C O N S T R U C T I O N D E S T R U C T I O N RECONSTRUCTION Histoire des plans et projets pour le centre-ville de Beyrouth
Laetitia-Nour Hanna Sous la direction de Benoit Moritz
ULB - Faculté d’Architecture La Cambre - Horta 2019-2020
C O N S T R U C T I O N D E S T R U C T I O N RECONSTRUCTION Histoire des plans et projets pour le centre-ville de Beyrouth
Laetitia-Nour Hanna Sous la direction de Benoit Moritz
Travail de Fin d’Etudes ULB - Faculté d’Architecture La Cambre - Horta Année académique 2019-2020
Table des matières Remerciements 9 Liste des sigles utilisés 10 Abstract 11 Introduction 13 Chapitre I -Histoire du Liban 17 Situation géographique 18 Histoire de l’urbanisme de Beyrouth 18 Période romaine 20 Epoque médiévale 20 Beyrouth sous l’Empire ottoman (1520-1918) 24 Le Liban sous Mandat Français (1918-1943) 28 Approche théorique ; la ville comme superposition d’éléments 35 Le plan Danger, première phase de développement du centre-ville (1932) 37 Contexte 37 Acteurs 37 Projet 38 Résultat 39 Plan de Michel Ecochard, base des principales infrastructures urbaines (1943) 41 Contexte 41 Acteurs 41 Projet 41 Résultat 43 Chéhab, l’IRFED et Ecochard ; nouveau souffle pour Beyrouth (1963) 45 Contexte 45 Acteurs 48 Projet 51 Résultat 52 Casablanca, ou l’urbanisme fonctionnaliste de Michel Ecochard 52 Le Livre Blanc ; diagnostic d’une défaite 54 Conclusion 54 5
Chapitre II - La guerre civile et ses répercussions sur le territoire 59 Le Liban durant les années précédant la guerre 60 Histoire de la guerre 60 La ligne verte de Beyrouth, comparaison avec le Mur de Berlin 62 Plan APUR (1977) 67 Contexte 67 Acteurs 67 Projet 68 Résultat 70 Le SDRMB en 1982, deuxième tentative de reconstruction 72 Contexte 72 Acteurs 72 Projet 73 Résultat 75 Chapitre III - Projets et reconstruction d’après-guerre 79 Situation au lendemain de la guerre 80 Création de SOLIDERE 80 Limites géographiques du centre-ville de Beyrouth 82 Vision de la reconstruction 83 Plan Eddé (1991) 83 Contexte 83 Acteurs 84 Projet 84 Résultat 87 Plan Louis Sato (1993) 89 Contexte 89 Acteurs 89 Projet 89 Résultat 92 Approches urbanistique et architecturale des années 1990 94 Le tournant des années 90 à Beyrouth 94 Le Village Olympique de Barcelone, un exemple de l’approche urbanistique et architecturale des années 1990 95 Potsdamer Platz à Berlin, un exemple de (re)construction sur base de tabula rasa 99 6
1993-2020 : Mise en œuvre du plan par Solidere 103 Contexte 103 Organisation urbanistique et temporelle de la reconstruction 108 Qu’est-ce qu’un centre-ville ? Observation de Beyrouth sous l’œil de Gustavo Giovannoni 110 Qu’est-ce qui caractérise un centre-ville ? 111 Centre-ville = centre commercial ? réflexion à partir du Junkspace de Koolhaas 114 Chapitre IV - Artefacts de la ville nouvelle 117 Les souks, un nouvel aménagement pour les besoins actuels 120 La place de l’Etoile, ou la conservation du passé 127 La place des Martyrs, un no-man’s land en quête d’une nouvelle identité 134 Saïfi, village urbain. 140 Conclusion 144 Commentaires 144 Conclusion 151 Bibliographie 157 Source des images
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Remerciements C’est avec une pointe d’amertume et un soupçon de nostalgie que j’écris ces dernières lignes qui marquent la fin de ce travail acharné. D’abord et avant tout, j’aimerais remercier mon promoteur, Mr. Benoit Moritz, qui m’a suivie et aidée deux ans durant et sans qui ce travail n’aurait pas eu lieu. Merci pour sa bienveillance, ses conseils et son implication. Je voulais aussi remercier ceux qui m’ont soutenue durant les périodes difficiles, principalement mes parents, mon frère et ma sœur; Emile et Yasmina, ainsi qu’Alexis et Zeyn qui ont dû me supporter durant mes innombrables crises de nerfs. Merci à tous ceux qui m’ont accompagnée durant ce périple et qui ont cru en moi, principalement mes enseignants et mes maitres de stages. Merci aussi à toutes les personnes qui ont été impliquées, de près ou de loin, dans ce Travail, notamment Habib Debs qui m’a ouvert les portes de son atelier afin d’acquérir des informations concernant le centre-ville, ainsi que Bechir Moujaes qui m’a offert de son temps pour m’éclairer sur certains points. Merci aussi à Fadi Ghazzaoui, qui, grâce à sa collection de plans et de cadastres m’a permis de retracer l’histoire de ce centre-ville qui est le mien. J’aimerais faire une spéciale dédicace à Jacques Liger-Belair, qui a réussi à me transmettre sa passion et son admiration pour l’architecture, et sans qui je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui. Les petits-déjeuners chez Bonne Maman me marqueront à jamais. Enfin, j’aimerais remercier toutes celles et ceux que je n’ai pas cités, mais qui ont une petite place dans mon cœur et qui se reconnaitront dans ces pages.
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Liste des sigles utilisés ACA Agence Coopération et Aménagement APUR Atelier Parisien d’Urbanisme BCEOM Bureau Central d’Etude pour les Equipements d’Outre-Mer CDR Conseil du Développement et de la Reconstruction CEGPVB Conseil Exécutif des Grands Projets de la Ville de Beyrouth CERMOC Centre d’Etudes et de Recherches sur le Moyen-Orient Contemporain CET Coefficient d’Exploitation du Territoire CIAM Congrès Internationaux d’Architecture Moderne DGU Direction Générale de l’Urbanisme IAURIF Institut d’Aménagement Urbain de la Région Ile-de-France IRFED Institut de Recherche et de Formation en vue du Développement JO Jeux Olympiques OLP Organisation de Libération de la Palestine PAEE Plan d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension RMB Région Métropolitaine de Beyrouth RPBW Renzo Piano Building Workshop SDATL Schéma Directeur d’Aménagement du Territoire Libanais SDN Société des Nations SDRMB Schéma Directeur de la Région Métropolitaine de Beyrouth SFU Société Française des Urbanistes SOFRETU Société Française d’Etude et d’Aménagement des Transports SOLIDERE Société Libanaise de Développement et de Reconstruction SPRV Société des Plans Régulateurs des Villes
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Abstract A travers une analyse chronologique des différents plans et projets établis pour le centre-ville de la capitale libanaise, Beyrouth, ainsi que pour le Grand Beyrouth, principalement depuis l’époque du Mandat français jusqu’à la reconstruction d’après-guerre, l’objectif est de placer ce territoire dans les tendances de l’époque, pour ensuite isoler un certain nombre d’artefacts de la ville reconstruite afin d’étudier la relation entre leur morphologie urbaine et les usages de la population actuelle. Mots-clés Beyrouth, centre-ville, projets, Solidere, reconstruction, guerre, typologie
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Introduction Depuis ma plus tendre enfance, le centre-ville de Beyrouth m’a toujours paru comme un espace quelques peu énigmatique. Territoire sublimé au cœur du chaos des constructions de Beyrouth, lieu de croisement des voies de circulation, lieu de commerces, de pavés, de bars et de cinémas, cet espace m’est toujours apparu comme étant le lieu de tous les contrastes. Contrastes en son sein, mais aussi contrastes avec le reste de la capitale libanaise. Le centre-ville que j’ai connu durant mes premières années a été celui de la reconstruction. Ponctué de grues, animé par le brouhaha des tracteurs et dégarni des bâtiments délabrés, la reconstruction de Beyrouth était le symbole d’un renouveau de la ville, et le nouveau Beyrouth qui était sur le point de sortir de terre était attendu comme le Messie. Durant les années qui ont suivi, j’ai eu l’occasion de me promener à plusieurs reprises dans ce nouveau centre-ville ; la place de l’Etoile était mon terrain de jeu préféré, sa typologie radioconcentrique me permettant de faire des tours à vélo à l’infini ; Saïfi me faisait penser à ces petites maisons colorées comme l’on pouvait trouver à Tyr en bord de mer ; les souks étaient l’espace idéal pour jouer à cache-cache avec mes amis. Mais les souvenirs et les rires d’enfants ont vite été rattrapés par la réalité. 2005. Assassinat de Rafic Hariri, Premier Ministre à l’époque. Des milliers de Libanais, des quatre coins du pays se rassemblent sur la place des Martyrs pour demander justice. Les années qui ont succédé à l’assasinat du Premier Ministre ont transformé petit à petit le visage du centre-ville de Beyrouth, et je n’en garde que de très vagues souvenirs. Je me souviens encore de la place de l’Etoile qui avait été inanimée, ses commerces faisant faillite les uns après les autres. Je me souviens aussi de la place des Martyrs, qui s’est quelques peu transformée en énorme parking à ciel ouvert. Je me souviens des seules périodes d’activité du centre, qui, le temps d’une soirée de fin juin, vibrait au rythme de la musique. Enfin, je me souviens de cette énorme banderole posée sur la façade de l’Hôtel Saint Georges, qui donne sur la mer : « STOP SOLIDERE ». Et c’est là que j’ai compris. Solidere, une société foncière chargée de s’occuper de la reconstruction du centre-ville après la guerre civile, et créée à cette occasion précise, avait pour vocation première de remettre Beyrouth sur la carte mondiale. Elle a donc entrepris des travaux de destructions d’abord, pour par la suite se focaliser sur des secteurs de conservation ainsi que des reconstructions. Ces travaux 13
ont ainsi permis de redonner une nouvelle façade à la capitale après la guerre civile de 1975-1990 – les « évènements » comme on les appelle. Néanmoins, en voulant paraitre trop grand, trop majestueux, trop imposant et trop dans l’ère du temps, ce centre-ville a perdu sa vocation principale ; être au service des Libanais, et de tous les Libanais, peu importe leur affiliation politique, religieuse ou encore leur classe sociale. Désormais, le centre-ville que l’on connait se résume à des hauts buildings au niveau de la baie de Saint Georges, côtoyant des hôtels qui portent encore les stigmates de la guerre, des espaces conservés mais trop sublimés, polis afin d’enlever toutes les traces des évènements passés, sans oublier les embouteillages à n’en plus finir, où les klaxons des voitures viennent briser le silence de la ville. Me vient alors une question : comment la reconstruction du centre-ville de Beyrouth a-t-elle mené à un tel aménagement de l’espace ? Quels sont les tenants et les aboutissants de cette reconstruction, et quel est le rapport entre la typologie urbaine et l’appropriation de l’espace par la population locale ? MÉTHODOLOGIE A travers une approche chronologique, nous retracerons dans un premier temps l’historique de ce territoire qu’est le centre-ville de Beyrouth depuis la période romaine jusqu’à la veille de la reconstruction, ce qui nous permettra de comprendre sa position stratégique au fil des siècles. Par la suite, nous étudieront les projets mis en œuvre pendant et au lendemain de la guerre civile de 1975-1990 dans le cadre de la reconstruction, afin de mettre l’accent sur les enjeux de cette reconstruction. Les deux derniers chapitres se focaliseront sur le projet de la reconstruction d’après-guerre finalement réalisé. Une étude plus approfondie de quatre artefacts de la ville reconstruite nous aidera ainsi à répondre à cette dernière question ; un retour à une typologie urbaine passée garantit-il le bon fonctionnement de la ville présente ? Tout au long de ce travail, des comparaisons perpétuelles et ponctuelles avec des exemples de projets à l’étranger, réalisés ou non, permettront d’inscrire le centre-ville de Beyrouth dans le courant international de l’époque.
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Figure 1 - STOP SOLIDERE, banderole située sur l’ancien Hôtel Saint Georges
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Chapitre I Histoire du Liban
Dans ce premier chapitre, nous allons nous focaliser sur la situation géographique du Liban et plus principalement du centre-ville de Beyrouth, en l’inscrivant dans les différents plans établis par les nombreuses civilisations qui ont occupé ce territoire, depuis la période romaine jusqu’à la période suivant l’Indépendance du Liban, en passant par la période médiévale et l’époque du règne de l’Empire ottoman notamment. L’objectif premier et d’avoir un aperçu historique de la situation, ainsi que de développer une approche chronologique de la ville qui démontre sa stratification au fil des siècles.
Situation géographique Le Liban est un territoire de 10 452 km2 qui a vu défiler de nombreuses civilisations au cours du temps. Il est situé en Asie, fait partie de la région du Moyen-Orient, et est limité par la mer Méditerranée à l’ouest, par la Syrie au nord et à l’est, et par Israël au sud. Le Liban se distingue des autres pays du Moyen-Orient par son caractère montagnard et l’absence de désert en son territoire. Il est composé d’un littoral long de 220 km, d’une première chaine de montagnes, appelée le Mont-Liban, d’une plaine fertile (la Békaa), ainsi qu’une deuxième chaine de montagnes nommée Anti-Liban, et qui fait office de frontière avec la Syrie. Cette dernière joue le rôle de refuge, alors que la plaine est destinée aux exploitations agricoles, qui permettent de nourrir l’ensemble du pays1. La caractéristique majeure de ce pays est qu’il se situe entre mer et montagne, la côte étant la zone à la densité la plus importante. Grâce à sa situation stratégique et son ouverture vers la mer, le Liban a, depuis toujours, été caractérisé comme étant une « plaque tournante » pour le MoyenOrient. Actuellement, le centre-ville de Beyrouth présente des typologies urbaines variées, qui prouvent la position centrale de ce territoire au fil des siècles. La stratification élaborée au fil du temps par les diverses civilisations est toujours marquée dans la ville actuelle.
Histoire de l’urbanisme de Beyrouth Au cours de l’histoire, cette partie du monde a vu défiler de nombreuses civilisations, qui ont, chacune à leur tour, laissé des traces sur le territoire. Ceci explique aussi la mosaïque confessionnelle et le pluralisme culturel présents au Liban jusqu’à nos jours. Ces différentes civilisations se sont généralement succédé en gardant des traces des civilisations antérieures. C’est avec l’Empire ottoman que débute l’époque moderne. Elle se poursuivra avec le Mandat français, époque durant laquelle de fortes ruptures avec l’urbanisme des siècles précédents se font ressentir. Nous allons, pour cette partie, nous focaliser sur les différentes civilisations qui ont occupé Beyrouth, sans nous attarder sur les autres villes du Liban actuel qui ont été occupées, puisque notre objectif premier est de voir l’évolution de l’urbanisme du centre-ville de Beyrouth au cours des siècles. 1 VERDEIL, Eric ; FAOUR, Ghaleb ; VELUT, Sébastien. Atlas du Liban. Territoires et société. Beyrouth, Presses de l’IFPO, CNRS Liban. 2007. p.8
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Figure 2 - Carte du Liban avec les grandes villes et le rĂŠseau routier principal
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PÉRIODE ROMAINE Beyrouth, en l’an 14 avant J-C, devient colonie romaine sous le nom de « Colonia Julia Augusta Felix Berytus »2, en hommage à la fille d’Octave3. Néanmoins, ce n’est qu’entre le IIIe et le VIe siècle qu’elle acquière son importance commerciale et sa réputation grâce son Ecole de Droit, qui dépassera en notoriété celles d’Athènes et d’Alexandrie 4. Le statut impérial de la ville s’est reflété par la construction d’un forum et d’un capitole pour la vénération. Beyrouth de l’époque romaine était une ville fortifiée qui s’organisait selon le principe de zonage. Elle s’étendait selon un axe nord-sud (le Cardo-Maximus) et un axe est-ouest (le Decumanus-Maximus)5, le forum occupant la principale jonction de ces deux axes6. A cette époque, Beyrouth n’était pas encore considérée comme la capitale de la Phénicie, donnant ce rôle à Tyr, une ville importante située au sud du pays. Elle faisait néanmoins partie de la Phénicie Maritime, et jouait un rôle majeur dans les échanges grâce à son port. L’agglomération se fait alors une place dans le monde, principalement via l’exportation de productions vers l’Occident; comme le vin, le pourpre, le verre et la soie7. De plus, grâce à son centre urbain, cette ville devient de plus en plus importante, principalement pour des évènements dont les enjeux englobaient l’ensemble de l’empire romain8. Jusqu’à nos jours, de nombreuses fouilles archéologiques sont entreprises dans le centre-ville, et les travaux de construction permettent de découvrir et bien souvent d’extraire des vestiges de l’époque romaine.
2 KHANAFER, Joumana. La reconstruction du centre-ville de Beyrouth. (ISACF-La Cambre, Mémoire de fin d’études, sous la direction de Jean-Paul Pouchous, 1995). P.12 3 KASSIR, Samir. Histoire de Beyrouth. France, Editions Fayard, 2003. P.56 4 BEAUDAN, Collette Juilliard. Des Phéniciens aux Libanais. Les Cahiers de l’Orient, n°90, Février 2008, p.103 5 KHANAFER, Joumana. La reconstruction du centre-ville de Beyrouth. (ISACF-La Cambre, Mémoire de fin d’études, sous la direction de Jean-Paul Pouchous, 1995). p.13 6 KASSIR, Samir. Histoire de Beyrouth. France, Editions Fayard, 2003. P.58 7 ALIQUOT, Julien. La petite Rome de l’Orient. Dans : Historia, hors-série, juin-juillet 2019. P. 29 8 KASSIR, Samir. Histoire de Beyrouth. France, Editions Fayard, 2003. P.61
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Figure 3 - Restitution du plan de l’Êpoque romaine
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EPOQUE MÉDIÉVALE En 551, un raz-de-marée touche la Berytus romaine, et en 560 c’est un incendie qui ravage cette région. Berytus perd alors au fur et à mesure sa notoriété avec le déclin de l’Empire byzantin. La ville médiévale sera construite à la suite de ces évènements, sur les ruines. Une série d’affrontements et de guerres s’en suivent, entre les Croisées et les Arabes, menant à des destructions et reconstructions des murailles de la ville. C’est en 1110 que la ville capitule devant les croisés 9. Elle préserve néanmoins sa fonction commerciale, notamment grâce à un effort relativement rapide de reconstruction. En analysant le plan du centre-ville de Beyrouth durant l’époque médiévale, et en positionnant par-dessus celui de l’époque romaine qui l’a précédé, nous remarquons que les axes principaux de la ville médiévale semblent suivre ceux de l’époque antérieure. Certains axes secondaires, parallèles au Decumanus de l’époque romaine, forment une relation nord-sud et une connexion avec la mer. De plus, et grâce aux fouilles archéologiques entreprises sur le terrain, nous savons désormais que les grands axes d’égouts correspondent, à peu de choses près, à ceux de l’époque romaine. Néanmoins, une rupture entre les deux époques se fait ressentir, notamment avec la largeur des rues – plus larges pendant l’époque romaine – et le tracé de la ville, beaucoup plus organique durant l’époque médiévale.
9 Loc. cit.
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Figure 4 - Restitution du plan de l’époque médiévale
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BEYROUTH SOUS L’EMPIRE OTTOMAN (1520-1918) Création et organisation des tanzimats Jusqu’à la fin du XIXe siècle, Beyrouth était une ville fortifiée, contenant six grandes portes et un appareil administratif composé du Sérail, de la maison du juge et de deux prisons 10. En 1888, et vu sa croissance démographique, Beyrouth fut nommée capitale d’une wilaya. En vue d’une modernisation, l’Empire ottoman entreprit des réformes de l’espace urbain et de l’ensemble des structures, notamment en 1838 et 1856. Ces réformes, connues sous le nom de tanzimat 11, sont inspirées par l’Europe et bien souvent par la France dans certains domaines. Elles vont « provoquer une mutation profonde des modes de production et de contrôle de l’espace urbain, ainsi que du rôle de l’Etat dans l’ensemble de l’Empire ottoman » 12. Inspirées du modèle français, elles auront principalement des répercussions au niveau de la législation ; les terres seront inscrites selon le nom de leur occupant, le terrain sera divisé en cadastres, les expropriations seront permises à des fins d’utilité publique. Première reconstruction du centre-ville de Beyrouth Dans le cadre de la modernisation des structures de l’Empire ottoman, Beyrouth connut des travaux d’assainissement, de pavage de rues, et d’agrandissement du port 13. Lorsque les portes de la ville furent détruites entre 1840 et 1876, différentes nouvelles infrastructures virent le jour, comme la route Beyrouth-Damas inaugurée en 1863, construite dans l’urgence vu la grandissante importance économique de la ville, la création du chemin de fer en 1895, l’élargissement du port en 1888 14, ainsi que le développement urbain. Ainsi sont nées les places Hamdiyyeh, future place des Martyrs, et Al-Sour, l’actuelle place Riad Al-Solh. D’un autre côté, et dans un objectif d’affirmation du pouvoir ottoman, plusieurs équipements administratifs, qui se démarquent par leur monumentalité, apparurent. On peut nommer à cet effet le Grand Sérail, dressé sur une colline, ainsi que le Sérail ottoman (le Petit Sérail), implanté sur la place Borj. Equipements administratifs donc, mais aussi équipements pour activités récréatives et espaces verts, inspirés par les courants d’urbanisme en Europe de la seconde moitié du XIXe siècle. Ces nouveaux espaces publics revendiquent la volonté de l’Empire ottoman de ne pas se limiter à ses fortifications, mais de s’étendre au-delà de ses frontières. 10 GHORAYEB, Marlène. Beyrouth sous mandat français. Construction d’une ville moderne. Paris, Editions Karthala, 2014. P.7 11 Tanzimat vient du mot tanzim ; qui signifie en arabe organisation, mise en ordre. 12 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, 2001. P.9 13 Loc. cit. 14 Loc. cit.
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Figure 5 - Vue de Beyrouth durant la pĂŠriode ottomane
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Avant même l’abolition de ses fortifications et de ses portes, Beyrouth était déjà un centre économique important, grâce à son port qui permettait l’exportation de la soie notamment. Elle acquit par la suite un rôle logistique majeur du territoire, en devenant le centre juridique principal auquel étaient rattachées vingt-sept régions 15. L’implantation de fonctions administratives, religieuses et économiques (notamment via l’instauration des souks), lui confère finalement cette notion de centre. C’est donc à partir des années 1840 que l’on voit apparaitre, grâce à sa position géographique stratégique et aux bâtisses administratives, religieuses et économiques, le rôle de Beyrouth comme étant un centre administratif, économique et commercial. Par la suite, en 1878, un projet de modernisation des infrastructures a été voté par la Municipalité, dont l’objectif était de se conformer aux principes occidentaux d’hygiénisme et de conception. Ce fut la première fois qu’un urbanisme moderne fut introduit à Beyrouth. En 1915, le commandant de l’armée turque, Jamal Pacha, ordonna au gouverneur de la ville d’entreprendre des expropriations dont l’objectif serait d’ouvrir des rues allant du centre-ville au port. Le gouverneur de la ville ; le wali de Beyrouth, exigea par la suite à la municipalité de Beyrouth de faire procéder des démolitions au sein de la vieille ville, afin de réaliser ces percées qui avaient été projetées depuis les années 1890. Ce projet définissait le point de départ d’une ottomanisation de Beyrouth. Les percées prévues permirent la création de ce qui allait devenir la rue Foch-Allenby, et se poursuivirent vers le sud, le long de ce qui allait devenir la rue Maarad, et parallèlement dans la rue Fakhr-al-dine 16. Néanmoins, la chute de l’Empire ottoman, à la suite du débarquement des troupes alliées en 1918, a laissé Beyrouth à moitié détruite, avec un tissu urbain déstructuré et un projet de modernisation inachevé 17.
