L'ESPACE DANSE, L'HORIZON RESONNE

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L’ESPACE DANSE, L’HORIZON RÉSONNE



L’ESPACE DANSE, L’HORIZON RESONNE LA FACULTE D’ARCHITECTURE DE RIO DE JANEIRO RAPPORT DE PFE CONVERSATIONS SUR LE PROCESSUS DE CONCEPTION ARCHITECTURAL ENSEIGNÉ

KIM LEOU

SOUS LA DIRECTION D’EMMANUELLE SARRAZIN ET CYRILLE FAIVRE-AUBLIN

ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE PARIS VAL DE SEINE, JUIN 2019


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I DIALOGUES a. Quel enseignement !/? b. La main qui pense

L’enseignement du projet

La figure et l’inconscient

c. La conception par l’intérieur

La visite du couvent de la Tourette

II LE SITE a. Le Brésil, une terre d’architecture b. La ville de Rio de Janeiro

L’héritage formel

La courbe topographique et l’océan

c. La colline de Catete Un lieu et une résonance

III LE PROJET a. La fragmentation b. La forme

La dualité du programme

La synthétisation des forces du site par la forme


dialogues

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a. quel enseignement ?/! le projet à l’école d’architecture Un vendredi soir, je me rends chez mon ami dans le 11ème arrondissement. Je suis en train de passer mon diplome d’architecture après 5 ans d’études à l’ENSAPVS. La casserole fume et la lumière annonce l’heure tardive. Je feuillette en silence un des nombreux livres d’Albert Camus qui ornent les étagères du petit appartement tandis que mon ami finit de mettre la table. Ce genre de repas nous permet toujours d’échanger nos avis en constante évolution sur la société, l’art, la peinture, la ville... et la discussion aboutit à l’architecture et nos études, cadre de notre rencontre et de notre amitié. Cela nous permet à la fois d’affiner notre conception de l’architecture et aiguiser notre perception pour mieux la capter et la saisir. Ces rendez vous amicaux dont l’origine est floue ont pris de plus en plus une importance implicite pour nous, tant ils nous permettaient de formuler nos pensées et de les faire évoluer notamment lors de l’année du diplôme. “Tu sais, me dit-il, je suis arrivé à une conclusion évidente qui peut paraître bête... Mais il me semble que nous avons toujours quelque chose à redire sur toute l’architecture que nous voyons. Mais l’architecture qui satisferait notre vision serait la nôtre. Nous serions les seuls responsables de notre travail et nous pourrions fabriquer notre architecture.” J’acquiesce en silence. “C’est vrai, mais penses tu que nous ayons la maturité pour avoir une vision de l’architecture ?” lui réponds-je, “Nous connaissons majoritairement la partie visible de l’architecture. La justesse d’un projet se fait aussi dans l’invisible. L’architecture sociale, si elle est faite par un grand architecte, peut faire oublier qu’elle est faite avec peu de moyens. Et l’architecture pour pouvoir s’exprimer dans sa plus grande simplicité doit être capable de cacher certaines de ses parties. Il nous faudra au moins 10 ans d’expérience de chantier avant de pouvoir poser nous même notre première pierre.” Il acquiesce également. “C’est vrai qu’il nous faut connaître tous les détails avant de pouvoir dessiner notre bâtiment. La construction est l’outil principal de l’architecte et nous ne la maîtrisons pas très bien au bout de nos études, c’est vraiment dommage. ” Dit-il après une pause. “En tout cas, la conscience de ce que nous faisons dans le moindre détail est absolument nécessaire.” continue-il. “Et j’estime que nous avons aquis cette conscience là au bout de nos études. J’ai remarqué qu’on critique souvent Le Corbusier même au sein de l’école mais c’est à lui que l’on doit les fondements de notre vocabulaire moderne. Tous les autres architectes dont on a étudié les textes sont dans la continuité de sa pensée.


