Notre ville n'est pas un espace fini !

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LABO META URBA dialogue urbain n°2 août 2015

NOTRE VILLE N’EST PAS UN ESPACE FINI !

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‘‘Il n’y a pas d’architecture sans habitants et il n’y a pas d’architecture sans qu’elle soit habitée. En effet, il faut être un habitant, habiter ce que l’on construit et construire ce que l’on habite.’’ Patrick Bouchain : Vivre en construisant, Podcast, France Culture, le 31/07/2013 à 7h13

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L’atelier débat du 20 Juin 2015, ayant pour thème la participation habitante et le «vivre ensemble» en milieu urbain s’est divisé en trois parties : - Les projets urbains sont-ils d’utilité publique ? - Dans quelle mesure suis-je responsable de mon territoire ? - La ville de demain ne sera que l’usage que l’on en fait. Imaginez des scénarios. Un dialogue oral spontané retranscrit tel quel, vous est présenté comme un retour de cet atelier. Cette expression vive, ponctuée de parenthéses comme parties inhérentes de nos réfléxions, s’ajoute comme un processus, à savoir l’expérience même du langage. Elle permet de nous positionner avant tout dans notre rôle d’habitant en inscrivant nos pensées avec des mots du quotidien pour affirmer que ces échanges sont des actes qui font déjà la ville.

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« Borha - Par cette synthèse sous forme de dialogue,

on veut montrer que c’est un peu dans la continuité de notre démarche, parce que nous aussi, on se positionne dans notre rôle d’habitant et en fait, on se met à leur échelle au niveau hiérarchique, on est dans une espèce ...

Juliette - … d’horizontalité ! Borha - Oui, et c’est surtout aussi de dire que

le moindre petit moment a son importance, le moindre dialogue a son importance, c’est prendre l’attention de chaque petite chose qui font la ville. Et ça a commencé par là : un dialogue entre deux habitants pour faire les huttes préhistoriques de l’époque.

Margot - Oui complètement ... Borha - Ça montre aussi que la ville c’est du com-

promis, et du coup cette grande question du compromis s’illustre parfaitement avec le dialogue.

Margot - C’est parce que la ville n’est faite que

d’espaces de compromis et d’échanges. Et dans la manière dont on retranscrit ce dialogue-là, ce n’est ni plus ni moins un nouvel espace de compromis et donc un nouvel espace de ville, entre guillemets.

Borha - Oui c’est tout à fait ça ! C’est dans ces “pa-

renthèses de dialogue” que se trouve ce fameux “vivre ensemble”. Et ce n’est pas l’urbanisme qui crée ces instants de parenthèses, il a pour rôle de les accompagner. 4


Margot - Ces espaces de parenthèses ont une influence sur nos modes de vie …

Borha - Oui, enfin ils sont déjà un mode de vie en fait !

Juliette - Tout cela repositionne la question du

PLU et de l’urbanisme etc, non pas comme une finalité mais comme des choses en fait qui sont des prétextes, des supports à l’urbanité, aux modes de vie des habitants. ...

Borha - Et ça peut-être intéressant que l’on retranscrive ce dialogue tel quel, avec des fautes de langage, pour aussi faire écho à la première question qui était centrale lors de l’atelier du 20 juin autour de la dichotomie habitant / expert.

Margot - Oui surtout ce qui est important c’est de

supprimer cette “langue de bois” qui caractérise les experts de la ville, comme on le voyait dans une vidéo de Nantes Métropole sur le PLUM, on n’arrivait pas à suivre. C’était ennuyant, parce que l’élu avait un discours convenu, il utilisait des mots qui sont toujours les mêmes, que l’on entend partout, dans un vocabulaire de technicien que l’on ne comprend pas, parce que ce ne sont pas les mots du quotidien. Et finalement il y a une hiérarchie qui s’impose par le langage. Alors la manière dont on s’exprime devient importante. Et que cela reste «notre» langage, celui qui a le plus de sens dans notre quotidien.

