Traité transatlantique petit guide de décryptage

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Note du service d' études d' ECOLO 06/2015

Traité transatlantique: petit guide de décryptage des procédures parlementaires pour lutter contre la désinformation organisée Les prémis s es du vot e du 1 0 j uin

Les 732 eurodéputés adopteront la position du Parlement européen sur le traité transatlantique lors de la session plénière du 10 juin. Si la Commission européenne négocie pour le compte des Européens face aux Etats-Unis sur base d’un mandat qui lui a été donné en juin 2013 par les Etats membres – dont la Belgique –, le rapport parlementaire lui fournira de nouvelles indications quant à ce que les eurodéputés souhaitent voir inclus ou non dans le traité final. Le Parlement européen est souvent – à tort – décrié comme un parlement croupion et démuni face au Conseil des Ministres. Mais, il faut bien se rendre compte qu’au terme des négociations, le traité qui résultera des pourparlers entre la Commission et son équivalent américain devra recueillir l’assentiment des eurodéputés. Et ce n’est qu’à compter de ce moment-là que, en cas de vote «oui», la procédure de ratification dans les Etats membres sera ouverte. Ce vote du 10 juin conclut une période de 9 mois de travaux parlementaires qui ont mobilisé pas moins de 14 commissions parlementaires. C’est dire le nombre important de ramifications de ce traité dans des domaines aussi différents que l’agriculture, l’emploi, l’énergie, la culture, les libertés civiles, etc. Sans parler du travail mené pour évaluer la conformité et la compatibilité du traité avec les normes européennes (le Traité ainsi que les innombrables règlements et directives déjà en vigueur). En marge des travaux parlementaires, l’opinion publique s’est mobilisée comme rarement auparavant puisque 1,5 millions de personnes ont signé une pétition contre la clause dite ISDS référant au recours aux tribunaux privés en cas de différends entre les entreprises privées et les Etats. Un nombre impressionnant de colloques, de débats citoyens, etc. ont été organisés en Belgique et dans d’autres pays. Cela a d’ailleurs abouti à ce que les communes se mobilisent jusqu’à voter des motions par lesquelles elles se déclarent «villes hors TTIP». Le vote en plénière est la conséquence du vote en commission du commerce international du 28 mai qui s’est soldé par une résolution soutenue par 28 voix (majorité constituée par le chrétiens-démocrates du PPE, les libéraux de l’ALDE, les socialistes du S&D) pour et 13 contre (les Verts, la gauche radicale de la GUE, le mouvement 5 étoiles italien et les non-inscrits). Ainsi, ce qu’on qualifie de «grande coalition» pour désigner l’alliance entre les trois familles politiques traditionnelles qui empêche l’éclosion de toutes politiques et orientations alternatives l’a encore emporté. Le procès-verbal publié en ligne permet de suivre le vote de chaque eurodéputé  : http://www. polcms. europarl. europa. eu/cmsdata/upload/cd3afe2d-0aa8-4e00b1 fe-acb0793c8889/Roll%20call%20votes%2028-05-1 5. pdf.

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Le nombre d’amendements déposés sur le projet de rapport en dit long sur les divergences de vues et l’intensité du débat entre eurodéputés  : près de 900. La plupart a pu être regroupée autour de 57 amendements de compromis. Une quinzaine bénéficiait du soutien des Verts.

