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JUIN/AOUT MMXVI - NUMÉRO QUINZE

BRANDED SYLVAIN RIEU-PIQUET - PHOTO - MÉLANIE POTTIER GUSTAVE LE GRAY - BIOPHONIE - ERWAN VENN MORGANE VIÉ - LUDOVIC SAUVAGE - PAZ ERRAZURIZ ARAKI

NOBUYOSKI

-

MARCEL

HANOUN


© Charly Lazer, ©Ludo Leleu / Partenariat, Zénith d’Amiens métropole, www.zenith-amiens.fr

IL EST DE BON TON DE PRENDRE DU

CULTURE & LIFESTYLE — LILLE AMIENS PARIS MAGAZINE TRIMESTRIEL GRATUIT — WWW.BON-TEMPS.FR



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ÉDITO par Laurent Dubarry

ART Biophonie, le chant du bruant et de l’amazone

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ART Sylvain Rieu-Piquet

ART L’art du média de M ­ élanie Pottier ou du féminisme comme de la guerre froide

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ART Dans l’ombre des métamorphoses du cercle de Ludovic Sauvage

ART Paz Errazuriz Requiem Décapité

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ART Réflexion ­psychanalytique autour du processus de création d’une œuvre ­photographique

ART Les usages de la photographie selon Morgane Vié

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SOMMAIRE B R A N D E D

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ART L’invention de la mer en ­photographie, Les Marines de Gustave Le Gray

CINÉMA Etre au printemps

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QUESTIONNAIRE Valerie Delaunay

LITTÉRATURE Araki Nobuyoski

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PORTFOLIO Erwan Venn

REMERCIEMENTS

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QUESTIONNAIRE Guillaume Cabantous

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ÉDITO P OL AROID

ROMAN

The flash of a distant camera reconnecting thoughts and actions, Fragments of our missing dreams, Pieces from here and there fall in place along the line, Disappearing between you and me. Life is changing everywhere I go, New things and old both disappear. If life is a photograph, Fading in the mirror.... All I want is a song of love, Song of love to sing for you. All I need is this song of love, To sing for you. Neil Young - Distant Camera

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PHOT O


JUIN/AOUT MMXVI - NUMÉRO QUINZE

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COPYRIGHTS

WWW.BRANDED.FR Fondateur et directeur de publication : Laurent Dubarry laurent.dubarry@branded.fr Rédacteur en chef : Jordan Alves jordan.alves@branded.fr Directeur artistique : Léo Dorfner leodorfner@gmail.com Rubrique Art Julie Crenn julie.crenn@branded.fr Rubrique Livre Jordan Alves jordan.alves@branded.fr Rédacteurs : Florence Bellaiche, Ricard Burton, Stéphanie ­Gousset, Madeleine Filippi, François Truffer, Antonin Amy, ­Pauline Von Kunssberg, Ludovic Derwatt, Marie ­Medeiros, Mathieu Telinhos, Chloé Dewevre, Joey ­Burger, Ema Lou Lev, Jen Salvador, Benoît Blanchard, Len Parrot, Marie Testu, Benoit Forgeard, Alexandra El Zeky, Marianne Le Morvan, Blandine Rinkel, Mathilde Sagaire, Cheyenne Schiavone, Pauline Pierre, Virginie Duchesne, Marion Zilio, Florian Gaité, Tiphaine Calmettes, J. Élisabeth, Eugénie Martinache, Florence Andoka, Julien Verhaeghe, Anaïs Lepage, Pascal Lièvre, Mickaël Roy, Vanessa Morisset, Julie Cailler, Lili Lekmouli, Sabrina Belemkasser, Charline Guibert, Pauline Lisowski, Gérard Love, Nariné Karslyan, Kristina Mitalaitė, Laurence Gossart

Page 01 : Courtesy Erwan Venn Page 10 : Courtesy Sylvain Rieu-Piquet Pages 12-13 : Courtesy Sylvain Rieu-Piquet Page 15 : Courtesy Sylvain Rieu-Piquet Pages 16 : Courtesy l’artiste & Galerie Escougnou-Cetraro Page 19 : Courtesy l’artiste & Galerie Escougnou-Cetraro Page 21 : Courtesy l’artiste & Galerie Escougnou-Cetraro Pages 22-23 : ©Nobuyoshi Araki Page 26-27 : ©Martin Parr Page 29 : ©Nan Goldin Page 32 : ©Fondation Cartier/photo Luc Boegly Page 34 : Courtesy Mélanie Pottier Page 37 : Courtesy Mélanie Pottier Page 39 : Courtesy Mélanie Pottier Page 40 : Courtesy Mélanie Pottier Pages 42-42 : Courtesy Mélanie Pottier Page 45 : Courtesy Mélanie Pottier Page 48-49 : ©Paz Errazuriz Pages 51-54 : ©Paz Errazuriz Page 56 : Courtesy Morgane Vié Pages 75-95 : Courtesy Erwan Venn Page 98 : ©re:voir - Marcel Hanoun

Contributeurs : Alizée de Pin, Jérémy Louvencourt, Julia ­Lamoureux, Morgane Baltzer, Camille Potte, Mathieu Persan

EN COUVERTURE ERWAN VENN

Headless 01 83 x 155 cm, impression numérique sur Dibond. Edition de 1 sur 3, 2011

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ET ILS DISENT QU’IL S’EST ENFUI

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SYLVAIN RIEU-PIQUET FLORIAN GAITÉ

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L

’œuvre graphique de Sylvain Rieu-Piquet est le fruit d’une rêverie féconde focalisée sur les dynamiques de croissance du vivant. En faisant retour à un état de conscience préréflexif, le plasticien renoue avec l’intuition d’un ordre et d’une sophistication naturelles dont il traduit graphiquement les formes. Biomorphiques et complexes, ses motifs dessinent des processus arborescents, des structures courbes et des mouvements de prolifération qui se répandent à la surface du calque, le plus souvent de grands formats, à la manière d’une écriture inconsciente ou d’un végétal qui croît. Cette esthétique de la morphogenèse déploie des figures familières bien que non spécifiquement identifiables (racines, radiolaires, fractales, volutes de fumée ou bourgeons en fleurs), proches d’un état embryonnaire de la matière, en un sens malléable et incon-

sistante, disponible à la métamorphose. A force de détails et de minutie, Sylvain Rieu-Piquet façonne l’iconographie d’une nature imaginaire, prenant clairement des libertés avec la représentation naturaliste. L’élégance ornementale de ses compositions ne saurait ainsi masquer le profond travail de réinvention qu’il entreprend, rivalisant de technicité avec la nature pour engendrer ses propres formes. De ses sculptures fourmillantes à ses dessins manuélins, alliant baroque et minimalisme, il met en scène dans son œuvre un micro-théâtre fantasmé du vivant qui renoue avec l’extraordinaire complexité de son origine.

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Engagé dans la recherche d’un dessin sans dessein, Sylvain Rieu-Piquet laisse libre cours à l’imprévisible et à la bifurcation accidentelle, sans pour autant manifester une spontanéité totale. La patience comme mode opératoire, il focalise son attention sur les infimes variations de sa frise insensée, et plonge dans une rêverie poétique, aussi fertile qu’active, décrite par Bachelard dans les termes d’une absorption de la conscience: « une image se met au centre de notre être imaginant. Elle nous retient, elle nous fixe. Elle nous infuse de l’être. La conscience est alors conquise par un seul objet du monde, un objet qui, à lui seul, représente le monde. »i. Entre éveil et attention flottante, le plasticien modèle des représentations amorphes qu’il déploie d’une façon quasi obsessionnelle. De L’Ile des ravissements, une miniature où s’enchevêtrent des centaines d’éléments de décors et de personnages modelés, jusqu’à ses Calques, réalisés au contraire avec une réelle économie de matière, Sylvain Rieu-Piquet affiche en effet un même goût compulsif pour la finition et le détail, comme si à la dilatation de sa conscience correspondait la propagation scrupuleuse de son imaginaire. A la croisée des planches de Haeckel et du merveilleux naturel de Caillois, les compositions de Sylvain Rieu-Piquet jouent librement de la tension entre l’ordre nécessaire de la nature, son « design » codifié, et la contingence de ses développements spontanés, sa singulière « plasticité ». Influencé par l’ouvrage de référence de D’Arcy Thompson, On Growth and Form, le plasticien applique les principes physicochimiques de génération au dessin pour créer des formes hybrides et pseudo-naturelles, sans équivalents véritables. Partant du constat de l’identité des mécanismes de croissance des organismes (végétaux, animaux, humains) et des lois physiques (la cristallisation, la propagation d’un liquide), Sylvain Rieu-

Piquet envisage la nature comme un modèle esthétique matriciel, à partir duquel imaginer un univers visuel réticulaire, autant marqué son élégance que par son monstrueux onirisme. Sylvain Rieu-Piquet pousse la logique rhizomatique de ces dessins jusqu’à produire des œuvres acentrées, sans début, ni fin, sans sens imposé, ouvertes à l’accident et aux développements spontanés. Dans une certaine mesure inachevés, ou bien plutôt infinis, leurs centres de gravité se dissolvent en tourbillons, en détours et en sinuosités, de façon à produire une instabilité graphique, propice à un regard diffus, qui glisse à la surface des formes. L’emploi de feuilles de calque renforce cet effet en proposant des étendues sans aspérité, dont la superposition crée un jeu de voilement qui trouble un peu plus l’identification du plan de visibilité. La composition progresse du centre vers les bords extérieurs selon un rythme irrégulier qui déjoue toute interprétation narrative : effets d’évasion, de concentration, de dissolution ou d’écart jalonnent en effet un parcours de lecture littéralement méandreux. Sylvain Rieu-Piquet procède, en outre, selon un principe métonymique, installant des formes dans les formes, qui contrarie encore davantage la linéarité de leurs développements individuels, tout comme le choix du grand format, privilégié dans son œuvre, donne l’occasion d’une immersion qui invite à une circulation visuelle sans repère. Proposant ainsi l’expérience d’une errance contemplative au cœur de la micro-événementialité du vivant, Sylvain Rieu-Piquet donne finalement corps à une plasticité invasive dont la force de prolifération s’étend à l’esprit de celui qui s’y perd.