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Extrait de carnet de croquis personnel

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- Oui, on pourrait dire que les grands architectes auxquels on fait référence mettent en abîme ce vocabulaire architectural, l’approfondissent pour mieux le comprendre. -Campo Baeza vient habiter le socle, Kahn vient habiter la colonne, Henri Ciriani vient concevoir de l’intérieur puis tenir la parcelle grâce à des facades. Mario Botta va faire la même chose et habiter cette facade. Je pense que l’on peut dire que nous avons pris conscience des éléments constitutifs de l’architecture. - Je suis tout à fait d’accord qu’avoir parfaitement conscience de ce que l’on fait est absolument nécessaire, c’est indiscutable. Mais doit on vouloir suivre la voie de ces architectes que l’on étudie ? On peut partir à la recherche de l’idéal parfait et approfondir ce language moderne ou post-moderne à l’image de Vacchini avec son bâtiment de la Fereira par exemple, ou on peut participer à une architecture plus humble pour simplement améliorer la ville, entre l’ordre ouvert et la densité. On peut s’inscrire dans le temps soit comme un point fort ou soit comme une tangente dans une certaine continuité vers une direction abstraite... peut être meilleure... - Mais est ce que ce n’est pas prétentieux de vouloir approfondir le language de la modernité ? Et d’ailleurs, j’ai l’impression que certains professeurs de l’école, et ceux la même qui nous ont transmis cette conscience des éléments de l’architecture, ont fait ce choix de participer à la ville et au tissage d’une meilleure urbanité. -Je ne sais pas. Mais je suis sûr que la justesse d’un bâtiment dépend de sa parfaite fonctionnabilité et de la “conscience” qui émane de lui, et cette conscience peut, j’en suis sur, rendre meilleurs les habitants de ce bâtiment. Et finalement je pense que la fonctionnabilité parfaite d’un bâtiment n’est pas complète tant que ce niveau de conscience n’est pas atteint, ce qui revient à dire finalement que c’est la même chose. Avant de vouloir dessiner des chefs d’oeuvres, il est vrai que nous devons au moins arriver à ça. ”


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Villa Savoye, Le Corbusier, 1929-12931 POISSY, FRANCE

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b. la main qui pense la figure et l’inconscient “Je pense qu’un des enseignements personnels les plus marquants que j’ai pu avoir est celui de la figure. Il m’a redonné confiance en moi et en mon intuition. Je me souviens en deuxième année, j’avais dessiné un projet sans référence, étrange et je ne savais pas vraiment pourquoi je l’avais dessiné de cette manière. Ce professeur était venu me voir et m’avait redessiné ma figure au propre sur mon A0, en me disant ; “ta figure, c’est ça.”, j’étais absolument scotché par son geste, j’avais l’impression de me comprendre moi même à travers la figure. - Finalement, apprendre le language architectural c’est apprendre aussi le language que l’on a peut être déja en chacun de nous, et arriver à déchiffrer ce qu’on veut communiquer. Car le language de l’architecture en soit est archaïque. - Peut être que l’on n’a pas forcément ce language en nous, mais qu’on l’apprend par la main, car c’est par la main que l’on nous apprend à penser. C’est notamment le discours très connu d’Alvaro Siza, sur l’importance du dessin. C’est pour ça qu’il faut tout le temps dessiner ! Et dessiner la nature, dessiner les plantes, les corps, les mains, les pieds ! - Oui, d’accord, mais en quoi cela va apporter quoi que ce soit à une architecture ? - Savoir dessiner des formes de la nature, peut apporter à la conception de réponses architecturales formelles. Mais surtout savoir dessiner permet d’avoir un outil intuitif plus précis et donc plus riche. Le plus tu pourras t’exprimer, le plus ton intuition sera complexe. Il faut que la main devienne un organe, un deuxième cerveau, connecté à ta réalité. Et puis, redessiner des bâtiments ou des corps permet de les comprendre. C’est également le discours d’Oscar Niemeyer, qui dessinait les femmes et les reliefs. D’ailleurs Le Corbusier lui aurait dit “Oscar, tu as les collines de Rio dans les yeux.”, il aurait du lui dire, “Oscar, tu as les courbes des femmes dans la main”. - Je suis d’accord, je pense qu’un outil maîtrisé à la quasi perfection peut refléter des choses très subtiles. Notre professeur de projet en 2ème et 3ème année Simon Rodriguez a une fois expliqué à des étudiants qu’il fabriquait des espaces alternés d’ombre et de lumière et qu’il avait compris plus tard qu’il faisait référence à ses souvenirs d’enfances. Et que dans notre manière de dessiner le projet on retranscrivait certainement des souvenirs d’enfance. A défaut de maîtriser parfaitement sa main, d’ailleurs il faut beaucoup


