La mémoire des architectes: La place des souvenirs dans le processus créatif architectural

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Laure Humbert – mémoire de fin d’études –

LA MÉMOIRE D E S A RC H I T E C T E S

La place des souvenirs dans le processus créatif architectural



Laure Humbert Mémoire de Fin d’Études – 2017 École Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy Sous la direction de Karine Thilleul et Wydad Tedjini Bailiche


SOMMAIRE

Introduction ................................................................... 07

La mémoire des lieux ..................................................... 11 I – La mémoire spatiale ................................... 11 1) Mémoire de travail, mémoire à long terme 2) Topographie mentale

II – Mémoire consciente et mémoire inconsciente .............................................. 17

III – Mémoire vécue et mémoire empruntée ... 19

IV – L’importance de la mémoire chez l’architecte ............................................... 21 1) La métaphore de la banque d’image 2) La richesse de la banque d’image chez l’architecte


Les lieux dans la mémoire .............................................. 29

I – Mémoire, émotion et signification ............... 279 1) L’émotion : un différent type de mémoire 2) Une architecture d’émotions, une architecture de sens

II – Les lieux de la mémoire ............................ 34

III – L’expérience de l’espace physique et la relation entre l’espace perçu et l’espace imaginé .................................................... 36

La mémoire des architectes ............................................ 39

I – L’architecture ordinaire de la nostalgie ....... 41

II – L’architecture de l’émotion universelle ...... 51

III – L’architecture à la recherche de l’archétype ............................................... 56

IV – Une démarche sincère ............................... 63

Conclusion ..................................................................... 67



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I N T RO D U C T I O N

L’architecture est un domaine pluridisciplinaire et multidimensionnel, entre l’art et la science. L’unique apprentissage des aspects techniques du métier d’architecte me semble n’être qu’une partie des connaissances requises dans le développement d’un architecte accompli. La compréhension de l’espace, le développement d’une personnalité créative et morale, la construction d’un système de convictions, ainsi que la connaissance de l’être humain, sont des qualités majeures au développement d’un architecte compétent. Bien que l’acquisition des connaissances de la plupart de ces domaines puisse se faire par le biais d’un enseignement classique, celui-ci ne peut être complet sans une expérience personnelle directe. Loin d’être une conviction personnelle (en témoigne les nombreux voyages, visites, ou expérimentations que les écoles d’architectures nous enjoignent à entreprendre), l’expérience personnelle directe permet à l’architecte à la fois une meilleure compréhension de l’espace, mais également le développement d’un bagage de références sous la forme de souvenirs. L’expérience de l’espace – par le biais de nos capteurs sensoriels et émotionnels – ne peut être comprise à travers le seul processus cognitif.


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En effet, la mémoire retient, traite et modifie les expériences significatives – sans cesse remodelées au fur et à mesure des nouvelles expériences – sous la forme de souvenirs. La mémoire humaine est vaste et complexe, vitale dans notre appréhension d’un moment ou d’un espace. De plus, le concept de la mémoire est difficile à aborder, car ses spécificités ne sont pas implicites et dépendent du domaine concerné : que ce soit la neurologie, la philosophie, l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, l’art, ou encore l’architecture. La mémoire fait office d’interface de références entre les expériences personnelles, les émotions, et la personnalité d’un individu. Le processus de conception peut ainsi être vu comme une transformation symbolique et la traduction de l’expérience d’un architecte dans un nouveau contexte. Les architectes puisent dans les connaissances et les remémorations du passé, les combinent et les rendent abstraites afin de concevoir des images futures. Ce mémoire tentera d’expliquer le fonctionnement de la mémoire spatiale, la relation entre l’expérience de cette dernière et l’individu à travers un processus créatif architectural. Nous étudierons également comment la mémoire, et plus particulièrement la mémoire d’expériences émotionnelles, influence le développement des premières étapes du processus de conception architecturale. Dans un premier temps, nous évoquerons la manière dont fonctionne la mémoire spatiale, et la façon dont se crée un souvenir, que nous mettrons en relation avec l’individu et plus


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particulièrement l’architecte. Dans un deuxième temps, nous mettrons en évidence l’importance des émotions et des sensations dans le processus de création et de remémoration d’un souvenir et d’un espace, et le lien qu’elles entretiennent avec le processus créatif lié à la mémoire. Enfin, nous expliquerons l’importance de la motivation et des systèmes de conviction dans le processus créatif architectural : nous en énumérerons différents types en prenant pour base les différents écrits et entrevues d’architectes. Le but de ce mémoire est donc de mettre en évidence, non pas la manière dont se manifestent les lieux du passé dans la création d’un nouvel objet architectural, mais les motivations intimes des architectes à l’emploi des souvenirs dans le processus créatif architectural.



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LA MÉMOIRE DES LIEUX

I – La mémoire spatiale La mémoire spatiale est un terme générique désignant la partie de la mémoire d’un individu responsable de l’enregistrement des informations concernant l’espace environnant et l’orientation spatiale de l’individu dans celui-ci. La mémoire spatiale est requise pour l’orientation dans un espace inconnu, mais également dans un espace connu.1 Afin de saisir les relations qu’entretiennent l’espace et la mémoire, il semble important d’expliquer simplement le fonctionnement de la mémoire spatiale de manière scientifique et méthodique, la manière dont un individu crée des souvenirs et comment il y fait appel, ainsi que son importance dans un processus créatif architectural.

1) Mémoire de travail, mémoire à long terme

Dans les domaines de la psychologie cognitive et de la neuroscience, on reconnaît que le processus de mémorisation spatiale

Auteur inconnu. Spatial memory. [en ligne] Wikipédia https://en.wikipedia. org/wiki/Spatial_memory 1


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STIMULUS

ORGANES SENSORIEL S [ G O Û T, O D O R AT, O U Ï E , TO U C H E R , V U E . . . ]

PERCEPTION

MÉMOIRE SENSORIELLE AT T E N T I O N

répétition

MÉMOIRE À COURT TERME M É M O I R E D E T R AVA I L récupération

oubli

E N CO DAG E C O N S O L I DAT I O N

MÉMOIRE À LON G TERME

ill. 1 : Schéma explicatif du fonctionnement de la mémoire


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se manifeste dans deux types de mémoire distinctes : dans la mémoire de travail et dans la mémoire à long terme. . Mémoire à court terme ou mémoire de travail La mémoire de travail nous permet de réaliser plusieurs tâches, et notamment, de nous repérer dans l’espace. En effet, on peut l’imaginer comme un moyen d’enregistrer temporairement des informations – nous permettant par exemple de lire, de comprendre ou encore de réfléchir – et de faire le lien entre les éléments dans l’espace. Elle nous permet d’avancer dans l’espace en effectuant des rapports logiques entre les éléments de notre environnement : des objets éloignés qui se rapprochent, des lieux qui disparaissent de notre champ de vision, ce qui nous permet notamment de comprendre que le corps effectue une translation dans l’espace... Les informations temporairement situées dans la mémoire de travail sont alors oubliées ou stockées dans la mémoire à long terme.2 . Mémoire à long terme La mémoire à long terme est celle qui nous concerne plus particulièrement. En effet, elle permet au sujet de se repérer dans un espace déjà parcouru, mais également dans un espace non parcouru en créant un lien avec des objets similaires. Nous savons, par exemple, quand nous pénétrons à l’intérieur d’une maison car nous en avons déjà parcouru d’autres auparavant.

NOESIS. Systèmes mnésiques, mémoires. [en ligne]. http://www.noesis-reseau. com/wp-content/uploads/2014/07/5-SYSTÈME-MNÉSIQUE.pdf [page consultée le 10 octobre 2016] 2


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Nous savons à quoi elle ressemble de part ses caractéristiques précises : ses dimensions, sa couleur, ses matériaux, ses détails, ses ouvertures... La mémoire à long terme fonctionne en trois étapes : l’encodage (la mise en mémoire de l’information), le stockage (conservation et consolidation de l’information), et la remémoration (retour de l’information dans la mémoire à court terme afin de devenir accessible).3 . Les six étapes de la formation d’un souvenir L’enregistrement d’une information et en l’occurrence ici, une information spatiale – dans la mémoire à long terme, responsable des souvenirs, suit six étapes majeures4 que nous illustrerons avec des exemples d’expériences spatiales. La première étape est l’attention. En effet, le cerveau ne peut enregistrer qu’une quantité limitée de données sensorielles à la fois. Il peut : soit capter un échantillon de différents éléments simultanément, soit se concentrer sur un fait unique et en extraire plus d’informations. L’attention rend l’expérience plus intense et nous aide à nous en souvenir.* C’est pour cela que lorsque nous visitons un bâtiment, au cours d’un voyage par exemple, nous nous rappelons mieux de celui-ci car nous y avons été attentif, alors que les nombreuses rues parcourues pendant ce voyage nous paraîtrons plus floues et moins précises quand nous essaierons de nous en souvenir.