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Nocturnes

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DANS L’OMBRE DES ­MÉTAMORPHOSES DU CERCLE DE LUDOVIC SAUVAGE L A U R E N C E G O S S A RT

« L’esprit projette ses rayons du centre à la périphérie. S’il s’y heurte, il s’arrête, et recommence de tirer, à partir du centre, de nouvelles lignes de force ; de sorte que s’il n’est pas permis de dépasser les limites de son cercle, il faut au moins le connaître et le remplir de son mieux »1 J.W. Gœthe

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udovic Sauvage présentait au mois de juin une pièce très sensible, Le jardin des pieuvres2, directement issue de sa pièce précédente Plein Soleil. Directement, car il s’agit bien des contre-formes, ou des chutes si l’on veut, de cette dernière. Des disques découpés de façon aléatoire dans des diapositives de paysages que l’artiste monte sous cache de diapositive et placé dans un projecteur muni d’un carrousel. Sur le mur de la pièce plongée dans la pénombre, mur préalablement enduit de micas, apparaissent des petits paysages de format circulaire. Ce format, comme la mise-au-noir de la pièce, instaure 1

1 Gœthe, Johann Wolfgang, von, cité par Georges Poulet in, Les Métamorphoses du cercle, Plon, Agora, Paris, 2016, p 271 2 Le Jardin des pieuvres, Galerie Escougnou-Cetraro, Paris, juin 2016

un univers intimiste dans lequel le spectateur est happé. De petits paysages très délicats aux nuances colorées irréelles, des pièces raffinées et belles dont les couleurs caressent les formes et les dessinent, les rehaussent et affinent. Les images se succèdent, le cycle du carrousel s’écoule puis recommence. Et la perception se renouvèle. Comme si à chaque passage, à chaque révolution, les images changeaient mais il n’en est rien. La persistance rétinienne agit sur la perception. Elle lie les images entre elles, chacune redéfinissant la suivante, chacune se révélant à la lumière de la précédente. Le passage des images, rythmé par le cliquetis régulier du projecteur, créé une atmosphère hypnotique et l’ensemble du dispositif de présentation participe pleinement de cette sensation. L’œuvre recèle des accents mélancoliques. En effet, Ludovic Sauvage multiplie ici des images surannées de paysages atemporels dont les pulsa-

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tions de vie semblent s’être cristallisées dans les dessins dentelés déposés par les encres sur le pourtour des disques. Comme dans des boites de Pétri, des formes nouvelles s’accomplissent. Matière, texture, surface sont transformées et l’échelle initiale est dissoute par le traitement des encres colorées. A l’instar des paysages aquatiques ou d’aquarium, le lavis déforme, abime, transforme. L’image se dissout dans la chimie des encres colorées et ces dissolutions transforment la dimension iconique pour produire de petites icônes. Une forme de préciosité en émane. Des paysages comme des bijoux impalpables qui n’existent que dans cette lumière diaphane. Les vues sont comme perçues au travers d’un œilleton, d’une loupe, d’un hublot ou encore d’une longue-vue. Les couleurs irréelles et les métamorphoses qui s’opèrent au cœur de ces paysages circulaires ne sont pas sans évoquer les univers fabuleux et oniriques d’un Capitaine Némo ou d’un Commandant Cousteau. De cette série se dégage quelque chose que l’on pourrait qualifier d’« auratique », pour parler avec Walter Benjamin3. Ces images ne sont pas sans évoquer la photographie naissante du XIXème siècle du fait des effets de vignettage, de la transformation des vues et du brouillage de leur lisibilité dans le processus d’évolution des chimies. Ces mécanismes de transformation du multiple au singulier, de l’objet à la surface, délocalisent l’œuvre et la rendent nomade. Se prêtant à de multiples propositions et inventions avec les supports (murs, écrans, vêtements, étole de soie…), l’image s’offre une régénérescence inscrite au cœur même des dispositifs mis en œuvre par Ludovic Sauvage. L’espace de projection apparaît comme une ressource latente. L’unicité et le multiple sont des potentiels en suspens de ces dispositifs protéiformes. Le « hic et nunc », l’« ici et maintenant » étant chaque fois reconfiguré, principe même inscrit dans la façon dont Ludovic Sauvage conçoit ses images. Elles sont mouvantes et sont sujettes à de nombreuses métamorphoses. Le modèle photographique vient ici faire pivot en déclinant ses 3 Benjamin, Walter, trad. Lionel Duvoy, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, Paris, 2012

mécanismes. La trouée de Plateau store concentre les phénomène de perception dans la réversibilité du store vénitien qui fait à la fois écran et image. Ce dispositif, dans lequel l’idée même d’écran se décline (faire écran pour la lumière ou faire écran à cette dernière ?) s’actualise totalement lorsqu’il est présenté devant une fenêtre ouverte d’un appartement haussmannien du XXème arrondissement de Paris4. L’écran de feutrine bleue nuit rend la lumière visible et met en évidence les métamorphoses qu’elle opère. Mais, ce qui avant tout agit comme principe de métamorphose, c’est la façon dont Ludovic Sauvage s’approprie les images. Des diapositives qu’il trouve, qu’on lui donne, qu’il récupère, un premier geste de glanage qui permet la transformation du statut de l’image. De celui de rebut elle passe à celui de matériau, puis fait l’objet d’un autre geste, celui de la perforation. C’est dans ce geste minimal que les métamorphoses du cercle s’opèrent. Par la perforation circulaire il ouvre un champ, ou plutôt un hors-champ, que l’image ne comprenait pas. Il ouvre l’image, crée une incision dans l’espace clos qui était le sien. La série Nocturnes joue de ces incisions. Des images de fleurs sur fond noir dont la sensualité féminine est redoublée par la perforation circulaire mais aussi par le déplacement de l’opercule ainsi créé. Un geste infime mais qui inscrit une forme de petite lune au centre de chaque image, lune dont la symbolique féminine circonscrit les sens et confère à ces œuvre un érotisme subtile. La perforation, geste initial, laisse pénétrer au cœur de l’image une douce lumière et un sens possible. Si violent que puisse paraître le geste, il offre au contraire la possibilité d’une dialectique que Ludovic Sauvage décline au travers des supports qui accueillent ces images. Les voiles de soie graciles laissent flotter ces bouquets pour les laisser se déposer au grès des plis, entre souffle et pesanteur.

4 Double séjour, évènement créé par Thomas Havet les 24, 25 et 26 juin 2016

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Plateau – store - Store en tissu - 250 x 270 cm - 2014 - Courtesy galerie Escougnou-Cetraro

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Microcosme et macrocosme se dilatent et se concentrent de présentation en présentation. Suivant les lieux et les supports sur lesquels Ludovic Sauvage projette les œuvres, elles se donnent, s’offrent différemment au regard. Entre le jour et la nuit, dans ces dédoublement d’images et ces miroitements qui se croisent, des milieux ( au double sens du terme ) s’invitent progressivement, milieux au sein desquels se développent le vivant et le mouvement. A contrejour, ces projections d’images relèvent parfois ce que François Jullien nomme L’Eloge de la fadeur5. Ce principe intrinsèque à l’ensemble de son travail permet une dilatation des potentiels, et, de fait, inscrit en lui une part vivante, une part mouvante. « L’idéal qui anime un artiste chinois, c’est de réaliser le microcosme vital en qui le macrocosme sera à même de fonctionner6». Si la philosophie orientale n’est pas l’unique source de l’œuvre de Ludovic Sauvage, elle l’irrigue par les pulsations vitales qui se jouent dans ce tissu de relations. Et le cercle a ici un rôle processuel dans ces jeux de contraction d’échelle. La dimension cyclique et circulaire implique le mouvement, tel une roue, une avancée, des lignes de forces qui se dessinent du centre à la périphérie, et inversement, du plein au vide, de la Lune au Soleil. Si les éléments naturels semblent faire motif, ils semblent aussi faire processus. L’œuvre de Ludovic Sauvage joue des cycles de la nature. Cycles, cercles et disques organisent l’univers créateur de l’artiste, entre le plein et le vide d’une réflexion sur le geste minimal.

turnes vient ponctuer par les volutes de ces pétales et les révolutions délicates de ses croissants de lune. Par cette suggestion du cycle astral, par ces simples incisions, Ludovic Sauvage met en mouvement une poétique des images, en désaxe le centre pour mouvoir le sens. D’une certaine façon le ciel s’inscrit dans la terre, l’ensemence et lui donne vie. Entre le plein et le vide, le subjectile s’absente, se déplace, se renouvèle tout en révélant et ressourçant l’image. « En face du Plein, le Vide constitue une entité vivante, écrit François Cheng. Ressort de toute chose, il intervient à l’intérieur même du Plein, en y insufflant les souffles vitaux. Son action a pour conséquence de rompre le développement unidimensionnel, de susciter la transformation interne et d’entraîner le mouvement circulaire»7. Des métamorphoses du cercle dont les pulsations vibratiles enchantent les paysages et bouquets de fleurs dont les volutes graciles promettent l’ouverture délicate d’un pétale ciselé de lune. Comme un contre-jour dans l’ombre raffinée d’un plein soleil.

