Carte blanche llb 7nov2014 rivalités be grande coalition ue

Page 1

Débats Opinion

Rivalités de façade en Belgique, mais tous ensemble à l’Europe ! n L’opposition menée chez nous n’est qu’un show médiatique. MR, PS et CDH se rejoignent dans une coalition pour porter un projet néolibéral à l’échelon européen, là où sont arrêtées les balises de notre politique fédérale.

C’

ALEXIS HAULOT

est reparti pour cinq dire là où sont déterminées 70 à 80 % ans ! La Commission des lois belges et où sont arrêtées les Juncker a été élue haut la balises de notre politique socio­écono­ main par les eurodéputés mique. par 423 voix pour, En effet, de tous les eurodéputés bel­ 209 contre et 67 abstentions. Quelques ges issus de formations démocratiques jours plus tôt, c’était le gouvernement qui ont pris part au vote sur l’ensemble Michel Ier qui était mis en selle. Comme de la Commission Juncker, les deux souvent, la Belgique fait office à la fois écologistes – comme l’ensemble des d’aiguillon économique et de labora­ Verts que je préside – sont les seuls à toire politique de l’Europe. D’une part, avoir posé un vote négatif. Ce n’est pas son indicateur de conjoncture devance l’envie de nous démarquer des autres de quelques mois celui de la zone euro. ou de jouer la carte d’une opposition D’autre part, le gouvernement Mi­ puérile qui nous a motivés mais plutôt chel Ier s’annonce comme étant celui l’attachement viscéral à notre projet de qui va amplifier les ré­ société et le respect de la formes structurelles du parole donnée à nos type de celles entamées électeurs lors de la cam­ depuis trente ans (et pagne électorale euro­ dont on attend toujours péenne. Comme à cha­ les résultats promis) tan­ que fois, ce scrutin dis que la Commission donne lieu à une im­ Juncker est encore plus mense tromperie : les critiquable que celles quatre principales for­ présidées par Barroso mations politiques fran­ sur ce front­là. cophones tiennent peu La législature fédérale ou prou le même dis­ PHILIPPE commence à peine que, cours. Nous plaidions LAMBERTS déjà, l’opposition se tous pour une Europe Eurodéputé Ecolo, montre féroce. D’em­ plus démocratique, plus coprésident du blée, les rivalités entre le transparente, faisant Groupe des Verts UE. MR et le PS et, dans une preuve d’ambition dans moindre mesure, le CDH la régulation des mar­ sont portées à leur paroxysme. Cepen­ chés financiers et dans la lutte contre le dant, au­delà de l’accord de gouverne­ changement climatique. Pourtant, le ment et des dérapages verbaux, voire vote de soutien des eurodéputés CDH, éthiques de certains membres du gou­ PS et même MR à la Commission Junc­ vernement, la manière dont l’opposi­ ker reflète un mépris à l’égard des pro­ tion est menée relève bien souvent du messes débitées durant la campagne et show médiatique : une fois que l’on un coup de canif dans le contrat moral examine l’envers du décor, on décou­ qui les lie à leurs électeurs. vre que les trois partis traditionnels se Avec toute la bonne volonté du rejoignent dans une grande coalition monde, cette Commission ne peut qui porte un projet néolibéral. Cette nous convaincre ni sur le plan des pra­ grande coalition ne se donne pas en tiques ni sur celui du projet. Certes, spectacle sur le théâtre belgo­belge Jean­Claude Juncker a dû composer mais à l’échelle européenne c’est­à­ avec les personnalités que lui ont im­