ibid. ibid. * cf. Mémoire à long terme. p.13 3 4


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La seconde étape est l’émotion. Les événements et les lieux qui suscitent le plus d’émotions sont ceux qui ont le plus de chances d’être mémorisés car l’émotion accroît l’attention. Les informations émotionnelles venant d’un stimulus passent par une voie inconsciente induisant ainsi une réponse émotionnelle avant même que nous soyons conscients que nous réagissons. Le cerveau maintient les expériences émotionnelles en les repassant en boucle, ce qui contribue à les encoder comme souvenir. Cette étape nous permet de comprendre pourquoi lorsque nous visitons un lieu où nous avons vécu des évènements intenses en émotions – églises, hôpitaux, maisons de vacances, etc. – ou qui nous fait ressentir des émotions – comme des bâtiments dont nous leurs reconnaissons une grande qualité architecturale, nous nous en souvenons mieux. La troisième étape est la sensation. En effet, les souvenirs sont issus d’événements incluant des expériences sensorielles : plus les sensations ressenties sont intenses et plus elles sont susceptibles d’être mémorisées. Les sensations, dans le cas de souvenirs dits épisodiques – qui n’ont pas de grande valeur émotionnelle, peuvent être oubliées pour se concentrer sur des informations plus factuelles. Les perceptions sensorielles – ou sensations – constituent la matière première des souvenirs. Les sensations sont une étape essentielle dans la création d’un souvenir à long terme. En effet, plus que les qualités spatiales d’un lieu, c’est l’affect qu’il aura sur nous qui demeurera : sensation de vertige, de hauteur, de froid ou de chaleur, de luminosité ou d’obscurité, de vide ou de confinement...


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souvenir

souvenir

souvenir

souvenir

souvenir

R E P R É S E N TAT I O N FAU S S É E DE LA MÉMOIRE

souvenir

souvenir

souvenir

souvenir

R E P R É S E N TAT I O N D E L A TO P O G R A P H I E M E N TA L E

ill. 2 : Schéma explicatif du fonctionnement de la topographie mentale


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La quatrième étape est la mémoire de travail. Comme nous l’avons vu précédemment, la mémoire de travail permet de stocker les informations pendant plusieurs minutes. Elle est une étape primordiale dans la constitution d’un souvenir. La cinquième étape est le traitement par l’hippocampe*. L’hippocampe convertit les souvenirs à court termes en souvenirs susceptibles d’être présents à vie, en codant en permanence ces informations. La sixième étape du processus de mémorisation à long terme est la consolidation. La consolidation permet de fixer indéfiniment un souvenir dans la mémoire. Le souvenir a besoin d’environ deux ans pour être consolidé mais peut être perdu par la suite. Plus les trois premières étapes – l’attention, l’émotion, la sensation – ont été fortes, plus le souvenir a des chances de prendre de la valeur et d’être conservé.5

2) Topographie mentale

Après le processus de consolidation, le souvenir à long terme est créé et nous pouvons y faire appel et se le remémorer.

* Hippocampe : L’hippocampe est une structure du cerveau jouant un rôle central dans la mémoire et la navigation spatiale, ainsi que de l’inhibition et de l’orientation. 5 ibid.


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Nous avons tendance à imaginer la remémoration d’un souvenir comme la lecture d’un album photographique : des images précises disposées les unes à côté des autres dans une certaine cohérence mais sans réel lien physique entre elles. Pourtant, lorsque nous parcourons un lieu, nous n’en faisons pas une réplique parfaite dans notre mémoire mais plutôt une carte mentale, faite de collages d’informations venant former un ensemble cohérent. C’est ce qu’on appelle une carte cognitive, ou une topographie mentale.6 Elle nous permet de nous repérer dans l’espace, mais aussi de nous en souvenir. La topographie mentale, c’est le parcours des souvenirs entre eux, créant une vision du monde toute particulière qui définit l’individu. Ce qui fait notre mémoire est la restitution des souvenirs à la manière d’un «kaléidoscope mental», se composant et se recomposant pour donner une image. Bien que composés de fragments épars, c’est toujours une construction unique et élaborée. Ces différents «morceaux de mémoires» sont ainsi détachés du passé, revenants à la mémoire afin de former un récit, ou une carte mentale. Récit auquel un sens sera cherché.7 La topographie mentale est subjective. Elle est un mélange entre les souvenirs – transformés par les filtres de notre perception évoluant avec le temps, et l’imagination. L’imagination s’enrichit constamment des nouvelles images de notre mémoire. La topographie mentale est un mélange subtil d’imagination et des souvenirs vus à travers le filtre de notre perception.

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MUXEL, Anne. Individu et mémoire familiale. Paris : Nathan, 2000. ibid.


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II – Mémoire consciente et mémoire inconsciente Au regard du processus d’utilisation de la mémoire, deux notions ce dégagent : celle de mémoire consciente et celle de mémoire inconsciente. La première est, en résumé, la pure source d’imagination8, la référence d’un événement des souvenirs qu’un individu possède ou qu’il sait qu’elle existe. De manière générale, la mémoire consciente est la mémoire dont on se souvient, dont on peut espérer obtenir une sorte de «récupération» et l’utiliser de manière directe et ciblée. Cependant, la mémoire n’est pas toujours accessible ou susceptible d’être utilisée librement et directement. En effet, l’inconscient conserve et traite une partie de nos souvenirs. Cette mémoire est configurée librement, elle n’est pas organisée et se réfère à des «tissus déchirés»9 d’autres souvenirs, une «appropriation indirecte de laquelle l’esprit tire pour imaginer – de ce qu’on appelle la mémoire consciente active et de la mémoire des souvenirs, qui émerge involontairement d’un processus de sélection inconsciente, utilisée pour imaginer, qui est, la «mémoire dont on ne peut se rappeler», que nous appellerons la mémoire inconsciente active».10 Dans ce monde inconscient, il y a une mémoire latente – re-

AVELÃS NUNES, José Carlos Duarte Rodrigues. The Oroborus Serpent - The memory in architecture: frome the uterine size of the primordial home and the birth of the architectural creation to the object memories. [en ligne]. http://recil.grupolusofona. pt/bitstream/handle/10437/6512/4779-15755-1-PB.pdf ?sequence=1 [page consultée le 13 octobre 2016] 9 ibid. 10 ibid. 8


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montant jusqu’à la mémoire consciente, qui est normalement vue à travers les rêves et les pulsions irrationnelles. En effet, le rêve possède un caractère important dans la mémoire, puisqu’il est le lieu où les différents fragments de souvenirs émergent à travers des connexions spontanées et inconnues, créant un tissu infini et «irrépétable».11 De cette manière, le rêve, l’imagination et le processus inconscient sont métaphoriquement remontés dans le conscient, responsable de l’appropriation des souvenirs en traitant notre appréhension de la réalité, où le «mensonge» se transforme en «vérité» car il semble consciemment plausible. Il devient plus évident que la pensée dépend de la mémoire, grâce aux connaissances et à l’appréhension de l’événement. Il en devient presque possible d’établir une règle de proportion entre mémoire et évènement. En effet, la connaissance est issue directement de l’expérience, formée par la mémoire épisodique, ce qui permet à un individu de formuler une nouvelle connaissance, en l’occurrence, ici, la création architecturale. Elle est aussi la raison pour laquelle les rêves sont une prémonition irrationnelle des lieux communs, où les personnages sont plus ou moins connus, ou même incompréhensibles, performent sur une scène, ayant une force sentimentale et même une connotation symbolique. La mémoire rend compte des présents et explore les architectures par l’expérimentation personnelle.

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ibid.


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III – Mémoire vécue et mémoire empruntée Basée sur l’analyse chronologique de la saisie de la mémoire, deux types de mémoires permettent de former et d’enrichir la mémoire consciente. La première correspond aux faits et expériences de vie, à notre interaction avec la réalité, avec le monde qui nous entoure, dépendant de la réalité du lieu, non construite par des images et des artifices. Elle contient nos souvenirs d’expériences vécues, ainsi que des lieux parcourus. C’est notre expérience personnelle, notre histoire individuelle. Elle est caractérisée par la phrase «je me souviens». La mémoire vécue est le résultat des souvenirs sensoriels, des expériences directes «de la réalité que nous connaissons, puisque nous en sommes témoins physiquement, de par notre présence, la mémoire enregistrée in loco* avec une intensité personnelle.»12 D’un autre côté, la réalité est pleine de représentation d’une existence en soi, où la présence authentique et physique d’un individu est impossible, forçant l’être à assimiler des souvenirs d’images – ou de souvenirs – formulés par quelqu’un d’autre, dans un processus lent et indirect. Ce sont les souvenirs fabriqués, empruntés. Ce type de mémoire est caractérisé par la phrase «je sais». On considère cette mémoire comme un assemblage de souvenirs transmis par d’autres souvenirs.

* in loco : dans ce contexte, sur place. 12 FARIA, E. L. A concepção em Arquitetura, Um Fenômeno a Quatro Dimensões: o Ser Humano, O Desenho, O Tempo, A Obra. Thèse de l’Université de São Paulo : 2007.