Le cercle permet de constituer un univers onirique mais il est aussi un espace symbolique, une plénitude, un accomplissement au sein duquel évoluent les formes. Si Plein Soleil renvoie, en creux, à l’astre solaire, Le Jardin des pieuvres évoque un univers plus sombre, plus intimiste, proche de la lumière lunaire, phases que le crépuscule des Noc5 Jullien, François, L’Eloge de la fadeur, A partir de la pensée et de l’esthétique de la Chine, Paris, Le Livre de Poche, 1993 6 Cheng, François, Vide et plein, Le langage pictural chinois, Seuil, Paris, 1991, p 12

Plein soleil Installation Diaporama 81 diapositives perforées Dimensions variables 2014 Courtesy Galerie Escougnou-Cetraro

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Ibidem, p 74


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RÉFLEXION ­PSYCHANALYTIQUE AUTOUR DU PROCESSUS DE CRÉATION D’UNE ŒUVRE ­PHOTOGRAPHIQUE

SABRINA BELEMKASSER

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Nobuyoshi Araki Winter Journey 1991

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« ON NE FAIT PAS TOUJOURS DES PHOTOGRAPHIES COMME ON EMBAUME ET ENTERRE DES CADAVRES. ON EN FAIT AUSSI PARFOIS COMME ON METTRAIT DES GRAINES EN TERRE, EN ATTENTE DE LA FLORAISON À VENIR, À CONDITION QUE NOUS DÉCIDONS DE LES ARROSER. » 1

SERGE TISSERON

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n tant que représentant éternel de l’objet absent,1il est aisé d’associer la photographie à la sphère mélancolique : c’est-à-dire l’échec du deuil, l’échec de l’acceptation de la perte de l’objet2. Roland Barthes, via La chambre claire (1980) illustre tout à fait cette association : par l’intermédiaire des photographies de sa défunte mère, il nous montre comment il recherche inlassablement à la retrouver, la plus ressemblante soit-elle. Certaines de ses phrases sonnant alors comme un triste refus de s’engager dans un deuil. Consécutivement, l’on pourrait alors imaginer la démarche même du photographe surplombée par la mort : appuyer sur le déclencheur

de l’appareil viserait à éteindre tout mouvement, toute vie en l’objet photographié. Puis, le développement de la photographie comme un acte permettant l’omniprésence des objets disparus et donc l’impossibilité de traverser le deuil. Pourtant, la psychanalyse nous apprend à quel point la mort et la vie sont liées et que derrière un environnement d’apparence mortifère, se cache la vie. La mise en perspective du processus de création avec les concepts psychanalytiques nous laissent alors entrevoir comment la démarche de création d’une œuvre photographique peut constituer un acte de vie, un acte d’amour.

1 Tisseron, S., (1996), Le mystère de la chambre claire. Paris, Champs-Flammarion, 1999. 2 Freud, S., (1915), « Deuil et mélancolie », in Métapsychologie. Paris, Gallimard, 1968

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LA PHOTOGRAPHIE COMME MÉDIA RELATIONNEL Selon la conception psychanalytique, le lien est synonyme de vie psychique. Tout ce qui met en lien témoigne des pulsions de vie de l’Homme. En mettant en jeu œil et main, l’acte de photographier apparaît d’emblée comme un potentiel vecteur de lien. En effet, la dimension relationnelle du corps est fortement impliquée dans l’acte du photographe : il va voir puis regarder l’environnement humain et objectal (via l’œil), le capter et l’intégrer en lui par la prise de la photographie (via la main), puis le rendre à l’extérieur en développant et exposant sa production qui devient alors découverte par l’Autre. Ainsi, le photographe se laisse transfigurer par l’environnement et lui offre en retour son image transformée, faisant de son acte de création un acte généreux d’amour. L’aller-retour entre le monde extérieur et l’intime met bien en lumière le processus psychique

de liaison, l’apanage de la pulsion de vie (Eros)3. Martin Parr, tant au travers de ses photographies que de ses interviews, nous enseigne combien cette liaison réside au cœur du processus de création d’une œuvre photographique. En effet, l’artiste semble fasciné par la banalité du quotidien des Hommes ; en liant ces banalités environnementales avec son spectre interne, en ressortent des photographies surprenantes mais où le lien (entre les humains ; entre un humain et un objet, notamment l’objet nourriture …) demeure toujours intact. Pour ce, il n’hésite pas à user de métaphores iconographiques cocasses.

3 1950.

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Freud, S., (1938), Abrégé de psychanalyse, PUF, Paris,




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Double page précédente - Martin Parr - Life’s A Beach - Spain - Benidorm - 1997

LA PHOTOGRAPHIE COMME ACTE THÉRAPEUTIQUE Chez certains artistes, l’acte de photographier va audelà et sonne comme une nécessité vitale. Ici, c’est comme si la création représentait l’objet pouvant mettre un peu de vie dans un flot de pulsions mortifères. En projetant sur le déclencheur un reliquat de son espace interne, le photographe vient comme se libérer d’affects sombres et apporter une motion à son Eros. Le cliché vient alors rapprocher Thanatos d’Eros et libérer l’artiste de l’enfermement en lui permettant de développer puis exposer son inconscient. C’est bien une fonction thérapeutique qui se retrouve là : remettre du désir là ou siège la mort.

comme le battement du cœur ». Ainsi, la motricité du corps engagée dans l’acte et la propriété sonore intrinsèque de l’appareil viennent rejoindre la sphère émotionnelle de l’artiste. De son côté, Goldin marquée par le suicide de sa sœur entreprend son chemin artistique en photographiant sa famille : il s’agit, par cet acte de création, de remettre de la vie dans une famille psychiquement morte. Plus tard, l’on retrouvera un processus similaire : Nan Goldin, battue par son compagnon, ne s’arrêtera pas au cliché de son visage défiguré mais nous invitera, par ses photos, dans l’intimité de scènes d’amour et de sexualité.

Dans ce courant, l’on pourrait citer Nobuyoshi Araki ou Nan Goldin. A partir du décès de sa femme (qu’il photographiera jusque dans son cercueil), Araki semble trouver un élan vital à travers la photographie : ce moment signe le début d’une création prolifique (comme en témoigne le nombres de clichés exposé à chacune de ses expositions). Ses créations mettent alors en scène multiples imagos de la pulsion de vie, notamment l’érotisme qu’on lui associe si bien. Il dira même : « je ne peux vivre sans un appareil photo. … Le son du déclencheur est

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Nan Goldin - Nan and Brian in bed - NYC - 1983

Il est incroyable de constater à quel point la photographie et la psychanalyse parlent le même langage : déclencheur, filtre, rembobiner, transfert… L’éclairage de l’un par l’autre apparaît comme éloignant à perte de vue mélancolie et aliénation en faveur d’un plaidoyer pour l’amour.

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BIOPHONIE,

LE CHANT DU BRUANT ET DE L’AMAZONE

JULIE CAILLER

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« Le silence n’existe pas. Il se passe toujours quelque chose qui fait un son »

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e grand orchestre des animaux est une exposition présentée actuellement par la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Elle dévoile une installation du même nom, du collectif UVA1, créée à partir des études sur l’écologie sonore du musicien et bioacousticien américain, Bernie Krause. Ça craque. Ça cajole. Ça siffle. Ça bourdonne, vrombit, craquette, coasse, vagit, piaille, hurle, feule … et finalement ça chante. Dans ce qui semble être une cacophonie bruyante se tisse pourtant un rythme ordonné, complexe et dense et où aucune dissonance ne résonne. La biophonie est un terme inventé par Bernie Krause pour décrire les sons émis par les 1

United Visual Artists

John Cage Pour un orateur

organismes vivants. Chaque cri, chaque chant vient frapper notre écoute par la subtilité de ses tonalités. Les sensibilités d’un monde animal sonore, inconnu de nous et dont Krause a enregistré les nuances et les variations, nous apparaissent alors. Élément d’un triptyque des sons et des bruits du monde, dont la géophonie et l’anthropophonie font partie, la biophonie est ici retranscrite en une installation sonore mais aussi visuelle grâce à un écran qui parcourt sans discontinuer trois des murs de la salle qui l’accueille avec, à ses pieds, un bassin d’eau dont la surface vibre aux rythmes des fréquences. Selon une notion développée par Raymond Murray Schafer et définie en tant que « champ d’étude acoustique », Krause présente un ensemble de

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7 « paysages sonores » d’une douzaine de minutes. Cet ensemble est inauguré par un film introductif de Raymond Depardon et de Claudine Nougaret et d’une série de brefs paysages sonores, un avant/après, montrant l’impact de l’homme sur le tissu biophonique et sa dégradation manifeste. Dans l’obscurité, ces paysages sonores s’éclairent et prennent forme en un panorama abstrait et monochrome, évoquant la silhouette d’une skyline, la représentation d’une forêt. Les signaux lumineux se font alors échos et donnent non


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Vue de l’exposition Le Grand Orchestre des Animaux - Fondation Cartier - Paris - 2016 - photo Luc Boegly

seulement une visibilité mais aussi une attention inédite à la dimension presque haptique à ce qui ne l’est fondamentalement pas. Sous nos yeux, un sonagramme mouvant, la représentation du temps, de la fréquence et de l’intensité du son, une évolution spectrale en temps réel se déploie de la gauche vers la droite, dévoilant la texture et la tessiture, la densité et la richesse du souffle et des voix animales. La rugosité d’un grondement ou la douceur d’un chant, leurs éclats fracassants comme leurs notes imperceptibles pour l’oreille humaine révèlent l’accent

d’un territoire, l’intonation d’un moment de la journée ou d’une saison. Ainsi se met en image le grand orchestre du monde animal de Krause, cette concertation singulière qui nous échappe et qui fait son. Dans un ordre immuable, la succession des chants de la nature éclot avec l’aurore, les insectes, les amphibiens puis les reptiles, les oiseaux enfin et pour finir, les mammifères. Comme toile de fond, de jour comme de nuit, les insectes se relaient dans un chant perpétuel, maillage infini sur lequel le

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reste de la faune vient s’appuyer, poser ses cris et ses vocalises. Harmonie invisible, dialogue obscur, chaque espèce s’exprime dans une fréquence qui lui est propre, à un moment qui lui est donné, une signature sonore que Krause nomme « niche acoustique ». L’animal, oiseau, insecte ou encore mammifère, communique sur un territoire vocal sans empiéter sur celui d’un autre. Cette partition, cette répartition des espaces des voix manifeste une attention aux autres, une écoute réciproque des espèces essentielle pour ceux dont la survie importe.


