Projet 2019 • Jardiner pour Habiter

Page 1

2019

Jardiner pour habiter

Moulin 13003 Marseille

Ă la rĂŠsidence le

339

boulevard national

1


Voici l’histoire du jardin du Moulin, à Marseille dans une résidence habitée par des femmes « isolées en situation de handicap psychique », devenues co-auteures de leur lieu de vie.

Grâce au soutien de la Fondation Abbé Pierre avec l'équipe des collectifs làBO+DaZein pour l'association Maison de la Jeune Fille Jane Pannier.

SOMMAIRE

2

Le Jardin

p.4

Schéma des acteurs

p.7

Depuis 2016 : Un jardin en évolution

p.8

2019 : Prendre soin

p.12

Équipe LàBO + Dazein

p.14

La méthode

p.16

Les mercredis : une journée type

p.17

Printemps : jardiner

p.18

Automne : entretenir

p.19

Habiter, se laisser surprendre

p.24

Savoir ne pas faire

p.28

Analyse des pratiques professionnelles

p.30

Tiers

p.32

Transmettre

p.34

Playlist

p.38

Merci

p.39



LE JARDIN C’est un peu comme si le jardin pouvait « tenir compagnie » c’est-à-dire être « une présence », ou être un lieu de « présence » à soi-même, à travers des perceptions sensibles. Et pourquoi pas au souvenir d’actions accomplies ensemble pour le fabriquer. Alexandre souligne en réunion de bilan à quel point le bienfait de la nature, des plantes, des jardins, du vivant en somme, n’a pas à être débattu. Il va de soi que le jardin est lieu de ressourcement. Il en va de même du bénéfice thérapeutique que procure le jardin aux personnes malades. Dans le cas de la maladie psychique, intuitivement, le travail sur la relation au dehors semble symboliquement logique quand on veut prévenir ou compenser la sensation d’enfermement, en institution, en soi-même. Alors que « le monde extérieur » peut paraître à certaines résidentes comme très hostile, l’accès à un « dehors protégé et rassurant » paraît évidemment bénéfique. Patricia valorise quant à elle le jardin comme medium propice à la conciliation entre réel et imaginaire, qu’ont du mal à opérer les personnes psychotiques. Nous nous attachons à ce que le jardin soit structurant, architecturé, tenu par des lignes posées, solides, claires. A ce que les plantes y soient bien installées, bien contenues. La fonction symbolique masculine, paternelle, y est fortement lisible. Nous avons aussi fait un énorme travail sur la terre pour en améliorer la qualité, qu’elle soit porteuse, nourricière. On ressent une profusion, une générosité, une abondance qui comble, qui est le contraire du manque, de la misère, de la pauvreté.

4


En cela le jardin est habité par la fonction symbolique maternelle, aimante, enveloppante, nourricière, réconfortante. En somme; le jardin est vraiment traité dans sa dimension sensible et paysagère. Dans sa façon d’être apparu pour « corriger » la donne de base, et son dysfonctionnement initial, le jardin est en soi un « lieu manifeste de résilience ». On peut comparer le côté traité et celui qui ne l’est pas encore. Et mesurer le chemin parcouru. On peut même concrètement se le raconter. Il est sous les yeux, palpable. On sent que quelque chose d’un handicap structurel a été surmonté, surpassé, dépassé, réinventé. En cela, le jardin est porteur d’espoir. Peut-être le jardin porte-t-il même en lui la trace du « nous » qui l’avons créé ensemble. Chaque résidente, chaque membre de l’équipe d’accueil, chaque jardinier constructeur, sait que « NOUS » avons fait cela ensemble. Un « ENSEMBLE » au sens large, qui inclut la « Nature » et le « Vivant » auquel nous nous sommes de facto reliés harmonieusement. Le jardin est la manifestation du fait que nous pouvons faire, être, accomplir cela dans le monde. C’est très réconfortant. Très valorisant. ça nous soigne au niveau de notre rapport au monde. le jardin reste comme un témoin indéniable de la nature positive de nos liens.

