C
selection
C
C C C
reservé Archi
stockage « ressourcerie »
demontage soigneux
test de démontage
potentiel du lot
Réemploi plausible
? ?
-
-
selection OK OK
(
)
Évaluation de la qualité des lots : A : Lot significatif. B : Lot limité ou pas suffisamment exploré dont le potentiel n’est pas encore établi. C : Lot impliquant des contraintes significatives pour la coordination, le démantèlement, le conditionnement ou le réemploi. ! : Problème non résolu. Figure 4. Document de l’inventaire réemploi. Produit par Rotor
CHAPITRE I - 31
Ce sont des filières extérieures qui ont pris en charge certains matériaux, en s’occupant de leur transport, de leur reconditionnement ainsi que de leur stockage avant d’effectuer leur retour sur site. Victor Meesters a, lui, pris en charge les matériaux pour lesquels il n’existait pas de filière extérieure dédiée en procédant à des expérimentations afin de pouvoir les réintégrer sur site.
20 . Entretien avec ParisHabitat lors d’une visite du chantier de la Caserne de Reuilly, 05/10/2019.
L’AMO a aussi eu pour rôle de sensibiliser les entreprises et les architectes au réemploi. Sous forme de table ronde, Rotor a pu présenter les différents matériaux qui avaient un grand potentiel de réemploi. Ce qui a permis aux architectes de prendre en main le sujet pour faire des propositions d’intégration dans leur projet, tout comme les entreprises qui ont dû changer leur manière de fonctionner sur le chantier pour être plus méticuleux lors du démentellage et du stockage. Toutefois, le travail de l’AMO s’est limité à cette phase de diagnostic et de proposition et « les entreprises ainsi que la maîtrise d’œuvre ont dû prendre en main le réemploi pour ce qui est de la mise en œuvre. »20 La phase d’accompagnement du réemploi doit encore faire l’objet d’amélioration car elle est tributaire de freins tels que l’aspect économique, la nécéssité de superviser le démantellement et le stockage, ou encore les problèmes liés aux normes.
Figure 5. Echange sur le réemploi in situ à la maison du projet, crédit photo Rotor
32 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
L’agence Rotor a offert cette possibilité d’échanges entre les différents acteurs du chantier ainsi qu’une initiation à cette pratique du réemploi afin qu’elle ne soit pas assimilée à une tâche excessivement complexe et chronophage mais, au contraire, considérée comme une valeur ajoutée au projet et une manière de faire circuler des matériaux qui ne sont pas en fin de vie. (fig.5)
CHAPITRE I - 33
C/ Les filières extérieures 21 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p103.
« L’essor d’une filière réemploi, de la déconstruction à la revente des matériaux, apparaît donc comme une étape indispensable pour encourager les architectes à se lancer dans le réemploi. »21
Le réemploi in situ consiste en la récupération de matériaux directement disponibles sur site. Il est alors possible de se demander s’il est plus intéressant de faire appel à des entreprises extérieures au chantier ou de tout faire sur place. Réemployer les matériaux directement sur place, induit tout d’abord une charge de travail supplémentaire aux architectes qui vont devoir coordonner tout le processus. De plus, la nécessité de disposer de matériel pour reconditionner les matériaux tout comme le stockage des matériaux peut très vite devenir contraignant pour le bon fonctionnement du chantier. 22 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur la question de l’apport des filières extérieures, 04/10/2019.
23 . Ibid
« Rotor incite à travailler avec des filières extérieures pour décharger les architectes qui n’ont pas le temps de faire ce travail. »22
Les filières extérieures existantes sont alors la solution la plus simple pour réemployer les matériaux in situ. Elles sont spécialisées dans un type de matériau, leur permettant d’avoir une expertise complète et précise. De plus elles permettent aussi de montrer des exemples de réalisations. Les entreprises se chargeront aussi du stockage des matériaux durant le temps du chantier, ce qui facilite le travail des entreprises sur place qui ne sont pas perturbées. La seule contrainte réelle reste le transport des matériaux hors site, même si Victor Meesters explique que «le transport reste une infime partie de la consommation d’un matériau.»23 Les radiateurs présents sur site sont un très bon exemple de réemploi nécessitant une entreprise extérieure. La quantité des radiateurs sur le projet de la Caserne de Reuilly était très conséquente, environ 360 unités. Rotor a classé leur potentiel comme étant plausible, en se basant sur la quantité identifiée, leur état ainsi que l’identification de filières existantes. Ce qui a permis de renforcer la viabilité de leur reconditionnement, de diminuer les coûts par rapport à des radiateurs normaux ainsi qu’apporter une garantie pour chaque matériau, ce qui est très rare pour des matériaux réemployés.
34 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
Filières de réemploi possibles
Précédent réemploi identifié
Demande MOE
Prix unitaire approximatif *
Lot concernés
Valeur potentielle du lot
Avis Rotor
1. Revente à des professionnels du réemploi
OUI
-
Revente entre 20,- et- 50,Euro
Prioritairement les classiques avec pieds et modèles compacts, le reste à bas prix.
vente entre 10.000,- et 15.000,- Euro
Pratique courante pour nos chantiers de Déconstruction
2. Reconditionnement par un professionnel
OUI
V
Remise en état entre 180,- et 650,- Euro
environ 350 pièces
Estimation du coût autour de 65.000,- euro
Marché professionnel déjà testé
3. Acquisition de fourniture de réemploi
OUI
-
Achat entre 500,- et 850,Euro
Selon les besoins des projets
-
Marché professionnel
Figure 6. Document du diagnostic réemploi pour les radiateurs, produit par Rotor
Trois possibilités ont été soumises aux architectes pour le devenir des radiateurs. Tout d’abord, la revente des radiateurs a des professionnels du réemploi, ce qui leur permet de diminuer le coût du projet. Deuxièmement le reconditionnement des radiateurs par un professionnel, ce qui leur offre la possibilité de les réintégrer au projet avec un coût similaire à un produit neuf. Pour finir, avec l’acquissions de fournitures ex situ, qui est plus coûteuses, mais qui offre la possibilité de ne pas prendre un matériau neuf. Le choix de l’agence LIN Architecte, qui détenait le lot des radiateurs a été de les intégrer au projet. (fig.6) «L’artisan n’est plus là comme exécutant d’une commande, mais comme prescripteur. »24
La présence de filière déjà mise en place à permis de simplifier le réemploi des radiateurs et de gagner du temps sur les expérimentations qui auraient été nécessaires de faire si aucune filière n’existait.
24 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », publié par presses polytechniques et universitaires romandes.
L’entreprise est alors là comme un conseiller, qui vient donner son expertise sur le matériau ainsi que sur ses différentes possibilités de transformation. Plusieurs entreprises extérieures ont répondu à l’appel d’offres, huit au total. Radiastyl a été sélectionné pour le lot des radiateurs, ils sont tout d’abord venus récupérer les matériaux sur site pour ensuite les transporter dans leurs entrepôts.
CHAPITRE I - 35
Pour remettre les radiateurs en état, il a fallu passer par de nombreuses étapes. Une phase de récupération et transport des matériaux. Une seconde étape de décapage par bain chimique, nettoyage intérieur et remise en dimension. Une troisième étape, de tests et vérification notamment pour la pression. Ainsi qu’une dernière étape de finition pour la peinture ainsi que le vernis. Les radiateurs ont ensuite été stockés sur des palettes dans l’entrepôt avant de pouvoir retourner sur le chantier. (fig.7)Durant cette remise en état, quelques problèmes sont survenus avec une diminution du nombre de radiateurs à cause de leur état.Toutefois, l’entreprise qui s’est chargé du réemploi des radiateurs avait d’autres radiateurs en fonte de la même époque, ce qui a permis de compenser les pertes et conserver la même quantité de radiateurs pour le nouveau projet. 25 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p103.
« L’essor d’une filière réemploi, de la déconstruction à la revente des matériaux, apparaît donc comme une étape indispensable pour encourager les architectes à se lancer dans le réemploi. »25
Les filières extérieures, au-delà d’être présentes pour apporter une expertise sur les matériaux, permettent aussi de créer un temps d’échange avec les architectes et les autres acteurs du chantier. Durant ces discussions la conception du projet peut être amenée à évoluer. Ou les idées proposées par l’entreprise peuvent donner des idées aux architectes qui remettront en question une partie du projet. C’est non seulement un gain de temps sur le réemploi des matériaux ainsi qu’un apport sur la partie architecturale.
36 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
1 2
Radiateurs démontés et stockés dans les étages de la Caserne de Reuilly.
Descente par la fenêtre des radiateurs au moyen d’un élévateur.
3 4
Transport en camionnette des radiateurs jusqu’à l'entrepôt de stockage et conditionnement sur palette
Les radiateurs sont décapés dans des cuves.
5 6 Puis remis en peinture, vernis et emballés.
Et livrés sur palette sur le site.
Figure 7. Processus pour le réemploi des radiateurs en fonte. Production personnelle
CHAPITRE I - 37
2. Un nouveau phasage du chantier
26 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur les modifications qu’apporte le réemploi, 04/10/2019.
« Pour le potentiel de réemploi, la rédaction peut poser problème pour savoir comment expliquer ce qu’on veut faire, ce qui est envisageable. A chacune des phases le réemploi va venir poser une question. »26
Le réemploi vient modifier le phasage habituel du chantier, il débute généralement lors de la phase de déconstruction du bâtiment pour évaluer les matériaux et les désassembler soigneusement. Pour chaque matériau, il faut se poser les bonnes questions et être très méticuleux avec différentes étapes qui vont ponctuer le temps du chantier. Comment déposer les matériaux ? Comment les stocker ? Comment rassurer les entreprises au niveau du coût et de la faisabilité du réemploi ?
27 . Ibid
28 . Article de Lionel divlieger, « l’architecture à l’envers » dans le magazine Criticat 18, Oct 2016.
Trois grandes phases se dessinent pour réemployer des matériaux de construction sur site. La première est celle de la sélection des matériaux en identifiant ceux qui ont un «potentiel.»27 La seconde phase, c’est l’écriture et la retranscription de toutes les informations nécessaires pour expliquer aux entreprises comment procéder, et avoir des pistes d’intégration des matériaux. La dernière phase est celle de la réalisation ou les entreprises vont être confrontées aux problèmes de mise en œuvre.
A/ Évaluation du potentiel des matériaux « Comment choisir les composants susceptibles d’être réemployés dans un nouveau projet ? Le coût de l’extraction est déterminant, tout comme l’état de conservation de la pièce en question, sa solidité, la durabilité des matériaux qui la constituent, la facilité avec laquelle elle peut être intégrée à du nouveau, sa valeur fonctionnelle, symbolique. »28
L’évaluation du potentiel de réemploi a débuté en même temps que la phase de déconstruction et dépollutions des bâtiments de la Caserne de Reuilly. L’AMO réemploi Rotor mandaté pour ce travail a fonctionné en différentes étapes. Ils se sont tout d’abord rendus sur place pour faire un premier repérage et prendre des photos de tous les éléments de construction ayant un potentiel. Pour chaque élément ayant un intérêt, une fiche réemploi est réalisée, permettant de détailler la quantité présente sur site, la localisation dans les bâtiments ainsi que l’état des matériaux.
38 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
« L’inventaire sur site est une phase préliminaire absolument indispensable à la préparation d’un chantier de démantèlement. Il permet d’établir la liste des éléments potentiellement réutilisables et d’en faire un relevé détaillé. »29
Nous allons nous concentrer sur deux matériaux ayant un fort potentiel de réemploi pour comprendre quel a été le processus. Le parquet en bois a été identifié comme un élément avec un grand intérêt. La fiche des matériaux permet d’identifier la localisation du lot sur le projet (fig.8), d’avoir un échantillon photo pour mieux se projeter et voir l’état du matériau. La quantité identifiée pour ce lot est à peu près de 3 400m2 de parquet en bois ce qui est très conséquent.30 Ce travail d’inventaire est la premier étape pour avoir une idée générale des possibilités de réintégration dans le nouveau projet. Par la suite une seconde fiche plus détaillée est produite en détaillant sur chacun des étages des bâtiments les différentes surfaces de planchers qui sont visibles et cachés ainsi que les dimensions des lattes de parquet. Pour le bâtiment central de la Caserne (voir localisation en orange fig.9), la surface totale de parquet à nue est de 3 406m2, la surface de parquet sous revêtement est principalement du lino avec une superficie de 1 330m2. Cinq largeurs différentes ont été identifiées allant de 5,5cm à 8,5 cm.31 (lino) 35m
(7.5) 35m
(5.5) 35m
(lino) (lino) (lino) 37m 14m 25m
38m (lino) (moquette) 35m
(6.5) 35m
1º ÉTAGE :
(moquette) (6.5) (6.5) 35m 18m 18m
(lino) 187m Doute sur le parquet en dessous
(lino) 84m 14m (lino) (6.5) 84m
2º ETAGE :
(8.5) 84m
(6.5) 35m 11m (lino)
(8.5) 80m
4º ETAGE :
(6.5) 90m
(lino) 37m
(lino) 37m
36m (lino)
28m (lino) (6.5) 52m
(lino) 37m
31 . Fiche du diagnostic réemploi pour le parquet, produit par Rotor.
(lino) 25m
(lino) 37m
(lino) 37m
(lino) 35m
(lino) 40m
(moquette) 37m
(lino) 84m 14m (lino) (6.5) 84m
(lino) 84m 14m (lino) (6.5) 84m
(lino) 84m 14m (lino) (6.5) 84m
(7) 90m
22m (lino) (4.5) 35m
(7) 41m
Parquet à nue : 670m Parquet sous revêtement : 321m Inconnu : 270m
(8.5) 105m
(8.5) 95m
(6.5) 90m
30 . Fiche du diagnostic réemploi pour le parquet, produit par Rotor.
Parquet à nue : 373m Parquet sous revêtement : 904m
(inconnu) 270m
3º ETAGE :
(lino) 187m Doute sur le parquet en dessous
29 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », publié par presses polytechniques et universitaires romandes.
(7.5) 84m
14m (lino)
(6.5) 35m
(8.5) 84m
14m (lino) (7.5) 84m
(7) 84m 14m (lino) (7) 84m
(6.5) 84m 14m (lino) (6.5) 84m
(6.5) 35m
(7) 105m
11m (lino) (6.5) 35m
(7) 80m
Parquet à nue : 1182m Parquet sous revêtement : 78m
(8.5) 91m
(6.5) 35m
(8.5) 84m
(8.5) 84m
(6.5) 35m 11m (lino)
14m (lino) (6.5) 36m
Parquet à nue : 1181m Parquet sous revêtement : 78m
(8.5) 84m
14m (lino) (8.5) 84m
(6.5) 84m 14m (lino) (6.5) 84m
(7.5) 84m 14m (lino) (7.5) 84m
(6.5) 35m 11m (lino)
(6.5) 91m
(7) 92m
(6.5) 35m
BÂTIMENT 001 (central)
Figure 8. Plan de repérage des différents types de planchers en bois, Produit par Rotor et retouché.
CHAPITRE I - 39
Le deuxième matériau auquel nous allons nous intéresser sont les ardoises en toiture. Elles sont mises dans la catégorie A par Rotor avec un fort potentiel de réemploi principalement dû à une quantité importante sur site ainsi qu’un désassemblage très simple. La totalité des bâtiments de la Caserne de Reuilly ont leur toiture recouverte par ce type de couverture, leur dimension est environ de 30x60cm, posée traditionnellement avec des voliges sur crochets. Pour une quantité d’environ 4 180m2, ce qui n’est pas négligeable. 32 . Fiche du diagnostic réemploi pour les ardoises, produit par Rotor.
Rotor a tout d’abord fait un relevé photographique, avec un prélèvement de quelques échantillons pour connaître la nature de ces tuiles, qui sont majoritairement des produits synthétiques.32 Puis dans un second temps, il y a eu une prise de contact auprès de carrières et de fournisseur d’ardoise pour voir les différentes possibilités de réemploi. Avec la possibilité de les utiliser en toiture, en bardage ou en paillage pour les espaces paysagers. Ces options sont présentées aux architectes pour ensuite les intégrer au projet. Cependant, l’inventaire des matériaux de réemploi n’est qu’un état des lieux de ce qui est présent, il faut ensuite vérifier que leur réemploi soit viable. Pour le cas des ardoises, un problème est survenu lorsqu’ils ont constaté qu’elles étaient amiantées, la majeure partie a du être extraite du site. Les fiches de diagnostic des matériaux recensent les différents éléments présents sur site qui vont pouvoir trouver une seconde vie. Cependant, cet inventaire n’est qu’un référencement des matériaux. Des tests sur des échantillons sont nécessaires pour voir si le reconditionnement est viable. Ainsi, on constate que l’inventaire produit par Rotor ne sera pas représentatif des matériaux qui seront réemployés. De nombreux matériaux tels que les ardoises, ou les luminaires ne pourront être conservés à cause de problèmes, de pollutions, de normes ou encore d’usage.
40 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
qualité du lot
A
ré-emploi plausible
Plancher / parquet en bois massif
Description et remarques : Lot significatif observé dans le Bâtiment principal 1 - Parquet en bois massif à tous les étages (sauf RDC et cages d'escaliers). On peut compter environ 1100m de parquet par étage, une majeur partie étant à nu et une partie étant recouverte par du linoleum, ou moquette. - - - Voir informations complémentaire - - -
Quantité et localisation : Surface de parquet à nu / étage : 1er: 370m , 2eme: 670m , 3eme: 1180m ,4eme: 11800m Soit au total 3400m ( +ou- 10%) de parquet potentiellement re-utilisable sans traitement, ou un léger ponçage. Il y a aussi environ 1300m de parquet sous du lino ou moquette (cfr page suivantes)
1º, 2º, 3º, 4º étage
Figure 9. Document de l’inventaire réemploi pour les planchers en bois, produit par Rotor
CHAPITRE I - 41
B/ Un processus encore très fragmenté 33 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur les modifications qu’apporte le réemploi. 05/10/2019.
« Problématique d’avoir de nombreux intermédiaires lors de la construction d’un bâtiment ce qui fait que les choses peuvent être déformé et qu’il faut à chaque fois bien expliquer et détailler ce que l’on souhaite faire. »33
Le réemploi est une démarche encore peu courante dans la commande publique, principalement due à une méconnaissance de la pratique ainsi qu’un accompagnement des acteurs du projet encore peu présent. Le problème est l’intégration de ces matériaux dans le projet, beaucoup d’intermédiaires sont nécessaires, ce qui complexifie le processus de réemploi. Il faut passer par un deconstructeur, faire un inventaire des matériaux qui ont un potentiel, trouver des filières qui vont pouvoir reconditionner les matériaux, intégrer à la conception du projet ces matériaux ainsi que leurs contraintes et les stocker sur le chantier.(fig.10) Toutes ces étapes se font par le biais de différents intermédiaires, la maître d’ouvrage qui va validé l’utilisation des matériaux, l’architecte qui va les intégrer à la conception du projet et les différents corps de métier comme les artisans et les entreprises extérieures qui vont devoir démonter, transporter et reconditionner les matériaux et pour finir les mettre en œuvre. Toutes ces phases font que le processus est très morcelé, de nombreuses questions se posent notamment d’un point de vue des normes à respecter ainsi qu’au réel avantage en comparaison à un matériau neuf.
34 . Entretien avec Nicholas Diddi de l’agence NP2F, sur la question de la modification des phases du chantier, 24/11/2019.
« Pour ce qui est du phasage, ils ont d’abord fait une phase de repérage, puis d’intégration au projet, puis un travail lot par lot avec le BET et pour finir, le chantier pour voir ce qui était réalisable. »34
Une des étapes les plus importantes pour viabiliser la pratique du réemploi est le descriptif des marchés. Selon Victor Meesters, il est « primordial » d’expliquer les différentes étapes aux entreprises. Le fait de devoir démanteler des matériaux sur site occupé, fait que les entreprises telles que la déconstruction doivent démonter soigneusement les matériaux qui vont être réemployés et les stockers au bon endroit. Des problèmes sont survenus pour les radiateurs qui ont mal été stockés ainsi que les garde-corps qui ont été dérobés.
42 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
Les étapes du processus de réemploi sur le projet de la Caserne de reuilly
Inventaire AMO
1 • •
Prise de photos sur site. Evaluation du potentiel réemploi en trois catégories : Plausible/Eventuel/Anecdotique.
2
Rédaction du Diagnostic
• • • •
Table ronde avec les architectes
Fiches descriptive pour chaque matériaux. Quantité et localisation du matériau. Relevé des surfaces / Tests de démontage. Références d’autres projets.
3 • •
Echange entre les architectes et l’AMO sur le réemploi. Esquisse des six cabinets pour intégrer les matériaux.
4
Déconstruction Stockage
Démantellage des matériaux sélectionnés par l’entreprise de déconsrruction. • Stockage des matériaux dans les étages. •
Exposition à la Maison du projet
5 • •
Sensibilisation et échanges avec les riverains Prototypes et expérimentations pour les matériaux qui vont être réemployé.
6
Reconditionnement par des filières extérieures
• • •
Disposition sur site
Récupération des matériaux par les filières extérieures. Reconditionnement en atelier. Stockage en attendant un retour sur site.
7 • •
Mise en place des matériaux dans le nouveau projet Echange pour la mise en oeuvre entre l’architecte et l’entreprise
Figure 10. Frise expliquant les différentes phases du réemploi de la Caserne de Reuilly. Production personnelle.
CHAPITRE I - 43
35 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, 05/10/2019.
36 . Citation de Elodie Capelle dans le magazine AMC n°266, «Reuilly, laboratoire du réemploi in situ», Fev 2018.
37 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », publié par presses polytechniques et universitaires romandes.
38 . Article de Pierre Bernard, « Le chantier », dans le magazine Criticat 2, Sept 2008.