15 SFEIR KHAYAT, Jihane. Beyrouth au milieu du XIXe siècle : naissance d’un centre. Dans : Beyrouth, Grand Beyrouth. Beyrouth, presses de l’Ifpo, 1996. 16 VERDEIL, Eric. Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plans (1946-1975). Paris, Presses de l’IFPO, 2009. p. 37 17 TABET, Jadse. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, 2001. P.11
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Figure 6 - Restitution du plan de la pĂŠriode ottomane (1923)
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LE LIBAN SOUS MANDAT FRANÇAIS (1918-1943) Contexte de la création du Mandat Français Lors des accords Sykes-Picot signés en 1916, et à la suite de leur victoire, la France et la Grande Bretagne se sont partagés les territoires de l’Empire ottoman. « Institué par la Société des Nations, [...], le Mandat français sur les Etats du Levant inaugura une nouvelle forme de gouvernance coloniale, ambiguë dans sa définition, transitoire et sous le contrôle de la Société des Nations » 18. C’est donc en 1918 que débute le Mandat français au Liban. Il s’achèvera en 1943, date à laquelle ce dernier proclame son indépendance. Malgré sa brièveté, c’est pendant cette période que le Liban connait sa plus grande expansion, en termes urbanistiques surtout 19. Continuité avec les projets ottomans du centre de Beyrouth Dès 1920, et à la suite de la proclamation du Grand Liban par le Général Gouraud dans le cadre du mandat de la Société des Nations, Beyrouth devient officiellement la capitale du Grand Liban, regroupant les régions du MontLiban, de la Békaa, de Saïda et de Tripoli 20 (cf. supra ; figure 2), son centreville devenant le centre des activités gouvernementales et administratives. De plus, grâce à cet évènement, la France eut pour objectif de rendre viable une nouvelle entité politique. L’urbanisme fut mis au service de ce projet, principalement dans le centre-ville, où les expropriations et démolitions étaient restées inachevées. Le programme entrepris par la France dans le contexte du centre-ville s’inscrivit dans la continuité de ce qu’avait commencé la domination ottomane, dans le cadre de la réforme des tanzimats (cf. supra), plutôt que dans la rupture. En effet, les dirigeants du Mandat entreprirent dans un premier temps de poursuivre et de compléter les expropriations que les ottomans avaient débutées. La municipalité, ainsi que l’administration française soldèrent par la suite les conflits fonciers. En prenant comme point de départ les percées réalisées durant l’Empire ottoman, de nouveaux tracés orthogonaux virent le jour et portent le nom des vainqueurs : ainsi, on voit apparaitre la rue du Général Allenby, celle du Maréchal Foch, ainsi que la rue Weygand. Ces rues sont toujours présentes aujourd’hui, avec la dénomination qui leur avait été attribuée à cette époque. Les Français, plus soucieux de la modernisation de la ville que du respect de son patrimoine, détruiront quelques bâtiments de valeur, notamment une église byzantine lors des percements pour la création de la rue Allenby. 18 GHORAYEB, Marlène. Beyrouth sous mandat français. Construction d’une ville moderne. Paris, Editions Karthala, 2014. p.5 19 Ibid,p.6 20 BEAUDAN, Collette Juilliard. Des Phéniciens aux Libanais. Les Cahiers de l’Orient, n°90 Février 2008, p.105
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F o c h R u e
nby Alle Rue Rue Maar ad
ine Fakh r-ald Rue
Figure 7 - PercĂŠes ottomanes (Carte datant de 1919)
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D’un autre côté, le secteur de l’Etoile, organisé selon un plan radioconcentrique, subit un réaménagement, en continuité avec l’ordonnancement prévu lors de la période ottomane et qui fut partiellement réalisé. Le plan d’urbanisme, élaboré par Camille Durrafourd en 1926, introduisait un caractère monumental à ce secteur. Finalement, le projet restera tronqué, car pour le mener à bien, il aurait fallu détruire deux églises ; grecque-catholique et grecque-orthodoxe. La place des Martyrs, ancienne Sahat al Burj, subira, elle, un aménagement selon un plan rectangulaire. A une échelle plus large, et au-delà des limites du centre-ville de Beyrouth, le plan d’urbanisme était également similaire à ce qui a été proposé précédemment durant la période ottomane, à quelques exceptions près : les projets de l’avenue-promenade vers le bois des Pins, de l’hippodrome et du casino au sud furent abandonnés 21. Ils ne seront achevés qu’en 1919. Ruptures avec le passé ottoman de la ville Dans un second temps, les autorités du Mandat français s’inspirent principalement de deux références majeures : pour ce qui est des percements des avenues dans le tissu ancien et la brutalité des interventions, la principale source d’inspiration est l’intervention du Baron Haussmann à Paris. On voit alors apparaitre un système concentrique composé d’artères et d’axes radiaux qui portent, jusqu’à aujourd’hui, le nom de personnalités importantes européennes ; Foch, Allenby, Weygand... Ces axes prennent naissance depuis la place de l’Etoile, créée à l’image de la place Charles de Gaulle à Paris 22. On voit bien ici la volonté de la France d’étendre ses réflexions au-delà de ses frontières et de créer un nouveau centre-ville de Beyrouth à l’image de Paris. Concernant la recherche d’une esthétique urbaine et architecturale, elles puise son inspiration des courants d’embellissement qui ont cours à l’époque en France ; notamment l’Art Nouveau, l’Art Déco et la recherche de design 23. « La ‘médina’ beyrouthine est ainsi presque totalement détruite sous le Mandat – à l’exception des édifices religieux et de quelques souks –, et y prennent place un tout autre tracé de voirie, dont le cœur sera la place de l’Etoile, et des constructions de style mauresque, Art déco, moderne ou mixte. Les arcades de la rue Maarad reproduisent celles de la rue de Rivoli à Paris » 24. On voit alors apparaitre à Beyrouth un nouveau style architectural, mêlant éclectisme, Art Nouveau et pastiche : « grands rythmes verticaux de pierre 21 Loc. cit. 22 SAMARA, Rana. Urban reconstruction in the twentieth century: the postwar deconstruction of Beirut, Lebanon. April 1996. School of Architecture, McGill University, Montreal. P.38 23 AWADA, Fouad. « Les apports français et européens à l’urbanisme au Liban. Influences et résistances », dans : Conquérir et reconquérir la ville, l’aménagement urbain comme positionnement des pouvoirs et contre-pouvoirs. Liban, Editions ALBA. 2009, p. 178 24 Loc. cit.
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Figure 8 - Plan du centre de Beyrouth en 1921, indiquant les destructions opérées par les Ottomans en 1915 et le tracé des nouvelles rues Allenby et Foch.
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ocre ou rosé, pilastres, frontons et cariatides, mais aussi courbes langoureuses des rotondes et des balustrades travaillées, saillies ouvragées des bowwindows et des encorbellements qui cherchent l’ombre, portiques, galeries, colonnades, arcades, grilles et fenêtres ventrues, façades qui se travaillent, se compliquent, s’alourdissent, reflets de la hausse progressive du prix du terrain » 25. La rupture entre l’Empire ottoman et celle du Mandat français se marque aussi par le déplacement de la centralité de Beyrouth – située à l’époque ottomane sur la place des Martyrs avec le Petit Sérail – vers la place de l’Etoile, via la construction du parlement de la Jeune République. Au niveau urbanistique, la période du Mandat français marque principalement un découpage de la ville en zones, de typologies différentes : la place de l’Etoile, le quartier des banques, les vieux souks d’une part et les souks modernes d’autre part.
25 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.13-14
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Figure 9 - Rue Foch
Figure 10 - Rue Weygand
Figure 11 - Le Petit Sérail, érigé sur la place des Martyrs durant la période ottomane.
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Figure 12 - Restitution du plan de Beyrouth durant le Mandat franรงais
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APPROCHE THÉORIQUE ; LA VILLE COMME SUPERPOSITION D’ÉLÉMENTS L’analyse du tissu historique de Beyrouth nous fait prendre conscience de l’importance de cette ville et de son centre au fil des siècles, en lien avec sa situation géographique stratégique. On pourrait ainsi regarder ce territoire de façon théorique. Dans son ouvrage Le territoire comme palimpseste, André Corboz décrit le territoire comme étant le résultat de divers processus. Il subit les modifications géographiques ainsi que l’intervention humaine, ce qui en fait un espace en perpétuel mouvement. De plus, comme c’est le cas de Beyrouth, le territoire est également un produit. Il est en lien avec la population qui l’occupe, créant ainsi une relation de coexistence entre les deux. Le territoire est forgé par la population ; il en devient un artefact, un produit. Beyrouth, comme de nombreuses villes anciennes, est le résultat de cette superposition d’éléments et de composantes du territoire. De nombreux évènements peuvent aussi remettre en question l’équilibre de la ville : guerres, incendies, tremblements de terre, raz-de-marée, etc. Autant d’éléments qui jouent un rôle prépondérant dans la formation de la ville. Il y aura toujours un avant et un après cet évènement. C’est donc à la population de l’époque de décider si elle veut inscrire la ville dans une continuité avec le passé, ou au contraire, s’en éloigner. La ville se forge donc en fonction des populations qui l’occupent. Ces dernières façonnent le territoire, non seulement en créant et en construisant, mais aussi en effaçant. C’est cette stratification d’éléments qui permet d’inscrire la ville dans son contexte actuel. Il y a néanmoins différentes manières de concilier les différentes « vies » de la ville. Dans son ouvrage intitulé Dialectic City, Oswald Mathias Ungers 26 analyse différents cas de figure de développement d’une ville. Il en résume que la ville nouvelle peut s’étendre au-dessus de la ville ancienne, créant ainsi une superposition d’éléments, et définissant la ville nouvelle comme un nouveau calque que l’on place au-dessus des villes anciennes préexistantes. C’est le cas de Beyrouth. Un autre cas de figure serait de garder la ville ancienne et tout ce qu’elle propose comme aménagement urbain, et d’étendre la ville nouvelle autour de la ville ancienne. On aurait ainsi non pas une superposition d’éléments, mais une juxtaposition. C’est ainsi le cas de Barcelone, qui a étendu son territoire au fur et à mesure autour de la Ciutat Vella, autrement dit la Veille Ville.
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UNGERS, Oswald Mathias ; VIENTHS, Stefan. The dialectic city. Milan, Skira Editore, 1997.
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Figure 13 - Superposition des plans depuis la période Phénicienne à nos jours
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Le plan Danger, première phase de développement du centre-ville (1932) CONTEXTE
Cabinet Danger Frères et Fils
Au début du Mandat, la création d’un Plan d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension (PAEE) fut proposée par un urbaniste, afin de faire de Beyrouth une ville « moderne ». C’est dans ce cadre qu’un concours fut lancé en 1920 et ouvert aux « architectes et ingénieurs français établis en Syrie et syriens » 27. Ce concours avait pour objectif premier de « dégager le centre-ville par des voies rayonnantes, créer une voie circulaire autour de la ville et relier le centre à son environnement » 28, ainsi que la volonté de faire valoir les bâtiments de type monumental. Le concours ne sera finalement pas exécuté, mais le projet des voiries, tel qu’il est abordé dans le programme, sera exécuté à la fin du Mandat.
Le nom officiel du cabinet Danger est la SRPV (Société des Plans Régulateurs des Villes). Elle est créée par deux frères géomètres ; Raymond et René Danger, ainsi que les enfants de ce dernier ; Paul Danger, architecte ; et Thérèse, ingénieur de formation. La société se voit confier diverses missions, à Alep et Damas (Syrie), ainsi qu’à Beyrouth (Liban). A partir de 1928, René Danger (1872-1954) s’occupe des cours d’urbanisme à l’Ecole spéciale des Travaux Publics (Paris), ce qui augmente la notoriété de la société.
ACTEURS En 1930, l’urbaniste Paul Danger, à la suite de la demande de la Banque de Syrie, arriva au Liban. Il réalisa peu de temps après les plans pour les villes de Damas, Alep, et Beyrouth. En 1931, René Danger envoie son fils, Paul Danger ; qui sera chargé de « l’étude d’un plan d’embellissement de la ville »29. Au vu de l’accroissement considérable de Beyrouth, la question urbaine fut primordiale. L’hygiénisme fut au cœur du débat, incitant la création de nouvelles règlementations concernant la salubrité et l’hygiène. Ceci se concrétisa par la commande d’un PAEE (Plan d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension) pour Beyrouth.
Paul Danger (1900-1965), fils de René Danger, était quant à lui « inspecteur de l’urbanisme et de l’habitation au ministère de la Construction et professeur au CNAM, et également professeur à l’Ecole spéciale des travaux publics de 1930 à 1940 ». La SRPV est enfin dissolue en 1940, à la suite de nouvelles règlementations imposées par l’Ordre des architectes.
27 GHORAYEB, Marlène. Beyrouth sous mandat français. Construction d’une ville moderne. Paris, Editions Karthala, 2014. p.132 28 Ibid, p.133 29 Ibid, p.143
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PROJET PAEE de Beyrouth La Société des Plans Régulateurs des Villes (SPRV), aussi connue sous le nom de Danger Frères et Fils (Danger ff.), dirigée par Raymond et René Danger, deux frères, s’occupa de la mise en place du PAEE de Beyrouth. Elle travaillait depuis son bureau situé à Paris, et ne s’intéressait pas uniquement à une zone géographique déterminée, mais intervenait en fonction de la demande, où qu’elle soit ; dans la capitale, dans les colonies ou à l’étranger. Notons que le plan instauré par le cabinet Danger ne concernait pas uniquement le centreville de Beyrouth, mais plutôt Beyrouth Municipe dans sa totalité. La grille d’analyse mise en place engendra des projets différents pour chaque ville. Cette réflexion « se traduisait dans la forme par des plans topographiques, la traduction graphique des propositions d’aménagement et les analyses et solutions « socio-spatiales ». La ville se présenta comme une sorte de contenant, avec les mêmes composantes dont il s’agissait de saisir et de traiter les nuances à l’occasion de chaque intervention, à partir des grandes théories hygiénistes appliquées à l’espace » 30. Un rapport justificatif établi à la suite d’une enquête urbaine par les Frères Danger permit d’élaborer une proposition d’aménagement, basée sur les trois principes vantés par la SFU ; la Société Française des Urbanistes : assainissement de la ville, organisation via la circulation et le zonage, et enfin embellissement par la création de nouveaux aménagements. Assainissement Les frères Danger, principalement géomètres et urbanistes de formation, ne se sont pas attardés sur les facteurs principaux de l’aménagement d’une ville ; tels que la gestion des déchets ou encore la distribution et l’évacuation des eaux. L’assainissement dans leur proposition se traduisit néanmoins par la création d’espaces verts et l’aménagement de plantations le long de grands boulevards. L’aménagement de places, de voiries, d’espaces libres, etc. fut un outil fondamental, puisqu’il relève à la fois de la circulation mais aussi de l’agencement des quartiers et de leur assainissement 31. Circulation L’aménagement de la circulation permet de répondre à des questions d’hygiène et de liaisons. La circulation fut un problème majeur à Beyrouth, vu la topographie du terrain. Le principal objectif du cabinet Danger fut alors 30 Ibid, p.145 31 Ibid, p.155
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de prévoir les aménagements adaptés pour la ville future ; qui subira une augmentation du nombre d’automobiles. A ce sujet, trois axes principaux connus sous le nom de « circulation générale » furent proposés : TripoliBeyrouth, Damas-Beyrouth, et enfin Saïda-Beyrouth. Un boulevard circulaire, permettant de « laisser en repos la vieille ville » était aussi envisagé. Embellissement Dans l’organisation des quartiers, une proposition de zonage et de répartition des fonctions a été mise en place. Ceci permettrait une optimisation de la production, entre autres via la circulation, afin de la moderniser. Ainsi on vit apparaitre une activité commerciale sur la place des Martyrs, une zone industrielle située à l’est du port, ainsi que trois quartiers résidentiels ; Ras Beyrouth ; quartier dédié aux couches intermédiaires de la société, le quartier des Sables à l’ouest de la ville ; destiné aux plus aisés, ainsi qu’un nouveau quartier, non loin de la future zone industrielle, aménagé en cité-jardin et prévu pour la classe ouvrière. Le souci d’esthétique se confirma aussi au centre-ville de Beyrouth, où l’absence de perspective fut déplorée. Le cabinet Danger proposa donc de démolir le Petit Sérail, construction datant de l’époque ottomane, et de prévoir une rue commerçante au-delà de la rue Weygand. Ceci permettrait une perspective urbaine attrayante. La perspective s’achèverait sur des terrasses, des escaliers et une vue sur le large. Dans un second temps, l’idée de créer une avenue large de 70 mètres au pied du nouveau Sérail fut introduite. RÉSULTAT Le projet de PAEE établi par les frères Danger ne sera jamais appliqué, à l’exception de quelques tronçons de voies et du boulevard circulaire. Ceci est dû principalement à l’absence de règlementation, déplorée par les auteurs du plan. Néanmoins, l’approche urbanistique prônée par le cabinet Danger permit de fortifier l’approche hygiéniste de l’espace urbain, tout en entamant le débat sur les rapports entre urbanisme et règlementations.
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Figure 14 - Plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension de Beyrouth - SPRV, Cabinet Danger Frères et Fils (1932)
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Plan de Michel Ecochard, infrastructures urbaines (1943)
base
des
principales
CONTEXTE Malgré l’officialisation de l’indépendance du Liban, le 22 novembre 1943, la France gardera son influence sur le Liban jusque longtemps après la fin du Mandat. En 1940, Beyrouth ne bénéficiait toujours pas d’un plan d’aménagement qui serait appliqué, contrairement aux villes syriennes de Damas et d’Alep, dont l’urbanisme avait été dirigé par Michel Ecochard. ACTEURS Michel Ecochard est un architecte urbaniste français. Il conçoit une architecture basée sur les idées du mouvement moderne 32. Il se vit confier une mission temporaire au Liban, en 1941, par le haut-commissaire. Cette mission lui permit d’établir un premier diagnostic concernant les villes qui demanderaient un aménagement particulier, à savoir Tripoli, Beyrouth et quelques lieux d’estivage. Ce diagnostic, loin d’être complet, permit néanmoins à Ecochard, fort de ses expériences en Syrie, d’établir une réorganisation qui permettrait de répondre à l’urgence, tout en instaurant un programme d’urbanisme dans le pays 33. PROJET Contrairement au plan des frères Danger, qu’il caractérise comme un urbanisme d’alignement et dont il regrette le manque de vision d’ensemble et de cohérence34, Michel Ecochard se distingue par 32 Encyclopedia Universalis. Michel Ecochard. En ligne: https:// www.universalis.fr/encyclopedie/michel-ecochard/ 33 GHORAYEB, Marlène. Beyrouth sous mandat français. Construction d’une ville moderne. Paris, Editions Karthala, 2014. P.196 34 VERDEIL, Eric. Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plans (1946-1975). Paris, Presses de l’IFPO, 2009. P.42
Michel Ecochard (1905-1985) Michel Ecochard est né le 11 mars 1905 à Paris. Après avoir été diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts à Paris en 1932, il commence sa carrière professionnelle dans des ateliers, avant d’ouvrir son agence d’architecture privée en 1957. Il a collaboré avec les frères Danger en Syrie pour le plan de Damas, avant d’être nommé directeur du Service de l’Urbanisme en Syrie de 1940 à 1944, où il contribuera à la construction de bâtiments pour le compte de l’Institut français, et puis au Maroc, de 1947 à 1953. Là-bas, il s’occupe de la construction de la nouvelle ville de Casablanca, projet qu’il élabore selon les principes de la séparation des fonctions et de la circulation. Il est introduit au Liban par le haut-commissaire, qui lui confie alors la mission de réaliser, en 1943 le plan de la ville de Beyrouth, qui ne sera qu’en partie réalisé. Il retournera au Liban 20 ans plus tard afin de mettre en place le plan de Beyrouth et de sa banlieue.
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sa volonté d’intégrer la dimension normative ainsi que la centralisation du pouvoir décisionnel à l’échelle du pays. Ecochard propose de s’attaquer à trois points importants introduits via le Mouvement moderne et les CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne), à savoir le rapport avec le site, le zonage via la circulation, et le souci du paysage.
Rapport avec le site
Michel Ecochard, en opposition au principe urbanistique colonial du Mandat35, soumet l’hypothèse d’un urbanisme qui ne s’arrête pas aux limites administratives de Beyrouth Municipe, mais s’étend au-delà de ces limites afin de créer des connexions avec les grandes villes du pays et les importantes infrastructures.
Circulation et zoning
Dans un premier temps, il propose un réaménagement de la circulation au sein de Beyrouth afin de remédier au « problème congestionnaire de Beyrouth », via trois catégories :
-L es voies d’évitement : En élargissant les axes majeurs de circulation qui relient la capitale avec les grandes villes du pays ; Tripoli et Sidon, et avec Damas, capitale de la Syrie voisine. Ces voies permettent ainsi de rattacher Beyrouth avec les villes principales alentoures, tout en évitant de congestionner le centre.
-L es voies latérales, en créant une liaison entre l’est et l’ouest de la capitale.
-L es voies d’arrivées, reliant le centre-ville et son port, et les régions avoisinantes36.
L’une de ses principales préoccupations concernant la circulation fut la création d’une communication entre le port et l’aérodrome, et les grandes villes du pays. D’un autre côté, Ecochard avance un découpage de la ville et de ses entourages en douze zones regroupant les fonctions d’habitat, d’industrie et de loisirs, définies selon le réseau hiérarchisé de circulation. Il se base sur les idées fonctionnalistes du mouvement moderne ; à savoir hygiène, espace, éducation, travail, etc...37 Une réorganisation du centre des affaires était aussi prévue. 35 KHANAFER, Joumana. La reconstruction du centre-ville de Beyrouth. (ISACF-La Cambre, Mémoire de fin d’études, sous la direction de Jean-Paul Pouchous, 1995), p.17 36 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.19 37 EL ACHKAR, Elie. Règlementations et formes urbaines. Le cas de Beyrouth. Liban, Les cahiers du CERMOC, 1998. P.26
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Souci du paysage
Ecochard entreprend un relevé de tous les espaces verts et les jardins qu’il souhaite conserver dans le cadre de son étude, et prend compte d’un respect particulier pour les côtes beyrouthines. Il envisage par la suite de créer des percées vers le centre de la ville. RÉSULTAT Le plan d’Ecochard ne sera réalisé qu’au niveau de la circulation. En effet, en 1954, deux urbanistes suisses élaboreront un master plan en accord avec ses idées. Ce dernier plan prévoyait un ring entourant la capitale, qui sera alors mis en place dans sa quasi-totalité. Le projet d’Ecochard permettra toutefois d’introduire l’idée du zoning en secteurs uniformes et fonctionnels, non expérimentée au Liban à l’époque 38. Malgré la réalisation partielle de son plan, Ecochard réussit néanmoins à instaurer dans cette région du monde l’idée que l’urbanisme doit être en désaccord et sans aucune relation avec les intérêts privés. Dirigé par sa vocation quoique utopique d’être un urbaniste neutre et au service des intérêts publics, Ecochard se positionne alors, par le biais de son plan, en opposition au mouvement libéralo-capitaliste dirigé par le Mandat 39. A la veille de l’indépendance du Liban en 1943, se fait sentir une urgence d’aménagement d’ensemble. Ceci serait possible grâce à l’ouverture des décideurs et à une vision homogène d’ensemble, afin d’accéder à une approche raisonnable et scientifique de l’aménagement 40. Vu la prospérité économique dont jouit Beyrouth, les années qui succèderont à l’indépendance seront marquées par un manque de gestion de l’aménagement urbain et du contrôle du foncier, accompagné d’une incompétence de la part des services responsables. Les bâtiments à forte densité fleuriront de manière arbitraire, augmentant considérablement le manque d’espaces verts et de jardins, tout en générant une destruction « barbare » de l’héritage national41.
38 MATSUBARA, Kosuke. The morphology of Beirut’s multilayered Downtown area. 39 GHORAYEB, Marlène. The Work and Influence of Michel Ecochard in Lebanon. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.111 40 EL ACHKAR, Elie. Règlementations et formes urbaines. Le cas de Beyrouth. Liban, Les cahiers du CERMOC, 1998, p.64 41 SALAM, Assem. The Role of Government in Shaping the Built Environment. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.126
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Figure 15 - Les grandes voies de circulation - Michel Ecochard (1943)
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Durant les années qui ont suivi l’indépendance du Liban et avant l’accession de Fouad Chéhab comme président, plusieurs programmes de grands travaux et plans ont été élaborés, sans pour autant avoir été mis en place sur le terrain.
Chéhab, l’IRFED et Ecochard ; nouveau souffle pour Beyrouth (1963) CONTEXTE Chéhab Fouad Chéhab, militaire de carrière, accéda au pouvoir présidentiel de 1958 à 1964. Son mandat présidentiel marqua une rupture avec ses prédécesseurs dans le cadre de l’organisation économique et spatiale du pays, qu’il tenta de mettre en place avec l’aide d’experts étrangers et principalement français. Ce fut l’un des premiers présidents qui s’intéressa aux classes misérables du pays, ce qui l’incita à mettre en place une « politique de construction nationale par la réforme de l’Etat, qui ne devait plus privilégier une confession aux dépens d’une autre, et en s’efforçant d’assurer un équilibre régional »42. Deux réformes virent alors le jour ; la première concernant l’administration, et la seconde dédiée au développement. La réforme administrative fut bien accueillie et mise en place en 1959 notamment par les fonctionnaires et juristes libanais 43. Quant à la seconde, elle fut instaurée par des étrangers, principalement des personnes d’origine française. En 1959, un contrat d’engagement fut négocié avec l’IRFED (Institut de Recherche et de Formation En vue du Développement), représenté à l’époque par le Père Louis-Joseph Lebret. D’autre part, Fouad Chéhab fit appel à l’urbaniste Michel Ecochard durant la même année, afin de mettre en place les nouvelles idées de développement 44.
Fouad Chéhab (1902-1973) Né en 1902 à Ghazir (Liban), dans une famille chrétienne maronite, Fouad Chéhab est issu d’une descendance noble. Il rejoint en 1921 l’Ecole militaire française à Damas (Syrie), où il obtint par la suite le titre de Lieutenant. Il poursuivra sa carrière de militaire en servant au Liban, avant d’être nommé Général de l’Armée libanaise en 1949. Il fut ensuite nommé ministre de la Défense lors de la présidence de Camille Chamoun, à qui il succéda en 1958, élu par le Parlement. Son mandat ne dura que six années, durant lesquelles Chéhab s’efforça de restaurer une stabilité dans le pays. Il sera marqué par des réformes au sein de l’administration générale, des services publics et de la justice. Chéhab décéda en 1973 à la suite d’une crise cardiaque.
42 VERDEIL, Eric. Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plans (1946-1975). Paris, Presses de l’IFPO, 2009. P.82 43 Ibid, p.86 44 Loc. Cit.