Borha - Oui, et il faut utiliser notre langage pour assumer qui l’on est, pour ensuite avoir la quelconque prétention d’affirmer des choses ... 5


Margot - ... et avant même de vouloir répondre aux choses il faut peut-être d’abord se reposer les bonnes questions. Pour cela il faut savoir d’où l’on vient et qui on est, quel rôle on a. Et donc la manière de changer les choses aujourd’hui serait avant tout de revoir notre statut d’habitant et alors nos actions à l’échelle de notre rue, de notre maison, voir de notre ville, tout ce qui forme notre “espace habité”. Accepter d’être avant tout un habitant c’est fondamental dans la relation à l’autre et la possible organisation alternative. Au lieu de lutter vainement contre un système qui n’a plus d’oreilles comment peut-on trouver des chemins de traverses au cœur de notre quotidien ?

Borha - Oui, dans cette question du langage, ça

‘‘ Quand j’étais petit on venait jouer ici, on avait installés un peu de sable, ça faisait Frossay-plage. On venait avec les parents pique-niquer et avec nos potes on fabriquait des planches pour nager dans le canal de la Martinière même si c’était interdit.’’

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Gilles, habitant de Frossay

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renvoie à la manière par laquelle on s’adresse à l’autre. Aujourd’hui, en tant qu’habitant pour PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF avoirREALISE son mot à dire, on devient d’abord élu et on adapte son langage, puis on le rend expert, pour enfin “pouvoir” parler d’urbanisme.


Finalement au fur et à mesure qu’on acquiert des connaissances sur la fabrique de la ville, on oublie d’être soi-même habitant. Ces préjugés-là sur le fait de ne pas pouvoir prendre part aux discussions si on n’a pas les clés, sont à défaire.

Juliette - Ce qui amène les habitants à être dans

la délégation de leur pouvoir “à ceux qui savent faire la ville” ! À partir du moment où tu donnes du pouvoir, il y aura aussi forcement abus de pouvoir. On se rend compte aujourd’hui qu’il y en a trop, et cela entraîne une perte de confiance chez les gens envers les représentants élus, une perte de légitimité. On peut arrêter de poser des hiérarchies entre les différents acteurs de la ville, arrêter de poser des modèles etc.

Margot - Hum… REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF

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‘‘Je m’imagine en haut du World Trace Center, observant la ville de New York et ses habitants d’un point de vue panoramique. Bien qu’on puisse avoir l’impression qu’il s’agit d’un point de vue privilégié, permettant de voir l’ensemble de la cité d’un seul coup d’oeil, la réalité est toute autre. Car voir d’en haut empêche de voir d’en bas : « It’s hard to be down when you’re up.» En effet, tout en bas, les marcheurs écrivent, sans pouvoir le lire, un «texte» urbain qui échappe au regard totalisant.’’

Michel De Certeau

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Juliette - Mais euh … oui sauf qu’on ne va pas dans

cette direction avec par exemple le modèle de la “participation” dans les projets urbains, car on ne fait qu’attribuer un bâton de parole aux habitants à un instant dictés, afin qu’ils répondent à des attentes précises.

Borha - Oui ! On voit que la participation est utilisée comme un label, comme si cela certifiait que le projet est plus intègre.

Margot - La participation ne doit pas être un outil

d’achat de la paix sociale mais doit faire partie intégrante de la construction urbaine. La ville étant avant tout un espace de négociation. Continuer à employer les termes de “vivre-ensemble”, de “participation”, “d’expertise habitante” ce n’est peut-être pas la solution puisque c’est un vocabulaire aujourd’hui utilisé à tort et à travers pour légitimer certains

L’urbain (urbs), signifie l’espace de citoyenneté “qui fait preuve d’urbanité, qui témoigne d’un grand usage du monde.” (définition cnrtl). On entend par urbanité ce qui “décrit,les spécificités, points de vues, réactions et modes de pensée associés au fait de vivre en ville” (définition du Larousse).

projets. Il serait judicieux de les redéfinir et de finir par les laisser pour trouver d’autres formulations. Et alors porter un langage, moins abstrait, qui n’est pas celui d’un technicien. Ça instaurerait une mise en confiance pour tous, dans le sens où tu peux autant comprendre que moi, donc tu peux agir, réfléchir comme moi.