Lors de ces différentes étapes, il faut que les entreprises sur le chantier soient en accord avec les prescriptions proposées par l’AMO. Par exemple, pour les luminaires Rotor a demandé tout simplement de «les détacher soigneusement et les stocker sur une palette dans les étages.»35 Le but étant de correspondre à la réalité du chantier. Si le démantèlement s’avère trop compliqué ou que l’entreprise de déconstruction est découragée, il vaut mieux ne pas le faire et se concentrer sur des choses plus simples. Toutes ces étapes ainsi que les problématiques comme le stockage sur chantier, font que le réemploi des matériaux est un sujet qui doit être traité avec attention et minutie. « A l’avenir, annonce Elodie Capelle, l’anticipation étant gage de réussite, nous souhaitons inclure dans le cahier des charges techniques particulières, de se fournir auprès de professionnels spécialistes de matériaux de second main, incluant le hors-site qui ouvre le champ des possibles. »36
Toutefois, il est possible de diminuer le nombre d’intermédiaires pour simplifier le processus de réemploi. Tout en l’intégrant plus concrètement dans le processus de conception architectural. D’une part, en sélectionnant des matériaux issus de filières extérieures pour alléger les entreprises des étapes de déconstruction / démantèlement / stockage sur site. D’autre part, avec le principe du « Design and Build »37, comme ce qui a été fait pour le projet des abattoirs de Bomel à Namur réalisé par l’agence Rotor. La particularité du projet est le travail en conception-réalisation. Par exemple, pour le projet des abattoirs de Bomel, l’aménagement a été penser majoritairement avec des matériaux de réemploi ex situ ce qui leur a permis de chercher des matériaux uniquement à partir du moment où ils allaient les mettre en œuvre, ils n’ont donc pas eu la problématique du démentallage, et du stockage. Le fait d’être sur un site totalement vide leur a permis d’expérimenter directement sur place avec les matériaux qu’ils avaient sélectionnés. Ils ont réemployé la cafétéria d’une banque des années 1970, conçus par le designer belge Jules Wabbes. « Mais en même temps que le projet réunit, il sépare, car il reconduit une séparation du travail et un processus de production morcelé. D’abord, le projet se fait hors du chantier et la conception s’arrête strictement avant que la construction commence. »38
44 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
Le fait de travailler en conception réalisation a permis à l’entreprise de ne pas passer par l’étape rédaction et explication du processus de réemploi, ce qui leur a permis de n’avoir qu’un seul intermédiaire pour le projet. Selon Victor Meesters, il faudrait pouvoir proposer un projet dans lequel les matériaux sont définis uniquement par un zonage ou une couleur sur les plans, ce qui permettrait de développer le réemploi, avec des matériaux nécessaires uniquement lors de la phase de réalisation sur le chantier. Pour cela, il faudrait que le client donne la possibilité aux architectes de définir la matérialité du projet uniquement lors de la phase de conception. Par exemple pour le projet de la Caserne de Reuilly le revêtement de sol serait défini avec du parquet bois, mais le type de bois ne serait pas défini. Ce qui permettrait de réemployer le bois in situ ou si cela n’est pas possible, de sélectionner un bois disponible dans une ressourcerie permettant de favoriser le réemploi vis-à-vis de matériaux neufs.
CHAPITRE I - 45
C / La maison du projet 39 . Citation de l’exposition à la maison du projet, Caserne de Reuilly.
« Un effort est lancé pour voir dans quelle mesure, certains composants, destinés à disparaître lors de travaux de rénovation, pourraient se prêter à une réintégration dans les nouveaux projets de logements. »39
Une des particularités du projet de la Caserne de Reuilly est le mise en place de la « maison du projet ». Cet endroit est situé dans un des bâtiments de la Caserne, anciennement occupé par l’association Emmaüs qui stockait des meubles et des vêtements pour les revendre. Dans ce prolongement, Paris-Habitat a fait le choix de mettre à disposition un endroit dédié à l’exposition des matériaux reconditionnés de la Caserne. Cet espace a pour but d’être un lieu démonstrateur des possibilités de réemploi et d’échange entre les architectes ainsi que les riverains pour les sensibiliser au projet. La maison du projet a permis plusieurs temps forts dans la réalisation du projet. Tout d’abord, suite à l’inventaire réalisé par Rotor, un workshop a été organisé avec les maîtres d’oeuvres pour diffuser la pratique du réemploi et montrer les premières pistes envisageables pour réemployer les matériaux présent sur le site de la Caserne de Reuilly. Ce temps d’échange entre les architectes, leur a permis de faire des propositions communes et présenter les premières esquisses. 40 . Entretien avec Camille Salomon de l’agence LIN Architectes à la maison du projet, 27/08/2019.
« Des ateliers ont été organisé entre les architectes avec les BET, la maison du projet à permis d’avoir des échantillons démonstrateurs. »40
Le second temps fort est celui de l’exposition et de l’échange avec les riverains. Environ une fois tous les deux mois depuis début 2016 jusqu’a juin 2019, des temps d’échanges et des permanences ont été mis en places pour pouvoir échanger avec les riverains, leur présenter le projet et travailler avec eux. La maison du projet a été aménagée de sorte que l’on puisse comprendre l’enjeu du réemploi des matériaux de construction et plus concrètement quels sont les éléments issus de la Caserne qui ont pu être reconditionnés. Au total, sept matériaux réemployés sont présentés à titre d’exemple, pour comprendre quel est la spécificité de chaque matériaux ainsi que le processus pour les réintégrer au nouveau projet de la caserne. (fig.11)
46 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
Figure 11. Photos de l’exposition à la maison du projet. Crédit Rotor
CHAPITRE I - 47
41 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », publié par presses polytechniques et universitaires romandes, p 65
Les différents matériaux sélectionnés permettent d’expliquer à la maîtrise d’oeuvre ainsi qu’aux riverains les différentes possibilités pour reconditionner des matériaux de construction. Rotor rappels «qu’une attention particulière doit être portée sur chaque matériau, aucune généralité ne peut être faite.»41 Les grilles en acier et rambardes sont réutilisées comme mobilier urbain ou support de plante grimpante, la seule transformation a été de les peindre. (fig.11) Pour les luminaire dit « vintage », il suffit simplement de changer le système électrique intérieur pour pouvoir réutiliser cet élément. Contrairement aux radiateurs en fonte, qui vont devoir être extrait du site pour être remis à neuf par un professionnel. (fig.12) Pour ce qui est des porte placards, elles ont dû être démontés et stockés sur site. Trois propositions ont été faites pour leur reconditionnement. L’une qui conserve le rail existant, une seconde ou ce sont des charnières qui remplacent le rail et une dernière ou l’on met un rail neuf tout en gardant les portes coulissantes. S’ajoute à cela, le décapage des portes en bois avec quatre propositions de rendus différentes.(fig.12)
Figure 12. Photos du reconditionnement des portes de placard et des luminiares. Crédit Rotor
42 . Terme employé par Jean-Marc Huygen, dans la poubelle et l’architecte, Arles, Actes Sud, 2008.
Cette exposition permet aux riverains de comprendre concrètement, comment un matériau qui est généralement considéré comme un « déchet »42, peut devenir une ressource qui a les mêmes qualité qu’un matériau neuf, ainsi qu’une histoire. C’est aussi un moyen pour les architectes de se projeter plus concrètement sur la manière d’intégrer ces matériaux à leur projet, ainsi que le rendu qu’ils auront. (fig.13)
48 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
Le dernier temps fort pour la maison du projet fut celui de la mise en place d’une ressourcerie. «La démarche a pour objectif d’organiser la collecte et le stockage des matériaux ayant pu être déposé soigneusement. Cet effort permet de mettre en place une modeste banque de matériaux qui peut activer un volet de réemploi simple, quasi spontané, inscrit dans des dynamiques sociales ou d’économie alternative.»43
43 . Citation du document produit par Rotor, sur la mise en place d’une ressourcerie.
Le réemploi de matériaux in situ ne permet pas toujours d’être réintroduit dans le nouveau projet. Il faut de cette façon trouver des alternatives pour que ces matériaux puissent retrouver une seconde vie et perdurer. Cette ressourcerie se divise en deux parties. Une première partie pour stocker les matériaux dédié au réemploi sur site. Ces matériaux sont entreposés à un endroit précis et identifiés pour ne pas qu’ils soient confondus. La seconde partie, correspond à tous les autres matériaux qui n’étaient pas en quantité assez importante ou que les architectes ne souhaitaient pas ré-intégrer à leur projet. Tel que les poignées de portes, des équipements sanitaires, certains luminaires, ou encore des éléments de décors. Tous ce matériaux restants sont mis à dispositions de repreneur extérieur au projet. Ce sont principalement des particuliers, qui sont intéressés par certains éléments propres à la caserne ou des entreprises. « Malgré l’intérêt des composants, les aléas de calendrier et de logistique ont mené à un succès mitigé côté associatif, constate Elodie Capelle. A l’avenir, la solution passerait par une mise à disposition de plus longue durée dans un local indépendant du chantier. »44
Toutefois, le réemploi étant arrivé tardivement sur le projet de la caserne, de nombreux matériaux tel que les planchers en bois n’ont pas pu être réemployé du à des contaminations lors de la déconstruction. L’initiative de mise en place d’une ressourcerie reste donc très minime vis-à-vis du potentiel réemploi de départ.
44 . Citation de Elodie Capelle dans le magazine AMC n°266, «Reuilly, laboratoire du réemploi in situ», Fev 2018.
CHAPITRE I - 49
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Figure 13. Explication du projet aux riverains, à la maison du projet. Crédit photo Rotor
CHAPITRE I - 51
3. La particularité du réemploi in situ
Le réemploi in situ, est l’utilisation des matériaux inertes disponible sur site. On parle aussi de mine urbaine, le bâtiment et ses matériaux ne sont plus considérés comme obsolète, mais comme une ressource pour le futur projet. Cela induit nécessairement de nouvelles phases dans le chantier, ainsi que de nouveaux acteurs, notamment pour ce qui est de la déconstruction, du stockage des matériaux et de leur reconditionnement.
A/ La déconstruction 45 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », publié par presses polytechniques et universitaires romandes.
« Les principaux obstacles sont d’abord économiques. La question du coût du travail joue un rôle clé. Mais on pourrait aussi citer dans cette catégorie les rapports entre le coût de la matière et le coût du travail ou la pression foncière qui influence le rythme des démolitions et tend à diminuer les opportunités de récupérer des éléments lors de ces travaux. »45
46 . Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. " Loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015."
Depuis peu, l’ADEME46 impose un diagnostic déchet au-delà de 1000m2, pour identifier le potentiel que peut avoir un bâtiment et rentrer dans l’objectif fixer pour 2020 de recycler 70% des déchets du bâtiment. Cependant, explique Victor Meesters, rien n’est mis en place après ce diagnostic pour expliquer aux entreprises comment recycler/réutiliser/réemployer. Il n’y a pas « d’incitation à valoriser ces matériaux. » Ce qui fait qu’aujourd’hui encore de nombreux matériaux inertes vont être mis à « la benne »47, pour être recyclés, incinérés ou ensevelis. Plutôt que réintégrer ces matériaux dans un circuit de distribution ce qui montre encore une certaine méconnaissance des alternatives.
47 . Terme employé par Victor Meesters lors d’un entretien téléphonique, 10/09/2019
48 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, 04/10/2019.
La déconstruction est une étape clé lorsque l’on souhaite réemployer des matériaux de construction. C’est le moment durant lequel il faut être le plus attentif pour que les matériaux destinés au réemploi soient déposés et stockés correctement. La déconstruction commence petit à petit, à remplacer la démolition qui consistait à faire tomber le bâtiment en triant les gravats, ce qui était beaucoup plus rapide.
« Il faut accompagner la société de démolition, si elle voit le réemploi comme un obstacle, il faut faire en sorte de l’écouter et de ne pas forcer le réemploi. »48
52 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
Pour le projet de la Caserne de Reuilly, la déconstruction a débuté avant que Rotor ne fasse le premier diagnostic réemploi. Ce qui a engendré quelques complications lors du réemploi des matériaux pollués par la déconstruction. L’entreprise de déconstruction n’avait pas pris en compte le fait que certains matériaux de construction pouvaient être réintégrés dans le futur projet. Ainsi, tout le parquet en bois sur les cinq bâtiments restants de la Caserne a été pollués au plomb ne pouvant alors plus être reconditionné. Les radiateurs ont eux aussi été pollués, mais au vu de la quantité importante disponible sur le site ils ont pu être réintégrés par une filière extérieure. (fig.14) Victor Meesters a permis de créer un échange avec l’entreprise de démolition. Tout d’abord pour expliquer l’objectif de réemployer des matériaux de construction, mais aussi de voir sur le terrains si certains matériaux qu’il préconisait n’étaient pas trop compliqués à démonter. Le réemploi doit rester quelque chose de simple qui ne contraigne pas trop les entreprises dans leur travail habituel.
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Légende : Bâtiments conservés : Décontamination et curage
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Bâtiments détruits : Décontamination et démolition Limite du site
Figure 14. Plan des bâtiments détruits et conservés. Production personnelle
CHAPITRE I - 53
C’est par exemple ce qui s’est passé pour les appareils sanitaires de la caserne, des indications ont été données par Rotor pour qu’ils soient détachés soigneusement et stockés avant reconditionnement, ce qui ne leur prend pas plus de temps, mais qui permet de préserver au maximum ces matériaux.(fig.15) 49 . Citation de Julie Benoit, architecte du collectif Bellastock, dans le magazine Le Monde, «Bâtiment : comment faire du déchet une ressource», Nov 2019.
« Avant que ce ne soient des déchets, ce sont des éléments de construction, donc des ressources. Arrêtons de parler de déchets, commençons par conserver l’intégrité des éléments de construction. »49
La partie dépollution des bâtiments est très importante sur le site de la Caserne de Reuilly car c’est un vieux bâtiment, environ trois mois ont été nécessaires à cette étape. Elle s’est faite en quatre étapes, le curage, le désamiantage , la dépollution au plomb et la démolition des bâtiments non conservés. Malgré la volonté du maître d’ouvrage Paris-Habitat de faire un diagnostic ressource et d’intégrer le réemploi au projet, onze bâtiments ont été démolis et seulement cinq sont réhabilités. Ce qui montre qu’il reste encore des efforts à faire par rapport aux ressources que l’on peut tirer d’un bâtiment et des matériaux qui le composent. Une particularité pour ce projet, qui rajoute une complexité à la déconstruction est le fait d’être sur un site occupé, devant recevoir du public. Plus particulièrement, pour le bâtiment qui accueille la maison du projet dans lequel des personnes se rendent tout au long de la phase du chantier. C’est une problématique supplémentaire à prendre en compte par les entreprises.
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Figure 15. Stockage des matériaux dans les étages de la Caserne de Reuilly. Crédit Rotor
CHAPITRE I - 55
B/ Une solution plus complexe à mettre en oeuvre 50 . Citation de Rotor dans le magazine AMC n°266, « Reuilly, laboratoire du réemploi in situ », Fev 2018.
« Le choix du réemploi in situ, comme à Reuilly, est le plus contraignant. Tributaire du contexte et de ce que le chantier réserve, il nécessite une grande adaptation du projet à la réalité rencontrée. »50
Le réemploi sur site permet aux architectes d’utiliser des matériaux de construction qui ont une « patine » ainsi qu’une histoire avec le lieu. Permettant de conserver une mémoire de la caserne qui n’est pas uniquement celle du bâti existant. Cependant, comme l’explique l’AMO Rotor, le réemploi sur site est celui qui est le plus pratiqué actuellement étant donné que c’est le plus évident pour les maîtrises d’ouvrage généralement contraintes de faire un diagnostic déchet. Néanmoins, il rend le projet plus complexe : De nombreuses phases s’ajoutent telles que la dépollution, le décapage, la dépose, le stockage ainsi que le reconditionnement. Pour pallier à ce problème, il existe aussi le réemploi ex situ ou en ressourcerie qui consiste à passer par des filières extérieures pour réemployer des matériaux de construction. Ce processus permet alors de ne plus avoir nécessairement à passer par toutes les étapes de déconstruction/stockage/reconditionnement, simplifiant aussi le travail du maître d’œuvre qui n’a plus besoin de coordonner les phases supplémentaires, ainsi que les entreprises qui se retrouvent avec un chantier moins complexe. (fig.16) En revanche, l’usage de ces matériaux nécessite toujours une très grande attention lors de la conception et l’intégration au projet.
Démolition : 30 minutes
Dépose : 2 heures
Figure 16. Différence de temps entre la démolition et déposer un sol. Production personnelle.
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« À condition que les plateformes d’échanges se développent, il est probable que la généralisation du réemploi passera plutôt par le réemploi ex-situ. »51
Le réemploi in situ, complexifie aussi la tâche des entreprises, qui doivent apprendre à travailler autrement, ou du moins être plus conciliantes. Pour les projets de la caserne de Reuilly, Victor Meesters a dû porter une attention particulière sur la rédaction des lots de réemploi pour que l’entreprise ait toutes les clés en main pour déposer et réintégrer convenablement ces matériaux. « Nous avions fait une commande de bois de réemploi sur un chantier, ou ils n’avaient pas cerclé les éléments. Il restait des clous sur certaines planches, ce qui a abîmé tout le lot. »52
De plus, comme nous avons pu le voir dans les parties précédentes, la phase de chantier fait intervenir de nombreux acteurs qui vont travailler sur des tâches précises. La manière dont sont stockés les matériaux est prédominante pour qu’aucun ne soit détérioré ce qui arrive régulièrement. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles de nombreux éléments de réemploi sur le projet de la Caserne de Reuilly n’ont pas pu être réutilisés ou que leur quantité a diminuées. Pour les radiateurs, certains ont été détériorés lors du déplacement dans les étages. De même que pour les vasques en céramique fendues lors du transport. La phase du chantier est un moment crucial pour pérenniser le réemploi, lors de l’inventaire des matériaux il est nécessaire de prendre en compte les problèmes qui peuvent subvenir, pour que les architectes puissent savoir environ quelle quantité de matériaux vont être réintégré. Au total, sur les six cabinets d’architecture faisant partie du projet, seulement deux ont réellement pu prendre en main le réemploi des matériaux de la caserne. On peut alors se demander pour quelle raison les autres architectes n’ont pas souhaité intégrer des matériaux de réemploi à leur projet. Suite à un entretien avec Nicholas Diddi de l’agence NP2F, le réemploi n’a pas pu être envisagé à cause de la quantité disponible il s’avère que le choix des matériaux se faisait «premier arrivé, premier servi.»53 On constate que leur quantité sur site peut devenir un frein. « Les panneaux en trespa n’étaient pas en quantité assez importante, pour pouvoir en mettre dans leur projet. Une réflexion a été faite sur les ardoises pour être stocké sur site, mais à cause des problèmes d’amiante et de pollution ils n’ont pas pu l’utiliser. »54
51 . Citation de Victor Meesters, dans le magazine CTB, « Déchets, un gisement pour le bâtiment », Avr 2017.
52 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor, sur la question du stockage. 04/10/2019.
53 . Entretien avec Nicholas Diddi de l’agence NP2F, sur l’utilisation de matériaux de réemploi. 24/11/2019. 54 . Ibid
CHAPITRE I - 57
55 . Entretien avec Nicolas Gaudard de l’agence MIR Architecte. 05/12/2019.
C’est aussi le cas de l’agence MIR Architectes, Nicolas Gaudard explique, que l’intégration des matériaux de réemploi dans le projet n’a pas pu être possible à cause de la quantité des matériaux sur site qui était trop faible ainsi que les problèmes d’amiantes et de pollution qui ont posé problème, «on aurait souhaité réemployer les ardoises en toiture, de la serrurerie ou les gardes corps, mais cela n’a pas été possible à cause de l’amiante.»55 La quantité de matériau pouvant être réemployé est très contrainte par le site, il faut ainsi s’adapter au «déjà-la.» Cependant, malgré un manque de matériaux sur site, aucun des six architectes travaillant sur le projet de la Caserne de Reuilly n’a pallié à ce problème de quantité et de pollution en utilisant des matériaux de réemploi hors site.(fig.17) La question du réemploi des matériaux in situ leur apparaît comme une évidence, alors que les matériaux ex situ sont encore très peu intégrés dans les projets architecturaux. 2e et 3e trimestre 2017 : Dépose de la toiture
Janvier 2016, Inventaire : Relevé photographique/ Echantillonage
Mars-Avril 2016, Diagnostic : Tests sur les ardoises
Réemploi des ardoises in situ
3e trimestre 2016 : Sélection d’une entreprise pour la dépose Février 2016 : Echange avec les architectes
2016 : Trouver une filière extérieure qui réemploi des ardoises
Réemploi des ardoises ex situ
2018 -2019: Triage/Stockage/ Reconditionnement
2019: Selection d’une entreprise de couverture
2019 : Transport des ardoises sur site
Figure 17. Comparaison des étapes nécessaires entre le réemploi in situ et ex situ des ardoises. Production personnelle
58 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
C/ Vecteur d’emploi « Solidaire enfin, en reconsidérant tant les filières de production des matériaux que celles des mises en œuvre pour réapprendre le juste prix des choses et du travail humain. Tissé de relations humaines et environnementales, d’inventions communes et de bricolage participatif, un cadre de pratique de ce type, emprunté à l’économie domestique, offrirait à l’architecte une place d’embrayeur social et créatif plutôt que de décideur. »56
Le réemploi est une pratique qui permet de faire recirculer des matériaux de construction, mais elle permet aussi de créer de l’emploi ainsi que du lien social.
56 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », publié par presses polytechniques et universitaires romandes.
On peut tout d’abord l’observer avec le schéma des acteurs ou de nouveaux intervenants sont nécessaires dans le projet de la Caserne de Reuilly avec l’assistance à maîtrise d’ouvrage opéré par l’agence Rotor, qui a un rôle de conseil. On voit aussi les entreprises de démolition qui petit à petit se spécialisent dans la déconstruction, comme c’est le cas avec ATD ce qui nécessairement crée de nouveaux emplois, car il faut plus de main d’œuvre ce qui constitue un coût plus élevé. C’est alors un retour à l’échelle du «bricoleur» qui vient démanteler pièce par pièce les éléments de construction. « Si la déconstruction reste deux fois plus chère que la démolition, sa généralisation sauverait pourtant 160 millions de tonnes de déchets de chantier par an, offrirait six fois plus de travail et créerait des milliers d’emplois. »57
57 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p15.
Le fait que ce soit du réemploi in situ permet à la fois d’engager des personnes sur le chantier pour toutes les phases en plus qui seront nécessaire au réemploi des matériaux, mais il crée aussi une dynamique à l’échelle de la ville. On parle alors de filières extérieure, ces entreprises spécialisées dans le réemploi deviennent de plus en plus présentes sur le territoire, avec des plateformes qui référencent toutes ces artisans pour leur donner de la visibilité. Aujourd’hui, Rotor a recensé plus de cent cinquante entreprises réemployant des matériaux de construction en Belgique avec sa plateforme Opalis et compte faire la même chose en France. Un des problème majeur pour le réemploi des matériaux de construction actuellement, réside dans le manque de communication entre les filières existantes et les acteurs du projet tel que les maître d’oeuvre qui ne sont pas forcement informé de leur présence.