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Écouter. Cette installation nous incite à écouter, à nous déplacer sur le territoire des sens, à nous détacher d’un monde dans lequel prime la vue, une prédominance qui nous restreint dans nos perceptions sensorielles et nous dépossède d’une captation sensible autre. Déstabiliser le spectateur, le renverser, incliner son corps et son regard, l’allonger, l’inviter à se détourner de la séduction visuelle du dispositif, du défilement quasi hypnotique de l’orchestration lumineuse, lui faire prendre conscience de la préciosité de l’invisible, de la délicatesse de

la polyphonie du monde, de la prégnance de sa fragilité, de son altération patente et fondamentalement, de sa disparition imminente. Au-delà de la dimension esthétique, visuelle et sonore, de l’installation, il s’agit d’entendre ce qui se joue, plus de la moitié des paysages sonores de Krause ne peuvent plus aujourd’hui être écoutés dans leurs milieux naturels et seuls les enregistrements témoignent de leurs biophonies originelles. Les sons périssent au profit des bruits et ce vide défait l’ouvrage

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du grand orchestre animal. Le silence n’existe pas et certaines voix animales se sont tues. À présent, il est nécessaire d’écouter, en espérant que ne cesse le chant du bruant et d


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Série Révolution - 60 cm x 40 cm. Tirage numérique jet d’encre pigmentaire, encadré

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L’ART DU MÉDIA DE ­MÉLANIE POTTIER OU DU FÉMINISME COMME DE LA GUERRE FROIDE N A R I N É K A R S LY A N E T K R I S T I N A M I TA L A I T Ė

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élanie Pottier réquisitionne la création multimédia pour la guerre féministe. C’est une guerre, car elle est sans la moindre concession, sans trêve au male gazeness1 et à son objectivisation de la femme. Elle est froide, car il ne s’agit pas d’un affrontement explosif, spectaculaire mais d’un terrorisme lent et patient, car le but n’est pas moindre : faire exploser l’hégémonie du regard masculin dans sa sémantique. Comme le remarque Jonh Berger, dans son Ways of Seeing, deux choses déterminent notre relation au monde : l’acte de regarder et la conscience d’être vu. 1 Inventé par l’historienne du cinéma, féministe Laura Mulvey 1975, pour définir l’objectivité et la passivité totale de la femme proposée toujours au regard masculin, personnage actif, sur l’écran. Male Gazeness s’est transformé en concept utilisé par les historiens d’art féministes et par les différentes autrices sur le gender.

Dans les mass média, l’homme détermine le regard sur la femme, alors qu’elle se voit et voit les autres femmes à travers le regard masculin. Autrement dit, en utilisant l’heureuse formule de L. Mulvey, la femme est l’objet « pour-être-regardé » (looked-atness) Le terrorisme dans la guerre froide de Mélanie Pottier consiste en usure du regard et en sa fatigue par les signes du langage médiatique sur la femme perçue comme « pour-être-regardée » : le rose des petits cœurs de la Gynécée cantonne les femmes dans la cuisine comme dans un ghetto ; la sexualisation des couleurs (bleu / rouge), du vocabulaire et d’objets valorisant le mâle, lui promettant toutes les aventures cosmiques et préparant la fille dès leur naissance pour la corvée aliénant de la maternité (Nr 2), etc. La saturation de la langue mue parfois au paroxysme les femmes ne se distinguent plus des

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poupées, mannequins plastiques figées des journaux de mode (La langue rose et les mots verts) , elle vire à la satire (le 28e jour) ou elle développe une syntaxe plus compliquée (femme-poupée qui se fige dans la neige, sur le fond clairement virginal, en plein soleil radieux comme promesse d’histoire romantique). Rhyparographie : Such a queer hand ou de l’art lesbien La main ne montre rien, elle signifie. Le cadre pompeux dans laquelle elle est encadrée, exige la monstration, la main entre temps la nie efficacement : le seul objet à voir, elle ne montre rien et elle se complet dans cette non-monstration. Elle est rhyparographique de surcroît. La rhyparographie était définie par Pline Ancien dans le livre 35 (12) de l’Histoire naturelle, où il décrit l’artiste Piraeicus comme le premier artiste connu de ce genre. L’infériorité de son art ne se concevait pas dans la maîtrise technique, mais dans le choix des sujets : des boutiques de barbiers et de cordonniers, des ânes, des comestibles, tout ce qui ne concernait les dieux et les citoyens romains. Or, les choses ou les objets viles (« rhypos » envoie en grec à la saleté, l’impropre) renvoient avant tout chez Pline à la réalité ordinaire, celle qui n’est pas digne d’être représentée. Néanmoins, la banalité devient fascinante dans l’image : comme le précise Pline, l’art de Piraeicus s’avérait être très payante. Un autre rhyparographe Pieter Aertsen, introduit la saleté de son art sur le registre social : le marché, les fêtes des paysans, la cuisine. Les paysans ivres dansent entourés des signes de leur bassesse sociale : des détritus de la nourriture. Le peintre exploite un autre niveau de l’impropre plus abstrait : la viande crue sous toutes ses formes (la tête coupé de vache, des faisans qui, dans leur plumage, attendent d’être mis en nu jusqu’à leur chair). La main rhyparographique de Mélanie Pottier revendique une nouvelle saleté, celle du genre et de la sexualité. Le cadre de style Louis XV, derrière lequel sort la main, articule quelques points de l’histoire sexuelle dans l’art. La main représente le corps fragmenté, car la pars signifie métonymiquement

tout le corps. Selon la critique d’art féministe Linda Nochlin, s’inspirant de l’art de la publicité du marché de viande, la peinture moderniste a introduit dans les tableaux les parties fragmentées du corps de femmes. Toujours selon la critique de l’art américain, les jambes et les pieds coupés par le cadre dans la partie supérieure du « Bal des masques » de Manet sont bien « genrés » : les chaussures à la mode, les bas fétichisant ces parties-fragments corporels renvoient bien aux corps des femmes. Ils font fantasmer le regard masculin sur le corps invisible mais bien figurable de la femme. La main rhyparographique de Mélanie Pottier assume jusqu’à la radicalité la saleté de l’ordinaire de la main asexuée. L’approche du spectateur ne peut procéder que par la multiplication des questions. Que voyons-nous au juste ? Une main sans aucune ornementation : ni bague, ni laque aux ongles, ni bracelet. Est-elle donc masculine ou féminine ? Enfin, la main est bien « asociale » : s’agit-il d’une personne riche ou pauvre ? Le fond blanc du drap froissé sur lequel se réponse la main ne nous donne pas de pistes supplémentaires : s’agit-il du lit d’amour, du lit de l’hôpital ou encore de la nappe ? Mélanie Pottier utilise efficacement la dialectique de l’échappement à une réponse précise en créant la polysémie des pistes autour du corps. Or cette saturation de la connaissance révélant le vertige du vide plaide aussi pour le dilatement du genre. S’affirmant en tant qu’artiste féministe Mélanie Pottier va à l’affrontement radical de la fétichisation sexuelle du corps féminin, tel que nous voyons, par exemple, chez Manet. Le regard masculin demeure profondément frustré devant la main rhyparographique.

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Il reste néanmoins encore un autre sens de la main à explorer, si nous la considérons dans les cadres de l’art lesbien. La main est un organe sexuel puissant chez les lesbiennes. L’horizontalité bien signifiée de la main revendique son érotisme au détriment de celle des nus dans la peinture du xixe siècle2. C’est sur ce premier registre, que la main, se reposant sur le drap blanc des amoureuses, réacquiert son aspect sexué pour revendiquer toute sa saleté provenant de l’érotisme lesbien. Dans son texte « Against cultural amnesia », l’artiste féministe lesbienne Harmony Hammond a avoué la difficulté de concevoir l’art lesbien et son érotisme sans retomber dans le piège du male gazing. La main rhyparographique réussit à s’imposer comme un symbole proprement lesbien : son érotisme ne s’active que dans les yeux de public lesbienne, tandis que le regard masculin reste à sa faim, plus encore, il est frustré. 2

Rhyparographie - 40 cm x 60 cm. Tirage numérique jet d’encre pigmentaire, encadré

Cf. par exemple Paul Baudry, La Perle et la vague

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Iconoclasme du vagin glorifié pop et la guerre contre la fragmentation sexuée du corps féminin II (l’Autre) Mélanie Pottier revient à la problématique de la fragmentation du corps féminin en gardant toute la radicalité du questionnement dans l’Autre qui montre le vagin en gros plan, duquel sortent les pieds d’une Barbie. La dialectique de la fragmentation du corps et de la rhyparographie est toujours là, mais elles s’articulent différemment. La dernière s’exprime ici comme analogie : le torse aux jambes écartées de l’Autre est en rapport avec la volaille décapitée, déplumée et vidée des natures mortes hollandaises. Dans le tableau de P. Aertsen Marthe préparant le diner pour Jésus (Musée Toulon) – la cuisinière, dans un geste de monstration, expose deux volailles dans la nudité de leur chair. L’impropre et le caractère vile de ces objets déterminent cette fois-ci l’impossibilité de leur définition : ils ne sont en fait ni une entité corporelle, ni tout à fait la chair (Aertsen souligne cet état de l’entre-deux en faisant exploser à un endroit la peau d’une volaille et en montrant la plaie du cou coupé de la seconde). Le torse féminin à l’ouverture-volaille acquiert clairement sa crudité pornographique dans l’« Origine du monde » de Gustave Courbet : l’absence de la tête nie l’importance du prototype et efface toutes ses caractéristiques individuelles, sociales ou d’autres. Linda Nochlin remarque que l’Origine ne diffère en rien des images populaires des beavers shots de l’époque du peintre. La chaire pornographique par excellence de l’Origine, prévue pour la contemplation voyeuriste d’un client masculin (Khalil Bey, ancien ambassadeur de Turquie) chez Courbet est la soumission totale du corps féminin pour le male-gazeness : le sexe fermé et jambes ouvertes de la femme invite le regard mâle à son ouverture et le sein furtivement dénudé sert comme support complémentaire « au-cas-où ». Courbet légalise ainsi la pornographie chic, en la sortant de la basse-cour et en l’introduisant sous la forme de la volaille déplumée dans les sphères de l’art suprême.

L’Autre anti-courbien de Mélanie Pottier s’attaque au symbole quasi tautologique du regard masculin. Si la photographie répète la position frontale des jambes ouvertes au regard, elle brise l’un des codes féminins de la société hétérosexuelle occidentale, celui de la passivité. Le vagin est presque trop proche, il ne respecte pas la distance « décente », il interpelle plutôt que se soumet. Son ouverture le transforme par la métonymie en l’œil qui regarde. Néanmoins le vagin de l’Autre, qui s’inscrit dans l’art féministe, ne cherche pas à fêter sa libération de la passivité et, encore moins, de s’auto-glorifier. Nié par certains artistes comme étant un objet par excellence de l’art féministe et / ou lesbien3, le vagin a été pris comme le signe absolu de l’identification par les autres : accidentellement par Judy de Chicago ou essentiellement par Hannah Wilke pour ne citer que deux exemples notoires. Si la glorification de la vulve chez cette dernière, par exemple, complote clairement avec l’essentialisme féministe, elle risque surtout le rétro-glissement vers l’objectivisation de la femme pour le male gazing. L’Autre court-circuite ce danger : les jambes de la Barbie sortant du vagin ouvert sont un blasphème contre la vulve-icône ; les pieds en plastiques deviennent comme un crachat acide qui menacent toute la lecture masturbatoire.

