XIIème Comité des signataires de l'Accord de Nouméa Hôtel de Matignon – 03 octobre 2014 Intervention de Pierre FROGIER
Monsieur le Premier ministre, Madame la ministre,
Un comité des signataires est toujours un moment important et celui-ci aurait du l'être plus encore que les autres. Ce premier comité des signataires, de la dernière mandature de l'Accord de Nouméa, aurait dû être un aboutissement. Il aurait dû servir à préparer une suite harmonieuse au processus que nous vivons depuis 1988. Il aurait dû tracer la voie du vivre ensemble et de la communauté de destin auxquels nous appelle l'Accord de Nouméa. Je crains qu'il n'en soit rien ! D'abord parce que, pour la première fois depuis plus de 10 ans et alors que le contexte actuelle est autrement plus grave qu'à l'époque, l'Union Calédonienne ne participe pas à nos débats. Dans ces conditions, quels sens auront les travaux si ses conclusions sont par avance rejetées par une large partie du camp indépendantiste? En outre, l'Union Calédonienne a refusé de s'asseoir à cette table parce que, disent-ils, le gouvernement les aurait "trahis" - ce sont les mots du Secrétaire Général de l'UC - sur la question du corps électoral, qu'il s'agisse de celui des Provinciales comme celui applicable en cas de référendum. Nous savons donc, d'ores et déjà, que le principal point à l'ordre du jour de notre Comité est rejeté par la partie la plus importante du FLNKS. Quel sens tout ceci a-t-il?
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Ne voit-on pas que les conditions de notre réunion ne sont pas remplies? Que nous allons débattre dans le vide? Ensuite, parce que, ce comité n'a plus de signataires que le nom. Sans remettre en cause la légitimité démocratique, ni les compétences de ceux qui sont autour de la table, je constate que les signataires y sont minoritaires. Ce sont eux, pourtant, qui connaissent la réalité de cet Accord, son esprit et ses points d'équilibre. Ce sont eux qui ont vécu les affres de sa négociation. Ce sont eux qui savent les compromis acceptés par les uns et par les autres et qui connaissent le cheminement des discussions. Cette mémoire s'est perdue ! Elle est pourtant indispensable parce que nous n'écrivons pas sur une page blanche. C'est en connaissant les concessions réciproques, les engagements et les espoirs des signataires que nous pouvons imaginer la suite. Sinon tout ce que nous faisons depuis près de trente ans n'aura servi à rien. Et nous reviendrons, inéluctablement, à la case départ en reproduisant des erreurs qui ont failli nous être fatales. Je ne vous cacherai pas que c'est ma crainte, aujourd'hui, alors que nous abordons la dernière étape de l'Accord et que je vois se reproduire des attitudes et des comportements que je croyais appartenir définitivement au passé. En réalité, j'ai la conviction que nous sommes arrivés au bout d'un cycle. Et que les élections provinciales de mai 2014 ont mis un terme au cercle vertueux ouvert en 1988.
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Tout ce qui nous animait, en 1988 et en 1998, s'est progressivement délité; il y avait auparavant, deux familles politiques unies et clairement identifiées. Aujourd'hui, dans chacun des camps, les surenchères électorales ont débouché sur un éparpillement de la représentation politique qui ne répond plus aux exigences d'une négociation apaisée et constructive sur notre avenir. * *