CHAPITRE I - 59
Compte rendus d’entretiens téléphoniques
Radiastyl, Février 2016 - Vend et rénove des radiateurs en fonte (entretien téléphonique) Discussion générale sur le reconditionnement des radiateurs “Radiateurs de style contemporains: fonctionnent de la même manière que des radiateurs classiques (pour peu qu’ils soient bien en fonte, il existe aussi des radiateurs aluminium massifs). Ils peuvent être sectionnés et recomposés. Le tarif de rénovation est sur devis. Prix sont dégressifs en fonction des quantités. Cela comprend: décapage + nettoyage; réduction des raccords pour mettre les sections à un diamètre actuel (par ex. 1/2 ); le redimensionnement des radiateurs; test de mise sous pression 9 bar; une garantie étanchéité de 10 ans. Nous avons récemment fait un projet avec 130-200 radiateurs sur Paris. Nous avons fourni les radiateurs pour la restauration de la villa Cavrois à Lille.”
SDP décapage, Février 2016 (entretien téléphonique) Discussion générale sur le reconditionnement des radiateurs “ Nous sommes uniquement une entreprise de décapage (boiseries / radiateurs). Notre service comprend : décapage chimique / nettoyage; sablage par endroits si nécessaire; mise en peinture avec epoxy cuit au four à 180° (dans la cabine de peinture le radiateur est mis à la masse: attire les gouttelettes de peinture par effet électrostatique - pas juste au pistolet). Alternative: vernis transparent mais c’est un peu plus cher. Nous ne faisons pas de remise à dimension, test d’étanchéité, etc. Le tarif de rénovation est sur devis. Prix sont dégressifs en fonction des quantités. Il se calcule par type de radiateur et par surface. Exemple: radiateur 6 colonnes 70 cm x 120 cm = 180 € htva. Ce prix ne comprend pas le transport. Nous avons déjà fait des gros des chantiers, par exemple 185 radiateurs à la banque de France.”
Figure 18. Exemple de deux entreprises pour le réemploi des radiateurs. Crédit Rotor
58 . Conférence sur le thème, Réemploi, une deuxième vie sur le projet de Saint-Vincent de Paul à Paris. 59 . Données provenant de document produit par Rotor lors de l’inventaire des matériaux de réemploi pour la Caserne de Reuilly.
Selon Noe Basch, ingénieur chez Mobius, entreprise spécialisé dans le réemploi, ce manque de structuration et d’identification des filières est un des freins les plus importants pour le réemploi. Le problème n’est pas tant de « motiver les acteurs du chantier mais de leur donner les clés pour pouvoir mettre en oeuvre une économie circulaire. »58 Sur le projet de la Caserne de Reuilly, certains matériaux n’ont pas été réemployés sur site, mais ont été récupérés par des filières existantes pour les remettre à neuf. Pour les radiateurs, pas moins de huit filières59 existantes avaient été identifiées par Rotor pour les reconditionner ainsi que deux entreprises pour les déposer. (fig.18) Pour ce qui est des revêtements de sol et plus particulièrement le parquet en bois, pas moins de quinze entreprises ont été identifiées pouvant prendre en charge ce lot ainsi que deux autres pour la dépose. Toutes ces filières permettent de créer des emplois à l’échelle local, et de ne pas passer par la démolition ou la mise en décharge des matériaux.
60 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
« Tout une série de métiers artisanaux réapparaissent [...] cette pratique permet aussi de dénicher des prestataires inhabituels : pour nettoyer les pavés de deuxième main, Atelier Georges a fait appel à une entreprise d’insertion locale.. »60
Pour la partie désamiantage et curage de la Caserne de Reuilly, c’est l’entreprise ATD qui a été sélectionnée. Cette entreprise se charge de tout le curage du bâtiment, de plus elle a une particularité, elle permet à des personnes en difficultés sociale de pouvoir travailler, leur permettant une réinsertion. Pour la partie démolition, deux personnes en réinsertion ont été engagées. On peut ainsi constater que le réemploi est un vecteur d’emploi, car il nécessite plus de travailleurs sur le chantier. Il a aussi un enjeu social, d’accompagnement et de réinsertion. De nombreuses entreprises font en sorte d’intégrer des personnes en difficultés, tout comme Arthur Poiret a pu l’expliquer lorsqu’ils ont eu besoin d’une entreprise pour nettoyer des pavés.
60 . Arthur Poiret, architecte urbaniste de l’Atelier Georges, dans le magazine Le Monde, « Bâtiment : comment faire du déchet une ressource », Nov 2019.
CHAPITRE I - 61
Pour conclure cette première partie, il apparaît que le projet de la Caserne de Reuilly est un très bon exemple pour comprendre les acteurs concernés par le réemploi in situ, ainsi que le processus mis en place. On a pu voir que l’architecte n’est plus seul lors de la conception du projet. Il doit s’entourer de nouveaux acteurs : Tel que l’AMO présent pour conseiller et encadrer le processus de réemploi. Les entreprises, comme celle de déconstruction qui intervient pour la dépollution et le curage, mais aussi pour la dépose des matériaux qui seront réemployés. Ainsi que les entreprises extérieures, qui facilitent le travail des architectes en se chargeant de récupérer les matériaux et les reconditionner. S’ajoute à ces différents acteurs, la maison du projet qui a permis aux architectes de prendre un temps d’échange sur les différents lots de la caserne ainsi que sur l’intégration des matériaux sélectionné pour le réemploi. Ce temps d’échange est aussi partagé avec les riverains, qui peuvent participer à l’évolution du projet et s’initier à la pratique du réemploi. Cependant, comme nous avons pu le constater, le réemploi sur site n’est pas forcement le processus le plus simple à mettre en œuvre. Il nécessite des étapes supplémentaires durant le projet ainsi qu’une meilleure organisation pour que le travail des entreprises ne soit pas plus complexe. Toutefois, un plus grand nombre d’intervenants vont être nécessaires sur le chantier, ce qui va permettre de créer des emplois généralement locaux et parfois même des emplois de réinsertion sociale comme l’entreprise de déconstruction ATD a pu le faire sur le projet de la Caserne de Reuilly. La phase de chantier est ainsi bouleversée par le réemploi des matériaux de la Caserne de Reuilly. Les architectes doivent prendre en compte les différents aléas inhérents au chantier. De plus, ils doivent échanger avec les autres acteurs pour comprendre comment intégrer des matériaux reconditionnés au projet et faire des modifications par rapport à la conception initiale. Ainsi le réemploi sur site ajoute de nombreuses étapes qu’il faut encadrer pour que le chantier se déroule dans les meilleures conditions, contrairement au réemploi ex situ, qui enlève ces étapes de curage, démontage, stockage, reconditionnement. Ainsi on constate que vingt-six matériaux sur le projet de la Caserne de Reuilly avaient un potentiel de réemploi. Cependant, au fur et à mesure de l’avancée du projet, de moins en moins
62 - Une mutation des pratiques de l’architecte par la co-conception
de matériaux sont finalement réemployables. Comme on a pu le voir avec le parquet présent en très grande quantité, mais pollué au plomb pendant le chantier lors du curage ou encore les ardoises situées en toiture en grande quantité la aussi, mais en mauvais état. Pour finalement, n’avoir que cinq matériaux qui seront réemployés sur le projet.
CHAPITRE I - 63
Figure 19. Compilation matériaux réemployés. Crédit photos Rotor 64 - TITRE DE LAdes PARTIE
II Les matĂŠriaux comme approche de conception
” Il ne faut pas jeter derrière soi, mais plutôt devant soi, pour voir ce que l’on peut faire avec.»“ Alexander Römer
66 - Les matériaux comme approche de conception
« Le choix des matériaux occupe souvent une place lointaine, en fin de liste des priorités. Il convient très souvent de prendre des matériaux standards, les moins chers du marché car disponibles en grande quantité, sans se soucier véritablement de leur provenance ni de leurs qualités précises tant qu’ils répondent au cadre normatif. La majorité des architectes, peu connus ou très célèbres, n’échappent pas à cette tendance. »61
La matière est prédominante dans un projet architectural, elle permet de composer et d’édifier. Nous en sommes cependant déconnectés, que ce soit en école d’architecture ou nous apprenons à dessiner des «traits de différentes épaisseurs»62 pour pouvoir qualifier les différents éléments entre structure et second oeuvre, pour au final lui attribuer un matériau : ce sera du béton, un bardage bois, de l’enduit63... Les matériaux viennent alors comme un outil secondaire à la conception. Selon Nicola Delon et Julien Choppin, on retrouve cette façon de concevoir dans un grand nombre d’agences d’architecture ou la matérialité vient se greffer au projet pour répondre à une simplicité de mise œuvre et ainsi réduire les coûts. La provenance de la matière ou son impact environnemental n’est alors pas une priorité. Toutefois, certains architectes font des matériaux un outil essentiel à la conception, c’est notamment le cas du collectif, ETC qui expérimente dans la plupart de leur projet ou le collectif Bellastock «qui souhaite devenir un laboratoire assumé en lien avec l’expérimentation, une passerelle entre enseignement, recherche, et métiers de l’architecture.»64 « Ce lien à la matière est assez essentiel, quand tu sais comment est fait le béton, extraction du sable, ciment, avoir une benne pour le couler. Une fois qu’il est en place, tu ne sais pas trop comment le démonter. On devrait vraiment y penser avant de couler chaque mètre cube de béton. »65
61 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p76.
62 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor à Paris. 04/10/2019. 63 . Ibid
64 . Entretien avec Bellastock dans l’ouvrage, Entretien avec les collectifs, aux éditions parenthèses.
65 . Entretien téléphonique avec Victor Meesters, 10/09/2019
Penser le projet par la matérialité, permet d’aborder le choix du système constructif comme élément fondateur du projet. Cette approche par le matériau prend tout son sens par sa connexion au contexte, à la manipulation, l’invention pour nourrir le projet. Le réemploi permet de penser le projet par le matériau, il n’apporte pas uniquement des matériaux disponibles, mais offre une réflexion plus approfondie sur la manière de les lier au projet et de composer avec ceci. Ces matériaux qui sont généralement délaissés permettent de donner du sens au projet et de perpétuer leur cycle. « Les choix constructifs, loin d’être des éléments librement choisis en dernier lieu, peuvent au contraire être fondateurs dans une démarche de projet. Qu’ils soient formulés par la commande elle-même ou qui trouve raison d’être dès l’origine du processus. Penser l’architecture par la matière elle-même. »66
66 . Mathias Rollot, la
conception architecturale, éditions de l’Espé-
rou, 2017
CHAPITRE II - 67
1. Des ressources à révéler
67 . Définition donnée par le dictionnaire Larousse.
Expérimenter en architecture c’est «vérifier les propriétés d’un produit au moyen d’expériences»67. Le lien au matériau est très présent lors d’expérimentation. Le fait d’expérimenter, peut permettre d’une part d’innover, et d’autre part de comprendre comment les matériaux sont produits, de quelle manière ils sont mis en œuvre. Se pose alors la question de la provenance de la matière, du processus de fabrication ainsi que de son impact écologique, par exemple l’emploi du béton dans les projets actuels, interroge énormément, sur son impact écologique très fort dû à l’extraction du sable ainsi que la production de ciment. Le réemploi permet d’aborder le projet dans le sens inverse, l’architecte a des matériaux à disposition avec lesquels il doit «faire projet». La conception du projet ne peut alors plus être dissociée de ces matériaux, le concepteur retourne à l’échelle du bricoleur pour voir comment les révéler et les réintégrer dans un nouveau processus architectural.
68 . Citation de Nicola Delon, Julien Choppin, dans l’ouvrage Matière Grise tirée du livre de Claude Levi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, 1960.
« Il s’agit dès lors de développer de nouveaux savoirs et savoir-faire qui soient spécifiques au réemploi et permettent d’élaborer des méthodes scientifiques nouvelles. Cela ne peut passer, dans un premier temps, que par l’expérimentation ou le bricolage. »68
69 . Jean-Marc Huygen, la poubelle et l’architecte, Arles, Actes Sud, 2008. p22
« Le réemploi est l’attitude intermédiaire entre réutilisation et recyclage. L’objet réemployé permet donc une plus grande adaptation que l’objet réutilisé, tout en gardant l’information du premier objet : l’assemblage d’objets obsolètes, avec ses formes et son usage nouveaux, apparaît comme un nouvel objet, mais, à un second niveau de lecture, on reconnaît formes et informations des premiers objets. »69
A/ Le potentiel narratif
Partir d’un matériau pour le projet, c’est avant tout comprendre son processus, sa constitution, ainsi que son histoire. Selon Victor Meesters, si l’on prend une brique, on peut très vite comprendre d’où elle vient et de quelle période. Sa couleur va pouvoir nous donner des informations sur les pigments de terre utilisés, donc de sa provenance. La solidité et la forme de la brique nous renseignent sur son époque. Suite au choc pétrolier de 1970, la cuisson des fours a été diminuée, nécessitant de perforer les briques ce qui les fragilisa. Toutes ces informations racontent une histoire sur les matériaux, qui seront intégrés en conséquence dans le projet. 70 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 05/10/2019.
« Questionner la matière, si tu prends une brique tu peux parler de géopolitique, de social, d’économie, d’ingénierie, pourquoi est-ce qu’elle à cette taille ? Ce qui raconte une histoire sur ces matériaux. »70
68 - Les matériaux comme approche de conception
Figure 20. Ardoises abimées par la corrosion. Crédit photo Rotor
Le réemploi ne permet pas simplement de répondre à une question éthique d’économie circulaire ou de préservation de la matière. Mais offre surtout la possibilité de connaître le bâtiment, savoir pourquoi il a été conçu de cette manière. Il raconte aussi l’altération des matériaux dans le temps, certaines ardoises en toiture sont devenues poreuses usées petit à petit par l’eau. D’autres sont des ardoises synthétiques ce qui signifie qu’elles ont été remplacées à un moment, on les distingue bien, car elles ont des tâches brunes, dues à la corrosion de résidus de fer à l’intérieur.71 Ces informations nous permettent à la fois de comprendre l’origine du matériau, sa composition et sa provenance, mais aussi sa qualité pour ainsi voir si le réemploi est plausible pour ces éléments.(fig.20)
71 . Document de l’inventaire des ardoises pour la Caserne de Reuilly, produit par Rotor.
Les luminaires encastrés sont aussi caractéristiques de la Caserne de Reuilly. Une vingtaine de pièces ont été identifiées sur site, ces objets ont un intérêt, car ils ont un «aspect vintage». Ils peuvent remémorer l’époque industrielle ce qui donne un caractère très brut au matériau. Ils révèlent ainsi l’émotion, le souvenir, l’histoire et le vécu que ces matériaux peuvent susciter. Le réemploi exprime le déjà là, il faut alors composer avec l’existant, ce n’est plus uniquement par l’enveloppe extérieure que le bâtiment raconte une histoire, un patrimoine, mais aussi par la redécouverte des matériaux qui le composent.
CHAPITRE II - 69
72 . Document de l’inventaire des radiateurs pour la Caserne de Reuilly, produit par Rotor.
D’autres éléments comme les radiateurs en fonte situés dans les étages vont nous éclairer sur les différentes périodes de la Caserne, pouvant nous parler de société. Certains sont très décorés, ornés de motifs variés qui correspondent au milieu du XIXe siècle, période où les ornementations en architecture étaient très présentes. Un second modèle, qui est le radiateur en fonte classique, généralement sur 2 pieds, fait référence aux années vingt. Et le troisième type, le radiateur en fonte de type contemporain, généralement accroché au mur et beaucoup plus récent.72
73 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p78.
« L’objet réemployé permet donc une plus grande adaptation que l’objet réutilisé, tout en gardant l’information du premier objet : l’assemblage d’objets obsolètes, avec ses formes et son usage nouveaux, apparaît comme un nouvel objet, mais, à un second niveau de lecture, on reconnaît formes et informations des premiers objets. »73
74 . Ibid
75 . Article de Lionel divlieger, « l’architecture à l’envers » dans le magazine Criticat 18, Oct 2016.
Tous ces matériaux permettent de nourrir le projet, d’en comprendre son évolution. Ces informations permettent au maître d’oeuvre d’intégrer les éléments réemployés de la bonne manière dans le projet. Les radiateurs, une fois reconditionnés n’ont plus la patine du temps, ni même les traces de vieillissement. Néanmoins, on identifie encore la forme de ces radiateurs, leurs tailles qui donnent toutes les informations de temporalité et de vécu. Ce n’est plus l’usure l’identité de ce matériau, mais son apparence qui préserve l’authenticité et la mémoire. (fig.21) Composer avec ces matériaux contraint une partie de la conception qui doit les prendre en compte tel qu’ils sont disponibles. Nous ne partons plus d’une page blanche immatérielle, mais l’enjeu est bien de « façonner à partir de la matière disponible. »74 L’emploi de ces ressources exprime bien plus d’intentions dans le projet, que des matériaux sélectionnés sur un catalogue qui répondront plus à une logique de coût, qu’à une histoire des lieux. « Ces patines, bien lisibles sur la pierre naturelle, le bois, le bronze…, sont recherchés parce qu’elles attestent d’une ancienneté perçue comme un gage de noblesse. »75
D’un simple matériau, le réemploi exprime des intentions, qui par son rapport au contexte et son vécu dessine un premier axe de projet, une première direction.
70 - Les matériaux comme approche de conception
Figure 3. Iconographie personnelle
Figure 21. Époque auxquels appartiennent chacun des matÊriaux. Illustration personnelle.
CHAPITRE II - 71
B/ Expérimenter pour retrouver du lien Le réemploi in situ peut-être un atout pour le projet. Il fait d’ailleurs partie de la majorité des commandes intégrant une logique de réemploi, c’est un des plus évidents pour la maîtrise d’ouvrage, du fait que ces matériaux sont disponibles directement sur place. Toutefois, ce type de réemploi peut s’avérer plus compliqué que prévu si aucune filière n’existe pour reconditionner les matériaux. Il faut alors prendre du temps pour trouver comment les réutiliser et quels artisans seraient capable de s’en occuper. 76 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014.
« Le projet ne s’élabore qu’en parallèle avec la connaissance des matériaux à disposition. [...] C’est par leur manipulation et par des prototypes d’assemblage qu’ils font naître des intentions qui ne seraient pas apparues dans le processus conventionnel. »76
C’est au moment du reconditionnement que le rôle de l’AMO devient primordial, si aucune entreprise ne peut réemployer le matériau, c’est lui qui va expérimenter sur les matériaux et ainsi voir quelles sont les possibilités pour les intégrer au nouveau projet. C’est ce qui a été fait pour les portes de placards sur le projet de la Caserne de Reuilly. Il a fallu les démonter et analyser l’essence du bois pour pouvoir les remettre à neuf correctement. Le décapage a été la partie la plus complexe, car selon le type de bois ainsi que l’usure, différentes méthodes doivent être appliquées. Trois types de décapage ont été proposés : - L’aérogommage, qui est une technique de décapage par propulsion de grains de sable, elle a pour inconvénient d’enlever de la matière, mais elle permet de faire ressortir les veines du bois.(fig.22) -Le décapage chimique, avec comme processus le plus commun le trempage du bois dans un bain d’acide, il faut cependant faire attention à ce que le produit ne pénètre pas dans le matériau, ce qui l’endommagerait. (fig.23) La dernière technique est celle du décapage à la main, qui consiste soit à gratter la couche de vernis recouvrant la surface du matériau soit à poncer au grain fin pour enlever la couche protectrice. (fig.24)
72 - Les matériaux comme approche de conception
Ces différentes méthodes démontrent qu’il est possible de réemployer des matériaux mêmes si aucune filière n’est existante. Cela pose cependant la question du temps que l’on va devoir consacrer pour expérimenter sur ces matériaux. Dans le cas de la Caserne de Reuilly, le fait que la maîtrise d’ouvrage ait choisi Rotor comme conseiller, a donné l’opportunité aux architectes de pouvoir réellement s’impliquer sur ces questions de réemploi et d’économie circulaire. Car lorsque l’architecte doit lui-même prendre le temps d’expérimenter et se questionner sur la manière d’intégrer des matériaux au projet, il peut se décourager ou n’a tout simplement pas le temps de passer par cette étape expérimentale.
Figure 22. Expérimentation par aérogrammages Crédit photo Rotor
Figure 23. Expérimentation par décapage chimique Crédit photo Rotor
Figure 24. Expérimentation réalisée manuellement Crédit photo Rotor
Lors de ces prototypages, la question de l’usage est prédominante vis-à-vis du projet. Il faut alors faire des propositions pour voir si l’usage initial du matériau peut être conservé ou bien si il ne correspond plus à nos modes d’habitat actuel. Dans ce cas, il faut alors le détourner pour pouvoir l’intégrer au nouveau projet. « Réutiliser un matériau de manière efficace reste le fait de ne pas le modifier, et conserver 77 son usage. »
77 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 05/10/2019.
Selon Rotor, c’est tout l’enjeu du réemploi, trouver quelle est la solution la plus efficace pour réintégrer un matériau en le modifiant le moins possible. C’est d’ailleurs une des problématiques auxquelles Rotor a été confronté sur le projet de la caserne, avec les panneaux en trespa.
CHAPITRE II - 73
78 . Ibid
Ils ont une grande qualité car ils sont très résistants, composés de couches successives de laminer et de résine. Leur fabrication nécessite un processus complexe et polluant, l’objectif est alors de lui trouver une nouvelle place pour que le matériau est la plus grande longévité possible.78 La couleur orange vif des panneaux, leur bon état de conservation ainsi que la quantité disponible conséquente font que leur réemploi est pertinent. L’usage premier du matériau comme cloison séparatrice des sanitaires ne correspond plus aux goûts ni même aux normes actuelles. Rotor a donc fait des expérimentations sur ces panneaux pour voir quelles nouvelles fonctions pouvaient répondre au projet.Deux propositions ont été faites, l’une très simple en les transformant en plateaux de table, il suffit de les redimensionner et les fixer sur des pieds. Une seconde proposition, plus recherchée qui consiste à découper les panneaux avec un patron pour en faire des tabourets. Cette fois-ci l’on modifie complètement le matériau en découpant l’élément pour lui trouver une nouvelle fonction. (fig.25) Le plus simple reste tout de même de ne pas transformer le matériau et conserver sa forme initiale. C’est le cas des rambardes et gardes corps qui ne pouvaient pas garder leur fonction de protection dans les escaliers mais qui constituaient un fort potentiel. Le détournement de fonction sans modification de matière paraissait le plus adapté, des prototypes ont été réalisés pour les utiliser en tant que mobilier urbain, venant ainsi créer un espace pour poser les vélos et constituer des assises.
79 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p77.
