31 minute read
UNE AMBIANCE SINGULIÈRE
Informel [sans][forme]
Ce qui n’est pas soumis à des règles strictes, officielles. Ce qui n’est pas organisé de manière officielle. Synonymes : décontracté, déstructuré, imprévu Contraires : formel, rigide, codifié
Advertisement
Chapitre 1
La poétique de l’espace, Gaston Bachelard, 1957
Je pense qu’il faut savoir se déconnecter du réel et se laisser porter par non ce que l’on voit, mais ce que l’on peut percevoir. Et non par ce que l’on entend mot par mot, mais plutôt par les sons qui résonnent dans son ensemble. Il ne faut pas non plus avoir peur de se laisser tomber dans un monde qui n’est pas le notre et tout réinventer, imaginer, puis se laisser bercer. Pour moi, c’est cela l’image poétique ; comment nôtre imaginaire singulier réinterprète ce qui l’entoure. Et c’est ce qui nous permet de se différencier un peu des uns des autres en tant qu’être humain.
Dans l’introduction, l’auteur compare notre âme à celle d’un bâtiment qui serait construit sur plusieurs époques avec différentes techniques. Ce qui est plaisant, car une bâtisse se doit d’avoir, elle aussi, une âme propre à elle-même, caractériser par ses modes de constructions et son environnement. Et se laisser imaginer que tout comme nous, son âme évoluera au fil du temps et par ses différentes énergies qui l’ont habités.
« On le voit dès maintenant, les images de la maison marchent dans les deux sens : elles sont en nous autant que nous sommes en elles. [...] N’habite avec intensité que celui qui a su se blottir. » - page 19 - En tant qu’architecte c’est une notion que je ne prendrai pas à la légère. Tout le monde devrait avoir un endroit où l’on se sent en sécurité et où nous aimons rêvasser. Que cela au-dessus d’un radiateur collé à la fenêtre, ou bien dans une vielle rocking chair.
La maison de la cave au grenier, le sens de la hutte
« La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. Il n’y a pas que les pensées et les expériences qui sanctionnent les valeurs humaines. A la rêverie appartiennent des valeurs qui marquent l’homme en sa profondeur. La rêverie a même un privilège d’auto-valorisation. Elle jouit directement de son être. » - page 26 - Gaston Bachelard explique que la maison maintient l’homme à travers les orages de la vie. Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de l’être humain. Avant d’être « jeté au monde », l’homme est déposé dans le berceau de la maison.
L’écrivain distingue la maison imaginée comme un être vertical qui s’élève. Et la maison imaginée comme un être concentré, qui nous appelle à une conscience de centralité.
« Vers le toit toutes les pensées sont claires. Dans le grenier, on voit à nu, avec plaisir, la forte ossature des charpentes. On participe à la solide géométrie du charpentier. La cave on lui trouvera sans doute des utilités. On la rationalisera en énumérant ses commodités. Mais elle est d’abord l’être obscur de la maison, l’être qui participe aux puissances souterraines. En y rêvant, on s’accorde à l’irrationalité des profondeurs.
Dans notre civilisation, on ne va plus à la cave un bougeoir à la main. Mais l’inconscient ne se civilise pas. C’est vrai, qui ne s’imagine pas un drame dès qu’il descend à la cave dans le noir ?
Le réel et le rêve ici ne font qu’un contrairement aux appartements parisiens. En ville, les drames que l’on s’imagine ne sont plus liés à notre habitat, mais plutôt à la vie extérieure sortie d’un polar américain, avec le retentissement des sirènes ou d’un klaxon. En s’appuyant sur d’autres écrivains, Gaston B. parle de boîtes sans verticalité, vide de rêverie. « Le numéro de la rue, le chiffre de l’étage fixent la localisation de notre ‘trou conventionnel’, mais notre demeure n’a ni espace autour d’elle ni verticalité en elle. [...]
Les édifices n’ont à la ville qu’une hauteur extérieure. Les ascenseurs détruisent les héroïsmes de l’escalier. On n’a guère de mérite d’habiter près du ciel. Et le chez-soi n’est plus qu’une simple horizontalité. Au manque de valeurs intimes de verticalité, il faut adjoindre le manque de cosmicité de la maison des grandes villes. Les maisons n’y sont plus dans la nature. Les rapports de la demeure et de l’espace y deviennent factices. Tout y est machine et la vie intime y fuit de toute part. « Les rues sont comme des tuyaux ou sont aspirés les hommes » - page 42
« les automobiles ronflent, que le roulement des camions me fait maudire ma destinée de citadin, je trouve un apaisement à vivre les métaphore de l’océan. » - page 43
Si je compare cette vision à mon expérience personnelle lors de ma vie à Paris, contrairement à la vie que j’ai mené dans une plus petite ville, en campagne, ou au bord de l’océan, moi aussi je maudis cela en permanence. Mais bien sûr, cela peut être également une question d’habitude. Et beaucoup rêve d’un espace petit, à taille humaine, où tout est près de lui, où tout l’habitat et la vie extérieure vit et bouge avec lui. Et à sa façon, la ville contient une atmosphère poétique, elle est mystique et imprévisible, elle nous bouscule.
Revenons à la maison imaginée comme un être concentré. Pour parler de cette « théorie » l’auteur prend comme exemple la hutte. Cet habitat nous fait dire que nul n’a besoin d’être riche et d’avoir une belle maison pour se sentir à l’aise chez lui, en paix avec son âme, pour rêvasser tranquillement. Déconnectée de presque tout, la hutte selon lui, permet de rêver encore plus grand. En effet, nos yeux et notre cerveau ne sont pas embrouillés d’images superflues comme la publicité. Dans cet univers-là, tout y est presque pur et il y a tout à s’imaginer.