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La mémoire fabriquée précise qu’une partie des souvenirs d’un individu sont transmis verticalement par la famille ou le groupe social, prêtant leurs propres souvenirs et expériences de vies, remplies d’émotions, qui influenceront ceux qui y sont exposés, et qui à leur tour, porteront et répliqueront ces même souvenirs.13 Éric Lapierre, architecte et enseignant à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marne-la-Vallée, explique également cette différentiation entre mémoire vécue et mémoire empruntée : «Les architectes travaillent avec deux types de mémoires. La première est consciente et appartient au champ de la culture savante qui leur est commune : elle est constituée d’un corpus de références savantes ou d’intérêts revendiqués, d’influences historiques, etc. La seconde dont les architectes ne parlent jamais, relève de la mémoire personnelle, d’une expérience intime, du développement par nature singulier d’un individu.»14 Il poursuit : «Vivre et grandir dans une maison à la campagne ou dans un immeuble dans une grande ville ne forme pas le même imaginaire ni le même rapport à l’espace. Construire une œuvre, c’est délimiter l’inNOESIS. Systèmes mnésiques, mémoires. [en ligne]. http://www.noesis-reseau. com/wp-content/uploads/2014/07/5-SYSTÈME-MNÉSIQUE.pdf [page consultée le 10 octobre 2016] 14 LAPIERRE, Eric. A quoi pense un architecte?, Geste. N°05 (septembre 2008), p.96-115 13


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tersection entre une expérience intime sous-jacente et le champ d’une culture constituée historiquement et théoriquement qui permettra à une démarche singulière de prendre un sens commun.»15 Ces deux mémoires – vécues et fabriquées – sont primordiales dans l’utilisation de la mémoire et des souvenirs en architecture. La mémoire vécue prévaut de par son apport émotionnel et émotif ; prévalence que nous développerons par la suite.

IV – L’importance de la mémoire chez l’architecte Observons maintenant plus précisément quelle relation entretiennent la mémoire et l’individu – et plus particulièrement l’architecte – dans un processus de référencement des souvenirs.

1) La métaphore de la banque d’images

L’Homme construit, à travers le temps, une collection d’images, de souvenirs et de pensées qui forment une «banque d’images» expérimentée (vécue), qu’il utilisera telle une force motrice de conception, comme une connaissance à la fois externe et interne, à travers la mémorisation et l’expression. Cette banque d’images, archive ou bagage intellectuel, est la métaphore de notre habilité à enregistrer, ranger ou traiter nos activités cérébrales : elle est une aide à la résolution de problèmes ou de

15

ibid.


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situations liées à l’environnement externe d’un individu. La capacité de la banque d’image dépend de ses connaissances personnelles, proportionnellement à sa capacité à questionner ses propres connaissances et les raisons d’être de ces connaissances.16 La matière conceptuelle ne serait donc pas une production de l’esprit, mais une configuration personnelle d’images et de sens du monde extérieur, correspondant à une sorte de catalogue d’expériences et de souvenirs. Ce que l’on appelle la banque d’images serait notre connexion au monde qui nous entoure, mais également, la réserve de références potentielles. En effet, la banque d’image serait formée des souvenirs des lieux et des expériences du passé, combinée avec les expériences immédiates du présent, pour être utilisée afin de concevoir de nouveaux lieux. Clare Farrow, conservateur au Roca London Gallery, et créatrice de l’exposition «Childhood Recollection: Memories in Design» (Souvenirs d’Enfance: les Souvenirs dans la Création) qui se penche sur les références d’enfance d’architectes célèbre remarque également ce principe de banque d’images dans un à-propos sur son exposition: «Les souvenirs peuvent être consciemment retenus comme une part de l’identité créative, ou déclenchées par une image, un son ou une odeur, AVELÃS NUNES, José Carlos Duarte Rodrigues. The Oroborus Serpent - The memory in architecture: frome the uterine size of the primordial home and the birth of the architectural creation to the object memories. [en ligne]. http://recil.grupolusofona. pt/bitstream/handle/10437/6512/4779-15755-1-PB.pdf ?sequence=1 [page consultée le 13 octobre 2016] 16


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ou lentement dévoilées dans une séquence de couches, comme des éléments rangés dans une boite.»17 Elle poursuit: «Durant le processus de création de cette exposition, certains patterns ont surgit: l’impact de l’Histoire sur ces histoires très personnelles; des thèmes comme le déplacement et la différence; l’importance de la nature et de la musique durant l’enfance; les liens entre science et art; l’implication de tout les sens dans le développement d’une vision créative unique.»18 Aldo Rossi également se penche sur ce point: «Sans doute, l’observation des choses a-t-elle constitué l’essentiel de mon éducation formelle : puis l’observation s’est transformée en mémoire des choses. Aujourd’hui, j’ai l’impression de voir toutes ces choses observées, disposées comme des outils bien rangés, alignées comme dans un herbier, un catalogue ou un dictionnaire. Mais cet inventaire inscrit entre imagination et mémoire, n’est pas neutre : il revient sans cesse à quelques objets et participe même à leur déformation ou, d’une certaine manière, à leur évolution.»19 Il va cependant plus loin, en exprimant à la fois le concept de

PONSFORD, Matthew. JAMSHED, Zahra. How my childhood made me the designer I am today, [en ligne] CNN Style (24 septembre 2015) http://edition. cnn.com/2015/09/24/architecture/roca-architects-before-after [page consultée le 8 novembre 2016] 18 ibid. 19 ROSSI, Aldo. Autobiographie Scientifique. Paris: Éditions Parenthèses, 2010. 17


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banque d’image, mais également l’influence obligatoire que l’individu a sur celle-ci.

2) La richesse de la banque d’images chez l’architecte

A travers l’Histoire, plusieurs hypothèses ont été énoncées pour expliquer la relation entre les architectes et leur mémoire, et ce, depuis le traité de Vitruve stipulant, dès ses premières pages, la nécessité qu’a l’architecte à avoir des connaissances à propos de toutes les branches du savoir, et pas uniquement dans le domaine architectural pur.20 L’architecte serait alors le porteur d’un éventail de connaissances, et ce, à la fois dans le domaine de l’architecture et de la capacité à concevoir, mais également à propos du monde qui l’entoure et qu’il habite. Afin de concevoir des espaces, Vitruve recommande à l’architecte de maîtriser, de manière cohérente, d’autres domaines de connaissances, afin que son esprit établisse une constante production d’interrogations et d’émotions qui lui permettrait d’avoir le désir d’y chercher des réponses. L’architecte doit donc expérimenter l’architecture de manière totale, d’un point de vue personnel et original, de la conception jusqu’à l’expérimentation de celle-ci, de sa propre perception jusqu’à celle d’autrui. L’architecte et son travail incorporent dans l’architecture quelque chose de vivant, dont bénéficient ceux qui la parcourt.

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VITRUVE. Les dix livres d’architecture. Paris: Éditions Errances, 2006.


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Il doit donc posséder une banque d’images précise, riche et concise : basée à la fois sur ses expériences et ses souvenirs, mais également sur ceux des autres* à la fois collectives et individuelles. A un niveau conscient, il travaille à partir de souvenirs d’expériences personnelles issus à la fois d’architecture et de vie, vécus, a priori, en étant présent physiquement. La présence personnelle de l’architecte dans des architectures et des villes déjà existantes contraint son rapport à l’objet, où le champ des souvenirs des sensations et des émotions s’entremêle avec ses propres souvenirs. Aldo Rossi s’exprime sur ce point: «Les dessins d’architectures et les photographies sont peut-être sans importance, néanmoins le projet lui-même représentait la volonté de ne plus dessiner l’architecture mais de l’extraire des choses ellesmêmes de la mémoire.»21 Ce champ d’action est la mémoire vive, qui est la présence du spectateur de l’objet. Lorsque l’objet cesse d’exister, tout ce qui demeure sont les souvenirs et les réminiscences. Cet objet – ou lieu – pérenne ou intemporel, existe par la mémoire qu’on en a de lui, mais toujours en y ajoutant une dimension supplémentaire : la mémoire d’un objet est beaucoup plus complexe, personnelle et extensible que l’objet en lui même. Malgré son absence, la mémoire le rend éternel.

* cf. Mémoire vécue et mémoire empruntée. p.21 21 ROSSI, Aldo. Autobiographie Scientifique. Paris: Éditions Parenthèses, 2010.