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Borha - Mais oui ce rapport au langage est hyper

important ! Parce qu’il va justement permettre d’améliorer la communication. Au-delà de bien ou mal parler c’est surtout se comprendre et se transmettre les informations, pour pouvoir engendrer un dialogue et du compromis et alors construire la ville. Être dans l’écoute c’est déjà construire. C’est beaucoup plus nuancé et subtil que ça l’urbanisme : des personnes rien qu’en dialoguant peuvent faire changer beaucoup de choses.

Juliette - Oui parce qu’on se rend bien compte au-

jourd’hui, que s’il on écoutait un peu plus ceux qui savent, les porteurs de l’histoire de leur territoire, on ne ferait pas autant d’erreurs. Après je pense, qu’il n’y a pas à nier le rôle des architectes, des urbanistes, etc. Mais il convient d’appréhender ces derniers plus comme des intercesseurs, comme des personnes qui vont croiser toutes les histoires, qui vont écouter et retranscrire, faire voir et faire savoir.

Borha - Moi je poserais pas autant de dichotomie

entre les professionnels de la ville et les militants politico-habitants. La ville se fait dans la reconnaissance de l’autre, d’une autre opinion et pas forcément en étant dans cette séparation de la population.

Margot - Non, non, … mais comme nous disions précédemment l’élu comme l’architecte a avant tout un rôle d’habitant. Dans ce rôle social, il n’y a plus de domination.

Juliette - Mais euh ... le problème se résout

d’abord par la reconnaissance de la population 9


sur son territoire ce qui améne alors à un plus juste accompagnement dans l’évolution des modes de vie.

Margot - En fait déjà, il faudrait se dire qu’être élu n’est pas une profession, mais simplement une personne qui est là pour porter des idées citoyennes et les mettre en action.

Juliette - Alors il faudrait peut être repenser une intelligence commune, qui a disparu aujourd’hui, et qui laisse place à des relations convenues, polies.

Borha - Je sais qu’il se passe des choses en France,

avec Notre-Dame-Des-Landes par exemple, mais tout cela me fait penser à Berlin où il y a une forte implication des personnes quant aux nouveaux projets urbains. Que ce soit un petit projet ou un autre, chacun a son petit truc à dire. Du coup les gens manifestent, ils ont des comités. La barrière est plus floue entre je suis opposé, je suis militant, je suis pour. ‘‘La ville est définit par son urbanité, et plus précisément par la conjonction de deux facteurs : densité et diversité des objets de société. Il ne faut pas séparer les «villes» des «non-villes», mais qualifier les espaces selon des gradients d’urbanité, c’est à dire de l’urbanité la plus grande, à l’urbanité la plus faible. Définir la ville, c’est considérer que tout espace recevant des réactions, des points de vues, des modes de pensée associés au fait de vivre en ville, est un espace urbain.’’ Jacques Lévy

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Margot - Parce qu’en Allemagne, au niveau des

quartiers, il y a des représentants de quartier, il y a tout un système comme ça, c’est très organisé et accepté par les pouvoirs publics.

Borha - Oui et du coup ce sont les comités de

quartier qui organisent des débats qui par la suite remontent.

Margot - En fait il faudrait imaginer que les élus

soient un peu des porte-paroles, qui seraient peut être plus tirés au sort, ainsi ils n’appartiendraient à aucun parti. Chaque année il y aurait quelqu’un qui occuperait ce rôle-là et c’est quelque chose que tu prendrais à cœur en tant qu’habitant, ça seraitPAR inscrit notreAUTODESK éducation etc. Et après REALISE UN dans PRODUIT A BUT EDUCATIF ces porte-paroles se réuniraient régulièrement et retranscriraient la parole de tous.