5



QUI FAIT QUOI COMMENT ?? Fondation de France

2016

Fondation Abbé Pierre

LàBO + DaZein

2018

2019

Maison de la jeune fille Jane Pannier

Résidence Le Moulin

Le jardin

À l'ouverture du bâtiment en 2016, les premières résidentes peuvent effectivement être accueillies, être logées, être hébergées. Mais que faut-il de plus pour qu'elles puissent habiter ? Se sentir à la maison plutôt qu'à l'hôpital ? Sur cette question sans réponse toute faite, nous avons eu carte blanche de la part de la direction de Jane Pannier pour inventer des solutions. Avec toute la confiance de l'équipe d'accueil qui a réitéré son soutien d'année en année et trouvé les financements nécessaires à nos interventions, auprès de la Fondation de France d'abord, puis de la Fondation Abbé Pierre, devenue partenaire à part entière de ce qu'on peut considérer comme une recherche-action ayant désormais vocation à transmettre la possibilité de nouvelles pratiques. 7


DEPUIS 2016 : En 2016,

la résidence est livrée, tout le monde arrive, personne ne se connaît, l’immeuble est donc « flambant neuf ». Tout vide, tout blanc, aseptisé et sans histoire… comme l’hôpital dont sortent les résidentes. Nous sommes alors choisis pour intervenir sur les lieux afin de les rendre appropriables, qu’on puisse s’y sentir non pas en institution, mais à la maison ! Que ce soit « habitable ». Avec la complicité des équipes d’accueil de l’association Jane Pannier, notre nouveau collectif (làBO architectes bricoleurs + DaZein jardiniers poètes) avec leurs rêves, décide d’investir les espaces communs collectifs par un processus de « retouche progressive et participative des lieux » avec l’idée du soin apporté aux personnes, aux lieux, au temps d'élaboration, aux pratiques. Initialement financés par la Fondation de France, avec l’outillage et les matériaux issus de décors de théâtres et d’opéra d’Artstock, nous commençons à jardiner la terrasse, à mettre en œuvre des gestes, à manipuler du bois, à faire du ponçage. Pour mettre du vivant dans les murs, nous introduisons de la matière et des pratiques. Ni « animateurs » d’ateliers, ni « prestataires » pour équiper et décorer, nous décidons de nous considérer comme co-habitants des lieux. Ce processus de jardiner les lieux a ensuite éveillé l’intérêt de la Fondation Abbé Pierre, qui a reconduit le projet en 2018 et 2019. Pour un financeur, pouvoir constater un résultat palpable n’est pas toujours évident. Ici, la transformation du lieu se manifeste clairement.

8


En 2018,

le muret de la terrasse a été en partie démoli pour accéder à la terre. Des jardinières en bois ont été construites, aménagées, cultivées, avec les résidentes. Ici, on ressent du « fait main », du « fait sur mesure ». En chemin la terrasse peu attrayante est devenue jardin perçu comme beau, étonnamment vert et plantureux même au sortir d’un été de canicule. Par contraste avec la végétation pelée au dehors, il rayonnait de bonne santé. Pour évoquer la valeur ajoutée aux lieux par la présence du jardin, les mots « beau », « agréable » et « vivant » reviennent souvent. Les résidentes évoquent le végétal comme présence de couleurs, de parfums, de saveurs (aromates) renvoyant à des rêves et des souvenirs d’ailleurs. » Cependant, le collectif s’est aussi retrouvé confronté à des limites (dureté des travaux de percement du mur, questions de sécurité, dépassement des horaires…).

Pour 2019,

l’idée était de vivre ce jardin, de l’entretenir, de le transmettre et de mettre en place des cadres permettant de trouver du bien-être, de l’écoute, de la régularité. De nouveaux intervenants sont venus compléter et élargir le dispositif, appuyer l’idée de soin inhérente au projet. En ritualisant des temps précis au fur et à mesure de la journée, nous avons pris le parti de respecter une méthode et des cadres permettant de travailler tou.te.s ensemble, de permettre la douceur et le partage. En 2019, nous avons assumé de prendre le temps de vivre au jardin. De faire un film. D’entreprendre une analyse de pratique, de comprendre nos rôles et de saisir l’influence de nos actions auprès des résidentes mais aussi de l’équipe d’accueil. De belles choses ont surgi de manière spontanée, comme l’épopée du roman-photo, l’élaboration de l’herbier du jardin, des repas délicieusement partagés, des danses endiablées et des réflexions (autour de nos pratiques). Désormais, nous avons à notre actif trois années de transformations manifestes : d’un espace anonyme en lieu de vie collectif, d’une terrasse bétonnée en jardin luxuriant, d’un engagement individuel en pratique collective. En voici le récit. 9