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L E S L I E U X DA N S L A M É M O I R E

I – Mémoire, émotion et signification A travers nos propres expériences spatiales et la connaissance de comptes rendu d’autres expériences, l’importance de l’expérience passée des lieux dans le processus créatif devient claire. Sans se limiter uniquement à une expérience professionnelle et systématique, elle est un parcourt de tous types d’expériences, à la fois sensorielles, personnelles, autobiographiques et ludiques. A travers l’expérience, nous construisons du sens, des valeurs et des souvenirs, tout en remplissant notre banque d’images et notre bagage culturel. Les expériences personnelles contribuent à la formation du concepteur, établissant pour celui-ci un système de valeurs et lui permettant de concevoir la signification d’un lieu.22 . L’émotion : un différent type de mémoire Comme nous l’avons vu précédemment*, les émotions et les sensations sont déterminantes dans le processus de mémorisaSOLOVYOVA, Irina. Conjecture and Emotion : An Investigations of the Relationship Between Design Thinking and Emotional Content, [en ligne] UTS (date inconnue) http://research.it.uts.edu.au/creative/design/papers/24SolovyovaDTRS6.pdf [page consultée le 8 novembre 2016] * cf. Les six étapes de la formation d’un souvenir. p.14 22


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tion d’un événement et d’un lieu. Souvent, nous ressentons une prédisposition à la résolution d’un problème avant même le début d’un travail conscient. Cette prédisposition serait sans doute due à l’émotion.23 Au sens neuropsychologique, les émotions ou le souvenir d’une expérience émotionnelle et le savoir cognitif, seraient deux types distincts de connaissance*. L’expérience émotionnelle serait donc aussi importante que la réflexion dans un processus créatif. Les émotions sont la manière dont une personne comprend une expérience, car elles filtrent et structurent la perception d’une situation ou d’une information, elles accroissent l’attention** et donc influencent grandement la construction d’un souvenir. Beaucoup se rappelleront les sensations ressenties devant la découverte d’un lieu. La sensation d’insignifiance devant une gigantesque cathédrale, ou la sensation de réconfort dans une pièce petite et connue, le vertige après être arrivé sur un point haut. La disposition exacte des éléments importe alors très peu, car se sont les sensations qui seront déterminantes dans la construction du souvenir, les grandes ou pauvres qualités architecturales ayant de l’importance seulement si elles nous ont procurés une grande émotion ou de fortes sensations. C’est également l’importance des événements attachés à ce lieu qui deviendra déterminante, car ces événements, s’ils sont importants, porteront en eux une charge émotionnelle forte qui im-

ibid. * cf. Mémoire vécue et mémoire empruntée. p.21 ** cf. Les six étapes de la formation d’un souvenir. p.14 23


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prégnera le lieu de leur présence. «En majorité, les jugements esthétiques et les convictions influencent les précédents historiques qui constituent la banque d’image d’un concepteur, et l’expérience émotionnelle isolent ces lieux pleins de sens dans la banque d’image.»24 Les souvenirs et les émotions constituent une place déterminante dans la constitution d’un bagage culturel, ou d’une banque d’image. Et si la mémoire est déterminante dans un processus de conception, on suppose donc que la place qu’occupent les émotions comme une source d’imagination est importante dans la conception d’un objet architectural – ainsi que dans d’autres domaines de connaissances. L’architecte chinois Wang Shu évoque également l’importance du souvenir et de l’émotion dans sa conception architecturale: «(La) mémoire a une signification spéciale pour moi. Quand je parle de mémoire, je veux parler de quelque chose en relation avec les émotions personnelles. Ce n’est pas juste en rapport avec la mémoire de la société. Ce n’est pas à propos de symboles ou de signes, non. C’est à propos de vos émotions personnelles en lien avec votre passé, vos habitudes, votre vie.»25

ibid. SHU, Wang. NORRIE, Helen. Wang Shu : Cultural shift, [en ligne] Architectureau (6 novembre 2012) http://architectureau.com/articles/2012-national-architecture-conference-interview-wang-shu/ [page consultée le 9 novembre 2016] 24 25


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ill. 3 + 4 : Galeries Volantes dans le Campus de Xiangshan et dans le Liu Yuan à Suzhou, par Wang Shu. L’architecte puise dans le vocabulaire architectural occidental et oriental issus de ses souvenirs pour concevoir ses projets.


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. Une architecture d’émotions, une architecture de sens Les émotions sont également centrales dans la construction du sens. L’expérience momentanée et le souvenir d’expériences passées sont essentiels dans la construction d’une signification en général. Nous comprenons de mieux en mieux les espaces par leur expérience directe, la connotation émotionnelle de cette expérience nous permettant de mieux comprendre les lieux. Le sens et la compréhension du «lieu» sont par ailleurs cruciaux dans le processus de création architectural. C’est pour cette raison, comme nous l’avons évoqué précédemment, que la formation d’un architecte induit le voyage, l’expérience physique d’un bâtiment, etc. Ces «exercices» fournissant à l’architecte des expériences directes de lieux qui peuvent être tirées de leur mémoire à n’importe quel moment du processus de création, et ainsi en apprendre d’elles. Le processus créatif architectural devenant ainsi un «acte de compréhension et d’usage pragmatique des expériences du passé afin d’identifier, d’approfondir, et d’imaginer des futurs possibles.»26 Les émotions présupposent également des éléments cognitifs comme des convictions, ou encore des motifs.27 Dans le langage commun, on pourrait le rapprocher du terme de «sentiment viscéral», un sentiment qui fait sens à celui qui le dit,

DOWNING, F. Remembrance and the Design of Place, College Station, Texas A&M University Press, 2000. 27 SOLOVYOVA, Irina. Conjecture and Emotion : An Investigations of the Relationship Between Design Thinking and Emotional Content, [en ligne] UTS (date inconnue) http://research.it.uts.edu.au/creative/design/papers/24SolovyovaDTRS6.pdf [page consultée le 8 novembre 2016] 26


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une certitude dont on ne comprend pas toujours les origines. Les souvenirs, les expériences passées, sont influencées par les convictions, et, inversement, les convictions sont influencées par les souvenirs des expériences passées. Pour un architecte, une conviction peut également signifier un choix déterminant dans la forme d’un objet architectural ou d’un style, à travers la première phase de développement de la conception d’un lieu, en choisissant parmi les éléments des souvenirs. En somme, la conception architecturale peut être vue comme un «processus d’imagination intégrant la recombinaison des structures de connaissances d’un individu en de nouvelles formes».28

II – Les lieux de la mémoire Comme nous l’avons vu précédemment, l’émotion est fondamentale à la fois dans la conception mais également dans la récollection d’un souvenir. Ceux-ci fournissent à la fois un sens mais également des motifs. Cependant, un souvenir, pour exister, ne peut se baser uniquement sur la récollection d’une émotion. En effet, ces images – et le terme ici prend tout son sens – doivent, pour exister, appartenir à un lieu, «s’être attaché à des points du sol»29. «Non seulement nos souvenirs, mais nos oublis sont «logés». Notre inconscient est «logé». Notre âme est une demeure. Et

28 29

WEBBER, Ralf. On the Aesthetics of Architecture, Brixton: Avebury, 1995. HALBWACHS, Maurice. La mémoire collective, Paris: Albin Michel, 1997.


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en nous souvenant des «maisons», des «chambres», nous apprenons à demeurer en nous-mêmes» dit Gaston Bachelard.30 Pour s’ancrer dans la mémoire, le souvenir doit être fixé dans un lieu. Il doit faire surgir un décor.31 Et dans notre mémoire, chaque lieu est plus qu’un espace. Certains de ces lieux sont plus présents que d’autres, à la fois dans la mémoire mais également dans un processus de conception. Ils sont plus présents, par leur apport émotionnel, mais également pour plusieurs autres raisons : Par leur apport nostalgique et identitaire, permettant de se visualiser dans des lieux antérieurs, d’évoquer un lieu pour pouvoir s’y retrouver, d’évoquer des temps plus simples. Par leur apport dans la compréhension de l’espace* nous permettant de comprendre l’espace et de puiser dans ses connaissances du lieu pour mieux en créer d’autres. Par leur apport de références, nos souvenirs créant des références ultimes et primaires, renvoyant au principe d’archétype. John Ruskin, écrivain et critique d’art anglais, évoque également l’importance de l’architecture dans le processus de remémoration dans son livre «Les sept lampes de l’architecture» : «L’architecture est comme le foyer et la protectrice de cette influence sacrée, et c’est à ce titre que nous devons lui donner nos plus graves méditations. Nous pouvons vivre sans elle, nous pouvons adorer sans elle, mais sans elle nous ne pouvons pas nous souvenir.»32 BACHELARD, Gaston. La poétique de l’espace. Paris : PUF, coll. «Quadrige», 1992. 31 MUXEL, Anne. Individu et mémoire familiale. Paris : Nathan, 2000. 32 RUSKIN, John. Les sept lampes de l’architecture. Paris: Klincksieck, 2008. 30


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III – L’expérience de l’espace physique et la relation entre l’espace perçu et l’espace imaginé Grâce à la récollection des expériences d’un individu, la connexion entre l’espace extérieur vécu et l’espace imaginé d’un individu est caractérisée par l’usage de la mémoire et sa capacité à enregistrer des informations. Le monde extérieur, ayant une dimension réelle, est figuré par l’existence palpable de l’objet et de l’espace. Le monde intérieur imaginé est caractérisé par une représentation perçue et virtuelle, représentative de quelque chose d’imaginée, une image. L’image survie à la mémoire et adapte la réalité. C’est donc une représentation de la réalité, fictive et subjective, conditionnée par les expériences passées, mais également par nos facteurs de perceptions. Les sensations viennent également en interaction entre les souvenirs et l’instant présent. Nous existons sur terre grâce à nos corps : notre corps vient en interaction entre notre esprit et le monde qui l’entoure. La subsistance de l’objet est un mélange d’émotions et d’expériences, directes ou indirectes. A travers la mémoire subsiste un sentiment de présence et d’absence, car elle est le lien entre ce qui est réel ou imaginé, entre l’expérience et l’image qui en résulte. La mémoire est donc la représentation d’événements passés, subsistant dans le présent, constamment reformulés et remis en doute.