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L’IRFED Créé en 1958, l’IRFED prônait un développement et un aménagement. Vu le passé du Père Lebret, figure majeure du christianisme, il se focalisa entre autres et principalement sur les régions du tiersmonde. L’intervention de l’IRFED au Liban débuta par une relation de confiance avec le Président libanais. En 1961, un accord de renouvellement a été signé entre les deux parties, à la suite de la publication d’un rapport préliminaire paru plus tôt dans l’année. L’IRFED se vit alors confier la mission d’élaborer un plan quinquennal de développement 45. Ecochard Le choix de Fouad Chéhab s’est porté sur Michel Ecochard pour diverses raisons. Dans un premier temps, Ecochard n’était pas étranger au Liban. Il y avait collaboré avec des archéologues dans le cadre de ses recherches pour le vieux Damas. Il avait par la suite élaboré un plan directeur pour Beyrouth en 1943 (cf. supra). A partir de 1954, et sous le nom de sa propre agence, il intervint au Liban et se consacra à la construction d’écoles pour la Mission Laïque Française, d’édifices religieux, ainsi qu’à la conception de divers plans d’urbanismes pour différentes régions du Liban ; notamment Saïda, Byblos ou encore Jounieh. C’est probablement dans le cadre du développement de cette dernière ville qu’il rencontra le Général Chéhab. En 1961, Michel Ecochard, convaincu de vouloir défendre l’intérêt général via ses projets, se vit confier plusieurs missions, ce qui le mena à ouvrir une agence à Beyrouth. Le Ministère du Plan et la mission de l’IRFED Les réformes chéhabistes dirigées par les experts étrangers se focalisèrent principalement sur « la restructuration institutionnelle des secteurs de 45 Ibid, p.90
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Le Père Louis Joseph Lebret
IRFED L’IRFED (Institut de Recherche et de Formation en vue du Développement) est créé en 1958 par le Père Louis-Joseph Lebret, et avait comme mission première de permettre l’accès à la recherche, l’action et la formation à la population. Son principe repose sur une logique de recherche-action. Après avoir mis en place un rapport d’étude, l’IRFED s’est vu confier la mission d’élaborer le plan national de développement au Liban entre 1959 et 1968. A la suite du décès du Père Lebret en 1966, ce sont Roland Colin et Vincent Cosmao qui s’occuperont de la gouvernance de l’Institut, qui se réorganise en trois secteurs : recherche, formation et intervention.
la planification, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme » 46, dont ils ne maîtrisèrent que les lignes essentielles. Dans un premier temps, la réorganisation induit l’accroissement de la centralisation de l’administration. Cette tendance étant confirmée, les experts proposèrent la création d’un Ministère du Plan, responsable de la création d’un « plan d’aménagement du territoire » 47 et qui « qui devait cumuler élaboration, coordination et impulsion de la stratégie de développement » 48. Une Direction Générale de l’Urbanisme (DGU) lui est associée, ainsi qu’un Conseil Supérieur de l’Urbanisme, qui se veut organisme indépendant. Néanmoins, cette logique ne prit place que partiellement, l’urbanisme étant une limite de cette réforme. Le Ministère du Plan, vu la complexité de son organisation, ne se vit pas confier uniquement la tâche de l’élaboration d’un plan, mais aussi celles du développement et de la coordination de la mise en œuvre. En réalité, vu le manque de personnel qualifié au sein du Ministère du Plan à l’époque, l’IRFED se vit octroyer « une puissance et une autonomie considérable pour définir et mettre en œuvre les orientations du développement » 49. Cette mission se mit en place jusqu’en 1964, date à laquelle le plan quinquennal débuta. La mission de l’IRFED s’est conclue en 1961 par la publication d’un rapport, s’intitulant Besoins et possibilités du Liban, qui se veut une conclusion et un diagnostic détaillé de la situation sociale (notamment les conditions de vie) et économique (détaillant les ressources dont dispose le pays) 50. Le plan d’action proposé qui en découle se focalisa sur des recommandations répondant à des questions économiques, financières et régionales. Certaines seront mises en place par une série de lois et de modifications sur le tissu urbain, d’autres resteront sans suite. Néanmoins, aucun document graphique illustrant l’aménagement du territoire ne fut réalisé, l’IRFED considérant que cette étape n’était pas urgente et serait donc un objectif plus lointain que celui du plan quinquennal de 1964-1968. Les différents sujets abordés dans le plan de l’IRFED révélaient « une stratégie d’aménagement dont l’objectif était le rééquilibrage du territoire libanais par rapport à sa capitale » 51. l’Institut se focalisa donc naturellement sur le statut de cette capitale, notamment ses projets urbanistiques. 46 Ibid, p.94 47 FAWAZ, Mohammad. L’aménagement du territoire et l’environnement au Liban depuis l’Indépendance. dans ORBR, Lettre d’information, numéro 11, 1999 48 VERDEIL, Eric. Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plans (1946-1975). Paris, Presses de l’IFPO, 2009. p.95 49 Ibid, p.96 50 Ibid, p.108 51 Ibid, p.111
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Beyrouth dans les plans de l’IRFED Sans rentrer dans une analyse détaillée de Beyrouth, l’IRFED fit mention des soucis détectés dans la capitale et élabora une liste reprenant les priorités à mettre en place. Le principal objectif était de décongestionner le centre, notamment via la création de cités satellites, et de limiter la croissance démographique de l’agglomération, ce qui permettrait de limiter le développement anarchique déjà mis en œuvre. Cette politique de rééquilibrage verrait donc le jour dans les zones rurales, où les résultats se verraient le plus rapidement et où les besoins étaient plus urgents qu’en région urbaine. Pour l’IRFED, l’urbanisme devait être « basé sur le principe des pôles de croissance » 52. Cette clarification réside du fait que l’urbanisme était jusquelà considéré comme un équipement-type dans les régions secondaires et tertiaires, et se trouvait au même niveau que les investissements pour la santé et pour l’enseignement. Elle permit de mettre l’urbanisme au cœur du débat, le faisant passer de la structure règlementaire de formes, gabarits, densités etc. à une attention particulière sur la programmation des projets 53. Les projets auxquels l’IRFED s’intéressait le plus dévoilaient un intérêt pour le pays, comme par exemple le réaménagement des ports de Beyrouth et de Jounieh. l’IRFED s’occupait donc de leur implication nationale, tandis que Michel Ecochard devait en assurer la dimension technique et locale. Pour finir, la tâche de l’IRFED se résumait en l’aménagement du territoire, alors que Michel Ecochard s’occupait de l’aménagement de Beyrouth. La communication et les partages d’informations entre les deux protagonistes furent rares. ACTEURS En 1961, Ecochard s’occupe de l’élaboration du plan des cités gouvernementales, puis, en 1963, s’interroge sur celui de Beyrouth et sa banlieue. Ces deux projets sont intimement liés, comme le soutient Ecochard : « Je suis chargé [...] de ce qu’ils appellent les cités des ministères, qui est en réalité une dispersion des groupes d’administrations dans différentes parties de la ville, ce qui, aux yeux du gouvernement libanais, n’est probablement qu’une volonté de montrer de l’activité mais qui, pour moi, est une opportunité extraordinaire de reprendre tous les problèmes de cette ville que j’ai étudiée il y a quinze ans » 54. 52 Ibid, p.118 53 Loc. cit. 54 Correspondance, 1/3/1961, IFA/DAF, Fonds Ecochard, carton 32. Dans: TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.30
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Figure 16 - Les éléments de l’aménagement
Figure 17 - Le système circulatoire
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Figure 18 - SchĂŠma fonctionnel de Beyrouth et sa banlieue
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S’en conclut la volonté du gouvernement libanais, mené par son Président Fouad Chéhab, de favoriser l’extension de villes aux abords de Beyrouth, ainsi que de développer la capitale. PROJET Le choix de l’emplacement de ces cités gouvernementales s’est porté sur le site de Hadath-Laylaki, et sur l’ancien site de l’aéroport. Ces deux sites ont fait, par la suite, l’objet de plusieurs projets, leur offrant le statut de « villes nouvelles ». En 1963, le plan directeur de Beyrouth et ses banlieues est le moyen d’approfondir les propositions de cités gouvernementales, en les plaçant dans un contexte plus large. Ce plan s’étend sur le « Grand Beyrouth », qui détient encore la même dénomination et les mêmes frontières, et qui représente Beyrouth et ses banlieues. Il est délimité par deux fleuves ; le Nahr al Kalb au Nord et Nahr el-Naamé au sud et s’élève jusque 450m d’altitude à l’est. Le principe de ce plan directeur est de réorganiser la circulation – via la création de trois grands boulevards allant de Beyrouth Municipe vers d’autres villes du pays, de décongestionner le centre par le développement commercial et de services dans les « villes nouvelles », et de faire croître la banlieue beyrouthine via l’artisanat et l’industrie. L’ambition d’Ecochard est de « transformer radicalement des conditions d’habitat à Beyrouth, que l’urbaniste, révolté par les mécanismes de ségrégation sociale fondés sur une intense spéculation foncière, considère comme le ‘siège de l’injustice’ » 55. Il y voit un défi à relever, en termes d’amélioration et de changement radical des conditions de vie à Beyrouth. Cette idée de vouloir repenser la ville dans le cadre d’un urbanisme fonctionnel plutôt qu’un urbanisme esthétique et hygiéniste, est principalement influencée par la pensée des CIAM. Leur principe est « destiné à organiser la ville par fonctions distinctes, faciliter la circulation et développer les transports de masse, organiser la croissance urbaine, loger les populations, doter les agglomérations de stations de traitement des eaux, etc. » 56. RÉSULTAT Le schéma des armatures routières du plan d’Ecochard sera bien réalisé, mais son étude sur les villes nouvelles ne dépassera pas le stade de la conception. Le projet sur le centre-ville de Beyrouth, malgré l’obtention de plans d’aménagements, restera, lui aussi, dans les tiroirs. 55 Ibid, p.31 56 AWADA, Fouad. Les apports français et européens à l’urbanisme au Liban. Influences et résistances, dans: Conquérir et reconquérir la ville, l’aménagement urbain comme positionnement des pouvoirs et contre-pouvoirs. Liban, Une alternative à l’urbanisme fonctionnaliste Editions ALBA. 2009, p. 179
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Figure 19 - Plan de Beyrouth et de sa banlieue - Michel Ecochard (1963)
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CASABLANCA, OU L’URBANISME FONCTIONNALISTE DE MICHEL ECOCHARD A Beyrouth, Ecochard s’attarde principalement sur l’idée de la circulation et de la séparation des fonctions, principes fondamentaux de l’urbanisme fonctionnaliste. Nous pouvons alors comparer l’idéologie de Michel Ecochard avec son intervention au Maroc. En effet, dans ce pays, au début du Protectorat français, l’idée de construire des villes nouvelles à proximité des médinas jaillit, sans pour autant créer de connexions entre ces villes nouvelles et les villes existantes. S’en suivrait alors un côtoiement des populations sans pour autant inciter un brassage entre elles. Ecochard définit les « habitudes séculaires » comme étant les « habitudes liées au pays d’origine, à la région, à la religion » 57. Ses réflexions font partie du projet de « charte de l’Habitat », mise en place par les CIAM en complément de la Charte d’Athènes. A Casablanca, Michel Ecochard se focalise sur l’architecture adaptée ; dans le but de loger les classes populaires. Elu chef de l’urbanisme du Protectorat français entre 1946 et 1952, y instaure une trame de 8m x 8m, qui dirigera le développement immobilier et urbain de la population musulmane, « censée permettre toutes les ‘combinaisons’ possibles [...]. Elle permet de loger 350 habitants à l’hectare, et ce n’est pas un mince argument face à la question du ‘recasement des bidonvilles’» 58. Malgré son audace et son dévouement bien marqués, les projets d’Ecochard pour Beyrouth ne verront pas le jour, parce que, faute de transports collectifs, ils risquaient de ségréger les sociétés ainsi que les différentes classes sociales : les ouvriers non loin des industries, les classes moyennes dans les villes nouvelles au sud, la colline et la zone des Sables seront réservées à la haute bourgeoisie. D’autre part, à Beyrouth, en 1964, dans la continuité de la volonté de modernisation du centre-ville, trois équipes sont mandatées par le CEGPVB ; le Conseil Exécutif des Grands Projets de la Ville de Beyrouth. Ecochard ainsi que son collègue d’origine japonaise, Gyoji Banshoya, s’occupent de la coordination urbanistique, résumée en le traitement des espaces publics et des espaces viaires. Pour le premier point, l’idée est de connecter le centre de la ville à l’agglomération via un ring. Pour le second, il était question de créer une liaison monumentale entre les deux quartiers de Ghalghoul et Saïfi. L’enthousiasme 57 ELEB, Monique. Une alternative à l’urbanisme fonctionnaliste. Dans : Les cahiers de la recherche architecturale et urbaine, Editions du patrimoine, 1999. P.168 58 Ibid, p.169
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d’Ecochard concernant ces projets et l’approche moderniste qui en découle, entraine sur son sillage une série de jeunes architectes, motivés à illustrer le modernisme à Beyrouth. On voit alors apparaitre dans la ville une série de bâtiments, des sortes de manifestes du mouvement moderne, réalisés par de jeunes architectes. Le Liban devient par la suite un observatoire international. Via la commande publique, de nombreux architectes internationaux sont appelés afin de concevoir des projets, qui serviront à l’architecture de l’ère nouvelle. Entre autres, Oscar Niemeyer s’occupe de la Foire Internationale Rachid Karamé à Tripoli, deuxième grande ville du pays, située au Nord ; et André Wogensky met sur pied le nouveau siège du ministère de la Défense à Beyrouth. Durant les années qui suivent, le Liban sera un observatoire des grands mouvements, comme le Modernisme, l’Ecole brésilienne ou encore le Style International. Les projets de commande publique fleuriront, poussant le Liban dans une dynamique nouvelle d’évolution en termes d’architecture.
Le Livre Blanc ; diagnostic d’une défaite En 1973, la Direction Générale de l’Urbanisme publie le Livre Blanc. Beyrouth 1985-2000, portant sur l’évolution urbaine de Beyrouth. Le diagnostic qu’ils affichent est amer. Durant le règne de Chéhab, la croissance démographique de Beyrouth s’est développée, entrainant avec elle une intensification de la ville et une congestion de l’espace. Des problèmes environnementaux et de sensibilisation de l’opinion publique se sont ainsi fait ressentir, menant à une situation critique de la capitale. En effet, « la concentration de la population et des activités dans l’agglomération, le déficit de logements, le desserrement en ordre dispersé des fonctions tertiaires dans la ville, la localisation de l’industrie au milieu du tissu urbain, la rareté et la dégradation des espaces de loisirs »59, sont autant d’éléments faisant partie du diagnostic pessimiste élaboré par la DGU.
Conclusion Nous avons démontré au cours de ce chapitre que le Liban n’est pas qu’un simple territoire, mais plutôt une superposition de territoires, haut-lieu de civilisations. Beyrouth, durant une longue période, jouait une rôle clé dans les échanges avec le reste du monde, principalement grâce à son port et son ouverture sur la mer. 59 VERDEIL, Eric. Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plans (1946-1975). Paris, Presses de l’IFPO, 2009. P.238
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Figure 20 - Mise en place du ring
Figure 21 - AmĂŠnagement de la place des Martyrs et des quartiers de Ghalghoul et SaĂŻfi
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Au cours de l’histoire, certains projets de réhabilitation de Beyrouth ont vu le jour, notamment le plan Danger de 1933 et les deux plans de Michel Ecochard en 1943 puis en 1963. Ces plans n’ont néanmoins pas ou en partie été réalisés pour de nombreuses raisons. A l’échelle du territoire, l’expansion de la ville s’est faite de façon rapide et chaotique. Les bâtiments fleurissent alors à une grande vitesse, non sans risques sur le patrimoine urbain et architectural. Samir Kassir définit les années 1960 comme un « gâchis architectural », qui ont mis en péril l’image de la ville ancienne. Ce développement marque alors une forte rupture avec le passé de la ville. D’un autre côté, les années suivant la présidence de Chéhab et précédant la guerre ont principalement été marquées par des débats remettant en question les certitudes de l’époque de Chéhab, ce qui aboutira à un « pluralisme architectural » 60, qui s’exprimera de manière particulièrement développée. La guerre débutant en 1975, tous débats et projet sur l’aménagement de Beyrouth et du centre-ville en particulier sont anéantis. Pourtant, des périodes d’accalmie permettront de rouvrir le sujet.
60 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.37
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Chapitre II La guerre civile et ses répercussions sur le territoire
Dans ce chapitre, nous allons aborder la situation à la veille de la guerre civile ainsi que les éléments déclencheurs qui y ont aboutit, tout en mettant en exergue deux principaux plans qui ont été élaborés durant les principales périodes de longue accalmie, à savoir le plan de l’APUR en 1977 et le schéma directeur de l’IAURIF ; élaboré en 1982 et validé en 1986. Concernant les projets, je tenterai de les expliquer selon quatre thématiques: contexte, acteurs, projet et résultat. La première thématique abordera la situation dans laquelle le plan s’inscrit. La deuxième mettra en exergue les différents acteurs qui sont intervenus pour la mise en place du projet. Quant à la troisième thématique, elle se focalisera sur le projet en tant que tel : ses principes de base, son concept, le fonctionnement... Quant à la dernière, elle traitera le sujet de la réalisation ; complète ou partielle, ou de la non-réalisation du projet. Cette approche systématique et récurrente constituera une base pour la comparaison des différents projets.
Le Liban durant les années précédant la guerre Au début des années 1970, le centre-ville grouillait de monde. Il était le lieu de rassemblement de tous les Libanais ; lieu de débats, de manifestations. Lieu de culture – notamment avec ses nombreux cinémas dont le célèbre Rivoli installé sur la place des Martyrs – mais aussi lieu de rencontres, d’échanges et de coexistences entre différentes communautés, religieuses principalement. A cette époque, à cause des grandes inégalités matérielles présentes dans le pays, une « ceinture de misère » accueillant réfugiés et migrants entoure la capitale. On y retrouve par exemple des Arméniens dans le quartier de Bourj Hammoud, des Palestiniens, des Kurdes et des Syriens dans les quartiers de Nabaa et de la Quarantaine, ainsi que Jisr el Bacha 61. Cependant, on surnommait Beyrouth « la métropole du Proche-Orient » 62, grâce à son attractivité pour les étrangers venus des pays voisins arabes, ou de l’autre côté de la Méditerranée. Au niveau urbanistique, on ne remarque pas une grande évolution du tissu urbain dans le centre-ville, ce dernier n’ayant pas subi de majeures modifications depuis le Mandat français.
Histoire de la guerre La guerre fut déclenchée le 13 avril 1975 par le mitraillage d’un bus transportant des Palestiniens dans le quartier chrétien de Ain el Remmeneh, au cours duquel 27 personnes trouvèrent la mort. Mais elle « résulte de la combinaison de plusieurs facteurs : conflits régionaux, occupation israélienne des territoires arabes en 1967, implantation des combattants palestiniens de l’OLP sur le sol libanais, tensions socio-économiques et politiques locales » 63. S’en suit une vague violence durant le printemps 1975 mais qui se faisait par phases et par zones, avec de longues périodes calmes. Elle ne recouvrait pas encore l’intégralité du pays ni de la capitale, et les Libanais ne parlaient encore que d’« évènements ». Cette guerre civile, qui s’étendra de 1975 à 1990, engendra des pertes économiques, humaines et matérielles. En effet, on recense au terme des combats 170 000 décès, 800 000 personnes déplacés, et 27% de la population, soit 900 000 personnes qui ont pris la décision d’émigrer 64. 61 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.41 62 KASSIR, Samir. Histoire de Beyrouth. France, Editions Fayard, 2003. P.16 63 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.41 64 BAZ, Freddie. The macroeconomic basis of reconstruction. Dans: ROWE, Peter. SARKIS, Hashim. Projecting Beirut, Episodes in the construction and reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestels, 1998. P.165
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Figure 22 - Le tissu urbain en 1975; Ă la veille de la guerre civile
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LA LIGNE VERTE DE BEYROUTH, COMPARAISON AVEC LE MUR DE BERLIN Longue de 4,5 km et s’implantant sur 70 hectares, aussi appelée « ligne verte » au vu de la nature qui s’y proliférait, la ligne de démarcation a séparé Beyrouth en deux zones distinctes depuis le début de la guerre jusqu’à nos jours : Beyrouth-Est, chrétienne et majoritairement dirigée par les phalangistes ; et Beyrouth-Ouest, principalement musulmane, gouvernée par l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) et les gauchistes révolutionnaires. Ce no-man’s land était l’espace de tir idéal pour les snipers qui y semaient misère et terreur. Personne ne traversait la ligne de démarcation sereinement. Cette séparation franche, qui est loin d’être une simple ligne mais qui englobait des rues, parfois des quartiers entiers, prenait vie depuis le centreville (au niveau de la place des Martyrs) et s’étalait jusqu’au quartier de Choueifat au Sud de Beyrouth, non loin de l’aéroport. Cette ligne matérialisée et continue se divisait en plusieurs segments, dont celui de la Rue de Damas. Mais cette limitation ne prenait pas son essence dans ces zones par hasard. En effet, elle découle de frontières non matérielles qui pourraient avoir été définies selon des critères sociaux, religieux ou encore ethnique. La guerre n’a fait qu’accentuer ces différences et ces barrières, en les matérialisant 65. La ligne de démarcation, par sa configuration, généra une délimitation franche entre des territoires communautaires, qui sont, dès lors, rentrés en confrontation. Elle retranscrit alors cette idée de deux espaces qui se tournent le dos, comme ce fut le cas quelques années auparavant entre Beyrouth Municipe et la « ceinture de misère » qui l’encerclait. De là découle une géographie urbaine précise, encore ressentie jusqu’à nos jours via la mobilité de la population. En effet, le fait de séparer la capitale en deux zones, a généré un développement communautaire et confessionnel dans chacune des zones. De nouveaux pôles commerciaux et de loisirs ont vu le jour, tournant le dos au vide central et créant de nouvelles centralités 66. Ainsi les deux parties de la ville se sont développées, indépendamment du centre-ville, sous les bombes à cette époque. On pourrait comparer cet espace à celui de Berlin, en Allemagne. Séparée en deux parties pendant une période allant de 1961 à 1989, date de la chute du Mur, cette région s’est transformée au fil du temps en un no-man’s land, laissant les deux parts se développer indépendamment l’une de l’autre. Bien que la ligne de démarcation à Beyrouth ne soit pas bétonnée et ne se 65 KABBANI, Oussama. Public space as Infrastructure: The case of the Postwar reconstruction of Beirut. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.242 66 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.42
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Figure 23 - La ligne de démarcation séparant Beyrouth-est de Beyrouth-ouest
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présente pas sous forme de mur, elle se rapproche de l’idéologie et des conséquences du Mur de Berlin sur les populations. A Berlin, le Mur a principalement été érigé non pas comme « protection antifasciste », mais bien pour limiter le flux grandissant d’Hommes et de marchandises de l’Allemagne de l’Est vers la République Fédérale 67. Dans son article sur les répercussions de la chute du Mur de Berlin vingt-cinq ans plus tard, Thomas Serrier écrit : « En matérialisant dans toute sa brutalité de béton la partition du monde, du continent européen, de l’Allemagne en deux Etats appartenant aux deux blocs antagonistes, et de Berlin en deux villes autonomes, Berlin-Est et Berlin-Ouest, tronquées l’une et l’autre de leur autre moitié, le Mur de Berlin a en quelque sorte hyperbolisé les frontières politiques, celles qui ont en commun de faire acte d’autorité, de marquer une souveraineté territoriale, de marquer la limite, d’interdire et d’entraver » 68. Nous pouvons retrouver une convergence d’idées entre le Mur de Berlin et la ligne de démarcation de Beyrouth. Tous deux ont fait naitre, via leur typologie, leur morphologie et leur grandeur, un territoire inanimé, sur lequel uniquement les plus courageux s’aventuraient. Ces deux espaces étaient dirigés par une autorité supérieure ; et ont permis de créer une frontière politique dans un cas et confessionnelle dans l’autre. Dans les deux situations, à Beyrouth comme à Berlin, cette séparation a permis aux villes impliquées de se régénérer autour de nouveaux pôles d’attractivité et d’activités en tous genres, en tournant le dos au centre-ville. D’autre part, à Berlin, l’évènement historique qui a chamboulé la ville a désormais fait place à une unicité urbaine. Berlinois de l’est et de l’ouest se rassemblent et leur sentiment d’appartenance à cet espace autrefois barricadé se fait sentir, ce qui n’est pas le cas à Beyrouth où les Libanais, encore aujourd’hui, ont encore du mal à se sentir chez eux dans ce centre-ville totalement transformé. Là où la continuité urbanistique de Berlin engendre une unité identitaire, à Beyrouth on fait face à un « assemblage mi-consenti, mi-forcé » 69 qui génère une fragmentation. A Beyrouth, la ligne de démarcation est le lieu où les destructions les plus massives ont eu lieu : on estime le poids des dégâts à 23% d’immeubles détruits et irrécupérables, ainsi que 58% d’immeubles endommagés 70. Jusqu’à aujourd’hui, et malgré les nombreux projets établis sur cette ligne, principalement sur le tronçon places des Martyrs-rue de Damas, les vestiges 67 SERRIER, Thomas. Le Mur de Berlin, un quart de siècle après : présence, absence, mémoire,oubli. Dans : Union rationaliste, « raison présente », numéro 202, 2017. P.77 68 Ibid, p.77-78 69 RIZK, Bahjat. Beyrouth, Berlin. Le défi de la réunification. Dans : Historia, hors-série, juin-juillet 2019. P.95 70 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.42
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de la guerre peuvent toujours être admirés. C’est principalement le cas de Beit Beirut, ancien bâtiment érigé non loin de la place Sodeco, qui a servi de refuge pour snipers durant les années de guerre et qui aujourd’hui a été sauvé et transformé en musée ouvert au public. Le parti architectural de sa reconstruction en fait un bâtiment emblématique. Mêlant trous d’obus et poutres en acier, ce mélange permet de mette en avant les traces de la guerre sans dénaturer le bâtiment. Durant la période de guerre, le pays a connu des périodes d’accalmie, dont 1977 et 1982-1983 en sont les plus longues. On pensait à cette époque que la guerre était terminée, et la reconstruction était alors une urgence pour l’Etat. C’est donc naturellement que des projets et des schémas directeurs virent le jour durant ces périodes d’accalmie, principalement le plan de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) en 1977 et le Schéma Directeur de la Région Métropolitaine de Beyrouth (SDRMB), mis en place en 1983 par l’IAURIF, en partenariat avec des instances locales, comme la DGU et le CDR, et approuvé en 1986.
