Mémoire de Dnsep, design graphique multimédia

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Déplacement des acteurs dans le projet de design à l’ère numérique

Illustration de couverture : détail de gravure Cynodon dactylon, une plante rhizomatique.



Déplacement des acteurs dans le projet de design à l’ère numérique

2015

Mémoire présenté par Laetitia Boiteau, sous la direction de Corinne Melin DNSEP Grade de master Option Art Mention Design Graphique et Multimédia École Supérieure d’Art des Pyrénées site de Pau Avril 2015


TO DESIGN P08 1 GLISSEMENTS DE TERRAIN & LEURS CONTEXTES D’ÉMERGENCE P.10 1.1 Mutation des techniques : vers les systèmes informatiques p.12 L’émergence de l’informatique p.16 l’internet et la mise en réseau des données p.18 La question des interfaces p.22

1.2 Changements de paradigme liés à l’émergence des technologies numériques p.32 Des technologies qui nous transforment p.36 La fin de la pensée moderne p.37 Glissements de terrain p.40


2 LA CO-CREATION DANS LE DESIGN P.44 2.1 La relation entre les acteurs p.46 Vers un design relationnel p.50 Une généralisation du design? p.51

2.2 Des designs pour de nouveaux modes de vie p.58 Co-designer : participation et expérimentation p.62 Le design social p.65

CONCLUSION P.70 GLOSSAIRE P.74 BIBLIOGRAPHIE P.86


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Le comportement de l’étourneau en groupe est un exemple d’auto-organisation.[…] L’autoorganisation se différencie de l’organisation en ce sens où l’organisation émergente ne provient pas de forces extérieures (même si le système reste ouvert sur son environnement) mais de l’interaction de ses éléments. Si on applique ce concept à l’étude des sociétés, cela signifie qu’en plus du principe régulateur, il n’y a ni leader, ni centre organisateur, ni programmation au niveau individuel d’un projet global. [1]

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Vol d’étourneaux sansonnet

[1] Ornithomedia, Les vols d’étourneaux fonctionnent comme des systèmes critiques, Rhuthmos, 3 novembre 2010 [En ligne]. http ://tinyurl.com/n92hvhb


TO DESIGN Dans the Shorter Oxford English dictionary [2], Design, en tant que verbe, signifie planifier, projeter et sous forme nominative il s’agit d’un plan conçu mentalement en vue d’une chose à faire. Dans Le Robert [3], Design est une Esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptées à leur fonction et ne possède pas de forme verbale. Bien que la question de la forme soit intrinsèque au design il est intéressant de noter que la notion de projet est éclipsée lors du passage au français [4]. C’est à la traduction du verbe to design que je m’attacherai au cours de ce mémoire en considérant que faire du design, c’est faire du projet par le biais de la facture. Ainsi, ma réflexion se porte sur l’ensemble du design, qu’il concerne les formes spatiales, volumiques, graphiques, interactives. Comme nous le rappelle la définition française du design, cette pratique est fondamentalement liée à l’industrie et à l’innovation technique. Or nous sommes actuellement témoins (et ce, déjà, depuis quelques décennies), de nombreux changements technologiques. Ces évolutions affectent aussi bien la pratique du design que les territoires et les rôles traditionnellement impartis à ses acteurs. C'est pourquoi, je vais tenter une étude de ces déplacements et de leurs conséquences dans le projet de design Je me concentrerai dans un premier temps, sur les contextes d’émergence de ce phénomène. Il s’agira ici, de présenter les connexions qui existent entre l’apparition de nouveaux systèmes techniques et leurs

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[2] William R. Trumble, Shorter Oxford English Dictionary, Sixth Edition, Oxford university press, 2007

[3] Alain Rey (sous la direction de) Le grand Robert de la langue française, version numérique, 2001.

[4] Designer est un anglicisme.


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environnements socio-économiques, ainsi que leurs incidences sur notre perception du monde et les changements de paradigmes qui en découlent dans le monde du design. Ces mutations donnent lieu à de nombreuses expérimentations quant aux modalités de design actuel. Par conséquent, je tenterai, dans un deuxième temps, une exploration et une réflexion sur de nouveaux modes de collaboration dans le design. Quels nouveaux équilibres pouvons-nous créer entre les différents acteurs du projet de design ? Y aurait-il de nouveaux territoires à expérimenter pour de nouveaux designs ?

Colin Clive & Dwight Frye dans Frankenstein de James Whale, 1931.


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1 GLISSEMENTS DE TERRAIN & LEURS CONTEXTES D’ÉMERGENCE


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Ocean-chart, illustration de Henry Holiday issue du livre La chasse au Snark de Lewis Carroll's. Cette carte (celle de Bellman) est vierge, et par consĂŠquent utile partout.


1.1 Mutation des techniques : vers les systèmes informatiques

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◊ p-82 Glossaire

13 [5] Lorsqu’une couche sédimentaire révèle des artefacts, par exemple des outils ou des armes, les paléontologues savent qu’ils travaillent sur une lignée humaine.

L’histoire des techniques remonte aux origines de l’humanité dont elle marque les débuts [5]. Partant du constat qu’une technique isolée n’existe pas et qu’elle doit faire appel à des techniques affluentes, Bertrand Gille [6] proposé de voir l’histoire à travers une succession de systèmes techniques ◊. Il les définit comme l’ensemble des cohérences qui se tissent à une époque donnée entre les différentes technologies et qui constituent un stade plus ou moins durable de l’évolution des techniques. Un système technique est forcément associé à son environnement socio-économique. Comprendre l’histoire d’une technique particulière, c’est par conséquent la situer dans son contexte. [6] Bertrand Gille (1920-1980, archiviste et historien français), Histoire des Techniques. Prolégomènes à une histoire des techniques. Édition publiée sous la direction de Bertrand Gille, Collection Encyclopédie de la Pléiade (n° 41), Gallimard, Paris, 1978.

eniac 1946, le premier ordinateur programmable.


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The old computing is about what computers can do. The new computing is about what people can do. Ben Shneiderman


L’émergence de l’informatique

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[7] Les automates et les cartes perforées ont vu le jour en 1728, dans le but d’automatiser le fonctionnement des métiers à tisser, le français Jean-Baptiste Falcon invente le système de la carte perforée, morceau de papier rigide contenant des informations représentées par la présence ou l’absence de trou dans une position donnée, http ://tinyurl.com/m57oks4

Bertrand Gille identifie deux grandes révolutions techniques : celle de la renaissance et celle de la fin du xixe siècle, la révolution industrielle. La première est fondée sur l’innovation de systèmes machines qui utilisent la force de l’eau et les mécanismes de bois dont la presse imprimée en est une forme représentative. La seconde est déterminée par l’utilisation du métal et de la vapeur. La machine devient un support toujours plus présent au processus de fabrication et on assiste à l’introduction des automates et des cartes de programmation [7] au sein des chaines de production. Chaque innovation est intimement liée à son contexte général et devient elle-même moteur de transformations. L’émergence d’une machinerie intelligente, habilitée à traiter des informations de façon automatique, créer un terrain favorable aux développements de recherches en informatique et mathématiques. Alan Turing ◊ propose en 1936 un concept qui permettrait à une machine d’interpréter un code et qui constitue la base du développement informatique et du fonctionnement par algorithme. Il s’agit alors d’un modèle théorique et non d’une réalisation complète. Il joue cependant un rôle important dans les premiers essaies d’ordinateurs programmables lors de la 2e guerre mondiale [8]. Peu de temps après, en 1946, le premier ordinateur totalement programmable est dévoilé à l’université de Pennsylvanie, suivi d’univac [9], le premier ordinateur disponible sur le marché traitant aussi bien des nombres que du texte. Ensuite, il faut attendre une vingtaine d’années pour la création de la souris qui marque le début d’une succession d’innovations permettant plus de facilité d’interaction avec les machines. Dans la même logique, [8] Le premier ordinateur programmable Colossus, est construit au cours de la seconde guerre mondiale dans le cadre d’un projet secret Britannique qui permettait de déchiffrer les codes de l’armée allemande et dans lequel Alan Turing joue un rôle majeur.

[9] Universal automatic computer est un ordinateur d’une taille impressionnante et d’un poids total de 30 tonnes.


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[10] Jeremy Rifkin est un essayiste américain, spécialiste de prospective (économique et scientifique). Il est l’auteur de La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. Éditions Les Liens qui libèrent, 2012. [11] Nous assistons à une désindustrialisation des pays occidentaux, les entreprises migrent vers des pays où la maind’œuvre est bon marché. Selon Jeremy Rifkin, pour pouvoir parler

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le microprocesseur faisant son apparition en 1971, annonce l’arrivée d’ordinateurs personnels toujours plus petits, plus portables et plus accessibles tels que nous les connaissons de nos jours. Le système informatique est désormais totalement intégré dans nos sociétés. Il fait partie de nos vies quotidiennes de façon naturelle, on pourrait même dire qu’il participe à les structurer (par exemple dans le domaine économique). Jeremy Rifkin [10] nous propose une prochaine étape porteuse de changements économiques et sociaux liés à l’évolution des techniques, une troisième révolution industrielle [11]. Il désigne ainsi une nouvelle phase de l’histoire industrielle et économique qui se distinguerait des secteurs d’activités classiques de la production qui aurait démarré au milieu du xxe siècle avec le développement des nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (les tics). Ce prochain pas serait rendu possible grâce à des innovations techniques récentes (comme l’imprimante 3D) et à de nouvelles façons de travailler ensemble. Pour Chris Anderson [12] une solution serait de combiner l’automatisation avec les modèles d’innovation numérique, ainsi les lieux de fabrication se rapprocheraient des lieux de production. Les imprimantes 3D pourraient être un moyen de réindustrialiser les pays en voie de désindustrialisation. Il parle de makers [13] : De la même façon que les ordinateurs ont permis le développement des pratiques numériques et que le Web a permis la diffusion publique des informations, le mouvement maker donne accès à la fabrication. de révolution cette tendance doit s’inverser. Il faut trouver une manière decréer des métiers, des produits, dans les pays en voie de désindustrialisation. Propos recueillis par Olivier Pascal-Moussellard, dans l’article Ce qui a permis le succès inouï du capitalisme va se retourner contre lui, publié le 18/09/2014, Télérama, [En ligne], http ://tinyurl.com/l2v7ocp

la Silicon Valley et de l’innovation, est un est un journaliste américain, auteur de plusieurs livres sur l’économie de l’internet et l’économie de la gratuité. Il est l’auteur de La Longue Traîne - La nouvelle économie est là, Pearson, ‎ 2009, 2e éd., de Free! Entrez dans l’économie du gratuit, Pearson, ‎ 2009 et de Makers : La nouvelle révolution industrielle, New York, Crown Business, ‎ 2012.

[12] Chris Anderson, ancien rédacteur en chef de Wired magazine, emblématique de

[13] Chris Anderson, Makers : The New Industrial Revolution, New York, Crown Business, ‎ 2012.


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Il nous livre son analyse de l’histoire : Le résultat de la première automatisation a été de remplacer les métiers humains, comme les artisans et les métiers manuels, par des machines. Ce fut le premier choc de la révolution industrielle. Le second est que la main-d’œuvre bon marché soit préférée à une main-d’œuvre plus chère, c’est ce que l’on appelle le job arbitrage. C’est le fait que les emplois quittent peu à peu les vieux pays industrialisés pour rejoindre l’Asie par exemple. Le troisième choc actuellement ce serait donc que les progrès continus de l’automatisation soient capables de remplacer y compris ces métiers-là qui avaient migré, et de faire revenir les industries manufacturières dans les pays développés au plus près des consommateurs, de la recherche et du développement. [14] Nous l’avons vu, ces étapes d’évolution sont connectées à des innovations techniques comme ici le fait de pouvoir numériser, d'accéder à des imprimantes 3D et de pouvoir échanger les données grâce à la mise en réseau des ordinateurs. Cette combinaison d’outils et de situations permet à un utilisateur de concevoir un prototype, d’aller de l’idée au produit. L’inventeur rejoint ainsi l’entrepreneur.

l’Internet et la mise en réseau des données [15] Les différentes hypothèses d’évolutions techniques, sociales et économiques sont basées sur la possibilité actuelle de consulter, d’échanger et d’utiliser toutes sortes d’informations sur le Web. La mise en réseau des données et des savoirs via l’Internet est à présent un outil du quotidien. Ce système technique est cependant issu de longues années recherches et d’une histoire complexe. Aux États-Unis, une quinzaine d’années après l’apparition du premier ordinateur programmable, Leonard Kleinrock du mit (Massachusetts Institute of Technology) [16] publie une première théorie sur [14] Entretien avec Chris Anderson, Place de la toile, France culture, 20 juillet 2013, [En ligne], http ://tinyurl.com/ mgy4ulq

[15] Voir les annexes du rapport de la Mission Développement Technique de l’Internet, confiée en 1999 à Jean-François Abramatic (alors Directeur de Recherche à l’Inria et Président du World Wide Web Consortium), http ://tinyurl.com/p4acufe

[16] www.web.mit.edu


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[17] Un réseau est constitué de plusieurs nœuds  interconnectés par des lignes de communication. La commutation de paquets est une méthode permettant de transférer une donnée d’un nœud émetteur à un nœud récepteur.