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L’Autre. - 50 x 66,6 cm - Tirage numérique jet d’encre pigmentaire, encadré

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Série Révolution - 60 cm x 40 cm. Tirage numérique jet d’encre pigmentaire, encadré

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Re-volution Anti-essentialiste à la base la Révolution de Mélanie Pottier propose une construction historique de l’identité lesbienne comme d’un genre. L’étymologie de la re-volutio porte un sens inattendu : c’est un mouvement circulaire à répétition. En fait, la théorisation du genre par les féministes, rappelle le mouvement à répétition du déroulement de l’idée en arrière, en rétrograde. Si le féminisme lesbien des années 70 se bat pour la désexualisation de l’identité lesbienne, les années 80 tardives exploitent sa fantaisie et son désir, les années 90 se situent aux antipodes des 70, en voulant la sexualité lesbienne comme essentielle dans son identité. Teresa de Lauretis remarque que la construction des « technologies du genre » va avec la déconstruction des technologies précédentes. La construction emprunte inévitablement ce mouvement circulaire rétrograde, révolutionnaire donc, qui est d’une certaine manière déterminée par la particularité du sujet féministe et/ ou lesbien : exister à l’intérieur et, en même temps, à l’extérieur du genre. Ainsi, la participation dans l’idée de la « femme » est quasiment inévitable idéologiquement et politiquement parlant, car elle définit son existence à l’intérieur du genre ; en même temps, être une femme et/lesbienne individuelle construit ses propres relations d’appartenance et définit l’existence en dehors du genre. Dans la série Révolution, Mélanie Pottier poursuit le mouvement révolutionnaire de la déconstruction / reconstruction. La déconstruction I. la société hétéronormé n’accepte que l’inclusion totale dans un genre, imposant ainsi l’idée de la féminité renvoyant au sexe biologique, ce contre quoi s’oppose, la première photo de la Révolution montrant le sexe surexposée en double chevelure pubienne. La déconstruction-reconstruction. La série réfléchit aussi sur la construction du genre lesbien, en défaisant, dans des termes militants, la mythologie religieuse de l’asservissement de la femme : dans un jardin édénique, une lesbienne contemple les buissons fruitiers, son

God en l’air, tandis que il n’en reste de l’autre mariée pécheresse qu’une voile se traînant par terre et accroché à l’arbre. Dans cette reconstruction du mythe de la chute, le God est responsable de la « faute » commise. La construction-reconstruction. La représentation des deux femmes et d’un enfant montre une des constructions possibles du genre lesbien, qui perçoit une lesbienne comme une femme et aussi comme une mère vivant dans une famille, mais il peut être pensé comme une reconstruction du genre femme dans lequel s’inscrit une lesbienne et non une hétérosexuelle seule. La reconstruction. L’image du torse nu perçoit le corps lesbien comme celui du genre « femme », mais qui anéantit suraccentuation et surexploitation visuelles du sexe et des seins dans l’en-gendrement de la femme affirmé par la société phallocentrique. La photo indique que le corps de la femme possède plein de particularités hors de son « genre » sexué : les petits poils, les grains de beauté, les contours des côtes et que la poitrine féminine se regarde aussi bien aplatie. La reconstruction révolutionnaire du genre inscrit la série Révolution dans un rythme cyclique journalier et de celui d’un almanach lesbien par le biais des points de la tension symbolique entre le blanc et l’orange : le point zéro (les tâches du liquide orange sur le carrelage blanc), le matin (la femme-garçon-lesbienne dans le blanc total et un vêtement orange derrière), la journée (le corps blanc de la femme devant la fenêtre lucide orange), la nuit (le mur blanc derrière laquelle l’orange enfumé entoure deux femmes en jeu de séduction) et le retour au point zéro (les ballons oranges sur le fond de nuit blanchissante).

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Le 6e jour - 46 cm x 70 cm. Tirages numériques jet d’encre pigmentaire, contre-collés sur dibon


Le 28e jour - 46 cm x 70 cm. Tirages numériques jet d’encre pigmentaire, contre-collés sur dibon


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La comédie de la chute. Le 6ème jour et le 28ème jour parodient la cosmogonie monothéiste, qui se mue en drame de l’ère consumériste, où l’enfant prend place d’un fétiche ultime. Dans le 6ème jour, le bébé, en habit rouge de Santa-Claus se présente comme une hyperbole d’un paquet cadeau, posée dans un coin douillet du sofa. Le titre, qui fait référence au jour de la création de l’homme, un acte grandiose qui est censé couronner les labeurs divins, devient littéral et par la même accentue l’ironie grinçante de l’artiste, en sachant combien dans la société contemporaine l’arrivée d’un enfant en soi est présenté comme un aboutissement existentiel. Le 28ème jour (le dernier du cycle menstruel) est en miroir négative avec l’image du bébé-cadeau. La jeune femme est comme foudroyée et dans sa chute, sa posture d’une poupée-mannequin renversée et liquéfiée, elle est en faute devant le décor ensoleillé de banlieue proprette, tout juste sorti d’un catalogue d’agence immobilier, car la promesse du 6ème jour n’est pas tenue. La faute est soulignée par les collants déchirés de la jeune femme, en contraste avec son apparence « bien comme il faut ». Dans l’idéologie post féministe, la maternité fait partie d’un packaging glamour (à côté d’une brillante carrière et d’un prince charmant) de la vie d’une jeune femme moderne. Les images des stars enceintes ou accompagnée de leurs progénitures prolifèrent dans les médias depuis les années 90. Cette injonction à la maternité est rarement attaquée de front dans l’art, même par les artistes-féministes. Celles liées à la deuxième vague de féminisme l’appréhendent sous l’angle global de la « condition féminine ». Même dans l’installation de la célèbre « Womanhouse » qui représente la vie d’une femme dans tous ses états, la chambre d’enfant est absente. Dans le monologue de Faith Whilding, « Waiting » l’attente d’un bébé est dénoncée comme toutes les vaines attentes qui remplissent le vide de la vie d’une femme. Le féminisme de troisième vague, basé sur la notion de libre choix individuel, a fait l’impasse sur

la question de la maternité obligatoire, comme si la pression sociale n’existait plus. Les deux pièces de Mélanie Pottier dans leur radicalité remettent donc les pendules à l’heure. Grrrl Power. Le triptyque L’Héroine explore à contre-courant le potentiel fictionnel de la figure de « petite fille ». Alors que les contes anciens ménageaient pour l’héroïne un espace d’ambiguïté salutaire (car certes elle est naïve, pur de cœur, mais aussi aventurière et intrépide, comme par exemple Gerda qui part sauver son frère des griffes de la Reine des Neiges dans le conte éponyme d’Andersen), les récents personnages féminines de Disney sont bêtement innocentes et manque cruellement de personnalité. Toute déviance de ce schéma les fait basculer dans la case des « vilaines ». La première image représente un garçonnet qui est mené par des cailloux, tel un petit poucet, vers la maison rose de la princesse. Comme Mélanie Pottier joue volontairement avec le genre dans son travail, il y a plusieurs lectures possibles à cette image. Depuis le milieu du XIXe siècle, quand la fiction pour les enfants devient sexuée, les générations de petites filles ont pris l’habitude de s’identifier à des personnages masculins (dont les aventures sont bien plus trépidantes), alors que l’inverse n’a jamais été envisageable. Donc pour devenir une vraie héroïne, il faut être (comme) un garçon, malin et dégourdi de surcroit tel le petit poucet. Si on suit cette ligne de lecture, la deuxième image opère un renversement monumental. Nous voilà devant l’image frontale d’une petite fille assise, sur un fond d’herbe verte, tulipes roses et marguerites blanches et elle tient dans ses mains la maisonnette rose. Si ses attributs renvoient clairement à la figure de la petite princesse, le fait que l’enfant est nue subvertit totalement l’image d’Épinal. La fillette tient la maison de la princesse à l’endroit de son sexe. Cela renvoie ironiquement aux images de princesses médiévales qui tiennent dans les mains leur propre prison-tour. Le regard frontal, même à travers la mèche coquine,

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L’Héroïne (extrait du triptyque) - 80 cm x 120 cm - Tirage numérique jet d’encre pigmentaire, contrecollés sur dibon

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est sans ambigüité : la princesse n’est plus un objet passif et son devenir-héroïne n’est plus incompatible avec les attributs « féminins ». Par un tour de passepasse fictionnel, comme Orlando de Virginia Woolf, le faite que l’héroïne change de genre, ne la prive pas d’aventure. Si la troisième image défait aux dire de l’artiste « l’allégorie de l’enfance », elle en crée une autre, très puissante et libératrice proche de l’Opoponax de Monique Wittig. Contrairement à deux premières photos, la troisième est prise en extérieur. L’image est très elliptique: nous voyons un jouet cassé (plus précisément une poupée décapitée) au premier plan et les grands pieds d’un enfant qui court. L’image joue sur deux registres, celle de la désacralisation et de la sublimation. L’héroïne est désormais à l’étroit dans le monde d’un conte, tel le Gulliver au pays des lilliputiens. Elle brise le cadre de la fiction, en même temps qu’elle se libère de sa destinée pré-écrite. Twilight or how to make renaissance of harlequin La genèse du Twilight, saga pour les jeunes adolescents, s’est construite sur la légende de la révélation : Stephenie Meyer, femme au foyer avec trois jeunes enfants, a vu un rêve – un vampire et une jeune fille innocente dans un champ. Le vampire, celui qui « n’est pas normal », disait à quel point il voulait prendre soin de la fille et, en même temps, à quel point il voulait la tuer. Comme l’autrice raconte sur son site officiel, elle se lève, elle restreint son désir

ardent d’écrire pendant quelques heures consacrées avant tout aux tâches quotidiennes, et ensuite elle y plonge… Trois mois plus tard un livre nait, qui se vend à 116 millions d’exemplaires et qui a été traduit en 50 langues. Ainsi, la légende de la femme au foyer exemplaire et « émancipée » qui peut s’acquitter de ses devoirs de la famille et écrire de surcroît est née. Cette saga réintègre toutes les points-clés du roman sentimental et ceux de d’Harlequin. Bella du Twilight incarne deux destinées de l’héroïne classique des romans à l’eau de rose : la protection de la virginité et le sacrifice ultime quelle apporte sur l’autel de son bonheur. La vidéo de Mélanie Pottier Elle se voit comme ça se concentre surtout sur ce premier aspect. Elle met en scène le lemon – « scène de sexe explicite » – dont la lecture s’écoute sur le déroulement des images provenant du film Twilight : fascination. Le récit de fanfiction en question « Alphabet Weekend » a été d’abord rédigé par un homme Theglory-days (publié le 12 mars 2009) et a été ensuite traduit par une femme belge Eliloulou en français. Cette pièce s’inscrit dans un genre littéraire, qu’on pourrait appeler un harlequin post-moderne : écrite par une femme au foyer, celle qui auparavant occupait une place de l’héroïne dans les anciens romans sentimentaux et soap opera, « corrigée » par un homme, qui dans sa réécriture a adapté l’idée originale d’un autre roman sentimental éponyme créé par Elizabeth Noble, et, enfin traduite par une

