écho des caps n° 1389 • vendredi 5 décembre 2014
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> Écho dossier ENTRETIEN
« Entre Terre et Mer » en BD Une adaptation de Pascal Bresson Pascal Bresson travaille à l’adaptation en Bande Dessinée de la célèbre série Entre Terre et Mer d'Hervé Baslé dont plusieurs scènes ont été tournées à Saint-Pierre et plus précisément à l’Île aux Marins. Le premier tome sortira en librairie à l’horizon 2015.
Comment avez-vous travaillé à la réadaptation du célèbre téléfilm d’Hervé Baslé ? Je connais bien l'œuvre d'Hervé Baslé, tant par ses romans que par ses productions télévisuelles. J'ai découvert la série « Entre Terre et Mer » dès sa première diffusion en 1997. Hervé Baslé est un conteur dans l'âme, un narrateur proche des gens, qui sait mettre en lumière la pudeur des sentiments des hommes, le courage, l'amour... Tout était réuni pour que cette saga maritime fonctionne... J'ai été de suite séduit par ce feuilleton retraçant la vie des marins. La grande épopée de ces Terre-Neuvas Bretons partant pêcher sur les Grands Bancs au risque de leur vie. Toute une époque, encore bien présente dans notre patrimoine Breton. Surtout à Saint-Malo où je vis... Pour adapter « Entre Terre et Mer » d'Hervé Baslé en Bande Dessinée, ce ne fut pas si simple ! Dès le départ, je ne voulais pas faire du « roman-photo » ou « caricaturer » les personnages. Faire du copier-coller. Les personnages sont bien ceux de la série, mais rien à voir avec les visages des acteurs principaux. Dans un téléfilm, on peut tirer sur la corde, rallonger les scènes, s'attarder plus longuement sur un dialogue, un décor, une action, etc... Alors qu'en BD, le rythme est plus rapide, plus soutenu, plus radical. Il faut aller à l'essentiel de suite ! Il ne faut absolument pas que ce soit ennuyeux ; il faut captiver immédiatement le lecteur dès les premières pages ! La BD, c'est un autre langage, une autre écriture. J'ai relu évidemment le roman pour me remettre dans l'ambiance, dans le contexte et me suis servi du DVD pour suivre chronologiquement l'histoire. Déjà entre le roman et la série, il y a quelques petites différences de synchronisation. Même dans le roman
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« La BD, c'est un autre langage, une autre écriture. La BD est proche du cinéma. C'est d'ailleurs du cinéma sur papier. »
d'origine, certains dialogues sont différents par rapport à la série télé. Il faut éviter également de « plagier » ce qui existe déjà. Il faut tout « recréer » façon BD... La BD est proche du cinéma. C'est d'ailleurs du cinéma sur papier. J'ai découpé case par case, page par page, soit plus de 140 pages au total... À noter toutefois, dans ce genre d'adaptation, il ne faut pas « trahir » et s'éloigner un peu trop du sujet. Il faut respecter l'œuvre et son auteur. La série « Entre Terre et Mer » en Bande Dessinée est prévue en trois tomes aux Editions Celtic... Le premier volume paraîtra en janvier 2015. Il faut en moyenne 3 mois pour réécrire et découper un album de 46 pages et 8 mois pour le dessiner. Je réalise cette série avec mon ami Erwan Le Saëc. A-t-il été difficile de vous réapproprier l’œuvre d’Hervé Baslé ? Heureusement, que j'avais dès le départ, une base : le téléfilm. Le plus difficile c'est d'apporter un rythme différent. Il faut réorganiser le récit tout entier ; équilibrer les différentes séquences entre les différentes composantes de l'histoire. Les difficultés du scénariste de BD sont communes avec celles du raconteur d'histoires : comment réinventer ? Apporter ou exposer une intrigue ? Comment apporter l'information nécessaire à l'action sans dénaturer le texte original ? Quelle scène utiliser pour déclencher l'action ? Comment la préparer ? Quels indices disposer en amont ? Comment nouer tous les fils de l'in-
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trigue ? Comment résoudre l'action sans passer par un long exposé explicatif ? Comment éveiller l'intérêt du lecteur ? Quelle quantité de péripéties faut-il intégrer à l'histoire ? La principale question, c'est le rythme... Comment équilibrer les temps et les pauses d'explications, les temps d'actions ? Les temps de contemplation et les temps de paroles ? Comment faire avancer clairement l'intrigue sans empêcher le récit de prendre son temps ? Ce sont des questions spécifiques avant d'aborder n'importe quelle adaptation... Par rapport à un roman ou 6 heures de film, je suis obligé de tout compter, de délimiter soigneusement le temps consacré à chaque séquence du récit. Combien de pages pour une scène d'introduction du récit ? Combien pour une scène de dialogue ou d'action ? Une page BD représente l'unité de l'histoire, une séance complète. Ça limite les exigences narratives. La caractéristique de l'écriture Bande Dessinée est son rapport à l'image et surtout son rapport à l'espace blanc entre deux images. Il faut se familiariser également avec les ellipses, passer d'une case à l'autre et reconstituer une action... C'est très technique, mais obligatoire de passer par toutes ces questions pour adapter l'œuvre d'Hervé Baslé... Et au final, je suis très satisfait de cette adaptation en Bande Dessinée, c'est très réussi. L'esprit est bien là... Il y a deux ans, lors d'un passage sur SaintMalo, Hervé Baslé et moi-même, nous nous sommes revus. J'ai profité de cette occasion pour lui montrer les premières pages du T.1. d « Entre Terre et Mer »... Je me souviens