Lucien Kroll

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‘‘La construction du projet urbain est soit «procédure» soit «processus». La procédure crée l’agglomération. Celle-ci rassemble des objets qui n’ont en commun que la distance qui les sépare. Elle obéit à une planification rationnelle, aveugle et donc inhumaine. La procédure est fermée et in-transformable. Le processus aboutit à une autre forme d’ouvrage : le conglomérat. Celui-ci rassemble des sujets qui se lient par empathie. Leur vie évolue avec naturel : le processus transforme donc sans cesse les lieux et les hommes.”


‘‘ Saviez-vous que les roseaux montent jusqu’à 3.5m ? Ceux là ce sont des jeunes poussent. C’est beau, très fragile. Les gens des espaces verts me donnaient des matériaux pour faire des installations.On peut coudre ou tresser les roseaux, en fait c’est solide une fois sec.’’ Jacky, habitant de Paimboeuf

Pour faire un projet il faudrait que toutes ces paroles-là soient combinées pour rendre compte des envies, de la réalité habitante et des modes de vie.

Borha - Oui le vrai truc ce n’est pas de chercher à tenir les rênes, mais la réalité c’est que ça doit venir de tout le monde et que ça soit le pouvoir qu’on se donne. Et comme tu l’as dit, le pouvoir de se dire qu’a un moment donné, voilà, ce trottoir devant chez moi pourquoi je n’investirais pas ce petit espace pour pouvoir rencontrer des personnes, bien sûr sans nuire à autrui, il faut que les voitures passent, etc. Et ce serait là des formes de changements, le fait que chacun se donne la possibilité d’avoir ces espaces de liberté. Il ne suffit pas

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de critiquer les politiques d’aujourd’hui, il faudrait aussi arrêter de cautionner ce système qui ne fonctionne pas.

Juliette - Mais c’est ce qui se passe aujourd’hui dans les

associations ! Les habitants vont se rencontrer, par exemple et se dire qu’ils vont investir tel espace vert pour en faire un jardin et le cultiver. Donc ils vont s’organiser et négocier ensemble pour l’appropriation de ce terrain. Sans que ça soit régit de manière supérieure.

Borha - Oui, je suis d’accord avec l’association, bien sûr

ça porte des projets locaux d’auto-organisation. Mais là notre volonté lors de l’atelier du 20 juin lorsqu’on a demandé “dans quelle mesure suis-je responsable de mon territoire”, ça montrait qu’il était important que le rapport à l’espace habité évolue aussi subjectivement. Et c’est ce qu’on a pu observer dans l’atelier à un mo-

Un regard subjectif du territoire de Paimboeuf

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ment donné les participants pouvaient aussi échanger sur leur vision personnelle de la ville, sur leur façon d’habiter le territoire, de leur quartier, de leur vie, en fonction de leurs difficultés. Ils se sont rendu compte qu’ils ne se rencontraient pas forcément sur ces sujets-là. En fait ils allaient écrire un PLUM mais ils ne se rendaient pas compte

L’International Situationniste (mouvement révolutionnaire d’aprèsguerre) donne la définition d’une situation comme étant le « Moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l’organisation collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu d’événements. » Les membres du groupe, parlent de « Faire les situations ». Ce qui apparaît être une attitude ludique est en fait une démarche de résistance imprégnée des idées révolutionnaires et artistiques de l’époque.

de leurs divergences. Donc pour moi les associations ce sont des choses qui viennent après.

Margot - C’est ça, à un moment donné on s’orga-

nise ensemble pour porter un projet commun que l’on a construit par l’assemblage de nos diverses identités.

Borha - Mais c’est important de continuer l’initia-

tive à notre échelle car il y a des dérives quand on oublie d’où l’on part. La communauté peut instaurer des choses qu’elle-même n’applique pas. Et c’est un peu ce qu’on interroge par rapport à l’écriture d’un PLUM. Il y a une cinquantaine de personnes qui se réunissent à des colloques et finalement cette cinquantaine essaye d’imaginer ce qui pourrait être bien pour tout le monde, pour le « vivre ensemble » et ça c’est en fin de compte être dans le système dans lequel on dénonce.