2016 Ă 2019 : un jardin en ĂŠvolution

10


11


2019 : PRENDRE SOIN 2019, le projet continue ! La Fondation Abbé Pierre reconduit le financement d’ateliers participatifs de bricolage et jardinage pour les résidentes. Ce que l’intitulé ne mentionne pas (encore), c’est que ce projet s'adresse aussi à l’équipe d’accueil pour qu'elle intègre à sa manière de faire évoluer les espaces collectifs de l’immeuble. Les résidentes, l’équipe et nous-mêmes avons l’agréable sensation que revenir est dans la logique de ce que nous avons entamé : habiter, prendre soin et jardiner. Que ce processus fait partie du lieu, de la saison du printemps. Comme si c’était dans l’ordre des choses. En réalité, trouver un financement, un partenaire et une économie dans un établissement n’est habituellement pas pérenne. Pourtant ça continue ! Alors comment ? Quels sont les besoins ? Avec quelles envies ? mercredi 3 avril de 13h30 à 15h30 Autour de la table à manger proche de la fenêtre du jardin, Séverine, Madeleine, Margot, Agnès, Patricia, Laurent, Raphaël (DaZein), Alexandre (làBO). Nous commençons une nouvelle année d’actions de jardinage par la discussion.

• Visite du Jardin Nous avons pris le temps d’inspecter l’évolution du jardin et des installations après l’hiver écoulé. Les plantes ont grandi, la pousse de figuier est devenue un petit arbre, l’abricotier est en bourgeon, les structures en bois de 2018 n’ont pas bougé alors que les mobiliers de 2016 sont entièrement à rénover. • Discussion sur les commandes passées 2016 > Faire en sorte qu'ici ne ressemble pas à un hôpital 2018 > Ouvrir le mur pour accéder au jardin 12


Les cheveux au jardin, riches en nutriments ils repoussent aussi les ravageurs.

• Les envies de projets de la résidence — potager bio > qualité de la terre ? permaculture — planter chez les résidentes ? > comment ? — ombre > quel système adapté ? — transmission du jardin > entretien > autonomie • méthode abordée — présence régulière de l’équipe làBO+DaZein pour continuer à développer la qualité des lieux (être là, discuter, apprendre, jardiner, entretenir) > tous les mercredis — temps de discussion d'une heure en fin d’activité à 17 h > “Parlons jardin” — activités > jardinage / reportage vidéo et photo / récit / rénovation des installations existantes 13


ÉQUIPE làBO+DaZein Deux associations complémentaires avec une pratique in situ issues de nos parcours d’architectes et de paysagistes.

làBO... chantier participatif explore la dimension spatiale, environnementale en proposant des actions collectives de bricolages, de constructions, d’installations faites à partir de matériaux de réemploi comme le bois.

DaZein... jardinage poètique pratique avec le vivant au sens large, et invente un urbanisme végétal participatif et poétique, renouvelle la pensée du rapport global de l’homme avec son jardin planétaire.

" Prendre soin des lieux, c'est prendre soin des gens " La nouvelle équipe portée par ces deux associations est le fruit de rencontres, d’envies et de disponibilité pour participer entièrement au processus et à la philosophie du projet. Pour 2019, quatre nouvelles personnes intègrent le projet aux côtés de quatre déjà actives en 2018. La permanence des anciens (Agnès, Gwen, Alex et Raphaël) et les points de vue des «nouveaux » (Jean, Jean-Baptiste, Sébastien, Françoise) ont rendu possible de «poursuivre» tout en faisant un pas de côté. Architecte artisan, jardinier, bricoleur, vidéaste, rédacteur, dessinateur, psycho-praticien, chacun.e a été appelé.e à se considérer comme auteur.e pour réaliser le projet, transmettre la nature de cette expérience, et témoigner de la multitude des points de vue des personnes constituant les « trois groupes d’intéressés » ayant vécu le processus : résidentes, équipe d’accueil, et intervenants. Et cela au fil des 13 journées d'action réparties sur notre calendrier. »

14


depuis 2016

depuis 2016

depuis 2018

depuis 2018

2019

2019

2019

2019

Alexandre Lucas — làBO Architecte-bricoleur / référent chantier, matériel, sécurité, conception Raphaël Caillens — DaZein Jardinier-poète / référent jardin, "faire ensemble", poésie Agnès Calu Paysagiste-visagiste / référente capillaire et botanique Gwenaëlle Le Gal - MUE Paysagiste dynamique participative / référente savoir “ne pas faire”, karaoké Jean Boiron-Lajous Documentariste-réalisateur / référent portraits filmés Jean-Baptiste Brengou Organisateur de mémoire / référent retranscription, écoute sonore Françoise Manson - Garden Sketcher Dessinatrice-marcheuse / référente regard et portraits dessinés, Sébastien Ravet Jardinier-thérapeute / référent analyse de pratique

15


Réunion dans le salon pour le "Parlonsjardin"

LA MÉTHODE « On n'est pas des experts » Cette année nous avons appuyé notre méthode sur des principes simples : rythme, régularité, parole. Toujours dans l'idée d'être co-habitants, nous avons pensé les journées par étapes.