« La conception architecturale est une alchimie dont la recette ne peut définitivement pas s’écrire. Il faut faire. C’est donc à une équation difficile que s’attaquent ceux qui veulent concevoir autrement. »79
Expérimenter permet de redonner vie aux matériaux devenant obsolètes. Ne pas nécessairement avoir de filières existantes n’est pas gage de non réemploi, cela demande simplement plus de temps pour pouvoir tester/ bricoler. Ces expérimentations offrent au projet de plus grandes possibilités de transformation et d’usages des matériaux. C’est aussi le moyen de comprendre comment est constitué le matériau pour l’intégrer pleinement au projet.
74 - Les matériaux comme approche de conception
Figure 25. Photo prise à la maison du projet, du tabouret réemployé. Crédit photo Paris II Habitat CHAPITRE - 75
C/ Les perspectives de projet 80 . Article de Remi Laporte, La poubelle du banal, dans la revue Le philotope, 2017.
« Les architectes valorisent souvent la qualité plastique dans leurs projets de réemploi. Et nous observons comment leur valorisation peut mobiliser le processus de conception de l’architecte. »80
Dans le projet de la Caserne de Reuilly, l’intégration des matériaux de réemploi doit se faire par un processus de conception commun, le schéma d’acteur est alors bousculé. Une interaction se crée entre les différents acteurs du projet, l’architecte n’est plus seul concepteur, mais à l’écoute des autres intervenants qui prennent part au processus de création. Le défi n’est plus de créer à partir d’un matériau neuf, où l’on connaît ses dimensions, caractéristiques et possibilités de mise en œuvre. Mais au contraire, ce sont des matériaux que l’on doit redécouvrir, qui ont évolué dans le temps, qui sont altérés. L’enjeu majeur est de trouver la meilleure manière de les intégrer au projet pour que leur potentiel puisse orienter des intentions de projet et puisse venir bousculer le processus architectural conventionnel. C’est ce que Rotor a fait sur le projet de la Caserne de Reuilly, en proposant des hypothèses et le champ des possibles. Les axes de réemplois peuvent alors être développés voir même remis en question, pour que la particularité de chaque matériau, puisse faire partie intégrante du projet. 81 . Entretien de Paul Chemetov, Les architectes et la construction, 2014
« La notion de conception est très importante il faut se soucier de la manière de construire de toutes les parties. Dans le bâtiment ce qui fait sens c’est l’expression de la matière, de l’espace, de la lumière. En faisant, des choix structurels ont fait aussi des choix formels. Chaque matériau et détail apportent sa particularité et a son importance pour le projet. »81
Le rôle des architectes est alors de prendre en main ces problématiques et de les intégrer au processus de projet. Parmi les six architectes présents, deux cabinets d’architecture se sont réellement interrogés sur la problématique du réemploi et des ressources. Les propositions qu’ils ont émises reflètent alors une première prise de conscience, à la fois sur la nécessité de préserver nos ressources, mais aussi d’aborder les enjeux de la conception d’une autre façon.
76 - Les matériaux comme approche de conception
PROPOSITIONS DE RÉEMPLOI
Nous allons tout d’abord voir la proposition des architectes de l’agence Anyoji Beltrando, qui ont travaillé sur le lot B de la Caserne de Reuilly.82 Le programme traité pour le projet sont les logements à loyer libre encadré, la première piste de réemploi qu’ils ont souhaité intégrer sont les grilles et rambardes. Ils ont suggérés d’utiliser les garde-corps comme support pour les vélos. Leur choix est de conserver le matériau existant en détournant sa fonction initiale, sans pour autant avoir des problèmes de mise en oeuvre.(fig.26) Une première idée très simple, qui permet de conserver toute l’énergie du matériau, et prolonger son cycle de vie. En adéquation avec les supports pour vélo, la seconde proposition est aussi dans le détournement de l’usage initial du matériau.
82 .Entretien avec Tomoko Anyoji de l’agence Anyoji Beltrando.24/11/2019.
3
Figure 26. Proposition réemploi des rembardes Agence Anyoji Beltrando
Figure 27. Proposition réemploi des grilles Agence Anyoji Beltrando
Cette fois-ci, ce sont pour les grilles qui protégeaient les fenêtres extérieures, symbole assez fort de la caserne, qui sont disposées sur la façade du nouveau bâtiment comme support de plantes grimpantes, solution à la fois fonctionnelle et esthétique qui vient rappeler certains éléments du passé de la caserne, tout en créant un rythme en façade.(fig. 27) 2
3
Figure 28. Vue global des propositions Agence Anyoji Beltrando
proposition de mise en place comme support de plantes grimpantes sur le mur SNI
4
CHAPITRE II - 77
83 . Entretien de Camille Salomon de l’agence LIN Architecte. 27/08/2019.
84 . Ibid
La seconde agence est LIN Architecte, qui travaille sur lot A composé de 90 logements sociaux et 140 lits étudiants. L’objectif pour l’agence fut d’intégrer trois matériaux de réemploi, faisant en sorte d’être en adéquation avec le programme, mais aussi avec le bâtiment. Premièrement les radiateurs en fonte dans le bâtiment des logements sociaux. Sur la base de ce que les filières existantes proposaient, l’usage initial du matériau a pu être conservé facilitant au maximum son réemploi. La quantité importante de radiateurs, environ 360 pièces ont permis de les réintégrer plus facilement. Ils seront disposés dans la partie réhabilitée du projet, créant du lien avec le bâtiment existant de la Caserne de reuilly. Deuxièmement les portes de placards, les indications de Rotor ont été suivies pour le décapage, ce qui a facilité leur travail, comme pour les radiateurs l’usage premier est conservé. Les portes de placards ont aussi été intégrées dans la partie réhabilitée du projet, positionné en regard des murs de refend en pierre de taille. Ainsi, un dialogue se crée entre «la pierre du bâtiment et le bois marqué par le temps offrant une atmosphère particulière».83 (fig.29) Troisièmement les panneaux en trespa. Réintégrés dans la partie du crous, cette fois-ci, l’usage est détourné pour que le réemploi soit viable et corresponde aux attentes du projet.Les panneaux ont été découpés en tabouret pour les assises et redimensionner pour les tables du crous. Une atmosphère «vintage et atypique» fédère l’espace de rencontre des étudiants.84(fig.30) Le processus d’intégration du réemploi se nourrit des échanges et propositions faites par l’AMO, ces échanges entre acteurs permettent une viabilité de ces matériaux dans la conception. La question de l’usage s’adapte et nourrit le processus de projet, créant un lien beaucoup plus fort avec le passé de la Caserne de Reuilly. Certains espaces deviennent hors-norme et uniques comme le crous qui devient beaucoup plus vivant ou la façade extérieure du lot B qui est déstructurée par les grilles créant un motif en façade. Les contraintes de bases auxquelles s’apparentent les matériaux de réemploi ouvrent des possibilités sur la manière de concevoir le projet architectural.
78 - Les matériaux comme approche de conception
Réemploi in-situ Proposition de réutilisation pour les rangements étudiants - variante 100% Méthodologie : > Dépose soigné des panneaux et des chanières bois coulissantes. > Stockage protégé dans les caves du bâtiment Existant AE. > Faisabilité économique du projet + méthodologie avec Rotor > Phase conception avec le CROUS . > Projet associatif ou avec filière de réinsertion pour travail sur les panneaux. Photos personnelle de la réalisation > Création d'un atelier type FABLAB dans les locaux bat AE 100Figure m² en vu29. du futur coworking. > Adaptation insitu : Poncage + Découpe des panneaux + traitement du bois . des placards et des tabourets. > Pose de la fourniture par Entreprise générale ( ou sous-traitant spécialisé ) en charge du marché de construction .
Réemploi in-situ Proposition de réutilisation pour les rangements étudiants - variante 70%
Bureau
Méthodologie à préciser avec Rotor : > Dépose soigné des panneaux et des chanières bois coulissantes > Stockage protégé dans les caves du bâtiment Existant AE Figure 30. Elevation avec placards de Réemploi > Faisabilité économique du projet Elévation partie jour Elévation chambre étudiante - variante 3 LIN Architecte > Phase conception avec le CROUS > Etablissement cahier des charges pour réemploi avec Rotor > Projet associatif ou avec filière de réinsertion pour travail sur les panneaux > Création d'un atelier type FABLAB dans les locaux bat AE 100 m² en vu du futur coworking > Adaptation insitu : Poncage + Découpe des panneaux + traitement du bois > Pose de la fourniture par Entreprise générale ( ou sous-traitant spécialisé ) en charge du marché de construction
R+4
placard bois
R+4
qualité du lot
étages courants
A>B
ré-emploi éventuel
Équipements sanitaires ordinaires
qualité du lot
A
Panneaux HPL c
Description et remarques :
Description et remarques : R+4 sous-sol salle réunion1.pignon ouest étages courants Lot significatif d’équipements sanitaires identique identifié dansde le bâtiments Axonométrie de la chambre - varia lavabo avec tablette et miroir. Il y a deux toilettes femme qui étaient fermés dont on soupçonne qu'elle cache au total 8 autres localisation des matériaux proposés en 45 ré-emploi lavabo+tablette car celles des hommes adjacentes en avaient. Donc potentiellement 53 lavabo. Une série de sanitaire sont séparés par des panneaux en résine HPL pouvant être intéressant pour le réemploi. anciens sont Le fait d’avoir une grande série d'éléments identiques est un atout pour la réutilisation. Cependant ce sont des équipements très simple (et de présent en grande quantité mais présent de nombreaux déteriorations. Elévation chambre étudiante - variante 1 relativement peu cher et peut être démodé (!?). L'encombrement, le conditionnement et le travail de démontage pourraient être base), plus Elévation partie jour
Figure 31. Elevation avec panneaux en trespa onéreux que la valeur du bien. Pistes à explorer en finesse. LIN Architectes
qualité du lot
Description et remarques :
Elévation partie nuit
Série d’éléments complètement accessoires pouvant faire l’objet d
7
Bâtiment n°3 -étages courants
bâtiment n°1
Bâtiment n°3 -R+4
bâtiment n°1 1.
CHAPITRE II - 79
2. Le potentiel des matériaux in situ
85 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 05/10/2019.
« Tu ne sais même pas pourquoi aujourd’hui on démoli certains bâtiments qui ont dix ou vingt ans. On est près à les mettre à la poubelle simplement pour changer les usages, créer autre choses. »85
Aujourd’hui, on détruit certains bâtiments des années 2000, alors qu’ils ne sont pas forcément en mauvais état mais l’usage ne convient plus. On préfère alors faire «table-rase», plutôt que d’utiliser le bâtiment existant parce que les espaces ne sont pas modulables ou réversibles. Et ceci, comme l’explique Victor Meesters au détriment des matériaux qui composent le bâtiment qui pourraient encore "vivre cent an". Le réemploi permet simplement de faire circuler ces matériaux, même si cette pratique est plus contraignante que la démolition. 86 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014.
Hors de tout réemploi possible, se pose aujourd’hui la question cruciale des matériaux qui, n’ayant aucune valeur à nos yeux, sont voués à l’oubli. [...] Cette dernière transformation, semblable aux morts et aux renaissances propres aux cycles cosmiques de destruction et de création par le feu, efface toute mémoire et toute identité. Il n’est plus alors question ni de valeur temporelle ni de réemploi, mais de recyclage. 86
A/ Des matériaux réversibles Un des premiers freins au réemploi est l’utilisation du mot «déchet» pour qualifier les matériaux de construction disponible sur site. Ce qui leur donne une connotation négative, et peut décrédibiliser leur usage par rapport à du neuf. Selon Rotor, il vaudrait mieux parler de ressources ou de potentiel pour donner de la valeur à ces matériaux. Cette notion est développé plus précisément par le collectif Bellastock, lorsqu’ils parlent de mine urbaine qui compose la ville. On comprend ainsi, que les bâtiments peuvent offrir des ressources pour le chantier. 87 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », publié par presses polytechniques et universitaires romandes, p144.
« Problème de nos modes de construction actuel, avec le mastics, colles, panneaux sandwichs , ces éléments contribuent à améliorer nos performances énergétiques, ils risquent cependant de poser des problèmes pour les déconstruction futur. » 87
La question de l’assemblage et du désassemblage devient de plus en plus importante dans les constructions
80 - Les matériaux comme approche de conception
Figure 32. Illustration extraite du brevet de W.Gropius, 1947. Il doit permettre l’assemblage de panneaux en bois.
actuelles. Rotor en parle dans son ouvrage Déconstruction et réemploi, avec le principe du «Design for disassembly et du design for déconstrucion» qui touche à la notion de réversibilité des matériaux. Un des premier exemples de cette architecture modulaire date de 1950, avec le principe du «connector» de l’architecte Walter Gropius. Il propose un système de bâtiments préfabriqués en panneaux en bois dont les composants seraient connectés grâce à des noeuds en acier.(Fig.32) Cependant, ce projet est un échec, à cause de sa complexité de mise en oeuvre. C’est toutefois un exemple de réflexion sur des moyens pour simplifier le désassemblage. « La directive impose aux producteurs d’anticiper dés la conception le désassemblage des produits de façon à réduire leurs impacts environnementaux lorsqu’ils arrivent en fin de vie. »88
88 . Ibid
C’est notamment par la conception d’espaces modulaires ou par l’anticipation des possibilités d’évolution d’un bâtiment que l’architecture évolue aujourd’hui. On identifie bien ce problème sur le projet de la Caserne de Reuilly, qui est un bâtiment très ancien, ce qui complexifie les possibilités de désassemblage ou de réversibilité. Toutefois, certains matériaux sélectionnés pour le réemploi permettent cette réversibilité. C’est le cas des portes de placards en bois, qui ont été facilement démontées, ainsi que le rail qui les composent, ce qui a permis à l’agence LIN Architecte de les ré-intégrer dans leur projet. On peut aussi prendre l’exemple des grilles disposés en façades et utilisés pour le support de plantes grimpantes comme des éléments avec une forte longévité et "fléxibilité". « La flexibilité d’une forme est la posture de projet fondamentale qui permet de l’utiliser temporairement pour un usage particulier tout en permettant le changement d’usage sans occasionner de nouvelle dépense de matière. »89
La majeure partie des matériaux du projet n’ont par contre pas la possibilité d’être désassemblé ou transformé. Du moins, ils ne le sont pas sans qu’un nouvel apport d’énergie soit nécessaire, pour transformer la matière, ce qui demande beaucoup d’efforts. C’est le cas des panneaux en trespa qui servaient de cloison pour les sanitaires, ces panneaux mélaminés sont composés d’un coeur en résine synthétique liaisonné à chaud et sous haute pression à une surface de finition multicouche. Sa particularité réside dans son excellente tenue en milieu humide, avec une résistance bien plus importante que le bois.90
89 . Jean-Marc Huygen, la poubelle et l’architecte, Arles, Actes Sud, 2008. p43.
90 . Document de l’exposition à la maison du projet, Caserne de Reuilly.
CHAPITRE II - 81
Ce matériau ne peut donc pas être désassembler, sa composition ainsi que les techniques industrielles font qu’il est irréversible, dans le sens ou l’on ne peut pas enlever les différentes couches qui le compose. Cependant, pour son réemploi, le choix a été de redécouper dans les panneaux trespa pour créer un nouvel objet. On aura donc une perte de matière ainsi que la nécessité d’apporter de l’énergie supplémentaire, mais une partie du matériau sera conservée pour un nouvel usage. La difficulté du réemploi des matériaux est aussi du au fait qu’aucune indication que ce soit sur le façonnage ou l’entretien du matériau n’existe. Il faut alors pour chaque matériaux, faire une série de tests et d’expérimentation pour qu’on puisse envisager son réemploi. Ce qui freine encore beaucoup les entreprises et maître d’oeuvre. 91 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014. p221
« Un passeport » du matériau permettrait de référencer chacun d’eux et d’identifier leur possibilité d’usages.[…] Pour faire en sorte que les matériaux aillent au bon endroit »91
Comme le soulèvent, Nicola Delon et Julien Choppin dans leur ouvrage Matière Grise, la possibilité d’avoir un passeport du matériau donnant des informations sur sa durée de vie, sa composition, son entretien ... permettrait de favoriser le réemploi et la réversibilité des matériaux. Sur le projet de la caserne de Reuilly , Rotor a pu uniquement retrouver des fiches descriptives de radiateurs similaire, ce qui a permis de comprendre leur fonctionnement et de pouvoir les réemployer correctement. Ces informations leurs ont notamment permis de modifier la taille du tuyau qui ne correspondait pas aux installations prévu pour le projet, en le réduisant. (fig.33)
Figure 33. Illustration personnelle sur les caractéristiques des radiateurs de la Caserne de Reuilly.
82 - Les matériaux comme approche de conception
Le réemploi en est un très bon exemple, car il oblige les concepteurs à retourner à l’échelle du matériau pour être en lien avec la matière et voir de quelle manière il est possible de révéler tout son potentiel.
B/ L’entropie des matériaux « Plus le réemploi est direct, plus on garde la mémoire et moins on dépense d’énergie nouvelle. »92
Chaque matériau nécessite une certaine énergie pour être formé, certains ont besoin d’une faible transformation alors que d’autres vont devoir subir un processus plus complexe. L’entropie est définie par Jean Marc Huygen dans l’ouvrage La poubelle et l’architecte comme « l’énergie emmagasinée par un matériau pour atteindre un certain niveau de complexité.»93 Ce terme est associé au « principe de flexibilité », qui est l’utilisation de l’énergie et de la matière de la manière la plus efficace pour avoir une première transformation. L’entropie sera plus ou moins importante, selon la complexité de chaque matériau. En partant de ce postulat, chaque matériau doit être pris en considération à la fois lors de la construction d’un bâtiment en prenant conscience des étapes de transformation qu’ils ont pu avoir, mais aussi lorsque l’on veut en réutiliser et que l’on se pose la question de leur devenir possible. « Ainsi, un tas de sable est facilement malléable, il n’est pas stable, la mémoire de sa forme est faible. Si l’on fond ce sable, on obtient une bouteille en verre constituée de la même matière, mais organisée de façon plus complexe, une mémoire de l’objet plus forte. »94
92 . Jean-Marc Huygen, la poubelle et l’architecte, Arles, Actes Sud, 2008.
93 . Ibid
94 . Ibid
Les radiateurs en fonte de la Caserne de Reuilly sont un très bon exemple de conservation de l’entropie du matériau. Victor Meesters, a pu m’expliquer que pour avoir ces radiateurs, il a fallu extraire des minerais, qu’ensuite ils sont fondus dans des hauts-fourneaux chauffés à plus de 1500 °C, puis versés sur de la ferraille pour être refroidi progressivement jusqu’à solidification. Pour finir, la fonte sera de nouveau chauffée et moulée pour prendre sa forme définitive. Tout ce processus pour transformer un minerai en un radiateur en fonte est extrêmement complexe, il demande beaucoup d’énergie et rejette énormément de CO2. Cependant, la fonte une fois coulée est quelque chose qui a une durée de vie presque illimitée. Pour la caserne, le souhait était tout d’abord de recycler la fonte des radiateurs en les vendant à la tonne (fig.34), ce qui aurait fait perdre toute l’énergie emmagasinée par le matériau ainsi que sa mémoire.
CHAPITRE II - 83
Applications retenues Comme le souligne Nicola Delon et Julien Choppin dans l’ouvrage Matière Grise, le recyclage doit arriver en dernier recours, comme l’ultime solution. Sur base des directions données par les équipes de maîtrise d’oeuvre et de nos recherches préliminaires, à la date de juin Le prend tout son sens, il de permet deapplication conserver les radiateurs 2016,réemploi les pistes reprises dans le alors tableau ci-dessous et dans les fiches synthèse par ont été explorées. existants qui ont une mémoire, qui appartenaient à une certaine époque, Hypothèses de réemploi émises par les équipes de maîtrise d’oeuvre: mais aussi de nemural pasintérieur avoirpourbesoin d’extraire à cuisine nouveau de laChessex). matière et de la : Lot F (Lacroix ou crédence de - Utilisation en revêtement salle de bain - Utilisation de fragments pour remplissage de gabion dans les aménagements paysager ou décoratifs : Lots D/E (MIR transformer. D’une contrainte, ce matériau offre alors un grand potentiel, tant Architecture). - Utilisation en paillage pour l’aménagement extérieur desde jardins : Lot A (LIN Architecture), Lot C (NP2F/OFFICE KGDVS), d’un point de vue économique que circulation de matériau. Lots D/E (MIR Architecture). Ce cas n’est toutefois pas une généralité, c’est ce qui rend le réemploi Pistes proposant l’intégration des ardoises du site comme un produit de recyclage : complexe. Pour chaque matériau, il va falloir étudier son potentiel. Pour le cas - Utilisation comme poudre pour teinter le béton dans la masse : Lot C (NP2F/OFFICE KGDVS). - Cloutage d’ardoisedisposées dans le béton :en Lotstoiture, D/E (MIR Architecture) - L’entreprise EQIOMétait BETON semblerait pouvoir réaliser des des ardoises l’intention de base de pouvoir les garder échantillons de béton avec incrustations de morceaux d'ardoises.) soit en toiture ou sinon de les appliquer en bardage, pour conserver toute leur > Ces propositions sortent du cadre d’expertise réemploi de Rotor et sont à explorer avec les entreprises à même d’intégrer ces matériaux dans leurs produits. entropie. Pistes évaluées par ordre de valorisation de la matière première : Précédent réemploi identifié
Demande MOE
Valeur d’une ardoise dans cette utilisation
Quantité exploitable
1. Toiture ou bardage étanche
Oui
-
> 0,5- €
4500pc.
2. Toiture ou bardage décoratif non étanche
Oui
-
< 0,5- €
3. Parement mural collé
Expériment al
v
4. Aménagement paysager cheminement sur tranche ou muret
Oui
5. Paillage ou gabion
Oui
Quantité d’ardoise naturelle : 22500 pièces
Complexité et risques
Avis Rotor
2250- €
+++
Effort disproportionné Ardoises non exceptionnelle
4500 à 11200pc.
< 5600- €
+++
Effort disproportionné
< 0,5- €
4500 à 11200pc.
< 5600- €
?
Éventuellement pour expérience ponctuelle
v
< 0,19- €
18000pc.
< 3420- €
++
A voir au moment de la dépose sans garantie
v
< 0,12- €
18000pc.