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précisément de sa grande émotion au moment où il a vu les planches n/b grands formats... J'ai vu dans ses yeux beaucoup de joie.... La première chose qu'il m'a dite : « Pascal, je ne pensais pas que l'on pouvait donner autant d'émotions en Bande Dessinée »... Puis d'ajouter : « Au cinéma, c'est facile, on fait un gros plan sur les yeux, mais quand je découvre vos pages, les regards, vos personnages dessinés, tous sont émouvants, c'est magnifique »... Là, je savais que le pari été relevé. J'étais adoubé par l'auteur luimême... Le métier de terre-neuvas semble pour vous une source d’inspirations. Pourquoi ? Je suis surtout très admiratif devant tant de courage... Il fallait avoir faim pour faire ce métier de chien ! Ils se faisaient appeler « les bagnards de la mer »... La pêche a évidemment évolué, surtout aujourd'hui de façon industrielle... Mais à l'époque, ces TerreNeuvas sont des sacrés bonshommes ! J'ai lu des tonnes de témoignages, des tonnes de livres sur le sujet, on a du mal à s'imaginer ce qu'ils ont pu vivre ! J'ai réalisé plusieurs ouvrages sur les Terres-Neuvas. En travaillant sur « Entre Terre et Mer », j'ai vécu de belles surprises car j'ai encore appris des tas de choses sur ces hommes de la mer, sur les jeunes mousses. Ils ont payé un lourd tribut... Que d'émotions ! Il fallait être solide physiquement et mentalement, se battre contre le froid, les tempêtes, la fatigue... se battre contre certains marins, s'imposer... Pas simple ! Il n'y avait pas un esprit d'aventure, il fallait seulement se nourrir et gagner de l'argent pour faire vivre la marmite. En faisant ces livres, ces BD, j'ai la volonté de transmettre. Être un passeur de mémoire. C'est important la mémoire, surtout lorsqu'on s'adresse principalement aux jeunes !...
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« Il fallait avoir faim pour faire ce métier de chien ! Il n'y avait pas un esprit d'aventure, il fallait seulement se nourrir et gagner de l'argent pour faire vivre la marmite. »
Qui vous a donné le goût de la Bande Dessinée et dans ce domaine quels sont vos référents ? Je suis passionné de BD depuis mon plus jeune âge. Comme Obélix, je suis tombé dedans ! C'est à 5 ans, en découvrant les pages du journal Tintin, que je suis tombé sur les enquêtes de Ric Hochet dessinées par Tibet. À l'âge de 11 ans, je me suis sauvé de chez ma grand-mère pour le rencontrer, car il était de passage dans une librairie Rémoise. Là, j'ai su que je voulais devenir dessinateur de BD. Tibet était un homme extraordinaire. Il prenait du temps à m'expliquer comment on dessinait un personnage, comment on le mettait en scène, comment il bougeait. C'était un homme généreux... par la suite, il est devenu mon papa de métier, tout comme René Follet avec qui j'ai réalisé l'Affaire Dominici et Plus Fort que la Haine aux Éditions Glénat. Tibet est décédé il y a 4 ans ! J'ai encore du mal à m'en remettre... Être auteur de BD, faut vraiment la foi. C'est un métier incertain. On ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé ! Nous n'avons pas de statut. Pas le droit au chômage, donc pas de contrats !... pas d'argent. Beaucoup de précarité dans ce milieu. Faut se serrer la ceinture très souvent. C'est un métier de passionné. Faut un bon mental et y croire constamment. Remarquez, j'avais le choix entre auteur BD ou comédien. Je crois qu'actuellement c'est difficile dans ces deux disciplines ! J'ai eu de la chance d'opter pour la BD, c'est un peu plus facile que d'être comédien...
Mes références BD sont : Ric Hochet, Tintin, Gil Jourdan. Ce sont des classiques. Je viens de l'école Belge, de la ligne claire comme disait Hergé. Sinon, j'aime les auteurs : Tibet, Hergé, Tardi, Ferrandez, Follet... Outre la sortie de « Entre Terre et Mer », quels sont vos projets ? Le premier tome d'« Entre Terre et Mer » paraîtra aux Éditions Soleil Celtic en janvier 2015. Série prévue en trois albums. Je suis donc avec mon ami Erwan sur le dernier. Vient de paraître deux albums : • « PLUS FORT QUE LA HAINE » (Éditions Glénat), une fable humaniste dans une Amérique rongée par le racisme et la ségrégation, qui prouve que, quoi qu’il arrive, la haine n’est jamais la réponse. • « JEAN-CORENTIN CARRÉ, L'ENFANT SOLDAT » T.1 (Éditions Paquet), l'histoire du plus jeune poilu Breton pendant la Première guerre mondiale. • J.-L.Mahé
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