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l’utilisation de la commutation de paquets [17] pour transférer des données. Sa thèse constitue la base théorique des échanges de données par réseau informatique. Parallèlement l’agence darpa [18], lance un projet de réseau informatique reliant certaines universités américaines entre elles. Il s’agit du projet réseau Arpa ou Arpanet, lancé pour assurer la supériorité militaire et technologique des États-Unis dans un contexte de guerre froide avec le bloc soviétique. Jusqu’alors, les communications informatiques reposaient sur l’utilisation de circuits leur étant dédiés, tout comme les communications téléphoniques. Arpanet relie en 1969 quatre centres universitaires : celui de Californie à Los Angeles et à Santa Barbara, l’institut de recherche de Stanford et l’université de l’Utah. Puis, le réseau s’agrandit pour intégrer 23 centres en 1971 et 111 autres en 1977. Ce réseau est initialement conçu pour permettre aux utilisateurs d’effectuer trois tâches basiques : se connecter à un ordinateur distant, lancer une impression sur une imprimante distante et transférer des fichiers entre ordinateurs. Dès sa conception Arpanet, communément considéré comme l’ancêtre d’Internet, pose les bases d’un réseau d’interconnexion non hiérarchique et non centralisé. En théorie, la communication entre utilisateurs finaux ne dépend d’aucun élément central. Il est alors possible d’échanger des informations avec n’importe quel ordinateur relié au réseau. Ce système pose les bases de nouveaux équilibres de communication entre les individus et les organismes. C’est l’amorce d’un passage d’une communication verticale à une communication horizontale et rhizomatique. Le réseau Arpanet adopte définitivement en 1983, un mode de fonctionnement qui sera la base Elle consiste à segmenter l’information en paquets de données (numérisées), transmis indépendamment par les nœuds intermédiaires et ré-assemblés au niveau du destinataire. [En ligne] www.tinyurl.com/nmofz5b

[18] La Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA, agence pour les projets de recherche avancée de défense ) est une agence du département de la Défense des États-Unis, créer dans les années 40, http ://tinyurl. com/k3fx6wa


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[19] Il s’agit du protocole tcp/ip [20] www.nsf.gov [21] cern  : Conseil européen pour la recherche nucléaire.

d’Internet [19] et qui permet l’interconnexion entre différents réseaux. Il se nomme, dorénavant, Arpa-Internet. Ces réseaux sont financés par les agences gouvernementales des États-Unis et sont encore strictement réservés aux acteurs de la recherche de ces agences. L’agence fédérale pour la recherche (nsf, National Science Foundation [20]) prend en charge la construction de l’ossature du réseau reliant les centres de recherche. Par la suite, la nsf lance un programme de commercialisation et de privatisation des réseaux et en 1990, le projet Arpanet est définitivement arrêté par le département de la défense américain. En 1989, le chercheur Tim Berners-Lee conçoit, en tant qu’utilisateur de Cernet (le réseau du cern [21]) l’idée de naviguer simplement d’un espace à un autre d’Internet à l’aide de liens hypertextes et grâce à un navigateur. Tim Berners-Lee parle de la création d’une toile, tout internaute pouvant aller d’un contenu à l’autre suivant des voies multiples. Il présentera son projet au cern en novembre 1990. Pendant les trois années suivantes, il travaillera à l’apparition du Web, la toile d’araignée mondiale. De 1992 à 1996, les réseaux évoluent progressivement en acteurs principaux d’un Internet ouvert aux activités commerciales. Ils mettent en œuvre, sur la base de la réciprocité, une organisation d’interconnexion à but non lucratif : le Commercial Internet eXchange (cix). Ils s’ouvrent également à l’enseignement supérieur et hors des frontières des États-Unis [22]. Le réseau Internet repose sur une architecture décentralisée et il est possible, pour chaque ordinateur, de communiquer en direct avec ses pairs. Les échanges de poste à poste (appelés échanges peer-to-peer, en anglais ou p2p) sont rendus possibles même si aucun protocole et aucune application n’ont encore vu le jour à ce moment de l’histoire et que chaque utilisateur est restreint [22] Ce sont des réseaux tel que : • uunet, issu de usenix, l’association nord-américaine des utilisateurs d’unix. • csnet, Computer Science Network, pour l’enseignement universitaire. • eunet, issu de euug, l’association européenne des utilisateurs

d’unix, déjà raccordé à uunet. • nordunet, réseau nordique pour la R&D raccordé à nsfnet par le réseau régional de l’État de New-York. http ://tinyurl.com/p4acufe


◊ p-84 Glossaire

21 ◊ p-79 Glossaire

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à un rôle de client. Cette structure permet cependant une montée en puissance du transfert de fichiers posant des questions inédites sur la propriété intellectuelle et influençant de nouvelles théories sociales et économiques [23]. En s’étendant à la sphère publique, le Web répand une culture de la publication personnelle tout en cultivant un esprit coopératif et communautaire propre à sa création [24]. Cette tendance se renforce en 2004 avec l’apparition d’applications Web 2.0 ◊ pour lesquelles l’internaute joue désormais un rôle clairement participatif. C’est le cas, par exemple des Wiki, une application Web qui permet la création, la modification et l’illustration collaborative de pages à l’intérieur d’un site Web. Wikipédia, l’encyclopédie universelle en est un exemple emblématique. Ce changement est particulièrement marqué par un renversement de la logique top-down du Web initial : alors que ce dernier descendait vers l’usager pour lui proposer du contenu et des services, le Web 2.0 met l’accent sur une nouvelle forme d’interactivité ◊ qui place l’usager au centre de l’Internet et se veux plus social et collaboratif. Le Web 2.0 est une évolution du Web vers plus d’interactivité, à travers une complexification interne de la technologie d’un côté et une simplification d’utilisation de l’autre (les connaissances techniques et informatiques n’étant pas indispensables pour les utilisateurs). Parallèlement nous assistons à l’extension d’Internet au monde physique, un l’Internet des objets. Alors qu’il ne se prolonge habituellement pas au-delà du monde électronique, ici, des objets représentent les échanges d’informations et de données provenant de dispositifs présents dans le monde physique vers le réseau numérique d’Internet [25].

[23] Voir à ce propos les travaux de Philippe Aigrain dans Internet et Création, ilv éditions, 2008 et Cause commune, l’information entre bien commun et propriété, Fayard, 2005.

en tant que communauté soudée pour réaliser les premières démonstrations de la technologie de commutation de paquets décrite précédemment. http ://tinyurl.com/kr4ejww

[24] Cet esprit communautaire a une longue histoire en commençant par les débuts d’Arpanet. Les premiers chercheurs d’Arpanet travaillèrent

[25] Voir, à ce propos, les projets Res Sapiens du studio de design interactif LustLab. Ces projets mettent en scène un réseau d’objets du quotidien, qui utilisent

l’Internet comme une source d’énergie et de mouvements. http ://www.ressapiens.com/#


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On peut ainsi distinguer trois tournants décisifs : la diffusion de l’ordinateur personnel et la naissance d’Internet dans les années 1980, l’explosion du phénomène Internet dans les années 1990 suivi de l’apparition de l’Internet mobile (via Smartphone) dans les années 2000 propageant son accès et le développement du Web 2.0. Avec l’extension de la mise en réseaux, la numérisation des informations et des savoirs s’est rapidement généralisée. Les deux phénomènes — numérisation et Internet — se renforcent mutuellement etexpliquent une rapidité de diffusion des données sans précédent historique. Ces innovations permettant aux échanges de s’opérer sous une forme électronique, les barrières géographiques et culturelles cessent d’être aussi contraignantes que par le passé. Cette mutation bouleverse l’ensemble des règles géopolitiques mondiales, l’économie planétaire et, de manière plus fondamentale, la façon dont les individus perçoivent le monde, se comportent avec autrui et se considèrent eux-mêmes [26]. Ces technologies numériques impliquent des usages et sont définis par leurs interactivités entre l’homme et la machine. Ces échanges ne sont pas naturels. Il suffit pour cela de se tourner vers les tout premiers ordinateurs et leurs lignes de code totalement abscons qui en faisaient des outils destinés à un public d’experts.

La question des interfaces The interface is not an object but a space where the articulation between the human body, the tool and the object of the action happen Bonsiepe, Gui. (1999) [27]. Le numérique est inaccessible à la perception [28] puisqu’il s’agit d’une somme de signaux électriques traduits par des 0 et 1, eux-mêmes composés en langage de programmation permettant [26] Stéphane Vial, L’être et l’écran. Comment le numérique change la perception. Presses Universitaires de France, Paris, 2013. Pour plus de details à ce sujet voir le chapitre Changements de paradigme :

les technologies numériques modifient le monde. [27] Bonsiepe, G. Del objecto a la interfase : Mutaciones del diseño. Ininito, Buenos Aires, 1999.

[28] Stéphane Vial parle de nouménologie du numérique. Le noumène s’oppose au phénomène, en cela qu’il est au-delà de la perception.


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[29] Stéphane Vial, Ibid.

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des simulations d’images et de textes à l’écran. Par conséquent, les interfaces sont totalement indispensables pour pouvoir entrer en interaction avec les machines. Elles permettent de rendre perceptible le noumène (imperceptible) numérique à travers des systèmes (par exemple la métaphore du bureau mise en place au Palo Alto Research Center, Xerox, en 1970). Nous pouvons dire qu’elles phénoménalisent le noumène numérique [29]. Tout comme l’invention du livre, avec ses pages séparées, a changé notre manière de lire et de penser, les interfaces de nos ordinateurs sont signifiantes et influencent notre manière de percevoir et de penser. La recherche autour des interfaces hommes-machines prend racine dans l’apparition des nouveaux systèmes techniques du début du xxe siècle et des problématiques inédites qui en découlent. Elle est étroitement liée aux études d’ergonomie [30] qui visent originellement l’amélioration des conditions de travail. La machine devenant un support toujours plus présent au processus de fabrication, l’automatisation des tâches entraîne alors une certaine monotonie du travail à la chaîne. Ces nouvelles réalités sont à l’origine de travaux de recherche sur l’amélioration des conditions de travail consolidé par des travaux en psychologie. Avec l’apparition des premiers ordinateurs au milieu du xxe siècle, de nouvelles problématiques d’usage émergent. De nombreux postes de travail s’informatisent, notamment celui d’employés administratifs, cependant, l’utilisation des ordinateurs reste extrêmement laborieuse. L’employé doit taper au clavier des phrases indiquant les opérations et les noms des objets à manipuler. Cette l’interface en ligne de commande amène au constat que : les usagers de nouveaux ordinateurs [sont] souvent frustrés et déçus par de lourdes procédures de manipulation, des messages d’erreurs obscurs, des systèmes intolérants et confus au comportement incompréhensible, mystérieux et intimidant. [31] Des recherches sont alors menées par les ingénieurs [30] Le néologisme est attribué au psychologue Britanique Hywel Murrell. L’ergonomie est un des piliers de ui design et des travaux sur les interfaces hommes-machines

[31] Paul A. Booth, An Introduction to Human-Computer Interaction, Psychology Press, 1989.