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Figure 24 - La rue de Damas à la fin de la guerre
Figure 25 - Beit Beirut, l’un des bâtiments les plus emblématiques de la ligne de démarcation, situé sur la rue de Damas, est désormais réhabilité en musée.
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Plan APUR (1977) CONTEXTE Une situation foncière paradoxale s’installe au Liban en 1976. Le calme revient dans les endroits touchés par la guerre alors que cette dernière éclate dans les zones qui avaient été épargnées jusque-là. Par la suite, la Force Arabe de Dissuasion se déploie, et, le 15 novembre 1976, installe un cessez-le-feu qui sera respecté. Le président de l’époque, Elias Sarkis, ancien haut fonctionnaire et ancien directeur de la Banque Centrale 71, en profite pour mettre sur pied un nouveau gouvernement. A cette époque, l’avant-guerre est encore dans les esprits de toutes et tous, dans l’espoir d’un retour à la normale. ACTEURS Au début de l’année 1977, les pays arabes se mettent d’accord pour soutenir financièrement la reconstruction. Ils chargent le FADES (Fonds Arabes pour le Développement Economique et Social) de cette mission. Le 24 janvier 1977, Elias Sarkis crée le Conseil du Développement et de la Reconstruction (CDR), censé remplacer le Ministère du Plan jugé comme incapable puisqu’il n’a produit aucun Plan d’Aménagement du Territoire depuis le début de son mandat. Ses principales missions étaient de s’occuper de la réalisation du Plan d’Aménagement du Territoire et de la reconstruction, tout en assurant le rôle d’interlocuteur unique auprès du FADES.
Pierre Yves Ligen - Président de l’APUR en 1977
APUR L’atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) a été fondé en 1967 par le Conseil de Paris. Il a pour mission de documenter et de mettre en place les projets pour Paris ainsi que pour sa métropole. En 1977, au lendemain de la « guerre des deux ans », le gouvernement libanais a demandé l’aide du gouvernement français dans l’élaboration d’un schéma pour le centre-ville de Beyrouth. Cette mission a alors été attribuée à l’APUR, et marquera le début de nombreux projets internationaux émis par l’atelier.
Simultanément, une étude sur la reconstruction et la modernisation du centre-ville a été établie. L’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR), à la suite de la demande du gouvernement libanais, crée un plan directeur qui sera approuvé le 28 février 1977 71 FAWAZ, Mohammad. L’aménagement du territoire et l’environnement au Liban depuis l’Indépendance. Dans : ORBR, Lettre d’information numéro 11, 1999. P.6
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et présenté au public en juillet de la même année 72. Dar Al Handassah, un bureau d’études libanais, jouera le rôle de consultant dans ce projet. Pourquoi Dar Al Handassah et pas un autre bureau ? On l’ignore, mais ce que l’on sait, c’est que l’ancien associé d’Ecochard ; Gyogi Banshoya (cf.supra), faisait, à cette époque, partie de ce bureau. Ce détail serait alors un point qui joua peutêtre dans la balance. On verra par la suite que Dar Al Handassah jouera un rôle important dans la reconstruction d’après-guerre. PROJET Le principal objectif du plan était de remettre en place le Beyrouth d’avantguerre, lieu de rassemblement de tous les Libanais. La proposition de l’APUR s’intéresse notamment au tissu urbain existant « capable de subir des améliorations : un travail méthodique d’estimation des destructions (encore limitées à l’époque), de la hauteur et de la qualité architecturale du bâti ; la définition des zones à conserver, à remodeler ou à réaménager, dans un contexte d’amélioration des réseaux routiers, de création de zones piétonnes et d’espaces paysagers ; l’ouverture sur la mer par une succession de façades et de perspectives. Apparait alors cette volonté d’ ‘aseptiser’ certains quartiers dits à problèmes, au détriment d’un bâti ‘dénué d’intérêt’, et qui sera voué à la démolition »73. C’est donc suivant une logique conservative que tente de se positionner l’APUR via ce plan. Contrairement à la table rase que les Français avaient fait subir au tissu urbain durant le Mandat à la suite de la période ottomane, l’APUR propose un plan qui est dans la continuité de l’existant, se focalisant principalement sur la préservation de la mémoire et du patrimoine. L’étude a débuté par une mission aérienne qui permet d’avoir une vue d’ensemble des hauteurs des immeubles, ce qui a permis par la suite d’estimer l’état du bâti, afin de « déterminer les constructions pouvant être conservées ou restaurées, en particulier les édifices remarquables » 74. Un plan d’aménagement est ensuite proposé. Il se focalise principalement sur la valorisation du front de mer, via la création d’un jardin public, et l’éventualité d’y installer de grands équipements, comme le Parlement et un Palais des congrès, afin d’en faire un espace public et touristique. D’un autre côté, la question de la circulation était au cœur du débat. A ce sujet, l’APUR propose la création d’une nouvelle voirie, allant du Grand Sérail 72 Loc. Cit 73 EL ACHKAR, Elie. Règlementations et formes urbaines. Le cas de Beyrouth. Liban, Les cahiers du CERMOC, 1998. P.101-102 74 APUR. Beyrouth, Phnom-Penh, Rio de Janeiro... 50 ans de l’APUR. En ligne: http://50ans.apur.org/fr/ home/1967-1977/beyrouth-phnom-penh-rio-de-janeiro-1312.html (dernière consultation le 13.02.2020)
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Plan d’aménagement du territoire (1977) consultant
Dar Al Handassah Figure 26 - Schéma d’acteurs - Plan d’aménagement du territoire (1977)
Figure 27 - Axonométrie du projet de l’APUR (1977)
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jusqu’au front de mer, ainsi que la création ou l’élargissement d’autres voies, tout en améliorant les conditions d’accès et de circulation 75. Par la suite, le plan prévoit la rénovation de certaines zones considérées détériorées et la conservation d’édifices remarquables. RÉSULTAT Au cours des différentes réunions, le plan de l’APUR a subi quelques modifications, notamment l’élargissement des voies (qui résume d’une étude faite par Dar Al Handassah), ce qui a abouti à la création de percées et à l’augmentation du nombre de destructions initialement prévus par l’APUR. De plus, en contradiction avec l’identité « culturaliste » de l’APUR, le projet comporte aussi « un vaste quartier d’affaires, bâti sur une dalle à plusieurs niveaux dans la région du port, afin de différencier les circulations et d’augmenter les densités » 76. La difficulté de coordonner et de satisfaire les besoins des différents intervenants s’est donc fait sentir. Les conflits reprenant de plus belle en 1978, le plan de l’APUR ne sera finalement pas réalisé, restant en phase de projet.
75 TABET, Jade. Portrait de ville: Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 2001. P.44 76 Loc.cit
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Figure 28 - Plan d’aménagement du territoire - Atelier Parisien d’Urbanisme (1977)
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Le SDRMB en 1982, deuxième tentative de reconstruction CONTEXTE Entre septembre 1982 et septembre 1983, une société privée, OGER-Liban, décide d’entreprendre des opérations de destruction par des bulldozers, sous prétexte de déblaiement de la zone dû à l’invasion d’Israël durant l’été 198277. Elle procède donc à « la destruction systématique du patrimoine urbain et historique » 78, notamment des souks de Nourieh et Sursock, opération qui passa inaperçue et en contradictions avec les concepts mis en place par l’étude de l’APUR, qui se focalisait sur la conservation de ces lieux. C’est notamment en 1986 que les intentions de la société se sont révélées ; lorsque cette dernière établit un plan directeur, sans demande officielle de l’Etat, et basé sur la destruction de 80% du bâti de l’agglomération 79. Une maquette du projet est également créée. En 1983, une nouvelle période d’accalmie se met en place. C’est l’occasion de remettre sur table le plan de l’APUR élaboré quelques années plus tôt, en y apportant les modifications nécessaires pour donner suite aux destructions engendrées par les conflits. Les autorités libanaises, via le CDR et la DGU, et en partenariat avec des instances françaises, élaborent alors une série d’enquêtes démographiques, infrastructurelles ou encore de logement. Ces études ont été faites avec la vision d’éventuellement produire un master plan pour la région métropolitaine de Beyrouth par la suite. C’est donc l’Institut d’Aménagement Urbain de la Région Ile-de-France (IAURIF), qui s’occupera d’élaborer ce Schéma Directeur de la Région Métropolitaine de Beyrouth (SDRMB), projet qui sera publié en 1986 80. En France, à cette époque, les schémas directeurs sont remis en cause. Une rupture avec le fonctionnalisme se fait alors ressentir, sans pour autant avoir les clés pour planifier les futures agglomérations. Le SDRMB sera donc, lui aussi, porteur de ces idéologies et de ces ambigüités de l’époque. ACTEURS La mise en place du SDRMB s’est effectué via des accords de coopération, mettant en relation le ministère français de l’Equipement et le ministère libanais 77 CORM, Georges. La reconstruction du centre de Beyrouth : Un exemple de fièvre immobilière au MoyenOrient, dans : Revue d’économie financière. Hors-série, 1993, p.324 78 SALAM, Assem. Le nouveau schéma directeur du centre-ville de Beyrouth. Dans : Beyrouth : Construire l’avenir, reconstruire le passé? 1995, p. 46 79 Loc. cit. 80 AWADA, Fouad. Les apports français et européens à l’urbanisme au Liban. Influences et résistances, dans : Conquérir et reconquérir la ville, l’aménagement urbain comme positionnement des pouvoirs et contrepouvoirs. Liban, Editions ALBA. 2009, p.181
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des Travaux publics. L’un de ces accords prévoyait une aide exceptionnelle de la part de la France, par le biais d’une étude réalisée par l’IAURIF, la SOFRETU (concernant les transports) et la BCEOM (pour les questions d’eau et d’assainissement), et le Port autonome de Marseille, en relation avec une équipe libanaise gérée par la DGU et le CDR. Le tout était coordonné par l’Agence de Coopération et Aménagement (ACA) 81. PROJET Le SDRMB se veut un schéma directeur qui s’inscrit dans la continuité de ce qu’avaient préconisé les idéologies et les projets de l’APUR, quelques années auparavant. Il prône par conséquent une reconstruction du centre-ville de Beyrouth à l’identique – via une approche conservatrice, tout en y apportant une touche de fonctionnalisme avec les voies rapides de circulation et la présence de zones industrielles au sein de l’agglomération. Pour finir, ce schéma réaliste ne fait aucune proposition qui pourrait créer des tensions et un soulèvement communautaire. Néanmoins, sa vision de « métropole réunifiée, parfaitement équilibrée et organisée », le rend plutôt ambitieux 82. Limites d’intervention Le premier défi auquel se sont confrontés les collecteurs de données ainsi que les planificateurs était de définir une limite à la région métropolitaine de Beyrouth. Cette limite ne pouvait pas uniquement se caractériser par la continuité du tissu urbain, puisqu’un caractère démographique vint se rajouter. En effet, au vu des circonstances du Liban et de la volonté de créer un rapport équitable entre les différentes religions du pays et de la capitale, il
Michel Giraud, président de l’IAURIF en 1986
IAURIF L’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne (IAURP) est créé en 1960, et devient en 1976 l’IAURIF ; Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France, avant de devenir L’Institut Paris Région en 2019. Ses principales missions s’étalent dans de nombreux domaines, tels que l’urbanisme, la mobilité ou encore le patrimoine. En 1986, l’IAURIF publie une étude sur le centreville de Beyrouth, et propose un nouveau schéma directeur pour ce territoire et sa région métropolitaine ; le SDRMB, en collaboration avec la mission franco-libanaise.
81 IAURIF. Liban. Retour sur expérience. Les cahiers de l’IAURIF, numéro 144, mars 2006. P.63 82 AWADA, Fouad. Les apports français et européens à l’urbanisme au Liban. Influences et résistances, dans : Conquérir et reconquérir la ville, l’aménagement urbain comme positionnement des pouvoirs et contre-pouvoirs. Liban, Editions ALBA. 2009, p.181
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fallait que la Région Métropolitaine de Beyrouth (RMB) concentre les mêmes proportions de chrétiens et de musulmans. En se basant sur le plan de Michel Ecochard de 1964, qui limitait la RMB au nord par le fleuve de Nahr el Kalb et au sud par la rivière de Damour, les enquêteurs de l’époque ont décidé d’amputer une partie nord, tout en définissant la ligne fictive des 400m d’altitude afin de mettre en place la limite est de la région, ce qui permettra de résoudre le problème d’équité confessionnelle. Quatre principes fondamentaux constituaient le SDRMB :
-R endre au centre-ville de Beyrouth son rayonnement à l’échelle du pays, en le rendant plus attractif et puissant, et en lui redonnant cette fonction de pôle d’affaires international.
-C réer des espaces urbains hiérarchisés dans les banlieues et répartir les équipements dans toute la capitale, ce qui permettra de restructurer l’espace urbain.
-D évelopper les transports collectifs, condition sine qua non qui permettra d’améliorer la mobilité de manière globale.
- Préserver et sauvegarder les sites naturels et le patrimoine 83. L’IAURIF se focalise aussi sur l’intégration de zones délaissées, notamment la banlieue sud de Beyrouth et les quartiers implantés le long de la ligne de démarcation. En se basant sur ces principes fondamentaux, l’IAURIF a décidé d’entreprendre différents projets dans le Grand Beyrouth, notamment : - Le réaménagement du Bois des Pins
- L’amélioration des réseaux de transports
- La revalorisation des quartiers le long de la ligne de démarcation
- La redynamisation des banlieues sud (via le projet Elyssar) et du centre-ville (par le biais du projet SOLIDERE, cf. infra)
Concernant le centre-ville, l’objectif principal de l’IAURIF était de lui rendre ce caractère de centralité, en ramenant, physiquement et symboliquement, le gouvernement et ses institutions vitales. Par conséquent, le SDRMB s’inscrit dans la continuité du plan de 1977 et propose de créer un remblai qui accueillerait un parc urbain, tout en développant un réseau routier qui 83 HUYBRECHTS, Eric. VERDEIL, Eric. Beyrouth entre reconstruction et métropolisation. Dans : Villes en parallèle, Université Paris X Nanterre - Laboratoire de géographie urbaine, 2000, p.8
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émanerait de ce terrain gagné sur la mer 84. Les experts se sont ensuite focalisés sur des stratégies d’implantation d’après-guerre, tout en mettant l’accent sur la préservation de sites naturels et de la relation infrastructurelle entre le centre-ville et les centres régionaux créés pendant la guerre. RÉSULTAT Le plan établi par l’IAURIF ne verra pas le jour pour cause de la reprise des combats dans le pays. Néanmoins, le CDR en constituera une base de travail dans le cadre de l’élaboration des réseaux de transports dans la métropole. Il a aussi servi de référence dans les projets de reconstruction dès les années 1990. Même si le schéma directeur propose un aménagement à une grande échelle, prenant le Grand Beyrouth comme lieu d’expérimentation et non le centreville, il permet néanmoins une meilleure relation fonctionnelle entre ce centreville et l’espace qui l’entoure, notamment via des voies de circulation, tout en le remettant à l’état dans lequel il se trouvait avant la guerre. Ceci permettait donc un meilleur flux de biens et de personnes depuis la périphérie vers le centre, qui lui, ne perdait pas son identité et ses traces d’antan.
84 SARKIS, Hashim. Dances with Margaret Mead: Planning Beirut since 1958. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.197198
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Figure 29 - Schéma Directeur de la Région Métrpolitaine de Beyrouth - IAURIF (1986)
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Conclusion Malgré le déclenchement de la guerre et son étalement dans le temps, l’idée de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth était encore dans la pensée de tous, si bien que dès les périodes d’accalmies révélées, des projets d’aménagement virent le jour. La guerre était alors un prétexte pour moderniser et remettre au goût du jour Beyrouth, principalement via la reconstruction du centre-ville et la création d’axes majeurs de circulation, permettant ainsi une relation entre le centre et la périphérie. Les hostilités ayant repris après les périodes de répit, ces projets et schémas directeurs ne verront pas le jour, mais seront néanmoins conservés et serviront de base pour de futurs plans d’après-guerre.
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Chapitre III Projets et reconstruction d’après-guerre
Dans ce chapitre, nous allons nous focaliser sur la situation urbanistique et politique au lendemain de la guerre, tout en décrivant les différents projets élaborés dans le cadre de la reconstruction du centre-ville, notamment le projet Eddé et celui de Louis Sato ; plan qui sera finalement mis en place grâce à la fameuse société foncière Solidere. Une approche comparative sera aussi mise en place, afin de replacer Beyrouth sur une carte du monde, en vertu du mouvement international des années 1990, qui touche aussi bien l’architecture que l’urbanisme ; à savoir le postmodernisme.
Situation au lendemain de la guerre En 1989, les accords de Taëf sont signés, mettant ainsi fin à la guerre civile qui avait débuté en 1975. Il faudra néanmoins attendre la fin d’un épisode sanglant qui durera jusqu’en automne 1990 pour que la paix s’installe définitivement à Beyrouth. Au sortir de la guerre, on estime que 22% des immeubles dans la municipalité de Beyrouth sont touchés par la guerre, dont 6 % totalement détruits 85. La guerre a, via les destructions qui l’ont marquée, joué un rôle de catalyseur, et une opportunité, voire une excuse afin de repenser l’aménagement de l’entièreté de la ville. L’Etat, endetté, n’est pas en mesure d’entreprendre la reconstruction. Il décide donc de confier cette tâche à des intérêts privés. De manière générale, les reconstructions sont toujours le résultat d’une jonction entre nouveauté et continuité. Et Beyrouth n’échappera pas à cette règle, la guerre étant l’élément déclencheur de la reconstruction. Les projets établis pendant les périodes d’accalmie ont ainsi joué un rôle de catalyseurs urbanistiques au profit de la reconstruction d’après-guerre. C’est grâce à ces projets que l’avenir urbanistique de Beyrouth pouvait être imaginé ; puisque jamais avant cela un projet n’avait été matérialisé et aussi détaillé. L’urbanisme à cette époque connait alors son moment de gloire ; il devient alors un « vecteur contemporain de l’utopie politique » 86. CRÉATION DE SOLIDERE Le 7 décembre 1991, une loi est votée sur la création d’une société foncière et financière. Cette société sera baptisée Solidere : Société Libanaise de Développement et de la Reconstruction. Solidere est donc une société foncière qui, légalement, existe pour une durée de 25 ans à partir de la date de sa constitution. Ce délai peut être augmenté ou diminué dans le cas où il serait approuvé par décret par le Conseil des Ministres. Elle est chargée d’entreprendre les expropriations nécessaires et de contrôler les travaux de reconstruction du centre-ville. Elle devient donc propriétaire des cent trente hectares du centre-ville de l’époque, tout en versant une indemnité aux propriétaires et locataires des différents terrains via un système d’actions et de bien-fonds. Des investisseurs privés permettront aussi de financer le projet. La stratégie derrière la création de Solidere était d’éloigner la corruption du gouvernement et l’incapacité de la bureaucratie, dans le but d’attirer des
85 VERDEIL, Eric. Reconstructions manquées à Beyrouth : La poursuite de la guerre par le projet urbain. Dans : Les annales de la recherche urbaine, n°91, 2001. P.66 86 Loc. cit.
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Figure 30 - Le centre-ville de Beyrouth au lendemain de la guerre civile
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investisseurs privés, principalement originaires des pays arabes 87. Derrière ce projet de société foncière se cache un homme, Rafic Hariri, décrit comme étant l’homme providentiel. Elu Premier Ministre en octobre 1992, il a su se faire une place dans le projet de reconstruction, principalement grâce à sa société privée OGER – qui avait entrepris les opérations de « nettoyage » du centre-ville en 1982-1983 (cf. supra) – et à sa notoriété qu’il a su mettre en avant via ses amitiés avec le Roi séoudien Fadh et la signature des accords de Taëf dont il est le parrain. De plus, ses relations étroites avec le directeur du CDR de l’époque, ont fait de lui l’homme incontournable au sujet de la reconstruction. Solidere se dote par la suite d’une personnalité juridique hors du commun : pas d’obligations légales, pas de pénalités en cas de mise en œuvre non conforme, et pas de taxe à payer à l’Etat pour une durée de dix ans. Tous ces avantages permettent à Solidere de se faire une place dans le projet de reconstruction, laissant de côté les intérêts publics et la place de l’Etat dans cette reconstruction. LIMITES GÉOGRAPHIQUES DU CENTRE-VILLE DE BEYROUTH La zone d’intervention sur le centre-ville a été délimitée grâce à la loi de 1991. Il se limite donc au nord par la mer, au sud par l’avenue du Général Fouad Chéhab, à l’est par la rue Hadda et à l’ouest par la rue Fakhreddine 88, et regroupe 130 hectares de terrain, divisés en différents secteurs. Cette superficie, vue dans son ensemble, ne constitue que 8% de la surface totale du Grand Beyrouth, ce qui en forme un ilot isolé, capable de 87 SAMARA, Rana. Urban reconstruction in the Twentieth Century: The Postwar Deconstruction of Beirut, Lebanon. (Université McGill, Montréal, mémoire de fin d’études, Avril 1996). P.3 88 KHANAFER, Joumana. La reconstruction du centre-ville de Beyrouth. (ISACF-La Cambre, Mémoire de fin d’études, sous la direction de Jean-Paul Pouchous, 1995). P.40
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Rafic Hariri Né à Saïda, au sud du Liban, en 1944, Rafic Hariri est musulman sunnite d’origine. En 1966, il installe sa propre entreprise en Arabie Saoudite, spécialisée dans le domaine de la construction. Là-bas, il se lie d’amitié avec le roi Fadh, qui lui offre la nationalité Saoudienne en remerciement de la construction du palais de Taëf. Par la suite, il achète l’entreprise française Oger, spécialisée dans la construction. Il se fraie ensuite une place dans le secteur de la banque et des assurances, et met sa fortune au profit de la population de son pays, en offrant, par le biais de la fondation portant son nom, des bourses étudiantes et en promouvant des projets philanthropiques. Il est par la suite nommé président du Conseil des Ministres. En 1982, sa compagnie, Oger Liban, déblaie le centre-ville de Beyrouth dans le cadre de la reconstruction annoncée. En 1992, il accède au pouvoir politique en tant que Premier Ministre, position qu’il gardera jusqu’à son assassinat par voiture piégée ; le 14 février 2005.
se développer indépendamment de son contexte. Cette zone reste néanmoins en relation avec l’aéroport et est adjacente au port. C’est aussi la zone du Grand Beyrouth où se concentre la plus grande proportion de destructions liées à la guerre. VISION DE LA RECONSTRUCTION La reconstruction de Beyrouth en général, et de son centre-ville en particulier, forme un élément clé dans l’histoire de cette ville. Elle ne doit donc pas être perçue comme une simple reformulation, mais doit plutôt être définie comme un moment de projection, de conception, où le futur est un élément clé dans l’élaboration du projet. Il parut comme une évidence que les plus grands efforts de reconstruction se focaliseront dans la zone du centre-ville. Cet espace, auparavant défini comme « le centre-ville de tous les Libanais », dont la reconstruction permettrait de redéfinir son rôle central, devait retrouver cette centralité et cette notoriété, en dualité avec les nouvelles centralités secondaires créées pendant la guerre 89. C’est donc selon trois enjeux majeurs que la reconstruction se focalisa : d’une part, la préservation de l’héritage de la ville ; la « modernisation » du centreville d’autre part, et, pour finir ; le développement et l’amélioration du réseau routier 90.