* cf. La richesse de la banque d’images chez l’architecte. p.26




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L A M É M O I R E D E S A RC H I T E C T E S

Un facteur, évoqué mais peu développé est la motivation. Nous en avons vu l’origine, mais pas les complexités et les finalités. La motivation ou motif – dans le cas où il y en ait un distinct et déterminé consciemment – des différents architectes que nous étudierons ici peuvent se regrouper en différents types majeurs, organisés du plus intime au plus globales. Nous le verrons, ces grandes motivations entraînent des manières différentes de traduire sémantiquement leurs souvenirs, mais également de les traduire formellement. Il n’est pas rare qu’un architecte puisse avoir plusieurs motivations. Il est intéressant de préciser que l’intérêt ici est porté, non pas à la qualité finale de l’objet, mais à la production d’analyses théoriques et à quel point elles sont traduites dans ledit objet. On essaiera, dans la mesure du possible, de se détacher de critiques esthétiques pour comprendre la qualité de la mise en pratique théorique. Il est important, avant de commencer à analyser des extraits d’écrits d’architectes, de comprendre leur manière globale de concevoir l’architecture. En effet, l’architecture, selon eux, ne s’attache pas uniquement à la conception de lieux mais à une manière métaphysique de la concevoir. Le terme de métaphysique désigne «ce qui va au delà de la


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nature physique». Une grande partie de l’existence humaine peut être considérée comme métaphysique : des pensées, des souvenirs, des rêves, ou toute autre chose allant au-delà du monde physique dans lequel nous vivons. Les Hommes on travaillé avec ces éléments intangibles depuis les fondements de la recherche sur la conscience. Des philosophes, tels que Martin Heidegger, se sont intéressé à la métaphysique car elle est une part fondamentale de l’être humain et de sa réalité.33 Et c’est cette réalité, ou monde physique, qui ont intéressé les architectes, en étant leur matière première de travail. Le monde physique, et l’architecture comme partie inhérente, provoque des réactions métaphysiques chez l’individu — tels que des sentiments, des souvenirs ou des pensées. C’est pour cela que les constructions deviennent une matière première de notre existence, et de notre expérience du monde. Heidegger écrit qu’«être un être humain signifie exister sur terre en tant que mortel»34. Cela signifie habiter. Construire est donc essentiel à l’existence. Puisque la destinée de l’Homme est d’habiter sur Terre, et puisque notre manière d’interagir avec la elle est de construire, toute construction est une manière d’habiter. Relater la construction comme une expression, c’est la compréhension de l’objet construit. Donc, la façon dont nous nous exprimons l’habiter à travers la construction d’un objet, devient une partie du travail de l’architecte. Ce que l’architecte est capable de produire dans ses projets, est la manière dont les

HEIDEGGER, Martin. Poetry, Language and Thought. New-York : Paperback, 1971. 34 ibid. 33


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autres vont le percevoir. Les architectes que nous allons étudier entendent et comprennent cette manière de concevoir et d’habiter. Ils développent dans leur bâtiment une pensée qui va au-delà de l’aspect physique de la conception architecturale.

I – L’architecture ordinaire de la nostalgie Les premiers souvenirs sont parmi les plus importants dans la manière dont un individu va faire l’expérience de l’espace. Ce qu’on appelle «la maison primordiale»35 est le lieu où un individu expérimente pour la première fois le sentiment d’habiter un espace. Même en tant que sujet passif de l’architecture, cette «maison» configurera sa mémoire de l’habitat, son fonctionnement et la manière dont l’individu concevra la maison plus tard. La maison primordiale enferme en elle les premières odeurs et les premiers sons, les premiers sentiments de spatialité et tout ce qui les accompagnent. La maison primordiale est le premier lieu de référence d’un individu, qui, grâce à l’échelle de l’objet architectural par rapport à l’échelle de son corps, saisira ce qui l’entoure. Elle est, au delà du premier abri contre l’extérieur, le premier espace protecteur, le premier refuge. Elle enferme un monde de découvertes et de AVELÃS NUNES, José Carlos Duarte Rodrigues. The Oroborus Serpent - The memory in architecture: frome the uterine size of the primordial home and the birth of the architectural creation to the object memories. [en ligne]. http://recil.grupolusofona. pt/bitstream/handle/10437/6512/4779-15755-1-PB.pdf ?sequence=1 [page consultée le 13 octobre 2016] 35


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sensations, où se déroulent nos premières relations avec l’espace, et par extension, avec l’architecture. La maison primordiale est centrale dans notre développement, car elle permet d’être un point de référence de l’enfant. Et de ce point central émerge la possibilité de développer nos connaissances du monde, en se multipliant en plusieurs «centres». Ces «centres»36 – issus donc de la maison primordiale – deviennent alors des espaces privilégiés d’actions, formant une connaissance complexe de notre environnement, ainsi que notre appropriation de l’espace. Et c’est en découvrant des nouveaux espaces comme une continuité de ce qu’il connaît que l’individu se l’appropriera comme sien. La maison primordiale et le souvenir que nous en avons, enrichiront la mémoire et notre banque d’images* ainsi que la manière dont nous appréhenderons l’espace qui nous entoure. Ces espaces qui ne sont, en définitive, que des espaces imaginés, nous permettraient en partie de juger un type d’architecture. Ils seront influencés par la manière dont l’individu comprendra et habitera l’espace, en leur apportant de la richesse et un sens, grâce à l’émotion qui s’en dégage. «La promenade des lieux du passé s’effectue souvent avec une compagne obligée : la nostalgie.»37 La maison primordiale porte en elle une nostalgie sincère et profonde. Vouloir concevoir des espaces en ayant ces maisons primordiales en tête, c’est désirer retrouver en elle les sensa-

ibid. * cf. La métaphore de la banque d’image. p.23 37 MUXEL, Anne. Individu et mémoire familiale. Paris : Nathan, 2000. 36


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tions d’autrefois. C’est le retour à l’espace émotionnel, lié à l’innocence de l’enfance, à la simplicité des temps d’autrefois. C’est le retour à une architecture ordinaire, qui se veut modeste et simple. C’est une démarche sincère et touchante de par son caractère personnel et intime. La nostalgie, c’est le regret mêlé à la mélancolie, un état de langueur et de manque d’une chose, d’un lieu, d’un moment.38 En architecture, elle se manifeste par l’utilisation de codes du passé – qu’ils soient issus de la mémoire vécue ou de la mémoire empruntée – dans la constitution de nouveaux bâtiments. Quel serait donc l’intérêt d’extraire les souvenirs du passé pour concevoir de nouveaux lieux? Nombreux sont les architectes qui usent de ce procéder. Nous en étudierons quelques uns afin de mettre en évidence les grandes raisons de cette utilisation. «Dans une série de mes premiers projets, j’avais déployé de nombreux efforts pour créer un espace suffisamment vaste pour pouvoir y installer une grande table. Une longue table rectangulaire qui n’est remarquable que par sa dimension. C’était déjà un objet banal dont une des caractéristiques est d’être «distordu» jusqu’à l’étrange, comme je les affectionne. Cette obsession de la grande table, aujourd’hui je ne peux m’empêcher de la rapporter à la maison de mes grands-parents dans les Pyrénées, dans laquelle j’ai beaucoup séjourné. Mon arrière grand-père était marchand de vin, la salle principale de sa maison

Auteur inconnu. Nostalgie. [en ligne] Larousse http://www.larousse.fr/ dictionnaires/francais/nostalgie/55033?q=nostalgie#54653 38


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faisait donc office de taverne. Il s’y trouvait la plus grande table qu’il était possible d’y faire contenir. Lorsque j’étais enfant ce meuble hors norme encombrait littéralement ce qui était devenu entre-temps un séjour. Il prenait tout l’espace ; pour circuler dans la pièce, il fallait nécessairement en faire le tour. Mais en dépit de ce côté impraticable, il était aussi le cœur de la maison, laquelle paraissait avoir été construite autour. C’est cette table mythologique que j’ai essayé de réinstaller dans certains de mes projets, évidemment sans m’en rendre compte au moment où je le faisais.»39 Dans cette citation, extraite d’une interview sur la pensée architecturale d’Éric Lapierre évoqué plus tôt dans le texte, l’architecte nous parle de la conception d’une table dans un de ses projets. Il la renvoie à celle de la maison de ses grands-parents. Dans cet extrait, la phrase qui nous intéresse le plus est bien entendu la dernière: «C’est cette table mythologique que j’ai essayé de réinstaller dans certains de mes projets, évidemment sans m’en rendre compte au moment où je le faisais». Éric Lapierre fait donc appel à la maison primordiale évoquée plus tôt, sous la forme de cette table. En effet, elle semble représenter à la fois l’encombrement et le rassemblement, le rapprochement des membres de la famille, le confort. Au-delà de l’aspect formel de la table et sa place dans la pièce, c’est ce qu’elle représente pour l’architecte qu’il va essayer de mettre en œuvre; pour que cette nouvelle table – et sa place dans la maison – porte les même qualités émotionnelles que celle de la maison de son grand-père.