◊ p-87 Glossaire

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◊ p-81 Glossaire

[32] Le Palo Alto Research Center (parc) est un centre de recherches en informatique situé à Palo Alto en Californie (États-Unis).

du Xerox parc [32] ◊ pour remplacer ces interfaces en ligne de commande par un système imitant la manipulation physique des objets. En 1981, Xerox lance sur le marché sa première station de travail destiné aux employés de bureau est aux utilisateurs occasionnels, le Xerox star. Son interface visuelle est un bureau sur lequel reposent des icônes visuelles représentant des dossiers, une corbeille, une calculatrice, une machine à écrire, une feuille de papier, etc. Les différentes tâches s’organisent dans des fenêtres (des windows), portions de fenêtre rectangulaires pouvant être réduites, agrandies, et déplacées telles des feuilles de papier [33]. Les objets dessinés sous forme de pictogrammes à l’écran se déplacent avec un dispositif de pointage à l’aide de la souris. Ces recherches, menées à l’Université de Stanford dans les années 60, sont rendues possibles, entre autres, grâce aux études sur les partitions d’écran, et ainsi, sur le système de fenêtrage, d’une part, et sur l’utilisation de la souris d’autre part. L’invention de la métaphore du bureau revient à Douglas Englebart, également inventeur de la souris. Alan Kay et Adele Godberg ont contribué, en tant que membres de l’équipe de recherche du Xerox parc, à en développer les principes, à la fin des années 1970. La métaphore du bureau devient la définition même du Xerox star qui n’est pas présenté comme un ordinateur, mais comme une machine de bureau avancée [34], l’accent n’est pas mis sur les possibilités de programmation, mais sur la métaphore elle-même. Cette interface est techniquement plus coûteuse, mais rend l’ordinateur beaucoup plus simple d’emploi et plus accessible. Ce virage dans l’histoire des interfaces graphiques propulse le langage visuel au centre de l’interaction entre l’homme et la machine. Il permet une perméabilité entre le monde graphique des arts et le monde de l’ingénierie informatique. La collaboration entre Steve Jobs et Susan Kare ◊ en est un exemple caractéristique. En 1984, Steve Jobs conçoit la station de travail NextStep [35] [33] Wikipédia http ://fr.wikipedia. org/wiki/Interface_graphique [34] Wikipédia http ://fr.wikipedia. org/wiki/Xerox_Star

[35] C’est sur cette station que Tim Berners-Lee va concrétiser son idée du web au cern.


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[36] Selon une étude réalisée par l’institut d’études StratégyOne, 80 % des Français possédaient au moins un objet intégrant une technologie tactile en 2009. [37] Les interfaces tactiles servent d’abord dans l’industrie lourde, des bornes, des distributeurs automatiques, ou encore pour l’instrumentation médicale.

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(surnommée le Cube) et son système d’exploitation moderne. Il est épaulé par Susan Kare qui dessine alors un système d’icônes et de polices de caractères des éléments de l’interface qui constitueront les bases des icônes sur plusieurs générations de systèmes d’exploitation. Il faut attendre 2007 pour que les interfaces hommemachine connaissent une nouvelle phase d’évolution à travers l’apparition des solutions tactiles grand publiques, notamment avec le lancement de l’iPhone par Apple (suivi des tablettes en 2008) et de Microsoft surface computing. La technologie tactile connaît alors un succès sans précédent [36] bien qu’elle existe depuis plusieurs décennies [37]. Elle marque un bon gigantesque dans l’approche des interfaces ces dernières années et représente une évolution dans l’interaction entre l’homme et la machine en apportant de nouvelles possibilités. Le tactile permet l’émergence de nouveaux usages aussi bien que l’amélioration de l’expérience utilisateur [38]. Les interfaces homme-machine sont en mouvement perpétuel. Si l’ère du tactile est en plein essor, les interfaces sans contact sont parallèlement en émergence avec les interfaces gestuelles [39]. Des recherches sur les interfaces cerveau-machine se multiplient également. Interaxon, start-up canadienne, travaille par exemple sur des solutions de manipulation d’interface par les ondes cérébrales [40]. Les designers ont un rôle central dans cette étape, car ils composent, par le biais des interfaces, le cadre dans lequel les interactions hommemachine pourront exister. Les interfaces définissent les usages que nous avons des objets informatiques et numériques. Nous avons dès lors, en tant que designers, une responsabilité certaine dans cette évolution numérique, notamment à travers la conception d’objets qui ont du sens pour l’homme. Voir le site www.industrie-techno. com

lustlab.net/ et http ://www.lustlab. net/kinect/

[38] Elles réduisent la fracture générationnelle, grâce à leurs usages plus intuitifs qui réintégrent le corps dans l’utilisation . [39] Voir à ce propos, les projets Camera Postura, PolyArc ou Poster wall. du studio LustLab. http ://

[40] Leur site commercial  www. choosemuse.com


Un système technique est connecté à un contexte général. Qu’il soit social, économique, culturel, scientifique, le terreau duquel émergent ces systèmes finit par s’en trouver lui-même transformé. Les techniques sont le produit de l’évolution humaine et la nourrissent. Les technologies de l’informatique, du numérique et de la mise en réseau via l’Internet entraînent de nombreux changements notamment dans notre perception du monde.

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b.

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a.

a. L'Alto de Xerox (début 1973) est le premier ordinateur équipé d'une interface graphique wysiwyg.

b. Détails de Wind Map réalisé par les artistes Fernanda Viégas et Martin Wattenberg. http://hint.fm/wind/

Le projet Wind Map permet de visualiser les vents sur le territoires Américain en temps réel.


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c.

c. Évolution de l'icône Document du Xerox star, 1981.

d. Icône Dogcow dessiné par Susan Kare. Cette icône est un caractère de la police hieroglyphic livré avec le premier Macintosh, le 128K.


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e.

e. Projet My line or you line du studio Moniker. Pendant une période de neuf mois 50.000 visiteurs du Blikopener spot, dans le Stedelijk Museum d'Amsterdam ont dessiné leur ligne. Le visiteur trouve des feuilles

A4 pré-imprimées avec les instructions de courts dessin à réaliser. Ensuite il le scanne et le dessin est directement ajouté à l'animation projetée sur des écrans dans l'espace. Chaque dessin est unique mais quand, enchaînés, ils forment

une animations dynamique en constante évolution. http://yourlineormine.com/


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31 f.

g.

f. Le projet Binnen de Lijnen du studio LustLab, s'est déroulé en octobre 2014, dans un quartier multiculturel de La Haye en Hollande. Il a pour objectif de visualiser l'organisation spatial de la vie sociale du quartier sous forme

de workshop afin de stimuler la rencontre par le jeu. http:// lustlab.net/

g. Interface graphique du xerox star à fin des années 70.


1.2 Changements de paradigme lié à l’émergence des technologies numériques

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Thomas Kuhn, (1922, 1996) philosophe et historien des sciences Américain.


① ◊ p-79 Glossaire

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◊ p-80 Glossaire

[41] Dictionnaire cnrtl [42] Thomas Kuhn (1962), La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983.

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À l’origine, le paradigme est un terme de grammaire qui désigne l’exemple, le modèle [41]. Thomas Kuhn [42] ◊ utilise ce terme pour illustrer son idée selon laquelle la science n’est pas un processus linéaire d’amélioration des connaissances, mais plutôt un chemin marqué par des à-coups, des révolutions cycliques, suivi de périodes de stabilité [43]. Un nouveau paradigme prend toujours la place d’un ancien qui s’impose. Le paradigme existant est accepté, validé et protégé par l’ensemble de la communauté dans un consensus. Pour qu’un changement de paradigme ait lieu, il faut qu’un certain nombre de conditions soit réunies. Il faut notamment qu’un groupe de personnes, restreint, soulève un véritable différend, une controverse tant sur la façon de poser un problème que sur la manière de le résoudre [44] ◊. Thomas Kuhn s’appuie sur l’exemple d’Einstein qui, introduisant la loi de la relativité, amène la communauté scientifique à changer totalement sa conception de l’espace. Face à ette nouvelle théorie, la communauté scientifique ne peut plus rester sur le paradigme précédent, car elle change la façon de penser, de voir et d’aborder la physique. Bien qu’une fracture s’opère à ce moment précis le changement n’est pas immédiat, la communauté fait corps avec ses anciennes valeurs et il faut du temps pour que le nouveau paradigme s’impose. [43] Pour lui le paradigme, en science, est une représentation cohérente du monde, un système unifié sur lequel repose la validité des lois scientifiques en vigueur. Il est un ensemble de croyances qui unie une communauté dans une famille de théories. Quelle que soit la dénomination choisie, elle évoque l’idée d’un consensus.

[44] Nathalie Heinich, Le paradigme de l’art contemporain. Structures d’une révolution artistique, voir à ce propos le chapitre Du paradigme scientifique au paradigme artistique, Paris, Éditions Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences Humaines, 2014.


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Un missionnaire du moyen âge raconte qu'il avait trouvé le point où le ciel et la Terre se touchent. Gravure sur bois, Anonyme, Camille Flammarion,

L'Atmosphère : Météorologie Populaire (Paris, 1888), pp.163.


On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. Albert Einstein


Des technologies qui nous transforment

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[45] Stéphane Vial, L’être et l’écran. Comment le numérique change la perception. Presses Universitaires de France, Paris, 2013. Pour plus de details à ce sujet voir le chapitre Changements de paradigme : les technologies numériques modifient le monde. [46] Stéphane Vial parle de révolution phénoménologique. [47] Notamment avec le Web social qui fait référence à une vision d’Internet considéré comme

Comme nous l’avons vu précédemment, nous sommes en présence d’innovations techniques accompagnées d’une diffusion massive, qui engendrent un nouveau règne d’objets techniques se répandant dans la sphère social, culturelles, politiques, etc. Stéphane Vial parle de révolution du numérique [45]. Pour lui, il ne s’agit pas seulement d’une révolution technologique, mais aussi d’un changement philosophique, car elle induit une modification de notre perception du réel. L’acte de percevoir n’est pas uniquement naturel et biologique, il est aussi culturel. Dans sa dimension culturelle, il possède une dimension technique. Nous apprenons à percevoir le monde à travers différents objets, grâce à des artefacts qui existent au moment de notre naissance, de notre vie, et qui sont intrinsèquement lié à un moment de l’histoire. Ainsi l’acte de percevoir est affecté par les conditions techniques de notre époque [46]. Les techniques influent sur notre perception du monde et, par conséquent, sur notre façon de penser. Par extension, les dispositifs numériques transforment notre façon de percevoir et de penser le monde. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne notre rapport à autrui [47]. L’histoire nous montre que nous avons déjà été confrontés à ce genre de grands bouleversements. Dans son autobiographie comment j’ai vu 1900, Pauline de Broglie [48], nous livre un témoignage vécu de l’apparition de l’appareil téléphonique dans la maison. La grand-mère de Pauline, qui refuse d’approcher l’appareil, peut être qualifiée de non-native un espace de socialisation, un lieu dont l’une de ses fonctions principales est de faire interagir les utilisateurs entre eux afin d’assurer une production continuelle de contenu, et non plus uniquement la distribution de documents. Il est considéré comme un aspect très important du Web 2.0. Il est associé, en particulier, à différents systèmes sociaux tels que les blogs ou les wikis, http ://tinyurl.com/ oavsxf2

[48] […] ma grand-mère ne voulait même pas approcher l’appareil. Elle avait horreur de cette manière de se parler sans se voir. Pauline de Broglie, Comment j’ai vu 1900, Paris, Grasset, 1962, 1965, 1968, (trois tomes); rééd. 2013-2014.


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du téléphone, comme nous pouvons parler actuellement des natifs ou non natifs de l’Internet [49]. Elle a appris à communiquer avec autrui à travers certains dispositifs remis en question par l’apparition du téléphone (ici le fait de pouvoir communiquer avec une personne en temps réel sans être physiquement en sa présence). Si l’on observe actuellement les usages et les pratiques de l’Internet et du numérique, on constate que les seniors constituent la tranche de la population la moins active [50]. Ce qui se passa alors, avec l’avènement du téléphone, peut être transposé actuellement avec l’exemple des réseaux sociaux et des mutations de modalité de communication qu’ils engendrent. Herbert N. Casson parle, en 1910, de téléphonisation de la vie [51] comme aujourd’hui nous pourrions parler de numérisation de la vie.