< 2160- €
++
A voir au moment de la dépose sans garantie
Critères par type de réutilisations:
Valeur potentielle
≈
Figure 34. Tableau des différentes possibilités
réintégrer les ardoises. Crédit Rotor. 1. Toiture ou bardage clos couvert étanche : Triage des meilleures pièces pouvant être de certifiées pour leur étanchéité sur au moins 20 ans. Selon notre enquête, le lot d’ardoises satisfaisant à ces critères pourrait être de l’ordre de 20% des ardoises en présence. 2. Toiture ou bardage décoratif - non étanche : Triage des pièces ayant maintenu leur intégrité formelle à la suite des opérations de dépose avec une plus grande tolérance au niveau de leur usure. Estimation du lot d’ardoises satisfaisant à ces critères, entre 20% et 50% des ardoises en présence. 3. Parement mural : idem 2. 4. Aménagement paysager : Ardoise à conserver en plaque relativement complètes, A défaut de test approfondi de dépose une estimation généreuse du lot pouvant satisfaire à ce critère lors de la dépose serait de 80% 5. Paillage ou remplissage de gabion : idem 4
Néanmoins, les ardoises étant amiantées avec des résidus de fer, le réemploi n’a pas pu être envisageable, malgré une quantité très importante sur site. La seule solution trouvée pour ce matériau a été l’utilisation comme paillage dans le jardin pour une petite partie des tuiles. On ne parle alors plus de réemploi, mais de recyclage ou toute l’entropie ainsi que « la patine » du matériau disparaissent. (fig.35) 95 . Ibid.
11 « Quels que soient les niveaux de complexité de l’objet, de ses matériaux et de leur matière, leur réemploi est l’utilisation la plus efficace de l’énergie, c’est la conservation de leurs informations pour gagner du temps, repousser le plus loin possible le moment où toute l’énergie sera irrémédiablement transformée en entropie. »95
84 - Les matériaux comme approche de conception
Figure 35. Différentes conservations de l’entropie emmagasinée par le matériau. Illustration personnelle
CHAPITRE II - 85
96 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014. p8 97 . Terme employé par Victor Meesters, lors de notre entretien à l’agence de Rotor, 04/10/2019.
« L’énergie grise » dépensée est aussi un facteur important du réemploi pour conserver l’entropie des matériaux. Les placards en bois de la Caserne de Reuilly étaient en quantité suffisante pour susciter un intérêt. Cependant, leur réemploi en l’état n’était pas possible. Rotor a donc du faire des expérimentations durant deux semaines pour trouver le meilleur moyen de réintégrer ce matériau. « Moins de pollutions, de rejets et de déchets, c’est aussi réduire l’entropie inéluctable de la matière, c’est retarder son devenir gris, symbole d’abandon et de dédain »96 Si toutefois, détourner l’usage du matériau est plus complexe, il peut aussi permettre de donner plus de valeurs au matériau que ce qu’il possédait : on appelle cela « l’Up cycling 97. C’est ce qui s’est produit pour les panneaux en trespa, leur potentiel était très important à la fois d’un point de vue de la qualité et de la quantité du matériau. Ces panneaux laminés industriels nécessitent un processus d’assemblage lourd avec un besoin important d’énergie. Leur réemploi paraissait alors essentiel, mais leur usage ne correspondait plus aux matériaux actuel. L’idée a été de découper dans ces panneaux un tabouret, en pièce détachée, qui sera ensuite assemblé. Le tabouret permet alors de donner plus de valeurs au matériau que ce qu’il avait tout en le réintégrant dans le projet. (fig.36) La conservation des matériaux devient un enjeu majeur, à la fois pour conserver la mémoire et l’énergie dépensée pour que la matière soit transformée. De plus, cela permet aussi de ne pas utiliser un autre matériau qui aurait eu recours à un processus complexe de transformation de la matière. Figure 36. Photo personnelle du panneau en trespa découpé.
86 - Les matériaux comme approche de conception
3. Une pratique qui doit passer par la consensus
Gérer un chantier n’est pas quelque chose d’évident, il faut coordonner les différents corps de métier et faire en sorte que chaque phase du projet se déroule dans les temps. S’ajoute à cela, des problèmes inhérents au chantier, ainsi que des modifications du projet pouvant être faites par la maîtrise d’ouvrage. « Nombre d’expérimentations dans le cadre desquelles nous intervenons consistent à réemployer matériaux et produits de construction in situ, dans une vision du développement durable limitée au seul projet. Cela suppose de définir une méthodologie très en amont, qui impacte autant la construction future que la déconstruction, et génère d’importantes problématiques (stockage, accessibilité au site, phasage du chantier). » 98
98 . Citation de Victor Meesters, dans le magazine CTB, « Déchets, un gisement pour le bâtiment », Avril 2017.
Le réemploi vient donc s’immiscer dans ce processus complexe, en ajoutant de nouvelles phases qu’il faut réussir à intégrer. Ces questions-là doivent être traitées bien en amont du projet, lors de la conception pour faciliter toute l’organisation du chantier. Pour la Caserne de Reuilly, le réemploi des matériaux est arrivé très tard sur le projet. De surcroît, il faut prendre en considération les questions de déconstruction, de stockage, d’accessibilité et de coût.
A/ Les moyens de financements « La maîtrise d’ouvrage est l’acteur clef du souhait du réemploi, c’est elle qui doit apporter un raisonnement en coût global du projet et ainsi motivé au réemploi. Par exemple, des surcoûts à la déconstruction peuvent se résorber à la construction »99
99 . Citation de BELLASTOCK. 2018, Repar 2, en partenariat avec l’Ademe et le cstb.
Le réemploi est une pratique qui n’en est qu’à ses débuts, et qui est encore très méconnue. Il est alors nécessaire d’avoir des acteurs qui guident cette pratique, pour faire en sorte que ce soit simple à mettre en place. Le collectif Bellastock voit le réemploi comme quelque chose qui doit être pris en main par l’entreprise ou le maître d’œuvre, ce qui peut toutefois les décourager s’ils ne sont pas encadrés. Paris-Habitat a fait le choix pour le projet de la Caserne de Reuilly de faire appel à un AMO comme on a pu le voir, ce qui permet d’encadrer les architectes ainsi que les entreprises et de les accompagner dans les différentes étapes du réemploi. Cette aide est primordiale pour que la pratique se développe et que la phase chantier ne soit pas plus compliquée. Toujours est-il, qu’avoir un conseiller tel que Rotor, induit des coûts supplémentaires. Le réemploi n’étant pas nécessairement plus avantageux économiquement il faut alors savoir comment financer ce surcoût.
CHAPITRE II - 87
100 . Entretien avec Bryan Tierpied de chez ParisHabitat sur le chantier de la Caserne de Reuilly. 05/10/2019.
101 . Ibid
102 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 05/10/2019.
Paris-Habitat100 a pu percevoir une aide de financement de la part de la ville de Paris, pour encourager les démarches d’économie circulaire. C’est cette subvention qui leur a permis d’avoir un AMO réemploi sur le chantier et de prendre du temps pour réintégrer ces matériaux. Ce coup de pouce de la ville de Paris, a permis d’étudier la question du réemploi dans le projet de la Caserne de Reuilly, sinon il n’aurait pas été pris en compte. Malgré tout, cet accompagnement est encore rare, alors qu’il permet de sensibiliser les acteurs du projet et de les former à cette pratique. Mais la mission d’AMO de l’agence Rotor s’est arrêtée après les échanges avec les architectes ainsi que les riverains. Toute la phase de mise en place sur le chantier ainsi que le suivi du reconditionnement des matériaux a dû être menée par les architectes. C’est à la fois une charge de travail supplémentaire, voire même un surcoût si des problèmes surviennent pendant le chantier. Une seconde subvention aurait pu être perçue par Paris-Habitat, pour le suivi de chantier et l’accompagnement pour la fin du projet. Ils n’ont cependant pas jugé nécessaire de continuer la mission de Rotor.101 Les subventions sont un premier moyen de viabiliser le réemploi et de faire en sorte de l’intégrer à la conception du projet. Ce sont aussi les matériaux eux-mêmes qui vont pouvoir réduire les coûts du chantier, tout dépendra du devenir de ces matériaux, entre réemploi, recyclage ou déchets. (fig.37) « Il faut beaucoup d’efforts pour extraire de la matière, la transformer et finalement obtenir un radiateur. Une fois qu’on a le matériau, on a intérêt de profiter au maximum de sa durabilité et conserver son usage. »102
Figure 37. Différence entre la valeur d’un matériau recyclé et réemployé. Production personnelle.
88 - Les matériaux comme approche de conception
Comme l’explique Victor Meesters, il faut profiter au maximum du « déjà la », en conservant le matériau et si possible sans avoir besoin de nouvelle transformation. Le prix des matériaux sera d’ailleurs très différent selon leur utilisation. Pour ce qui est du concassage des matériaux comme la brique, le béton ou le carrelage valent aujourd’hui 0 €/tonne103, ce n’est donc pas intéressant d’un point de vue économique. Cependant, si l’on prend ces matériaux séparément pour les réemployer, on voit qu’il y a un réel potentiel. Avec environ 220 €/tonne pour des briques de réemploi et pas moins de 800 €/tonne104 pour un carrelage en céramique. Pour le projet de la Caserne de Reuilly, on peut prendre l’exemple des portes en bois. Le recyclage du bois de la porte revient plus ou moins à 10 €/tonne alors que son réemploi permettrait de « la valoriser à environ 50 €/tonne », ce qui n’est pas négligeable lorsque le matériau est disponible en quantité importante. Il ne faut cependant pas essayer de tout réemployer à tout pris. C’est une démarche qui doit se faire sur quelques matériaux avec un fort potentiel, pour ne pas rentrer dans des choses qui seraient trop complexes à réaliser ou qui nécessiteraient trop de temps d’étude. Le réemploi permet de conserver le matériau et de garder sa valeur physique et marchande. Comme le précise Julie Benoit, architecte dans le collectif Bellastock, « Au final, si le réemploi permet une économie d’achat de matériaux, le budget global n’est pas spécialement à la baisse. »105 Il faut ainsi rester pragmatique sur l’apport économique du réemploi. L’enjeu est plus dans la conservation du matériau qu’une réduction de coût vis-à-vis d’un matériau neuf.
103 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », p64.
104 . Ibid
105 . Citation de Julie Benoit, dans le magazine le moniteur, Avr 2019.
CHAPITRE II - 89
B/ Adapter le projet aux aléas du réemploi 106 . Entretien avec l’agence Encore Heureux, dans l’ouvrage, Conversation avec les collectifs d’architectes en France, 2018.
« La réflexion sur la matière et les matériaux au sens large ne conduit pas à une évidence : il ne s’agit pas de dire qu’il faut tout faire en réemploi, ou tout faire en brique, il faut veiller à conserver la conscience de la matière. » 106
Le réemploi a pu être intégré au projet de la Caserne de Reuilly, car l’appel d’offres s’est fait sous la forme d’un appel à idée pour chacune des agences. Le réemploi est arrivé tardivement sur le projet, ceci n’a toutefois pas été un problème pour l’intégrer aux différents lots, car les projets étaient amenés à évoluer. Nous avons pu voir précédemment, les propositions faites par les architectes pour intégrer ces matériaux au projet, comme par exemple les portes de placard dans le lot A de l’agence LIN Architecte ou encore les grilles de support de plantes grimpantes pour le lot B de l’agence Anyoji Beltrando. Toutefois, ces propositions sont amenées à évoluer soit lors du démantelage des matériaux si leur réemploi n’est plus viable, soit durant la phase de chantier en fonction des aléas de ce dernier.
107 . Jean-Marc Huygen, la poubelle et l’architecte, Arles, Actes Sud, 2008.
108 . Entretien de Camille Salomon de l’agence LIN Architectes. 27/08/2019.
« Lors de la conception du projet global, les matériaux ne sont pas connus et prédéfinis dans leur technique et leur esthétique. Le projet définit essentiellement des usages et des performances. »107
Tout d’abord, c’est l’agence LIN Architecte qui a remis en question son projet pour pouvoir intégrer les placards de réemplois. La grande qualité et quantité de ces placards leur ont donné un intérêt majeur. Ces matériaux ont été intégrés dans le bâtiment réhabilité de la Caserne, permettant de faire un premier rappel avec son patrimoine. Camille Salomon108 a pu m’expliquer que l’idée pour ces placards a été de créer un « jeux » avec les murs de refends existants. La moitié des murs de refends ont été coupés pour pouvoir libérer de l’espace et intégrer les différentes typologies de logements dans le projet. Leur permettant ainsi d’avoir au centre du bâtiment les murs de refends qui viennent garder le découpage historique très tramé de la caserne. En regard de ces murs en pierre, le choix a été de disposer une partie des portes coulissantes, ce qui permet de créer une corrélation entre ces deux éléments issus de la caserne. Les murs de refends étant existants, le fait de mettre les placards de réemploi à ce niveau là permet de dissocier le logement entre l’espace de vie et la cuisine par cette zone tampon. Ce processus n’a cependant pas pu être appliqué à tous les logements. (fig.38)
90 - Les matériaux comme approche de conception
« L’organisation du budget et du délai de réalisation est aussi modifiée. Le délai dépend de la disponibilité des matériaux trouvés et peut-être allongés pour des raisons, de collecte, d’étude d’assemblage ou de performance, voir de remise en question du projet. »109
109 . Jean-Marc Huygen, la poubelle et l’architecte, Arles, Actes Sud, 2008.
L’agence LIN Architecte a aussi intégré les radiateurs réemployés à leur projet. Cette fois-ci, ils n’ont pas modifié la conception même du projet en termes de spatialisation. Mais la phase du chantier a posé quelques problèmes notamment pour ce qui est du stockage et du transport. Les radiateurs étant très lourds, le choix a été de les scinder en deux pour pouvoir les transporter plus simplement. À cause de leur poids, le stockage dans les étages n’a pas été envisageable, tous ces problèmes ont entrainé des pertes et de la casse.
R+2
R+1
LEGENDE 1 2 3 4 5 6 7 8
RDC
PLACARD REEMPLOI BOIS A PLACARD REEMPLOI BOIS B PLACARD REEMPLOI BOIS C PLACARD REEMPLOI BOIS D PLACARD REEMPLOI OSB PLACARD 301 PLACARD 302 PLACARD 303
PLACARD EN FACE DU MUR DE REFEND
Figure 38. Plan du positionnement des placards réemployés. Crédit LIN architecte
ELEVATION PLACARD A 2 VANTAUX COULISSANTS (RDC>R+2) 1/20
COUPE
1/20
ELEVATION PLACARD A 2 VANTAUX COULISSANTS (R+3>R+6) 1/20
COUPE
Figure 39. Élévation des placards dans un logement du lot A. Crédit LIN Architecte
1/20
PLAN 1/20 PROJET D'AMENAGEMENT DE LA CASERNE DE REUILLY - PRC
3.02 PLACARD REEMPLOI BOIS A
DATE D'IMPRESSION: 05.07.16
MAITRISE D'OUVRAGE MAITRISE D'OEUVRE PARIS-HABITAT OPH LIN FINN GEIPEL GIULIA ANDI 21 bis rue Claude Bernard, 75005 PARIS Franklinstrasse 15, 10587 BERLIN
N° LOT
A
PROJET
PRC
PHASE
DCE
CODE
DE
N° PLAN
RE-PLA
INDICE
A
FORMAT
A3
ECHELLE
1/20
PAGE
14
CHAPITRE II - 91
La quantité n’étant plus la même que celle de départ, d’autres radiateurs similaires ont été intégrés. (fig.40) Ces aléas ont aussi pausé problème à l’agence Anyoji Beltrando. Comme l’explique Tomoko Anyoji lors de notre entretien, le réemploi a pu être possible avec les grilles pour les utiliser en tant que support de plante grimpante. Cependant, à titre plus démonstratif, l’intention était de réemployer les gardes
Figure 40. Croquis pour scinder les radiateurs en deux. Crédit Rotor
Figure 41. Croquis du mobilier urbain. Crédit Anyoji Beltrando.
Références complémentaires : Radiateurs sectionné
Les radiateurs trop lourds pour le déménagement peuvent être sectionnés proprement en 2 ou 3 morceaux. Pour cela, poser une section de bois sur le sol et coucher le radiateur dessus. Un homme se met debout sur une extrémité, un autre homme saute sur l'autre extrémité. Le radiateur va ainsi se rompre avec un minimum de casse (1 ou 2 éléments perdus, en général).
110 . Entretien avec Tomoko Anyoji de l’agence Anyoji Beltrando, 24/11/2019. 111 . Entretien avec Nicolas Gaudard de l’agence Mir Architecte, sur la question de l’intégration des matériaux in situ, 05/12/2019.
corps de la Caserne, des expérimentations ont été faites pour les intégrer comme mobilier urbain. (fig.41) Malheureusement, « leur stockage n’a pas été correctement prévu et ils ont été dérobés pendant le temps du chantier »110, malgré leur grand potentiel de réemploi. Pour finir, lors d’un entretien avec Nicolas Gaudard de l’agence Mir Architecte, pour le lot D/E. Le réemploi était une intention et un souhait pour le projet, mais « aucun des matériaux ayant été sélectionné n’ont pu être réemployé »111 malgré leurs propositions d’intégration au projet. Le plus gros problème a été la question de la pollution au plomb pour le parquet disposé dans les étages. Son réemploi aurait permis de couvrir toute la surface de plancher nécessaire au projet, cependant à cause d’un problème de phasage du chantier rien n’a pu être réemployé. C’est aussi le cas des ardoises en toitures, qui n’ont finalement pas pu être réemployées alors que des propositions étaient faites pour leur réemploi en toiture ainsi qu’en bardage. La seule solution trouvée pour ce matériau a été de les recycler en paillage dans le jardin extérieur, ce qui reste très anecdotique.
92 - Les matériaux comme approche de conception
«Il faut en permanence revenir sur ce qui a déjà été fait, pour le repenser, le revoir, le reconstruire, le transformer. On commence par dessiner puis on fait des essais. 112
Ainsi, un décalage existe entre les propositions que les architectes ont pu faire dans un premier temps que ce soit dans les intentions de projet ou dans le choix des matériaux. Certains matériaux ont permis de nourrir la conception du projet et d’apporter des modifications. Mais pour la plupart des architectes, l’intégration du réemploi au projet n’a pas pu être réalisée, principalement à cause de problème dû au chantier, que ce soit au niveau de la déconstruction ou du stockage.
112 . Entretien avec Renzo Piano dans l’ouvrage de ROLLOT Mathias. 2017, La conception architecturale, aux éditions de l’Espérou.
CHAPITRE II - 93
C/ Un cadre normatif encore très stricte 113 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014. p85
114 . Ibid
115 . Citation de Cécile Fridé, dans le magazine Le Monde, « Bâtiment : comment faire du déchet une ressource », Nov 2019.
116 . Entretien avec Nicholas Diddi de l’agence NP2F, sur la question des réglementations, 24/11/2019.
« Les règles qui manquent aujourd’hui doivent être souples car les matériaux de réemploi n’ont pas pour vocation première d’entrer en compétition avec les matériaux neufs ; au contraire, ils serviront à hybrider intelligemment certains ouvrages. »113
Un des freins les plus important du réemploi aujourd’hui est la question des normes et des certifications. Les matériaux de réemploi, ayant déjà vécu et étant anciens, ils ne correspondent plus, pour bon nombre d’entre eux aux réglementations actuelles. Ce qui pose de sérieux problème pour les réintégrer convenablement et trouver des entreprises qui s’engagent à les garantir. Comme l’explique Nicola Delon et Julien Choppin dans l’ouvrage Matière Grise, l’objectif du réemploi n’est pas d’entrer en concurrence avec des matériaux neufs mais au contraire de considérer, ces matériaux qui au premier abord peuvent paraître désuet. Ils soulignent aussi le fait que « des matériaux âgés d’une quinzaine d’années sont devenus non conformes pour des bâtiments actuels. »114 Toutefois, il existe des alternatives pour outrepasser ces normes trop strictes pour ce type de matériau. C’est notamment ce qu’explique l’architecte Cécile Fridé, avec la loi ESSOC (loi pour un Etat au service d’une société de confiance), du 10 août 2018 qui est un permis d’expérimenter invitant les maîtrise d’ouvrage et constructeur à innover dans ce domaine. " Ce permis offre la possibilité de déroger à certaines règles, sous réserve de mettre en œuvre une solution d’effets équivalents."115 C’est un des moyens qui peut permettre d’intégrer plus facilement des matériaux de réemploi au projet. Ces soucis de normes font que certains matériaux pour le projet de la Caserne de Reuilly qui n’avait pas spécialement de problèmes non pas pu être réemployé à cause des normes actuelles. Tout d’abord, pour les luminaires, le potentiel de réemploi était très fort avec une quantité de cinquante-deux luminaires sur site ce qui n’est pas négligeable. Cependant, comme l’explique Nicola Diddi, de l’agence NP2F, le but était de « réemployer les luminaires pour un atelier d’artiste, mais la solution était trop coûteuse ».116 Le luminaire existant ne correspondait pas aux réglementations actuelles au niveau de la puissance en lux fourni par la lampe. Deux solutions ont été proposées pour résoudre le problème. La première était de changer le tube fluorescent par un tube led, ainsi que le système électrique, mais elle était beaucoup plus coûteuse que de racheter un luminaire. La deuxième consistait à utiliser ces luminaires comme « lampe
94 - Les matériaux comme approche de conception
de décoration »117, comme complément à d’autres éclairages pour déroger la réglementation. Le maître d’oeuvre, a cependant fait le choix de ne pas réemployer ce matériau dans son projet.
117 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 05/10/2019.
« Par exemple, le marquage CE des bois de structure est devenu obligatoire il y a plusieurs années ; en conséquence, tout bureau de contrôle devrait refuser l’usage en structure de bois de récupération qui n’ont pas été requalifiés en marquage CE. »118
118 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014. p81
Ces questions de normes, sont un problème pour le réemploi des matériaux de second oeuvre même si dans la majeure partie des cas des solutions peuvent être trouvée. Cela devient toutefois plus compliqué pour les matériaux de gros oeuvres, telle que l’enveloppe du bâtiment ou la structure. C’est d’ailleurs pour cela que très peu de projet de réemploi sont aujourd’hui réalisés avec des éléments structurels tel que de l’acier ou du bois. Nicola Diddi, de l’agence NP2F, souhaitait d’ailleurs réemployer les poutres situées dans les combles des bâtiments , leur état ainsi que les certifications actuels pour le bois de structure n’ ont pas permis leur réemploi. Malgré cela, certaines poutres ont été réemployé comme marche dans les logements, ce qui reste très mineur. (Fig. 42-43) Ce problème de certification à aussi perturbé le lot B. Lors de notre entretien, Tomoko Anyoji explique que « très malheureusement il était difficile d’utiliser les matériaux de réemploie pour l’enveloppe du bâtiment ou pour les parties liés à la certification comme la sécurité incendie. »119
Figure 42. Photo des poutres en bois provenant des combles. Crédit Paris Habitat
119 . Entretien avec Tomoko Anyoji de l’agence Anyoji Beltrando, 24/11/2019.