16


LES MERCREDIS : UNE JOURNÉE TYPE

9 h

Arrivée à la boulangerie boulevard National Autour d’un café, réunion préparatoire d’équipe : germes d’énergies.

9 h30 / 10 h

Café au jardin avec les résidentes présentes Pour se dire bonjour, partager les envies, la parole.

10 h / 13 h

Chantier-jardin partagé avec les résidentes Propice aux échanges, à la rencontre, aux partages des savoirs.

13 h

Repas avec les résidentes et les équipes Il rassemble un maximum de personnes, qu'elles aient participé ou non aux ateliers.

14 h

Café jardin & micro-sieste Petit moment précieux.

14 h30 / 16 h30

16 h30

17 h

Chantier jardin partagé On s'y remet ! Parlons jardin tous ensemble Table ronde autour de ce que nous avons fait, traversé, ce que nous ferons à la prochaine séance. Analyse de pratique avec Sébastien Ravet Moment d’échange en équipe autour des ressentis de la journée.

17


Rénovation des jardinières

PRINTEMPS - JARDINER Un retour jardiné pour un retour en douceur. Nous choisissons de mettre le jardinage au premier plan dans l’idée d’acquérir un savoir-faire sur le long terme. Retour en douceur mais dans l’action. Donner envie aux résidentes, mais aussi à l’équipe sur place et à nous-mêmes de continuer. Une des questions principales de ce projet concerne la présence des résidentes. L’arrivée du printemps, des beaux jours, l’éclosion du jardin nous fournissent l’occasion d’établir les premières lignes de notre programme. Sous forme de petits ateliers, d’expériences et de partage des savoirs. On sème, on plante, on replante, on taille, on soigne, on enrichit, on coupe, on paille… Petite plantation de graines dans les pots, réarranger le chèvrefeuille, potager bio, déplacer la menthe, fabriquer du compost, enrichir la terre, placer des tuteurs autour de la vigne vierge, broyer des végétaux, vider les jardinières de l’entrée d’immeuble, soigner la vigne avec des potions, etc.

18


AUTOMNE - ENTRETENIR Le retour des températures d'automne nous permet de reprendre des activités plus “dures”, de démonter les anciennes structures abîmées, de rénover ce qui a mieux tenu, puis de concevoir et de réaliser la construction d'éléments nouveaux. En parallèle, le jardinage se poursuit, pour enrichir la terre, replanter, libérer des espaces, planter… Rénover, ranger, consolider, réduire les risques, remplacer, repeindre, vernir, mesurer, scier, poncer, etc. Démonter l’ancien escalier en bois devenu obsolète, reconstruire le grand bac autour de l’abricotier , vernir et huiler les structures en bois, ranger le garage, acheter un grand parasol et les tables de jardin, poncer et peindre les jardinières en bois de 2016, changer la dalle cassée, etc.

Récolte de basilic pour un repas

19


Semis prĂŞts Ă planter

20


PrĂŠparation du compost

Atelier collectif

21


22


23


HABITER, SE LAISSER SURPRENDRE Au-delà des actions prévues, par le jeu des interactions et des rencontres, d'autres idées ont germé, des envies se sont faites jour, et accomplies…

• Prendre soin : se caresser d'aloe vera Vers la fin du printemps, un de nos temps de parole de fin de journée s’est déroulé sur la terrasse, autour des tables de jardin. En échangeant autour de notre rapport aux plantes, l’aloe vera a fait irruption, chacune s’est mise à parler de ses usages, Patricia s’est levée pour en découper des morceaux dans un des pots, en a offert à tout le monde, et là… Une sorte d’atelier bien-être improvisé s’est engagé… Chacune et chacun s’en est appliqué sur le visage, les cheveux, tout en écoutant les histoires des autres, celles de Rosalie, grande connaisseuse, notamment. Et pendant ce temps, Andrea, alanguie sur Patricia, se laissait masser les cheveux, toujours à l’aloe vera. Grand moment de soin collectif, par les caresses, les mots, les rires. Pour nous, cela a illustré clairement l’intention partagée de prendre soin, de l’autre, de soi, de nous tou.te.s.