Plan Eddé (1991) CONTEXTE C’est dans ce contexte de volonté de remettre sur pied le centre-ville de Beyrouth, si longtemps délaissé, abandonné et vidé, que Henri Eddé propose un schéma directeur. Henri Eddé est né en 1925 et est diplômé de l’Ecole française d’ingénieurs à Beyrouth en 1946. Il a participé à de nombreuses commissions sur l’aménagement du territoire durant l’époque de la présidence de Fouad Chéhab. Après avoir retrouvé son bureau d’architecture, situé à l’époque à Starco, un quartier situé au centre-ville, durant les premières années de la guerre, il a décidé de rejoindre le bureau d’études Dar Al Handassah (Shaïr & Partners). Ce dernier intervenait dans le Moyen-Orient et en Afrique. 89 LORET, Stéphane. Les représentations en acte dans le processus de reconstruction du centre-ville de Beyrouth. Dans : ORBR, Lettre d’information, numéro 12, 2000. P.2 90 SAMARA, Rana. Urban reconstruction in the Twentieth Century: The Postwar Deconstruction of Beirut, Lebanon. (Université McGill, Montréal, mémoire de fin d’études, Avril 1996). P.49
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L’atelier Dar Al Handassah se vit contraint, par la suite, de déplacer ses bureaux vers le Caire, Paris et Londres à cause des évènements qui eurent lieu au Liban. Lors des deux périodes d’accalmie, en 1977 et 19821983, Dar Al Handassah a participé aux tentatives de reconstruction du centre-ville, et Henri Eddé en était le responsable des interventions. ACTEURS C’est en 1991, et pour donner suite à une demande de Rafic Hariri, adressée à Dar Al Handassah, que Henri Eddé établit le projet de reconstruction. Il paraissait logique que ce soit Dar Al Handassah qui s’occupe de ce projet. En effet, ce bureau avait su faire ses preuves dans le Moyen Orient, mais aussi et surtout au Liban, lors de l’élaboration du projet de l’APUR en 1977 pour lequel Dar Al Handassah jouait un rôle de consultant. PROJET Le projet se focalise sur la volonté de moderniser le centre-ville. Il ne s’inscrit donc pas dans une continuité avec le passé ni d’une préservation du patrimoine existant. Néanmoins, on retrouve un timide clin d ’œil à l’héritage de Beyrouth, grâce à l’usage de tuiles rouges en toiture, recréant ainsi l’homogénéité pittoresque de la ville ancienne. Henri Eddé, par ce projet, propose de ne pas (re) créer une ville sur base de l’existant, comme une superposition d’éléments sur le tissu ancien. Il aborde la problématique via une approche plutôt destructrice, sur base de tabula rasa ; plutôt que conservatrice. Les seuls éléments conservés sont ceux mis en place durant la période du Mandat français, à savoir les secteurs de la place de l’Etoile ; et des rues Foch et Allenby. Des bâtiments symboliques font aussi l’objet d’une préservation, comme par exemple le Grand Sérail, le bâtiment de la Municipalité de Beyrouth, ainsi que ceux 84
Henri Eddé (1925 – 2010) Henri Eddé est né en 1925, issu d’une famille bourgeoise. Il poursuit ses études d’ingénieur à l’Ecole française d’ingénieurs, d’où il sera diplômé en 1946. Durant les années de la présidence de Fouad Chéhab, il participe à de nombreuses commissions sur la définition de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, tout en entreprenant des études de projets d’urbanisme. Durant les années 60, il se fait connaitre grâce à son engagement dans les secteurs aussi bien personnels que politique. Il devient le directeur de l’Ordre des architectes et des ingénieurs de Beyrouth. Pendant la guerre, et à cause de la destruction de son bureau au centre-ville, il est embauché dans le bureau d’études Dar Al Handassah et se verra confier la mission de mettre en place le nouveau plan pour la reconstruction du centre-ville. Il décèdera en 2010.
implantés dans le secteur des banques. Tout le reste du centre-ville est dès lors vu comme une potentielle page blanche 91. Le concept principal du projet est de créer un plan orthogonal, marqué par trois axes majeurs : l’un partant de la colline du Grand Sérail, l’autre de la rue Maarad-Allenby, et le dernier de la place des Martyrs, tous trois s’ouvrant sur la mer. Ce dernier axe, en réponse à la demande de Rafic Hariri, serait « plus large que les Champs-Elysées » 92 , qui, volontairement ou non, diviserait la ville en deux territoires confessionnels. Il serait le plus monumental, découlant sur une marina dans le premier bassin du port et sur « Bourj el Bahr » (La tour de la mer), un complexe de bureaux de 180 mètres de diamètre. Il profiterait également de la déchetterie au Nord, qui accumulait les débris des destructions de la guerre, afin d’en faire un remblai – communément connu sous le nom du remblai de Normandy du nom de l’hôtel qui y était implanté – et d’augmenter par conséquent la superficie au sol du centre-ville de Beyrouth. Dans ce cas-ci, le remblai aurait la typologie d’une ile, reliée à terre ferme par des ponts inspirés de ceux qui franchissent le Rialto à Venise. Cette ile formerait un district touristique et d’habitations de luxe. Circulation Henri Eddé avait prévu d’enclaver cette partie de territoire, la séparant du reste de la ville via des voies de circulation rapide, en partie souterraines. Ces routes permettraient l’accès au centre-ville, qui aura pour vocation d’être un quartier d’affaires, tout en faisant office de barrage avec le reste de la ville. Destructions Après la destruction des souks Nourieh et Sursock en 1982-1983 par la société OGER, ceux de Tawileh et Ayass furent détruits à leur tour. Le projet Eddé prévoyait aussi la destruction des quartiers de Ghalghoul, de Mar Maroun et de Wadi Abou Jmil, quartiers majoritairement résidentiels, destructions qui ont fait polémique car jugées aléatoires. De plus, le plan fut critiqué par sa volonté de garder et de restaurer la zone de la Place de l’Etoile, vestige de l’époque du Mandat français, qui rompait avec l’aménagement urbain des civilisations antérieures (cf. supra). Ce parti pris a donc été sujet de débat : « Pourquoi privilégier dans la mémoire de Beyrouth ce moment d’une rupture radicale à la fois architecturale et politique ? » 93 . Le plan n’a donc pas convaincu les partisans du patrimoine de Beyrouth, puisqu’il favorisait une politique de destructions plutôt qu’une superposition d’éléments sur un tissu urbain encore viable. 91 Ibid, p.52 92 EGO, Renaud. La dernière bataille de Beyrouth. Dans : L’architecture d’aujourd’hui, numéro 289, Octobre 1993. P.53 93 Loc. cit.
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Figure 31 - Projet d’Henri Eddé, les tuiles rouges coiffant les toits des bâtisses
Figure 32 - Les trois axes du projet Eddé
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De plus, certains bâtiments remarquables avaient prévu d’être conservés, non pas pour leur fonction mais plutôt pour leur grandeur architecturale. Néanmoins, ces derniers se verraient coupés de leur contexte lors de leur réintégration dans le tissu reconstruit. D’un autre côté, les souks, construits à l’identique, n’accueilleraient plus des commerçants indépendants et perdraient leur usage populaire, pour laisser place à une clientèle internationale. L’idée qui en découle est de donner au centre-ville de Beyrouth une identité économique et populaire internationale, en laissant à l’extérieur de son périmètre les fonctions indésirables. RÉSULTAT En opposition avec le SDRMB (Schéma Directeur de la Région Métropolitaine de Beyrouth), établi en 1986, qui développait son étude sur l’entièreté de la superficie du Grand Beyrouth, le plan érigé par Henri Eddé se focalise uniquement sur le centre-ville de Beyrouth, le coupant ainsi de son contexte et niant les idées de re-modernisation et d’accessibilité. De plus, la réhabilitation des quartiers de Ghalghoul, de Mar Maroun et de Wadi Abou Jmil, en feraient des quartiers riches, obligeant les habitants de l’époque à se déplacer, renforçant ainsi la dualité entre le centre-ville voué à une classe riche et la ceinture de misère qui l’entoure. Cette notion s’est aussi marquée par la création de la fameuse ile (cf. supra). Le projet d’Henri Eddé s’inscrivait dans une idéologie de grand aménagement beaux-arts, couplé à un engouement pour la voiture et les infrastructures routières massives, ce qui n’a pas été au goût de la majorité de la population 94. Le projet a longuement été critiqué par différents architectes et urbanistes, qui trouvent en lui un caractère politique trop marqué. Il a longtemps été décrit comme le plan « dépourvu de mémoire », trop en retrait au contexte territorial et axé sur la concurrence mondiale. Architectes et urbanistes ont aussi déploré les destructions massives qu’il imposerait, bien plus nombreuses que celles déjà prévues. De plus, une opposition s’est fait sentir entre le commanditaire, Rafic Hariri, qui souhaitait densifier tant que possible le tissu urbain, et Henri Eddé, qui se sentit contraint de démissionner car incapable d’imposer ses idées et opposé aux contraintes instaurées par Hariri.
94 GAVIN, Angus. Heart of Beirut: making the Master Plan for the Renweal of the Central district. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.218
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Figure 33 - Projet Eddé - Henri Eddé (1991)
Figure 34 - Perspectives du projet Eddé
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Plan Louis Sato (1993) CONTEXTE
Louis Sato
A la suite de tous les débats et controverses que le plan de Dar Al Handassah a engendrés, et au vu de la démission de Henri Eddé, Rafic Hariri demande à l’urbaniste Louis Sato de réimaginer un plan directeur pour la reconstruction du centreville de Beyrouth, tout en se basant sur le plan précédemment établi.
Louis Sato est un architecte et urbaniste français né en 1937 à Tokyo. Il arrive en France en 1946, où il entreprend une formation à l’Ecole polytechnique puis à l’Ecole nationale des ponts et chaussées.
ACTEURS Louis Sato est un architecte et urbaniste français. Il se fit une place dans l’affaire de la reconstruction en jouant un rôle de « négociateur ». En effet, il réussit à convaincre Rafic Hariri de conserver des monuments historiques dans le centre-ville, ce qui mena à une tendance de conservation historique. Pour lui, il était nécessaire de réfléchir à la reconstruction en se basant sur les éléments existants, afin de mettre sur pied un patrimoine urbain qui s’inscrit dans la continuité du passé. C’est donc l’insertion d’un tissu traditionnel dans un contexte contemporain qui prime ici, contrairement à l’approche d’Henri Eddé, dont le principal objectif était de prendre Beyrouth comme une page blanche. C’est d’ailleurs principalement à cause de cette approche, trop radicale, qu’Henri Eddé attira les foudres de ses compatriotes et du grand public libanais 95.
Il est nommé spécialiste de la planification urbaine au ministère de la Construction en 1961, et crée son cabinet d’ingénierie et d’urbanisme ; SATO et associées, en 1976. En 1993, il est nommé consultant général pour la mise en place du schéma directeur pour la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, et s’occupe par la suite de la conception du nouveau front de mer.
PROJET
Louis Sato avait pour objectif via ce projet de rendre le centre-ville à tous les libanais; d’en faire le lieu de rencontre de toutes les communautés. Sa démarche ne se focalise pas uniquement sur la restauration symbolique du centre, mais aussi d’y intégrer les modifications qu’il a subies, notamment le remblai de 40 hectares. 95 MATSUBARA, Kosuke. The morphology of Beirut’s multilayered Downtown area.
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Autorités publiques
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Schéma directeur pour la reconstruction du centre-ville de Beyrouth (1993)
Louis Sato
Figure 35 - Schéma d’acteurs - Schéma directeur pour la reconstruction du centre-ville de Beyrouth (1993)
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Le projet de Louis Sato peut se résumer en quatre grandes catégories :
- Redéveloppement de la corniche en une promenade, avec le remblai faisant office de parc urbain et intégration du port au centre-ville.
- Préservation d’environ 400 bâtiments, ce qui permettrait non seulement de préserver les traditions de la ville mais aussi de garder un coefficient d’exploitation du sol relativement bas, tout en assurant la conservation des quartiers de Wadi Abou Jmil, Ghalghoul et Mar Maroun.
-D éfinition des zones d’excavation de sites archéologiques
-M ise en place de concours internationaux pour la réhabilitation de certaines zones, notamment les souks, la places des Martyrs, l’habitat collectif, ainsi que la corniche 96.
D’un autre côté, Louis Sato propose une nouvelle vision de la circulation : là où Henri Eddé avait pour intention de limiter les relations entre le centre-ville et les territoires adjacents en utilisant un réseau routier majoritairement en tranchées, Sato se focalise sur des « boulevards urbains de moindre gabarit »97, ce qui permettrait une meilleure intégration du centre au reste de la ville. Concernant la reconstruction, ce projet propose un pragmatisme plutôt que le volontarisme mis en œuvre jusque-là. Les impératifs objectifs de l’époque ne justifient pas la planification, et l’architecture doit se confronter à la réalité. Son rêve doit être réalisable 98. Quant au remblai, ce territoire gagné sur la mer, il aura pour vocation, dans les plans de Sato, d’accueillir de nouvelles fonctions, qui ne seront définies qu’en 2005 ou 2010, en réponse à l’extension incertaine de Beyrouth. De plus, ce remblai possède la particularité de ne pas être pris en compte dans le calcul des coefficients d’exploitation. Cela permet, par la suite, et si besoin, d’y rajouter des immeubles de grandes superficies et de gabarits élevés, afin de garder dans le centre historique un CET (Coefficient d’Exploitation du Territoire) bas et par conséquent de préserver le patrimoine du bâti existant et de faible hauteur. En ce qui concerne les quatre cents bâtiments préservés, ils seront rendus à leurs propriétaires sous certaines conditions : de les préserver et les réhabiliter 96 SAMARA, Rana. Urban reconstruction in the Twentieth Century: The Postwar Deconstruction of Beirut, Lebanon. (Université McGill, Montréal, mémoire de fin d’études, Avril 1996). P.54 97 EGO, Renaud. La dernière bataille de Beyrouth. Dans : L’architecture d’aujourd’hui, numéro 289, Octobre 1993. P.55 98 MARTORELL, Joseph. Nova Icària. Dans : Barcelone, ville et architecture, 1980-1992 (traduit par DURAND, Etienne). Editions Gustavo Gilli, Barcelone, 1991. P. 10
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selon un délai donné, de gérer eux-mêmes les débats avec les propriétaires, et enfin de payer une taxe à la société foncière pour les travaux de voirie. Vu les conditions mises en place, peu de propriétaires accepteront de récupérer leur bien, la plupart léguant la responsabilité de la reconstruction à la société foncière Solidere, en échange d’actions dans ladite société. RÉSULTAT Cette reconstruction verra finalement le jour, elle sera mise en œuvre grâce au contrôle de Solidere qui jouera ici le rôle d’aménageur, et fera l’objet d’un phasage. Néanmoins, l’essence même de la reconstruction a été modifiée : là où l’objectif principal était de remettre sur pied ce lieu de rencontre des différentes communautés, l’effort s’est plutôt concentré sur les symboles de ce centre, notamment les souks, l’hôtellerie et l’habitat, rendant le centre-ville une figure de proue pour les activités touristiques. Solidere, grâce à sa situation juridique particulière, profite d’un monopole de la reconstruction, ce qui lui permet d’échapper aux contrôles de l’Etat 99. Elle présentera donc beaucoup d’avantages au niveau économique et gagnera en notoriété, mais ne sera par la suite pas appréciée par la majorité de la population libanaise, à cause des choix qu’elle entreprendra.
99 EGO, Renaud. La dernière bataille de Beyrouth. Dans : L’architecture d’aujourd’hui, numéro 289, Octobre 1993. P.58
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Figure 36 - Schéma Directeur pour la Reconstruction du centre-ville de Beyrouth - Dar Al Handassah (Shaïr & Partners) et Louis Sato (1993)
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Approches urbanistique et architecturale des années 1990 LE TOURNANT DES ANNÉES 90 À BEYROUTH Les années 1990 marquent un tournant dans l’architecture à l’échelle des villes occidentales. Elles permettent d’apporter des réponses à « la crise de l’architecture et de l’urbanisme » 100. Au niveau de l’architecture, on voit la naissance du postmodernisme, qui propose une approche de l’architecture en rupture avec les idéologies pures et dures du modernisme, pour s’orienter vers une architecture qui fait allusion au passé, tout en le réinterprétant avec des touches de modernité. Du côté de l’urbanisme, on passe à un urbanisme moderne, dirigé par trois principaux impératifs : économique, via la mondialisation et un objectif d’attractivité des investisseurs privés ; social, par la réhabilitation par exemple d’anciens sites industriels qui permettent la conception de nouveaux projets; et enfin environnemental, en mettant la conscience écologique au cœur du projet 101. La reconstruction du centre-ville de Beyrouth s’inscrit dans ce tourant des années 1990. Néanmoins, les premiers plans élaborés sont en décalage avec ce nouveau courant de pensées. En effet, les premiers plans proposent un nouveau tissu urbain en rupture avec le passé ; une vision fonctionnaliste de la voirie, et une approche de l’écologie qui se limite à l’organisation d’espaces verts, mettant de côté l’éventualité de mise en place de transports collectifs102. C’est par la suite l’IAURIF qui a pris l’initiative de remodeler le plan initial pour l’orienter vers cette vision postmoderniste de l’époque. C’est essentiellement grâce à la collaboration entre l’IAURIF et des bureaux libanais, pour le compte du CDR et de la DGU, que le projet initial prendra un autre tournant. Parmi les études de l’IAURIF, on retrouve « le plan de reconstruction des quartiers situés le long de l’ancienne ligne des combats à Beyrouth et en proche banlieue ; le dossier du concours international pour l’aménagement du Bois des Pins de Beyrouth ; le plan transport du Grand Beyrouth ; le programme post-conflit de développement économique et social du Liban-Sud ; le Schéma d’Aménagement du Territoire du Liban (SDATL)... » 103. 100 AWADA, Fouad. « Les apports français et européens à l’urbanisme au Liban. Influences et résistances ». Dans: Conquérir et reconquérir la ville, l’aménagement urbain comme positionnement des pouvoirs et contrepouvoirs. Liban, Editions ALBA. 2009, p. 183 101 CARRIERE, Jean-Paul. DEMAZIERE, Christophe. Projet urbain et grands projets emblématiques : réflexions à partir de l’exemple d’expo 98 à Lisbonne. Dans : Villes et projets urbains en Méditerranée. Tours, presses universitaires François Rabelais, 2002. P.43 102 AWADA, Fouad. Les apports français et européens à l’urbanisme au Liban. Influences et résistances. dans: Conquérir et reconquérir la ville, l’aménagement urbain comme positionnement des pouvoirs et contre-pouvoirs. Liban, Editions ALBA. 2009, p. 184 103 Loc. cit.
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L’ensemble de ces études, nous le remarquons, s’inscrivent dans le courant des années 90, principalement en termes écologiques. A travers une approche comparative, nous allons analyser l’exemple de Beyrouth avec d’autres exemples d’expansion urbaine de la même époque ; à savoir le Village Olympique de Barcelone et Potsdamer Platz à Berlin, afin de savoir dans quelles mesures la reconstruction du centre-ville de Beyrouth répond à un impératif de l’époque. LE VILLAGE OLYMPIQUE DE BARCELONE, UN EXEMPLE DE L’APPROCHE URBANISTIQUE ET ARCHITECTURALE DES ANNÉES 1990 L’instauration des Jeux Olympiques (JO) dans des grandes villes du monde a souvent été un prétexte pour la (ré)organisation de la ville. Ce fut entre autres le cas à Barcelone, où les JO de 1992 ont permis une extension de la ville sur le littoral, ainsi que la création d’une nouvelle zone habitable. Barcelone, ville méditerranéenne au Sud de l’Espagne, a connu deux principales périodes de gloire : la première datant du Moyen-Age, tandis que la seconde vit le jour avec la Révolution Industrielle du XIXe siècle. La ville a ensuite accueilli trois évènements majeurs d’ampleur internationale, à savoir l’Exposition Internationale de 1888 ; qui a permis la restauration de la Ciutadella, l’Exposition Universelle de 1929 qui a engendré un réaménagement de la zone du Montjuic, et, pour finir, les Jeux Olympiques de 1992, vus comme une opportunité afin de recréer et améliorer la qualité urbanistique de la zone du littoral 104. Alors que Barcelone prit comme leit motiv l’accueil des Jeux Olympiques de 1992 pour mettre en place un plan de revalorisation urbaine, Beyrouth, quant à elle, et selon ces mêmes principes, prit la guerre et ses destructions comme une opportunité afin de remodeler la ville et lui donner une nouvelle vision, axée sur le futur et la modernité. La question est de savoir quelle forme urbaine et quels programmes furent mis en avant dans le projet pour le Village Olympique de Barcelone, tout en les comparant avec la situation à Beyrouth à la même époque. Tout d’abord, les villes de Beyrouth et de Barcelone, comme beaucoup de villes européennes existent déjà, c’est-à-dire que l’enjeu n’est pas de démolir pour reconstruire, mais plutôt de créer dans le créé, et donc de conserver plutôt que de concevoir. 104 ABAD, Josep Miquel. Olympic Village, City and Organization of the Olympic Games. The Experience of Barcelona’99. Dans: Olympic villages. Hundred years of urban planning and shared experiences. International Symposium on Olympic Villages, Lausanne, 1996. International Olympic committee, documents of the Museum, 1997. p.15
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Toutes deux s’inscrivent dans une logique de « nouveau modernisme », qui fonctionne à grande échelle et rompt avec la petite échelle qu’imposait le mouvement moderne à l’époque. En effet, pour les deux villes, la volonté d’une nouvelle modernité passe d’abord par une amélioration des infrastructures existantes, principalement routières et de télécommunication. De ce fait, le projet de Louis Sato pour Beyrouth prévoit la provision d’infrastructures complètes, à savoir routes, services et espaces publics. A Barcelone, cette vision se concrétise par la création de rondas ; des infrastructures routières périphériques permettant de relier les quartiers olympiques tout en décongestionnant la vieille ville, ainsi qu’autant que possible la création de parcs. D’un autre côté, la modernité passe aussi par la réadaptation des typologies et archétypes de la ville ancienne. A Barcelone par exemple, on prit la morphologie urbaine traditionnelle de la ville, à savoir la trame d’Idelfonso Cerdà mise en place au XIXe siècle, avec ses îlots, et on l’étendit jusqu’au front de mer jusqu’à créer une façade maritime. Les îlots quant à eux, principaux éléments de la trame de Cerdà, ont été réaménagés et transformés en « superîlots », regroupant trois îlots traditionnels, et construits sur leur périphérie, de manière plus ou moins ouverte, ou plus ou moins fermée. Cette modification dans l’élément de base a permis l’implantation de « typologies modernes résidentielles »105 à l’intérieur du « super-îlot », comme par exemple des maisons d’un étage de hauteur ou des tours 106. A Beyrouth, cette volonté de retourner à des impératifs historiques s’est marquée, lors de la reconstruction d’après-guerre, par la conservation et la préservation de bâtiments anciens, ainsi qu’à la construction à l’identique de bâtiments ayant subi les dommages de la guerre de manière trop avancée pour être récupérables. Dans le quartier résidentiel de Saïfi, par exemple, on prit les archétypes de la maison traditionnelle libanaise, qu’on reproduit dans les nouvelles constructions. Ce type d’édification a souvent mené à un urbanisme et une typologie du tissu bâti tirant vers le pastiche. Dans un troisième temps, les deux villes ont fait appel à des partenaires privés, avec la collaboration du gouvernement et des instances publiques, afin de déployer un projet de telle envergure. A Barcelone par exemple, Holsa, une société de holding, est créée spécialement pour l’aménagement du territoire en vertu des Jeux Olympiques. Elle regroupe notamment « l’Etat, la Generalidad et la municipalité à des partenaires privés [...], des propriétaires
105 MARTORELL, Joseph. Nova Icària. In Barcelone, ville et architecture 1980-1992 (traduit par DURAND, Etienne). Editions Gustavo Gilli. Barcelone, 1991. p.29 106 PUICOUYOUL, Philippe. Paroles d’artistes : David Mackay et Francesc Gual, agence MBM arquitectes, 2012. Collection du musée national d’art moderne, Centre Pompidou, don de MBM arquitectos, 2011. En ligne : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/c6rzkpd/r6bKjz7 (dernière consultation le 30.03.2020)
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Figure 37 - Perspective du Village Olympique de Barcelone - MBM Arquitectes (1985-1992)
Figure 38 - Super-îlots du Village Olympique
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Figure 39 - Plan pour le projet du village olympique de Barcelone - MBM Arquitectes (1985-1992)
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fonciers, des institutions publiques » 107. Pour ce qui est du cas de Beyrouth, une société foncière privée ; Solidere, a été créée et chargée de s’occuper de la reconstruction du centre-ville (cf. supra). L’engagement d’institutions privées dans un projet de telle envergure peut, comme dans le cas de Barcelone, mener à une approche positive et une bonne appréhension et exécution du projet. Ce ne fut néanmoins pas le cas dans la capitale libanaise, où les intérêts privés prirent le dessus sur les avantages publics. Pour finir, au niveau programmatique, les deux villes de Beyrouth et Barcelone tendent vers une revalorisation des services publics et des espaces ouverts. De ce fait, centres commerciaux, hôtels et stations balnéaires trouvent leur place dans ce nouvel urbanisme. Concernant les espaces publics, ils prennent la forme d’allées piétonnes, de parcs et de places, éléments majeurs dans l’élaboration du projet. Les réflexions dans les deux villes de Beyrouth et Barcelone sont donc axées sur un retour aux normes de l’architecture du passé, en rupture avec un pragmatisme et une vision de l’architecture centrée sur le futur. Le modèle de reconstruction du centre-ville de Beyrouth s’inscrit donc dans une tendance de l’urbanisme commun à d’autres villes dans les années 1990. POTSDAMER PLATZ À BERLIN, UN EXEMPLE DE (RE)CONSTRUCTION SUR BASE DE TABULA RASA La guerre ou tout autre évènement historique ont toujours eu un impact sur le tissu urbain d’une ville. Il y aura toujours, dans la mémoire de cette ville, un « avant » et un « après ». C’est le cas de Berlin qui, pendant presque trois décennies, s’est vu séparé en deux sites distincts par le Mur de Berlin (cf. supra). Berlin, capitale de l’Allemagne depuis 1991, est un état fédéral du pays. Elle a connu différentes périodes durant son expansion, dont la période de Weimar dans les années 1920, le contrôle des Nazis en 1933 et la destruction de la ville durant la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que cette fameuse période du Mur de Berlin et enfin la réunification après la chute dudit mur. Avec la chute du Mur de Berlin, les ruines de Potsdamer Platz, ainsi que celles se situant sur la Leipziger Platz, tout comme les bâtiments délabrés, se retrouvent rasés, laissant comme seule mémoire leur empreinte au sol. Les deux places ne représentent alors que des espaces vides. Potsdamer Platz devient dès lors l’élément de la réunification de Berlin. Elle se transforme donc en laboratoire expérimental. De nombreux bâtiments sortent de terre, et l’économie de la ville 107 AUDOUIN, Jean. Histoire d’une renaissance toujours renouvelée. Dans : Barcelone, la ville innovante. Paris, Librairie du Moniteur, 2010. P.34-48
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croît, ce qui attirera au fur et à mesure des compagnies internationales. Ce fut le cas notamment de Daimler-Benz, qui décida de s’implanter sur Potsdamer Platz en 1990, suivi en 1991 par le géant japonais Sony. A cette période de reconstruction, plusieurs architectes de renommée internationale comme Zaha Hadid, John Hejduk ou encore Coop Himmelblau, proposèrent des projets pour la place ; projets qui seront mal perçus par le plus grand nombre, jugés trop postmodernistes et présentant une rupture trop marquée avec la structure historique de la ville 108. Un concours fut par la suite organisé, et remporté par Hilmer & Sattler en 1991. Ils proposaient un projet définissant de nouveaux axes routiers, avec des blocs respectant tous plus ou moins les mêmes gabarits. L’idée de ce projet est de créer un espace en plein centre-ville, qui pourrait attirer les habitants de Berlin, malgré le fait qu’il serait entièrement dédié à des équipements et non à des habitations. L’enjeu était alors de créer des espaces publics à l’intérieur de bâtiments privés, enjeu mis en place par Daimler & Benz pour la plupart de leurs parcelles. L’idée était que Potsdamer Platz deviennent un quartier à échelle humaine, un lieu d’échanges, de rencontres et de partages ; un lieu que les Berlinois pourraient s’approprier et auraient plaisir à visiter. Les principaux équipements mis en place furent alors des centres commerciaux, des cinémas, des restaurants et des bars. Richard Rogers mit au point, par la suite, le plan directeur de cet espace. Tout en gardant l’ancienne configuration urbaine radiale, ainsi que la typologie historique des bâtiments, Rogers propose des constructions à hauteurs limitées et respectant les gabarits de la ville ancienne. De plus, l’objectif était aussi de répondre aux besoins des Berlinois en matière d’accessibilité et de circulation ; ce pourquoi Rogers instaura un pôle majeur de circulation des transports en commun, tout en faisant dévier le trafic routier des zones de la Potsdamer Platz et de la Leipziger Platz, permettant ainsi un flux piétonnier. D’un autre côté, les enjeux urbanistiques et écologiques de l’époque poussèrent l’architecte et son équipe à privilégier les espaces publics et verdurisés, tout en apportant des solutions en termes énergétiques et thermiques. Néanmoins, le plan directeur pour la Potsdamer Platz peut être vu comme un échec, comme ce fut le cas à Beyrouth. En effet, favorisant les fonctions publiques, en délaissant totalement les habitations dans ce secteur de la ville, ce plan questionne la place d’un centre au cœur de la ville. 108 ENKE, Roland. Missed opportunities? The re-creation of Potsdamer Platz – planning, competitions and construction. Dans: Der Potsdamer Platz. Urban architecture for a new Berlin. Berlin, Editions Jovis, 2000. P.32
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Qu’est-ce qui qualifie un centre-ville ? Les fonctions publiques qui l’animent, les habitations qui le rendent vivant, les différents types de circulation qui permettraient son accès, ou encore la typologie urbaine utilisée ? Pendant longtemps, et principalement durant les années 1990, les architectes et urbanistes ont été convaincus que le respect de la typologie urbaine ancienne du tissu bâti permettait un bon fonctionnement et une redynamisation des centres-villes. Comme quoi, la typologie répondrait à toutes les questions de qualité et d’appropriation de l’espace par les populations, indépendamment des fonctions qu’on allait y implanter. Au travers des approches de Barcelone et Berlin, en comparaison avec le centre-ville de la capitale libanaise, nous pouvons dire que Beyrouth s’inscrit dans cette nouvelle vision qui émergea au début des années 1990, à savoir un retour aux typologies de la ville ancienne. Dans certaines villes, comme à Barcelone, cette approche urbanistique fut un succès, les habitants s’appropriant aussi bien les espaces publics que les espaces privatifs. Néanmoins, ce ne fut pas le cas partout, puisqu’à Berlin par exemple, l’utilisation des typologies ne répondit pas aux besoins des habitants, les fonctions y étant implantées prenant le dessus sur la forme. A Beyrouth aussi, l’idée de reconstruire certains secteurs « à l’ancienne », c’est-à-dire en recopiant les bâtiments anciens à l’identique, comme dans le quartier de Saïfi ou de la place de l’Etoile par exemple, tout en y modifiant le programme, anéantit toute idée d’appropriation et d’identité urbaine, réduisant les espaces à une simple représentation urbanistique et matérielle, et ne répondant pas aux besoins de la ville nouvelle. Beyrouth, Berlin, Barcelone. Trois villes, trois différentes approches de la reconstruction et de la modernisation. Trois projets ancrés dans le postmodernisme des années 1990.