Si je dois retenir quelque chose de ce livre, d’un point de vue de designer-architecte, je pense qu’il est primordial de comprendre à quel client-rêveur, nous avons à faire. Et si je dois garder une citation pour conclure ça sera celle-ci ;
« La rêverie est la plus grande des libertés que l’être humain a entre ses mains. »
Chapitre 2
Améniser, Thierry Paquot, 2021.1
Toujours à la quête de singularité pour surfer sur l’informel. C’est à présent à travers le texte de Thierry Paquot, Améniser, puis par le dialogue de la table ronde entre Laurent Baridon, Valérie Nègre et Antoine Picon que j’aimerai vous emmener afin de s’éloigner un peu de cette dimension sensible, répondant à des émotions personnelles, pour aller vers une dimension plus anthropologique, scientifique et philosophique.
«[...] je propose d’inventer un verbe, qui manque à notre langue : le verbe « améniser ». Que signifie-t-il ? Rendre amène — c’est-à-dire aimable, agréable, hospitalière — la ville et tout particulièrement ses rues. Celle-ci sont les antichambres des logements.
« Stimulons les six sens (l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût, le toucher et le mouvement) avec de subtils ménagements (du verbe ménager qui signifie « prendre soin »), tout en cultivant l’imprévu, la turbulence, la transgression. Les élu·e·s manquent cruellement d’audace et d’inventivité, adoptent les modèles standards, au lieu de privilégier le cas par cas, le sur-mesure, le fait-avec les habitants, petits et grands ! L’intervention des artistes est d’une valeur sans prix : tags, graffiti, installations, mimes, théâtre de rue, etc. Elle démultiplie les usages de la rue et les singularise. Tout diagnostic urbain et paysager réclame des approches inédites d’observation et de restitution, telles les cartographies sensibles et chronotopiques des lieux urbains selon leurs usages temporalisés et genrés. Oui, améniser est un verbe qui manque... »
Alors que cet extrait de texte exprime et recherche comment nous pouvons trouver du bien être dans notre environnement urbain, il en va de même pour l’architecture et l’architecture d’intérieur. Accompagné du commentaire sur la poétique de l’espace, je vais appuyer cette vision avec le mot singularité qui est pour moi essentiel ; caractère exceptionnel de ce qui se distingue (en bien ou en mal). En effet, nous sommes à la fois tous les mêmes en tant qu’être humain et à la fois tous différents. Nous appartenons tous à une communauté, à un mouvement de penser, nous développons tous une identité, et chaque pierre ou fleur déposer sur notre chemin au cours de notre vie nous rendent de plus en plus unique, il faut juste prendre le temps de s’en apercevoir.
Et si à l’inverse, ces architectures monotones, uniformes et non stimulantes pour nos sens, nous poussaient à se voir comme des personnes ordinaires et banales dans un environnement médiocre et sans âme ? De cela, j’ai peur que cette bulle inconsciente que nous nous créons en vivant et en traversant ces lieux, nous pousse à être déconnecté du monde qui nous entoure et nous apporte que mélancolie et amertume.
Entourés d’espaces conçus de matières en constante évolution, notre environnement et nous même les humains y sont influencés. C’est ce que nous allons explorer ensuite en traversant le monde contemporain à l’aide d’Antoine Picon, ingénieur de formation, architecte et historien des sciences et de l’art, directeur de recherches à l’École nationale des Ponts et Chaussées et Professeur d’histoire et d’architectures des technologies à Harvard. Ses recherches sont portées sur l’histoire des technologies architecturales et urbaines du XVIIIe siècle à nos jours.
Chapitre 3
Anthropologie et matière, table ronde avec Antoine Picon.1
L'anthropologie consiste à étudier l'humain du passé comme du présent, sous tous ses aspects. Le mot vient du grec anthropos (humain) et logia (étude).
« En fait, insistent-ils, lorsque nous rencontrons de la matière, ‘‘c’est de la matière en mouvement, en flux, en variation’’, d’où il résulte que ‘‘cette matière-flux ne peut être que survie’’. Les artisans et praticiens qui prolongent ce flux sont les itinérants, les voyageurs qui cherchent à faire l’épreuve de la granularité du devenir du monde et à plier ce devenir à des fins évolutives qu’il faut penser comme des ‘‘intuitions en acte’’ ».
- G. Deleuze et F. Guattari.2
Difficile de parler d’anthropologie et d’architecture sans citer le Britannique Tim Ingold. Valérie Nègre qui entreprend la table ronde dit que ce dernier insiste dans ces écrits à ce que l’on distingue dans l’objet, la forme et la matière. Et qu’un déséquilibre entre les deux termes au profit de la forme, s’est établi depuis la renaissance. On observe de nombreux artistes concevoir la forme pour ensuite l’appliquer à la matière. Or pour T. Ingold l’architecture est une affaire d’esprit et oppose donc ce modèle, à un modèle artisanal. Car les artisans, eux ne cherchent pas à imposer des formes préconçues à une matière inertes, et ils se laissent porter par des expériences tactiles et sensorielles. Ici le processus créatif à davantage son importance que la pensée du produit fini. Penser la matière à part de la forme pose le défaut de ne pas refléter la diversité des pratiques. Il faudrait avant toute chose regarder ce que la matière permet d’expliquer et ce qu’elle formalise. Par exemple, Louis Khan interroge dans les années 70 ce que veut la brique, et celui-ci répond pour la brique : « Je veux un arc ». Toujours dans l’idée selon laquelle il incombe au créateur de donner la forme que les matériaux utilisés veulent prendre plutôt que de leur imposer .
« C’est le propre du désir de l’artisan que de voir ce que les matériaux peuvent faire, à la différence du désir des scientifiques qui visent à savoir ce qu’ils sont. ».3
.1 Festival de l’histoire de l’art, Pour une anthropologie des matériaux de l’architecture. La table ronde se donne pour objectif de déterminer les contours d’une approche des valeurs attachées aux matériaux par les hommes qui pensent, font et utilisent les édifices. Intervenants : Laurent Baridon, Valérie nègre, Antoine Picon, 2018.