LAPIERRE, Eric. A quoi pense un architecte?, Geste. N°05 (septembre 2008) p.99 39


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Il poursuit plus loin: «Je peux encore rajouter un autre élément d’influence. Le serrurier avec qui je travaillais pour choisir les matériaux m’a présenté une tôle larmée, c’est-à-dire cette tôle métallique faite avec des motifs en reliefs, des fuseaux croisés, antidérapants. Dans mon esprit, ce type de tôle est définitivement connoté par le fait qu’il constitue la pochette du troisième album de Talking heads, «Fear of music», sortie en 1979, à une époque où la recherche, l’achat et l’écoute de disques étaient ma principale préoccupation. La pochette en carton noir dans lequel les motifs étaient gaufrés en relief, avec son esthétique un peu naïvement new-yorkaise, m’a longtemps fait fantasmer. Dans le contexte pittoresque et industriel de ce site, cette matière avait une pertinence qui, en plus, renvoyait, consciemment cette fois, à mon propre apprentissage esthétique.» 40 Cette citation provient d’une analyse de l’architecte de son projet des Ecluses à Vives-Eaux en 2002. Il y évoque le rapport de matérialité entre ce projet et la pochette d’un album de Talking Heads. «Les matériaux ne sont intrinsèquement pas poétiques»41 nous dit Peter Zumthor. En effet, leur poésie ne vient pas de leur qualité intrinsèque mais de ce que l’architecte leur apporte. En l’occurrence, ici, la nostalgie d’une époque révolue, insouciante, nouvelle, jeune... Dans ce projet, Éric Lapierre fait revivre un de ses souvenirs à travers l’utilisation d’un matériau

ibid. ZUMTHOR, Peter. Penser L’architecture. 3ème édition. Bâle : Birkhäuser, 2010. 40 41


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ill. 5 : Photographie des Ecluses de Vives-Eaux (1999) ill. 6 : Pochette de l’album «Fear of Music» de Talking Heads


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qui lui évoque plus que ce que ce matériau dit objectivement – sous la forme d’une blague d’initiés. Les qualités esthétiques d’un matériau proviennent principalement de l’intérêt que l’architecte en a. En d’autres termes, l’émotion donne du sens. Étudions un autre exemple d’architecte. Dans son livre «Penser l’architecture», Peter Zumthor évoque à la fois ses réflexions architecturales, mais évoque également des aspects plus intimes de sa conception: «Quand je pense à l’architecture, des images remontent en moi. Beaucoup de ces images sont en rapport avec ma formation d’architecte. Elles contiennent le savoir sur l’architecture que j’ai pu accumuler au cours du temps. D’autres évoquent mon enfance. Je me rappelle le temps où je faisais l’expérience de l’architecture sans y réfléchir. Je crois sentir encore dans ma main une poignée de porte, une pièce de métal arrondie comme le dos d’une cuillère. [...] [La cuisine] était la seule – dans mon souvenir au moins – dont le plafond ne s’estompait pas dans un demi-jour; les petits carreaux du sol, hexagones rouge foncés aux joints serrés, opposaient à mes pas une impitoyable dureté et du placard se dégageait l’odeur particulière de la peinture à l’huile. Ce n’était pourtant qu’une cuisine comme n’importe quelle autre cuisine ordinaire. Mais c’est justement parce qu’elle avait cette manière presque naturelle d’être une cuisine qu’elle était restée si présente dans ma mémoire comme l’incarnation d’une cuisine. L’atmosphère de cette pièce restera toujours associée à l’idée de cuisine.» 42

42

ibid.


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ill. 7 : Photographie de la cuisine de Peter Zumthor


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Dans cet extrait nous pouvons voir l’importance que Peter Zumthor donne à ses propres souvenirs comme référence de conception. Tout comme Éric Lapierre, il porte de l’importance aux références issues de la mémoire vécue et personnelle. Peter Zumthor considère ses propres sensations et sentiments dans la conception d’un édifice. Les sensations mises en œuvres ne sont pas uniquement de l’ordre du visuel, mais également de l’olfactif – l’odeur particulière de la peinture à l’huile, ou encore du toucher – une impitoyable dureté – etc. Quand il décrit la cuisine de sa tante, Peter Zumthor la présente comme une sorte de maison primordiale: «[la cuisine] était restée si présente dans ma mémoire comme l’incarnation d’une cuisine.»43 Peter Zumthor essaie de se rattacher à la fois à ses propres expériences heureuses et à celles des individus qui parcourent le bâtiment qu’il conçoit – parfois en usant d’expériences très lointaines dans leur esprit. En se prenant en exemple, et en stimulant les souvenirs d’une personne, il est sûr de rattacher les sentiments heureux de cette personne aux sentiments issus de l’expérience de son bâtiment. L’Homme, après avoir expérimenté l’espace, produit des images, et des sentiments. Et la manière dont ces sentiments font appel aux souvenirs de celui qui parcourt le lieu est similaire à la manière dont les souvenirs ont été appelés chez Zumthor lors du dessin de son bâtiment. «Un lieu se fixe dans la mémoire dans la mesure où il devient un lieu d’affection, ou dans la mesure où l’on s’identifie à lui. Je pense [...] à un lieu qui m’est particulièrement cher, à l’Île d’Elbe, [...] parce que

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ibid.


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ce lieu était lié à une perte d’identité [...]. Pour moi, ce lieu contenait le germe d’un projet.»44 Cet extrait provient du livre d’Aldo Rossi, «Autobiographie Scientifique». A la différence de Peter Zumthor ou d’Eric Lapierre, Aldo Rossi exprime une toute autre manière d’envisager la nostalgie comme source de conception. En effet, le but ici, n’est pas de concevoir un lieu qui se rattache à un lieu du passé, mais d’en prendre l’essence afin d’en créer un nouveau qui se rattache au présent. Cet extrait nous donne également à voir la réticence d’Aldo Rossi à utiliser toute sorte d’affect, tout en y prenant part malgré lui. Le passé, ici, prend part au présent. Il devient présent, sous la forme d’un nouveau projet. Les architectes utilisent des souvenirs emprunts de nostalgie dans la conception de leurs bâtiments pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour recréer des espaces issus de la maison primordiale que nous avons évoquée précédemment. En effet, ces architectes cherchent à reproduire un lieu perdu du passé, auquel ils étaient attachés mais tout en essayant de l’améliorer, dans un nouvel espace. Mais plus encore que recréer des espaces, ce sont des sensations liées à ceux-ci qu’ils essaient de reproduire. Car la nostalgie ne s’attarde pas particulièrement aux qualités architecturales, mais plus à l’esprit émotionnel qui s’en dégage. L’utilisation de la nostalgie permet également de donner du sens, que ce soit à la fois aux matériaux ou aux formes, mais également de plébisciter des sensations autres que le visuel.

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ROSSI, Aldo. Autobiographie Scientifique. Paris: Éditions Parenthèses, 2010.


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C’est également une occasion de se baser sur ses propres sensations afin de faire ressentir d’autres sensations à celui qui parcourt le bâtiment (comme le fait Zumthor), sur la base d’une démarche honnête et sincère. En effet, dans les souvenirs, les émotions et les sensations occupent une place primordiale: les sens sont utilisés en profondeur et sont importants dans la conception d’un espace, ils seront donc également utilisés dans le parcours de cet espace.