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femme belge qui se définit de la manière suivante : « J’ai trois enfants et la lecture est mon passe temps favori. Il me détend après le boulot, les devoirs, les corvées de ménages...etc. ». Cette configuration de la naissance et de la vie postérieure de l’œuvre révèle toute la duperie du post-féminisme : peu importe que l’ancienne héroïne du roman devienne une actrice active en créant un roman d’amour, elle ne fait que véhiculer, sous son apparence de la femme de foyer libéré, les valeurs patriarcales identiques du pré-féminisme. Or la tension, la suspense narcotique de la saga possède le mécanisme identique que celui de d’Harlequin, analysé par Tania Modleski : la multiplication des obstacles entre le désir et son assouvissement. Dans le Twilight, ceci se joue dans la tension romantico-sexuelle du désir et de la lutte gigantesque pour la conservation de la virginité de Bella, assurée par Edward. Le désespoir des fans arrive dans la quatrième livre de la saga, qui marque enfin la défloration de la vierge, ce qui se passe bien entendue après le mariage : l’erreur du genre ou le signe de la fin du roman sentimental ? Peu importe, car le Twilight s’accroche aux mêmes « valeurs » payants du personnage féminin : son rôle est secondaire, car c’est Edward qui est celui qui possède quelque chose de plus (Stephenie Meyer a raconté que pour elle, c’est le choix de l’acteur pour le personnage d’Edward qui lui comptait le plus, car Bella « is just a girl from

the next door »), qui montre le contrôle héroïque de ses pulsions surhumaines et celle de Bella. Or le devoir du sacrifice revient toujours à la femme : c’est l’humanité de cette dernière qui est apporté sur l’autel du happy-end. Elle se voit comme ça de Mélanie Pottier déconstruit le romantisme du Twilight des premiers trois romans, appelé par Christine Seifert comme l’« abstinence pornographique ». La vidéo le dénonce par son retournement ouvertement pornographique. La voix off de la femme dans la vidéo transmet « le phantasme » érotique, rédigé, plus précisément corrigé par l’auteur masculin, au nom de Bella : Edward qui contrôle, dirige, détermine le début et la fin des déroulements des actes sexuelles à répétition et Bella qui se soumet entièrement avec joie à tout ce que demande Edward. Les mêmes images provenant du film, qui montrent les deux héros ensemble, tournent en boucle sous les angles différents : la femme est le même objet sexuel pornographique dans le roman prônant la morale d’abstinence ou dans le lemon.

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PAZ ERRAZURIZ

REQUIEM DÉCAPITÉ LILI LEKMOULI

Du 16 décembre au 28 février dernier, la Fondation MAPFRE de Madrid a accueilli pour la première fois en Europe la rétrospective de l’œuvre de la photographe Paz Errazuriz. Cette artiste chilienne née en 1944 à Santiago interpelle à travers son œuvre le contexte politique et social du Chili des années Pinochet.

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Double page précédente - Paz Errazuriz - Evelyn - La Manzana de Adán - 24,5 x 36 cm - 1987

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près le coup d’Etat militaire, les années 70 marquent l’établissement brutal de la dictature chilienne. C’est dans ce contexte politique que Paz Errazuriz construit son œuvre photographique. Son travail établit une recherche permanente de l’anti-norme, du marginal en opposition aux comportements traditionnels, dans une société étouffée par l’oppression, la répression et la dictature. Sans domiciles, internés (série « l’infarctus de l’âme »), circassiens freaks, travestis persécutés par la police sont les protagonistes de ses différentes séries qui toujours figurent des personnages emplis d’humanité et en lutte pour échapper au contrôle. Les photographies de Paz Errazuriz, notamment dans la série « Personnes », sont toujours des portraits crus, des figures prohibées d’une société chilienne décadente et enfouie, interdite et recluse. Des sans noms, des sans riens, des disparus comme dans « Memento Mori ». A travers son œuvre, on note l’intérêt porté par l’artiste pour questionner la figure de l’homme, du mas-

culin, du sexe « fort ». Après avoir réalisé un travail sur les boxeurs et les travestis chiliens « La Pomme d’Adam » en 1990, elle présente quelques années plus tard, une série moins figurative et d’autant plus forte : « Exéresis ». La série « Exéresis », achevée en 2004, présente des sculptures décapitées et mutilées, déflorées de leurs attributs sexuels. Les cadrages coupent les corps à la hauteur de la poitrine, confrontant ainsi le regard à la zone génitale, portant l’attention sur la cavité, l’absence, le trou, le sexe extirpé. Elle questionne de nouveau cette problématique de la répression, de la censure sociale et ouvre une réflexion illicite sur la question du genre, propre à toutes ses autres séries. Ici, se suspend la question du corps héroïque. Ces clichés ont été pris dans plusieurs musées : le Louvre, le Pergamon de Berlin, el Metropolitan Museum de New York ou la National Gallery of Art de Washington. La représentation classique et académique originelle de ces sculptures et déplacée au profit du questionnement contemporain et réflexif.

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Exéresis I, de la serie Exéresis, 2004

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Sans titre, de la serie ExĂŠresis, 2004

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Sans titre, de la serie ExĂŠresis, 2004

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Sans titre, de la serie ExĂŠresis, 2004

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Elle montre la fragilité du corps masculin, le tabou de la faiblesse sexuelle et de l’impuissance. En figurant l’absence de l’organe génital elle questionne la masculinité défigurée, atrophiée, castrée, l’absolu héroïque percutant le vide. A l’ablation physique se substitue celle du sens. La photographe établit un corps mutant, un corps ambigu, un sans genre défini. On retrouve ici, le symbole de toute son œuvre, l’atrophie de la figure classique la lutte contre la norme et le contrôle des représentations, la figuration de l’impensable et de l’interdit. En dé-figurant l’absence génitale de représentations classiques, elle ouvre le champs de l’exposition de l’atrophié, de l’anormal, du hors normes, du corps en lutte : le classique décapité.

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LES USAGES DE LA PHOTOGRAPHIE SELON MORGANE VIÉ

FLORENCE ANDOKA

A l’heure où la photographie est en phase de devenir une pratique universelle, la jeune artiste Morgane Vié interroge, dans une perspective mêlant anthropologie et poésie, la photographie en tant que pratique. Que révèle l’usage que nous faisons de la photographie ? Dans quelle

mesure le geste photographique s’inscrit-il dans une culture donnée ? La première exposition monographique de Morgane Vié, intitulée Contempler la noix de Coco s’est tenue au FRAC Franche-Comté du 6 février au 8 mai dernier.

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organe Vié a passé son enfance entourée de nombreuses photographies, puis a découvert à l’adolescence qu’il n’en allait pas de même dans toutes les familles. Aujourd’hui l’artiste n’expose pas ses propres prises de vue, mais des clichés réalisés par d’autres, cherchant ainsi à saisir quelque chose de l’ensemble des causes qui conduisent à prendre une photographie, comme de la valeur qu’on accorde à l’image en tant qu’objet. Les images retenues par Morgane Vié sont très variées du point de vue esthétique. Le grain noir et blanc délicatement suranné des petites photos, chinées en voyage, de l’installation Unknown memories, contraste avec les images de magazines de Romanphoto. D’autres clichés contemporains s’ajoutent à l’ensemble, comme pour la pièce intitulée Niue, où de nombreuses captures d’écran et autres images télévisées reflètent l’univers des faits divers de la presse. Cette pluralité esthétique renvoie aussi à la multiplicité des contextes de production des images, comme à la diversité des cultures dans le temps et l’histoire. Ainsi, les images de Unknown memories ont été arrachées à l’oubli mais aussi au contexte précis de leur production. Seules quelques inscriptions au dos de certains clichés permettent d’imaginer une époque plus précise ou un pays. Rassemblées pour leur

puissance narrative par l’artiste, leur confrontation en série s’est opérée de manière aléatoire. Chaque image, comme l’espace imaginaire qui les articule, renvoie le spectateur à sa propre sensibilité. Souvent la photographie sert de miroir, en témoigne la série inachevée de Portraits initiée en 2010. Morgane Vié voyage, aussi a-t-elle choisi de se faire tirer le portrait par des professionnels en Mongolie, au Maroc ou encore en Turquie. Par ce procédé, l’artiste donne la carte imaginaire de son déplacement dans l’espace, comme de son vieillissement dans le temps. La série impressionne, rappelle Cindy Sherman parce que Morgane Vié est partout, qu’elle est mise en scène dans des poses et des costumes théâtraux, parce qu’y figurent plusieurs visages de la féminité incarnée par un seul. L’artiste en femme Berbère, l’artiste en femme mongole, ou simplement entourée de roses rouges choisies par le photographe à qui Morgane Vié a toujours laissé libre choix. Pour l’œil occidental, où l’œil amateur de photographie, ces images semblent relever du kitsch. Les fonds artificiels aux couleurs vives, les costumes décalés parce que portés par une étrangère à la tradition à laquelle ont les associe, ainsi que les retouches parfois extrêmes du visage, surprennent et font sourire. C’est là la force de la démarche de Morgane Vié. Le kitsch auquel on associe ces images n’est pas ce que vise l’auteur ou plutôt si, dans la mesure où le regardeur ne fait pas l’œuvre mais en la commentant se met à nu. Plus