La fin de la pensée moderne Ce que Thomas Kuhn nous explique sur la communauté scientifique peut s’opérer dans n’importe quel type de communauté comme, par exemple, celle du design. Dans son article Why do we need doctoral study in design? [52], Meredith Davis nous propose un ensemble de réflexions autour de la pratique du design qui évoluerait vers de nouveaux paradigmes. Pour elle, l’enseignement actuel du design s’inscrit dans l’esprit moderne du Bauhaus. Il s’agit d’une pratique qu’elle qualifie de object-centered process visant à produire des artefacts comme solutions aux problématiques données. La complexification des problématiques de design rend obsolète ce système de pensée. Les répercussions du design vont souvent [49] Stéphane Vial, L’être et l’écran, comment le numérique change la perception, Place de la toile, France culture, 21 septembre 2013, [En ligne], http ://tinyurl.com/ qj4om2d [50] Le taux d’équipement, égal ou supérieur à 75 % jusqu’à 60 ans, tombe sous les 50 % entre 60 et 74 ans et n’est plus que de 8 % à partir de 75 ans, Insee,

Conditions de vie-Société - Deux ménages sur trois disposent d’internet chez eux. http ://tinyurl. com/3f7lm9d [51] Herbert N. Casson, The History of the Telephone, Chicago, A. C. McClurg & Co., 1910, chapitre 6, Notable Users of The Telephone, [En ligne], Electronic Text Center, University of Virginia. http ://tinyurl. com/mnlhozh

[52] Meredith David, why do we need doctoral study in design? International Journal of Design, 2008, [En ligne], http ://tinyurl.com/ oka8w8g


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[53] Ibid. (this article) identify the pressures on knowledge generation exerted by the shift from a mechanical, objectcentered paradigm for design practice to one characterized by systems that : evolve and behave organically.

au-delà de l’objet, et l’acte de designer doit s’inscrire dans un réseau de liens, entre les personnes et les activités dont les objets font partie. Meredith Davis parle d’un passage d’un paradigme centré objet à une pratique du design caractérisé par des systèmes qui évoluent et se comportent organiquement [53]. Il s’agit de designer les conditions de l’expérience, de passer du mécanique à l’organique, d’un modèle d’objet fini à un autre ouvert, en devenir : Unlike the final state of an object-centered process, which seeks to be almost perfect, the results of a systemsbased approach are good enough for now, acknowledging that conditions will continue to evolve. Daniel Payot [54] valide ce changement de paradigme avec sa vision du designer actuel comme créateur des conditions de possibilités de l’expérience de l’usager par le biais de la conception et de la facture. Ce qui se trouve engagé aujourd’hui dans le design est l’ensemble de ce que nous pourrions appeler l’expérience. Loin du simple habillage, le design se préoccuperait en effet de tout ce qui touche aux conditions de possibilité d’une véritable expérience, personnelle et commune, et prend ses racines dans ce qui est humain et contemporain. Bien sûr, ce souci de l’expérience n’est pas l’apanage du design. De nombreux domaines, tels que la philosophie, la politique, l’art se penchent sur ces questions de l’expérience humaine depuis longtemps. Mais la spécificité du design consiste dans le fait qu’il aborde ces questionslà au moyen de la conception et de la réalisation. L’action du designer se placerait à un autre lieu que celui qui lui est traditionnellement imparti. Le designer se fait : inventeur d’attitudes et organisateur de processus de création. Il engage ses projets différemment, cherchant notamment d’autres liens avec les usagers ou en investissant des territoires encore inexplorés. [54] Daniel Payot, Professeur à l’université de Strasbourg, Directeur du laboratoire accra (Approche Contemporaine de la Création et de la Réflexion Artistique). Préface de Poïétiques du design, vers de nouveaux paradigmes de la conception ?

Sous la direction de Gwenaëlle Bertrand et Maxime Favard. Éditions l’Harmattan, séries Ars, Paris, 2014.


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Il s’agit effectivement pour lui d’un nouveau processus de conception dont le protocole serait toujours à réinventer au gré des circonstances [55]. À Amsterdam, le studio Moniker [56] a écrit le manifeste du Conditional Design pour artistes et designers. Il travaille aussi bien sur des projets de commandes que sur des projets autonomes et expérimentaux souvent sous forme de workshops conceptuels et génératifs basés sur la logique, l’expérience et le collaboratif. Au lieu d’opérer sous des dénominations telles que design graphique, design interactif, l’art des médias ou design du son, ces designers introduisent le terme de Conditional Design comme une désignation qui se rapporte à l’approche plutôt qu’aux médias choisis [57]. Le studio Moniker place le processus au cœur même de sa pratique (The process is the product [58]) et utilise les conditions comme grille de construction de ses projets. Ces conditions logiques sont ses outils de base (Logic is our tool [59]) et permettent aux usagers de s’emparer du projet et d’en devenir acteurs [60]. Ces projets expérimentaux amènent les acteurs du design (usagers, designers et commanditaires) dans de nouvelles zones de questionnement et permettent des prises de conscience quant à leurs possibilités d’action ou de non-action. Ils ont surtout le mérite de lancer une dynamique de transformation et d’exploration.

[55] Pierre Litzler, La conception design, un processus de jeux et d’enjeux sociétaux dans Poïétiques du design, vers de nouveaux paradigmes de la conception ?. Pierre Litzler est directeur de la faculté des arts de l’université de Strasbourg. Responsable du Master design, hdr membre du laboratoire accra (Approche Contemporaine de la Création et de la Réflexion Artistique).

[57] Instead of operating under the terms of Graphic Design, Interaction Design, Media Art or Sound Design, we want to introduce Conditional Design as a term that refers to our approach rather than our chosen media. Extrait du Manifeste Conditional Design A manifesto for artists and designers. [En ligne] http :// conditionaldesign.org/manifesto/ [58] Ibid.

[56] Moniker (un surnom ou un pseudonyme en hollandais) est un studio de design basé à Amsterdam fondée en 2012 par Luna Maurer, Jonathan Puckey et Roel Wouters. [En ligne] http ://studiomoniker.com/

[59] Ibid. [60] Voir à ce propos leurs projets One frame of fame [En ligne] http ://oneframeoffame.com/, Now take a bow [En ligne] http ://

nowtakeabow.com/) et Do not touch [En ligne] http ://donottouch. org/


Glissements de terrain

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[61] Camille Leblond, Contenus numériques  : les postures du spect’acteur, 1 janvier 2014, [En ligne], http ://archinfo01. hypotheses.org/563

Pour revenir à l’article Why do we need doctoral study in design?, la variation de paradigme d’une pratique du design centré objet à celle d’un design caractérisé par des systèmes plus organiques n’est pas le seul changement dans le monde du design. Nous assistons également à ce que Meredith Davis nomme un transfert de contrôle des designers vers les usagers. Les principaux concernés dans le processus du design ne doivent plus être vus comme de simples utilisateurs/consommateurs, mais plutôt comme des co-créateurs. Le design devient ici outil de médiation entre les personnes et leurs activités. Ce phénomène est intimement lié à l’évolution technologique et à son influence quotidienne. Désormais une très large majorité d’entre nous est connectée à Internet et utilise quotidiennement divers dispositifs numériques. Le système technique numérique possède ses propres particularités, il engage des usages et est caractérisé par son interactivité. L’usage de ces dispositifs permet des changements de posture de l’usager. La mise en réseau des ordinateurs et des téléphones mobiles fait de chaque utilisateur un potentiel récepteur et émetteur de connaissances. Par ailleurs, la baisse du coût de production et d’équipement permet le développement des pratiques amateurs et la prolifération de communautés permettant aux internautes de revêtir plusieurs postures cumulables [61]. Chacun devient utilisateur et producteur potentiel de contenus, d’informations et de savoirs. Camille Leblond définit le réseau Internet comme un canal de propagation des initiatives de co-construction. L’accroissement des interactions permet l’introduction de l’usager au sein du projet de design sous une autre forme que ses modalités précédentes de simple destinataire ou d’interprète d’un message. On peut observer ce phénomène notamment dans les nouvelles pratiques de lecture et d’écriture qu’engendrent les supports numériques et la mise en réseau [62]. [62] Voir à ce propos, de Annick Lantenois (sous la direction de), <stdin>, Florian Cramer, Pierre Cubaud, Marin Dacos, Yannick James, Lire à l’écran. B42, Valence, Ésad Grenoble-Valence, 2011.


41

[63] Catherine Becchetti-Bizot, Lecture hypertextuelle, dans le dossier Lecture sur écran. Nouveaux modes de lecture, portail national eduscol du ministère de l’éducation nationale, mars 2008, [En ligne], http ://tinyurl.com/ lm2yw62 [64] Bernard Stiegler est philosophe, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation

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Elles induisent des postures intellectuelles nouvelles où le lecteur est à la fois un explorateur, un spectateur et un intervenant ou un auteur – et (elles impliquent) de nouvelles responsabilités [63]. L’usager devient un facteur actif du projet et influe sur la manière de penser les créations. L’idée que le système de production serait complètement séparé du système de consommation est ainsi requestionnée. À ce propos, Bernard Stiegler [64] nous explique qu’il existe actuellement une espèce de transfert depuis la sphère de la production et de la conception des appareils de production vers la sphère du destinataire consommateur, qui fait que l’on appareille cette sphère de la consommation selon la même logique que celle de la production [65]. Les appareils proposent de plus en plus à l’usager d’agir comme producteur, en d’autres termes il devient lui aussi émetteur et producteur. L’exemple de Linux est de ce point de vue parlant. Par l’usage coopératif du réseau Internet, des usagers-praticiens ont pu produire un système d’exploitation informatique. Grâce à une aptitude équivalente à celle des producteurs et par un travail coopératif, ils ont conçu un programme fondé sur le libre-échange des données. Si l’usager n’est plus uniquement consommateur, mais est aussi producteur, la question d’une redéfinition des places et des rôles de chacun d’entre nous devient centrale.

(iri) et président de l’association Ars Industrialis, Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit. Il est aussi l’auteur de États de choc : bêtise et savoir au xxie siècle, Fayard/Mille et une nuits, Paris, 2012, et coauteur, avec Denis Kambouchner et Philippe Meirieu, de L’école, le numérique et la société qui vient Fayard/Mille et une nuits, Paris, 2012.

[65] Bernard Stiegler, Du design comme sculpture sociale  dans Le design, essais sur des théories et des pratiques, Brigitte Flammand (dir.), Édition du regard, Paris, 2006. p. 248.


42

[66] Andrew Blauvelt, directeur et conservateur du Walker Art Center de Minneapolis, Towards Relational Design. The Design Observer Group, 11/03/2008, [En ligne], http ://tinyurl.com/m7lanm5

Ces dernières décennies sont marquées par des changements profonds tant sur le plan technologique, social que paradigmatique. Les places et les équilibres que les acteurs du projet de design occupaient traditionnellement sont remis en question. Ces glissements de terrain peuvent être l’occasion d’étendre la nature même du design; des designs conçus pour créer des designs [66], où la création d’objets ferait place à celle de systèmes ancrés dans leurs propres contextes et où le designer serait cet organisateur de conditions, ce créateur de cadres dans lesquels pourraient s’exercer les expériences humaines. Pour cela nous avons besoin de nous redéfinir, d’intégrer, dans de nouvelles modalités, les acteurs au projet de design et de bénéficier d’un soutien des instances publiques quant aux statuts et à la reconnaissance du travail des designers. La façon de travailler ensemble, d’être en relation les uns avec les autres, de concevoir et de communiquer à travers un projet est donc à revisiter.


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Auto portrait cartographique de l'artiste Michael Druks.Lithographie sur papier, 1974

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2 LA CO-CREATION DANS LE DESIGN

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Gravure du Cynodon dactylon, plante rhizomatique.


2.1 La relation entre les acteurs

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Double page du livre de Vickor Papanek, Design for the Real World : Human Ecology and Social Change, New York, Pantheon Books, 1971.

Au cours de la dernière décennie, le design a été de plus en plus vu par les entreprises (privées et publiques) comme une approche connectée à l’innovation. Bien qu’ils soient encore dans leurs premières phases d’existence, des termes tels co-design, design participatif, design centré sur l’utilisateur, design social, gagnent enintérêt dans un nombre croissant de pays. Derrière ces mots se profile une même idée : celle de projets ouverts dont la base serait construite par un dialogue entre les acteurs, où le résultat offrirait des réponses à des questionnements communs et où le projet de design serait perçu comme un outil d’accompagnement aux changements plutôt qu’un objet fini. Les acteurs du design, qu’ils soient praticiens, techniciens, fournisseurs, investisseurs, commanditaires ou usagers sont des éléments essentiels du projet. Au même titre, le territoire qui existe entre ces acteurs est un paramètre important. Il compose le groupe et prend forme à travers la multitude d’interactions quotidiennes.