• Le couscous Pour notre dernière intervention de l’automne – c’était prévu depuis quelques semaines –, quelques résidentes et l’équipe du Moulin avaient concocté pour le déjeuner un couscous ! Encore une parfaite excuse pour fêter, prendre le temps, s’installer, habiter les lieux et partager des moments ensemble. Elles s’y sont prises la veille pour cuisiner, chacune à sa manière, avec ses origines et sa culture. Nous avons choisi de faire des repas un des moments phare de nos journées d’intervention. Elles ont choisi de nous en offrir un. Quatre coins repas, de la table de salon avec canapé et fauteuils pour mieux se vautrer, à des tables de 4 à 10 personnes. On en profite pour discuter, se remémorer les moments forts, écouter en boucle la playlist des musiques de l'atelier, danser, chorégraphier et chanter ensemble. Le repas se termine sur une chenille et comme souvent, dans le jardin.

24


25


• L'herbier Sur une volonté de nommer toutes les plantes présentes au Moulin, Agnès a accompagné les résidentes à les identifier. Sur des bouts de plastique, des tiges de bambous, des morceaux de bois, les noms ont été inscrits et ainsi placés au plus proche des plantes, directement dans les jardinières. Comme il arrive parfois, l’équipe du LàBO s’absente un mercredi. Qu’à cela ne tienne, l’habitude est maintenant en place, et les résidentes, aidée de l’équipe du Moulin, souhaitent maintenir la séance. C’est de cette énergie et de la volonté de conserver les savoirs acquis que naît l’herbier.

• Le roman-photo À la fin de la session de printemps, un matin au café avec les résidentes, autour du classeur qui venait de s’élaborer autour de nos pratiques du jardin, Alexandre a lancé l’idée de roman-photo, sitôt attrapée au vol par Madeleine, puis par tout le monde. La semaine suivante Madeleine nous lisait son scénario : celui d’un pauvre jardinier fou amoureux des lauriers mais délaissé parce qu’il sent trop fort le chou… Un story-board s’est dessiné au fil de l’après-midi, et la séance suivante, costumes, maquillages et mise en scène ont permis la finalisation des images… Ne restait plus qu’à les agencer sur un grand panneau, ce qui fut fait à l’automne. Durant ce processus, et pour accompagner la journée de prises de vues, une bande-son s’est composée, et nous l’avons réutilisée à d’autres moments, pour travailler en musique, pour danser…

En haut : l'herbier En bas : le temps d'un roman photos

26


27


SAVOIR NE PAS FAIRE Gwenaëlle, lors d’une discussion autour des savoirs (savoir-être, savoir-faire, savoir-dire), a nommé l’idée de permettre à d’autres de s’emparer de telle ou telle activité : le savoir “pas faire”. C’est resté comme une blague et un principe fort de notre présence à tou.te.s. Un des pré-requis de notre fonctionnement tient dans l’idée de partage : nous voulons “faire avec”, et ne pas “faire pour”. La présence de chacun est encadrée dès le départ par une somme de “savoirs”, partagés par l’équipe : savoir-faire, savoir-être, savoir-dire. Comment inclure ? Dans les actions de jardinage et de construction ? Nous avons tâché tout au long des ateliers de montrer l’exemple sans se placer en tant qu’experts et de mettre au centre du processus les actions, les tentatives, le FAIRE, les erreurs. Nous avons volontiers glissé de la place de démonstrateur/animateur, d’expert à celle d’initiateur, de celui qui invite, celle qui partage. Et Gwenaëlle d’un coup s’est écriée : « Savoir ne pas faire ! » Être là comme un garde-corps, un grigri contre la peur de se lancer, de recommencer. Laisser à l'autre de faire et ainsi aider l'autre à faire. Et pour y parvenir, nous avons fait appel à la sensibilité des “résidentes”, mis en valeur les actions, partagé la confiance. La taille de la vigne, la pose de clous sur la palissade, le déplacement de plantes, de nombreuses tâches nous ont permis d’expérimenter ce “savoir ne pas faire”. Mais d’autres tâches ont été plus ardues à partager : la découpe du bois avec de gros outils nécessite plus d’attention. Les objectifs que nous avions fixés au départ sont venus aussi nous pousser à exécuter certaines tâches sans les résidentes. Un équilibre reste à trouver… Malgré tout, savoir ne pas faire permet de se dire : « Comme je doute j’existe, comme je tente, je fais, et du coup le projet existe et j’existe avec lui. » Cela vaut autant pour les résidentes que pour les équipes qui partagent ce lieu, ces moments avec elles.