Juliette - En effet, on dénonce une mauvaise écoute des habitants, citoyens mais on finit par 14


ne pas se rendre compte que le vivre ensemble est en fait présent, qu’on ne fait rien pour le révéler et encourager toutes les petites identités locales qui forment la réalité.

Borha- Voilà ! Il faut aussi apprendre à voir et à regarder autour de soi. La question du PLUM, c’est lui donner le pouvoir qu’on a envie de lui donner.

Margot - C’est ça, en fait le problème c’est que le

PLUM c’est un texte qui ne correspond pas véritaREALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF blement aux habitants dans le sens où les habi-

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‘‘Si l’homme est à l’image de sa ville, la ville est tout autant à l’image de l’homme : édifiée par lui, marquée en tous ses lieux, ceux ci, s’ils sont objectifs, sont aussi subjectifs. Le citadin et la ville - le sujet et l’objet - ne sont jamais séparés, et n’existent que l’un par l’autre. Une pensée qui séparerait subjectivité et objectivité ne pourrait pas rendre compte, d’une façon satisfaisante, de la réalité de ce qu’est une ville. ’’ tants ne s’y réfèrent pas au quotidien. Parce que ce qu’on retrouve dans ce PLUM se sont essentiellement des grandes règles, des normes qui sont finalement assez abstraites et techniques par rapport aux manières d’habiter.

Pierre Sansot

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Borha - Le vrai pouvoir c’est l’usage ! Si les habitants n’en font pas l’usage que l’on avait décidé, l’espace ne fonctionnera pas comme on l’a 15


imaginé. Et on en vient à notre deuxième question, “et si la ville ne serait pas l’usage de ce qu’on en fait”. Ça résonne avec la problématique de la propriété, de l’appropriation, et c’est ça le vrai pouvoir que les personnes ont ! C’est considérer l’espace public comme le sien et donc se sentir responsable de son fonctionnement et de son usage partagé. Il est urgent d’amener ces temps de discussions sur le territoire, de faire des balades, des explorations et non pas comme il a été dit, de faire des “cellules d’observations”.

Margot - Oui parce que ces “cellules d’observations”

c’est se positionner comme un démiurge qui a une espèce de connaissance absolue du territoire et qui vient observer l’habitant comme un indigène, quelqu’un qu’on ne maîtrise pas, qu’on ne comprend pas. Ce qui est absolument absurde car on est tous habitants et personne ne l’est de la même manière. Il faut juste une interaction sociale et humaine à avoir pour négocier des espaces de partage, de vie collective. De toute manière c’est la vie quotidienne, on est toujours dans ces interactions-là. Mais on a du mal à la prendre en compte pour qu’elle devienne le socle d’une quelconque construction territoriale.

Borha - Oui, et justement les discours qui nous font

peur sont les discours qui sont très dé-territorialisés et donc des discours qui ne transmettent pas des expériences subjectives du territoire. Et c’est en fin de compte ce que l’on a retrouvé dans l’atelier. Quand on est en train de penser la ville on se met de côté. Alors que le rapport que l’on a au territoire c’est le rapport qu’on a à l’autre avant tout. Parler de la ville sans parler de son expérience subjective c’est parler de manière abstraite et donc entrer dans des discours d’experts. Un discours qui ne nous ressemble plus parce qu’il n’est pas construit par toutes ses expériences. 16


Un regard subjectif du territoire de Bouguenais

Margot - Complètement, parce que c’est un dis-

cours qui parle de la Ville et non de la ville comme espace habité et donc un espace qui appartient à ceux qui l’habitent. Comme si l’on enlevait cette appartenance-là et qu’on parlait à des personnes qui ne comprennent pas. Et là on fabrique une sorte de mépris envers les habitants. C’est ce qu’on a vu dans l’atelier, il y a une prise en compte de ce problème de mépris, du problème de légitimité mais on continue à résoudre cette question toujours de la même manière.