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Figure 40 - Plan masse du projet de la Potzdamer Platz - Richard Rogers (1991)
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1993-2020 : Mise en œuvre du plan par Solidere CONTEXTE En 1992, le Conseil des Ministres définit, via des décrets, les limites du centreville de Beyrouth et par conséquent le plan de Dar Al Handassah ainsi que l’intervention de Solidere. Le nouveau centre-ville comprend alors 180 hectares de terrain exploitables, dont 60 hectares constituent le remblai gagné sur la mer. Dans un premier temps, le rôle principal de Solidere est de restaurer les bâtiments historiques de la ville et, dans un second temps, de préparer les terrains et prévoir les infrastructures afin que de nouveaux bâtiments voient le jour, soit par Solidere elle-même, soit par des tiers. L’idée ici est d’améliorer la qualité du site afin d’attirer investisseurs, visiteurs et habitants. Vision de la reconstruction La reconstruction menée par Solidere, et dirigée par Rafic Hariri, expose une vision de la ville en rupture avec l’héritage de la ville. Ici, planificateurs, développeurs et fonctionnaires se ruent sur le site et prévoient d’y ériger bâtiments, tours et réseaux routiers, comme pour étouffer la mémoire collective de la ville en ruines. Ils voient le terrain non pas comme un ensemble cohérent qui a traversé les époques, mais plutôt comme une opportunité économique, sociale, artistique ou encore contemporaine ; ce qui les met en dualité avec les historiens et archéologues, attachés à la question de culture, de patrimoine ou encore d’héritage 109. Destructions Dans l’objectif de développer le post-modernisme à Beyrouth lors de la reconstruction, Solidere décide de détruire plus de 80% du centre-ville. Ainsi, certains bâtiments qui auraient pu être préservés et restaurés se sont vu être rasés par les bulldozers et autres engins de démolition. De plus, les propriétaires ont été expropriés, souvent malgré eux, en échange d’actions et de bien-fonds. Au final, bien plus de bâtiments ont été détruits après la guerre, pour la reconstruction, que pendant la guerre. Les seuls bâtiments gardés pour être restaurés et remis sur pieds sont ceux hérités du Mandat français et situés dans les zones de la place de l’Etoile et des rues Foch et Allenby, ainsi que quelques bâtiments emblématiques des époques Ottomane et du Mandat ; dont le Grand Sérail, le bâtiment de la Municipalité de Beyrouth, ou encore l’immeuble Azarieh situé à l’ouest de la place des Martyrs. De plus, les bâtiments religieux ont été sauvegardés et restaurés par la suite via des initiatives privées, indépendantes de Solidere. 109 RABBAT, Nasser. The interplay of History and Archaeology in Beirut. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.21-22
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Pourquoi cette volonté de raser le centre-ville et de ne garder qu’une partie de la mémoire et de l’héritage de Beyrouth, à savoir la période du Mandat ? Pourquoi détruire tant de bâtiments et exproprier tant de propriétaires ? Cet acharnement sur la destruction montre bien la face cachée de la société : reconstruire mieux, plus grand, plus haut, pour mieux rentabiliser et attirer des investisseurs étrangers. Mais à quand la fin de la folie foncière ? Cette destruction massive montre bien les intérêts de Rafic Hariri, qui intervient sur le site afin de satisfaire ses propres projets et intérêts. Beyrouth devient alors l’exemple le plus parlant d’un urbanisme entrepreneurial et dirigé par le marché 110. D’un autre côté, Solidere s’est aussi attaquée à la question de la trame urbaine dans son objectif de reconstruction. Elle a en effet réduit à néant les barrières physiques entre les différentes propriétés, et les a regroupées en une seule unité qui sera par la suite divisée en parcelles et revendues à des investisseurs. La destruction d’anciens sites et habitations, ainsi que le regroupement de plusieurs lots en un seul bloc ; engendrent non seulement chez les Beyrouthins une perte du sentiment d’appartenance, et donc la trame sociale qui en découle ; mais aussi une rupture totale avec le tissu médiéval de la ville 111. Les habitants déplacés se trouvent ainsi désorientés et désemparés face à cette expropriation, qui leur fait perdre tous leurs repères en termes de terrain et de quartier. Préservation Puisque le centre-ville de Beyrouth est une accumulation des époques et des civilisations, un « collage » de styles architecturaux et de traditions succédés pendant des siècles, l’objectif du plan était de préserver la mémoire de la ville, non pas en préservant les bâtiments existants et en relativement bon état – comme nous l’avons déjà démontré – mais plutôt en se focalisant sur la trame urbaine déjà présente. Par conséquent, les alignements de rues et les façades des bâtisses sont préservés tant que possible, ce qui permet une continuité avec les nouvelles constructions. Une trame rationnelle et orthogonale a été mise en place sur le remblai du Normandy, en rallongeant les rues Foch, Allenby, ainsi que le couloir du Sérail sur ce nouvel espace. Limites du plan Les règlements urbanistiques ainsi que le plan, laissant supposer une volonté d’un agencement et d’une organisation, ne sont en fait que les composantes d’un système non conventionnel plus large, établi sur base d’aucun plan de 110 SCHMID, Heiko. Privatized urbanity of a politicized society? Reconstruction of Beirut after the civil war. European planning studies, March 2014, p.372 111 SALAM, Assem. The Role of Government in Shaping the Built Environment. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.132
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Figure 41 - Les dĂŠmolitions entreprises dans le centre-ville en 1983 et 2000
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Figure 42 - Plan du parcellaire en 1977
Figure 43 - Plan du parcellaire en 2011
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subdivisions préétabli, à l’exception de certaines zones définies pour des services publics et culturels. Le master plan se limite ainsi à une réflexion tridimensionnelle de l’espace, et à définition du programme laissée libre et modifiable en fonction de la demande du marché. ORGANISATION URBANISTIQUE ET TEMPORELLE DE LA RECONSTRUCTION Zoning Le centre-ville de Beyrouth est alors sujet d’un zoning bien particulier. Il est divisé en 10 zones, dont chacune fera l’objet d’un master plan détaillé. Ces zones sont délimitées grâce à plusieurs éléments ; notamment le relief naturel du site, les voiries, les couloirs visuels, ou encore le réseau d’espaces non bâtis. Tous ces éléments permettent de délimiter les zones de manière plus ou moins franche et claire 112. La zone A rassemble le parc créé sur le remblai, ainsi que la corniche, qui s’étend depuis la baie de Saint Georges à l’ouest jusqu’au premier bassin du Port à l’est. Elle a pour vocation d’accueillir des services récréatifs, culturels et commerciaux. Le secteur B ; le district hôtelier, est un espace avec des bâtiments à forte densité, prévu pour l’implantation d’hôtels, de bureaux, ainsi que des logements et des services récréatifs. Le secteur C est un terrain étroit dans l’axe du Grand Sérail, forme l’espace tampon entre le district hôtelier et la zone de conservation. Ses normes strictes en termes de respect des gabarits et des hauteurs, ainsi que ses toitures en tuiles permettent de garder une relation visuelle entre le Grand Sérail et le front de mer. Le secteur D rassemble le territoire gagné sur la mer. Il intègre des bâtiments à forte densité et d’usages mixtes, tels que des bureaux, des commerces, des logements ou encore des espaces dédiés à la culture. Il est divisé en blocs, dont chacun accueillera un bâtiment, ce qui donne la possibilité de mettre en place des tours. Le secteur E rassemble la zone anciennement dédiée aux souks ottomans. Cet espace est prévu afin d’accueillir des fonctions commerciales et de bureaux, mêlant commerçants traditionnels et indépendants, et grandes enseignes. De plus, un espace de stationnement en sous-sol est prévu à cet effet. La zone F prend en compte l’ensemble du quartier de Wadi Abou Jmil ; l’ancien 112 SALIBA, Robert. Beirut City Center recovery: the Foch-Allenby and Etoile conservation area. STEIDL, Allemagne, 2004. P.189
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quartier juif de Beyrouth, qui a pour vocation de rassembler principalement des logements, ainsi que des commerces. Cette zone présente une forte proportion de bâtiments préservés. Par ce caractère particulier, elle fait l’objet de règles particulières. Ici, l’enjeu principal est de préserver des bâtiments de faible densité. La zone G est celle de conservation de l’héritage ottoman et de la période du Mandat. Elle fait, elle aussi, l’objet de règles particulières. C’est le cœur politique, financier et religieux du centre-ville. Le secteur H regroupe la place des Martyrs et ses abords. Cet axe nord-sud est l’un des plus larges et des plus importants de Beyrouth. Etant donné sa situation géographique, c’est un espace à fort potentiel. L’objectif du projet, via cet espace, sera alors de reconnecter la ville, de réactiver le centre-ville, et de créer une relation avec le front de mer. Cette zone fera l’objet d’un concours international, et mêlera bureaux, commerces, espaces culturels, ainsi que logements et espaces récréatifs. La zone I est celle de Saïfi village, un quartier résidentiel au cœur du centreville. Ici aussi, comme dans le quartier de Wadi Abou Jmil (secteur F), l’enjeu est de préserver au maximum les habitations peu touchées par la guerre, tout en y introduisant des commerces aux rez-de-chaussée. Elle fait aussi l’objet de règles spéciales, et se développe autour d’un réseau piéton, de places, et de rues à vocation paysagère ; afin de donner l’image d’un quartier urbain à vocation traditionnelle. Le secteur J est à bordure de l’avenue Fouad Chéhab, et regroupe les quartiers de Ghalghoul et Beirut Trade Center. Quelques bâtiments feront ici office de portique, afin de marquer l’entrée dans le centre-ville. Cette espace regroupera aussi des bureaux, des commerces et du logement 113. Phasage La reconstruction du centre-ville se fait donc par zones, chacune respectant un phasage particulier. En théorie, et selon les dires de Solidere en 1994 : La phase 1 s’étale de 1994 à 1999 et consiste en la réalisation des travaux d’infrastructures mis en accord avec l’Etat, à savoir la restauration de 265 bâtisses, la réalisation de 25 projets majeurs par Solidere, ainsi que la mise en œuvre d’autres projets de grande envergure par des promoteurs. Elle se focalise aussi sur les quartiers des Souks, celui des Banques, Saïfi, le centre historique et le traitement du remblai avec l’implantation de deux marinas.
113 Ibid, pp.189-190
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Figure 44 - Plan du zoning du centre-ville de Beyrouth
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La deuxième phase était prévue de débuter en 2000, avec le renouvellement de la place des Martyrs et le développement du remblai 114. En réalité, ce phasage a su être respecté durant les premières années de sa mise en place, mais présentes néanmoins des lacunes, principalement concernant la place des Martyrs ; cette dernière étant toujours, à l’heure actuelle, en phase de développement et de construction (notamment sur son front est). QU’EST-CE QU’UN CENTRE-VILLE ? OBSERVATION DE BEYROUTH SOUS L’ŒIL DE GUSTAVO GIOVANNONI Alors que pendant la guerre civile à Beyrouth, on vit l’émergence de nouveaux centres urbains en périphérie, au lendemain de la guerre, la reconstruction était sur toutes les lèvres et dans les esprits de tous. Jamais on n’imagina garder le centre en ruine, en focalisant ses efforts de reconstruction dans ces nouvelles centralités qui ont vu le jour pendant la guerre. Le centre-ville de Beyrouth devait retrouver sa place de cœur, et au plus vite. La question est alors de savoir ce qui caractérise un centre-ville, qu’est-ce qui le distingue d’un centre urbain, qu’est-ce qui fait que c’est un centre, et que les espaces adjacents en forment la périphérie. Pour Gustavo Giovannoni, architecte et ingénieur italien, un centre se distingue de la périphérie par son histoire et son héritage. C’est en effet dans le centre historique, qu’il nomme la ville ancienne, que les bâtiments trouvent leur essence. On y voit alors émerger un jeu de pleins et de vides à petite échelle. Au fil du temps, la ville ancienne est remodelée, en fonction des besoins et des usages, mais reste néanmoins limitée par son échelle. C’est par la suite que la ville nouvelle, ayant des capacités d’expansion illimitées, va prendre naissance dans ce noyau ancien, pour éventuellement s’étendre, dans le prolongement de la ville ancienne. Cette dernière restera néanmoins le noyau, le centre principal, indépendamment de l’ampleur de l’expansion de la ville nouvelle. Un centre est histoire. Dans la ville nouvelle, les rues s’élargissent et se développent dans la plupart des cas selon un réseau « orthogonal, radial ou radioconcentrique, tantôt répartis sur toute la ville, tantôt limités à tel ou tel noyau particulier. Dans les artères principales, et surtout dans les avenues, on prend soin de disposer des arrière-plans qui favorisent la perspective » 115. Cette organisation spatiale peut s’étendre à toute la ville nouvelle, comme ce fut le cas à Manhattan par exemple, ou à une petite partie du grand ensemble, comme à Beyrouth ; où on retrouve une génération de systèmes radioconcentrique au niveau de la place 114 -. Annual Report. Beyrouth, Solidere, 1994. P.21 115 GIOVANNONI, Gustavo. L’urbanisme face aux villes anciennes. Traduit de l’italien par MANDOSIO, Jean-Marc ; PETITA, Amélie ; TANDILLE, Claire. France, Editions du Seuil, 1998. P.74
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de l’Etoile et orthogonal dans le secteur des rues Foch et Allenby. Ce tracé ordonné est en contraste avec le tracé sinueux et irrégulier qui donnait à la ville ancienne son caractère. Un centre est organisé. Lors de la (re)construction d’un centre, les finances deviennent « le moteur principal du développement urbain » 116. La spéculation foncière prime alors sur le bien-être et la « beauté » du site, qui perd de son caractère jusqu’à être réduit à un simple numéro. Cette idée est bien marquée à Beyrouth, où les destructions forcées d’habitations traditionnelles ont laissé place à des bâtiments hauts, voire des tours. Un centre est rentable. D’un autre côté, c’est dans le centre de la ville que l’on retrouve un grand nombre de programmes. Institutions politiques, religieuses se lient et se mêlent aux habitations et aux services publics, juxtaposés aux fonctions commerciales. Jusqu’en 1975, le centre-ville de Beyrouth conservait ce statut de dominance et de centralité par rapport à la région métropolitaine. « Il regroupait le siège du gouvernement, des commerces et des centres de banques, un microcosme des affiliations religieuses et une attention particulière était appliquée aux hôtels et à la vie nocturne » 117 . Un centre est mixte. Pour finir, le centre-ville se distingue du reste de la ville par son caractère public. Un espace public suppose des parcelles qui n’appartiennent pas à une personne ou un groupe de personnes en particulier, mais à l’Etat, donc à tout un chacun. Ouvert, gratuit, et accessible à tous, il est financé par l’argent public, et est approprié par la population. Allant d’un lieu de débats et de contestations, à un lieu de rencontres et de repos, l’espace public peut naître sous toutes les formes et servir tous les usages. Il s’adapte et est dans l’ère du temps. Un centre est public. QU’EST-CE QUI CARACTÉRISE UN CENTRE-VILLE ? Depuis tous temps, la question de la reconstruction a fait débat dans les différentes visions des architectes. Certains voyaient la table rase comme une opportunité de redéfinir un territoire et de le moderniser, tandis que d’autres prônaient un retour vers les typologies et les usages du passé. Lors du 8e Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM8), tenu à Hoddesdon en 1951, la question du cœur de la ville (« The Heart of the city ») fut le sujet principal de débats et de réflexions, notamment vu le contexte autour duquel ce Congrès a eu lieu. En effet, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, il était important pour les architectes les plus influenceurs de l’époque de se pencher sur la question d’un centre-ville ; de ses usages et de ses fonctions. 116 Ibid, P.92 117 GAVIN, Angus. Heart of Beirut: making the Master Plan for the Renewall of the Central district. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.219 (traduit de l’anglais)
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Lors de ce CIAM, les quatre fonctions de la ville (habiter, travailler, se divertir, circuler) – établies lors du CIAM 4 et reprises dans la Charte d’Athènes – ont refait surface. Elles étaient considérées comme les éléments principaux qui forment une ville. Au terme de cette guerre mondiale, le centre d’une ville fut considéré comme un organe vital ; comme un cœur qui bat et dont la circulation représente les artères et les connexions avec les territoires environnants. La taille ainsi que la position de ce Cœur sont finies. Cette vision fonctionnaliste s’est ainsi opposée à la vision humaniste ; qui prônait la relation entre l’espace et la société 118, ainsi qu’à la vision symbolique, dans laquelle la ville est une relation constante entre le domaine public et le privé, entre le collectif et l’individuel 119. Dans son ouvrage Can our cities survive ? Josep Lluis Sert, président des CIAM lors du Congrès de 1951, prévenait déjà sur les risques que pourrait engendrer la guerre sur le Cœur de la ville ; à savoir une disparition de la centralité urbaine due à l’étalement urbain et à l’élargissement des frontières de la ville120. Le centre-ville deviendrait alors plus étalé, moins concentré et perdrait par conséquent son rôle de Cœur ; élément central et vital pour la ville. Pour lui, le centre d’une ville est caractérisé par une limite, une taille et des dimensions bien définies, qui permettent ainsi de conserver l’échelle humaine en son sein. Le cœur de la ville doit représenter une cellule d’un système plus large, allant de l’habitat urbain au cosmos 121. La ville d’après-guerre, selon Sert, est alors une interconnexion entre ancien et nouveau, entre fonctionnel et social. La relation entre la communauté et l’environnement dans lequel elle se meut devient alors primordiale, au détriment de la vision industrielle et mécanique d’antan. Richard Rogers sera par la suite du même avis que Sert sur ce point. A Beyrouth, alors que la reconstruction touche à sa fin, la question du « logement pour le plus grand nombre » n’est pas résolue. Dans le centre de la ville, les tours de logements le long du littoral ainsi que des habitations plus traditionnelles dans les quartiers de Bab Idriss et Saïfi ne sont destinées qu’à une certaine « élite » de la population (cf. infra). D’un autre côté, selon Sert, les équipements communautaires constituent un élément majeur dans la vie urbaine. Ecoles, hôpitaux, mais aussi lieux de loisirs et de récréation ne doivent par conséquent pas être distants des habitations et peuvent ainsi être considérés comme la prolongation de ces dernières 122. 118 ZUCCARO MARCHI, Leonardo. CIAM 8. The heart of the city as the symbolical resilience of the city. Dans: History urbanism resilience, volume 2, the urban fabric, 17th IPHS Conference, Delft, 2016. P.136 119 Ibid, p.139 120 Idem. 121 HYDE, Timothy. Planos, planes y planificación. Josep Lluis Sert and the idea of planning. Dans: Josep Lluis Sert, the architect of urban design 1953-1969. New Have, Yale university press, 2008. P.57-58 122 SERT, Josep Lluis. Can our cities survive? An ABC of urban problems, their analysis, their solutions. Cambridge, Harvard University Press, 1947. P.54
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A Beyrouth, comme dans certaines nouvelles zones résidentielles à l’étranger, les équipements communautaires sont peu nombreux, réduisant ainsi le sentiment de communauté au sein de la population. Richard Rogers, de son côté, aborde notamment la question de la circulation et des programmes dans l’ouvrage qu’il a présidé ; Towards an urban renaissance. Selon lui, la ville durable devra notamment répondre de manière ingénieuse à la mise en place de bâtiments, d’espaces publics et de réseaux de transports 123. Les équipements publics devraient ainsi faire partie intégrante de l’ensemble plus large que constitue la ville. Ces équipements, hormis le fait qu’ils permettent une meilleure circulation de l’air dans la ville ainsi qu’un espace de récréation, génèrent un sentiment communautaire au sein de la population. Quant à la circulation, elle constitue un élément essentiel de la ville selon Rogers. Les réseaux de transports doivent ainsi être améliorés dans des grandes villes, de sorte à privilégier les réseaux de mobilité douce et des transports en commun. Une telle modification du réseau routier permettrait ainsi de répondre à des objectifs sociaux, environnementaux et économiques, tout en générant des relations entre quartiers et habitants 124. Pour résumer, ce qui caractérise un centre-ville par rapport au reste de la ville, c’est la corrélation entre les quatre principales fonctions (habiter, travailler, se divertir et circuler), ainsi que la vision plus humaine et anthropomorphique qu’elle génère. Dans le Cœur de la ville, la population est en osmose avec son environnement. L’humain est ainsi remis au cœur des débats, au cœur de la ville. La situation à Beyrouth est quelques peu anecdotique à ce sujet. L’humain n’a pas réellement été pris en compte dans le cadre de la reconstruction, et ce, dès l’élaboration du schéma directeur. Un zoning particulier a engendré des destructions ainsi que des expropriations massives, laissant les Libanais vidés de leur Cœur pendant la guerre, mais aussi et surtout pendant la reconstruction. Aujourd’hui, les Libanais, qui se sont agglomérés autour de nouvelles centralités, tournent le dos à ce centre-ville qui, lui, s’oriente alors vers une population étrangère et internationale. De plus, les espaces publics et les équipements communautaires doivent, eux aussi, être intégrés dans la ville, ce qui n’est pas le cas à Beyrouth, où des places et des lieux de loisirs (hormis les souks et le cinéma) sont absents. Nous verrons par la suite que les Libanais, grâce à la Révolution qui soulève l’ensemble du pays depuis octobre 2019, tenteront de se réapproprier les espaces publics qui leur étaient interdits auparavant (cf. infra). 123 URBAN TASK FORCE. Towards an urban renaissance. Londres, E&FN Spon, 1999.p.39 124 Ibid, p.86
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CENTRE-VILLE = CENTRE COMMERCIAL ? RÉFLEXION À PARTIR DU JUNKSPACE DE KOOLHAAS Comment qualifier aujourd’hui le centre-ville de Beyrouth ? Pris en otage par des société foncières et des entreprises internationales, tiraillé entre la volonté de rester ancré dans son passé historique, et la vision d’ouverture à l’international, en termes économiques, sociologiques et urbanistiques, le centre-ville que l’on connait aujourd’hui est une juxtaposition hybride d’éléments disparates. D’un côté, on retrouve le cœur de la zone de restauration ; à savoir la Place de l’Etoile et les rues Foch et Allenby principalement, qui, tout comme la zone de Saïfi, tentent, tant bien que mal, de reproduire des typologies urbaines anciennes, tout en modifiant l’aspect intérieur des constructions. De l’autre côté, se développent des zones de forte densité urbaine, avec des tours, les unes plus hautes que les autres, comme pour aller à la conquête de l’horizon. Dans son ouvrage intitulé Junkspace, Rem Koolhaas fait une critique explicite des centres anciens. Pour lui, la ville se renouvelle sans cesse, tout en effaçant les traces du passé, sauf dans un quartier ; où le passé est préservé : « Il y a toujours un quartier appelé Faux-Semblant où l’on préserve un minimum de passé » 125. Il compare la ville nouvelle comme étant le lieu de shopping, espace conditionné donc conditionnel généré afin d’assouvir les besoins de la société nouvelle. Pour lui, la ville postmoderne se caractérise par des bâtiments qui sont de plus en plus standardisés, et où la forme et la fonction génèrent des frictions au sein des constructions. Le Junkspace est synonyme d’accumulation, et sa typologie ne révèle donc plus de la démarcation mais bien du cumulatif126. Le Junkspace devient alors accumulation de programmes, de formes et de fonctions, générant ainsi une dissonance entre ces éléments déchiquetés. Beyrouth peut ainsi être comparée à cette ville de Junkspace, décrite par Koolhaas. Depuis sa reconstruction, le centre-ville a du mal à affirmer pleinement sa vocation. Tantôt ancré dans des typologies anciennes, tantôt orienté vers des programmes internationaux, on a du mal à cerner la direction urbanistique et sociologique de ce territoire, ce qui génère une accumulation de zones, de secteurs bien définis, chacun possédant sa propre typologie urbaine et donc son propre mécanisme de fonctionnement.