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Relational design is not a movement or a style, per se, but rather a way of understanding, exploring, and reexamining the role of design and designers. Andrew Blauvelt


Vers un design relationnel [67]

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[67] Andrew Blauvelt, Towards Relational Design. The Design Observer Group, 11/03/2008, [En ligne], http ://designobserver.

Avec l’avènement du numérique et de l’Internet, nous avons assisté ces dernières décennies, à une explosion du nombre d’interactions quotidiennes. Ces médias sont par nature relationnels et les interactions qui en découlent sont le support des relations entre les acteurs. Ainsi, le projet de design se porte sur l’ensemble de l’écosystème dans lequel les différents éléments (les acteurs, leurs interactions, leurs relations, les conséquences de ces interactions, etc.) évoluent. Pour Adrew Blauvelt (designer graphique, directeur etxconservateur du Walker Art Center de Minneapolis), le design traverserait actuellement une troisième phase de son histoire qu’il caractérise de design relationnel. Après les expérimentations formelles de la première moitié du xxe siècle et la recherche de sens qui en suivit, le design s’intéresserait désormais à ses effets au-delà de l’objet à proprement parler. Bien que la forme suive toujours la fonction, le design relationnel légitime sa forme dans son adéquation avec les contraintes liées aux contextes sociaux, techniques et culturels. Cette formulation de design relationnel a fait l’objet de différentes tentatives de définitions. On pourrait, avec Andrew Blauvelt, énoncer cette évolution du design comme tel : Nous sommes au carrefour d’un gigantesque changement de paradigme qui traverse toutes les disciplines du design, qui est inégal dans son développement, mais qui a un potentiel de transformation beaucoup plus important que ce que les précédents suffixes en « isme » ou les tendances micro-historiques indiqueraient. Plus spécifiquement, je pense que nous sommes entrés dans la troisième phase de l’histoire du design moderne : l’ère d’un design basé sur la relation et la spécificité du contexte [68]. Le design relationnel, qu’il imagine plus ouvert – comme peut l’être un projet en cours d’élaboration – revêt de multiples facettes et offre de nouvelles possibilités de s’abstraire du dictat de la forme comme principale expression de la créativité (et de la pertinence) du designer. Nous serions face à un design qui s’inscrit largement au-delà de l’objet et des échelles com/feature/towards-relationaldesign/7557/ [68] Ibid.


1   |    ② ‌ de l’objet et qui se préoccupe également de ces connotations et du symbolisme culturel [69].

Une généralisation du design ?

51

[69] Ibid. [70] Nobert Hillaire, L’art et la culture au risque du design relationnel, dans la revue d’études esthétiques Figures de l’Art n° 25 Philosophie du Design Chapitre 4,

Si le design relationnel inclut, joint et réunit, sa nature globale soulève cependant des questions. Le design serait-il omniprésent ? Nous le retrouvons dans le domaine de la santé (design chirurgical, design par médicaments), dans nos mémoires historiques (design des musées), dans la gestion des territoires (design territorial et urbain) et même dans l’avenir de notre ADN (design obstétrique) [70]. Norbert Hillaire voit dans le design relationnel un outil du marché et des hyperindustriels servant à esthétiser les territoires, les mouvements, les comportements et les images pour un meilleur contrôle. Il servirait l’essor du capitalisme culturel comme le design moderne a pu servir l’essor du capitalisme industriel. Dans son article L’art et la culture au risque du design relationnel, il nous expose ce qui pourrait être un aspect pervers du design relationnel : La capacité d’intégration et de convergence en un même territoire de toutes les activités humaines qui gouvernent la création ex nihilo de ces territoires à partir de ce design relationnel : sport, loisir, jeux, musées, spectacles etxconcert, soin, tout est rassemblé en un même lieu dans le méta-design d’interactions savamment orchestrées entre toutes ces activités {...} n’offrant guère au visiteur, au touriste, au curieux de perspective de liberté, ou de flâneries Benjaminiennes, en dehors des cadres dans lesquels il est sommé d’évoluer [71]. Si l’aspect global du design relationnel en fait effectivement un outil idéal pour les hyperindustriels, il s’agit en réalité d’un usage cosmétique, qui tend à aplanir et uniformiser les lieux et les images, les usages et les cultures, pour asseoir un monopole économique toujours plus grand. Cependant, le design relationnel dispose d’un potentiel bien plus profond et humain, notamment dans son côté participatif. Cette reconquête Effets et gestes du design : the design as experience, sous la direction de Bernard Lafargue et Stéphanie Cardoso. Aux Presses de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 2013.

[71] Ibid.


démocratique d’un pouvoir participatif, d’un partage du sensible porté par une vision à la fois singulière et collective qui, pour Norbert Hilaire, semble s’éloigner un peu plus chaque jour demeure un des atouts du design relationnel et des possibilités qu’offrent les dispositifs numériques.

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[72] Even in most instrumental forms of design, the audience has changed from the clichéd focus group sequestered in a room answering questions for people hiding behind two-way mirrors to the subjects of dogged ethnographic research, observed in their natural surroundings — moving away from the idealized concept of use toward the complex reality of behavior. Andrew Blauvelt, Towards Relational

Nous avons vu que ces dispositifs engagent des usages et des interactions, et amènent les designers à prendre en considération une multiplicité de comportement et de réaction face à l’objet [72]. Le contexte est bien l’occasion du dispositif. Ce design est défini par son extrême mobilité loin des dogmatismes et des méthodologies standardisées. Depuis quelques années une nouvelle génération de designers contemporains tente d’engager un travail déterminé par une nouvelle manière d’être et de concevoir. Un design qui prend en compte dans son projet un contexte humain plus général, où les habitudes, les croyances et les représentations que l’homme véhicule par et dans sa pratique deviennent centrales. Un design qui considère les êtres humains et leurs relations au monde dans leur globalité afin de comprendre les besoins économiques, sociaux, intellectuels, technologiques et spirituels. Le design relationnel participerait à donner forme à nos existences en concevant des dispositifs à partir de contextes singuliers au sein desquels les usagers possèdent une place privilégiée. Design. The Design Observer Group, 11/03/2008, [En ligne], http ://tinyurl.com/m7lanm5


1   |    ② ‌

53


54

a.

a. Objets inspirés des travaux de Victor Papanek & Jim Hennessey et de leur livre Nomadic furniture : how to build and where to buy lightweight furniture that folds, collapses, stacks, knocks-down, inflates or can be thrown away and

re-cycled, New York, Pantheon Books, 1973 (ci-dessus). Ils sont issus de l'exposition NOMADIC FUNRNITURE 3.0. New Liberrated Living? qui met en scène ces objets de la vie quotidienne fait maison afin de questionner

les comportements induis par la consommation de masse. Realisé par le studio de design viennois Raumlabor (http://raumlabor. net/) www.domusweb.it/en/ news/2013/08/06/nomadic_ furniture.html


1   |    ② ‌

55 b.

c.

b. The bubble project de Ji Lee. L'artiste crée et propage des espaces de réaction pour combattre la publicité sur son propre terrain.

c. Shift!, conçu par Anja Lutz, est une publication en perpétuel mouvement formel. Ici, le numéro This Sould Be Made Public, est un journal mural qui rassemble les résultats des expositions-atelier qui ont eu lieu au Luxembourg,

au Le Caire,à Milan et à Bangkok. Les participants sont invité à exprimer sur des fiche accrochées au mur leur point de vue sur ce qui devrait être rendu public. www.flickr.com/photos/this_ should_be_made_public


56 b.

d.

d. Le site d'e-commerce Theadless magazine regroupe une communauté en ligne d'artistes. On peut, en autre, y acheter des T-shirt et des affiches. Chaque semaine, environ 1000 dessins sont créés en ligne et soumis à un vote public. Après sept jours

le personnel examine les votes et fait une séléction à imprimés. www.threadless.com


1   |    ② ‌

57

e.

e. Les nouveaux usages de la médiathèque est une résidence qui a été menée par le collectif La 27e région en 2012 à Lezoux. Dans le cadre d'une construction d'une médiathèque intercommunal, l 'objectif de la résidence a été de réaliser

un plan des nouveaux usages de la médiathèque qui a été utiliser, par la suite, dans le projet de construction par l'architecte et les professionnels du secteur. Les habitants du lieu ont été associés à l'élaboration de la méthode et ont conduis les expériences

avec les designers. La 27e Région est un laboratoire de transformation publique travaillant avec les administration pour concevoir des politiques publiques différentes. www.la27eregion.fr


2.2 Des designs pour de nouveaux modes de vie

58


1   |    ② ‌

59

L’idée centrale du co-design repose sur le fait que des gens de différents horizons, statuts, corps de métier combinent leurs idées et leurs connaissances vers une construction commune. La participation et le dialogue deviennent alors un enjeu de premier plan dans la construction du projet. Pourtant, travailler ensemble, dans une équipe pluridisciplinaire, n’est pas une nouveauté en design. Le designer est souvent en position de médiateur entre plusieurs acteurs du projet et son travail fait partie d’une chaîne de production. La spécificité des changements actuels réside plutôt dans le potentiel participatif des acteurs, dans la manière dont ils sont intégrés aux projets et dans la nature même des projets réalisés.

et d'entretient est en disponible Intérieur du N55 spaceframe. en open source sur le site Cette construction à bas cout N55 SPACEFRAME, indoor 2001 du collectif N55. www.n55.dk et modulaire, constitue un espace de vie pour 3/4 personnes et demande peu de maintenance. Le manuel de construction

N55 SPACEFRAME, outdoor 2001


60


Designing with people rather than for them Liz Sanders


Co-designer : participation et expérimentation La co-création est une démarche de projet qui associe l’ensemble des parties prenantes dans la création du futur produit ou service. Cette démarche peut être employée à plusieurs fins, notamment pour la conception de dispositifs complexes ou l’accompagnement au changement [73].

62

[73] apci, Designers interactifs, mov’eo, systematic, Marina Wainer (sous la direction de), Le design des interfaces numériques en 170 mots-clés, des interactions homme-machine au design interactif. Dunod, Paris, 2013. [74] Voir à ce propos La 27e région, laboratoire de transformation des politiques publiques. www. la27eregion.fr

Le terme de co-design s’applique à un champ très vaste qui peut aller de la recherche à l’ethnographie appliquée ou encore aux transformations des politiques publiques [74]. Le design sera utilisé comme un outil de construction, de médiation et de communication des projets. Dans le domaine du design à proprement parler il existe de nombreuses façons de construire un projet en co-design. Le design d’objet est l’un des premiers lieux du design où on l’on voit apparaître, dans les années 90, le phénomène participatif avec, par exemple, la customisation de produits [75]. L’idée que les utilisateurs finaux sont les mieux placés pour évaluer et influencer le développement d’un produit va surtout se manifester dans des tests d’utilisabilité. Dans une logique marketing, si le produit final correspond à leurs besoins, envies et caractéristiques, il aura toutes les chances d’être adopté. Les utilisateurs peuvent agir sur le design de l’objet dans un cadre délimité par le designer et avoir ainsi la sensation d’un objet personnalisé, plus adapté à leur besoin, de son côté, l’entreprise récolte des données pour l’amélioration de son produit. Dans le domaine du design graphique, des dispositifs participatifs peuvent être utilisés, par exemple, pour la création d’identités. Le studio Néerlandais Lesley Moore [76] met en pratique ce concept sur sa propre [75] Ce système est toujours d’actualité : par exemple le site web de la marque Nike, NikeID, propose à l’utilisateur de composer sa paire de chaussures en ligne selon une palette de couleurs et de matières qu’il a à disposition. http ://tinyurl.com/o68992s

[76] Studio de design graphique créer par Karin van den Brandt et Alex Clay, www.lesley-moore.nl et http ://tinyurl.com/psq6knm