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Borha - Oui … On ne comprend pas que depuis la nuit des temps notre territoire nous renvoie à notre identité. Notre territoire c’était l’identité familiale, et finalement c’est ce que recherche 17


l’habitant aujourd’hui c’est ça, de retrouver cette identité. Et pour en parler, il faut parler de l’identité des lieux, des personnes, l’identité de toute une région, de tout un pays.

Margot - Exactement ! ... Juliette - … ce qui est ressorti aussi, c’est la ques-

tion de la limite de la ville : est-ce qu’il ne faudrait pas imaginer plus des pôles urbains avec des séparations pour marquer plus fortement des identités définies ? Sauf que fabriquer des pôles, des centralités, scinder le territoire en sections bien définies, ce serait une erreur, cela rejetterait l’existence d’une certaine porosité entre les différentes richesses territoriales. De toute manière les limites ne peuvent être imposées quand on pense la ville comme une multiplicité de situations qui s’interconnectent. Cette logique ne permet plus de construire des REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF villes hors sol, qui nient l’identité de chacun.

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‘‘ Un lieu - la maison - n’est pas un corps de logis mais un corps de songes : les idées sont associées à des rêves, empreintes de nostalgie et de désirs, sentiments définissant une trajectoire de l’image de soi, et dans un lieu partagé comme la ville, de l’image de « nous ». Certains lieux deviennent une partie de soi et construisent l’identité spatiale d’un quartier d’une ville, via un jeu d’interactions entre individus et espaces. Certains espaces sont un «soi», un « nous » vu de l’intérieur comme de l’extérieur.’’ Gaston Bachelard REALISE PAR UN PRODUIT AUTODESK A BUT EDUCATIF

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Borha - Bah c’est que la ville est surtout diffuse, no-

made, donc quand on parle de pôle, de périphérie on ne prend pas en compte la subjectivité de chacun. Car pour quelqu’un qui vit en banlieue ça peut être pour lui un centre. Donc arrêtons de rentrer dans cette idée de conceptualisation, de type d’organisation de ville miracle. Après, il y a aussi la question de solution et de problème, il y a là une réelle nécessité de déplacer son regard. C’est la question de la résilience, finalement ce qui est peut-être perçu comme un problème, devient une opportunité. Comment peut-on faire muter notre propre quotidien ?

Margot - On en a beaucoup parlé lors de l’atelier

du 20 juin, sur le fait de “corriger les erreurs du passé”. Comment ces problématiques peuvent se transformer en force et en identité particu-

Un regard subjectif du paysage de l’Estuaire ligérien

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lière, en prenant en compte les conditions d’existences ? Aujourd’hui il y a justement un modèle dominant qui existe, notamment celui de la maison individuelle. Ce schéma de vie idéale, d’accession à la propriété, a été construit par les politiques publiques d’après-guerres et il persiste encore aujourd’hui. Cette histoire fabriquée est très importante à prendre en compte, puisqu’elle ne correspond pas à tout le monde alors qu’elle régit, trés fortement, une manière de faire la ville.

Juliette - Cette question de l’idéal de vie qui a été

construit peut aussi être interrogée dans le sens où l’on ne peut imposer de modèle dominant, et que la “crise du vivre ensemble” ne peut se résoudre d’une seule manière.

Borha - Après si on veut parler du “vivre ensemble” il faut aussi comprendre l’importance de la subjectivité et de l’individualité. On peut avoir un regard subjectif individuel mais être très reconnaissant à l’autre et être reconnaissant à l’environnement qui nous entoure, interagir avec et donc déjà construire des choses.

Juliette - Voilà, faire ensemble, vivre ensemble,

c’est d’abord se dire que ce que je fais je le fais aussi pour l’autre dans la conscience de sa singularité et donc de son existence. Si on veut réellement construire ensemble, il semble nécessaire de débattre ensemble, de réfléchir à ce qu’on veut ensemble tout en fabriquant une réflexion individuelle de relation au monde...