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Cette situation était inscrite en filigrane dans les comportements de ceux qui ont mis l'Accord de Nouméa au service de leurs ambitions, sans en mesurer ni la grandeur ni les exigences. C'est pour éviter ce retour en arrière que je redoutais, c'est pour consolider les acquis et pour faire vivre l'Accord que j'ai pris plusieurs initiatives. L'objectif était de ne pas attendre passivement 2014 parce que je savais que la proximité des échéances électorales, les débordements prévisibles de la campagne et l'approche de la sortie rendraient les choses plus difficiles et seraient le terreau de toutes les surenchères. J'ai pris les risques mais je l'ai fait en conscience. C'était mon rôle de signataire de l'Accord. C'était de ma responsabilité. C'est dans cet esprit que j'ai proposé, en 2010, de faire flotter, ensemble, le drapeau tricolore et le drapeau identitaire kanak. C'était un geste de reconnaissance mutuelle qui prolongeait la poignée de mains de Matignon. C'est, aussi, pour favoriser une confiance réciproque, que j'ai proposé, alors même qu'ils étaient minoritaires, qu'un indépendantiste soit élu à la présidence du Congrès. C'est avec la même volonté de créer un climat propice aux discussions et à la préparation de l'avenir que nous avons constitué, lors du comité Seul le prononcé fait foi 3
des signataires de 2010, trois comités de pilotage chargés de faire le bilan de l'Accord de Nouméa, de réfléchir sur l'avenir institutionnel et de travailler sur un schéma métallurgique et minier. Notre ambition, encore une fois, était de jeter les bases d'un dialogue apaisé et constructif avant 2014. Nous avons échoué parce que ces diverses propositions ont été dénaturées et combattues avec une violence inouïe, dans un objectif purement électoraliste. Mais je constate aussi, monsieur le Premier ministre, le silence assourdissant de la famille politique à laquelle vous appartenez. Ces gestes étaient conformes à l'Accord de Nouméa. Ils le complétaient, ils le faisaient progresser, ils le parachevaient. Et qu'on ne vienne pas m'expliquer l'Accord: j'en ai été l'un des négociateurs de tout premier plan, et j'y ai en conscience apposé ma signature. Je crains que, là aussi, les arrière-pensées idéologiques et les calculs à courte vue, aient obéré les jugements et aient empêché les socialistes de reconnaître ces avancées. * *
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Aujourd'hui, nous sommes au pied du mur ! Faute d'avoir su choisir la voie normale d'un dialogue apaisé et respectueux entre partenaires, nous nous retrouvons contraints à préparer une solution dont nous ne voulons pas. Celle d'un référendum d'autodétermination qui ne dit pas son nom. Mais je veux vous poser une question : A quoi a-t-il servi de travailler ensemble, de dialoguer, d'apprendre à se connaître et à se reconnaître, si c'est pour reprendre les moyens qui nous ont si mal réussi ?
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Pourquoi avoir recherché le compromis, pourquoi avoir fait des concessions réciproques, si c'est pour s'opposer, à nouveau, frontalement, dans un referendum destructeur dont nous connaissons, par avance, le résultat ? Ne mesure-t-on pas les risques que l'on prend à demander aux calédoniens, trente ans après Matignon, vingt ans après Nouméa, s'ils sont pour ou contre la France ? Ne voit-on pas le danger de rouvrir de vieilles blessures qui ont eu tant de peine à cicatriser ? Vous connaissez ma conviction personnelle. Je suis persuadé que nous avons l'obligation de rechercher, ensemble, un nouvel accord, qui soit cette fois-ci pérenne dans le temps et qui fixe pour longtemps le cadre de nos relations dans la France. J'en conviens, ce n'est pas la solution la plus facile ! Mais c'est la solution la plus sage et la plus conforme à l'esprit de l'Accord de Nouméa. Et vous le savez comme moi ! On ne bâtira pas un destin commun dans la fureur d'une consultation d'autodétermination. * *
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Dans cette volonté de rechercher une solution acceptable par le plus grand nombre, je n'ai pas été entendu. On m'a opposé la lettre de l'Accord de Nouméa. On m'a répondu qu'il fallait appliquer l'Accord, tout l'Accord et rien que l'Accord ! Dans ces conditions, je vous prends au mot ! Et je réclame, moi aussi, que, désormais, l'on s'en tienne strictement à la lettre de l'Accord dans tous les sujets que nous devons examiner.