28


29


DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES En 2019, dans le cadre d'une amélioration de ses méthodes de travail, l'équipe a souhaité mettre en place une analyse de ses pratiques. L'idée en est venue suite à des conflits et difficultés relationnelles internes rencontrés l'année précédente, en 2018. Lors de cette édition dédiée aux métamorphoses de la terrasse, l'ampleur des travaux nécessaires avait requis des efforts constamment accomplis dans le dépassement des limites de chacun.e. Sans que ce dépassement ait pu être mis en discussion entre nous. A tel point que l'esprit d'équipe s'en était trouvé complètement anéanti. En 2019, une équipe, renouvelée par la force des choses, se fédère autour d'un objectif de « douceur » en harmonie avec l'objectif-même de l'action qui est, par le soin des lieux, de prendre soin des personnes. Comment prendre soin de nous-mêmes ? En nous faisant aider par une personne ayant sur nos actions un regard extérieur, étayé d'une véritable méthode de « mise en discussion ». Nous avons trouvé cette compétence en la personne de Sébastien Ravet, psychanalyste d’approche humaniste et existentielle, mais aussi spécialiste du jardinage, de la permaculture, du travail social et du handicap. Le cadre proposé : un protocole de travail visant à nous permettre de mieux « savoir être, savoir faire et savoir dire ». A la fin de chacune des 10 journées de travail in situ, une fois les outils rangés et l'espace rendu à ses habitants, nous avons pris l'habitude de nous isoler dans une petite salle, pour consacrer une heure à « quitter notre journée et les lieux de façon constructive et apaisée ». Le premier objectif : ne pas emmener chez nous des difficultés liées à cette journée, sans avoir pu au préalable les nommer et les élaborer. Mais le travail se fait aussi « au long cours », sur le « long terme », comme une « formation continue » qui porte ses fruits petit à petit. Dans cet espace de parole, dans un premier temps, un échange s'engageait entre les membres du groupe présent, à partir du vécu du jour : situations rencontrées, sensations éprouvées, impressions liées à la relation à l'autre, au travail, aux objectifs, etc. étaient évoqués de façon personnelle et « brute » devant le groupe, au sein du groupe. Dans un second temps, chacun.e pouvait 30


Story board du roman photo

s’exprimer sur la situation ou la difficulté rencontrée de façon constructive et bienveillante afin de pouvoir mieux l’appréhender dans le cas où celle-ci devait se représenter. Dans un troisième temps, après ces échanges, Sébastien reprenait le contenu formulé par le groupe, et le restituait à travers une autre « mise en mots » que la nôtre, permettant de « ré-envisager » l'expérience, de voir en quelle mesure elle est conditionnée par le contexte spécifique de l’intervention ; en quoi ce contexte crée chez chacun.e des membres de l'équipe des « échos » particuliers. Et d'y replacer ce que chacun.e de nous y amène, éprouve et fabrique, en relation avec autrui. A l'usage, cette analyse des pratiques a unanimement été jugée comme tout à fait nécessaire au bon déroulement du projet, et considérée comme le cadre traduisant effectivement que nous réalisons vraiment ce que nous avançons, à savoir « prendre soin des personnes ». Il en ressort aussi une meilleure compréhension du statut que nous avons dans la résidence : à savoir celui d'une présence tierce qui « dé-frontalise » la relation binaire entre « résidentes » et « équipes d'accueil », une fonction jugée non seulement bénéfique mais quasiment indispensable par les travailleurs sociaux eux-mêmes : la « fonction manquante » en quelques sortes. 31