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dessiner afin de pouvoir se lire. C’est un peu la leçon que je tire de l’enseignement de projet de ces dernières années. - Avec Emmanuelle Sarrazin par exemple, je me suis rendu compte que j’ai parfois trouvé des solutions dans des dessins parfois ratés mais qui à force de répétition m’ont permis de comprendre et de suivre une intuition. - Mais également dans des mises en pages, dans la façon de parler des choses, un bon professeur peut lire dans tes productions pour t’orienter vers tes intentions et vers ce sur quoi tu seras meilleur au final - Tu te souviens de la figure de la manivelle dans mon projet d’école ? - Oui, que tu as lamentablement raté d’ailleurs.. - Oui et bien j’ai cru le comprendre en retournant chez ma mère qui habite à côté de mon école primaire. Je voyais depuis chez elle toute la cour de récréation. Et réciproquement je voyais la fenêtre de chez ma mère depuis la cour de l’école, je lui faisais parfois coucou ! Et c’est vrai que j’essaye de mettre ça en application dans mes projets, le fait d’avoir différents éléments qui se regardent afin de créer du repérage au sein d’un référentiel. - C’est quand même incroyable ce processus de conception personnel, ça remet l’architecte au centre. Je trouve que c’est sa juste place, mais c’est drôle de penser à ce dont on vient de parler et imaginer des futurs architectes construire le monde en retranscrivant des souvenirs. On pourrait penser à une doctrine un peu égocentrique mais au final ce genre d’enseignement vise à la transmission d’émotions, et c’est ca que je trouve le plus beau : c’est de se dire qu’on va créer des mémoires, transmettre des émotions à des personnes qui vont habiter ces bâtiments. - Je trouve même que à l’échelle de l’enseignement, le message que je retiens est que chacun de nous porte des émotions et des souvenirs qui sont bons à retransmettre. Il faut juste les saisir, les comprendre et les travailler. Celui qui travaille et écrit là dessus à son paroxysme c’est Peter Zumthor, quand il va te parler de la mémoire d’un bruit de porte qui grince ou de souvenirs très précis de matière. Mais j’en reviens à Siza au niveau de la forme quand même.”


“Je comprends clairement l’affection que tu portes au processus d’Alvaro Siza, que Laurent Beaudouin décrit très bien dans son livre avec Dominique Machabert, mais est ce que son travail morphologique ne serait pas en opposition avec les questions d’ordonnancement ? Personnellement je pense plus me rattacher aux problématiques de Fernand Pouillon et Perret par exemple. En fait, je ne suis pas sûr de la justesse de ces projets. - Je comprends, mais, par exemple, dans mon PFE à Rio, je pense qu’affirmer un référentiel orthogonal aurait laissé trop d’espaces intersticiels inexploités par la suite. Ma proposition initiale était orthonormée, mes deux éléments étaient parallèles, mais il me semble qu’en effet au vu de la forme de ma parcelle et du site, la justesse se situait dans le décalage et la rotation des éléments. Pour continuer sur la recherche morphologique, la forme est une création humaine qui n’existe pas dans la nature, à l’exemple des courbes de niveaux, par exemple, ou des ronds ou même des courbes. Et c’est en cela par exemple que les peintres comme Mondrian ou Picasso sont clefs dans l’histoire de l’art et aussi de l’architecture, c’est parce qu’ils ont géométrisé la nature. On peut voir ça comme une mise en ordre, non ? - Et c’est ce que dit Alvaro Siza jutement dans son livre “imaginer l’évidence” : “L’architecture consiste à géométriser.” - Oui, mais par rapport aux formes libres et irrégulières, cela me fais penser à ce que Faloci, m’a dit à propos de mon projet lors d’une correction, c’est que je me “rapprochais de la justesse”, non pas que mon projet était juste mais que j’étais sur une voie juste. Et je suis persuadé que la justesse est souvent irrégulière. Mais cette manière de dire de se “rapprocher de la justesse” était évocatrice. - C’est intéressant, comme si tu pouvais t’en rapprocher sans jamais la toucher. Mais la morphologie irrégulière, assymétrique et courbe pose quand même la question de la variation infinie possible. Pourquoi cette forme et pas une autre, à quelle ligne de force du site fais tu référence, tu vois ce que je veux dire. On peut se rapprocher de la justesse d’une manière infinie, c’est un peu bizarre.”