Figure 43. Photo des poutres en bois réemployées en marchent. Crédit Paris Habitat
CHAPITRE II - 95
120 . Entretien avec Nicholas Diddi de l’agence NP2F, sur la question des réglementations, 24/11/2019.
Des problèmes sont aussi survenus pour le réemploi des portes métalliques situé dans les caves de la Caserne. Ces portes étaient en très bon état, le but était des les réintégrer pour leur locaux à vélo. Seulement, la réglementation incendie impose d’installer « des portes CF1H »120, cette certification n’était ne pouvait pas être obtenu. La seule solution trouvée par l’agence pour réemployé ces éléments de grandes qualités à été de modifier la qualification de cet espace pour ne plus avoir à répondre à cette norme. (Fig.44) Les normes et réglementations sont un frein au réemploi, car elles contraignent le réemploi de certains objets qui ont la qualité d’être intégré dans un nouveau projet. Ce problème est encore plus véridique pour les éléments structurels comme on a pu le voir avec les poutres en bois qui n’ont pas pu être réintégrées et qui pour être réemployer doivent pouvoir être certifié CE ce qui est très compliqué. Cependant, de plus en plus d’initiatives sont mises en place, comme « le permis de faire » pour intégrer ces matériaux au projet avec moins de normes. Et permettre de ne pas complexifier le projet, ou devoir le modifier pour répondre aux réglementations actuelles.
96 - Les matériaux comme approche de conception
Figure 44. Portes métalliques, Crédit photo, Paris-Habitat
CHAPITRE II - 97
4. Quel est l’impact de ces matériaux
121 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014. p32
« La période actuelle prend donc l’allure d’une parenthèse historique, où le réemploi est exceptionnel alors qu’il a constitué l’une des règles conditionnant l’architecture au cours des siècles passés. »121
Le réemploi était quelque chose de tout à fait normal dans les constructions avant le XXe siècle. Il réapparaît aujourd’hui comme quelque chose de nouveau et quasiment de « précurseur », alors qu’il a tout simplement été mis de côté durant la période industrielle. Aujourd’hui dans un souci de ressources de moins en moins abondantes, une conscience sur l’économie de la matière ressurgit. 122 . Dans l’ouvrage La poubelle et l’architecte de Jean-Marc Huygen, les matériaux de réemploi son classé dans une cinquième catégorie.
Le réemploi a un impact tant environnemental que social, c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette nouvelle catégorie122 de matériau. On peut cependant se questionner sur son réel impact dans la construction aujourd’hui ?
A/ Une pratique encore marginale Le réemploi est une pratique qui se développe de plus en plus depuis une quinzaine d’années, tout d’abord avec des architectures manifestes, comme par exemple « le Pavillon circulaire », réalisé en 2014 sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, pour le Pavillon de l’Arsenal par l’agence Encore Heureux. Les architectes Nicola Delon et Julien Choppin avaient fait le choix pour cette installation éphémère de disposer en façades, 180 porte qui provenait d’une réhabilitation d’un immeuble de logement dans le 19e arrondissement.
123 . Nicola Delon et Julien Choppin, de l’agence Encore Heureux, pour le pavillon circulaire.
« La volonté est vraiment de donner une autre ampleur à cette nouvelle façon de construire, car on pense que c’est une façon d’avenir et qu’on aura pas le choix de s’y confronter. »123
Ce bâtiment permet de voir concrètement comment est-ce qu’il possible de réemployer des matériaux de construction issus d’autres bâtiments et de les utiliser comme ressources. Cependant, on voit assez vite les limites de cette mise en œuvre, en effet l’usage de portes intérieures comme éléments de façade extérieure n’aurait pas pu résister au temps. On reste sur une architecture éphémère et démonstratrice. (fig.45) On peut aussi prendre l’exemple de l’association Bellastock, très impliqué dans la thématique du réemploi, qui s’intéresse particulièrement au réemploi du béton dans le projet de la Fabrique du Clos, ou des voiles en béton du bâtiment existant ont été réemployé pour les façades d’un local vélo, mis en place pour les habitants.
98 - Les matériaux comme approche de conception
Cette fois encore l’acte est plutôt symbolique et démonstratif, pour montrer qu’il est possible de réemployer des matériaux de gros œuvre même si cela demande une étude et des prototypages plus avancés. (fig.46)
Figure 45. Photo du Pavillon Circulaire. Crédit Encore Heureux
Figure 46. Photo du local vélo de la fabrique du Clos. Crédit Bellastock
« Beaucoup d’architectes n’ont pas joué le jeu sur la question du réemploi. Si la maîtrise d’ouvrage avait dit je veux 5 % de réemploi dans les projets ça aurait permis de pousser cette intention. »124
Pour ce qui est du projet de la Caserne de Reuilly, c’est une des premières réalisations ou une maîtrise d’ouvrage publique est l’initiateur du réemploi. Paris Habitat a fait le choix d’impulser cette pratique et de donner les clés aux architectes. Mais, comme l’explique Victor Meesters, le réemploi n’a pas été imposé aux architectes, des workshops ont été organisés pour se saisir de cette pratique. Il manquait cependant, une volonté de la part du maître d’ouvrage d’imposer un minimum de matériaux de réemploi dans leur projet pour en renforcer l’impact. Noe Basch explique que pour le projet Saint-Vincent de Paul situé à Paris, « un objectif carbone a été mis en place et imposé par la maîtrise d’ouvrage pour que 5 % du bâtiment soit composé de matériaux de réemploi »125, ce qui oblige les maîtrise d’oeuvre a intégrer des matériaux de réemploi et de prendre conscience de l’impact qu’a une construction aujourd’hui en terme d’émission de gaz à effet de serre. La quantité de matériau réemployée sur le projet de la Caserne de Reuilly reste assez faible, comme vu précédemment cela concerne cinq matériaux. On constate que, sur les six cabinets d’architecture qui ont travaillé sur le projet, seulement deux ont pu en intégrer. Ce qui montre encore un manque de considération de l’utilisation de ces matériaux dans la construction.
124 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 04/10/2019.
125 . Conférence sur le thème, Réemploi, une deuxième vie sur le projet de Saint-Vincent de Paul à Paris.
CHAPITRE II - 99
126 . Entretien avec Tomoko Anyoji de l’agence Anyoji Beltrando, 24/11/2019.
Tomoko Anyoji et Nicolas Gaudard ont pu m’expliquer lors d’un entretien, qu’ils n’ont pas pu réemployer les matériaux de la Caserne de Reuilly, ou de manière anecdotique. Les raisons principales sont peu de matériaux disponible sur site ainsi que les problèmes de pollutions. Cependant, la maîtrise d’ouvrage n’a pas obligé les architectes a réemployer ce qui fait qu’ils ne sont pas aller chercher d’autres alternatives, comment passer par une ressourcerie. Par exemple l’agence Anyoji Beltrando, a reconditionné les grilles et rambardes de la Caserne pour des supports de plantes grimpantes et du mobilier urbain. Tomoko Anyoji explique d’ailleurs, « Nous avons récupéré les barreaudages de fenêtre de la caserne pour les utiliser comme support de plantes grimpantes. C’est un peu anecdotique, mais en même temps démonstratif pour sensibiliser les habitants. »126 Malgré le fait que ça n’impact pas la conception du projet, le réemploi permet de sensibiliser les habitants qui vont pouvoir s’approprier les lieux. L’impact du réemploi sera ainsi dans les échanges qui ont été faits avec les entreprises durant le temps du chantier.
100 - Les matériaux comme approche de conception
B/ Une économie de matière et de moyens « Ces outils, qui ont simplement perdu leur utilité et leur environnement, semblent sortir de leur léthargie pour ressurgir, transfigurés, afin d’accomplir un nouveau cycle, une nouvelle vie. »127
Le réemploi est à la fois une réponse au « consumérisme » actuel et « une source de matériaux à faible impact environnemental.»128 Le fait d’utiliser ces matériaux pourrait réduire jusqu’a dix fois l’énergie nécessaire pour produire un matériau neuf .
127 . SCOFFIER Richard. 2011, Les quatre concepts fondamentaux de l’architecture contemporaine, aux éditions Norma. 128 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », p59.
Le réemploi peut être perçu comme une réponse à la multiplication des déchets, ainsi qu’une prise de conscience de l’énergie nécessaire à l’extraction de nouvelle matière, et de création de matériaux neufs. Par exemple, on estime que la production « d’un kilogramme d’aluminium engendre celle de 5 kg de déchets »129 en amont, sans parler de ceux qui seront produits lorsque le matériau sera en fin de vie. Au niveau de la réglementation européenne, c’est depuis 2008 que le réemploi a fait son entrée dans un texte de loi, le mettant comme première solution à envisager, mais pas comme une condition nécessaire.
129
« Moins de ressources extraites, moins d’énergie, moins d’émissions de CO2 pour transformer, transporter, mettre en œuvre la matière. Moins de pollutions, de rejets, de déchets mis en décharge. »130
130 . Nicola Delon, Julien Choppin, Matière Grise, éditions du pavillon de l’Arsenal, 2014. p37
Comme l’explique Nicola Delon et Julien Choppin dans l’ouvrage Matière Grise, le réemploi est avant tout le fait de pouvoir économiser de la matière et des ressources. Au-delà du fait que le réemploi permet d’économiser des matériaux, il permet aussi de réduire leur transport. « On accepte d’aller chercher des bois exotiques à l’autre bout du monde, des granulats sur des plages lointaines ou du granit en Chine ou en Angola comme c’est le cas pour la place Royale à Nantes ou le sol de la rue Alsace-Lorraine à Toulouse. Si de tels produits ont un prix de vente attractif, quel en est le prix véritable ? »131 La question économique est alors très importante, on peut faire venir des matériaux de l’étranger qui sont moins coûteux pour le projet, mais qui ont un impact sur les émissions de CO2 beaucoup plus important. Victor Meesters, soulève l’idée qu’il faudrait se poser la question avant d’utiliser un matériau neuf, « est-ce que c’est possible de faire la même chose en répondant
. Ibid
131 . Ibid
CHAPITRE II - 101
132 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 04/10/2019.
133 . Conférence sur le thème, Réemploi, une deuxième vie sur le projet de Saint-Vincent de Paul à Paris.
à d’autres problématiques »132 en étant plus conscient de l’impact à la fois environnemental et social que peut avoir le matériau sélectionné. D’un point de vue économique, on a pu le voir précédemment, le réemploi ne permet pas de faire des économies sur le projet. Car les économies qui seront réalisées en réemployant le matériau seront des dépenses supplémentaires pour son reconditionnement ainsi que la phase du chantier. Le développement des filières extérieures en France, permettrait de faire en sorte que le réemploi ne soit pas quelque chose de plus coûteux. Cependant, sur les projets de grande envergure qui ont une quantité de matériau disponible importante, le réemploi peut s’avérer avantageux d’un point de vue économie de matière et économie financière. C’est le cas des radiateurs en fonte réemployé sur le projet de la Caserne de Reuilly pour le lot A. Le fait d’avoir eu 360 radiateurs sur site, qui sont de bonnes qualités fait que leur reconditionnement est très pertinent. Tout comme les panneaux en trespa réemployer eux aussi pour le lot A, pour ce matériau la, l’effet a été encore plus positif, car les expérimentations faites par Rotor, ont permis de transformer le matériau pour qu’il trouve un nouvel usage. Lors d’un projet on parle de prix économique d’un matériau pour savoir s’il n’est pas trop coûteux. Mais il faudrait aussi prendre en compte le prix carbone du matériau, qui a du nécessité un certain processus de transformation plus ou moins complexe selon le matériau. Les matériaux de réemploi aurait ainsi un bilan carbone très faible, car seul leur reconditionnement suffit. (fig.47) Pour finir, on peut aussi parler d’une économie de moyen du fait que de nouvelles étapes se sont immiscées durant le temps du chantier, faisant intervenir un déconstructeur ainsi que des entreprises sociales pour dépolluer et démonter les matériaux. Ce qui permet de renforcer l’économie locale et de faire travailler des entreprises de proximité. Le réemploi permet ainsi de développer un « tissu d’acteurs locaux »133, qui vont se charger du démantellement, du reconditionnement ou du transport. C’est donc un atout très important pour créer une dynamique au sein des villes et pérenniser des emplois artisanaux qui sont aujourd’hui petit-à-petit mangé par l’industrialisation et les chaines de production.
102 - Les matériaux comme approche de conception
De plus, pour le reconditionnement des matériaux de la Caserne de reuilly, il a été nécessaire de passer par des entreprises extérieures, qui sont venues récupérer les matériaux pour qu’ils puissent être remis à neuf.
ENERGIE GRISE DES METAUX Aluminium Cuivre Zinc Acier
ENERGIE GRISE DES MURS PORTEURS
Béton armé Béton Béton poreux Brique en terre crue Brique en terre cuite perforée
190 000 kWh/m³ 140 000 kWh/m³ 180 000 kWh/m³ 60 000 kWh/m³
1 850 kWh/m³ 500 kWh/m³ 200 kWh/m³ 120 kWh/m³ 700 kWh/m³
ENERGIE GRISE DU BOIS Aggloméré, OSB Contreplaqué Lamellé-collé Bois massif
3 000 kWh/m³ 2 850 kWh/m³ 2 900 kWh/m³ 700 kWh/m³
ENERGIE GRISE DES ISOLANTS Polystyrène expansé Mousse de polyuréthane Laine de verre Fibre de cellulose Liège Laine Paille, chanvre
32 500 kWh/m³ 20 500 kWh/m³ 8 500 kWh/m³ 900 kWh/m³ 6 200 kWh/m³ 4 000 kWh/m³ 80 kWh/m³ Source ecoconso.be
Figure 47. Énergie grise des différents matériaux en kWh/m3. Production Personnelle
CHAPITRE II - 103
Pour conclure cette seconde partie, on constate que les matériaux de réemploi du projet de la Caserne de Reuilly ont un grand potentiel. Tout d’abord, ils ont un potentiel narratif, leur lien avec le contexte ainsi que la présence d’une « patine » et une trace du temps leur donne un grand intérêt. Ces matériaux offrent la possibilité aux acteurs du projet d’expérimenter et de retourner à l’échelle du « bricoleur », comme ça a été le cas pour les panneaux en trespa transformés en tabourets et table ainsi que les portes de placards en bois pour lesquels plusieurs propositions de réintégration ont été faites ainsi que différents types de décapages. Ces diverses propositions et expérimentations offrent aux architectes la possibilité de repenser leur projet en intégrant les matériaux reconditionnés provenant du site. La conception initiale du projet peut alors être modifiée, c’est le cas pour le lot A de l’agence LIN architecte qui a repensé l’intérieur des logements pour intégrer les placards en bois réemployés en face des murs de refends en pierre existante. Ces modifications restent très minimes sur l’ensemble du projet de la Caserne de Reuilly, mais offrent toutefois la possibilité au maître d’oeuvre de faire évoluer la conception des projets. Le potentiel des matériaux de réemploi est aussi identifié par leur « flexibilité » lors d’une nouvelle mise en oeuvre, ainsi qu’a l’énergie qu’ils ont emmagasinée. Les radiateurs en fonte par exemple ont accumulé une très forte entropie due à un processus de transformation de la matière complexe. Il faut ainsi faire en sorte de conserver le matériau pour économiser cette énergie utilisée en le réintégrant au projet. Toutefois, les matériaux de réemploi peuvent aussi être une contrainte pour la conception et la réalisation du projet. Tout d’abord économique, sur le projet de la Caserne de Reuilly, Paris Habitat a perçu une subvention de l’État ce qui leur a permis de financer l’encadrement du processus de réemploi pour que le travail des architectes et des entreprises ne soit pas plus complexe. Les contraintes peuvent aussi être dues au chantier. Comme on a pu le voir, des aléas peuvent rapidement arriver si tout n’est pas bien encadré. Les radiateurs en fonte ont été contaminés au plomb, mais ils ont tout de même pu être décontaminé ou les gardes corps qui ont été dérobés sur le chantier. S’ajoute à cela, les problèmes qui peuvent être liés aux normes et à la réglementation contraignant le réemploi. C’est l’exemple des luminaires qui ne correspondaient plus à une lumière assez puissante ainsi que celui des portes métalliques en sous-sol qui ne répondaient pas à
104 - Les matériaux comme approche de conception
la nouvelle réglementation incendie. Leur bon état ou la quantité n’est donc pas l’unique chose à prendre en compte pour réemployer des matériaux. L’impact des matériaux de réemploi sur la conception des différents lots de la Caserne de Reuilly reste faible, cependant cette pratique bouleverse la phase du chantier, qui devient un temps d’échange avec plus d’acteurs qui prennent part au projet. C’est aussi un moyen d’économiser des matériaux et de faire travailler des acteurs locaux, donc de proposer un projet qui sera plus éthique, et respectueux des ressources disponibles.
CHAPITRE II - 105
CONCLUSION
134 . GHYOOT Michael, BEVLIEGER Lionel, BILLIET Lionel, WARNIER André. 2015, « Déconstruction et réemploi », p64.
135 . Sabine Barles. 2002, Le métabolisme urbain et la question écologique dans les annales de la recherche urbaine, p143.
Ainsi, le réemploi est une pratique en pleine démocratisation qui se réinvente. Elle réapparaît depuis une vingtaine d’années dans le secteur du bâtiment suite à une prise de conscience des émissions de gaz à effet de serre de l’extraction et du transport de matière produit ainsi que la raréfaction de nos ressources. Il ne faut toutefois pas oublier que c’est une pratique vernaculaire, qui a toujours existé et qui faisait partie du « bon sens »134. Cette pratique reste malgré tout très marginale, et encore compliquée à mettre en œuvre comparé à des matériaux neufs de moins en moins onéreux. Des évolutions sont en cours pour définir clairement cette pratique, l’encadrer pour qu’elle se démocratise et que ce ne soit plus quelque chose perçu comme démonstratif, mais au contraire plus usuel dans les constructions futures. Dans ce mémoire, nous nous sommes attachés plus particulièrement au processus de réemploi in situ, par l’intermédiaire de l’étude de cas du projet de la Caserne de Reuilly à Paris 12e arrondissement. On a pu voir que le réemploi in situ doit continuer à se développer, mais ne doit pas être le seul moyen de faire recirculer des matériaux. Il faut aussi prendre en compte le « métabolisme urbain »135 des villes et se servir des ressources de matériaux qui sont ex situ. Le projet de la Caserne de Reuilly permet de comprendre le processus nécessaire au réemploi des matériaux de construction in situ, ainsi que son impact sur l’ensemble du projet de la conception à la réalisation. Le réemploi sur site a tout d’abord permis de créer un échange entre les différents acteurs du projet, l’architecte doit ainsi prendre en compte les avis et recommandations des entreprises tout comme celui de l’AMO pour que les matériaux de réemploi soient intégrés judicieusement. L’architecte vient ainsi s’appuyer sur le savoirfaire et l’expérience des autres acteurs telle que les entreprises extérieures pour venir enrichir la conception du projet par ces matériaux. C’est aussi un moyen pour le maître d’œuvre de prendre plus en considération la question de la matérialité dans le projet, et de retourner à une échelle expérimentale pour comprendre le matériau, son histoire, sa qualité et le reconditionner. La mise en place de la maison du projet a aussi été une grande particularité du projet de la Caserne de Reuilly. Elle a permis à la fois de créer un temps d’échange entre les acteurs du projet pour comprendre cette pratique et voir concrètement comment intégrer ces matériaux, ainsi que leur particularité. C’est aussi un moyen de créer un dialogue avec les riverains, pour qu’ils puissent s’emparer du projet, le critiquer et être sensibilisés au réemploi.
108 - Conclusion
Au sein de la maison du projet, une exposition à permis de mettre en avant sept matériaux issus de la Caserne de Reuilly et de présenter différentes manières de les reconditionner. Le réemploi in situ, vient dans un second temps modifier le phasage du chantier, des tâches supplémentaires vont devoir être prises en compte telles que le curage, le démontage ou encore le stockage. Un plus grand nombre d’entreprises vont devoir être mobilisées, ce qui permet de créer de l’emploi et de valoriser une méthode plus artisanale. Malgré tout, c’est aussi un processus plus complexe qui est mis en place, nécessitant plus d’attention et de temps de la part des maîtres d’œuvre. Le nombre d’acteurs sur le chantier va donc être plus important, mais aussi à l’extérieur du projet avec la nécessité de passer par des filières qui vont se charger de reconditionner les matériaux. Le réemploi in situ engendre ainsi toute une micro-économie, pour que de matériau « désuet »136, il reprenne toute sa valeur. Les matériaux de réemploi de la Caserne de Reuilly ont ainsi un grand intérêt, tout d’abord parce qu’ils expriment une temporalité, on parle alors de « potentiel narratif »137 se sont des matériaux qui ont un vécu, une « patine », une histoire ce qui leur donne une valeur ajoutée ainsi qu’une particularité pour l’intégration dans le projet. De plus, ce sont des matériaux qui ont emmagasiné une certaine énergie pour être transformé, c’est ce qu’on appel « l’entropie », il faut ainsi faire en sorte de conserver à la fois la matière et l’énergie nécessaire à la création du matériau.
136 Jean-Marc Huygen, la poubelle et l’architecte, Arles, Actes Sud, 2008, p26. 137 . Expression utilisée par Victor Meesters, lors d’un entretien, 10/09/2019.