.2.3 Extrait du livre pages 69 et 80, Faire anthropologie, archéologie, art et architecture, Tim ingold, 2017
Durant les années 90, l’ordinateur comme instrument, révolutionne le domaine de la conception et modifie beaucoup de choses en architecture. Avec le numérique, nous pouvons à présent de façon très précise, comprendre le comportement des matériaux et de comment il est possible de l’infléchir. On sait maintenant faire du verre isolant et structurel par exemple. L’époque où nous dessinons des arrangements de forme et de structure a laissé place à l’innovation puisque nous sommes désormais capables de dessiner les matériaux en fonction des usages qu’on leur destine.
Antoine Picon qui a pris la suite de la discussion nous avance qu’il n’y a pas de dématérialisation pour autant. Au contraire, le jeu sur les matériaux est une chose de plus en plus importante en architecture. Aujourd’hui, tout comme avec les vêtements d’ailleurs, les effets de surface, les effets de grain et de texture prennent davantage de place. On peut parler d’un certain retour de l’ornement, lui qui avait laissé sa place au minimalisme.
Notre monde contemporain s’est aussi dirigé vers des formes plus fluides, que le cerveau humain aurait eu du mal à comprendre et à dessiner sans outils numériques, dans lequel les effets de peau et de surface sont très présents. Prenons les exemples des architectes Frank Gherry et Zaha Hadid. Le rapport aux matériaux y est central puisque c’est le vêtement que l’on perçoit en tout premier lieu. Mais, aux apparences tape à l’oeil et superficielles, c’est à se demander si la soif de l’innovation et de l’exploit n’apparait pas comme une domination sur l’environnement et si, leurs oeuvres, qui sont sans aucun doute des prouesses techniques, ne sont pas dus à une conception imposée de façon arbitraire de l’extérieur. Prenant personnellement le parti pris de l’économie de matière plutôt que de l’objet bijou qui en met plein la vue.
A vrai dire, ces démarches sont très contradictoires durant notre période actuelle de transition. On peut avoir un rapport démiurgique avec la matière, cela signifie que l’humain se situe comme un dieu pouvant tout créer comme bon lui semble avec l’aide de la science, de la biochimie, des machines numériques, etc. De l’autre côté, ce n’est donc pas toujours ce qui faudrait faire promulgue Antoine Picon. Il serait plus sage d’accompagner et de révéler la matière comme Tim Ingold et de nombreux autres architectes le défendent.
Autre paradoxe qui est avancé est celui de l’imprimante 3D, produit de la civilisation numérique qui a réussi à séparer l’information du matériau, elle lui est complètement extérieure. Alors qu’à l’inverse, on pense que la matière devrait être sa propre information.
Ce sont deux courants qui s’opposent avec une passerelle possible entre les deux. D’après A. Picon c’est ce que Lars Spuybroek, concepteur qui utilise énormément les ordinateurs, souhaite et dit à travers son livre Sympathy of things. Il dit lui, être très proche de ces positions avec l’idée de dessiner en osmose avec la matière au lieu de la violenter ou de la dominer.
Tous ces débats renouent avec l’opposition entre l’artiste, l’homme et l’artisan qui serait plus en synergie. Le monde numérique nous confronte à ces questions que l’on ne sait pas encore régler, entre matière inerte dans laquelle on impose de l’information et matière animée qui est à elle-même sa propre information.
Derrière tout cela, c’est notre rapport à la matière et au monde physique qui est en train de muter. La façon dont nous nous confrontons à la matière est une certaine interprétation de nous même et de comment nous comprenons le monde. A travers ses multiples recherches, Antoine Picon avance que les anthropologues reconnaissent que lorsque l’on travaille la matière, l’on travaille également sur soi et on se construit en tant que sujet. Et il conclut cette table ronde en émetant que l’interface entre le monde matériel et l’humain est ce que l’on appelle la nature. Et que ces inventions participent à la création d’une nouvelle nature.
« Dans cette tension, entre l’attraction des espoirs et des rêves et le frein des contraintes physiques (et non pas dans l’opposition entre réflexion savante et exécution mécanique) se noue la relation entre le concevoir [design] et le faire [making]. C’est précisément au point où l’imagination se frotte aux aspérités de la matière, et où les forces de l’ambition doivent se mesurer à la dure réalité du monde, que l’existence humaine est vécue. ».1
Chapitre 4
Le concept d’ambiance, Bruce Bégout, 2020
Après avoir exploré différents processus créatifs et les dimensions sensibles que l’architecture peut rencontrer au cours de sa vie, nous allons à présent tenter de questionner les ambiances, ou du moins les atmosphères émises par la matière, la lumière, les couleurs et les formes dans un espace donné.
« L’ambiance forme le dôme invisible sous lequel se déroulent toutes nos expériences ».
Nous allons avant toute chose essayer de comprendre ce qu’est une ambiance et une atmosphère à travers l’essai philosophique Le concept d’ambiance rédigé par Bruce Bégout (Page 17) qui affirme que l’ambiance comporte une nuance plus affective que l’atmosphère.
« Ce n’est pas la simple atmosphère sensible que l’on perçoit et qui nous touche esthétiquement à travers sa dimension médiale (air, son, lumière, etc.), mais l’ambiance comme situation affective qui ouvre et rend possible notre expérience du monde et qui ne peut laisser, au premier stade, advenir la simple dimension perceptive-objectivante pour projeter l’individu au cœur même de la tonalité qui vibre autour de lui.