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Extrait de carnet de croquis personnel

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c. la conception par l’intérieur la visite du Couvent de la Tourette Lors de ce dernier semestre, nous sommes allés visiter le Couvent de la Tourette, bâtiment célèbre de Le Corbusier inauguré en 1960 et classé au patrimoine des monuments historiques en 2011 et au patrimoine mondial en 2016. J’essaye de raconter à mon ami l’expérience que j’ai vécu lors de ce voyage architectural de 3 jours et les rapports que j’ai pu créer avec mon projet de diplôme. “Raconte moi un peu le Couvent, c’était comment ? - J’aurai peur de te dire des bêtises si je devais te résumer.Pour commencer j’aimerais y retourner en plus petit comité, j’ai été très ému par l’architecture du Corbusier mais je pense que c’est un lieu qui est fait pour être pratiqué dans le silence. Mis à part cela, je pense que c’est une belle leçon de ce qu’est l’espace moderne, les questions de parcours, de dilatation m’ont beaucoup marqué. Un autre point qui me déçoit, c’est que je n’ai pas vraiment pu observer le cheminement des pères dans le Couvent. - Tu râles un peu dis donc ! - Non mais c’est compréhensible, c’est un bâtiment qui a été fait pour des usages particuliers ! Comme l’église d’Alvaro Siza à Rennes, quand nous avons vu la messe se dérouler, nous avons tout compris de la scénographie qui se mettait en place. Au Couvent de la Tourette, nous n’avions pas le droit de croiser le chemin des pères, c’est quelque peu ennuyeux. - Tu as parlé de thèmes en particuliers avec tes enseignants ? - J’ai longuement parlé avec Cyrille Faivre et Charles Chepy de la notion de seuil dans le bâtiment. Cette question est évidemment à connecter avec la question du sol. J’ai passé un certain temps à analyser l’entrée du Couvent de la Tourette, comment quitter le sol naturel pour passer à un sol artificiel puis au sol du Couvent. Comment les matérialités étaient articulées, mais je pense ne pas avoir fini de comprendre cette question. - Et comment était articulé le seuil de l’entrée ? - Ce que j’ai compris c’est qu’il y a un cadrage depuis la route avec le carré qui fait 2,26 mètres de côté. La passerelle qui permettait d’accéder au bâtiment était posée sur le sol naturel d’un côté et reposait sur un portique en béton de l’autre, mais ne touchait pas le bâtiment et c’est ce que Le Corbusier a voulu exprimer en laissant une fente de vide.


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Couvent Sainte-Marie de la Tourette, Le Corbusier, 1957 EVEUX, FRANCE

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- Oui, de toute façon c’est sûr que Le Corbusier ne laisse rien au hasard. - J’ai trouvé ca peut être un peu paternaliste. Des fois j’aime faire quand même ce que je veux et là, je vois bien que je suis forcé de faire ce que lui voulait : la distanciation du paysage quand on ne doit que regarder au loin et les fleurs de béton quand on doit se pencher à la fenêtre pour voir. Après tout participe à sa logique de la conception par l’intérieur. - Ca me fait penser à un livre pour enfant où des petites bêtes créent leur maison dans des fruits en les mangeant et les évidant.” Nous rions. “Et par rapport à ton projet ? - Il y a le rapport du bâtiment par rapport à lui même. C’est intéressant car le bâtiment se regarde en permanence si bien qu’on se répère toujours facilement. Et la fragmentation du programme permet de cadrer le paysage. De plus, j’ai vraiment conçu mon projet depuis l’intérieur, à partir de la promenade architecturale, je suis d’ailleurs en difficulté sur mes façades. - J’ai l’impression que Le Corbusier a fabriqué une gamme d’un vocabulaire spatial, entre l’oratoire, les cellules, la crypte, y a t-il un espace en particulier qui t’a touché ? - L’église, sans hésiter. Du seuil de la porte jusqu’à l’intérieur. L’espace m’a ému profondément et j’ai vu le plus grand trait de lumière de ma vie. Mais c’est vrai qu’après réflexion ce n’est qu’une temporalité dans le parcours du bâtiment. Beaucoup de choses m’ont ému. Le fait d’être en haut de la pente de et de voir ce champ filer et onduler sous le vent et la lumière rasante m’a donné l’impression d’être sur un navire. Nous y sommes allés à une période magnifique. J’ai trouvé l’implantation et le rapport au paysage d’une rare perfection.”