Le réemploi in situ, a aussi permis de faire des expérimentations et de retourner à l’échelle du matériau et de la matière, pour comprendre sa constitution, ses possibilités d’usages pour les réintégrer dans le nouveau projet. C’est le cas par exemple pour les panneaux en trespa, ou des expérimentations sur le matériau ainsi que des tests en fablab ont été nécessaires pour le transformer en table et en tabourets. Pour intégrer ces matériaux reconditionnés, les architectes ont émis des propositions. Ceci s’est fait principalement grâce aux expérimentations et aux échanges avec les entreprises. Certains ont pu faire évoluer la conception de leur projet pour pouvoir les intégrer de leur meilleure manière comme LIN architecte pour le lot A, qui a modifié l’agencement de certains logements pour intégrer les portes de placards en bois issu du site. Lorsque l’on parle de réemploi de matériau de construction, il faut aussi prendre en compte les différents aléas et problèmes de réglementations qui peuvent freiner leur intégration. Comme on a pu le voir sur le projet de la Caserne de Reuilly avec les problèmes de pollution au plomb pour le parquet en bois, les problèmes de stockage comme pour les lavabos qui ont été fendus
Conclusion - 109
lorsqu’ils ont été entreposés dans les étages ou encore la réglementation incendie qui a contraint l’intégration des portes métalliques qui n’étaient plus conformes. Le réemploi des matériaux in situ a donc participé au processus de conception architecturale. Notamment pour ce qui est de la phase du chantier ou de nombreux ajustements et échanges ont dû être faits tout au long du projet. L’architecte n’est plus seul à penser le projet, mais il doit se nourrir de l’expérience des autres intervenants. Pour ce qui est de la conception même des projets, le réemploi sur site a très peu modifié l’aspect architectural des différents lots. Uniquement pour le projet de LIN Architecte et Anyoji Beltrando où quelques modifications dans les projets initiaux ont été opérées, ce qui reste assez secondaire. Ainsi le réemploi, est une pratique encore peu démocratisée dans le milieu de la construction. La question de l’économie de nos ressources devient un sujet de plus en plus préoccupant, c’est pourquoi de nombreuses entreprises commencent à prendre en main le sujet du réemploi des matériaux de construction. Les maîtrises d’ouvrage sont maintenant obligées de faire un diagnostic déchets pour les constructions de plus de 1000 m2, ce qui les poussent à trouver des alternatives. Des start-ups sont aussi en train de se développer comme revendeurs de matériaux de réemploi ou par la création de plateformes qui mettent en lien les acteurs de la construction telle qu’Opalis crée par Rotor en Belgique ou par la création de ressourceries qui stockent les matériaux comme Re.Source à Lyon qui met à disposition des matériaux issus de chantiers pour des particuliers, la réserve des arts à Paris, qui stockent des matériaux de réemploi pour les réinsérer dans de nouveaux projets ou encore Mobius qui se spécialise dans le diagnostic et le conseil en réemploi. Au-delà de ces initiatives qui commencent à fleurir, il faut aussi que le remploi soit mieux considéré par l’État, qu’il soit finalement plus avantageux que l’usage de matériaux neufs ou que la taxe sur les déchets de chantier devienne plus conséquente, pour inciter à trouver d’autres solutions. De nombreux freins sont toujours présents comme l’aspect économique, mais aussi la réglementation qui est encore trop rigide.
110 - Conclusion
Comme expliquait Victor Meesters lors de notre entretien, il faut aussi laisser la possibilité au « projet d’évoluer durant l’avancement du chantier pour que les matériaux sélectionnés dans le marché de base puissent évoluer »138 en fonction des matériaux disponibles au moment de la réalisation du projet, ce qui permettrait de travailler en flux tendu et limiter les coûts du réemploi.
138 . Entretien avec Victor Meesters à l’agence de Rotor. 04/10/2019.
Conclusion - 111
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Bibliographie - 117
Iconographie
FIGURE 0. Page de couverture, matériaux entreposés dans les étages crédit photo Paris Habitat.
FIGURE 15. Stockage des matériaux dans les étages de la Caserne de Reuilly. Crédit Rotor
FIGURE 1. Document qui présente le projet de la Caserne de Reuilly. Crédit Paris-Habitat FIGURE 2. Maison du projet, crédit photo Rotor
FIGURE 16. Différence de temps entre la démolition et déposer un sol, provenant d’un entretien avec Victor Meesters. Production personnelle.
FIGURE 3. Schéma des différents acteurs nécessaire au réemploi des radiateurs en fonte. Production personnelle.
FIGURE 17. Comparaison des étapes nécessaires entre le réemploi in situ et ex situ des ardoises. Production personnelle
FIGURE 4. Document de l’inventaire réemploi. Produit par Rotor
FIGURE 18. Exemple de deux entreprises pour le réemploi des radiateurs. Crédit Rotor
FIGURE 5. Échange sur le réemploi in situ à la maison du projet, crédit photo Rotor
FIGURE 19. Compilation des réemployés. Crédit photos Rotor
FIGURE 6. Document du diagnostic réemploi pour les radiateurs, produit par Rotor
FIGURE 20. Ardoises abîmées par la corrosion. Crédit photo Rotor
FIGURE 7. Processus pour le réemploi des radiateurs en fonte. Production personnelle
FIGURE 21. Époque auxquels appartiennent chacun des matériaux. Illustration personnelle.
FIGURE 8. Plan de repérage des différents types de planchers en bois. Produit par Rotor et retouché.
FIGURE 22. Expérimentation de l’AMO par aérogrammages. Informations provenant de l’inventaire des placards en bois. Crédit photo Rotor
FIGURE 9. Figure 9. Document de l’inventaire réemploi pour les planchers en bois, produit par Rotor. FIGURE 10. Frise expliquant les différentes phases du réemploi de la Caserne de Reuilly. Production personnelle. FIGURE 11. Photos de l’exposition à la maison du projet. 5 photos au total qui montrent les différents matériaux réemployés. Crédit Rotor. FIGURE 12. Photos du reconditionnement des portes de placard et des luminiares. Photos provenant de l’inventaire réemploi. Crédit Rotor FIGURE 13. Explication du projet aux riverains, à la maison du projet. Crédit photo Rotor. FIGURE 14. Plan des bâtiments détruits et conservés sur le projet de la Caserne de Reuilly. Production personnelle
118 - Iconographie
matériaux
FIGURE 23. Expérimentation par décapage chimique. Informations provenant de l’inventaire des placards en bois. Crédit photo Rotor FIGURE
24.
Expérimentation
réalisée
manuellement. Crédit photo Rotor FIGURE 25. Photo prise à la maison du projet, du tabouret réemployé. Crédit photo Paris Habitat FIGURE 26. Proposition réemploi des rembardes. Crédit Agence Anyoji Beltrando. FIGURE 27. Proposition réemploi des grilles. Crédit Agence Anyoji Beltrando. FIGURE 28. Vue global des propositions. Crédit Agence Anyoji Beltrando. FIGURE 29. Photos personnelle de la réalisation des placards et des tabourets.
FIGURE 30. Elevation avec placards de Réemploi Crédit LIN Architecte.
FIGURE 46. Photo du local vélo de la fabrique du Clos. Crédit Bellastock
FIGURE 31. Elevation avec panneaux en trespa. Crédit LIN Architecte.
FIGURE 47. Énergie grise des différents matériaux en kWh/m3. Production Personnelle.
FIGURE 32. Illustration extraite du brevet de W.Gropius, 1947. Il doit permettre l’assemblage de panneaux en bois. FIGURE 33. Illustration personnelle sur les caractéristiques des radiateurs de la Caserne de Reuilly. FIGURE 34. Tableau des différentes possibilités de réintégrer les ardoises. Crédit Rotor. FIGURE 35. Différentes conservations de l’entropie emmagasinée par le matériau. Illustration personnelle FIGURE 36. Photo personnelle du panneau en trespa découpé. FIGURE 37. Différence entre la valeur d’un matériau recyclé et réemployé. Production personnelle. FIGURE 38. Plan du positionnement des placards réemployés. Crédit LIN architecte FIGURE 39. Élévation des placards dans un logement du lot A. Crédit LIN Architecte FIGURE 40. Croquis pour scinder les radiateurs en deux. Crédit Rotor FIGURE 41. Croquis du mobilier urbain. Crédit Anyoji Beltrando. FIGURE 42. Photo des poutres en bois provenant des combles. Crédit Paris Habitat FIGURE 43. Photo des poutres en bois réemployées en marchent. Crédit Paris Habitat FIGURE 44. Portes métalliques, Crédit photo, Paris-Habitat FIGURE 45. Photo du Pavillon Circulaire. Crédit Encore Heureux
Iconographie - 119
ANNEXES
FICHE DES MATÉRIAUX EXPOSÉS À LA MAISON DU PROJET
ire vintage
Radiateurs en fonte
Luminaire vintage
Radiateurs en f
es pour tubes fluorescents à fixation ue. Les composants électriques de applique, datés, ont été remplacés : uorescent, les bornes, le starter et le ’abat-jour en tant que tel est conservé. n, il est aussi possible de remplacer le rescent par un système avec tube led, nt les mêmes bornes.
Ces radiateurs sont constitués d’éléments creux, identiques, coulés dans de la fonte d’acier et connectés de sorte à former un bloc étanche, dans lequel circule l’eau de chauffage. De par sa résistance à la corrosion, la fonte a une durée de vie quasiment illimitée. Ces radiateurs ont en outre une grande inertie thermique : ils diffusent la chaleur plusieurs heures après l’arrêt du chauffage. Ces avantages les rendent toujours fort prisés en comparaison avec les appareils contemporains en tôle d’acier. La rénovation des radiateurs passe par un processus de décapage par bain d’acide, nettoyage intérieur, mise à dimensions, vérification de la pression et finition.
Armatures pour tubes fluorescents à fixation suspendue. Les composants électriques de chaque applique, datés, ont été remplacés : le tube fluorescent, les bornes, le starter et le ballast. L’abat-jour en tant que tel est conservé. Au besoin, il est aussi possible de remplacer le tube fluorescent par un système avec tube led, en gardant les mêmes bornes.
Ces radiateurs so creux, identiques d’acier et connec étanche, dans leq De par sa résistan a une durée de vi radiateurs ont en thermique : ils di heures après l’arr avantages les ren comparaison ave en tôle d’acier. La rénovation des processus de déc nettoyage intérie vérification de la
relevée : 52
Quantité relevée : 52
A gauche Les radiateurs dits ‘néo-classiques’, à colonnettes fines, reçoivent une finition ‘fonte’ . Le type ‘six colonnes’ est grenaillé pour mettre à nue la fonte brute, puis protégé d’un vernis transparent. Le ‘quatre colonnes’ est décapé et remis en peinture couleur gris fonte.
A gauche Les radiateurs d colonnettes fines Le type ‘six colon à nue la fonte bru transparent. Le ‘q remis en peinture
A droite Les radiateurs plus récents, dits ‘à façade plane’, sont remis en peinture blanche.
A droite Les radiateurs p plane’, sont remi
Quantité relevée : 363 pièces, soit environ 4515 éléments
Quantité relevée : éléments
Crédit Rotor, exposition des matériaux pour la maison du projet.
122 - Annexes
Armoires en bois massif
Tests de décapage
L’ancienne caserne contenait des placards en chêne faits sur mesure, munis de portes coulissantes. Le réemploi sur site n’étant pas souhaitable, nous avons imaginé 3 scénarios de réemploi des portes dans des ensembles neufs.
Il existe plusieurs solutions pour décaper du bois. Selon l’assemblage, l’essence et le traitement qu’a reçu le matériau, il convient d’appliquer la méthode appropriée.
Lecture de gauche à droite dans le sens horaire En réutilisant le système de rail existant Conservation des traverses rainurées (haut et bas) afin de les intégrer avec les portes coulissantes dans un mobilier neuf. L’enjeu majeur est d’adapter le dessin du mobilier neuf au fléchissement des traverses causé par l’usure du temps. Le cadre et les portes ont été décapés à la main avant de recevoir un vernis biologique de finition. En transformant les portes coulissantes en battants avec charnières Les portes coulissantes sont modifiées pour un usage en portes battantes. La largeur des portes étant prévu pour un système coulissant, il est nécessaire de les remettre à dimension afin d’obtenir deux portes de taille plus adaptée à ce type d’usage. La structure à panneaux des feuilles de porte permet assez facilement ce type d’opération. Une charnière adaptée à l’épaisseur des panneaux est placée dans un nouvel encadrement fait sur mesure. Les portes ont été décapées par aérogommage et ont subi un traitement de finition à l’huile plan de travail biologique. En concevant un nouveau rail pour les portes existantes. Remplacement des traverses rainurées par de nouvelles. La solution a l’avantage d’éviter les problèmes de fléchissement de la structure existante. L’envers des portes n’ayant pas été verni, elles ont été retournées puis ont reçu un léger ponçage à la main et un traitement de finition à l’huile dure biologique. Quantité relevée : 34 placards , 138 grandes portes, 102 petites portes
Lecture de gauche à droite dans le sens horaire. Échantillon de porte en bois massif verni d’origine. Le cadre du vantail est en chêne massif, le panneau de remplissage en contreplaqué finition chêne. Aérogommage L’aérogommage est un traitement de surface comparable à un sablage doux. Il consiste en la projection sur le matériau d’un abrasif naturel très fin à haute pression. Une fine couche de matière est ôtée ; le résultat est plus ou moins rugueux en fonction de la taille des particules projetées. Sur du bois, le traitement fait ressortir les veines ; si l’on désire une surface lisse, il est nécessaire de finir par un ponçage à la main. Prix : 40,-euro/m2 Décapage à la main La couche de vernis recouvrant la surface du matériau est ôtée à l’aide d’un grattoir à main. Il existe différentes sortes de lames permettant de s’adapter aux formes variées des moulures. Un ponçage au grain fin est ensuite nécessaire pour enlever les traces de vernis résiduelles. En fonction de la complexité du motif, c’est une des techniques de décapage les plus simples et au résultat satisfaisant si le matériau est traité aprés. Temps requis : un quart d’heure/m2 Décapage chimique Le matériau est vaporisé ou trempé dans un bain d’acide caustique le temps nécessaire pour que le vernis se dissolve. C’est la technique la plus rapide ; cependant le produit peut dissoudre les colles et faire bouger le bois. Il faut attendre un mois de séchage à l’ombre avant de pouvoir appliquer une finition. Prix : 26,-euro/m2
Crédit Rotor, exposition des matériaux pour la maison du projet.
Annexes - 123
Panneaux en stratifié massif (HPL) Ancienne cloison de sanitaires en stratifié haute pression (high-pressure laminate, HPL) utilisée comme panneau de menuiserie. Le prototype de tabouret a été réalisé par découpe à la fraiseuse numérique. Les panneaux rigides HPL sont composés d’un coeur en résine synthétique liaisonné à chaud et sous haute pression à une surface de finition multicouche résistante aux rayures, aux attaques chimiques et aux rayons ultraviolets. Plus résistant que le bois, ce matériau se prête à la réalisation de mobilier, de portes de placards, de plans de travail. Pour son excellente tenue dans les milieux humides et chimiquement agressifs, le HPL est souvent utilisé pour des parois de sanitaires et dans les projets d’aménagement de laboratoires.
Lavabos et tablettes en céramique émaillée Les lavabos récupérés sur site se prêtent au réemploi car il est facile de leur faire retrouver leur aspect d’origine. Les éviers sont nettoyés par trempage dans des bains de vinaigre afin d’ôter les traces de calcaire et les salissures. Les joints de silicone sont enlevés mécaniquement, à l’aide de lames tranchantes, au cutter. Par précaution, la robinetterie est remplacée par des éléments neufs. Quantité : 45 (duo tablette et évier)
Quantité relevée : 89 panneaux / 180 m2
Crédit Rotor, exposition des matériaux pour la maison du projet.
124 - Annexes
Coupe d’une porte d’armoire en bois Montant en chêne massif 26mm, âme en contreplqué finition chêne 6mm.
Ardoises
Rambardes et grilles en acier
La durée de vie de l’ardoise est de 40 ans à 300 ans. Les vieilles toitures contiennent en général différents types d’ardoises, avec leurs résistances spécifiques. La qualité du gisement, le type d’extraction (machine ou main) l’épaisseur, la planéité, le type de pose (sur crochet ou cloutée), le pureau, la situation et l’environnement (zone industrielle, présence d’arbres, l’inclinaison des toitures) ont une incidence sur cette durée et leur réutilisation. Les faces orientées vers l’est et vers le sud ont souvent des ardoises bien conservées tandis que les faces orientées vers l’ouest ou vers le nord sont plus détériorées.
Les nombreuses rambardes en acier du site de la Caserne de Reuilly seront réutilisées comme mobilier urbain, tandis que les grilles provenant des fenêtres des bâtiments seront accrochées aux murs pour servir de support à des plantes grimpantes. Les opérations de reconditionnment pour ces éléments prévoient le découpage et la soudure de platines de fixation. Ils sont ensuite décapés de leur peinture par grenaillage. Ils reçoivent un traitement anticorrosion et une couche de peinture époxy cuite au four pour usage extérieur. Il serait également possible de les décaper par trempage dans des bains d’acide, mais la taille des cuves peut être contraignante pour les grands éléments.
Nous pouvons observer que la couverture de la Caserne de Reuilly a subi de nombreuses réparations à des époques successives avec des produits différents de celui d’origine, avec pour conséquence la présence de plusieurs types d’ardoises naturelles et non naturelles.
Prix public pour le décapage et la remise en peinture : Rambarde, 40,-euro / m2 par face, grille, 50,-euro / m2 par face.
Echantillons d’ardoise naturelle en toiture de la caserne de Reuilly Ces échantillons d’ardoise naturelle prélevés indiquent qu’elles ne sont pas de première qualité. Elles contiennent des hydroxydes de fer, résultat d’oxydation de sulfures de fer (marcassite et pyrrhotite) et ne sont plus réutilisables en toitures (étanchéité et durée de vie douteuse). Paillettes d’ardoise neuves Une des pistes de réutilisation pour ce matériau est de concasser les ardoises pour les appliquer en paillage dans des aménagements de jardin. Cependant, le coût pour la fourniture neuve de ce matériau est de 60 à 120,-euro / tonne. Si l’on rapporte cette référence à l’échelle d’une plaque, cela donne une valeur de 0.12 à 0.24,euro par plaque ou 0.65 à 1.30,-euro/m2. Cette faible valeur du produit récupéré ne suffit pas à légitimer le coût d’un démontage soigneux.
Crédit Rotor, exposition des matériaux pour la maison du projet.
Annexes - 125
ENTRETIEN AVEC L’AGENCE ROTOR
VICTOR
MEESTERS
DE
La Mairie de Paris et le pavillon de l’arsenal souhaitent développer la thématique du réemploi, de l’écologie, et de l’économie circulaire. Il faut cependant prendre du recul la-dessus car ils développent uniquement des projets sur la ville de Paris mais ne développent pas au-delà. Exemple de l’agriculture urbaine au sein de Paris, alors qu’il y a des agriculteurs à 30 minutes. Ambiguité de faire pousser des légumes à 10 000€ le m2, rôle qui est plus pédagogique que démonstrateur. Différentes stratégies car c’est une matière qui est à redécouvrir, comme pour Bellastock qui cherche à récupérer des matériaux sur site, la maîtrise d’ouvrage ou le constructeur doivent alors prendre en main cette question du réemploi ce qui devient plus compliqué (faire un schéma des 3 acteurs et du réemploi qui s’initie dans le parcours, faire un schéma des différentes étapes entre la réalisation, la rédaction des documents et la construction). Paris-Habitat lorsqu’ils souhaitent prendre un AMO, c’est pour les aider dans la tâche du réemploi. Deux consultations ont été faites, ce n’est pas l’architecte qui fait l’identification, la dépose, chercher l’entreprise qui va devoir reconditionner les matériaux. Rotor incite à travailler avec des filières extérieures pour décharger ce travail là aux architectes qui n’ont pas le temps de le faire. Bellastock dit que c’est un des acteurs qui doit le prendre en charge. Création de CHARM pour communiquer entre bailleurs sociaux pour se faire circuler les éléments de construction, ou ils raisonnent par typologie, ils vont devoir gérer eux même les matériaux, la dépose ce qui fait une charge de travail en plus. Rotor travail avec eux pour que le réemploi soit plus efficace. Il y a un flou actuellement au niveau de la pratique du réemploi car chaque acteur le traite différemment, des start-up se sont développées à ce niveau là, il faut faire des flux de chantier à chantier mais trop compliqué par rapport à la demande, donc le matériau n’est pas forcement disponible. Des personnes qui pensent au réemploi in situ en faisant des détournements d’objets, comme par exemple avec le béton ce qui est paradoxal parce que ce ne sont pas les matériaux les plus simple à réemployer. En France il y a une culture autour du diagnostic déchet, qui ont été imposés par l’ADEME au-delà de 1000m2, il n’y a donc pas d’incitateur à valoriser ces matériaux. Le diagnostic déchet s’étend donc au réemploi qui ne doit pas être considéré comme déchet (schéma de lansik). Volonté d’étendre le diagnostic déchet à celui de ressource, avec du réemploi in situ mais plus complexe. Le transport reste une infime partie de la consommation du matériau, ce n’est donc pas dérangeant s’il bouge un peu pour être reconditionné, ce qui consomme beaucoup d’énergie c’est l’extraction et la production.
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Le matériau aura plus de chance d’avoir un repreneur si on n’est pas sur une logique qui est seulement in situ, le réemploi n’a pas forcément besoin d’être associé à quelque chose de local pour avoir plus de chance d’être réutilisé. Peu de personne pensent à réutiliser des matériaux de l’extérieur, mais ils ont plus tendance à faire un diagnostic réemploi sur site. L’in situ est plus complexe au niveau du démantèlement. Les matériaux perdent de la valeur, ou sont cassés. Pour aller plus loin, il faut aller chercher directement vers des professionnels qui font du réemploi pour avoir une simplicité, et travailler, pour qu’ensuite ils récupèrent des matériaux du projet. Retranscription 2eme entretien avec Victor Meesters : Rotor a fait un inventaire avec une série de pistes possibles de réemploi. Les architectes ont exprimé des souhaits pour leur projet : étude sur les lots de réemploi que les architectes peuvent intégrer dans leur projet. Ils ont ensuite formulé des avis favorables ou non, à la fin certains matériaux ont abouti et d’autres au contraire ce sont arrêtés là. (Faire un schéma des étapes et intermédiaires qu’il y a eu). Le contexte va influer sur la phase de chantier, l’’accessibilité, la qualité, le coût. Les matériaux ont tous une logique différente, il faut donc évaluer chaque matériau. Le but n’est pas d’inventorier tout ce qui est démontable, mais tout ce qui a un potentiel. Prise de photos et inventaire dans les bâtiments avec 3 catégories plausible/ éventuel/anecdotique. Pour quels matériaux existe-t-il une filière déjà existante ? Il est intéressant de constater que même avec la catégorisation des différentes possibilités de réemploi par Rotor, au final les matériaux choisis appartiennent au 3 catégories. La question de quantité est aussi très importante pour le réemploi, c’est ce qui peut permettre de s’intéresser à un certain type de matériaux. Aujourd’hui ils catégoriseraient par marché de travaux avec une obligation de moyen si on ne connaît pas de repreneur, sinon faire un marché séparé. Le but de l’assistance à maîtrise d’ouvrage est d’aider à prendre des décisions, à faire les bons choix. Schéma Architectes/Entrepreneur/Maîtrise-d’ouvrage, le réemploi vient se mettre entre ces trois intermédiaires. Le but est de faire des choses simples et plausibles en matière de réemploi pour ne pas faire de l’extravagant, avec différents niveaux d’ambitions. Réemployer les radiateurs en fonte par exemple est ce qui reste très simple et rentable. Comparaison avec le 2ème AMO qui a fait un inventaire de tout ce qui était démontable, sans avoir de hiérarchie sur les différents éléments et la manière de le faire. Il y avait des vices, des tiges filetés, ce qui n’est pas très pertinent.