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qu’un univers esthétique aux contours identifiables, le kitsch témoigne d’un jugement. Si ces images sont qualifiées de la sorte par celui qui les regarde, c’est seulement en vertu des normes esthétiques qui l’habitent. Morgane Vié souligne ce qui relève du mépris social. « Beaucoup de photographes travaillent ainsi, en France comme à l’étranger, c’est même le plus courant ». De même Romanphoto reprend un modèle du genre datant d’un magazine de 1989, mais l’artiste a vidé les bulles de tout contenu laissant le visiteur libre de réécrire l’histoire, ou plutôt de dévoiler par les méandres de son imagination, le prisme culturel qui est le sien. Levier du racisme ou de l’islamophobie, la photographie est un révélateur. Cadres de vie, propose encore un autre usage de la photographie, sans doute les plus ordinaire comme le plus tragique. Deux photographies réalisées dans une yourte en Mongolie sont encadrées. La scène semble filmée deux fois. Morgane Vié réalisait alors un documentaire sur l’usage de la photographie dans la culture mongole. L’homme à l’écran est mort quelques heures plus tard et l’artiste a extrait de son film ses dernières images. La photographie retrouve alors sa fonction la plus évidente, celle de rappeler à jamais ce qui a existé puis disparu.

Morgane Vié/ Contempler la noix de coco Au FRAC Franche-Comté, à Besançon jusqu’au 8 mai 2016 www.frac-franche-comte.fr www.morganevie.com

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L’INVENTION DE LA MER EN ­PHOTOGRAPHIE, LES MARINES DE GUSTAVE LE GRAY

L A U R E N C E G O S S A RT

Jan Dibbets présente au Musée d’Art Moderne de Paris l’exposition La Boite de Pandore, une autre photographie dans le cadre de laquelle sont présentés des Marines de Gustave le Gray. L’occasion de revenir ici sur quelques uns des enjeux des images qui composent cette superbe série.

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ustave Le Gray réalise deux voyages en bord de mer. Le premier en 1856 en Normandie, le second en 1857, à Sète au bord de la Méditerranée. Ces deux séries d’images révèlent des aspects différents. Le Gray ne photographie pas la mer Méditerranée de la même façon que l’Océan. Les bouillonnements intérieurs de l’une contrastent avec les étirements dus aux marées de l’autre. La chaleur du bassin méditerranéen donne une matière à la mer et au ciel, une matière dense et compacte bien différente de la fluidité aérienne de l’Océan. Dans les Marines d’Océan, les points de vue sont frontaux quand dans les vues de la mer Méditerranée, il joue des diagonales qu’offrent les vagues et les côtes. Les découpes du rivage participent de la composition alors qu’elles sont plus rarement présentes dans les vues effectuées en Normandie. Plastiquement, il ne traite pas du tout les deux rivages de la même façon, et, de fait, les horizons que les différentes images suggèrent conduisent vers des ouvertures chaque fois autres. A cela s’ajoute le fait que Le Gray a une excellente pratique du tirage photographique. Il invente de nombreux procédés et particulièrement le virage or qui donne, aujourd’hui encore, ces nuances de

coloration si précieuses aux images. Il maîtrise le tirage et réalise des montages à partir des différentes plaques négatives qu’il réalise sur le motif. Lors des prises de vue, il mettra l’accent particulièrement sur le ciel, ou, à l’inverse, sur la mer, sachant qu’il assemblera différentes plaques au moment du tirage. Il divise dans un premier temps pour recréer ultérieurement une unité, voire, des unités. Il créer des images à partir de greffes d’images pour recréer des corps, des corpus d’images renouvelés. Du calme à la tempête, ou l’inverse, en tout cas, un état des éléments à un moment donné. Moment qui n’est certes pas celui de l’instant, mais moment de la perception de Gustave Le Gray. Car dans ces montages d’images apparaissent les nuances d’une âme qui sont l’aurore d’un nouveau champ imageant : l’abstraction. Les images sont des métaphores. Ce sont des doubles degrés d’images. Paysages de l’âme aux fragrances romantiques, paysages composés grâce aux éléments eux-mêmes, Les Marines sont des lieux d’une rêverie que le travail de tirage et de virage effectué en laboratoire, dans un temps ultérieur, accroît, enchante et illumine. Gustave Le Gray multiplie les images photographiques comme les

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paysages se multiplient en lui. Les émotions créent chaque fois de nouveaux flots de possibles en latence. L’image photographique est le vecteur de cette mue. Elle transmue le regard en image, l’imaginaire en représentations. Cet aspect de l’œuvre est souvent mis à l’écart: les images sont composées et sont en effet des « microcosmes » dans lesquels semblent se révéler des espérances bien humaines. Des peintures de l’âme, des paysages intérieurs, des images mentales. Prenons exemple sur la photographie Étude de nuage, clair-obscur. La mer, bitume en fusion, devient un aplat de matière où seuls quelques reflets signalent une vie potentielle. L’essentiel de la photographie concerne le ciel et les masses nuageuses. Photographiées en contre-jour, elles semblent immenses et menaçantes, mais au loin, sur la droite, la lumière du soleil irradie de toute sa splendeur et transperce l’amas. Mais les ombres grises survolent sans un bruit le large marin. On pourrait croire qu’elles sont formées de la même matière que la mer, comme si le noir de bitume s’était transformé en noir de jais, suffisamment agile pour transformer la matière de cauchemar en matériaux de rêve. Le lieu n’a plus d’importance. La matière prend forme différemment, elle se transmue, elle se sublime, elle se redéfinit. Les nuées du centre à l’évanescence délicate jouent de leur translucidité et de leurs volutes doucereuses. Si le vignettage explique en partie les pourtours assombris de l’image, il apparaît que Gustave Le Gray les a conservés, mais surtout les a augmentés de façon à en accroître l’effet de présence. Ce halo sombre ab-

sorbe le regard, laissant la périphérie dans l’ombre. Au centre, l’œil est piégé par le chatoiement délicieux des plus petits nuages qui ponctuent l’espace, organisent des va-et-vient dans l’image. De nuances infimes à des contrastes violents, la lumière joue de tous ces modelés possibles. Sautillant de cumulus en cumulus, elle fait oublier le motif pour devenir l’objet de la recherche. L’abstraction est en marche. Les images qu’il présente ne sont jamais livrées à l’état brut. Il en extrait le suc, la substance grâce à un travail très soigné des chimies qui ne trouve jamais d’aboutissement définitif. Gustave Le Gray pose ainsi son horizon intellectuel : l’inachevé, l’inachèvement, l’inachevable. Le processus même de l’infini – à la fois comme quelque chose de non fini et comme objet de la représentation - est inscrit dans la démarche et procède de la poétique sous-jacente à l’œuvre dans les Marines. La conscience que le photographe a du phénomène et du processus photographique qu’il met en œuvre lui permet de jouer de la mise en abîme du sens, de la forme et du procédé. Une articulation apparaît entre ces trois paramètres ; chaque image photographique devient de fait le lieu d’un tissage de probabilités. Gustave Le Gray réussit une véritable transposition photographique d’une thématique picturale, celle de la Marine, grand genre artistique. S’il semble anticiper certaines œuvres de Gustave Courbet, il anticipe surtout l’œuvre des Impressionnistes. En effet,

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un élément est fondateur, celui du déplacement de « l’atelier » en extérieur, dans la nature. Là encore, son ouverture intellectuelle dépasse de loin le conflit qui règne sur le statut de la photographie. Est-elle une pratique artistique ou bien une vile servante de l’art ? Cette question qui hante le milieu des amateurs de photographie au XIXe siècle ne semble pas toucher Gustave Le Gray. Sa profonde modernité se situe dans le fait qu’il perçoit l’image photographique comme véritablement une image, au sens d’une représentation, et ne se laisse pas piéger par la prétendue vérité photographique. C’est pour lui un lieu de transposition, de création. Il déploie un art photographique et l’outil lui permet de traduire sa pensée, ses perceptions. Il est donc véritablement dans une démarche artistique mue par une beauté et un désir de pousser le rendu de la qualité des images encore plus loin. Toujours bien plus loin… L’ensemble des Marines compose, peut-être, une forme de récit initiatique pour le photographe comme pour ceux qui regardent. Ainsi, elles deviennent fabuleuses en offrant des vues, des spectacles hors du commun, exceptionnels. Cet aspect fabuleux prend son essor dans la technique de montage ainsi que dans le travail de tirage et de virage effectué sur chaque image. Mais ce sont avant tout les motivations intérieures de Gustave Le Gray qui le conduisent à produire ses images hors du commun et qui produisent ce sentiment de fascination. Une modestie dans laquelle se créer une fable. Il y a

un lieu particulier dans ces images où se situe cette fable, lieu où s’articulent les éléments qui en composent les intrigues, lieu où se tirent les ficelles de la fiction : c’est la ligne d’horizon. Les Marines sont composées à partir de cet axe qu’est l’horizon. Cette délimitation traverse les images de part en part et développe du signifiant. L’horizon est l’acteur essentiel. Il est le lieu de la supercherie technique, du montage. Dans cette sobre ligne se jouent toutes les ficelles et manipulations du théâtre de l’existence de Gustave Le Gray. La représentation de l’horizon marque un passage où la question de la finitude se délite dans les doutes, les émotions, les questions. Ce sont des photographies de ciel et de mer, comme s’il s’agissait pour Gustave Le Gray de reproduire cet instant primordial « Que la Lumière soit, et la lumière fut ». Instant unique de la séparation des eaux du dessus et des eaux du dessous que personne n’a connu et que l’on ne peut que fantasmer, affabuler. Instant unique de la séparation des éléments, distinction et déchirement qui sont au fondement de notre monde. La distinction, c’est aussi la création d’une limite, d’une ligne d’horizon. C’est la création d’un espace profond. La lumière créée un espace profond dans lequel l’âme s’abîme de tout temps et rêve. Rêves d’avenir ou de passé, rêves d’explications de l’ici et maintenant, le ciel et la mer croisent tous les temps.

