Carte blanche lecho 7nov2014 bienvenue en 2014 m coene

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L’Echo, 07/11/2014, page/bladzijde 13

Bienvenue en 2014, M. Coene!

PHILIPPE LAMBERTS Coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. Initiateur du site web «Les sept péchés capitaux des banques»

L

uc Coene vit-il dans le même monde que nous? On peut sérieusement en douter en relisant les déclarations tenues samedi passé par le gouverneur de la Banque nationale de Belgique. Selon ce dernier, il y aurait trop de banques en Belgique, ce qui justifierait à ses yeux de nouvelles fusions parmi les plus grosses banques. Entendez: Belfius devrait fusionner avec une autre banque belge ou être reprise par une banque étrangère. La nature anachronique de ces propos est telle qu’on ne peut s’empêcher de repenser au film «Good Bye, Lenin!» (2003) du réalisateur allemand Wolfgang Becker. Souvenez-vous: il s’agissait de l’histoire d’Alex, ce jeune Berlinois de l’Est qui, apprenant la chute du Mur alors que sa mère se réveille d’un coma, met tout en œuvre pour éviter à celle-ci une rechute causée par un deuxième choc. Il entreprend, dès lors, de cacher à sa mère les bouleversements politiques et économiques qui ont eu lieu pendant son coma, en s’efforçant de faire revivre la RDA.

Good Bye, Fortis!

En lisant les propos de M. Coene en faveur d’une plus forte concentration du secteur bancaire en Belgique, on peut franchement se demander si son propre entourage ne s’évertue pas également à lui cacher, depuis plus de six ans, une autre vérité qui dérange, à savoir: l’effondrement du système bancaire belge en 2008. Anticipant le choc émotionnel qu’un tel boule-

versement aurait pu lui causer, les proches de M. Coene ont peut-être pris la (sage) décision de tout mettre en œuvre pour que celui-ci continue à croire en la rémanence des grandes institutions financières belges? On imagine ainsi son entourage continuer à lui faire parvenir ses extraits de comptes bancaires estampillés du logo «Fortis» ou lui envoyer de fausses éditions de «L’Echo» vantant les acquisitions réussies de Dexia aux ÉtatsUnis… Bref, grâce à de tels subterfuges, M. Coene continuerait à vivre dans l’illusion d’un secteur bancaire belge conquérant et en perpétuelle extension. À moins que l’explication soit beaucoup plus simple? Après tout, M. Coene n’a peut-être pas eu besoin d’aide pour faire le choix du déni? Reconnaître la réalité des faits — à savoir que la crise financière belge a été provoquée par les prises de risques excessives de trois banques devenues «trop grandes pour faire faillite» (Fortis, Dexia et KBC) — engendrerait un inconfort mental bien trop insupportable pour ce banquier central pétri de certitudes néolibérales. D’où le choix de la continuité: selon M. Coene, la voie du salut passerait nécessairement par la constitution de méga-banques capables d’être concurrentielles sur les marchés internationaux. Que la crise financière ait démontré l’aberration d’une telle stratégie semble lui importer peu au final…

considère que des déséconomies d’échelle apparaissent. Or, au niveau du secteur bancaire belge, le bilan de BNP Paribas Fortis, de KBC, de Belfius et d’ING Belgique dépasse — dans chacun des cas — très largement cette limite(1). Autant dire que la taille des quatre principales banques «belges» est encore trop grande, ce qui signifie qu’en cas de faillite de l’une d’entre elles (ou de leur maison mère dans le cas de BNPP Fortis et d’ING Belgique), la stabilité financière du pays, voire de la zone euro, serait lourdement impactée. Sans parler des contribuables belges qui devraient à nouveau passer à la caisse. Par conséquent, la volonté affichée par M. Coene d’encourager une plus forte concentration du secteur bancaire belge — qui serait dominé par seulement trois acteurs — relève carrément de l’irres-

Retour à la réalité

Mais si M. Coene est dans le déni, comment l’aider à en sortir? L’éducation par les pairs constitue probablement la meilleure stratégie pour y arriver. Nous l’invitons donc à lire au plus vite les travaux d’Andrew G Haldane, économiste en chef de la Banque d’Angleterre. Ce dernier démontre avec rigueur les effets pervers liés à l’existence de méga-banques en Europe. Tout d’abord en s’appuyant sur les résultats de nombreux travaux de recherche, ce dernier rappelle que la taille optimale estimée du bilan d’une banque se situerait à moins de 100 milliards de dollars (80 milliards d’euros). Au-delà de ce seuil, l’économiste britannique

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Luc Coene vit-il dans le même monde que nous? On peut sérieusement en douter en relisant les déclarations tenues samedi passé par le gouverneur de la Banque nationale de Belgique.

ponsabilité. L’existence de subventions implicites perçues par les banques «trop grandes pour faire faillite» constitue le deuxième effet pervers mis en évidence par les travaux d’Andrew G Haldane. En raison du soutien implicite de leur État, celles-ci sont, en effet, en mesure d’emprunter sur les marchés financiers à des taux plus attractifs que ceux proposés aux banques de plus petite taille. Cet avantage de financement dont jouissent les méga-banques génère, non seulement une concurrence déloyale au sein du secteur bancaire, mais encourage également ces dernières à contracter plus de dette pour financer des activités de plus en plus risquées. La Commission européenne a chiffré l’avantage de financement perçu en 2012 par les grandes banques européennes à environ 82 milliards d’euros. Selon une étude commandée par les Verts européens(2), les montants des subventions implicites perçues rien que par Belfius et KBC en 2013 s’élèvent respectivement à 1,7 milliard et 791 millions d’euros. De quoi démontrer à nouveau que l’enjeu actuel, contrairement à ce qu’affirme M. Coene, ne consiste pas à fusionner de grosses banques entre elles mais plutôt à réduire leur taille afin d’éliminer l’avantage de financement dont celles-ci bénéficient indument. Deux options s’offrent donc à M. Coene. La première consiste à défendre des intérêts particuliers, en poussant à une concentration toujours plus forte du secteur bancaire belge. La seconde entend poursuivre un but d’intérêt général, en mettant un terme à l’existence de banques «trop grandes pour faire faillite» afin d’encourager la diversification d’acteurs bancaires publics et privés orientés vers le financement des particuliers, des collectivités et des entreprises. (1) Au 31 décembre 2013, le total du bilan de BNP Paribas Fortis, de KBC, de Belfius et d’ING Belgique s’élevait respectivement à 261 milliards, 209 milliards, 183 milliards et 143 milliards d’euros. (2) Kloeck, Alexander, October 2014, «Implicit subsidies for a sample of EU banks in 2013», The Greens/EFA group.


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