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Qu’est-ce qu’on veut pour notre quartier ? Qu’estce qu’on veut pour notre immeuble ? Et après c’est à chaque individu de respecter les règles que l’on a décidé ensemble, c’est comme cela qu’on fabrique de la communauté, de l’inter-subjectivité, du politique donc du vivre ensemble.

Margot - Oui et pour cela c’est aussi se dire qu’il y

a des règles mais qu’en tant qu’habitant on peut aussi trouver des marges de manœuvre pour détourner ces règles, faire bouger les limites qui nous embêtent. Comme celles qui excluent les pauvres et imposent une ségrégation ou de la gentrification.

Borha - Ok mais on regarde toujours ça très né-

gativement, mais en fin de compte quand tu vas dans ces quartiers tu vois qu’il y a une richesse culturelle énorme, et c’est une très grande opportunité pour une ville d’avoir cette richesse culturelle. Il faut apprendre à regarder les choses différemment, et relever comment toutes choses à une valeur. Et l’urbanisme c’est aussi ça, c’est la question de tout un état d’esprit, la façon de donner un regard. Il y a un bon parallèle à faire avec le covoiturage. Prendre le train, c’est devenu extrêmement cher et donc on en vient à réduire par nous-mêmes le transport en train, et on en viendra peut-être à le faire disparaître sans en être venu à manifester. Juste en s’extrayant des volontés générales, et en proposant autre chose. En ne faisant pas que lutter mais aussi construire en parallèle.

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Margot - ... donc finalement notre mot de la fin c’est de fabriquer une nouvelle relation au monde en initiant une reconnaissance en fonction de soi ...

Borha - ... à l’échelle de sa vie. Juliette - Et que notre rôle à jouer, c’est peut-être arrêter

d’être dans le refus du réel et d’explorer des choses qui existent déjà. Réfléchir ensemble, de composer avec les personnes telles qu’elles sont, et non pas comme on voudrait qu’elles soient. Et alors d’initier une rencontre plus profonde avec les récits urbains.

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BIBLIOGRAPHIE - BACHELARD (GASTON), La poétique de l’espace, Presses universitaires de France, Paris, 1957, 192 p. - DE CERTEAU (MICHEL), L’invention du quotidien, 1.arts de faire, collection Folio essais, Gallimard, Paris, 1990, 416 p. - KROLL (LUCIEN), Tout est paysage, éditions (revue et augmentée) Sens&Tonka, Paris, 2001, 236 p. - LÉVY (JACQUES) et LUSSAULT (MICHEL), Dictionnaire de la géographie, éditions Belin, 2006, 966 p. - SANSOT (PIERRE), Du bon usage de la lenteur, éditions Rivages, Paris, 1998, 12 p. - «Questionnaire de l’International Situationniste», publié dans International Situationniste n°9 , août 1994

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‘‘On pourrait croire que les habitants n’ont pas leur mot à dire alors que l’architecture est là le plus usité, tout le monde habite, tout le monde circule. Tout le monde utilise l’espace public, tout le monde a des ordures, tout le monde jette ses ordures, tout le monde veillit donc tout le monde sait ce qu’est la vieillesse, tout le monde est handicapé parce que tout le monde à un jour quelque chose, il n’ya pas les handicapés d’un côté, les jeunes de l’autre, les parents, les grands parents, les travailleurs, les chômeurs... il y a des gens qui travaillent en alternance, il y a des gens qui travaillent en intérim, il y a des gens qui travaillent la nuit … voilà on est TOUS un peu “tout” si vous voulez, et c’est ce “tout” qu’il faut remettre ensemble, c’est une nécessité.’’ Patrick Bouchain : Vivre en construisant, Podcast, France Culture.

LABO META URBA

achevé d’écrire en août 2015, à Nantes http://labmetaurba.wix.com/laboratoire-metaurba labometaurba@gmail.com 24


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