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Le réemploi est arrivé un peu tard dans le projet de la Caserne de Reuilly, le curage avait déjà commencé. Nous sommes dans un système qui incite à la consommation, cependant les personnes n’ont pas de manière d’agir pour recycler ou réemployer, le but est donc de les accompagner et de faire des propositions. Problématique d’avoir de nombreux intermédiaires lors de la construction d’un bâtiment ce qui fait que les choses peuvent être déformées et qu’il faut à chaque fois bien expliquer et détailler ce que l’on souhaite faire. Décrire le plus possible le processus de réemploi pour permettre aux entreprises de répondre correctement au marché. Les choses vont petit à petit être transformées à cause du contexte et de la réalité du chantier. Pour le potentiel de réemploi, la rédaction peut poser un problème pour savoir comment expliquer ce qu’on veut faire, ce qui est envisageable. A chacune des phases le réemploi va venir poser une question : - La première phase : la sélection des matériaux, qu’est-ce qu’on veut retenir - La deuxième phase : c’est l’écriture pour savoir comment on fait pour utiliser ces matériaux - La troisième phase : c’est la réalisation avec les problèmes techniques qui vont arriver. Notion de « design and build », pour passer directement de l’esquisse au chantier et ne pas avoir d’intermédiaire ce qui simplifie le processus et la rédaction. C’est la même personne qui va faire la conception/réalisation. Projet des abattoirs de Romel : Concernant la matérialité ils doivent rester abstraits. Durant tout le temps du projet, ils ont cherché en même temps des matériaux, ce qui leur a donné une souplesse de temps afin de les acheter au fur et à mesure. Tous les matériaux étaient ex-situ, et par conséquent, pas besoin d’être dépendant d’un stock de matériaux, avec des filières beaucoup plus larges. Le démontage d’une banque des années 70, faite par un artiste, avec des matériaux de bonne qualité, qui ont pu être réinterrogés sur le nouveau projet. Par exemple, refaire l’assise pour les fauteuils, récupérer le bois massif pour la table. Il était nécessaire d’acheter de nombreuses chaises, après une recherche de designers sur internet, différents lots furent achetés (peu cher et au bon nombre). Il faut composer avec les matériaux de réemploi qui arrivent au compte-goutte. L’inventaire est qualifié par rapport aux photos, à la qualité du produit, installé avec des éléments ou non par-dessus. Il est nécessaire de prendre en compte le bois pour le phasage du chantier, si on doit l’enlever… Pour les ardoises, il y avait une quantité importante, donc un potentiel à étudier. Les normes peuvent être un problème, par exemple des luminaires qui n’ont pas pu être réemployés à cause de l’éclairage. Il aurait donc fallu les déclasser pour que ce soit des luminaires décoratifs, ou destinés à un particulier.
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A l’issu de cet inventaire, les architectes se sont prononcés en faisant des propositions à partir des matériaux et ceux qui peuvent les intéresser, en donnant leur avis sur chacun des matériaux, plus ou moins maladroitement. Beltrando avait une piste de projet pour ce qui est des rambardes en acier, à la fois pour les vélos et pour les plantes grimpantes. Concernant les armoires en bois massif, il s’agit de les enlever avec 4 types de décapages, microbillage, décapage par bain chimique. Cela peut, par contre faire sauter le contre-plaqué, un décapage à la main et retourné est nécessaire. Les portes ont un peu flambé avec l’âge puisque que le bois bouge, il faut donc prendre en compte cette donnée avec un petit joint creux, ou les couper en deux pour mettre des charnières sur les portes. Trois propositions sont possibles au total. Mais toutes ces expérimentations prennent du temps, il faut donc avoir un bon stock de matériaux pour pouvoir faire tous ces tests. Même question pour les ardoises, est-ce préférable de les garder en toiture ou en paillage ? Il vaut mieux les garder en toiture au vu du coût. Certaines ardoises sont composites et d’autres sont authentiques, mais les composites comportent des résidus de fer, ce qui fait qu’elles s’oxydent et ne sont donc pas réemployable sur le long terme (20-25ans). Dernière application en paillage, à 1000€ la tonne, ce qui est très faible. Un document est nécessaire pour chacun des matériaux, par exemple, pour les lampes, il faut changer uniquement les tubes fluos. Il est important de regarder les fiches pour comprendre pourquoi chacun des matériaux ont pu ou non être réemployés. A la fin de la réalisation du catalogue, il est essentiel de faire un échantillon avec chacun des matériaux. Pour les radiateurs en fonte, la solution est par sablage ou par bain chimique : il s’agit de ce qui les détériore moins. Question de l’énergie et de l’entropie des matériaux à analyser. Pour les armoires, il n’y avait pas de revendeurs. Mais du fait de leur qualité, il y a un fort potentiel. Les panneaux en trespa sont un bon exemple de up-cycling : on part d’une matière qui a une certaine valeur, pour la transformer et lui faire prendre encore plus de valeur. Le problème du parquet en bois massif est qu’il a beaucoup de valeur, mais à cause du curage au plomb du bâtiment, tout le lot doit être jeté. Le stockage n’a pas été fait pour les radiateurs ce qui implique des surcouts, cumulés à des problèmes au plomb. Il faut prendre chacun des matériaux et faire un listing, partir de l’inventaire pour avoir les pistes, voir les propositions des architectes réalisées uniquement sur certains lots. Cette réalisation est possible avec une série de question et les
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matériaux qui n’ont pas pu être conservés. A chacune des étapes, il faut révéler une question clé du réemploi : l‘accessibilité, le prix, le reconditionnement, la garantie, les normes, la pollution. Chaque matériau va poser une question différente. Retranscription 3ème entretien avec Victor Meesters : Face à ce constat du peu de lien avec la matérialité présent dans les études d’architecture, on se pose la question de savoir ce qu’est manipuler la matière. On peut voir la différence entre l’architecture avec les logiciels et la manipulation de la matière. Ce lien à la matière est assez essentiel, quand tu sais comment est fait le béton, extraction du sable, ciment, avoir une benne pour le couler. Une fois qu’il est en place tu ne sais pas trop comment le démonter. On devrait donc vraiment y penser avant de couler chaque mètre cube de béton. Quand on apprend le design et lorsqu’on dessine on a une déconnexion avec la matérialité. Sur le projet de la Caserne de Reuilly, les radiateurs en fonte devaient être recyclés, pour être vendus 200€ la tonne afin d’assurer leur recyclage. Pourtant, pour les faire il a fallut des fourneaux, chauffés à très haute température, ce qui consomme beaucoup d’énergie, et donc a un impact direct sur la planète. C’est alors cette notion d’entropie qui est soulignée. Beaucoup d’efforts sont nécessaires pour l’extraction de la matière, pour ensuite la transformer et la couler en radiateur. Par conséquent, une fois qu’on a le matériau on a intérêt à profiter au maximum de sa durabilité, il peut avoir encore plein d’usages. Il est important de considérer la matière quand elle est présente. Aujourd’hui lorsqu’on démoli un bâtiment pour qu’il fasse deux étages de plus, on ne se pose pas la question de ce à quoi ce bâtiment pourrait servir. Questionner la matière qui a ce potentiel narratif reste important. Si tu prends une brique tu peux parler de géopolitique, de social, d’économie, d’ingénierie, pourquoi est-ce qu’elle a cette taille ? Chaque matériaux raconte une histoire. Pourquoi la brique a-t-elle cette taille-là ? Parce qu’elle est normée de manière modulaire, ce qui permet de connaitre sa provenance. La modularité a donc permis un réemploi facile. Partir d’un matériau, il est aussi important de comprendre que chaque choix a un impact. Le but n’est pas de partir d’un catalogue et de faire un choix décontextualisé. On voit aussi dans l’évolution des briques, que certaines, récentes sont maintenant perforées. Avec le choc pétrolier de 70 on a baissé la cuisson des fours, ce qui permet d’avoir moins de matière mais elles vont donc être plus fragiles. Alors, pour compenser, il sera nécessaire de couler du ciment plus résistant ; elles ne seront donc plus démontables. La couleur de la brique donne aussi des informations sur les pigments des terres utilisées. Partir d’un matériau, c’est aussi comprendre son processus, comment il a été constitué.
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Notre économie mondiale implique une dépendance des pays entre eux, celle-ci fortement liée aux ressources, elles-mêmes constituant la base de nos échanges entre pays. Exemple à Majorque, où sont utilisées des algues sur la plage pour les toitures. Interroger la matière et toute la question, on se rend facilement compte pour de la pierre par exemple que c’est lourd, froid, rugueux. L’idée va donc être de lui donner le plus de longévité. L’objectif de Rotor est d’avoir cette approche avant tout par la matérialité. C’est une démarche très intéressante pour aborder le projet, c’est un moteur pour la conception. L’exemple de Lacaton et Vassal pour le projet du Palais Tokyo est parlant : tout est laissé brut et assumé dans l’architecture. Le travail se fait avec moins de matière, ils ont changé notre perception sur celle-ci, en développant un projet qui est très simple mais très puissant. A propos des choix des matériaux actuellement disponibles, il y a un choix énorme mais qui ne répond pas un des choix sociaux et environnementaux. Est-ce possible de faire la même chose en répondant à d’autres problématiques ? Par exemple, prenons un matériau de réemploi permettant un impact zéro carbone dans un objectif de circularité, mais qui, est rose. Il va donc falloir penser le projet autrement, voir comment l’intégrer, et cela correspond à d’autres ambitions. Partir du rose comme une base de projet, faire en sorte de s’adapter à cette contrainte, tout en assurant la correspondance avec l’éthique du projet, devient alors l’enjeu majeur. A propos du contexte et la notion de déjà la, on peut se poser la question : quel potentiel peut-on révéler ? Les architectes ont pu émettre des vœux vis-à-vis de l’inventaire de réemploi et en tirer profit pour faire du projet. C’est le cas par exemple sur les rambardes transformées pour les plantes grimpantes et les vélos. Utiliser le déjà là, le révéler, le montrer, devient l’objectif majeur. Le trespa a aussi été motivant pour le projet. Beaucoup d’architectes ne jouent pas réellement le jeu sur la question du réemploi. Si la maitrise d’ouvrage avait imposé 5% de réemploi dans les projets, cela aurait permis de pousser cette intention et de garantir une place au réemploi. Définition de Rotor pour le réemploi : Flux des matériaux dans la construction et l’industrie. Il s’agit de tout ce qui concerne l’économie matérielle. Une des grandes préoccupations d’aujourd’hui est le potentiel non exploité. C’est quelque chose qui se fait beaucoup avec le mobilier du quotidien : réinvestir de vieux objets. Le réemploi dans le bâtiment est beaucoup plus compliqué car il doit répondre à des exigences. Le réemploi, c’est faire durer la vie des matériaux et leur trouver un nouvel usage. Réutiliser un matériau de manière efficace réside dans le fait de ne pas le modifier et conserver son usage car ses spécificités techniques ne vont pas correspondre à
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une nouvelle utilisation. En effet, chaque matériau est construit pour un usage, sa transformation va donc lui faire perdre de la valeur. Dans les objets du quotidien, on voit que c’est relativement facile de réemployer, alors que dans le bâtiment c’est plus compliqué. Cela est notamment dû aux normes sanitaires, de résistance, réglementation thermique. Il est beaucoup plus compliqué de réutiliser de la structure. Pour réutiliser des poutres en acier, il doit y avoir plus d’échanges et d’intervenants. On ne sait même pas pourquoi aujourd’hui on démoli certains bâtiments, on est prêts à les mettre à la poubelle pour changer les usages, créer autre chose. Mais les matériaux qui le composent, eux, peuvent peut-être vivre encore 100 ans. Le réemploi est alors simplement le fait de faire durer le plus possible la vie des matériaux. Ces spécificités techniques ne vont parfois pas correspondre au nouvel usage du projet. Par exemple les ardoises de réemploi vont devoir être transformées en paillage, il y a donc une perte de l’économie des matériaux. Il va falloir beaucoup d’énergie pour le transformer à nouveau. On parle alors d’économie grise, on crée de la valeur à partir du déjà-la. Dès que l’on va transformer l’usage, par exemple transformer une porte en table, cela n’est plus pratique pour la nouvelle fonction. Il faut donc être le plus pragmatique possible. Il est question de faire circuler des éléments de construction. L’exemple des armoires de réemploi de la Caserne est parlant ; il a fallu réfléchir durant 2 semaines pour trouver un nouveau design, ce qui a été finalement possible car la quantité était très importante. Il a cependant fallu trouver le process industriel pour le faire. La question de la série pour le réemploi, permet d’expérimenter davantage, ce qui fait lien avec ce qui se fait industriellement, permettant de réemployer. La palette n’est pas un matériau de construction, c’est un matériau technique pour le transport, ce qui pose la question de l’énergie qu’il faut fournir pour pouvoir le réemployer. Tout comme Encore Heureux qui réemploie des portes en toiture, ce qui ne correspond pas à l’usage. Il s’agit en réalité d’une portée davantage artistique de détournement de sens, plutôt qu’un pragmatisme matériel. En France, 70% des architectures sont sans architectes, une architecture pragmatique, ou démonstratrice. Porter son intention sur des choses de l’ordre du banal et de l’ordinaire, est nécessaire avant de vouloir faire des choses exceptionnelles. Exemple d’un document d’archives, récupéré par Rotor, datant de 1900. Il s’agit d’une vente par démolition, avec une vente par lot des éléments de construction. Chez les Romains cela s’appelait Spolia ; ils utilisaient des morceaux de patrimoine,
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symbolique/caractéristique. Les vieilles pierres du château qui construisait la ferme d’à côté. Achille Picard, un démolisseur, avait une méthode semi-industrielle de réemploi, il est tellement compliqué de l’extraire, qu’il faut faire attention. Le coût de la matière a diminué au début du XX siècle. Cela est dû à la fois aux extractions plus importantes, et à la main d’oeuvre qui a commencé à être plus chère, ce qui a fait perdre l’élan au réemploi. Les inventions technologiques ont aussi permis après la seconde guerre mondiale, de faciliter la déconstruction ainsi que le rendement. En 1970, la fin du postmodernisme, implique la destruction des grands ensembles, imposant la disparition de quelque chose qui a été construit il y a 30 ou 40 ans. Dans ces années on se rend aussi compte que l’énergie commence à couter cher, qu’il est nécessaire d’isoler. On observe les premières tentatives du solaire, on commence à recycler la matière, avec des process applicables dans le chantier pour faire un curage intérieur, avec une démolition sélective, des grues viennent manger petità-petit les bâtiments, et faire du concassage. Mais aujourd’hui encore très peu de choses sont recyclées, et le recyclage réside dans la destruction du matériau où l’on met de l’énergie pour détruire la matière et faire une nouvelle matière première, on perd la forme ainsi que l’usage. Finalement la porte en bois quand elle est recyclée, coûte 10€ la tonne, alors que quand elle est réutilisée, 40-50€ la tonne. Cette pratique est devenue marginale pendant 100 ans, le but est de la remettre en circulation avec de nouvelles méthodes de prescription. Il est important de ne pas obliger les matériaux à répondre aux normes actuelles pour les matériaux neufs. Travailler aussi sur site pour comprendre comment cela fonctionne sur le chantier est important, afin de se poser la question de savoir s’il possible de réemployer ces matériaux, et si tu n’as pas démonté toi, tu n’es pas confronté à ces problèmes de logistiques, d’accessibilité, de pollution, de transport, de stockage. L’exemple d’une commande de bois, où les éléments n’étaient pas cerclés, et où il restait des clous sur les planches montre que si pendant le processus tu oublies quelque chose, cela peut tout compliquer. Question du phasage pour la Caserne de Reuilly, lors duquel par exemple la contamination au plomb a eu pour conséquence le non réemploi de l’ensemble du parquet. Il y aurait pu avoir également un problème au niveau des radiateurs qui étaient eux aussi contaminés. Savoir quelles sont les problématiques du terrain est primordial. L’AMO est présent pour les suggestions, uniquement sur des question précises, mais il a peu de connaissances sur le projet. Avant c’était un site d’Emaus ; un
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local pour les associations fut donc laissé, et des échanges avec les habitants pour faire accepter le projet furent organisés. Un workshop avec les architectes pris place pour parler des enjeux du réemploi, et de la place de consultant et de guide. Le lien avec la société de démolition est important. Si elle voit le réemploi comme un obstacle, il faut faire en sorte de l’écouter et de ne pas forcer le réemploi. L’exemple des luminaires illustre cette idée : il suffisait simplement de les détacher, et de les stocker à un endroit, ce qui ne demande pas plus d’effort. Le marché n’a pas obligé les architectes à s’engager sur un pourcentage de réemploi, mais in fine, ils ont établi que le réemploi pouvait être un bon atout pour le projet. Une autre motivation pour faire de l’architecture est tout d’abord une volonté de s’adapter au déjà-la et d’intégrer ces matériaux au projet. Il y a encore beaucoup de cas où l’effort n’est pas fait, au risque de décourager les gens dans le cas où cela devient quelque chose de forcé. Mieux vaut faire circuler à nouveau la matière, que de l’imposer au projet. Quel est le contexte, qu’est-ce qu’il y a sur le site ? Il ne s’agit pas de faire de tabula rasa. Comment tirer profit des matières dans le projet ? La question de la main d’œuvre locale et de l’énergie en moins se révèle.
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ENTRETIEN AVEC CAMILLE SALOMON DE L’AGENCE LIN ARCHITECTE Rencontre et échange au sein de la maison du projet de la Caserne de Reuilly. Le projet du lot A de LIN Architectes : au total le projet se compose de 92 logements sociaux situés dans l’ancien bâtiment de la caserne, 129 chambres étudiantes ainsi que 5 commerces au rez-de-chaussée, dans un bâtiment neuf. Pour une surface globale de 1050m2. Les différents lots de réemploi qui ont pu être exploités pour ce projet ont été les radiateurs (faire un plan de leur localisation avant le projet ainsi que leur nouvelle localisation). Les radiateurs sont réemployés pour l’existant, ils ont pu retrouver la fiche fabriquant des radiateurs ce qui les a bien aidés pour avoir toutes les caractéristiques. Le lot était très conséquent (environ 360 éléments), ce qui leur a permis de porter un réel intérêt à leur réemploi à la fois pour le projet et pour l’artisan. Les radiateurs ont été coupés en deux, car ils étaient trop lourds à transporter. Pour ce qui est des modifications, ils ont dû s’adapter au projet et aux normes actuelles en remplaçant les tuyaux pour en mettre des plus fins et correspondre aux nouvelles installations. Rotor s’est chargé de faire toutes les expérimentations et tests sur les matériaux pour simplifier le travail des architectes et leur permettre d’avoir des propositions pour les intégrer au projet. Problème au niveau des ardoises sur les toits qui n’ont pas pu être réemployées malgré la quantité, car elles contenaient de l’amiante, et devenaient trop anciennes pour remplir pleinement leur fonction, il a donc fallu tout jeter. Seulement une toiture a pu être conservée sur le lot B. Le lot de ferraille, avait un grand potentiel de réemploi, composé principalement de garde corps qui ont été dérobés durant le temps du projet ce qui pose la question du stockage sur le chantier et de mettre un espace dédié pour ces matériaux. Problème au niveau des luminaires qui n’était pas réemployables du aux nouvelles réglementations en termes de lumière, ils ne fournissaient pas assez de lux. Pour les lots qui ont pu être conservés au sein du projet, des réflexions très intéressantes ont été développées notamment sur les placards de réemploi qui ont été intégrés en face des murs de refends en partie conservés. Environ 50% des murs de refends ont été conservés sur le projet pour pouvoir ouvrir au maximum l’espace tout en conservant une partie de l’existant.
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Récupération des plans de localisation des placards réemployés toujours en regard des murs de refends, il y a donc une réelle intégration de ces matériaux dans la conception du projet. Problème du stockage pour les radiateurs, ils ont pu les mettre dans les sous-sols du bâtiment, mais au vu de la quantité le déplacement a été très long, et a posé la question de la fragilité des matériaux. Expérimentation sur les panneaux trespa qui ont été transformés en mobilier pour les logements étudiants, les expérimentations ont été faites par Rotor, pour proposer des exemples de transformations. Réintégrer ces matériaux au sein du projet permet de préserver le patrimoine du bâtiment et de requestionner la façon dont on pense le projet.
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Dans ce mémoire nous étudierons en détail la pratique du réemploi in situ et plus particulièrement son rôle dans le processus de conception architecturale. Pour ce faire, nous allons nous concentrer sur une étude de cas, le projet de la Caserne de Reuilly située à Paris dans le 12e arrondissement. Le projet fait au total 2 hectares en plein coeur de Paris, l’objectif est de créer 600 logements ainsi que des commerces, une crèche, des parkings et un jardin public sur l’ancienne place d’arme de 5 700m2. Au total, six cabinets d’architecture ont été sélectionné pour le projet de la Caserne de Reuilly, réparti en 6 lots distincts ainsi qu’un septième cabinet d’architecture, qui se charge de la coordination du projet. La volonté du réemploi dans ce projet vient d’une demande de la part du maître d’ouvrage Paris habitat, qui a choisi de mandaté un AMO Réemploi pour faire le diagnostic ainsi que l’inventaire des matériaux sur site, pour en étudier leur potentiel. Mais aussi de sensibiliser les architectes, les entreprises ainsi que les riverains par le biais de table ronde et de temps d’échange au sein de la maison du projet, vitrine du réemploi sur le projet de la Caserne de Reuilly. Nous nous attacherons finalement à savoir si cette pratique en pleine essor est encore anecdotique ou impact réellement le processus de projet. Mots clés IN SITU| ENTROPIE | ECONOMIE CIRCULAIRE | MATIERE GRISE | PROCESSUS
Mémoire encadré par Amélie FLAMAND, Rémi LAPORTE et Bénédicte CHALJUB dans le cadre du séminaire du Domaine d’Études Éco-conception des Territoires et Espaces Habités. ANNÉE UNIVERSITAIRE 2019-2020 École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Fd 85 Rue du Docteur Bousquet 63000 CLERMONT-FERRAND