C’est la raison pour laquelle ce n’est pas le monde de l’art et des situations esthétiques qui nous sert ici de cadre d’analyse, mais celui du monde quotidien, où les ambiances se succèdent les unes les autres sans que, habituellement, les personnes les perçoivent comme des atmosphères sensibles et esthétiques. Bref, la primordialité affective de l’ambiance, qui implique la participation immédiate des sujets pris en elle, supplante la simple dimension sensorielle et perceptive de l’atmosphère, laquelle requiert une mise à distance pour sa saisie esthétique. En outre, la notion d’ambiance a l’insigne avantage de ne pas être métaphorique. Alors que l’atmosphère désigne d’abord un élément physique, puis, par transposition de sens d’un domaine de la réalité à un autre, le sentiment particulier d’une situation, l’ambiance renvoie directement à la dimension tonale de l’expérience. Elle échappe ainsi aux présupposés lourds de conséquences qui, comme ceux de la distinction traditionnelle entre le physique et le psychique, grèvent la notion d’atmosphère. »
L’atmosphère peut être dégagée par l’énergie de flux humain qui possède le lieu « connue et inconnue, sentie et ignoré ». Quant à l’ambiance, elle ne peut être subjective ou objective, elle se tient au-delà de cette distinction et lui échappe.
De ce qui lui échappe à sa définition peut être dû à l’énergie spirituelle qui traverse l’espace, mais également influencé par cette notion d’anthropologie des matières et de comment le lieu est considéré dans son environnement avec harmonie. Bruce Bégout parle alors dans le livre d’éco-phénomélogie. C’est-à-dire considérer un phénomène à partir de son insertion dans un environnement donné. C’est de cette idée que née la topophilie, un terme cité par Gaston Bachelard dans La Poétique de l’espace, mais aussi repris par la revue Topophile.
« Aucun lieu ne se contente d’être un banal réceptacle, un dépôt, un décor. Il agit et réagit, en cela il entre en interrelations avec les humains et le vivant qui y séjournent. »
- Thierry Paquot
Je pense qu’en étant alors plus attentif et plus topophile, tout en intégrant une notion de frugalité, c’est-à-dire de créer avec peu et de manière simple, puis, être entre le penser et le faire, nous pouvons toucher le domaine d’ambiance de façon positive.
Il n’y a pas de solution et de démarche unique à suivre. C’est le processus créatif guidé par une suite logique d’évènement en corrélation avec l’environnement qui en emmènera une de luimême. Louis Khan appelle ce phénomène, l’ordre, que nous allons ensuite explorer. Ainsi, cela participe à faire naître une singularité et une authenticité dans chaque projet. Tout est intrinsèquement lié. L’architecture étant une importante passerelle par ses fonctions (abriter, protéger, servir...) se doit d’être en cohérence et dans la continuité entre l’extérieur, monde physique, matière et forme. Et nous qui la faisons.
Chapitre 5
Dépasser la fonction
« Le projet doit suivre de tout près cette volonté
C’est pourquoi un cheval à rayures n’est pas un zèbre.
Avant que la gare de chemin de fer soit un bâtiment elle veut être une rue elle grandit à partir des besoins de la rue à partir de l’ordre du mouvement
Des voies sur différents niveaux qui se rencontrent sous une verrière.
Dans la nature - le pourquoi
Dans l’ordre - le quoi
Dans le projet - le comment
Le principe formel émerge des éléments structuraux qui lui sont inhérents.
[...] l’ordre est intangible
C’est un niveau de conscience créatrice qui s’élève toujours plus
Plus l’ordre est élevé, plus il y a de diversité dans le projet »
« L’ordre est l’incarnation des lois de la Nature ». Chaque matériau et chaque objet architectural appartient à un ordre. L’arc appartient à l’ordre de la brique (qui ne peut travailler qu’en compression). L’ordre du mur implique un espace différent de celui de la colonne. Il s’agit toujours de découvrir ce qui fonde l’intégrité des choses et la complémentarité de leurs « parties inséparables ». En principe, les ordres ne se mélangent pas, ou alors cette rencontre est pensée comme un événement : « quelquefois on demande au tirant en béton d’aider l’arc en brique, et celui-ci est bien content ! » Ainsi naît un ordre composite. »
« L’intégration est la voie de la nature. Nous pouvons apprendre de la nature. La façon dont un espace est servi par la lumière, l'air et le calme s'incarne dans le concept d'ordre de l'espace qui mène à l'intégration de ces services. »
Page 39, Silence et Lumière, Louis Kahn
L’architecture contemporaine regroupe diverses pratiques et théories. Pour les modernes comme Tadao Ando et Louis Khan l’architecture doit dépasser la simple réponse à une fonction. Elle doit trouver d’autres fins que de répondre à des besoins : fonction, confort, pratique. Il doit y avoir un esprit d’ordre, une unité d’intention.
Louis Khan est l’un des architectes qui sait manier les différents éléments, en trouvant un équilibre pour constituer une atmosphère particulière. Et dans cet idée d’anthropologie des matières jusqu’à la réalisation architecturale singulière Louis Khan, lui, par de l’ordre. Cet architecte n’est pas vraiment post moderne ni vraiment moderne, mais il est inclassable. Il pense l’esprit divin comme unité, d’où le nom de ce projet.
« Un bâtiment de qualité doit selon moi commencer par le non mesurable, passer par des moyens mesurables dans le projet et à la fin être non mesurable ». C’est-à-dire qu’à la conception, il y a d’abord l’idée d’espace et de sensation, de l’ordre de l’intuition, ensuite il faut mettre cette idée en œuvre, la confrontée à la réalité. Et à la fin, on retrouve une expérience qui se passe dans l’édifice qu’on ne peut pas mesurer, le ressenti qui nous traverse à travers l’œuvre. Cela nous faire un peu revenir à l’intuition du début.