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Couvent Sainte-Marie de la Tourette, Le Corbusier, 1957 EVEUX, FRANCE

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le site

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a. le Brésil, terre d’architecture l’héritage formel Le Brésil est un grand pays au passé complexe et au futur incertain. C’est un pays du nouveau monde où les possibilités et les ressources naturelles sont immenses : c’est le cinquième plus grand pays de la planète. Avec la Chine, l’Inde et la Russie, ce pays quasi continental dispose du potentiel pour devenir une des futures superpuissances mondiales. Curieusement, le pays est adepte du béton dans la construction, contrairement à ce que son nom indique, “Brésil” : bois rouge. Le Brésil a été découvert par les portuguais aux alentours de l’an 1500. Pays lusophone, ayant acquis son indépendance vis à vis de la couronne du Portugal en 1825, le Brésil, tout comme les Etats-Unis d’Amérique, est un pays jeune et dont une large partie de la population est issue du traffic portuguais d’esclaves africains du 18ème et du 19ème siècle. La population brésilienne est très métissée, elle compte 43% de métis d’origines africaines (principalement Angolaises) ou amérindiennes. Les populations qui sont restées africaines jusqu’à aujourd’hui constituent 7,5% de la population contre moins de 2% pour les amérindiens. Ce métissage a rendu la culture brésilienne riche. A partir de la seconde guerre mondiale, le pays a été une terre d’accueil pour de nombreux immigrés européens : Allemands, Polonais, Italiens qui se sont implantés plus au Sud du pays. Le Brésil est un pays fédéral et compte 26 Etats fédérés, que l’on peut voir représentés par des étoiles sur le drapeau du pays, derrière sa devise “Ordem e progresso”, “Ordre et progrès” venant d’un philosophe français, Auguste Comte. La capitale du pays change souvent, entre Rio de Janeiro, Sao Paulo, Recife... et la nouvelle capitale du Brésil, Brasilia est construite par Oscar Niemeyer sous l’autorité de Juscelino Kubitscheck et fondée en 1960. La République apparait au Brésil en 1889 mais connait la dictature en 1964 avec Humberto de Alencar Castelo Branco comme premier président du régime militaire instauré au Brésil, avec le début de l’ingérence de la CIA en Amérique Latine. Finalement une constitution est réécrite en 1988 et la démocratie fut restaurée. Après la présidence de Lula et de Dilma Roussef qui sont actuellement accusés de corruption, le pays est dirigé par Jair Bolsonaro qui est tristement célèbre pour son militarisme et ses propos déplacés qui lui ont valu l’appellation de “trump tropical”. Le Brésil est un pays à l’histoire complexe, au contexte politique chaotique mais dont les enjeux sont immenses.


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Edificio Pedregulho, Eduardo Affonso Reidy, 1947 RIO DE JANEIRO, BRESIL

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Dans l’histoire de l’architecture, la rencontre entre les futurs protagonistes du modernisme brésilien et Le Corbusier fut marquée en 1949 par la conception commune du bâtiment du ministère de la Santé à Rio, aujourd’hui appelé Palais Gustavo Capanema. Dans l’équipe brésilienne furent présents Lucio Costa, Roberto Burle Marx, Eduardo Affonso Reidy et Oscar Niemeyer. Bien que l’origine de la conception fut revendiquée par à la fois les brésiliens et Le Corbusier ce qui créa des tensions par la suite, ce bâtiment marque l’arrivée de la pensée moderne au Brésil. Plus tard, de l’histoire difficile du Brésil est née une architecture revendicative et héroïque à l’image des bâtiments de Lina Bo Bardi ou de Mendes da Rocha. Le musée de la sculpture à Sao Paulo est une ode à la portée sculpturale du béton. La puissance formelle des structures du bâtiment du Planalto dessiné par Oscar Niemeyer réinventent la colonnade et les structures de Lina Bo Bardi, ou le MAM dessiné par Affonso Reidy, sortent la structure hors du volume, fabriquant des bâtiments puissants autant de l’intérieur que de l’extérieur. On peut également mentionner le MAC d’Oscar Niemeyer, plus connu pour sa forme extérieure mais réussi pour la sensation architecturale par rapport au paysage que le bâtiment procure. L’héritage formel du Brésil est celui de la courbe, la courbe des montagnes, la courbe des fleuves et la courbe des femmes. Comme évoqué précédemment dans les dialogues, on peut dire que les architectes brésiliens ont géométrisé la nature par le dessin. On peut penser au projet d’Eduardo Affonso Reidy au complexe de Pedregulho terminé en 1947, qui redessine une courbe de niveau, à la fois adaptée à la nature et inventée par l’architecte.