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[77] Studio de design graphique basé à Amsterdam, [En ligne] www.thonikbyyou.com

identité visuelle. Il conçoit un système ouvert par lequel les visiteurs de leur site Web génèrent, grâce à la lm Logo Machine un logo. Ils peuvent combiner les éléments à leur disposition (formes simples et initiales lm). Les logos produits sont archivés sans aucune sélection et contribueront à l’image de marque du studio en étant utilisés une seule fois. Ce système génère une identité en perpétuelle mutation à laquelle tout le monde peut contribuer. L’aspect ludique de la lm Logo Machine amène, par le jeu, l’usager à s’intéresser et à expérimenter le dispositif. Du côté de l’édition, le studio Thonik by you [77] a exploré une nouvelle modalité de présentation de ses projets à l’occasion d’une exposition qui leur était consacrée au Graphic Design Museum de Breda. Sur leur site Internet, le visiteur explore les différents projets du studio proposés sous forme de paquets de pages qu’il sélectionne afin de composer sa propre édition finale. Le visiteur peut aussi choisir la couleur de la couverture qui sera personnalisée avec son nom. Le contenu du livre provient d’une base de données définie par les designers (celle de leurs projets), le système d’impression limite le nombre de pages. La forme finale, les polices de caractère et l’identité générale sont également définies par le studio. Nous retrouvons dans ces exemples l’idée de systèmes ouverts où le travail du designer n’est plus centré objet, mais se déplace en amont dans la conception de règles et de cadres. Cependant l’amplitude d’action de l’utilisateur est limitée à des choix de types esthétiques ou formels. Il n’intervient pas sur le contenu, il choisit de mettre ou d’enlever ce qui est déjà existant et défini par les designer. D’autres projets de design s’engagent plus loin dans ce transfert de contrôle, tel que nous l’a décrit Meredith Davis, en donnant la possibilité aux usagers de créer et de mettre en forme le contenu. C’est ce que Christian Nold [78] expérimente dans sa pratique du design. Il développe de nouveaux modèles participatifs à travers des projets de représentation commune d’espace de vie. En s’appuyant, entre autres, sur la technologie gps, il réalise,

[78] Christian Nold est un artiste, designer et éducateur britannique. [En ligne] www.christiannold.com


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[79] Plus de 1500 personnes ont participé à ces expériences depuis quatre ans. Christian Nold édite ensuite ces cartes

en collaboration avec un public volontaire, des cartographies émotionnelles [79]. Ces cartes sont réalisées en superposant au plan réel d’une ville augmentée les émotions qu’elle suscite sur les passants qui s’y déplacent. Grâce à cette technique, le designer permet ainsi de visualiser les relations complexes entre l’environnement et les individus qui l’habitent. De cette façon il réintègre l’expérience au sein du principe de cartographie et tente un renforcement de la perception de la communauté et de l’environnement de l’usager. Les individus sont au cœur du projet en créant les données et en participant, au cours de workshop, à certains choix de restitutions visuelles. Ces choix se posent sur les contenus (apport et/ou changement de commentaires émotif liée aux lieux) et non sur la forme. Le designer conçoit les conditions de l’expérience et se frotte, parfois, aux limites du design (en rappelant la figure de l’animateur par exemple). Le cadre dans lequel ces expériences se réalisent permet de transformer une action en une expérience créatrice de connaissances. La dynamique participative est aussi très présente dans la conception des objets numériques (logiciels, applications, sites Internet). Comme nous l’avons vu précédemment, les outils numériques sont définis par leurs usages, dans ce cas, il est logique que l’usager ait une place privilégiée dans leur conception. Ici nous parlons de Conception Centrée Utilisateur (ccu) . La ccu est un processus de développement qui inclut un ensemble de méthodes spécialisées, destinées à recueillir des données des utilisateurs et à les convertir en choix de conception. Cette implication des utilisateurs doit être à la fois présente dès les prémisses du projet et itératives (elle doit se répéter tout au long des étapes clés du projet). La conception centrée utilisateur impose que le développement du produit doit être guidé par leurs besoins plutôt que par les possibilités technologiques. Le processus de ccu ne se contente pas de demander aux utilisateurs ce qu’ils désirent. Il met en œuvre, un peu à la qui peuvent être disponibles dans des musées, des offices du tourisme, des librairies. Les cartes peuvent aussi faire

l’objet de sites internet comme à Greenwich et San Francisco. http ://emotionalcartography.net/ et Greenwich emotional map 2005 http ://www.emotionmap.net/


1   |    ② ‌ manière des enquêtes ethnologiques, des méthodes rigoureuses de recueil de données concernant leurs tâches, leurs besoins, puis leur satisfaction, leur efficacité et leur efficience dans l’utilisation d’un produit existant ou d’un prototype. Ces différentes façons de travailler témoignent de la volonté de prendre en considération les besoins de l’usager à un stade plus précoce du projet, souvent pour des raisons d’efficacité. Au-delà du côté pragmatique, ces dispositifs sont aussi des indicateurs de mutations plus profondes. Celles d’expérimentations de nouveaux modes d’être et de faire ensemble d’où pourraient émerger de nouvelles solutions de vie.

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Le design social

◊ p-78 Glossaire

Le co-design est un outil de médiation et d’accompagnement aux changements. Cette idée est l’héritière du concept de conception participative ◊ née dans les années 70 en Scandinavie sous le nom de cooperative design. Elle faisait écho au Scandinavian workplace democracy movement, mouvement plus large, prônant l’importance de la dimension sociale dans le développement de nouvelles technologies et dans son intégration au milieu du travail. Il est intéressant de revisiter cette idée dans le contexte actuel où le développement de nouveaux systèmes techniques suscite de nombreux changements. Le design social regroupe un ensemble de pratiques qui s’intéresse à la relation entre le design et la société. C’est un territoire nouveau qui est en mouvement et dès lors difficile à définir. Il est basé sur le travail avec l’autre et concerne les changements de cadre et de conditions de vie. Comme le design centré utilisateur, le design social peut emprunter ses méthodes à l’anthropologie, notamment dans l’observation des pratiques de l’usager et dans l’utilisation d’enquête comme matériau de base et de réflexion du projet. L’usager ne participe pas à la fabrication à proprement parler, mais il est acteur du projet. Il en constitue le point de départ et parfois, il est aussi présent dans sa continuité. En somme, il y occupe une place privilégiée


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[80] http ://tinyurl.com/ntwao7t

comme c’est le cas avec le projet de l’association Pumpipumpe [80] montée par le collectif de designers suisses meteor collectif [81]. Ce projet propose aux gens d’utiliser de manière consciente les biens de consommation. Il encourage l’interaction sociale entre voisins par le prêt et l’emprunt d’objets que l’on n’emploie peu souvent. Grâce à un système de vignettes autocollantes apposées directement sur les boites aux lettres des habitants, les personnes peuvent s’emprunter réciproquement toutes sortes d’objets. De cette manière, le voisinage apprend à mieux se connaître et évite d’acheter des objets neufs. Le projet a vu le jour à petite échelle, les designers l’ont d’abord mis en pratique sur la boite aux lettres de leur bureau. Plus tard, ils mettent en place leur site Internet et proposent d’envoyer les autocollants gratuitement aux particuliers. Ce système fonctionne plus ou moins bien, rencontre parfois des difficultés (par exemple la régie des postes qui demande le retrait des vignettes), mais c’est dans le message et la démarche exploratoire que se situe le potentiel du projet. La vocation sociale du design n’est pas nouvelle. La question sociale à proprement parler a déjà été abordée au cours de l’histoire du design avec William Morris par exemple, et puis plus récemment, dans les années 70, avec Victor Papanek. Cependant, on pourrait dire que l’enjeu caractéristique du design social se trouve dans l’accompagnement à la transformation des sociétés par d’autres voies que par le rapport à l’État, en intervenant directement dans les pratiques et les cadres de vie. Pour Ludovic Duhem [82], l’émergence d’un design résolument sociale serait une réponse aux effets de la crise mondiale contemporaine. Ce design propose des alternatives au système de production et de consommation de masse notamment à travers des projets de partage des savoirs, de mutualisation desoutils et de transformation de l’espace public et de l’action commune. Centré sur le partage, la participation et l’autonomie cette pratique du design à vocation sociale remet [81] meteor collectif est un studio multidisciplinaire composé de Lisa Ochsenbein, designer objet, Ivan Mele, design strategy, Sabine Hirsig, illustratrice et Valerie Notter, designer objet, http :// tinyurl.com/l8w5qj7

[82] Enseignant de philosophie et responsable de la recherche à l’ÉSA de Valenciennes.


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[83] Ludovic Duhem, Colloque international Design social, les nouvelles formes de convivialité, École supérieure d’art et de design de Valenciennes, 10 et 11 Avril 2014,

en question non seulement ses propres finalités, mais aussi toutes les dimensions de l’activité du designer : son métier, ses outils, ses partenaires, ses méthodes, son espace et son temps d’intervention. Il pourrait en résulter une extension du design. Victor Papanek disait déjà, en 70, que le design est le moteur de toutes nos activités et donc du design lui-même : Le design est à la base de toutes les activités humaines – le positionnement et la structuration de tout acte vers l’obtention d’un objectif dans le design constitue lui-même un processus de design. Le design social tente d’ouvrir l’ensemble des processus de design à l’implication directe des individus : de la conception à la production, de l’utilisation aurecyclage. Son objectif et de construire de nouveaux cadres pour des citoyens acteurs de leur milieu de vie et de leur existence [83]. Il est expérimental et se retrouve parfois aux frontières du design. Prenons l’exemple du collectif artistique danois N55 [84]. Ce groupe d’artistes développe des projets en véritable designer, cependant, aucune des productions n’est à vendre en tant qu’objet de design. Ils se contentent de créer des concepts et des prototypes d’objets qu’ils mettent ensuite en libre accès sous forme de manuels de fabrication, de maintenance et de règles du concept à reproduire. Trois membres de N55 habitent à Copenhague, dans une maison mobile de 20 m2. Dans cette ville fortement sujette à la spéculation immobilière, les artistes ont réalisé une habitation fonctionnelle, en acier inoxydable, qui flotte sur l’eau et très peu chère à réaliser. N 55 propose sur son site Internet son manuel de fabrication, chacun peut construire sa propre version du projet. Il est également possible d’en faire des copies, ou de s’en inspirer en reprenant le concept de l’Open Source. Leur site propose de nombreux objets, thématiques de discussions et actions à mener.

[En ligne], http ://tinyurl.com/ ppwdua7 [84] Le collectif N55 a été co-fondé en 1996 par Ingvil Aarbakke (1970-2005) et Ion Sørvin (diplômé de la Royal

Danish Academy of Fine Arts de Copenhagen). Il vit et travail avec Anne Romme, architect et collabore avec Till Wolfer, designer, artist et activiste. www. n55.dk


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[85] Ludovic Duhem, Ibid.

Le design social peut être perçu comme un nouveau vecteur d’imaginaire social qui pourrait reposer sur d’autres statuts, d’autres critères, d’autres orientations. De nouvelles possibilités de construire et de transmettre les savoirs, car il peut aussi être un design social du savoir [85] et pourrait inviter à une réflexion de remise en question des monopoles de production du savoir (comme notre système universitaire par exemple). Elle est, dans tous les cas, à prendre en considération dans le climat actuel où les modes de production, de diffusion et de transmission du savoir sont requestionnés.


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Les stickers du projet Pumpipumpe, du collectif suisse meteor collectif, collés sur les boites aux lettres. http ://tinyurl. com/l8w5qj7


CONCLUSION

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[86] Pierre Litzler, La conception design, un processus de jeux et d’enjeux sociétaux dans Poïétiques du design, vers de nouveaux paradigmes de la conception ? Sous la direction de Gwenaëlle Bertrand et Maxime Favard. Éditions l’Harmattan, séries Ars, Paris, 2014.