Conclusion Nous l’avons vu, les plans émanant après la guerre présentent une nouvelle vision presque utopique pour le centre-ville de Beyrouth. Ils s’inscrivent dans 125 KOOLHAAS, Rem. 1995. Junkspace. Traduit de l’anglais par AGACINSKI, Daniel. Editions Payot & Rivages, 2001. P.63 126 Ibid, p.92
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une approche urbanistique et architecturale ancrée dans le monde durant les années 1990, mais font souvent l’objet de débats et controverses. Alors que l’on est à un tournant de la vie du centre-ville, une dualité entre les visions historique et urbanistique ; et les intérêts politiques et d’investissements voit le jour. Et c’est finalement l’approche économique et de rentabilité qui primera sur la préservation de l’héritage et de la mémoire collective. Cette vision mettra ainsi en péril le caractère du centre-ville comme le lieu de rassemblement de tous les Libanais.
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Chapitre IV Artefacts de la ville nouvelle
Dans ce chapitre, nous allons nous concentrer sur quatre zones du centre-ville; la place de l’Etoile, la place des Martyrs, les Souks et Saïfi, que nous allons analyser selon une approche rationnelle et comparative. Pour ce faire, j’ai décidé de prendre exemple sur le modèle de représentation de Oswald Mathias Ungers, qui met en exergue des éléments de la ville comme des objets volants, décontextualisés. Son mode de fonctionnement permet par la suite une analyse comparative de différents éléments de la ville de manière simplifiée et plus lisible.
Photo aérienne Souks
Plan
Structure bâtie
Photo aérienne Place de l’Etoile
Plan
Structure bâtie
Photo aérienne Place des Martyrs
Plan
Structure bâtie
Photo aérienne Saïfi
Plan
Structure bâtie
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Axonométrie
Photo
Anciens souks Al Jamil Beyrouth
Axonométrie
Photo
Rue Rivoli Paris
Axonométrie
Photo
Avenue des Champs-Elysées Paris
Axonométrie
Photo
Habitat traditionnel Beyrouth
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Les souks, un nouvel aménagement pour les besoins actuels Durant une majeure partie de l’histoire de Beyrouth, les souks jouaient un rôle primordial dans l’identité de cet espace. Depuis la période ottomane, période durant laquelle les souks ont aidé Beyrouth à acquérir ce rôle de centre urbain, jusqu’à nos jours, où la typologie des souks ainsi que leur vocation ont bien évolué, tout en gardant ce rôle économique. Avant de développer le sujet de l’évolution du souk et de sa typologie, je pense qu’il est nécessaire de s’attarder sur la définition de ce programme. Un souk est un espace regroupant une série de boutiques et ateliers contigus et qui sont accessibles depuis une rue piétonne principale. Dans la plupart des cas, on retrouve une allée couverte centrale, et d’autres branches secondaires. Les souks sont souvent divisés en plusieurs districts, dépendamment du type de marchandise vendu ou mis en œuvre. Ainsi, à Beyrouth, on retrouve notamment le souk Ayass, où se vendaient principalement les étoffes, le souk al Najjarine, dédié à la menuiserie et l’ébénisterie, ou encore le souk al Jamileh, rassemblant bijoutiers et joailliers. Au fil du temps donc, la notion de souk perdura dans l’esprit des Libanais, même si sa typologie première ainsi que son aménagement architectural évoluèrent. En novembre 1993, dans le cadre de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, Solidere organisa un concours d’idées afin de construire sur base de tabula rasa (ou presque) les nouveaux souks de Beyrouth, les souks de Nourieh, Sursock et des Bijoutiers ayant été démolis par OGER Liban à coups de bulldozers en 1983, et les souks restants ayant été détruits durant la guerre. Ce concours fut par la suite jugé en juin 1994 et remporté par DirsinMc Farlane (Etats-Unis), A.K Kassar & Valode & Pistre (France) et Mark Saadé et Associés (Grande-Bretagne). Par la suite, Solidere fit appel à Jade Tabet, architecte Libanais, afin d’établir un plan final à mettre en place, sur base des projets lauréats 127. Ce dernier prit le parti de conserver l’alignement des anciens souks, tout en augmentant les surfaces et en intégrant les fouilles archéologiques dans les nouvelles constructions. Plus tard, Solidere confia à Rafael Moneo le projet de la reconstruction. Rafael Moneo est un architecte espagnol. Certains le décrivent comme étant un écrivain, un académique et un praticien qui a su faire honneur à ces trois professions, notamment grâce à sa maîtrise de la lumière et du soleil 128. Qualifié comme étant l’un des protagonistes de l’éclectisme, son architecture se distingue par une adaptation en fonction du contexte spécifique, ce qui 127 EL ACHKAR, Elie. Règlementations et formes urbaines. Le cas de Beyrouth. Liban, Les cahiers du CERMOC, 1998. P.131 128 CARTER, Brian. Foreword. Dans: The freedom of the architect. Etats-Unis, The University of Michigan, 2002. P.8
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engendre une architecture sensible au contexte en termes programmatiques, volumétriques, et matériels 129. Cette qualité lui permet ainsi de construire des bâtiments qui perdureront dans le temps, tant physiquement que culturellement. Le défi du projet des souks était principalement de maintenir son caractère familier tout en lui conférant les besoins actuels 130. Moneo prit le parti de conserver le caractère traditionnel de la première allée des souks, tout en répondant aux nécessités contemporaines dans la seconde allée, avec la formation d’espaces commerciaux plus larges. Dans un second temps, des fonctions de bureaux et de restauration ont été intégrées aux étages, tout comme des habitations sur les flancs est et ouest. Il relia par la suite les entrées au souk avec les rues aux alentours. Concernant la typologie urbaine, Rafael Moneo prit le grand soin de se baser sur l’ancienne trame urbaine, partant ainsi des traditionnelles percées des souks Tawileh, Al Jamil et Al Arwam pour créer les axes principaux de desserte piétonne, tout en créant des liens avec le tissu environnant. Dans un second temps, des places sont aménagées comme des entrées au souk, tout en jouant le rôle de points de repères familiers. Les volumétries quant à elles sont mises en place en fonction du contexte ; les volumes périphériques étant plus élevées que ceux situés au centre. Les deux allées principales reprennent par la suite l’aspect des souks anciens, recréant ainsi cette voûte monumentale, en y conférant des moyens et matériaux contemporains, notamment afin de couvrir l’espace tout en l’illuminant de manière naturelle. Le projet fit ensuite l’objet de division en blocs, permettant ainsi l’intervention de différents architectes, et créant une friction entre les souks à langage traditionnel et les blocs adjacents à caractère contemporain 131. Au niveau du choix des matériaux, Moneo choisit de revêtir son œuvre avec de pierre jaune, dessinant un chevron particulier, ce qui permit au projet de se fondre dans son contexte – la pierre étant un matériau souvent utilisé au centre-ville de Beyrouth – et de respecter le langage dans lequel il s’implante. Pour ce qui est de la programmation, le projet permet de répondre aux besoins actuels, en jouxtant des commerces à des restaurants, des bureaux et des habitations. Ceci fut rendu possible grâce à la fusion de différentes parcelles, afin d’en créer une plus grande. Cet acte anéantit néanmoins le profil des usagers des souks traditionnels, basé sur leur classe sociale. De plus, une telle action tend à exproprier les propriétaires des boutiques, en échange d’actions, ce qui, par la suite, engendre une perte de mémoire collective, de perpétualité 129 MORITZ, Benoit. Rafael Moneo : La pensée et l’œuvre. Mémoire de fin d’études, sous la direction de Pierre Le Nain, Bruxelles, ISACF-La Cambre, 1995. P.8 130 MONEO, Rafael. The Souks of Beirut. Dans: Projecting Beirut. Episodes in the Construction and Reconstruction of a Modern City. Allemagne, Editions Prestel, 1998. P.263 131 GAVIN, Angus. MALUF, Ramez. Beirut Reborn. Academy Editions, Londres, 1996. P.135
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Figure 45 - Les anciens Souks al Jamil
Figure 46 - Plan du projet des Souks de Beyrouth - Rafael Moneo (2009)
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et d’héritage. Des étages de parking sont aussi prévus en sous-sol afin de permettre un accès via les voies de circulation, la voiture étant omniprésente dans cette ville. D’autre part, la préservation et la mise en scène de fouilles archéologiques sur le site permettent de créer un lien entre ancien et nouveau, entre passé et présent, accentuant ainsi le passé historique de la ville. Rafael Moneo, dans sa proposition pour les souks de Beyrouth, qui vit le jour en 2009, prit le parti de se baser sur l’ancienne trame urbaine qui existait sur le site avant la guerre, tout en gardant les typologies d’un souk traditionnel, ainsi qu’en y implantant des fonctions répondant aux besoins actuels de la société beyrouthine et internationale. Il prit ainsi le parti de réinterpréter la forme et la fonction d’antan, tentant de créer une « bonne » architecture contextuelle, en interprétant les arcades libanaises et les adaptant à des méthodes contemporaines de construction et d’usage de matériaux 132. Cette observation nous fait donc questionner sur un point : le retour à une typologie urbaine d’époque, ou la continuité de la typologie urbaine actuelle garantit-elle la réussite d’un projet urbain et architectural ? L’appropriation des souks actuels nous fait bien comprendre que ce n’est pas le cas. Dans son ouvrage L’architecture de la ville, Aldo Rossi définit le « locus » comme étant « le rapport à la fois particulier et universel qui existe entre une situation locale donnée et les constructions qui s’y trouvent » 133. Il exprime explicitement sa vision de la ville comme étant un artefact qui est déterminé par l’espace et par le temps 134. Pour Rossi, la compréhension de la ville passe d’abord par son architecture et sa structure. Dans son analyse urbaine, il a tenté de prouver que ce ne sont pas les fonctions qui orientent les faits urbains, mais bien les formes, qui dépassent les fonctions qu’elles accueillent et deviennent par conséquent la ville même 135. Moneo, dans l’élaboration de son projet pour les souks, se focalise uniquement sur les éléments de Locus et de Design, oubliant totalement les principes d’Histoire, de Mémoire et d’Individualité ; éléments non sans intérêt en termes de qualité de l’artefact urbain 136. En tentant de recréer les souks de Beyrouth sur base de tabula rasa, en prenant appui des tracés anciens, Solidere avait la conviction que ceci 132 EL CHAMI, Yasmina. From Multipli-City to Corporate City in Beirut Central District. Projective cities, Architetural Association Postgraduate Program. 26 avril 2012. En ligne: http://projectivecities.aaschool. ac.uk/portfolio/yasmina-el-chami-from-multipli-city-to-corporate-city/ (dernière consultation le 01.06.2020) 133 ROSSI, Aldo. L’architecture de la ville. Paris, L’Equerre, 1981. P. 129 134 Ibid, p.133 135 Ibid, p.150 136 EL CHAMI, Yasmina. From Multipli-City to Corporate City in Beirut Central District. Projective cities, Architetural Association Postgraduate Program. 26 avril 2012. En ligne: http://projectivecities.aaschool. ac.uk/portfolio/yasmina-el-chami-from-multipli-city-to-corporate-city/ (dernière consultation le 01.06.2020)
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Figure 47 - AxonomĂŠtrie du projet des Souks de Beyrouth - Rafael Moneo (2009)
Figure 48 - Comparaison de la typologie des anciens souks de Beyrouth avec le nouveau projet de Moneo
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suffirait à redonner aux souks leur vitalité d’antan. Ainsi, en remettant en place la forme et la fonction de cet espace, la société foncière crut pouvoir y recréer les usages qu’elle servait auparavant. De ce fait, afin de redonner aux souks son dynamisme, il aurait été plus judicieux de se focaliser sur ses usages, son aspect logistique et son mode de fonctionnement, ainsi que le caractère projeté sur ces formes par les usagers. Beyrouth ayant été une ancienne ville-port, les vieux souks se sont souvent liés à ce passé, permettant ainsi la vente et l’exposition d’objets locaux et importés. Cet usage représentait les différents groupes et classes sociales qui régissaient la société. Néanmoins, lorsqu’on se balade dans les souks aujourd’hui, on remarque qu’il est inanimé, vide de toute âme. En effet, les boutiques de luxe et les concepts stores ont remplacé les traditionnels boutiques et ateliers, les enseignes internationales se battent pour avoir le meilleur emplacement, et les Libanais ne se sentent pas à l’aise dans ce centre-ville qui n’est plus le leur. Pour finir, nous pouvons dire que le résultat de la reconstruction des souks de Beyrouth ressemble plutôt à un centre commercial plutôt qu’à la restitution des vieux souks. D’un aspect logistique d’abord, la relation directe entre producteur – qui était aussi vendeur – et client a disparu au profit d’une logique de mondialisation et par conséquent de multiplication d’éléments qui viennent entraver la relation entre producteurs et consommateurs. D’un aspect typologique ensuite, puisque la taille ainsi que la forme des magasins ont grandi et évolué, réduisant ainsi de manière considérable l’aspect local de l’espace. D’un point de vue humain enfin, puisque les commerçants, tout comme les clients, ne prennent plus part de ce sentiment d’identité et d’appropriation qui pouvait exister dans les vieux souks.
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Figure 49 - Allée secondaire - Souks
Figure 50 - Entrée de l’une des allées principales
Figure 51 - Esplanade arrière des souks - lieu de rassemblement et de terrasses de cafés
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La place de l’Etoile, ou la conservation du passé Les destructions qui ont eu lieu sur le territoire afin de moderniser la ville, ont transformé sa morphologie urbaine de manière considérable. A l’époque ottomane en effet, des khans avaient été bâtis sur cette partie du territoire. Ces structures de taille réduite s’organisant autour d’une cour centrale et faisant office de boutiques et ateliers présentaient des élévations non formelles. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, et dans le cadre de la modernisation de la ville, les artères commencèrent à s’élargir. On vit ainsi apparaitre une transformation des khans ; allant d’une typologie introvertie autour d’une cour centrale à une typologie extrovertie ; menant à un travail particulier sur la façade, qui devint symétrique et qui présenta, dans la plupart des cas, des ouvertures modularisées et des séries de colonnades pour les balcons 137. Erigée par la suite sous le règne du Mandat Français au Liban (durant la période allant de 1920 à 1943, date de l’indépendance du Liban), la place de l’Etoile représenta la modernité à l’époque. Tout d’abord d’un point de vue politique, la construction du Parlement sur l’un des axes bâtis de la place de l’Etoile a permis de déplacer le pouvoir politique, jusqu’alors ancré sur la place des Martyrs, vers cette nouvelle place. L’édifice néoclassique dont il est question, avec ses grands murs aveugles, se détache de son contexte, afin d’asseoir cette idée de nouveau centre politique. Les Français, en faisant cela, prouvent ainsi leur volonté marquée de rompre totalement avec le passé 138. En termes d’organisation territoriale, le modèle urbanistique du Mandat suit une logique de « Haussmanisation » des deux places des Martyrs et de l’Etoile ; l’une avec l’idée de reproduire le principe des jardins à la française selon un plan rectangulaire, l’autre en instaurant un modèle urbanistique radioconcentrique, inspiré de son homologue français à Paris 139. Ces opérations modifieront le tracé urbain du centre-ville de manière considérable. Ainsi, pour la mise en place du plan radioconcentrique, la médina beyrouthine a été presque totalement détruite, à l’exception de quelques édifices religieux, notamment deux églises grecque-catholique et grecque-orthodoxe au sud de la place. Le plan radioconcentrique sera ainsi amputé de deux de ses branches, permettant ainsi la conservation de ces deux édifices religieux. Audelà de la zone radioconcentrique, les démolitions continuent en continuité 137 SALIBA, Robert; Solidere. 2004. Beirut city center recovery: The Foch-Allenby and Etoile conservation area. Allemagne, Steidl, 2004. P.83 138 TABET, Jade. La cité aux deux places. Dans : Beyrouth, la brûlure des rêves. Paris, Editions Autrement, Collection monde, hors-série n°127, 2001. 139 EL ACHKAR, Elie. Règlementations et formes urbaines. Le cas de Beyrouth. Liban, Les cahiers du CERMOC, 1998. P.61
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Figure 52 - La place de l’Etoile durant la période précédant la guerre civile
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Figure 53 - La rue Maarad et son prolongement vers la mer avec la rue Allenby
Figure 54 - La place de l’Etoile actuellement (Photo prise en aoÝt 2019)
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Figure 55 - Privatisation de la place de l’Etoile et accès limité (Photo prise en décembre 2019)
Figure 56 - Le Parlement étant situé sur la Place, l’ensemble des accès a été interdit
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de la rue Maarad vers la mer, créant ainsi des artères qui portent le nom des personnalités françaises importantes ; à savoir les rues Foch et Allenby, et la rue Weygand qui leur est perpendiculaire. Par la suite, la table rase effectuée sur cet espace pour la mise en place du plan du secteur de la place de l’Etoile et des rues Foch et Allenby, ont permis la création de blocs et de parcelles de configurations et de dimensions variées140. Ainsi, on voit apparaitre, au niveau des rues Foch et Allenby, des blocs étroits accueillant soit des parcelles développées sur l’ensemble du bloc avec un accès périphérique, soit des parcelles de taille moyenne ouvertes sur deux rues parallèles. Certains blocs ont aussi dû être divisés en petites parcelles. Pour ce qui est de la place de l’Etoile, ce sont plutôt des blocs et des parcelles irréguliers qui ont été privilégiés, résultant de la morphologie radioconcentrique 141. Les bâtiments eux-mêmes représentent le style de l’époque durant laquelle ils sont construits. On retrouve alors le style éclectique pour les façades le long des rues Foch et Allenby, le style moderniste pour le secteur de l’Etoile, avec un style néo-ottoman pour les bâtisses de la rue Maarad, les arcades aux rez-de-chaussée des bâtiments de cette rue étant copiés sur celles de la rue Rivoli à Paris. Dans le cadre de la reconstruction du centre-ville après la guerre civile de 1975-1990, Solidere prit le parti de conserver entièrement la zone de l’Etoile, ainsi que les rues Foch et Allenby. Ce périmètre, alors appelé la « zone de conservation » fut restauré à l’identique. Tous les bâtiments qui avaient été plus ou moins détruits ont ainsi retrouvé leur morphologie d’antan. Certains ont aussi subi un « lifting » avancé, parce qu’ils étaient partiellement détruits ou en très mauvais état. Ici, on a procédé à des modernisations, en ajoutant par exemple des murs rideaux, tout en conservant un style en accord avec le style d’époque. De plus, lorsque le style de construction du bâtiment ne pouvait pas être défini, soit parce que le bâtiment était en trop mauvais état, soit parce qu’il n’avait pas fini d’être construit (ce fut notamment le cas pour des bâtiments le long de la rue Maarad où uniquement les deux ou trois premiers étages avaient été construits), on procéda à l’étude des bâtiments environnants ou présentant des similitudes avec la bâtisse dont il est question, afin de ne pas rompre une potentielle continuité. On retrouve par conséquent un secteur de la reconstruction dont l’enveloppe extérieure rappelle et recopie tant que possible le style et les ambitions de l’époque, alors que les intérieurs des bâtisses sont remis au goût du jour afin de répondre aux besoins de la ville actuelle. Une dualité se fait alors sentir entre intérieur et extérieur, presqu’une contradiction. 140 SALIBA, Robert; Solidere. 2004. Beirut city center recovery: The Foch-Allenby and Etoile conservation area. Allemagne, Steidl, 2004. p.89 141 Idem
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Aujourd’hui, les khans de l’époque ottomane et les petites boutiques ont laissé place à des cafés chics, créant un contraste entre les cafés grouillants et la neutralité de l’espace actuel. Comme si le secteur voulait faire bonne figure, rester propre et sage, comme dans un décor de cinéma. Ici, rien ne vient rompre ce semblant d’harmonie et de bien-être. La zone est désarabisée, coupée de son contexte, presque arrêtée dans le temps. En voulant recréer à l’identique les bâtiments de la zone de conservation, en leur conférant leur style d’époque et en y ajoutant un étage, Solidere montre ici l’attachement qu’a le Liban envers la France. Pourquoi avoir privilégié une certaine époque de l’histoire de Beyrouth, en la conservant et la restaurant, alors que le reste du centre-ville a été rasé à coups de bulldozers ? Solidere, d’un autre côté, pensait qu’en conservant la typologie ainsi que l’enveloppe extérieure du tissu bâti pour ce secteur lui permettrait de retrouver sa puissance politique et mondaine. Une fois de plus, comme ce fut le cas pour les souks, les riverains ne furent au rendez-vous que pour une courte période. De plus, le fait que le Parlement soit érigé sur l’un des axes de la Place, lui porte actuellement préjudice. En effet, dans le cadre des manifestations contre la classe politique, l’accès à la place de l’Etoile a été restreint ; ses branches ayant été fermées par des barrières et des barbelées, et surveillée en permanence par l’armée. Les Libanais se sont ainsi vus privés de ce centre-ville qui est le leur et le projet de Solidere est, une fois de plus, un exemple concret que le retour à une typologie ancienne ne permet pas automatiquement un bon fonctionnement de l’espace urbain, en termes d’usages, de fréquentations et d’appropriation.
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Figure 57 - Les cafés chics ont remplacé le cafés authentiques, et le vide a remplacé la foule
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La place des Martyrs, un no-man’s land en quête d’une nouvelle identité La place des Martyrs a pendant longtemps joué un rôle important dans l’histoire du centre-ville. Ses dénominations ont, elles aussi, évolué au fil du temps en fonction de la population de l’époque. Autrefois appelée place des Canons, elle sera par la suite rebaptisée place Hamdiyyeh durant la période ottomane en hommage au Sultan Abdelhamid II, pour ensuite s’appeler place de la Liberté et de la constitution lors de la déclaration en 1908, et place al Bourj. Pour finir, c’est en 1919 qu’elle deviendra officiellement la place des Martyrs. Mais la place des Martyrs, c’est quoi ? A l’origine, la place a été créée en 1884, sous le règne ottoman. Un bâtiment néoclassique, le petit Sérail, fut érigé sur sa face nord, et un jardin public fut aménagé dans son prolongement142. La Place représentait le lieu de loisirs et de contestations, et symbolisait l’interaction entre différentes classes et communautés. Avant la guerre, elle accueillait des milliers de magasins et quelques bureaux, et le jardin placé en son centre favorisait les échanges entre Libanais. Tournant le dos à la mer, elle se déployait vers le sud, créant ainsi la limite du centre-ville avec la périphérie. Pendant la guerre, la place des Martyrs a joué un rôle majeur, puisque c’est d’elle que découlait la ligne de démarcation qui séparait la capitale en deux (cf. supra). Elle a par la suite été rasée par les bulldozers en 1983 dans un premier temps, puis de façon irréversible en 1990. On y verra donc qu’un terrain vague, les seuls éléments conservés étant les fondations du Petit Sérail, des fouilles archéologiques un peu plus au nord, ainsi que les façades de deux bâtiments sur son flanc ouest. Le reste fut détruit, et les débris servirent à créer le remblai du Normandy, ce terrain gagné sur la mer. Durant les années qui ont suivi la guerre, elle a été ratissée ; d’une part par des archéologues, d’autre part par des tracteurs. D’une part le passé, d’autre part le futur, qui se croisaient perpétuellement dans cet espace en quête d’identité. Et c’est finalement en 2004 que Solidere lance un concours pour le réaménagement de l’axe place des Martyrs-rue de Damas 143 , ne se focalisant que sur les volumes et les gabarits, les plans-masses et les parkings en soussol mettant totalement de côté la question de l’identité urbaine de la place. C’est finalement en 2005 qu’un collectif grec, composé de Vasiliki Agorastidou, Antonis Noukakis, Lito Loannidou et Bouki Babaou Noukaki sera sélectionné
142 TABET, Jade. « La cité aux deux places ». Dans : Beyrouth, la brûlure des rêves. Paris, Editions autrement, Collection Monde, HS n°127, 2001. P.45 143 BEAUCHARD, Jacques. « Beyrouth, ville ouverte et fermée ». Dans : Hermès, la Revue, n°63, 2012/2. p.113
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suite au concours, avec un projet plus impersonnel qu’insignifiant144. Leur projet, arrêté au stade d’esquisse, prévoyait de transformer la place des Martyrs en un lieu de loisirs, où cinémas et commerces se mêleraient à la mosquée et aux églises. Les volumes, eux, étaient imposants. Ils s’étalaient sur deux ou trois parcelles, et rejoignaient cette idée de rendre l’axe de la place des Martyrs « plus large que les Champs-Elysées » 145. Pour finir, le projet ne verra pas le jour, à cause des manifestations survenues le 14 février 2005 ainsi que la guerre des 33 jours en 2006 qui engendra un sit-in de 18 mois dans le centre-ville. Aujourd’hui, et près de trente ans après la fin de la guerre, la place des Martyrs reste désespérément vide et incomplète. Des travaux ont été entrepris depuis 2008, mais ils n’ont toujours pas trouvé d’acquéreurs. La place des Martyrs se résume alors en un grand espace de parkings sur le flanc est, et deux axes de circulations, séparés par un espace fuyant, ponctué de la célèbre statue des Martyrs, là où était autrefois aménagé le jardin public. Elle est délimitée par le ring au sud, et une nouvelle façade urbaine a vu le jour au fil du temps sur son flanc ouest. Au nord, elle est fuyante vers la mer et on ne connait pas vraiment sa limite. Des projets voient néanmoins le jour, un plan-masse étant ainsi dressé par le bureau Renzo Piano Building Workshop (RPBW), qui s’occupe aussi de la construction d’un musée de l’histoire de Beyrouth sur la limite nord de la place, au-dessus des fouilles archéologiques. Ce plan propose un réaménagement de l’espace dans une logique de gabarits et de volumes démesurément grands par rapport aux zones adjacentes (la place de l’Etoile à l’ouest et le quartier de Saïfi au sud), en s’alignant sur des axes urbanistiques majeurs, prolongeant par la suite l’axe principal de la place jusqu’à la mer, via le parc archéologique. Il est actuellement difficile de dresser un bilan concernant ce territoire. Rasé puis laissé à l’abandon pendant plusieurs années, ce n’est que récemment que les travaux ont repris. Néanmoins, le plan d’origine de Solidere, ainsi que le plan-masse de RPBW supposent des parcelles bien plus larges que celles présentes initialement. La place a alors pour vocation de devenir un axe principal, mêlant à la fois loisirs et logements, pour l’instant, la statue représentant les Martyrs est comme perdue face à l’immensité de l’espace. Sa dimension symbolique a toutefois vu le jour à deux reprises ; d’abord le 14 février 2005, où l’on a vu des milliers de Libanais sur la place pour proclamer justice à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri ; à partir du 17 octobre 2019 ensuite, jour du début des manifestations contre la classe politique jugée 144 BEYHUM, Nabil. « Le rôle du symbolisme dans la planification urbaine : le cas de la place des Canons », In : Conquérir et reconquérir la ville, l’aménagement urbain comme positionnement des pouvoirs et contrepouvoirs. Liban, Editions ALBA. 2009, p.155 145 TABET, Jade. « La cité aux deux places ». Dans : Beyrouth la brûlure des rêves. Editions Autrement, Collection monde, HS n°127. Paris, 2001. P.55
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Figure 58 - Plan masse du projet pour la place des Martyrs - RPBW (en cours)
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Figure 59 - La place des Canons, actuelle place des Martyrs, pendant la pÊriode du Mandat Français
Figure 60 - La place des Martyrs actuellement ; boulevard autoroutier et parking en plein air
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Figure 61 - Désordre urbain
Figure 62 - La place des Martyrs, toujours en travaux et en quête d’identité
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corrompue et incapable de trouver une solution afin de remédier à la situation actuelle du pays. Cet espace sans réelle typologie urbaine ni fonctions claires se laisse donc se faire approprier par les Libanais en fonction de leurs aspirations et intentions. Entre axe majeur de circulation et principal lieu de contestation, la place des Martyrs, loin de retrouver sa vitalité d’antan, laisse dépeindre sur elle les mouvements de l’époque.