II – L’architecture de l’émotion universelle L’émotion, nous l’avons vu, surgit de la relation entre un sujet percevant et une architecture perçue. Elle résulte plus de ce rapport que des qualités intrinsèques à cette architecture. Si l’émotion réside dans un rapport entre deux éléments en particulier, et est donc subjective, l’architecture dite «émotionnelle» ou «émotion universelle» soulève quelques paradoxes majeurs, tel que le manque de spontanéité qui rendrait caduque l’émotion car liée à une forme de manipulation... Il implique donc de croire en une «architecture émotionnelle» qui ignorerait ces paradoxes. 45 Cependant, l’émotion détient également une part d’objectivité : l’universalisme de la nature humaine – la sensibilité biologique à certaines formes* , l’ancrage social – les émotions dues GILSOUL, Nicolas. Architecture émotionnelle : matière à penser. Lormont : Éditions Le Bord de l’Eau, 2011. * cf : l’architecture à la recherche de l’archétype. p.56 45


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à des processus culturels d’apprentissage qui pourrait évoquer des œuvres particulières, et l’ancrage psychologique – renvoyant à une histoire personnelle individuelle.46 Concevoir une architecture émotionnelle, c’est à la fois puiser dans ses propres souvenirs, mais également déclencher chez l’individu, des émotions qui seront renvoyées à ses souvenirs. Ce sont des architectes qui, en prenant pour exemple leurs expériences passées, tenteront de rendre compte de leur émotion, en construisant des lieux dont l’émotion est percevable par l’utilisateur. C’est un principe phénoménologique* qui implique que celui qui parcourt percevra les émotions qui ont conçu le lieu. Non pas en comprenant directement ce que l’architecte a voulu mettre en œuvre, mais en percevant une émotion générale. Grâce aux connaissances de l’espace et de l’être humain, les architectes peuvent aspirer à concevoir une architecture comprise par tous, et ressentie par tous.** La dimension mémorielle, dans la conception d’une architecture émotionnelle, joue donc un rôle important. Car l’intention est de faire passer des émotions à travers un lieu : l’émotion est donc pensée comme créatrice du projet et source d’expressivité. «Je me penche souvent sur moi-même et fouille mes souvenirs et en essaie certains [sur mes projets]. Un des côtés positifs d’une forte inspiration est la manière dont elle peut être transformée en une concepibid. * Phénoménologie : Étude descriptive philosophique de l’ensemble des phénomènes, de l’expérience vécue, et des contenus de conscience. Ici sous le sens que lui donne Heidegger. ** cf : La banque d’images chez l’architecte 46


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tion narrative: l’«histoire» du projet. La narration établie un langage commun qui me permet de transmettre l’intention de conception.»47 Nous dit Paul Lewandowski, architecte et designer américain faisant partie de ces architectes qui ont pour désir de concevoir des espaces qui se veulent émotionnels. Il poursuit: «Je veux créer un souvenir positif des espaces que je dessine dans l’esprit des gens. Je dessine un sentiment de confort, de bienvenue, et peut-être un intérêt à explorer l’espace et mieux le comprendre.»48 On comprend, à travers les paroles de Lewandowski, que celui-ci crée, grâce à ses propres souvenirs, des lieux qu’il veut déclencheurs d’émotions chez celui qui les parcourt. Grâce au «langage commun» de la narration du projet, il tente de produire chez les autres des sensations et des sentiments à portée quasi universelle. Ses désirs de transmettre des sensations de «confort» et de «bienvenue» montrent son intérêt dans la transmission de sentiments profonds entre lui et la personne qui parcourra son bâtiment. L’architecte Wang Shu, dira également : «Je n’ai qu’un principe : je ne veux faire quelque chose de réel qu’avec LEWANDOWSKI, Paul. Memory as Design Inspiration, [en ligne] Maine Home Design, (septembre 2011) http://mainehomedesign.com/aia-design-theory/1654-memory-as-design-inspiration [page consultée le 15 octobre 2016] 48 ibid. 47


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ill. 8 : Photographie de Salas Portugal, ami et collaborateur de Luis Barragan. Ce dernier usera beaucoup de ses photographies comme source d’inspiration dans sa conception.


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de vrais sentiments. La mémoire est plus profonde que les symboles. Les symboles ne sont que des concepts, mais la mémoire est différente. Elle peut toucher les gens et déclencher des sentiments très personnels, de très petites choses à travers le temps.»49 Il prend un parti pris semblable à celui de Lewandowski en développant également l’importance de la mémoire. «Et bien, je pense que sans la mémoire nous ne pourrions pas savoir qui nous sommes et où nous allons. Donc la mémoire n’est pas juste une petite ligne qui accompagne l’architecture, elle est le guide fondamental qui oriente l’esprit, les émotions, l’âme. Et, bien sûr, comment nous engageons la mémoire à travers les expériences viscérales, pas seulement dans l’expérience intellectuelle, mais dans l’expérience émotionnelle de l’être humain. C’est ce que l’architecture est et cela peut se faire à travers la lumière, à travers les proportions, à travers l’acoustique, à travers les matériaux, à travers le langage de l’architecture.»50 Dans cet extrait, Daniel Libeskind va plus loin, en évoquant à la fois la relation entre architecture et mémoire, mais également entre mémoire et émotion. Pour lui, la mémoire et l’émotion servent l’architecture afin de rendre compte de la beauté d’un espace, comprise par un individu.

SHU, Wang. NORRIE, Helen. Wang Shu : Cultural shift, [en ligne] Architectureau (6 novembre 2012) http://architectureau.com/articles/2012-national-architecture-conference-interview-wang-shu/ [page consultée le 9 novembre 2016] 50 LIBESKIND, Daniel. Memory is essential to architecture, says Daniel Libeskind [en ligne] 49


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On peut également aborder le cas de Luis Barragan, qui fait figure d’architecte majeur quant à la relation qu’il entretient entre architecture, émotion et mémoire. «La modernité est une permanence réinventée, un éternel retour. L’architecture même la plus ancrée dans l’histoire est pleine d’exotisme, de fragments de voyages, de choses vécues, de souvenirs d’ailleurs et d’étrangetés. L’histoire est un art vivant. L’architecture est faite d’aller et de retour entre la pensée et la mémoire. Elle est faite du souvenir de ce que nous avons vu et de ce que nous avons été. L’architecture est une tradition qui se réinvente sans cesse à partir d’elle-même.»51 Ce passage est écrit par Laurent Beaudouin dans un article sur Luis Barragan. Il évoque dans ce passage la force du souvenir dans la conception d’un projet, et le mouvement perpétuel entre la mémoire et la conception.

III – L’architecture à la recherche de l’archétype Développé par Carl Jung, le concept de l’archétype est une idée inconsciente collective héritée, un motif de pensée, une image, une forme, etc. universellement présent dans l’esprit des individus. La présence de cette «image» ne peut être expliquée par un souvenir propre à un individu en particulier.52 On peut entendre l’archétype également comme la structure originale BEAUDOUIN, Laurent. Luis Barragan : L’architecture comme poésie, Kalias Ivam. N°26 (2002), p.150-157 52 JUNG, Carl. L’Homme et ses symboles. Paris : Robert Laffont, 2002. 51


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ou le modèle duquel toute chose est copiée ou basée sur, un modèle originel et primordial, un prototype. Ces «représentations» peuvent varier énormément sans perdre de vue le modèle originel. Ce qui explique pourquoi certains objets ou concepts ont été répété à travers l’Histoire comme des éléments primordiaux au sein d’une culture ou pour un individu. En effet, on peut trouver des récurrences d’éléments tels que la pierre, l’animal, le cercle, la pyramide, etc. qui sont considérés comme des archétypes. Cependant, on en vient à se demander quel lien ils entretiennent avec l’architecture. D’après la théorie de Carl Jung, la volonté de recréer ces éléments — ainsi que leur signification consciente — tient du fait qu’elle permet à l’être humain d’appartenir au monde qui l’entoure, d’être vivant, mais également, d’habiter. L’archétype permet à l’être humain de faire face aux faits de l’Histoire et de l’existence, en créant des constantes. Les architectes mettent en place dans leurs conceptions des éléments archétypaux afin de permettre à la personne qui parcourt le bâtiment d’en faire une expérience forte. En effet, ces archétypes déclenchent chez les individus des réminiscences issues de l’inconscient qui rappellent à la mémoire des souvenirs forts des être humains. L’archétype ne renvoi pas à des souvenirs propres à un seul être car fait partie de l’Homme. Ces archétypes peuvent se manifester sous différentes formes. Ils peuvent être des composants de la nature – comme les montagnes, l’eau, le bois des forêts, la lumière – ou bien être formels – comme des formes géométriques simples, ou des types d’habitations spécifiques.


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ill. 9 : «L’architecture assassinée» par Aldo Rossi. Au premier plan, des cabines de plage.