Les systèmes techniques de l’informatique, du numérique et de l’Internet, qui ont émergé au cours du siècle dernier, ont totalement transformé nos environnements et nos perceptions du monde. L’ensemble de notre milieu est désormais numérisé et ce phénomène continue de se renforcer. La nouveauté de ces systèmes techniques est la possibilité pour chacun d’entre nous de recevoir, d’émettre et de transformer, en réseau du contenu multimédia. Dans le domaine du design, ce contexte induit des changements, tant sur la nature du projet que sur la posture et la place de chacun des acteurs. Les projets, de moins en moins centrés sur une finalité objet, se déploient dans des systèmes plus globaux. Le designer se fait inventeur d’attitudes et organisateur de processus de création [86] et les usagers ne peuvent plus être vus comme de simples récepteurs du produit de design. Ces changements s’appuient d’un côté sur la nature interactive des systèmes techniques (supports de nos relations et de nos savoirs) et de l’autre sur la situation de crise généralisée que nous traversons et qui nous amène à chercher de nouvelles solutions de vie. Nous assistons à l’émergence de systèmes toujours plus ouverts, où le travail du designer se place en amont de ce qui lui est traditionnellement imparti, dans la conception de cadres et de conditions de possibilités de l’expérience de l’homme. Cependant l’amplitude d’action de


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p-83 Glossaire

[87] Louise Merzeau, L’intelligence de l’usager. Manuscrit auteur, publié dans L’usager numérique, Inria, octobre 2010 [En ligne], http ://tinyurl.com/q2ywa43

celui-ci reste encore souvent limitée à des choix formels, ou à la production de données (souvent à visées marketing, pour l’amélioration du produit par exemple). L’injonction est souvent de mise. Après avoir été prescrit à la consommation massive d’objets pensés pour lui, l’usager (ici utilisateur?), devrait désormais exister dans des systèmes projetés pour lui. Il m’est apparu, à plusieurs moments de l’écriture de ce document, une difficulté sur l’emploi des mots usagers et utilisateurs ◊. Cette ambiguïté atteste d’une situation encore confuse quant à la place, aux rôles et à la définition de l’usager. Peut-être aurions-nous besoin de nouveaux mots face à ces situations en mutations car comme l’énonce Louis Merzeau dans son article l’intelligence de l’usager  : Définir les attributs de l’usager, c’est en effet réfléchir à la distribution des biens, des savoir faire et des moyens de connaissance qui conditionne l’existence d’une culture numérique et, par là même, d’une citoyenneté [87]. Pourtant, des tentatives existent et se déploient, souvent sous formes expérimentales. Dans le domaine du design social, les acteurs s’essaient à de nouvelles façons de travailler ensemble, d’être en relation les uns avec les autres, de concevoir et de communiquer à travers un projet. Ces nouveaux modes de design sont définis par leurs extrêmes mobilités, ils s’ancrent dans leur contexte, qui devient l’occasion du dispositif. Ils considèrent les êtres humains et leurs relations au monde dans leur globalité et se frottent souvent aux limites du design créant des territoires singuliers et de nouveaux questionnements quant à la place de chacun. Les implications


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de ces modes de design inédit (la place et le champ d’action de chacun, la définition de nos métiers, etc.) sont encore floues. Il s’agit de domaines expérimentaux et toujours en mutation. Dans cette période d’évolution que traverse le design, il me paraît déterminant de ne pas réduire les possibilités émergentes à une simple transposition de systèmes existants, d’un territoire à un autre (de l’objet au système, du passif au participatif prescrit). Il s’agirait d’abord d’une nouvelle prise d’otage des usagers, et, sur le plan du design, les conséquences seraient désastreuses, car elles avorteraient le potentiel de développement que recèlent ces nouveaux modes de design. La recherche d’autres voies (voix ?), à travers notamment l’expérimentation, reste ouverte pour que le design puisse être un vecteur d’imaginaire social, porteur de solutions de vie. Le projet que je développe est un travail d’interface de programme touchant au design interactif et graphique. Dans ce contexte je tente de rejouer ces questions d’intégration de l’usager en mettant en perceptive les questions soulevées.


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Confusion? Le logiciel de correction Antidote me previent de la possible confusion sur l'usage des mots utilisateur et usager dans mon mĂŠmoire.


GLOSSAIRE

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ALAN TURING

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[a] Alan Turing, On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem, Proc. London Math. Soc., 2e série, vol. 42, ‎ 1937, p. 230-265, et [En ligne] http ://tinyurl.com/csk37tb

Alan Mathison Turing, (23 juin 1912 - 7 juin 1954) est un mathématicien, cryptologue et informaticien britannique. Il est l’auteur, en 1936, d’un article de logique mathématique [a] qui est devenu plus tard un texte fondateur de la science informatique. Pour résoudre le problème fondamental de la décidabilité en arithmétique, il y présente une expérience de pensée que l’on nommera ensuite machine de Turing et des concepts de programmation et de programme, qui prendront tout leur sens avec la diffusion des ordinateurs, dans la seconde moitié du xxe siècle. Avec d’autres logiciens (Church, Kleene, etc.), Turing est ainsi à l’origine de la formalisation des concepts d’algorithme et de calculabilité, qui fonderont cette discipline. Son modèle a contribué à établir définitivement la thèse Church-Turing, qui donne une définition mathématique au concept intuitif de fonction calculable. Durant la Seconde Guerre mondiale, il joue un rôle majeur dans les recherches sur les cryptographies générées par la machine Enigma, utilisée par les nazis. Ses découvertes permirent, selon plusieurs historiens, de raccourcir la capacité de résistance du régime nazi de deux ans. Après la guerre, il travaille sur un des tout premiers ordinateurs, puis contribue de manière provocatrice au débat déjà houleux à cette période sur la capacité des machines à penser, en établissant le test de Turing. Vers la fin de sa vie, il s’intéresse à des modèles de morphogenèse du vivant conduisant aux structures de Turing. En 1952, un fait divers lié à son homosexualité lui vaut des poursuites judiciaires. Pour éviter la prison, il choisit la castration chimique par prise d’œstrogènes. Suicide ou accident, Turing est retrouvé mort dans la chambre de sa maison à Manchester, par empoisonnement au cyanure, le 7 juin 1954. La reine Élisabeth II le gracie à titre posthume en 2013.


CONCEPTION PARTICIPATIVE

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La conception participative est une méthode de travail utilisée principalement en conception de logiciel interactif. Sa principale caractéristique est la participation active des utilisateurs au travail de conception. Il s’agit donc d’une méthode de conception centrée sur l’utilisateur où l’accent est mis sur le rôle actif des utilisateurs. Les processus de conception participative se sont développés en Suède depuis les années 70. Pendant cette période, le gouvernement avait voté des lois donnant le droit aux employés de participer aux décisions concernant leur milieu de travail. La conception participative était donc essentiellement vécue comme une question de démocratie, l’instrument le plus important étant la législation. L’étape suivante, dans les années 80, fut le recueil du savoir des usagers. Les usagers (souvent incarnés par les employés) détiennent une connaissance importante qui pourrait être employée pour augmenter la qualité du produit final. L’usager devenait une source d’information pour concevoir un produit adéquat au meilleur prix. Les outils utilisés dans le processus ont alors été conçus pour rassembler et procurer des informations d’une façon structurée. Des techniques de recueil de données, les check-lists et les méthodes d’interviews ont été développées dans ce but. Les experts assuraient le rôle de coordinateurs ou d’animateurs dans les séances de conception. Au début des années 90, Granath et ses collègues ont introduit le concept de processus de conception collectif pour distinguer une nouvelle dimension de la conception participative, différente de celle considérée pendant les années 70 et 80. Un processus de conception collectif est une activité de conception participative où tous les acteurs sont considérés comme experts et leur participation est basée sur leurs connaissances propres plutôt que sur les rôles qu’ils jouent ou les intérêts qu’ils représentent. Il s’agit d’un acte créatif dans un processus collectif auquel contribuent activement, avec leurs différents savoirs, toutes les personnes concernées par le résultat du processus. Depuis le début des années 2000, les communautés scientifiques françaises de l’ergonomie et


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du génie logiciel ont commencé à s’y intéresser, et des sociétés spécialisées commencent à apparaître en Europe.

INTERACTIVITÉ

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La confusion entre interactivité et interaction est […] fréquente et exige des précautions. L’interactivité peut être considérée comme un simple système de sélection et de manipulation des données, permettant des commandes prises en compte par le système mettant en relation des informations, ou comme moyen de communication, ce qui tendrait davantage vers l’interaction. L’interaction fait références à une action réciproque entre émetteurs et récepteurs, alors que l’interactivité se définirait plutôt comme une activité de dialogue entre un être humain est un programme informatique, notion reliée à la simulation de relations interindividuelles médiatisées par ordinateur [b]. L’interactivité n’est ni une interaction, ni une excroissance technique de l’interaction. Elle s’apparente plutôt à une collaboration construite sur la base d’usages très divers des tics. L’interactivité […] peut apporter un plus en matière de création de rapports plus variés, de perception de similarité et de confiance augmentée. Deux personnes engagées l’une et l’autre dans un dialogue met en œuvre une base commune et une unité relationnelle néanmoins défaillante ou contrainte dès que l’interactivité prend la forme d’un monologue ou devient unidirectionnelle, chose inévitable lorsque les individus changent de rôle pour devenir observateurs ou lorsque l’interaction devient asynchrone [c].

PARADIGME À propos de Thomas Kuhn Thomas Kuhn est un historien et philosophe des sciences américaines parmi les plus connus, célèbre pour son livre La Structure des révolutions [b] Geneviève Vidal, Contribution à l’étude de l’interactivité : les usages du multimédia de musées, Presses Univ de Bordeaux, 2006.

[c] Judee Burgoon traduit par Geneviève Vidal, Ibid.


scientifiques qui introduit la notion de paradigme dans l’histoire des sciences. Son livre va marquer un tournant, un changement de méthode en philosophie des sciences en développant l’école historique américaine. Thomas Kuhn a à l’origine une formation en physique et en est venu à faire de l’histoire des sciences par des interrogations philosophiques.

Paradigme scientifique

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Le paradigme en science est une représentation cohérente du monde, un système unifié sur lequel repose la validité des lois scientifiques en vigueur. Il est un ensemble de croyances qui unit une communauté scientifique dans une famille de théories. Kuhn développe l’idée selon laquelle la science n’est pas un processus linéaire d’amélioration des connaissances, mais plutôt bien au contraire un chemin sinueux, marqué par des à-coups, des révolutions cycliques suivies de périodes de stabilité. On ne peut plus alors, considérer la science comme une représentation fidèle du réel, mais comme une tentative de compréhension pragmatique du monde, jamais totalement accomplie, mais toujours en actualisation. Alors qu’on pourrait penser la science comme une méthode d’investigation qui s’en tient rigoureusement aux faits, celle-ci utilise un appareil conceptuel qui repose sur une croyance en une vision du monde. L’analyse logique seule ne suffit pas, car elle ne peut expliquer un changement de conception. Il faut donc relever des conditions sociologiques à l’évolution des théories ainsi que leur acceptation par la communauté scientifique. Tout le développement historique de la science est fait d’alternances entre ce que Kuhn appelle des périodes de science normale au cours de laquelle les connaissances s’accumulent à l’intérieur d’un système conceptuel donné, et des périodes révolutionnaires où de grands bouleversements conceptuels, issus d’observations nouvelles, conduisent à un changement de paradigme. Mais les paradigmes sont extrêmement résistants. Il ne suffit pas d’une observation nouvelle, d’une seule preuve, pour abolir l’ancienne théorie.


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Selon Kuhn, l’observation du comportement de la communauté scientifique devant une série de faits nouveaux montre que, face à une anomalie, les savants préférèrent encore élaborer des versions réactualisées de leurs théories, avec des remaniements ad hoc, plutôt que d’accepter que le monde puisse obéir à d’autres lois que celles de leurs normes idéales. On ne dit jamais qu’un paradigme est faux avant de l’avoir remplacé par un autre.

SUSAN KARE [d]

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[d] http ://www.kare.com/

Susan Kare est une artiste et designer graphique. Elle est le designer de nombreuses polices, icônes, et du matériel de marketing pour le système d’exploitation d’origine de Macintosh. Les influences de son travail de pionnier peuvent encore être vues dans de nombreux outils et accessoires informatiques graphiques, comme les icônes telles que le lasso, le Grabber et le Pot de peinture. Elle est une des figures de base du pixel art, ses œuvres les plus connues de son temps avec Apple sont les caractères de Chicago (police la plus importante de l’interface utilisateur vue dans Mac os Classic, ainsi que la police de caractères utilisée dans les quatre premières générations de l’interface Apple iPod), la police de caractère Genèva, l’original monospace Monaco, Clarus the Dogcow la mascotte des développeurs Macintosh, le Happy Mac (l’ordinateur souriant qui a accueilli les utilisateurs de Mac lors du démarrage de leurs machines), et le symbole sur la touche Commande sur clavier Apple. Le travail de Kare a donné à Macintosh un langage visuel qui était universellement invitant et intuitif. Au lieu de penser chaque image comme une petite illustration d’un objet réel, elle vise à concevoir des icônes qui sont instantanément compréhensibles tels les panneaux de signalisation. Ces icônes simples et rassurantes permettent aux créatifs des années 80, qui ne se considèrent pas comme des experts en informatique, d’ouvrir leur palette d’outils en y intégrant l’ordinateur de façon plus intuitive. Après avoir quitté Apple, Kare rejoint NeXT en tant


que designer, en collaboration avec des clients tels que Microsoft et ibm. Beaucoup de ses icônes, telles que celles pour le Bloc-notes et divers panneaux de contrôle, sont demeurées essentiellement inchangées par Microsoft jusqu’à ce que Windows xp. Kare dirige actuellement un studio de design numérique à San Francisco.