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Saïfi, village urbain. Le quartier de Saïfi se distingue des quartiers avoisinants par son caractère plus rural. Souvent comparée à un village urbain, cette zone du centre-ville est inspirée des habitations traditionnelles. Elle se compose de blocs de petites surfaces et de hauteurs limitées, et se dénote du contexte par l’utilisation de couleurs pastel sur les façades des différents bâtiments restaurés. L’intégration d’éléments du paysage, comme un jardin, une fontaine et une place centrale, lui confère cette identité de village urbain. Les rues y sont pavées et l’accès des automobiles y est limité. De plus, un parking souterrain a vu le jour, afin de répondre aux besoins des anciens et des nouveaux habitants. Le recours à la triple arcade, élément marquant des maisons libanaises traditionnelles, ainsi que l’usage de la tuile rouge comme revêtement de toiture et le travail minutieux de la ferronnerie pour les garde-corps par exemple permettent de révéler son charme et son authenticité 146. C’est d’ailleurs l’un des seuls quartiers du centre-ville de Beyrouth où les notions de quartier, de rue, de voisinage et communauté peuvent être utilisées. Dans le cadre de la reconstruction, une étude typologique des bâtiments existants a d’abord été établie par Habib Debs, architecte urbaniste libanais, et a permis de poser les bases pour la restauration et la construction de nouvelles bâtisses. Un cahier des charges très pointu a ensuite été mis en place, et les habitants du quartier eurent la possibilité de réaliser eux-mêmes et à leurs frais les travaux de restauration, tout en respectant le cahier des charges 147. Concernant les immeubles neufs, ils ont été dessinés par François Spoerry, architecte français. Il s’est notamment concentré sur la volonté de transmettre un esprit méditerranéen au quartier, tout en respectant des hauteurs limitées (3 étages maximum) et en réduisant les effets de masse. Pour ce faire, les parcelles trop larges ont été divisé en différents blocs de superficies réduites, et un travail particulier sur les ouvertures et les couleurs leur a été accordé. Néanmoins, en voulant garder le caractère traditionnel de Saïfi, Spoerry s’est vu reprocher de garder les éléments en façade, en modifiant totalement l’intérieur des bâtisses afin de les rendre plus aptes à répondre aux besoins actuels. En voulant créer des logements plus fonctionnels, Spoerry a créé une friction entre la façade et l’intérieur, rendant le projet quelques peu pastiche. De plus, afin de respecter des impératifs, Solidere a par la suite, elle aussi, réinterprété les façades afin qu’elles répondent aux normes de construction de l’époque. Par exemple, la double arcade, initialement utilisée afin de cacher la circulation verticale, a par la suite été adaptée afin de servir d’autres fonctions. 146 AL HAGLA, Khalid. New Urbanism: Revitalizing historic city centers, Beirut case. Dans: Instant cities: Emergent trends in architecture and urbanism in the Arab world. Sharjah, CSAAR Press, 2008. P.6 147 DUPONT, Hervé. « Saifi : Un quartier résidentiel au centre-ville de Beyrouth », In :ORBR, Lettre d’information, numero 11, 1999, p.20
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Figure 63 - SaĂŻfi pastiche
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Les bâtiments « néo-historiques » qui imitent les bâtisses anciennes a ainsi créé une contradiction entre le plan et l’élévation. La volonté d’intégrer des fonctions modernes et de les positionner sur une façade ancienne (ou imitant le style ancien) a généré des espaces résiduels 148. Pour finir, malgré la volonté de Solidere de créer un village urbain à caractère traditionnel, en créant des éléments publics et en conférant à la zone des gabarits de surfaces et de hauteurs réduites, le résultat final est peut-être l’exemple le plus concret de l’échec de Solidere de proposer à la population Beyrouthine un environnement propice à l’appropriation. Une fois de plus, Saïfi est la preuve qu’un retour à la typologie ancienne, ainsi que le recours à des éléments de façade traditionnels n’est pas la solution pour redonner à la ville son image d’antan. Une opposition entre la volonté de modernisme et de fonctionnalisme, et le respect du caractère traditionnel génère un environnement quelques peu pastiche, et Saïfi en est la preuve ultime.
148 AL ASAD, Mohammad. MOUSSA, Majd. SALIBA, Robert. Deconstructing Beirut’s reconstruction: 19902000, coming to terms with the colonial heritage. Compte rendu de la conférence de Robert Saliba faite le 19 avril 2000 à Darat al-funun, Amman. Center of the study of the built environment. En ligne : https://www. csbe.org/material-on-water-conservation-1#intro19 (dernière consultation le 07.03.2020).
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Figure 64 - Plan Masse Saïfi - Habib Debs (1995)
Figure 65 - Saïfi Village, aux bâtisses colorées
Figure 66 - La place, la rue, l’îlot, la verdure... autant d’éléments qui font la spécificité du quartier de Saïfi
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Conclusion Tout au long de ce chapitre, et à travers une étude plus poussée de quatre artefacts dans la ville nouvelle, j’ai tenté de prouver que la volonté de Solidere de recourir à la typologie urbaine d’avant-guerre ne suffisait pas afin de rendre à la ville son caractère, son usage et son appropriation de l’époque. Une contradiction est alors bien présente à Beyrouth, où les typologies s’adaptent aux besoins et aux normes actuels, mais finissent par créer des ensembles trop grands, trop beaux, trop ambitieux ou encore trop contradictoires, oubliant ainsi l’échelle humaine ; réduisant par conséquent la possibilité d’appropriation de ces espaces par la population locale.
Commentaires Si le centre-ville actuel est presque totalement (re)construit (il ne reste plus que le secteur de la place des Martyrs qui est toujours en construction), il reste néanmoins lacunaire au niveau de l’appropriation par la population. Le centreville actuel a promu, par sa reconstruction, une vision axée sur la modernité et le renouveau, en se basant sur une clientèle fortunée, principalement issue des pays du Golfe. Dans une conférence sur l’iconicité en architecture 149, Reinier de Graaf pointe du doigt un élément marquant dans le centre-ville de Beyrouth : une ancienne icône de la ville ; l’hôtel Holiday Inn, a été détrôné par une nouvelle icône ; le Beirut Terrasses par Herzog et de Meuron. Le nouveau bâtiment crée un contraste déconcertant avec l’ancien complexe hôtelier. Alors que ce dernier promouvait des espaces abordables pour le plus grand nombre de personnes, libanaises ou non, dans le courant du XXe siècle, le nouveau bâtiment proposé par Herzog et de Meuron contribue, quant à lui, à la tendance selon laquelle aucun individu ne peut désormais vivre dans le centre-ville de Beyrouth. En effet, le prix des appartements s’élève à 7 200$ au mètre carré et peut atteindre les 12 500$ pour les penthouses. L’architecture moderne, qui servait alors le grand nombre, est ici mise au service de la population opposée. En proposant ce type de construction, et en instaurant un bordereau de prix aussi élevé, la municipalité de Beyrouth ainsi que les dirigeants politiques ne font qu’assumer leur volonté d’axer le nouveau centre-ville vers l’international, aux dépens de la population locale, qui se voit alors rejetée dans la périphérie, et qui ne semble pas la bienvenue dans le centre de la capitale. 149 DE GRAAF, Reinier. Is iconicity good for architecture? Night of architecture, summer edition. En ligne: https://www.youtube.com/watch?v=LzCbfFYxvMs (dernière consultation le 06.07.2020)
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Figure 67 - Le Holiday Inn (Ă gauche) en contraste avec Beirut Terrasses (Ă droite)
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Dans un second temps, les programmes instaurés dans le nouveau centre-ville sont loin d’être en cohésion avec ceux du passé. A titre d’exemple, les anciens souks traditionnels, qui vibraient au rythme des petits artisans et dont les senteurs d’épices inondaient les rues ont été remplacés par des « souks » modernes, qui ressemblent plutôt à un centre commercial qu’à des souks. La place des Martyrs, autrefois place publique et lieu de rassemblement de la population, avec ses cafés, ses restaurants et ses cinémas a subi les bulldozers et les tracteurs, pour aujourd’hui n’être plus qu’un boulevard orné d’une statue en son centre et limitée par des espaces de stationnement à ciel ouvert. Montoulieu, un architecte espagnol, s’attarde sur le fait que, pour lui, l’ordre physique ; qui est à la base du bien-être social et physique est induit par un ordre formel. Cette réciprocité n’est finalement pas concluante dans le cas du cœur de Beyrouth ; où les appropriations par la population sont encore très modestes 150. Ainsi, la dissonance entre la typologie urbaine utilisée, et les programmes injectés à l’intérieur de la ville, crée un ensemble incohérent et hétérogène, dans lequel les Libanais ne trouvent plus leur place. Depuis le 17 octobre 2019, le Liban tout entier connait une vague de contestation de la part du peuple, qui se révolte contre l’Etat jugé incapable et corrompu. C’est au centre-ville de Beyrouth que les manifestations sont les plus fréquentes et les plus violentes. Ici, les Libanais se réapproprient les espaces qui leur ont été interdits depuis tant d’années. Des concerts sont organisés, des débats prennent place, des artistes s’expriment grâce à leur art sur l’espace public. Parce que c’est ça aussi, la révolution. C’est faire un acte de contestation et tirer profit de cet espace public, ou plutôt cet espace privatisé ou gentrifié rendu officiellement (ou plutôt officieusement) public grâce à la révolution. La Révolution a ainsi joué un rôle dans le droit à la ville ; le droit à l’espace public et à l’expression en tous genres. Antoine Atallah, un jeune architecte et urbaniste, a créé à l’occasion une carte décrivant l’organisation fonctionnelle des différents espaces du centre-ville pendant la Révolution. Grâce à cette Révolution, on retrouve au cœur de la ville des fonctions qui avait disparu avec le projet de reconstruction. La rue est à nouveau appropriée, des kioskes et carrioles s’y sont installées, créant ainsi un vrai marché à ciel ouvert. L’agora, anciennement espace de discussions et de décisions à l’époque romaine, revoit le jour aujourd’hui, et fait office de lieu de débats et de politique. La place des Martyrs, bénéficiant de sa situation de terrain vague, est 150 HYDE, Timothy. Planos, planes y planificación. Josep Lluis Sert and the idea of planning. Dans: Josep Lluis Sert, the architect of urban design 1953-1969. New Have, Yale university press, 2008. P.56
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Figure 68 - Appropriation des espaces du centre-ville depuis la RÊvolution d’octobre 2019 - Antoine Atallah
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alors transformée en espace de concerts et de festivals. Ici, de jeunes artistes, connus ou non, se partagent la scène et font vibrer la ville au rythme de la musique. Ce fut notamment le cas lors des festivités pour le réveillon du nouvel an 2020. La place adjacente à la mosquée rassemble quant à elle les familles, et la place Riad el Solh s’est vue octroyée le rôle d’espace de contestation et de revendication par excellence. Des camps ont aussi vu le jour, notamment au niveau de cette dernière place et du ring. L’Œuf, ancien cinéma érigé dans un centre commercial, s’est rempli d’une population à la recherche d’espaces publics. Le Grand Théâtre a connu le même sort. Avec la Révolution, les Libanais se sont ainsi approprié la ville au gré de leurs envies et de leurs besoins. Ici, les fonctions principales de la ville sont rassemblées dans un même espace. Habitat, production, loisirs et circulation font ainsi bon ménage, dans une ambiance pacifiste et festive, malgré quelques débordements. Ici, la population a rassemblé, sur un périmètre de quelques centaines d’hectares, ce que le Liban pouvait offrir à ses habitants avant la guerre. Pour conclure, alors que Solidere, pendant la reconstruction, a éloigné la population libanaise du centre, et l’a dépourvue de ce territoire, la Révolution du 17 octobre 2019 a permis à cette dernière de se réapproprier les espaces publics qui leur étaient interdits depuis tant d’années. En rusant d’ingéniosité, la population libanaise s’est ainsi vu retrouver un droit à la ville, droit qu’elle avait perdu depuis la reconstruction d’après-guerre. Comme quoi, une volonté de modernité et de renouveau dans la ville ne permet pas toujours un retour à une appropriation de l’espace public.
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Conclusion Tout au long de ce travail, à travers les plans et projets élaborés au fil du temps pour le centre-ville de Beyrouth, ainsi que l’étude de projets réalisés à l’international avec plus ou moins de succès, j’ai tenté de démontrer ce qui fait qu’un territoire devient le centre d’une ville, ainsi que l’influence que peut avoir – ou non – une typologie urbaine sur les usages et le bon fonctionnement d’un centre-ville. Beyrouth, nous l’avons vu, est un territoire stratifié. Riche en symboles et en histoires, il a été détruit et reconstruit à de nombreuses reprises afin de servir la civilisation de l’époque. Au fil du temps, ce territoire a été inscrit dans un périmètre plus large, notamment pour les études et les différents schémas directeurs établis. Durant la guerre civile de 1975-1990, de nombreuses personnalités et bon nombre de bureaux, majoritairement libanais et français, ont travaillé sur cet espace, si riche et si complexe à la fois. Grâce à eux, des études et des schémas directeurs virent le jour, sans jamais être réalisés dans leur totalité. D’un autre côté, Solidere, cette société foncière créée au lendemain de la guerre afin d’assurer la reconstruction du centre-ville, ne fait pas l’unanimité au sein de la population. Alors que beaucoup vantent ses mérites et sont heureux de retrouver un centre-ville à Beyrouth, d’autres déplorent sa logique d’expropriation. Alors certes, le Liban n’avait pas d’autre choix que de confier la reconstruction à une société privée vu l’endettement de l’Etat, mais la majorité de la population estime que la reconstruction n’est pas à la hauteur de leurs attentes. Pour la plupart des Libanais, l’expropriation n’était peut-être pas le choix le plus intéressant. Certains habitants du centre-ville ont vu leur habitation survivre pendant la guerre, sans trop de dégâts. Et c’est au lendemain de la guerre, pour la reconstruction, qu’on leur annonce que leur maison sera détruite, et qu’ils seront compensés en échange d’actions. Ce à quoi beaucoup de Beyrouthins n’étaient pas d’accord. Mais ils n’ont pas eu le choix ; et ont été expropriés de force. De plus, les travaux de Solidere ont permis de recréer un nouveau centreville, en désaccord avec le centre-ville d’avant-guerre. Ici et maintenant, les Libanais ne se sentent plus à leur place dans cet espace qui n’est plus le leur, qui ne leur ressemble plus.
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Concernant les programmes, ce territoire s’est vu évoluer au fil du temps. Passant d’une ville principalement axée sur les loisirs et la récréation lors de la période romaine, avec ses nombreux thermes et son forum, elle s’est peu à peu transformée, jusqu’à ne plus accueillir sa propre population, rejetée audelà du cœur. Les fonctions premières de la ville ; à savoir habiter, travailler, se divertir et circuler sont effacées, laissant place à une agglomération aussi complexe qu’incompréhensive. Ici, l’ancien se mêle au nouveau et au restauré ; tours de logements s’élèvent à proximité d’habitations plus traditionnelles, et bâtiments délabrés trônent toujours, comme pour rappeler le passé de la ville, encore marqué dans la mémoire de toute une génération. Avec l’instauration de prix au mètre carré aussi élevés dans le centreville, de nouvelles centralités ont vu le jour dans la banlieue de l’agglomération. Beyrouth devient ainsi une ville polycentrique ; le centre-ville n’étant qu’un centre parmi tant d’autres, malgré sa valeur historique et symbolique. Les nouveaux pôles de concentration se déploient alors par le biais de formes et de typologies variées ; allant du centre commercial, au parc, en passant par l’aire de jeu, le campus ou encore la rue et l’avenue. La ville décentralisée ainsi créée permet de remettre tous les noyaux de concentration au même niveau d’importance, en éliminant ainsi la « puissance » que le cœur de la ville pourrait avoir. Dans son étude autour de Berlin, O.M Ungers s’est attardé sur cette question, en y apportant une réponse particulière. Selon lui, et selon une vision prospective, la chute du Mur de Berlin génèrera une décroissance démographique, qui permettra ainsi de créer des pôles de concentrations de typologies diverses et variées, positionnées sur le territoire et connectées entre elles grâce à un réseau routier. L’espace ainsi libéré serait alors transformé en des étendues vertes. Berlin deviendrait ainsi un « agglomérat de divers fragments urbains » 151, créant par conséquent cette vision de « ville dans la ville », si chère à son cœur. En utilisant la cartographie comme outil de représentation, j’ai tenté de repérer ces noyaux de concentrations, apparus pendant ou après la reconstruction à Beyrouth. D’un autre côté, le centre-ville de Beyrouth a subi une attention particulière dans le cadre de la reconstruction. Les responsables de l’époque – principalement des politiques et des personnes engagées dans le domaine de la construction – avaient comme conviction que la reconstruction du centreville permettrait un retour à la normale et à la stabilisation de la situation dans la capitale. Néanmoins, malgré la reproduction quasi à l’identique la ville d’avant-guerre, la population ne s’est toujours pas réapproprié l’espace. Pourquoi concentrer tant d’efforts pour la reconstruction sur un territoire donné, quitte à en oublier la périphérie, alors que c’est dans cette dernière que logements et loisirs furent développées par et pour les habitants ? 151 UNGERS, Oswald Mathias. La ville dans la vile: Berlin, un archipel vert. Zurich, Lars Muller Publishers, 2013. P.65
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Figure 69 - ReprĂŠsentation cartographique des nouvelles centralitĂŠs - Laetitia-Nour Hanna
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Alors que la majorité des destructions sont intervenues au lendemain de la guerre, dans le cadre de la reconstruction, comment les Libanais peuvent-ils encore se retrouver dans ce centre-ville ? Comment ne pas se sentir étranger dans sa propre ville ? La volonté de reconstruire le centre-ville après la guerre était, pour la plupart des acteurs du projet, le moyen ultime de redonner à la population libanaise ce territoire, tout en effaçant ou réduisant l’importance qu’auraient pu avoir les nouvelles centralités pendant et après la guerre. Néanmoins, l’idée de reconstruire l’image du centre-ville, par le biais de nouvelles constructions, de rénovations et la reproduction de la typologie urbaine d’avant-guerre, ne reconstruit pas forcément un centre-ville et une bonne appropriation de ce dernier. Une hypothèse serait alors d’imaginer le centre-ville comme un espace ponctué de jardins et d’espaces publics ; permettant ainsi les échanges et les rencontres entre les membres de différentes communautés, tout en assurant la fonction d’habiter à différentes classes sociales, notamment la classe moyenne. L’espace public, dans l’hypothèse d’un centre-ville qui fonctionnerait correctement, se matérialiserait sous différentes formes ; allant du jardin, à la place, en passant par la rue ou la terrasse de restaurants. Ces éléments permettraient ainsi de réduire les parcelles bâties dans le centre-ville, permettant par conséquent de l’aérer davantage, tout en favorisant les rencontres. Le pastiche, lui, remis au goût du jour par la reconstruction devrait être effacé dans l’hypothèse d’un « meilleur » centre-ville, laissant ainsi la voie à des nouvelles construction dans l’ère du temps. Nous pouvons ainsi dire qu’en tentant de remettre le centre-ville de Beyrouth sur la carte mondiale, en y favorisant les échanges internationaux, et en y promouvant l’investissement venu de pays étrangers – notamment du Golfe, Solidere a néanmoins perdu la vocation première d’un centre-ville, celui de redonner à ce centre un caractère et une identité commune aux Libanais. Ce n’est que grâce à la Révolution qui anime le cœur de chacun des Libanais, que cette population quelques peu délaissée dans ce centre s’est vu réapproprier des espaces, se mouvoir et s’exprimer sur ce territoire qui leur a été interdit pendant tant d’années. Interdit par la privatisation de certains secteurs – notamment la place de l’Etoile et la rue des banques – mais aussi interdit par une mauvaise gestion des typologies et des programmes ; au niveau des souks et de la place des Martyrs principalement. Pour finir, l schéma directeur pour la reconstruction du centre-ville de Beyrouth a subi de nombreuses modifications depuis son approbation en 1993, jusqu’à obtenir un caractère quasi figé en 2011. Depuis cette date, aucun 154
projet futur n’est prévu sur le territoire ; hormis ceux qui sont déjà dessinés sur le plan directeur et qui sont ou seront construits. Le centre-ville tel qu’on le connait aujourd’hui est susceptible d’être celui que la génération future connaitra... à moins qu’une autre guerre s’enclenche entre-temps et génère ainsi une nouvelle opportunité de reconstruction !
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En guise de postface Alors que les Beyrouthins peinent à se réapproprier ce centre-ville, le 4 août dernier, une explosion a eu lieu dans le port de Beyrouth et engendra la destruction de quartiers entiers dans la ville. Bâtiments éventrés, vitres cassés, population endeuillée, patrimoine en ruines, rêves envolés... Tant d’éléments résultant de cette explosion. Comme un malheur n’arrive jamais seul, une semaine après cet évènement dramatique, un groupe de promoteurs arpente les quartiers les plus touchés, afin de proposer aux habitants concernés de vendre leur bien immobilier, le but étant de modifier démographiquement le statut de ces quartiers. Ce sujet a déjà été traité par Naomi Klein, qui définit la stratégie du choc comme étant des « raids systématiques contre la sphère publique au lendemain de cataclysmes » 152. Ils surviennent lorsque les gens sont trop focalisés sur l’urgence, sur leur survie, pour protéger leurs intérêts. Pour Naomi Klein, un premier effort de résistance serait de refuser qu’on efface notre mémoire collective. Et c’est ce qui se produit à Beyrouth. Beyrouth n’est pas à vendre ! Les citoyens ont peur qu’avec les conséquences de l’explosion, les quartiers à proximité du port subissent une reconstruction, un projet Solidere version 2.0. Ils préfèrent donc confier la reconstruction à des Organisations Non Gouvernementales. Le centre-ville a été reconstruit après la guerre par une société foncière privée, mais dont les intérêts étaient publics. Ici et maintenant, la population libanaise refuse d’intégrer l’ordre public dans la reconstruction des quartiers touchés, et résiste. Le pari est donc lancé : quelle reconstruction pour le Beyrouth de demain ?
152 RIFFAU, Aurélien. La stratégie du choc - Naomi Klein | Complet. En ligne: https://www.youtube.com/ watch?v=bJUF9DLlVsw&ab_channel=Aur%C3%A9lienRiffau (dernière consultation le 10.09.2020)
Figure 70 - Une explosion dans le port de Beyrouth a engendrĂŠ la destruction de quartiers entiers
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