TIERS Au fur et à mesure des ateliers, nous avons pris conscience de l’importance du tiers dans notre pratique commune autour du jardin : le jardin fait tiers entre nous tou.te.s, l’équipe LàBO/DaZein fait tiers entre les résidentes et l’équipe d’accueil, etc. Par tiers nous entendons un intermédiaire qui crée de l’espace, permet de se voir différemment, de se vivre autrement, de sortir de ses habitudes. Le jardin, d’abord, est le premier tiers. Il est le lieu de la rencontre et du déplacement. En venant mettre les mains dans la terre ou utiliser des outils, il permet de mettre tout le monde sur le même plan. Certes, il y a des savoirfaire à partager, mais le but est de faire ensemble, d’habiter le jardin. La question du rythme est posée au travers du “faire-ensemble”. Le jardin permet la rencontre, et la distance. Aux résidentes qui ne souhaitent pas s’investir, il permet de venir se poser, pour fumer une cigarette, pour discuter quelques instants, pour être à soi. Françoise, qui est intervenue lors des dernières séances, par son espace de dessin, a créé elle aussi un tiers, ouvrant encore d’autres espaces, d’autres imaginaires. Jean, durant les premières séances au printemps, avec sa caméra et ses questionnaires d’approche, avait instauré une présence du même ordre. Lors de la réunion d’équipe, fin 2019, Patricia notait l’importance pour l’équipe du Moulin de la présence des tiers, qui leur permettait de souffler un peu, dans les rapports parfois durs avec les résidentes. Le temps d’analyse de pratique en fin de journée, dans un espace et pour un temps définis, a permis à l’équipe LàBO/Dazein de poser à cet endroit, dans ce temps-là, les réflexions, les difficultés, les bonheurs rencontrés. Et même si nous en reparlons ailleurs, ils ont été posés à cet endroit. Ils sont là. Quelle que soit sa place dans le projet, il nous a semblé que chaque personne avait bénéficié de la présence de tiers. La distance qu’il crée a permis paradoxalement le rapprochement et la prise de distance par rapport aux places assignées, ou ressenties comme telles. 32


33


TRANSMETTRE Une des missions que notre équipe s’était fixée était la transmission : transmettre des paroles, des savoirs, transmettre le jardin… Cela a pris de nombreuses formes : partage de pratiques en jardinage et en aménagement, portraits filmés et portraits dessinés, “Parlons jardin” enregistrés, inventaires des plantes sous la forme d’un classeur, photographies, livre-accordéon composé de paroles et d’images des ateliers, poèmes en abécédaire, etc. Pour son film, Jean a mis en place des entretiens, des questions lui permettant d’établir un dialogue avec les résidentes, en tête-à-tête. Posée à l’intérieur du salon ou dans un coin du jardin, Françoise, par sa présence et sa concentration a créé d’autres espaces de parole, d’échange, de confidences. Gwenaëlle en proposant de produire un recueil des potions du jardin, lança une idée qui allait se transformer en classeur au sein duquel se retrouvent désormais les noms des plantes ainsi que des recettes et décoctions, mais aussi des poèmes sur le jardin. Chaque fin d’atelier se conclut par un “parlons jardin” d’une heure, durant laquelle la journée de chaque personne présente pouvait se raconter, qu’elle ait participé ou non aux ateliers. Raphaël allait tirer des fils avec chacun, repenser les ateliers, les liens au végétal ou au jardin, à l’idée de soin ou à toutes les questions qui nous traversaient. Il rebondissait sur chaque parole apportée pour tisser du lien, tout en restant lié au jardin. Ces temps ont vraiment fait vivre le jardin chez chaque personne. Ils ont été enregistrés. Cette saison il s’agissait notamment de rénover et d’entretenir les aménagements des années précédentes : démonter l’escalier devenu obsolète et presque dangereux, rebâtir la jardinière autour de l’abricotier, démonter l’autre escalier sur lequel le chèvrefeuille était venu grossir pour le réorienter vers l’extérieur, avec pour objectif la pérennisation et la transmission du jardin. Les habitantes savent que régulièrement, il faudra revernir certaines parties boisées, comme nous l’avons fait ensemble. À partir de paroles captées de-ci de-là et des photos, Jean-Baptiste a composé un recueil, vision intime et drôle de ce qui nous a tou.te.s traversé.e.s pendant les ateliers. Au terme des ateliers, Raphaël a composé sous la forme d'un 34