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Concernant l'avenir institutionnel, s'il faut nous imposer un referendum d'autodétermination, je refuse que l'on s'éloigne des termes retenus par l'Accord de Nouméa. Mais nous avons surtout besoin, monsieur le Premier ministre, de connaître les intentions de l'Etat et sa vision de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. L'Etat est signataire et partenaire, à part entière, de l'Accord de Nouméa. Nous avons besoin de savoir ce qu'il veut ! Nous sommes à un moment où nous allons devoir décider si une portion du territoire national décide ou non quitter la France, et le gouvernement de notre pays n'a pas d'avis? Il n'a pas de préférence? Il n'a pas d'opinion? Il reste à équidistance? Personne ne peut le croire. Tant que le Président de la République, tant que votre gouvernement ne nous nous auront pas fait connaître leur position, nous ne pourrons pas entrer en négociation car nous ne savons pas ce qui se cache derrière votre refus de l'exprimer. Nous serons aussi extrêmement vigilants concernant le corps électoral parce que nous avons été trahis une première fois! Le gel du corps électoral pour les élections provinciales nous a été imposé au mépris de ce que nous avions signé. C'est pour un corps électoral glissant, que j'ai apposé ma signature au bas de l'Accord de Nouméa. La révision constitutionnelle de 2007, engagée en 1999 à la demande de Lionel Jospin, a abouti au gel du corps électoral, mais le remède est pire que le mal puisque les conséquences de cette révision constitutionnelle font toujours débat. Et pourtant, ce n'est pas fauté d'avoir tenté d'anticiper cette situation! Des février dernier, j'avais demandé à votre prédécesseur, la réunion d'un comité des signataires extraordinaire pour traiter de la composition du corps électoral. J'attends toujours la réponse. Seul le prononcé fait foi 6
En toute logique , nous nous opposons à une modification des commissions administratives chargées de superviser la constitution des listes électorales spéciales. La composition de ces commissions est fixée par la loi organique et il n'y a aucune raison de la modifier, surtout s'il s'agit pour l'Etat de se désengager de celle-ci pour fuir ses responsabilités de garant des Accords. Nous avons été trompés une fois, nous ne le serons pas une seconde fois. Comprenez que nous soyons devenus extrêmement méfiants. Nous réclamons également la stricte application de l'Accord de Nouméa à propos du transfert des compétences "dites" de l'article 27. Ces compétences peuvent être transférées s'il existe, pour cela, une majorité des 3/5ème du Congrès. Il n'est même pas besoin d'en discuter, il suffit d'appliquer l'Accord! Et je ne comprendrais pas que l'on nous impose de modifier cette disposition alors que, malgré nos demandes incessantes, on nous refuse, depuis des années, une modification de la clef de répartition, au prétexte qu'elle serait gravée dans le marbre de l'Accord. Le nickel, enfin, est un enjeu essentiel, mais il ne doit pas être un objet de chantage ou de surenchère. * *
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Monsieur le Premier ministre, il vous appartient de restaurer une confiance qui s'est bien érodée ces derniers mois parce que l'Etat n'a pas assumé ses responsabilités politiques sur la question du corps électoral provincial, parce que l'Etat s'apprête à composer avec l'Accord s'agissant du corps électoral de sortie, parce que l'Etat a adopté une position idéologique sur les transferts dits de l'article 27, parce que l'Etat a voulu faire de la politique en envoyant en Nouvelle-Calédonie une mission partisane qu'il a refusé de rééquilibrer malgré les demandes de nombre d'entre nous' et dont le principe a été décidé en dehors du Comité des signataires. Seul le prononcé fait foi 7
Conformément aux usages républicains, nous avons répondu à votre invitation, pour écouter et entendre ce que vous aviez à nous dire, mais sommes-nous, aujourd'hui, vraiment réunis sous la forme habituelle d'un "Comité des signataires". La réponse est non: Parce que ce comité n'est pas réuni au complet, Parce que sur toutes les questions inscrites à l'ordre du jour, l'Accord est clair. En conséquence, et pour anticiper, l'issue de cette réunion d'échanges, je considère que la rédaction du traditionnel relevé de conclusions n'aurait pas de sens. Je voudrais cependant conclure sur une note optimiste. Elle est apparue le 24 septembre, date anniversaire du rattachement de la Calédonie à la France. Alors qu'il fêtait le trentième anniversaire de sa création, le FLNKS a hissé le drapeau tricolore à côté du drapeau qui fut celui de sa lutte et de sa revendication. Un drapeau que nous avons voulu reconnaître comme le signe de l'identité kanake, débarrassé des violences dont il était entaché. On ne peut rester insensible au fait que, 161 ans après la rencontre de nos deux peuples et de nos deux cultures, 30 ans après le coup d'envoi de leur lutte, les indépendantistes choisissent de lever le drapeau bleublanc-rouge. Personnellement, j'y vois plus qu'un signe. J'y vois l'espoir que, malgré tous les obstacles, les tensions, les doutes et les oppositions, un destin commun est possible dans la reconnaissance de nos deux légitimités. J'espère que l'Etat comprendra ce message et qu'il saura redevenir un partenaire à part entière de la nouvelle page qu'il nous reste à écrire.
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