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Les archétypes sont, en soi, une forme de souvenirs.53 Aldo Rossi est l’une des figures les plus emblématiques de l’utilisation de l’archétype en architecture. Il exprime dans son livre «Autobiographie Scientifique» son intérêt pour les archétypes. «Je méprisais les souvenirs tout en me servant d’impressions urbaines ; derrière les sentiments, je tentais de découvrir les lois immuables d’une typologie sans époque.»54 Aldo Rossi nous exprime son désir d’outrepasser les sentiments qui lui semblent subjectifs tout en prenant en compte leur présence. Il poursuit plus loin : «Cette insistance des choses, j’en cherchais la trace dans l’histoire, je m’efforçais de la traduire dans ma propre histoire : de cette façon la typologie, la sûreté fonctionnelle prenaient une dimension plus large, ou retournaient au monde des objets : le projet pour la maison de Borgo Ticino redécouvrait les cabanes des pêcheurs, l’univers du lac et du fleuve, une typologie qui perdure à travers l’histoire. J’ai vu les mêmes maisons dans le nord du Portugal, à Galveston au Texas, la côte du golfe du Mexique. Il me semble désormais suffisant de fixer les objets, de les comprendre, de les reproposer. Le rationalisme est nécessaire, comme l’ordre, mais quel que soit l’ordre, il peut être bouleversé par des facteurs extérieurs, aussi bien d’ordre historique que géologique ou QUIROS, Luis Diego. BURNS, David. REPP, Ethan. Achieving the Metaphysics of Architecture : The Architecture of Peter Zumthor, [en ligne] Quirpa (date inconnue) http://www.quirpa.com/docs/achieving_the_metaphysics_of_architecture__peter_zumthor.html [page consultée le 9 novembre 2016] 54 ROSSI, Aldo. Autobiographie Scientifique. Paris: Éditions Parenthèses, 2010. 53


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ill. 10 : Photographie des Ecluses de Vives-Eaux (1999) ArchĂŠtype de la cabane de plage


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psychologique.»55 «Dans les projets également, la répétition, le collage ou le déplacement d’un élément d’une composition à une autre, nous place sans cesse devant un autre projet, potentiel, que nous voudrions faire, mais qui est aussi la mémoire d’autre chose.»56 Eric Lapierre dira d’Aldo Rossi qu’il était «fasciné par les archétypes, et il s’était pris de passion pour les cabines de plage. Il en a dessiné beaucoup, sous la forme d’archétypes minimaux, des cabines de 2 m2, ce qui est sa version de la cabane primitive, en quelque sorte.»57 Il reprend lui-même l’archétype de la cabine de plage dans son projet des écluses étudié précédemment créant une résonance entre ces différents modèles. Les archétypes, cependant, ne s’attachent pas à uniquement à une représentation visuelle. En effet, d’autres percepteurs sensoriels peuvent être mis en cause, comme l’odorat, le son, et le toucher. L’odeur du bois, le son qu’il émet lorsqu’on le touche, sa texture, font tout autant partie des archétypes que son aspect. Peter Zumthor, par exemple, utilise des éléments significatifs et communs, à la fois basiques et connus de tous : le bois, la lumière, le paysage, l’environnement naturel. Le bois par exemple, dans un bâtiment classique, perd de son

ibid. ibid. 57 LAPIERRE, Eric. «A quoi pense un architecte?». p.99 55 56


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ill. 11 : The Blue Room, par Helene Schmitz.


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odeur. Le traitement qu’il subit lui enlève une partie de sa signification : car si on peut encore le voir – et ce d’une manière lisse et donc superficielle – on ne peut ni en toucher sa rugosité, ni en sentir son odeur. Dans les bâtiments de Zumthor, l’odeur du bois crée une enveloppe particulière dans lequel le bâtiment se place. Le bois garde ses vertus originales qui en font sa qualité. L’absence de traitement important du bois permet à l’individu de faire appel à ses souvenirs les plus anciens et qui le replacent dans un contexte qu’il connaît – voir qu’il connaît inconsciemment, au delà de l’aspect visuel. Les architectes se basent sur leurs propres souvenirs, qu’ils soient conscients ou inconscients, pour concevoir des espaces qui feront appel à des archétypes. Des espaces qui renverront ceux qui les parcourent à des souvenirs qui les dépassent. Le résultat est une expérience de l’espace et de la réalité très forte et la réaction successive de l’esprit et du corps d’une personne, ce qui lui procure des émotions, le renvoi vers des éléments de sa mémoire collective inconsciente.

IV – Une démarche sincère La motivation reste un élément déterminant à la fois dans l’utilisation des souvenirs, mais également dans un choix futur d’un style créatif, d’une manière de concevoir. Cette utilisation personnelle, émotionnelle, voire sentimentale de nos souvenirs, de notre banque d’images, participe depuis plusieurs dizaines d’années à un renouveau en architecture


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ill. 12 + ill. 13 : In Full Swing, Debbie Smith


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mais aussi en art. De plus en plus, des artistes ou des architectes s’impliquent dans leurs œuvres, et ce, non pas en terme d’énergie et de temps mais de sentiment, d’affect, d’émotion. C’est une architecture ou un art qui se veut plus humain et plus sincère dans sa démarche créative et conceptuelle. Ces démarches de conceptions peuvent être rapprochées de celles de nombreux artistes contemporains, qui veulent faire passer un message par le biais de leur propre histoire, en utilisant habilement l’espace, à la manière de l’architecte. Des artistes comme la photographe Helene Schmitz ou l’artiste plasticienne Debbie Smith par exemple, se penchent sur la mémoire : quand la première s’intéresse au temps qui passe, à son emprise sur l’architecture et à la manière dont la nature reprend ses droits sur les traces de l’Homme, la seconde joue avec les codes de l’enfance, les trompes-l’œil, et la nostalgie. Les motivations que nous avons vues précédemment, bien que chacune différentes, ne prévalent pas l’une sur l’autre. En effet, ces motivations ont toutes pour origine une démarche sincère et juste, dans une recherche d’une architecture sensible et universellement compréhensible.



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C O N C LU S I O N

Le souvenir d’une expérience émotionnelle est l’une des sources du développement d’images conceptuelles durant le processus de conception. La mémoire d’expériences émotionnelles se différencient de la mémoire de la connaissance. La mémoire d’expériences émotionnelles ainsi que les autres types d’expériences et les connaissances contribuent à la constitution d’une banque d’images, source de références aidant à la conception d’objets architecturaux. L’importance de l’émotion est cruciale à la fois dans la création d’un souvenir, mais également dans sa récollection. Les émotions influencent les différentiations entre l’espace imaginé et l’espace perçu. En d’autres termes, les architectes utilisent les connaissances et l’impact émotionnel contenu dans leurs expériences passées afin de les assister dans un processus créatif. L’utilisation des souvenirs dans un processus de conception architectural est motivée par des systèmes de convictions qui détermineront leur place dans ledit processus. La mémoire serait au cœur de notre identité : à la fois à l’origine de la conception, mais également de notre être. La mémoire nous façonne, en même temps que nous la façonnons. L’architecture s’imposerait donc comme une toile de fond à la mémoire et à la création d’un souvenir, et, inversement, la mémoire serait catalyseur d’architecture : l’architecture comme base de la mémoire, et la mémoire comme base de l’architec-


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ture. La mémoire, donc, pour exister, nécessiterait l’architecture. Quant à l’architecture, elle serait donc irrationnelle et inconcevable, sans la mémoire. La relation complexe entre mémoire, espace, et individu se rapproche de plus en plus de l’image du serpent se mordant la queue, dans un mouvement sans fin d’influence de l’un sur l’autre. C’est le principe de récursivité*. L’utilisation inconsciente de la mémoire comme base de la conception semble donc inévitable. Cependant, la question se pose d’une utilisation plus consciente de nos expériences comme références afin de produire une architecture plus juste, plus sincère. En effet, on peut se demander si le manque d’implication émotionnelle dans certaines conceptions de projets pourrait expliquer leur manque d’intérêt sémantique. Ces questions, bien que dans la continuité logique de ce mémoire, relèvent cependant d’une approche plus subjective de la conception architecturale. Nous pouvons également nous interroger sur la validité de l’imagination comme source pure d’invention : si la mémoire est au cœur de la conception, et ce, même de manière inconsciente, l’imagination ne serait que le résultat d’un choix conscient ou inconscient des expériences passées. L’architecture est une chose de l’art, une chose des émotions, se positionnant en dehors et plus loin que les questions de construction. Elle est à la fois physique et métaphysique : en effet, elle est certes faite de dispositifs physiques, mais également

* Récursivité : La récursivité est une démarche faisant référence à l’objet même de ladite démarche à un moment du processus. Principalement utilisée en informatique et en mathématiques.


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procure des sensations qui vont au-delà du monde tangible. L’expérience humaine d’un espace physique et des lieux est un phénomène complexe qui inclut des dimensions architecturales et sensorielles, ainsi que sociales et interpersonnelles. Le désir d’une utilisation des souvenirs dans une conception architecturale l’illustre parfaitement.


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Music», Sire Records (1979). – Illustration 7 : PADGETT, Laura. Photographie prise dans la cuisine de la maison Zumthor en juillet 2005. – Illustration 8 : PORTUGAL, Salas. Photographie du Pedregal (date inconnue). – Illustration 9 : ROSSI, Aldo. L’architecture assassinée. Dessin. – Illustration 10 : PINARD, Emmanuel. Photographie des Ecluses de Vives-Eaux (1999). – Illustration 11 : SCHMITZ, Helene. The Blue Room. Phorographie – Illustration 12 : SMITH, Debbie. In Full Swing. – Illustration 13 : SMITH, Debbie. In Full Swing.



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