CHAP 5 . DÉPASSER LA FONCTION
« Le soleil n’a jamais sû de combien il était grand avant de touché un bâtiment. »
Louis Kahn
Église unitarienne de Rochester, Louis Kahn, New York, 1959 - 1969
La forme même de ce bâtiment, l’église ne se révèle pas tout de suite, les façades sont le centre de ce projet, les verticales donnent de la hauteur. L. Kahn est également fasciné par la lumière et a été en partie influencé par les Grecs. Il pense que le travaille de l’architecte est de révéler la lumière, « La lumière est créatrice d’un matériau et le matériau ainsi crée, projette une ombre et l’ombre appartient à la lumière. »
Ici les matériaux utilisés sont bruts ; la brique, un matériau unique avec des surfaces vitrées qui donne un effet de masse dans ses édifices. Louis K. affirme un rapport à la terre très fort (jusqu’à 60 cm d’épaisseur pour les murs). Il utilise aussi le béton pour l’intérieur, les cloisons et des éléments de menuiseries et mobiliers en bois pour apporter un peu de chaleur et d’élégance. Il nous propose un retour vers l’ancien notamment par les formes qu’il donne aux bâtiments ; plan centré, composition architecturale très classique avec une symétrie. Ce côté est renforcé par l’utilisation de matériaux anciens et modernes.
L’ambiance créée ici est singulière et que l’esthétisme plaise ou non, elle mène à la contemplation et à la réflexion.
Chapitre 6
Nature et espace temps
La relation au temps en architecture est aussi un point non négligeable. Que cela soit au début de la conception, à savoir combien il est important de prendre le temps de poser la réflexion qui aura ensuite un grand impact sur la suite du projet ; du chantier, à sa naissance et jusqu’à sa mort. Mais il y a également la notion du temps en relation directe avec les saisons, et comment le bâti en lui-même vit et bouge à travers ses utilisateurs.
Prenons le Cimetière de San Cataldo imaginé par Aldo Rossi à Modène (1971 -1978).
Cet architecte, plus intellectuel que du chantier, recherchait une expression architecturale intemporelle avec une conception du temps assez personnelle. Selon lui, l’architecture est censée révéler ses deux dimensions du temps. Elle ne bouge pas au milieu de quelque chose qui bouge.
Le bâtiment va montrer les variations de la météo autour de lui et prendre des dimensions oniriques. Puis imbriquer sa mémoire personnelle et collective. A. Rossi a un détachement par rapport au projet de base et au projet fini, les problèmes de chantier, les modifications qu’amène la réalité ne le dérange pas, bien au contraire, cela fait partie de la vie du bâtiment.
Ses planches pour préparer son projet ressemblent à des compositions graphiques, rien n’est figé, ce sont des dessins, pas des plans. Il s’est implanté à côté d’un ancien cimetière en refaisant un espace similaire. Il a également travaillé la lumière, notamment avec la tour centrale du cimetière ; surprenante de l’intérieur, car on ne s’imagine pas à ce résultat de l’extérieur. Et on peut s’apercevoir que l’aspect du bâtiment et de la toiture change avec le ciel. A. Rossi a construit son bâtiment pouvant être modifié et pouvant évoluer au fil du temps. Ce contemporain n’a pas utilisé des matériaux nobles pour ce projet, et considère que son oeuvre architecturale, quelque part, ne lui appartient pas, d’ailleurs, il ne finit même pas ses bâtiments.
Le cimetière construit comme un squelette avec une dimension onirique opère un travail de mémoire. Ce dernier rappelle ce que peut être la poétique de l’espace par Gaston Bachelard et l’ambiance que cela peut générer par les énergies qui habitent le lieu rempli d’histoire. Avec certaines croyances spirituelles, nous pouvons nous dire qu’il est intéressant d’interpréter et d’imbriquer au nouveau projet, le passé d’un lieu. Pour le projet de ce Cimetière, il faut savoir que juste avant, l’architecte a eu un grave accident de moto où ses os se sont brisés, et donc il a eu une perception de la fragilité de sa structure en plus de cela.
« L'architecture est constituée comme le paysage ; de couches, de strates, d'épidermes dont il faut souder la mémoire, Retrouver cette mémoire et les failles qui la nourrissent, conduit l'architecte à concevoir chaque projet dans un mouvement de déploiement, de fluidité, ininterrompu entre son ancrage dans un site précis et sa réalité constructive. »
Duncan Lewis
J’aimerais démontrer par cet autre architecte qu’est Duncan Lewis l’importance de la temporalité, de laisser le temps au projet de vivre, d’évoluer et de s’installer. Celui-ci défend aussi certaines valeurs comme le fait d’être dans l’action, dans le faire, de montrer sur les chantiers que nous sommes volontaires en tant qu’architecte. Puis, de donner une certaine sobriété aux projets afin de laisser place à l’imagination des futurs occupants.
Les Gites ruraux de Jupilles sont un hameau de sept logements de vacances. Duncan Lewis adopte l’idée du manteau de façade qui améliore l’inertie et le charme du bâtiment. Au fil des saisons, ce projet évolue, les feuilles tombent et laissent davantage de place à la lumière. Tout comme le prochain exemple que nous allons voir, cet endroit a mis un peu de temps avant d’être aussi magique, puisqu’il fallait laisser le temps aux arbres de prendre place. Mais cela en valait bien la peine.
La nature est belle et bien présente chez Duncan Lewis car pour lui le paysage est un constituant essentiel de l’architecture contemporaine. Sur les images ci-dessous, nous pouvons apprécier la relation entre l’intérieur et l’extérieur qui ne font qu’un. C’était d’ailleurs l’objectif voulu de vouloir estomper les limites du bâtiment à l’aide de la végétation. Au départ maintenu par des tuteurs, l’enveloppe végétale a absorber peu à peu le bâti en créant de nouvelles pièces au niveau des jardins et des terrasses.
La végétation pousse partout, peut être indépendante de nous en nous demandons pas trop d’entretien et a d’immense vertu, alors pourquoi ne pas lui donner plus d’importance dans les lotissements et dans les villes.
La nature est vivante et mouvante, elle joue avec le temps et la lumière qui la traverse. Le bruit des feuilles dans le vent et les gouttes de pluie qui s’abattent contre une vitre sont comme une émanation poétique de la vie.