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Palacio do Planalto, Oscar Niemeyer, 1960 BRASILIA, BRESIL

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b. la ville de Rio de Janeiro paysages, courbe topographique et océan La ville de Rio de Janeiro est une ville majeure du Brésil et d’Amérique Latine, sa population avoisinant les 7 millions d’habitants intra-muros, les cariocas. Elle fut capitale du Portugal, de l’Empire du Brésil, de la République des Etats-Unis du Brésil, de 1760 à 1962 soit pendant plus deux siècles. La ville est au bord de l’océan, et ses plages principales, Copacabana et Ipanema sont orientées vers le Sud. Son climat tropical qui descend rarement plus bas que 20°C en hiver, est très humide, ce qui rend l’isolation futile mais fait fleurir les climatisations sur les facades des immeubles. Le paysage carioca est très hétéroclite et fait la réputation de la ville. Tous types de tissus urbains se mélangent, se superposent sur des collines qui offrent à l’œil du spectateur horizon, forêt, favelas, tours de bureaux ou vieux quartiers coloniaux. Mais ces célèbres favelas qui ponctuent fortement le Sud de la ville, avec Rocinha, Santa Teresa prédominent le Nord de la ville dont le paysage est plus uniforme, fait de tijolas (briques) bons marché et de tôle. Le paysage de Rio résume bien les crises que la ville endure depuis des années : insécurité, inégalités profonde s mais montre son métissage culturel intense. La ville est également connue pour son carnaval, considéré comme l’un des plus grands du monde. La ville se transforme, change de peau et se prépare à acceuillir 6 millions de personnes dans la rue dont 1,5 millions de touristes. La ville devient alors un énorme terrain de jeu public et les blocos, gigantesques fanfares, se déversent alors partout dans la ville. Les petites fanfares font des parcours qui permettent de découvrir la ville autrement, en cortège musical qui monte et descend dans les collines de Rio, offrant des points de vue sur la ville à n’importe quel moment de la journée. Le carnaval est une pratique de la ville unique et les cariocas semblent l’attendre pendant le restant de l’année.


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Gloria, depuis la comunidade Santo Amaro RIO DE JANEIRO, BRESIL

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c. la colline de Catete un lieu, une résonance La colline de Catete est un lieu essentiellement résidentiel, parcourue par la rue Barão de Guaratiba, (Baron de Guaratiba était un bourgeois à qui appartenait la rue). Cette colline est le dernier relief avant la plage de Flamengo. Le tissu urbain est composé de maisons individuelles datant pour les plus anciennes de la fin du 19ème siècle. La rue est pavée, et au sommet de la colline on peut voir la baie de Rio de jeter dans l’océan. Autrefois la colline tombait directement dans la mer, mais la plage de Flamengo fut le terrain choisi par les architectes modernes pour y implanter le plus grand parc de Rio de Janeiro : l’Aterro de Flamengo. Eduardo Affonso Reidy, alors architecte de la ville de Rio conçut avec Roberto Burle Marx une avancée de la ville sur l’océan, afin d’y implanter de nombreuses voies rapides afin de libérer la circulation automobile à l’intérieur de la ville. Ces routes sont entrecoupées de jardins, de pistes cyclables et de terrains de sport. La zone du site est celle du premier hôtel de luxe de Rio de Janeiro, construit en 1922, à la forme neo-classique. Son volume et son implantation s’adaptent à la fois à l’ancienne` géométrie de la plage et à la fois au paysage lointain. La topographie de la colline dialogue avec les points de vue. Le chemin qui la parcourt est à une échelle plus humaine par rapport à l’échelle de la route en contrebas et c’est cette opposition qui m’a également intéressé. Si je devais résumer ce site à la forme irrégulière, je dirais qu’il est composé d’une partie basse et d’une partie haute. La partie basse comprend le socle courbe haut de 12 mètres surplombé du volume de l’hotel Gloria désaffecté qui font face aux voies rapides et au paysage. La partie haute, elle, est composée d’une rue pavée ancienne à l’échelle plus humaine qui donne vue sur une pente abrupte. C’est avec cette dualité dans le site que j’ai essayé de composer le projet d’architecture. Ce site présente donc des lignes de forces qui résonnent avec le lieu, son histoire et le paysage.