SYSTÈME TECHNIQUE SELON BERTRAND GILLE

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Bertrand Gille (1920-1980) est un archiviste et historien français. Auteur, entre autres, d’Histoire des techniques : Prolégomènes à une histoire des techniques [e]. Dans une série d’ouvrages qui ont fait date, Bertrand Gille nous donne une vision de l’histoire des techniques aussi intéressante que pertinente. Il est une des références majeures dans le domaine de l’histoire des techniques. Dés ses premiers ouvrage il pose les jalons de l’élaboration d’un concept majeur celle de système technique. Un système technique est un ensemble intégré qui lie les divers aspects techniques d’une époque donnée et en circonscrit le cadre général, tout en marquant ses limites. Notons que pour déployer sa pleine signification, un système technique doit être associé au régime socio-économique qui gouverne la période où il s’inscrit. On peut en quelque sorte l’apparenter à la notion kuhnienne de paradigme. Comprendre l’histoire d’une technique particulière, c’est donc la situer à l’intérieur de la constellation qui l’enclot et lui donne sens. L’adoption d’un système technique entraîne nécessairement l’adoption d’un système social correspondant afin que les cohérences soient maintenues. Pour l’auteur le système technique est toujours en avance sur les autres systèmes humains (juridique, politique, économique, etc.) et d’expérience on constate que l’entrepreneur

[e] Bertrand Gille, Histoire des Techniques. Prolégomènes à une histoire des techniques, Édition publiée sous la direction de Bertrand Gille, Collection Encyclopédie de la Pléiade (n° 41), Gallimard, Paris, 1978.


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a tendance à résister aux changements de systèmes. Ainsi chaque époque serait caractérisée par une synergie entre quelques techniques fondamentales, créant ainsi une économie spécifique comme pour le système actuel basé sur le couple électronique/informatique.

USAGER

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Usager est un terme couramment employé pour désigner le sujet auquel est destiné un produit. Sa définition dans le dictionnaire est celle d’une personne utilisant un service public [f], c’est aussi une personne qui a un droit d’usage réel, qui utilise, l’utilisateur [g]. Le mot usage fait directement référence à l’usure, c’est-à-dire au fait de pouvoir user d’un bien qui appartient à autrui [h]. L’usager serait donc une personne qui ne possède pas le produit qu’il manipule, mais possède le droit d’usage d’un service, d’un bien matériel appartenant à d’autres ou à tous. Le vocabulaire employé met donc l’accent sur l’usage des choses plus que sur leur possession. Le produit n’apparaît pas être le but du projet, mais un moyen dont le sujet use. La notion d’usagers est connectée à celle de la réception, il reçoit un service, mais il est aussi acteur au-delà de cette réception. Dans l’Internet par exemple, il ne reçoit pas seulement l’information qui consomme, il va aussi la chercher et de plus en plus souvent, il envoie lui-même à d’autres internautes [i]. Il est aussi producteur de réseautage, de communauté.

UTILISATEUR L’utilisation s’apparente à la notion d’usage, à la différence que l’utilisation induit simplement une manipulation des objets. [f] Alain Rey (sous la direction de) Le grand Robert de la langue française, version numérique, 2001. [g] Wikipédia, http ://fr.wikipedia. org/wiki/Usager

[h] Le grand Robert de la langue française, version numérique, 2001. [i] Louise Merzeau, L’intelligence de l’usager. Manuscrit auteur, publié dans L’usager numérique, inria, octobre 2010

[En ligne], http ://tinyurl.com/ q2ywa43


Pour Louise Merzeau l’utilisation est connectée à une pratique au sein d’un système technique [j]. Dans le Grand Robert, l’utilisateur est effectivement une personne qui utilise une machine, un appareil [k]. Là où l’usage fait référence à une consommation culturelle, l’utilisation se rapporte plutôt au rapport entre l’homme et la machine. Elle dépend a priori d’un équipement et d’un savoir procédural (respect d’un mode d’emploi).

WEB 2.0

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Le concept de Web 2.0 est apparu en octobre 2004 lors d’une conférence brainstorming entre la société O’Reilly Média (du nom de son fondateur Tim O’Reilly [l]) et la société MediaLive International. Il y est décrit comme une attitude plutôt qu’une technologie. Le Web 2.0 évoquerait donc plutôt de nouveaux principes pour Internet, l’émergence de nouvelles pratiques et habitudes de la part des internautes. En cela, il est difficile de bien le définir puisque le concept peut recouvrir plusieurs réalités différentes. Il semble cependant acquis que c’est le fait de recentrer l’utilisateur et ses pratiques au cœur de l’Internet qui en est le point le plus marquant. L’expression Web 2.0 désigne l’ensemble des techniques, des fonctionnalités et des usages du Web qui ont suivi la forme originelle du Web. Elle concerne en particulier les interfaces permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de s’approprier de nouvelles fonctionnalités du Web. Les internautes peuvent d’une part contribuer à l’échange d’informations et interagir (partager, échanger, etc.) de façon simple, à la fois au niveau du contenu et de la structure des pages, et d’autre part entre eux, créant notamment le Web social. L’internaute devient, grâce aux outils mis à sa disposition, une personne active sur la toile.

Les sept principes du Web 2.0 Tim O’Reilly définit sept principes que pourraient [j] Ibid. [k] Le grand Robert de la langue française, version numérique, 2001.

[l] What Is Web 2.0 Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software http ://tinyurl.com/m5l7bln


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[m] Ce que Chris Anderson nomme la longue traine (force collective des petits sites qui représente l’essentiel du contenu du web). Voir à ce propos : La Longue Traîne - La nouvelle économie est là, Pearson, ‎ 2009, 2e éd.

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revendiquer des sites Web se voulant 2.0. Le Web en tant que plate-forme : La logique du Web se libère du fonctionnement économique des licences au profit des applications en ligne pouvant toucher l’intégralité du Web, jusque dans sa périphérie [m]. De fait, c’est l’ensemble de l’architecture du Web qui se voit ici bouleversée au profit d’une architecture de participation mettant en valeur une nouvelle éthique de coopération et donnant un poids certain aux utilisateurs eux-mêmes. Tirer parti de l’intelligence collective : L’implication des utilisateurs dans le réseau devient le facteur-clé pour la suprématie du marché, c’est l’importance grandissante du Web social. La puissance est dans les données : La compétition entre les grandes firmes du Web se porte au niveau de la possession de données stratégiques afin de se placer en intermédiaire privilégié auprès des utilisateurs. L’exemple le plus connu pourrait être celui du moteur de recherche Google qui a fondé son modèle sur l’utilisation des données des usagers à partir desquelles il a créé une base d’exploration, mais on pourrait citer de la même façon l’index de Yahoo! ou la base de produit d’Amazon. De même alors que les logiciels libres se sont opposés aux logiciels propriétaires, on voit apparaître des données libres s’opposant aux données propriétaires à travers des initiatives comme Wikipédia ou encore la licence Creative Commons. La fin des cycles des releases : Puisque l’ère Internet du logiciel le propose en tant que service et non plus en tant que produit, le modèle d’affaire des sociétés de logiciel se voit modifié : ces dernières ne sortent plus de nouvelles versions de leurs produits, mais une longue période de test, dite bêta, leur permettant d’évaluer en tant réel l’efficacité de nouvelles fonctionnalités.


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Des modèles de programmation légers : C’est la simplicité apparente des nouveaux services qui fait leur popularité et leur succès. Le logiciel se libère du pc : Une autre caractéristique du Web 2.0 est que ce dernier tend à se libérer du PC qui ne devient plus un espace incontournable pour utiliser des logiciels. Ainsi voit-on apparaître des tentatives pour créer des mobtop, des bureaux accessibles à partir de son téléphone mobile, tandis que les appareils portables, reliés directement à un système Web massif à l’instar de l’iPod dans le domaine de la musique – le pc servant uniquement de mémoire locale ou de station de contrôle, semblent se développer. Là encore la gestion des données est clairement le cœur de l’offre de service. Enrichir les interfaces utilisateurs : L’enrichissement des interfaces utilisateurs n’a eut de cesse depuis l’aube des navigateurs. ajax [n] est un élément clé des applications Web 2.0 telles que Flickr ou encore Gmail et offre un confort d’utilisation sans précédent. Mais le chantier reste grand et la marge de progression considérable dans le domaine de l’amélioration des l’expérience utilisateur (ux design) Web et les recherches sur l’usabilité. Révolution pour les uns, concept marketing pour les autres, ou simple évolution du Web, le concept du Web 2.0 est au cœur des réflexions depuis son invention en 2004. La discussion semble d’abord d’ordre sémiotique. Ce terme Web 2.0, suffisamment fort pour regrouper des observations éparses, mais importantes, renvoie à la fois à l’industrie logicielle aux nombreuses versions, mais aussi au concept de paradigme qui veut que d’un point de vue historique, la pensée se construise par étapes. Une évolution possible du Web 2.0 pourrait être l’application du concept d’information liquide, un projet de Frode Hegland, chercheur à l’Interaction

[n] L’une des caractéristiques du renouveau du web est l’utilisation grandissante d’une nouvelle technologie nommée ajax, un acronyme signifiant Asynchronous JavaScript + xml. Il ne s’agit pas réellement d’une technologie et encore moins d’un logiciel. Il s’agit

plutôt d’une façon d’appréhender et d’utiliser les technologies déjà existantes (xml, dom, css, JavaScript...) et, comme toutes les nouveautés du web 2.0, ajax était probablement déjà utilisé par des développeurs depuis des années.


g

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Center de l’University College de Londres. Il s’agirait de transformer la structure de l’information sur le Web. Dans ce nouveau Web, tous les documents deviennent éditables et tous les mots sont potentiellement des hyperliens [o].

XEROX PARC ET LES GUI (GRAPHICAL USER INTERFACE)

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[o] Sur le web tel qu’on le connaît, les liens hypertextes sont placés manuellement par le rédacteur de la page internet. Le projet d’Hegland est de transformer chaque mot du web en hypermot et de permettre à chaque internaute d’intervenir sur tous les contenus via un menu déroulant permettant d’accéder à des informations complémentaires, relatives à ce mot : sa traduction en d’autres langues, sa définition, lancer une recherche dans google, une recherche dans un site commercial. L’interaction est valable aussi pour un paragraphe

En informatique, une interface graphique (en anglais gui pour graphical user interface) est un dispositif de dialogue homme-machine, dans lequel les objets à manipuler sont dessinés sous forme de pictogrammes à l’écran, que l’usager peut utiliser en imitant la manipulation physique de ces objets avec un dispositif de pointage, le plus souvent une souris. Dans les années 1970 les ingénieurs du Xerox parc développent de nombreuses des idées sur les interfaces graphiques à partir des huit principes suivants [p] : Des modèles conceptuels familiers à l’utilisateur; Voir et pointer contre se souvenir et dactylographier; wysiwig : What you see is what you get, signifiant littéralement en français ce que vous voyez est ce que vous obtenez (permet de composer visuellement le résultat voulu); Des commandes universelles; Cohérence; Simplicité; Interaction non modale (qui ne bloque pas les interactions avec les autres fenêtres); Modularité utilisateur. que l’usager pourra s’envoyer par courrier électronique, bloguer, traduire, imprimer. [p] Nicole Lompré, Laboratoire Société Environnement Territoire UMR 5603 du CNRS et Université de Pau.


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Cette édition a été conçue par Laetitia Boiteau. Imprimé en 13 exemplaires à l'École Supérieure d'Art des Pyrénées, site de Pau, sur du papier Cyclus off set 170 g pour la couverture et 80 g pour les pages interieures. Cet ouvrage est composé avec la police de caractères Open source Raleway, dessinée par Matt McInerney.



Remerciements à Corinne Melin et Julien Drochon pour leur accompagnement et leur soutien constants, ainsi qu’à Perrine Saint Martin pour sa précision. Remerciements à l’équipe de l’École Supérieure d’Art des Pyrénées, ainsi qu’à Catherine Melin pour les étourneaux, à Donnato Ricci pour son aiguillage opportun, à Claudine et Jean Marc Moron sans qui tout cela n’aurait été possible.


Mémoire présenté par Laetitia Boiteau, sous la direction de Corinne Melin DNSEP Grade de master Option Art Mention Design Graphique et Multimédia École Supérieure d’Art des Pyrénées site de Pau Avril 2015


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