En 2003, dans un quartier de Mulhouse, une réflexion sur le logement social s’est exprimée. L’origine du projet était de démontrer qu’il était possible de réaliser quelque chose de merveilleux, accessible à tous dans un cadre économique ordinaire, tout en considérant les contraintes liées aux réglementations HLM et en cherchant des solutions acceptables par touts les corps de métier : maître d’oeuvre (architectes), maître d’ouvrage (sociétés HLM), administration et politiques. Le but était également de rattraper l’écart existant entre les voeux exprimés par les habitants et la production « normalisée » du logement social. Le coût global a été 6,22M d’euro, pour un coût moyen de 900 euros hors taxe au m².
Ce projet de 60 logements s’inscrit dans une friche industrielle et a été découpé en 5 lots différents. Chacun a été conçu par une équipe différente ; AJN : Jean Nouvel, Shigeru Ban et Jean de Gastines, Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal, Mathieu Poitevin et Pascal Reynaud et Duncan Lewis et Hervé Potin + Block vu en amont.
C’est bon de savoir que si nous prenons en compte tous les facteurs pour rendre les gens contents et à l’aise dans leur nouveau milieu, alors ils seront en harmonie avec leur environnement. Un équilibre se crée et chacun, nature et humain se rend l’appareil..1
Chapitre 7
La main de l’homme
Rendre les gens heureux, c’est aussi l’objectif de l’agence ATAU. J’ai rencontré cette équipe multidisciplinaire, composée d’architectes, artisans (maçon, charpentier) et animateurs culturels, lors de mon dernier chantier participatif cet été en Charente-Maritime, à Chaillevette. Et plus précisément dans le domaine de Chatressac, un ancien domaine de capitaine de navires du XVIIIe siècle en presqu’île d’Arvert.
« Nous ne sommes pas simplement dans une démarche de restauration du patrimoine ou d’écologie mais tentons de frayer un chemin dans l’art de bâtir, vivant et accessible : la rencontre de l’homme et de la matière forge des personnes pouvant s’épanouir pleinement dans leur métier, et participe à la beauté et l’harmonie des lieux de vie, ce qui contribue au bien-être des habitants et des utilisateurs. » - ATAU
J’ai accompagné cette équipe durant une semaine en vivant à leur rythme et en apprenant de leur savoir-faire. Les longues discussions que nous avons eues nous mettait d’accord sur l’enjeu d’être dans le faire lorsque nous sommes architectes et de donner toute sa grandeur à l’artisanat pour plus de poésie et de beauté. D’ailleurs à chaque fois que nous travaillons la matière les uns et les autres, c’est tous nos sens tactiles qui parlent à travers nous, c’est avec passion que nous venons malaxer la terre et caresser le bois. N’y voyez rien de sexuel. Mais c’est une sensation drôlement difficile à transmettre par les mots. Disons que nous pouvons comparer cela à de la cuisine préparée avec amour, à la fois subtile, généreuse et accompagnée d’une belle présentation, elle réveillera et émerveillera les papilles des convives de façon, presque orgasmique.
Cette beauté que nous cherchons à transmettre à travers la main de l’homme prend également un tournant thérapeutique. C’est ce que l’agence ATAU a souhaité développer avec l’association Domino pour le projet Hospitalité de la Beauté près de Toulouse, à Mestre Gouny. C’est une demeure d’acceuil alternative, un lieu d’accompagnement dans un domaine agroécologique avec un foyer artistique, pour des personnes en situation de fragilité psychologique, de handicap mental ou social, et pour tous. « Sa spécificité est de proposer une expérience de beauté, chemin d’unification qui permet à toute personne de manifester son unicité, de se découvrir capable de création, de toucher à la sacralité de l’existence. Elle invite à un déplacement, à retrouver la grâce de l’émerveillement, à puiser aux vertus de la simplicité, à éprouver la richesse de la rencontre. » cite l’association. Le projet rejoint ce qui a été dit en amont, où le fait de prendre soin de soi, des autres et de la nature crée de l’harmonie et poétise la vie. Selon le rapport de l’OMS en 2019, l’intérêt thérapeutique des arts est reconnu pour les maladies mentales. Ils constituent un complément aux soins habituels, dont ils améliorent l’efficacité.
« Vous êtes des bâtisseurs, de ceux qui construisent au-delà d’eux-mêmes et pour le devenir de tous. »
C. G. animatrice professionnelle, parlant de l’agence ATAU
La rénovation du site de Mestre Gouny se fait dans le respect des traditions avec le choix d’une architecture belle et sobre. Les travaux utilisent des ressources locales et partent de l’existant comme la fabrication de briques en terre crue à partir du sol argileux du terrain. Ce sont plusieurs années d’installation et de préparation qui ont permis de prendre en compte le développement durable ; la croissance a pris le temps de s’ajuster au rythme de la vie et des personnes en mettant en place l’expérience de construction, alliant création, accueil et formation. Les espaces communiquent entre eux, il y a une respiration entre l’intérieur et l’extérieur, avec de larges ouvertures et terrasses. La ligne architecturale repose sur des espaces lisibles, reliés par une circulation claire et ponctuée par les actes de la vie quotidienne. Chaque lieu a une mission particulière : lieux paisibles qui reposent et unifient, espaces de relation, pièces de travail spacieuses conçues comme des ateliers partagés.
Ce type d’endroit est plus que le bienvenu dans notre société actuelle avec l’augmentation des états anxieux et dépressifs. Loin de l’effervescence et des bruits de la ville, il permet à chacun de s’initier aux méthodes culturales selon les principes de la permaculture. Il va de soi que ce rapport à la nature questionnée tout le long de ce mémoire permet de répondre aux enjeux actuels où les ressources se font de plus en plus rares et où chaque parcelle de terrain prend de plus en plus de valeur. Il est, je crois essentiel aujourd’hui, d’aller vers plus d’autonomie, que chacun ayant un bout de balcon et de terrain puisse prendre le temps de cultiver ce qu’il peut.