54

posées les Etats mem­ bres mais là où il porte une responsabi­ lité coupable, c’est dans l’attribution des portefeuilles. Ainsi, l’Anglais Jonathan – Lord pour les intimes ! – Hill (Royaume­Uni) a été affecté à la stabilité finan­ cière, aux services financiers et aux marchés de capitaux alors que sa réputation de lob­ byiste à la solde des intérêts privés des banquiers de la City le précède. Rappelons la régulation financière, avec notamment la mise sous contrôle des banques dites “too big to fail” et le confinement de la spéculation, qui res­ tent des chantiers encore largement à réaliser, en dépit de la bonne volonté de son prédécesseur… L’Espagnol Mi­ guel Arias Cañete s’est vu confier la lutte contre les changements climati­ ques et l’énergie. Pourtant, il se distin­ gue par un piètre bilan en tant que mi­ nistre de l’Agriculture, par des conflits d’intérêts (sa famille et lui­même déte­ nant des parts dans des sociétés pétro­ lières) et des propos sexistes et misogy­ nes en totale contradiction avec les va­ leurs européennes de base ! Ayant échoué à convaincre les euro­ députés lors d’un premier examen oral, ces deux prétendants à un poste de Commissaire ont évité d’être évin­ cés grâce à un jeu de chantage entre les conservateurs et les socialistes du type “je te tiens, tu me tiens par la barbi­ chette” : si l’un des deux avait été re­ jeté, il aurait entraîné dans sa chute le Français Pierre Moscovici, en guise de représailles. Le Hongrois Tibor Navracsics est éga­ lement utilisé à contre­emploi puis­ qu’il sera en charge de l’éducation, de la culture, de la jeunesse. Rappelons­ nous que, en tant que ministre de la Justice et vice­Premier ministre au gouvernement du peu recommandable Viktor Orbán, il fut l’auteur de lois pointées du doigt (y compris par la pré­ cédente Commission) pour ses attein­ tes aux valeurs européennes : elles ont réduit le champ des libertés civiles en Hongrie (indépendance des médias, in­

dépendance des juges…). Est­ce bien à lui que l’on veut confier la culture et notre jeunesse ? Heureusement, la compétence de la citoyenneté lui a finalement été retirée ! Aucun de ces trois­là n’a fait preuve de sérieuses compétences dans les do­ maines qu’ils suivront alors qu’il s’agit d’un critère incontournable pour être désigné Commissaire, conformément aux prescriptions du Traité. Si le Finlandais Jyrki Katainen est, lui, un vétéran des réunions européennes, il est un faucon de l’orthodoxie écono­ mique, celle­là même qui est enfin re­ mise en cause par la gardienne même de l’orthodoxie économique : la Ban­ que centrale européenne… Il supervi­ sera le très large portefeuille “Emploi, croissance, investissement et compétiti­ vité”, au sujet duquel il a été bien en mal d’avancer ne serait­ce qu’une idée concrète. Enfin, nos inquiétudes liées au man­ que de considération pour les ques­ tions de durabilité et de protection de l’environnement n’ont pas été apaisées par la décision de dernière minute d’attribuer au Néerlandais Frans Tim­ mermans, le vice­Président à la déré­ gulation, des compétences sur la dura­ bilité, matière qui exige une action ré­ glementaire suivie de contrôle et de sanctions en cas de non­respect… Ces personnages sont emblématiques

La Libre Belgique - vendredi 7 novembre 2014

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.