Décryptage du vote en commission du commerce international Au final, le vote adopté est une résolution «touffue» ou on trouverait presque de quoi contenter tout le monde. «Presque» car au final, même si des balises ont été posées, le texte reste inacceptable pour les Verts parce que la balance penche plus du côté du soutien aux négociations en cours et que le rapport contient ⚬ la clause ISDS qui avait été rejetée par 97 % des répondants à la consultation publique que la Commission avait lancée sur le sujet et par 5 commissions parlementaires (dont celles des affaires juridiques, des affaires juridiques, de l’environnement et de la culture); comble de la tromperie, les eurodéputés ont voté un texte qui réussit à traiter du sujet sans mentionner en tant que tel l’acronyme «ISDS», l’objectif étant, pour les critiques de cette clause qui se sont quand même rallié à la conception néolibérale du traité, d’essayer de la camoufler en usant d’un libellé ambigu; ⚬ un volet sur la coopération réglementaire qui est un processus opaque, autonome et jouissant d’un pouvoir d’initiative alors qu’elle échappe à tout contrôle démocratique et parlementaire. Par ailleurs, plusieurs études indiquent que rien ne justifie une telle protection des investisseurs entre pays et régions présentant des systèmes judiciaires aussi développés que les nôtres. Plus encore, les effets sur l’emploi, les possibilités de relocalisation de l’activité et, plus globalement, de transformation de l’économie et de reprise de contrôle par le politique de sphères d’activités dont la pensée unique néolibérale l’a amené à se dégager sont préoccupants  : le TTIP cadenasse le modèle de la construction européenne. Le comportement du président socialiste de la commission du commerce international qui est également le rapporteur sur le TTIP (! ) fut pour le moins troublant en ce qui concerne l’ISDS. Sur ce point, trois amendements étaient en concurrence  : un radicalement opposé déposé par les Verts et la gauche radicale, un autre conçu par le rapporteur avec les conservateurs (et hors délais pour être normalement pris en compte! ), un dernier plus explicite quant au soutien à l’ISDS déposé par la droite du PE (conservateurs, libéraux et souverainistes). La règle veut que l’on vote d’abord sur l’amendement le plus éloigné du projet de rapport à l’examen. En l’occurrence, l’amendement d’opposition des Verts et de la gauche radicale. Mais, grâce à un tour de passepasse pas très subtil, le président de séance a écarté cet amendement pour mettre directement aux voix celui qu’il avait négocié dans la nuit avec les conservateurs. De la sorte, en évitant le vote sur l’amendement de rejet de l’ISDS, on évitait aux eurodéputés de devoir se prononcer clairement sur cette clause. Ensuite, le président a cherché à éviter le vote par appel nominal sur l’amendement du rapporteur et des conservateurs. Le vote par appel nominal est une procédure qui permet de savoir précisément qui vote quoi sur tel amendement précis. Si un groupe politique ne demande pas un vote par appel nominal, les votes se déroulent à main levée et les procès-verbaux des commissions ne permettent pas d’identifier le comportement de vote des eurodéputés.

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Divergence de stratégies ou tentative de manipulation des critiques du TTIP? Certains socialistes visiblement mal à l’aise avec leur vote de soutien au rapport alors qu’ils avaient juré mordicus qu’ils combattraient le traité tentaient d’expliquer qu’ «il fallait voter le rapport en commission du commerce international afin de mener la vraie bataille en plénière». Que penser de la stratégie? Il est vrai que, sociologiquement, le profil de l’ensemble des eurodéputés est moins «pro-TTIP» (avec toutes les nuances que cela comporte) que celui de la quarantaine d’eurodéputés qui sont des membres effectifs de la commission du… commerce international. En effet, parmi les 732 élus européens, on retrouve des eurodéputés de tous les groupes politiques membres de commissions parlementaires qui ont condamné de manière univoque la clause ISDS ou qui ont critiqué la portée tentaculaire du Traité au point que la capacité des Etats membres et de l’UE à réglementer serait mise sous cocon. Cependant, il eut mieux valu batailler en INTA pour faire rejeter le rapport plutôt pro-TTIP. En optant pour cette stratégie, le rapport n’aurait pas pu être voté en plénière et concrètement, cela aurait signifié que le PE s’abstenait de prendre position. Pour les autres acteurs européens, principalement la Commission européenne qui négocie et ensuite les Ministres, ce non-vote, cette non-position aurait signifié que le TTIP ne bénéficiait pas d’un soutien parlementaire. De ce fait, la Commission aurait dû au moins redoubler de vigilance parce que l’absence de consignes de la part du Parlement aurait exigé d’elle qu’elle négocie à vue et qu’elle marche sur des œufs, … Et comme, in fine, il appartiendra au Parlement européen de dire «oui» ou «non» à l’accord final avant que celui-ci ne soit confirmé par les Etats membres, elle aurait pris le non-vote comme un avertissement très sérieux qu’elle devait se montrer équilibrée. Pour arriver à renverser le rapport de forces, il aurait suffi que le groupe socialiste vote comme un seul homme contre le rapport. Dès lors, avec seulement 19 voix pour et 22 contre, le rapport TTIP aurait été coulé… Mais, cela aurait impliqué que le rapporteur en charge du dossier vote contre son propre travail et/ou que ses camarades le désavouent.

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Et les Belges? Trois eurodéputés belges siègent dans la commission du commerce international. Marie Arena (PS) en est la seule membre effective. Sander Loones (NVA) et Frédérique Ries (MR) ne participent au vote qu’en cas d’absence d’un de leurs collègues de groupe. Des trois, seul Sander Loones a pris part au vote et, sans surprise, a défendu tous les amendements allant dans le sens d’une orientation néolibérale au rapport. Quant à Marie Arena, elle a dû s’absenter juste après le vote sur le rapport précédent. On ne peut que regretter cette absence pour l’un des votes les plus importants de la législature.

La suite Rendez-vous le 10 juin pour le vote en plénière.

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