Ce type d’initiative s’est déjà produit à Cuba, la Havane pour faire face à une économie de la pénurie. Cela a démontré la capacité de résilience alimentaire d’une métropole mondiale, tout en constituant un cas d’école pour un développement durable inventé, expérimenté et éprouvé sous la pression de la nécessité. Cette dynamique se traduit par plusieurs organoponicos (organoponico en espagnol, vient du grec « organo », relatif au vivant, et « ponos »), une agriculture urbaine organisée. Les parcelles sont surélevées par rapport au sol afin d’autoriser la culture sur terrain pollué. Cette culture fait désormais partie de leur système économique et le partage des ressources a fait apparaitre de l’hospitalité et de la solidarité. Il y a également des cafétérias familiales qui représentent le système d’entrepreneuriat et le modèle économique le plus rependu de la ville. Cela soulève la question de faire communauté et permet l’insertion professionnelle.
Pourquoi faire compliqué quand nous pouvons faire les choses simplement.
Chapitre 8
Design et émerveillement
Dans la vision du modernisme, la forme suit la fonction et donc le design, quelque part soumis à cette règle disparait et tout se ressemble. Le groupe Memphis a ainsi décidé dans les années 80 de prendre le contre-pied et libère les formes avec une approche ludique. Le décor et l’ornement deviennent alors structurel. Ettorre Sotsass qui a fondé ce mouvement mêle cosmiquement le design d’objet aux éléments architecturaux et picturales. Le tout ne fait qu’un, c’est gai et magique. Opposé au rationalisme, il ne cesse de revendiquer une expérience émotionnelle des objets.
Pour cet artiste, « Tout est design, c’est une fatalité. » Cette volonté de transformer la société et de faire advenir un monde meilleur est le coeur utopique du design. Cependant, quelle est notre définition du mot meilleur ? Améliorer le confort des humains au risque de passer dans un design d’assister est-ce nous servir sur le long terme ? Avec comme exemple la domotique ; quel est le poid en termes de production pour atteindre cet objectif, et quel pourrait être le retournement de situation sur nos modes de vie à long terme ? La notion de design est alors subtil, et nous pouvons à présent la retrouver dans tous les domaines ; art culinaire, automobile, médecine, sociologie, etc.
C’est là tout l’enjeu de prendre le parti d’être designer, il faut être perpétuellement dans différents paradoxes où rien est laissé au hasard, car tout va de soi dans les intentions et les choix guidés par « L’ordre intangible ». Et c’est comme si en tant que tel nous ne devions pas oublier où se trouve notre place, puisque nous devons savoir prendre part au jeu sans en être le maître.
J’aime prendre l’exemple de l’expérience émotionnelle que l’on peut lire et vivre dans un pub authantique où le superflu devient décoratif et l’âme du lieu. Là où les nouveaux bars à l’architecture d’intérieur tendances ont tout à leur envier. Car oui, je préfère un bar aux toilettes gribouillées, aux murs remplis de stickers à un bar où tout a été calculé, où chaque chose doit être à sa place et où le semblant d’émotion singulière n’est inspiré que par Pinterest. L’ambiance y est plus décontractée parce que les personnes sont là pour un objectif commun qui est de faire la fête tout en vivant avec l’espace sans y être soumis. Peut-être y vais-je un peu fort, mais ce que je veux dire, c’est qu’il est essentiel bien que difficile, de faire la part des choses lorsque nous sommes bordées de bonnes intentions et pensant créer des lieux uniques avec notre seule vision de créateur.
Ettore Sottsass et son Large Aphrodisiac Vase en céramique émaillée et socle en bois, pièce unique, 1966 (Friedman Benda). © AD magazine
Mais revenons à la notion d’émerveillement qui pour moi est la recherche ultime d’un travail de designer, architecte ou artiste. On remarque souvent que la couleur est omniprésente dans cette quête. Cela est synonyme de gaité et d’esprit enfantin qui trouve le bonheur dans les choses simples de la vie. Beaucoup aujourd’hui ont peur de la couleur, que cela soit en architecture d’intérieur comme pour les tenues vestimentaires. Mais que c’est triste de ne pas prendre de risque et de ne pas apprendre à jouer avec elles. Nous avons la capacité d’en apercevoir une affinité, de créer autant de mélange que nous le souhaitons, la couleur est comme la touche d’acidité dans un plat, elle a autant sa place que le reste.
J’aimerais pouvoir mettre à l’honneur et faire un clin d’oeil en cette fin de mémoire aux villes du Mexique, aux artistes du fauvisme comme Henri Matisse ou bien à Gaetano Pesce et Ricardo Bofill, des architectes et designers avec l’âme d’un enfant qui n’ont jamais cessé de rêver et de nous faire rêver.
Ce mémoire a pour objectif de questionner les atmosphères et les ambiances dans lesquelles nous vivons, ainsi que les notions d’émerveillement, de sobriété et d’équilibre entre différents éléments. Tout cela dans l’idée de comprendre comment il serait possible de contourner les espaces monotones que nous retrouvons dans les grandes tours de béton et de verre, ainsi que dans les lotissements uniformes et dépourvu de poésie.