Chronique

Perdu : l’intérêt général n Il n’est pas trop tard pour espérer qu’un jour une manifestation sociale se rassemble non pas au nom de notre bien-être immédiat, mais pour celui des générations à venir. cœur du problème: est­il si juste de consommer les ressources écologi­ ques, mais aussi financières et socia­ ma droite, un gouvernement les du temps présent si ce sont les gé­ transgressif sur maints aspects, nérations à venir qui le paient? Cette alignant une série de mesures dimension est, très étrangement, ab­ jugées courageuses par lui­même, sente du débat actuel. mais violemment antisociales et in­ Un gouvernement propose des me­ justes par l’opposition et le monde sures dures sans parvenir, pour l’ins­ syndical. Ces mesures portent indis­ tant, à insuffler les accents “chur­ cutablement sur des économies géné­ chilliens” qui leur donneraient du ralisées. Fait étonnant: ce gouverne­ sens. Il suffirait pourtant, d’expliquer ment tente de justifier ces mesures en en quoi des mesures injustes sur le minimisant leur impact. Le saut d’in­ court terme peuvent porter un hori­ dex sera compensé par un cadeau fis­ zon de justice et de solidarité à long cal, la retraite à 67 ans ne concernera terme – parce qu’un budget en équili­ presque personne, les coupes budgé­ bre, par exemple, évite de reporter taires seront indolores. Bref, on ré­ des intérêts sur nos enfants et petits­ forme et on économise, mais le ci­ enfants. Le faire permettrait d’assu­ toyen n’en souffrira pas. mer des réformes et leur dureté en les Le discours est paradoxal pour un associant à un but considéré comme gouvernement de centre­droit: on va juste. Ne pas le faire finira par accrédi­ réformer, ça va faire mal mais vous ne ter l’idée que ces mesures ne sont pas le sentirez pas trop. au service d’une vision généraliste, A ma gauche, une contestation poli­ mais au seul bénéfice de quelques­ tique et syndicale qui, passé les pre­ uns. mières torpeurs parle­ De même, l’opposi­ mentaires, choisit tion gagnerait en crédit d’axer sa communica­ si, au lieu de flatter à ce tion autour de l’injus­ point les peurs indivi­ tice de mesures frap­ duelles et de réduire les pant tout le monde. travailleurs à leur pou­ Fait étonnant : la fixa­ voir d’achat, elle re­ tion sur les revenus di­ trouvait des airs d’inté­ rects : telle réforme va rêt général. Il n’est pas vous coûter autant. difficile de réunir du C’est dans votre porte­ monde face à un gou­ monnaie que “le gou­ vernement qui coupe vernement MR/N­VA” dans les budgets et “vo­ FRANÇOIS DE SMET va puiser. C’est la part lerait le pain” dans la Chroniqueur. de tarte aux fraises de bouche des tra­ votre enfant qui sera vailleurs; mais sous­ mangée par le monsieur habillé en entendre qu’il le ferait par plaisir, bleu et jaune. comme si un pouvoir démocratique Le discours est paradoxal pour une entendait œuvrer au malheur de ses opposition de gauche : le vilain Etat propres citoyens par principe, revient vous vole vos moyens, vos économies à privilégier l’émotion sur la raison. et votre pouvoir d’achat; Reagan et Bref; l’heure est grave, mais pas pour Thatcher n’auraient pas fait mieux. des raisons de chaos politique ou La star de tout ceci? L’égoïsme parti­ d’insurrection sociale. Elle est grave culier et le court terme. Le grand ab­ parce que peu de monde semble se sent? L’intérêt général et le débat sur soucier de l’intérêt général. Le vrai. une vision à long terme. Les citoyens Celui qui s’évalue sur plusieurs géné­ peuvent adhérer à l’idée qu’une poli­ rations. Il n’est pas trop tard pour que tique de rigueur est nécessaire, à deux le gouvernement offre à son projet le conditions: s’ils perçoivent que l’ef­ souffle et le sens qui justifieraient ses fort est équitablement réparti d’une mesures; cela aurait plus d’allure que part, et si une vision est proposée d’essayer de les minimiser en assu­ pour montrer à quoi vont servir ces rant que ça ne fera pas vraiment mal. efforts d’autre part. Sur ces deux Il n’est pas trop tard, non plus, pour points, la communication gouverne­ espérer qu’un jour une manifestation mentale n’est pas (encore ?) au ren­ sociale se rassemble non pas au nom dez­vous. de notre bien­être immédiat, mais La solidarité entre générations est le pour celui des générations à venir.

Entre les lignes

A

ALEXIS HAULOT

Le vote de soutien des eurodéputés CDH, PS et même MR à la Commission Juncker reflète un mépris à l’égard des promesses débitées durant la campagne et un coup de canif dans le contrat moral qui les lie à leurs électeurs.

d’une erreur globale en termes de priorités qui devraient cibler la ré­ duction rapide des inégalités crois­ santes – même le Forum économique de Davos s’en soucie désormais –; la réduction de notre empreinte écolo­ gique qui atteint des niveaux alar­ mants comme le confirme un nombre croissant de rapports; et la restaura­ tion de la souveraineté de nos démo­ craties par rapport au pouvoir des marchés financiers et des entreprises multinationales. Ces erreurs de casting et de priorités sont à ce point grossières que l’équipe

de Jean­Claude risque objectivement de ne pas pouvoir rétablir la confiance de nos citoyens envers l’UE qui est historiquement au plus bas après les dix années de Commissions Barroso. Il appartient désormais aux trois autres partis de s’expliquer devant leurs électeurs, eux dont l’action gou­ vernementale, tantôt au fédéral, tan­ tôt au régional, devra tenir compte de ce qui viendra de “Bruxelles”, et qui se donnent en spectacle à l’occasion de petites phrases acerbes alors qu’ils font partie de la grande coalition européenne du statu quo.

vendredi 7 novembre 2014 - La Libre Belgique

55

© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.