L’ECHO MARDI 25 NOVEMBRE 2014
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Agora
Figure de proue de la culture de plantes génétiquement modifiées dans le monde, la multinationale Monsanto est régulièrement prise à partie par des militants anti-OGM. © BELGA
Quand les multinationales prennent le pas sur la souveraineté des États
PHILIPPE LAMBERTS ET BART STAES Respectivement coprésident du groupe des Verts au Parlement européen et député européen membre du groupe des Verts.
M
ardi 11 novembre dernier, la Commission en charge de l’Environnement, de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire du Parlement européen s’est prononcée en 2ème lecture sur un projet de législation modifiant le cadre d’autorisation des cultures d’Organismes Génétiquement Modifiés (OGM). Ce texte répondait à une proposition du Conseil des Ministres adoptée plus tôt cette année, dont le but présumé était de dépasser le blocage décisionnel sur ce dossier et donc de faciliter l’entrée des OGM sur le territoire de l’Union européenne (UE). Si l’on peut se féliciter que les eurodéputés aient choisi de renforcer certains garde-fous dans la proposition, le cadre de discussion ne propose pas de répondre aux demandes des citoyens pour une véritable protection de l’UE contre l'«invasion» des OGM. En dépit de ces problèmes, le texte adopté par le Parlement européen est une amélioration de la proposition initiale du Conseil. En effet, dans celle-ci, l’industrie des biotechnologies recevait un poids sans précédent dans la négociation. Dans une étrange logique inversée, les États membres souhaitant interdire la dissémination,
sur leur territoire, d’un OGM en cours d’autorisation européenne étaient obligés de négocier directement avec l’entreprise privée concernée leur retrait du périmètre d’autorisation. Ce n’est qu’en cas de refus de l’entreprise et après l’éventuelle autorisation européenne de l’OGM que l’Étatmembre pouvait interdire la culture de cet OGM sur son territoire, à certaines conditions très strictes. Heureusement, le vote des parlementaires européens du 11 novembre dernier a quelque peu corrigé le tir en rejetant l’obligation de négocier d’abord avec les entreprises, en élargissant le panel de raisons que les États peuvent invoquer pour refuser la culture d’un OGM sur leur territoire, et en rendant le texte juridiquement plus solide. Ils ont également imposé des mesures préventives obligatoires contre la contamination transfrontalière. On peut dès lors espérer que le scénario catastrophe – où les entreprises seraient au même niveau que les gouvernements démocratiquement élus dans la définition de l’espace d’autorisation des OGM — sera évité, du moins si le Parlement européen parvient à tenir sa position dans les négociations à venir avec le Conseil et la Commission. On ne doute pas que la négociation sera très difficile tant les positions des deux parties sont éloignées.
Loin des enjeux véritables
Cependant, le texte, même amendé, ne s’attaque pas au fond du problème et est loin de répondre aux enjeux que devrait prendre en charge une véritable réforme du cadre européen d’autorisation des cultures d’OGM. Premièrement, laisser le choix aux États membres de se soustraire au champ d’autorisation d’un OGM revient en réalité à renationaliser partiellement cette politique. Cette renationalisation peut à première vue paraître attrayante pour les États qui se sont toujours clairement opposés à la culture de plantes transgéniques sur leur territoire: peu importe ce que fait mon voisin, il n’y aura pas d’OGM chez moi! En réalité, il s’agit là d’un regrettable re-