Après avoir exploré différentes approches sensibles de l’espace, nous pouvons constater que c’est au final le processus créatif qui émane de lui-même une singularité. Mais pour se faire, il doit prendre en considération la globalité de son environnement et répondre à un ordre. Il s’agirait de considérer la matière avec laquelle les formes vont s’élever pour dessiner l’espace et de créer des jeux graphiques dans lesquels la lumière serait révélée. Aussi, nous avons souvent évoqué la notion d’équilibre, dont sa définition est ; la recherche de juste proportion entre des choses opposées, pour un état de stabilité ou d’harmonie qui en résulte. Elle peut s’expérimenter à travers la répartition des lignes, des masses, des pleins et des vides avec un agencement harmonieux, des proportions, symétrique. Cet équilibre se situe également au centre entre l’homme et la nature, le naturel et l’artificiel, l’ancien et le nouveau, puis, entre le confort et ce qui est vital. Cette balance va contribuer aux choix qui seront établis durant le processus créatif. Enfin, l’air, le son, la lumière, la chaleur, l’odeur, qui sont des « médias sensibles », n’ont pas de limites spatiales. Elles sont mobiles, diffuses et diaphanes (imprévisibles). Cela participe à l’émanation d’une atmosphère, et les jeux de formes et de matière, dictent l’espace où se trouvent les différentes ambiances.
Maintenant essayons d’appliquer les différents principes vus en amont dans le mémoire à un cas. Imaginons un projet de rénovation d’une maison des années 90 située dans un lotissement séparée de ses voisins d’une clôture verte. Celle-ci est constituée d’un crépis fade, de volets et porte d’entrée en pvc, avec devant, un pot de fleur qui se bat en duel avec un buisson. Au-delà de son esthétisme nonchalant, la maison peu lumineuse comporte quelques problèmes d’isolation et est assez énergivore. Pour commencer, il serait intéressant de repenser l’arrivée de la rue, jusqu’à la maison tout en revoyant les limites séparatives très formatées. Puis de mettre l’accent sur l’importance de la relation entre les espaces intérieurs et extérieurs étant encore inexploités, en les dynamisant et en amorçant une biodiversité par un tiers paysage. Travailler sur les délimitations n’est pas anodin puisque clôturer conditionne l’esprit à la méfiance et à une fausse intimité.
« Il faut casser les codes de l’organisation de l’espace intérieur, car il a une forte influence sur la capacité de chacun à entrer en contact ou non avec son environnement. Cela implique de donner une grande place à la mobilité, il faut ouvrir les espaces. Leur donner une perméabilité entre l’intérieur et l’extérieur. On pourrait arrêter de construire des murs par exemple. Tout l’inverse de ce qu’on nous communique avec la maison cocon surprotectrice, qui nous empêche de voir l’extérieur, et d’interagir avec nos voisins. Ce qui a pour conséquence de commencer à nous faire douter des autres. ».1
Il serait ensuite essentiel de résoudre les problèmes de santé liée au bâtiment après diagnostic et de se diriger vers une architecture bioclimatique, répondant aux normes RT 2020. Puis, vient le moment où nous pouvons s’amuser sur l’intérieur en redessinant une circulation plus adaptée aux modes de vie, mais aussi sur plan assez libre qui pourra évoluer au fil du temps. De créer de nouvelles ouvertures, de choisir les matériaux de revêtement, ect. selon le budget. Mais dans des soucis d’économie, les transformations seront limitées, la rénovation restera frugale notamment pour limiter le gaspillage des ressources. Les meubles et objets décoratifs seront conservées, mais tout de même triés et disposés d’une autre façon. De plus, tout cela appartient aux clients, c’est important qu’ils continuent de s’approprier les lieux et de faire évoluer les choses personnellement.
La recherche d’harmonie et de fantaisie ne sera pas une mission des plus simples mais le challenge est très excitant. Et cela le deviendra davantage si c’est toute une partie du lotissement sur laquelle il faudra travailler, en prenant en compte l’urbanisme et la connexion entre les différents espaces.
Bachelard Gaston, La Poétique de l’espace, Presses Universitaires de France, 1957
Bégout Bruce, Le concept d’ambiance, éd. Seuil, 2020
Béguin Chloé et ginet Pierre, La Havane et ses organoponicos, Revue de critique communiste, 2018 https://www.contretemps.eu/havane-organoponicos/ delestrac Denis, Le Sable, Enquête sur une disparition, Film Arte, 2013 démereau Geneviève, Construire une hospitalité de la beauté au domaine de Mestre Gouny, Association Domino, 2021 garnier Philippe, Réinventer le monde sensible, entretiens avec Gaetano Pesce, éd. Buchet Chastel, 2016 girardeau Victoire, Le Grain du Réel, Extrait de diplôme, 2020 ingold Tim, Faire anthropologie, archéologie, art et architecture, éd. Dehors, 2017
Khan Louis, Silence et Lumière, éd. du Linteau, 1996 lewis Duncan, Conférence au salon Architect@Work, Paris 2021 https://www.duncan-lewis.com/ et http://archicommun.free.fr/mulhouse/dossier.pdf muthesius Herman, Travail manuel et production de masse, extraits d’une conférence, Berlin 1917. Rapports et contrastes France-Allemagne, art, architectures, graphisme, littérature, objets industriels, cinéma, théâtre, musique [Paris, Centre national d’art de culture Georges Pompidou, 12 juil.-6 nov. 1978], Gallimard, Paris, 1999, pp. 325-326. 10. Idem.,p. 326. Extrait de texte Poétique du numérique sur academia.edu
Paquot Thierry, Les mots et les choses, Améniser, Extrait de texte de la revue Topophile, 2021
Paquot Thierry, Michel Ragon, artisan de son existence 2/2, Extrait de texte de la revue Topophile, 2021
Picon Antoine, Baridon Laurent, nègre Valérie, Pour une anthropologie des matériaux de l’architecture, Festival de l’histoire de l’art, 2018
Van Eeckhout Laetitia, Bâtiment : comment faire du déchet une ressource, avec Bellastock, Article Le Monde, 2019
Autres sources :
Couchot Benjamin, Histoire de l’architecture et du paysage, Esad Orléans, 2019
Salmon Laurence, Cours de design, Esad Orléans, 2020
Exposition, Allemagne, Années 1920, Nouvelle Objectivité, August Sander, Centre Pompidou 2022
Typographies utilisées : Baskerville et Avenir
© photo de couverture : screen d’une carte géoportail et modification par Photosho