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Dessin personnel, vue RIO DE JANEIRO, BRESIL

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Dessin personnel, vue RIO DE JANEIRO, BRESIL

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le projet

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a. la fragmentation la dualité du programme La complexité du site et la dualité qui existe en lui m’ont poussé à la fragmentation du programme pour que cette dualité soit formulée clairement. La partie basse voit le socle courbe de l’hotel desaffecté et l’hotel détruit mais son volume reconstruit. Cette partie basse a un rapport frontal avec sa proximité directe c’est à dire les voies rapides et leur grande échelle tandis que la partie haute a un rapport avec le lointain. La fragmentation énoncée permet d’implanter des programmes différents dans chacune de ces parties. Chaque partie du bâtiment repose sur un socle qui fait la transition entre le sol et lui. La partie basse repose sur un socle qui contient les amphithéatres, coupés de la circulation des voies rapides. Le volume de l’hotel désaffecté est recréé pour son rapport au paysage et contient les ateliers, la vie étudiante et un parcours architectural.Le socle de la partie haute est une salle d’exposition de travaux étudiants, et une cafétéria. Son programme est semi public pour faire la transition entre le sol public intersticiel et le volume qui le surplombe. Ce dernier est composé des salles de cours et de l’administration. Les deux volumes sont reliés par une passerelle. Le volume du bâtiment bas est descendu pour pouvoir permettre au bâtiment haut de voir le paysage. Cette fragmentation du bâtiment permet de concilier les deux échelles du projet : le bâtiment haut appartient à la colline et regarde le paysage et la baie et le bâtiment bas est à l’échelle de l’aterro de Flamengo. Les programmes sont également adaptés : les salles de cours et l’administration sont plus calmes et les zones de vie des étudiants font face au bruit des voies. La séparation du programme en deux volumes permet la conscientisation du lieu dans le paysage. Chaque volume est observable depuis l’autre devant le paysage qui lui appartient. Le volume haut devant la baie de Guanabara et le volume haut sur la colline. Le projet s’est construit autour d’un vide qui raconte une promenade architecturale : celle du parcours d’un étudiant lors de ses années d’études de d’architecture. Le haut du bâtiment arrive quasiment au même niveau que le sol haut Et le passage du toit terrasse du bâtiment bas à la rue haute est la dernière partie de ce parcours qui se fait par la passerelle qui traverse le vide.


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La colline

Les voies rapides Le parc de Flamengo La mer

Dessin personnel, carnet de projet

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b. la forme la synthétisation des forces du site Le site était complexe car il me fallait prendre en compte beaucoup de géométries différentes et je souhaitais tenir un discours cohérent vis à vis du site. Initialement, les deux volumes composant mon projet étaient dans le même référentiel, et la passerelle était posée sur le volume du bas et rentrait dans le volume du haut. Je ne conservais pas non plus le socle courbe existant que l’on peut voir sur les photos du site. En étant dans le même référentiel, les deux éléments ne communiquaient pas, et je créais de nombreux espaces intersticiels entre le contour de ma parcelle et les limites de mes volumes. La solution a été de faire pivoter ce volume haut pour régler tous ces problèmes : l’adaptation au site et le rapport que je souhaitais dialectique entre les deux volumes. Le volume existant qui est refabriqué dans ce projet est également un point de rotation dans la promenade architecturale, autant en plan qu’en coupe et dans les deux sens de cette promenade. La passerelle est primordiale dans le projet car cest elle qui, plus que de rejoindre les deux volumes, les fait exister et fait exister le toit de l’un et le socle de l’autre. De plus je voulais travailler à travers cette passerelle cette notion de seuil que j’avais pu aborder au Couvent de la tourette et l’exprimer de manière monumentale. Une fois le volume haut mieux implanté dans la continuité de la rue haute, l’implantation de la passerelle n’était pas encore réglée car elle était encore dans le référentiel de l’hôtel. J’ai compris que pour que le volume de l’hôtel rayonne, il lui fallait garder son indépendance car son implantation puissante faisait archéologie du lieu proche et lointain. La passerelle a donc été tournée dans le référentiel de la rue haute également, ce qui permet à l’arrivée sur le volume bas de se faire en oblique, ce qui confère d’autant plus de puissance à la promenade architecturale (voir croquis ci dessus). La question des socles a été travaillée de manière parallèle. Ayant fait mon mémoire sur le bâtiment de Pedregulho d’Affonso Reidy, j’avais un rapport particulier à la topographie. Mais dans l’exercice de ce projet, je souhaitais aborder pour le volume du haut la question d’un socle glissant. Ce socle est glissant car il fait une transition entre le référentiel du sol naturel qui est la courbe de niveau et le référentiel du sol artificiel qui est celui de la rue haute dans lequel j’implante le volume du bâtiment haut. Il fait également une transition entre l’espace résiduel laissé par les deux volumes et le volume haut des salles de classes et de l’administration.