cul qui déconstruit le cadre communautaire pour la culture des OGM, et qui ignore non seulement la tradition européenne de nos politiques agricoles mais aussi le fonctionnement du marché intérieur européen. Sans parler de la nature mensongère et court-termiste de la nouvelle proposition: il ne faut pas être bio ingénieur pour comprendre que le pollen, transgénique ou non, ne connaît pas de frontière. L’idée qu’un pays comme la Belgique pourrait se soustraire à la contamination génétique en interdisant la culture d’un OGM cultivé en France, en Allemagne et aux Pays-Bas est donc un leurre. Par ailleurs, on peut craindre qu’une procédure d’interdiction partiellement nationalisée ait comme pendant une procédure d’autorisation (encore) plus laxiste au niveau européen, sous le prétexte que les États pourront à présent choisir de s’en extraire. Dans cette perspective, la renationalisation fait alors office de véritable cheval de Troie pour une Europe sans OGM, qu’il nous faut dénoncer et combattre. Deuxièmement, le nœud du problème n’est pas tant la procédure d’interdiction a posteriori au niveau de chaque État membre que la procédure d’autorisation en amont pilotée par l’Agence européenne pour la Sécurité alimentaire (EFSA). Aujourd’hui, personne ne peut prétendre connaître l’effet à long terme des plantes transgéniques sur la santé et l’environnement. Or, en dépit du principe de précaution qui voudrait que dans le doute, l’on s’abstienne, l’autorité sanitaire européenne délivre systématiquement des avis positifs sur les demandes qui lui sont soumises par des entreprises, au terme d’une évaluation que l’on peut qualifier de scientifiquement défaillante et démocratiquement opaque (1). L’EFSA s’est par contre opposée avec une vigueur inédite à l’étude récente du Professeur Séralini (2012) — qui remettait en cause l’innocuité des OGM -, faisant ainsi preuve d’un esprit critique à géométrie très variable. Ajoutons à cela les conflits d’intérêts dans le chef de hauts responsables de
La tendance très préoccupante du Conseil et de la Commission européenne à octroyer un rôle croissant aux grandes entreprises dans les processus de négociation et de décision ne se cantonne pas au dossier OGM et s’observe par exemple dans les négociations en cours sur le traité transatlantique entre l’UE et les États-Unis.
l’EFSA et de certains de ses experts, et l’on obtient un cocktail particulièrement indigeste et un tropisme pro-OGM qui jette le discrédit sur toute la procédure. Enfin, plus largement, ce dossier illustre également la tendance très préoccupante du Conseil et de la Commission européenne à octroyer un rôle croissant aux grandes entreprises dans les processus de négociation et de décision, au mépris de tout débat démocratique. Cette tendance ne se cantonne pas au dossier OGM et s’observe par exemple dans les négociations en cours sur le traité transatlantique entre l’UE et les États-Unis (TTIP/TAFTA). Il est en effet question d’y introduire une procédure d’arbitrage qui permettrait aux entreprises d’attaquer les États en justice si elles s’estiment entravées dans leurs activités commerciales par des lois nationales. Ici, comme dans le cas des OGM, c’est bien l’ADN de notre démocratie européenne qui est mis en danger.
Remettre la démocratie à sa place
EXPRESS La Commission en charge de l’Environnement, de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire du Parlement européen vient de se prononcer sur un projet de législation des OGM. Des garde-fous sont désormais prévus mais le texte ne constitue pas une véritable réforme du cadre européen d’autorisation des cultures d’OGM. Entre autres points faibles, cette législation laisse le choix aux États membres de se soustraire au champ d’autorisation d’un OGM, ce qui revient à renationaliser cette politique.
C’est pourquoi nous comptons sur JeanClaude Juncker, le nouveau président de la Commission européenne, pour remettre la démocratie à sa juste place dans les processus décisionnels de l’UE. Dans son discours d’entrée en fonction, il a notamment insisté sur la nécessité de corriger les manquements démocratiques de la procédure d’autorisation des OGM. Nous n’en attendons pas moins de sa part et jugerons son discours à l’aune des actes concrets qui seront posés. Alors que les citoyens européens demeurent largement défavorables à l’arrivée de plantes transgéniques dans leurs champs comme dans leurs assiettes, où les OGM n’ont fait la preuve ni de leur innocuité à long terme, ni de leur pertinence, il est impératif de faire primer la démocratie et le principe de précaution sur les intérêts commerciaux des multinationales. (1) Ce sont les entreprises privées qui ont négocié le cadre d’évaluation appliqué par l’EFSA, sur la base d’hypothèses non prouvées scientifiquement, et qui fournissent les données utilisées pour les analyses.