abécédaire, une suite de poèmes en haïkus autour des ateliers, des résidentes, du lieu, du jardin. Toutes ces actions de transmission ont au fond une volonté commune, celle d’aider à l’appropriation du jardin par les habitantes et usagères du lieu, afin que la présence des jardiniers ne soit plus “nécessaire”. À l’heure où la session 2019 s’achève, nous sommes plus aptes à réaliser un de nos objectifs. Après la phase “arriver” en 2016, la phase “transformer” en 2018, nous avons pu “habiter” le jardin en 2019, et nous nous rapprochons de la phase “transmettre”. Transmettre le jardin à nos amis du Moulin qui n’ont pratiquement plus besoin de nous pour « l’avoir en mains ». Et tout simplement transmettre l’histoire de ce projet à qui pourrait s’y intéresser. Dans cette perspective, chacun des membres de l’équipe a été appelé à se considérer comme auteur.e. La permanence des anciens et les points de vue des « nouveaux » ont rendu possible de « poursuivre » tout en faisant le pas de côté nécessaire pour « se voir à l’œuvre ». Madeleine, résidente de la première heure à l’origine du contact avec la fondation Emmaüs, déclarait en fin de réunion de bilan : « Le mot qui nous va bien, c’est osmose ! L’année prochaine, il faut qu’on fasse un documentaire ! »

leporello cadeau de noël aux résidentes

35


36


37


LA BANDE ORIGINALE DU MOULIN ! La Cumparsita - Tango argentin Kifak Inta - Fairuz Mange des tomates - Jo Benna Carmen, acte I : L’Amour est un oiseau rebelle - Maria Callas La Salsa du démon : Le grand orchestre du splendide DJ : Diam’s La Isla Bonita : Madonna Gigi l’amoroso : Dalida Bamboléo : Gipsy King La Soupe aux choux : Raymonde Lefèvre Highway to Hell : AC/DC Rock the Casbah : Rachid Taha Kiss : Prince Nathalie : Gilbert Bécaud Le Chasseur : Michel Delpech Requiem en D mineur : Wolfgang Amadeus Mozart Le lion est mort ce soir : Pow Wow Fais-moi du couscous chérie : Bob Azzam Oxygène : Diane Dufresne 38


MERCI ! Merci Vous Tous de permettre notre grand Nous ! à la Fondation Abbé Pierre Merci pour les retours encourageants, la confiance réitérée et le soutien à notre singularité à toutes les résidentes, Merci de nous ouvrir les fenêtres sur vos horizons, et d'y accueillir nos folies Fathia Daikha, Fatima Kandsi, Zineb Ait Benaddi, Madeleine Janer, Nejma Halisse, Amal Ouzal, Laetitia Gaillard, Nacéra Ben-Haddi, Katy Denis, Salya Bekkai, Céline Sanchez, Fatiha Chahir, Lemya Hamrani, Andréa Mendy, Severine Micheli, Lynda Kandil, Sophie Decloitre, Dalila Loucif, Dalila Khelaifia, Kahina Tabet, Valérie Paris à la belle équipe de la résidence des Moulins et de Jane Pannier merci de tant d'hospitalité, de bienveillance, et d'humaine intelligence Agnès Benmeddour, Patricia Chalm, Rosaly Gomis, Karima Kouadri, Naima Azaroual, Christelle Verdu, Christine Saurel, Saliha Kerrouche, Laurent Masson, Laïon Galion, Denis Carmona les stagiaires Emma Batifoulier-Vicchio, Eric Fontaine, Margot Panseri, Alexiane Caron Et un joyeux anniversaire chère Jane !!! Merci de nous accueillir dans ta belle histoire centenaire ! Longue vie encore !!! Signé : Agnès Calu, Alexandre Lucas, Françoise Manson, Gwenaëlle Le Gal, Jean Boiron-Lajous, Jean-Baptiste Brengou, Raphaël Caillens, Sébastien Ravet

39


BO +

DaZein làBO Laboratoire associatif : là [ici] + B.O. [bande-originale] faire d’ici la bande-originale du lieu. [se prononce là-B.O. tout aussi bien que làBO] Architectes de formation, glaneurs et explorateurs sur le terrain, làBO est une mise en commun des envies et compétences de chaque membre de l’équipe pour une approche plus juste et plus humaine. Convaincus de l’intérêt de placer notre profession au carrefour de différentes disciplines, nous explorons la dimension sociale, pédagogique et environnementale dans nos pratiques. www.la-b-o.com ° contact@la-b-o.com

DaZein Jardinier poète. Pratiquer in situ, avec le vivant au sens large, s’applique à de multiples situations. Mais la base est toujours la même : partir de ce qui est là. La ressource des lieux, des personnes, des situations, permet d’inventer sur mesure de l’urbanisme végétal participatif, de la pédagogie active, du chantier expérimental, de l’art de rue et de paysage. Avec l’idée que l’intervention locale illustre, enrichit, renouvelle la pensée du rapport global de l’homme avec son jardin planétaire.

Publication © lÀbo • Mars 2020

40


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.