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Dessin personnel, carnet de projet

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Ce socle glissant et entre deux référentiels contient donc un programme semi-public : une salle d’exposition sur l’architecture. La référence pour l’inscription de la courbe dans ce socle est la villa Kahlman de Luigi Snozzi. Sauf qu’au lieu d’utiliser la courbe comme géométrisation et abstraction de la nature, je l’affirme plastiquement comme tel, mais fait expérimenter au visiteur la concavité en intérieur et la convexité qui projette dans le paysage. J’ai également le projet de Quinta do Portal d’Alvaro Siza en référence car il projette grâce à la courbe le visiteur dans le paysage en le faisant passer de la concavité à la convexité d’une même paroi. J’ai également été convaincu par la nécessité de conserver le socle courbe existant du niveau bas, de par sa présence dans le lieu depuis longtemps et de par sa fonction de glissement de la rue basse avec la rue montante qui longe la parcelle. Il permet aussi de faire frontalité avec la menace du site. Ce socle n’en est pas un en réalité il s’agit plus d’un mur qui tient les limites de la parcelle, dont le bâtiment émerge.


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Dessin personnel, carnet de projet

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conclusion : l’espace public et le sol la leçon d’Alvaro Siza Le bâtiment projeté est donc composé d’un programme éclaté dont l’entre deux est cisaillé par des promenades publiques. Ces promenades sont orientées en fonction des axes paysagers travaillés à travers le projet, et les escaliers pénètrent dans le sol, et renforcent subtilement des réfénrentiels géométriques. C’est comme si la rue continuait à travers la parcelle et offrait des points de vue sur le bâtiment, sur le site, sur la sous face de certains éléments. Par le dessin, j’ai tenté “d’imaginer l’évidence” et de trouver la justesse dans les pleins et les vides que j’implantais à différents niveaux. La circulation publique trouve une nouvelle fluidité à travers les forces du site. Je souhaite offrir la possibilité de plusieurs parcours différents, à l’image du projet des deux Picasso d’Alvaro Siza qui a repris cette morphologie dans le musée en Corée réalisé avec Carlos Castanheira. Le travail sur la matérialité du sol et des points des vue des paliers comme dans le projet des Carmo Terrace à Lisbonne ou du cheminement dans l’école d’architecture de Porto m’a beaucoup inspiré. Comme dans beaucoup de ses projets, je souhaite fabriquer un projet qui deviennent un point tournant dans le relief du site. Il faut que le projet devienne le moyen de domestiquer la topographie. Au vu de la forte pente de ma parcelle je compte régler les facades en divisant le projet en deux, comme expliqué précédemment : ce qui appartient au sol en matérialité de pierre et en béton blanc ce qui appartient au projet. La thématique du socle va régler des questions programmatiques, formelles mais également des questions de topographie. Comment le bâtiment doit il s’ancrer naturellement dans le sol, mais comment doit il à la fois en émerger ou flotter au dessus de lui ? Dans ce projet, j’ai dessiné l’Ecole d’Architecture de Rio de Janeiro, au Brésil. Les dialogues que j’ai pu avoir avec mes amis m’ont permis de faire le point sur ses notions. Le fait de les pratiquer, tout comme dessiner des bâtiments remarquables ont formé mon œil et ma main. La conception architecturale entre la maquette et le dessin n’en devient que plus enrichissante et personnelle.


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