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Mais l’horizon, puisqu’il désigne, distingue, est aussi l’affirmation d’un dessin. L’horizon, en grec ancien, est ce qui délimite, à la fois la mer - ou terre – du ciel, mais aussi, le visible du non-visible1. La ligne dessine un axe, niveau zéro de l’altitude, à partir duquel tous les desseins peuvent être projetés. L’horizon noue les éléments entre eux. Il n’est, en fait, peut-être pas point de fuite, mais ligne d’avenir. C’est un des lieux de l’imaginaire, c’est un des lieux qui a poussé à la découverte d’autres mondes. Audelà de l’horizon, comment se dessine le monde ? N’est-ce pas cette question qui pousse encore aujourd’hui à voyager, à désirer, à projeter ? « Étant lieu de l’autre, l’horizon devient objet de désir. Me voici curieux de voir ce que voient les autres, de saisir ce qui se cache derrière l’horizon. La ligne qui ferme le paysage l’ouvre en fait sur un autre monde.2 » Et, ainsi, créer une tension désirante, un axe de curiosité qui ne demande qu’à se déployer. À devenir. À créer un avenir possible. Car l’horizon instaure une temporalité différente, peut-être. En suggérant un devenir, un avenir, il induit un futur et donc une durée qui n’est plus celle de l’instant. Inventées de toutes pièces, puisqu’il s’agit de montages de négatifs, les Marines de Gustave Le Gray repartissent les « eaux au-dessous » et « les eaux au-dessus » suivant l’incision de la ligne d’horizon. Cette répartition est 1 Voir à ce sujet les très belles pages de Michel Collot, L’horizon fabuleux, Paris, José Corti, 1988. 2 Michel Collot, op. cit. p. 18.

pour les artistes le sujet de multiples propositions plastiques. Si la peinture permet la couleur et la touche, la photographie traduit les mêmes qualités en détails, contrastes et valeurs. Tout se joue entre ciel et mer, entre tourmente et passion, vie et guerre, amour et déréliction. Tout se crée dans les relations, les tensions entre les éléments. Tensions entre les gradations de nuances de gris, tensions des relations entre l’épaisseur et la pesanteur de la mer, et la légèreté aérienne du ciel. Il est surprenant de constater que le noir profond de la mer, bien qu’irisé de rayons lumineux qui en structurent et animent la surface, ce noir dense qui n’occupe en moyenne que un tiers ou un quart de chacune des images, se comporte comme une assise pour le regard. C’est bien sur cette mer que le ciel prend son envol et son essor. Il peut déployer à volonté toutes ses nuances. Mer de l’existence, ces eaux troubles qui prennent une apparence si lisse, qui réjouissent le regard et le corps quand on s’y glisse, mais dont la vie intérieure n’en est pas moins troublante. Sonder du regard les profondeurs de cette mer, pressentir en sa surface les élans à venir, tous ses mouvements intérieurs, toutes ses aspirations possibles, sa densité, sa pesanteur dense. Les émois de la mer, son effervescence, sa folie comme sa sagesse apparaissent dans les images. Gustave Le Gray donne beaucoup d’ampleur à cha-

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cune des émotions, comme s’il décrivait des caractères, des tempéraments. La photographie permet de voir, ici, à nouveau et différemment ces eaux et de leur donner des variations multiples de corps et de chair. Il s’approprie l’épiderme marin pour en faire l’un des objets essentiels de son travail. Il abandonne la métaphore du phare, du quai, du voilier, et se consacre uniquement au triptyque mer, ligne d’horizon, ciel. Chaque élément prend sens dans chacune des photographies. S’il ne déploie pas un registre de couleurs réalistes, il donne une coloration par les virages et les lumières. Il y a donc un autre degré d’abstraction, le noir et blanc. Les graduations de couleur et de lumière vont de pair avec les degrés d’abstraction du motif. L’expression, le geste, la trace, l’idée prennent progressivement le pas sur la représentation de marines. Les Marines sont des paysages de l’âme. Elles peignent l’esprit de Gustave Le Gray. Produites par le photographe en dehors d’obligations pécuniaires, ou de commande, elles témoignent d’une liberté qu’il ne peut s’accorder dans son travail de portraitiste. Ici l’épure préside et s’oppose à l’idée d’une représentation fidèle du sujet. Il peint des caractères et non des portraits. Il donne à lire de l’émotion et non de l’exactitude scientifique. Il donne à penser des métaphores et des métamorphoses plus que des réalités. Les images spectaculaires que crée Gustave Le Gray sont surtout des espaces de liberté, de création. À une époque où les manipulations sur les images photographiques

sont ressenties comme des trahisons, Le Gray fait des montages qui développent l’art spécifique de la photographie. Le photographique, cette spécificité, se situe dès lors dans la manipulation de tous les éléments qui composent la chaîne photographique. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que la modernité de telles pratiques soit reconnue. Les Marines recèlent en elles, à la fois la force d’abstraction et l’énergie d’un art qui se régénère. Ciel, mer, ligne d’horizon, un triangle de modulations dont les respirations sont encore aujourd’hui des sources d’inspiration. Alors, pour reprendre le mot de Kandinsky, Gustave Le Gray serait-il cet « homme qui surgit alors, l’un d’entre nous, en tous points notre semblable, mais doué d’une mystérieuse puissance de « vision »3».

3 Wassily Kandinsky, Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris, Denoël, 1989, p. 59.

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QUESTIONNAIRE

VALERIE DELAUNAY PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO DORFNER

Valerie Delaunay est galeriste à Paris.

1 - Que n’échangeriez-vous pour rien au monde ? V.D. Ma curiosité 2 - Quelle profession rêviez-vous d’exercer lorsque vous étiez enfant ? V.D. Médecin sans frontière 3 - Quel cadeau aimeriez-vous recevoir ? V.D. Pourquoi un seul ? 4 - Le meilleur endroit où passer la nuit ? V.D. Là où m’attend mon amoureux 5 - Une chose que vous aimeriez savoir faire ? V.D. Savoir piloter un petit avion 6 - Un disque ? Un livre ? Un film ? Pearl de Janis Joplin / Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse / Le Grand Bleu de Luc Besson

V.D.

7 - A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? V.D. Au Quattrocento à Florence 8 - Le plus bel homme, la plus belle femme de la terre ? V.D. Celui, celle qui me fait vibrer 9 - Que faîtes-vous le dimanche ? V.D. Ce que je n’ai pas le temps de faire le restant de la semaine

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QUESTIONNAIRE

10 - Votre syndrome de Stendhal ? V.D. Le couvent San Marco à Florence 11 -Avec quelle personne morte aimeriez-vous pouvoir dîner ? V.D. Sigmund Freud 12 - Quel est votre alcool préféré ? V.D. Un whisky japonais Nikka Taketsuru 21 13 - Quelle est la personne que vous détestez le plus ? V.D. C’est drôle, j’ai oublié son prénom... Mais elle se reconnaitra 14 - Où aimeriez-vous vivre ? V.D. City of Los Angeles 15 - Qu’est-ce qui attise votre désir chez l’autre ? V.D. La difficulté à le conquérir 16 - Un personnage de fiction auquel vous vous identifiez ? V.D. San dans la Princesse Mononoké 17 - À combien évalueriez-vous votre corps pour une nuit ? V.D. Je ne saurais pas le dire mais ce qui est certain c’est qu’après cette folle nuit, je serai pour toujours soumise à l’ISF 18 - Un mot, une expression ou un tic de langage ? V.D. Tu comprends ? 19 - PSG ou OM ? V.D. Je suis fan de l’OM depuis que Zlatan a rejoint l’équipe. Zlatan, c’est bien l’OM ? 20 - Si vous pouviez avoir la réponse à une question, quelle serait la question ? V.D. Il est des questions pour lesquelles il ne faudrait jamais avoir de réponse. Je choisis donc ce genre de questions. 21 - Quelle serait la musique de votre enterrement ? V.D. Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel 22 - Votre menu du condamné ? V.D. Ce genre de petit stress peut facilement me couper l’appétit 23 - Une dernière volonté ? V.D. Trouver le Saint Graal

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PORTFOLIO

ERWAN VENN

JULIE CRENN

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A thought that never changes Remains a stupid lie It’s always been just the same No hearing, nor breathing No movement, no calling Just silence. --New Order – Your Silent Face [Power, Corruption & Lies – 1983).

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n fouillant dans les souvenirs de son enfance, Erwan Venn retrouve des jouets, des disques, des motifs de papiers-peints et un autoportrait griffonné sur une feuille de cahier, où il s’exprime via une bulle de bande dessinée : « Je suis con et je m’appelle Erwan ». L’ensemble de sa pratique artistique repose sur une exploration mémorielle et sensible. Pour cela il questionne son éducation, ses fondations, ses références, tous les ingrédients d’une construction personnelle, intime. Avant de se présenter comme un artiste, il se dit dyslexique et asthmatique. Deux handicaps qui l’ont obligé à grandir dans une marge. Une périphérie familiale et sociale qu’il alimente progressivement de références alternatives : le (post) punk, la new wave, le rock, la techno et l’art. Au mainstream, il choisi les voies sinueuses de l’underground grâce auxquelles il s’affranchit d’un carcan familial où religion, traditions et secrets font loi. Rapidement, il s’inscrit dans un héritage artistique contestataire où autodérision, détournement, citations, ironie, critique, subversion dialoguent à travers des objets et des images prélevés de différents registres

de lecture : le high & low se confondent. Il développe plusieurs problématiques autobiographiques en se concentrant sur les objetssouvenirs extraits de son enfance, son propre corps qu’il moule de manière fragmentée, les figures monstrueuses, la notion d’infirmité (ainsi que l’appareillage qui l’accompagne), et plus récemment sur les pages sombres de l’histoire de sa famille. La série Headless est née d’une volonté de l’artiste d’entreprendre une archéologie familiale pour en décrypter les mécanismes idéologiques, ainsi que leurs inévitables incidences sur sa propre vie. Suite au décès d’une tante, il récupère une boite de négatifs, il les rassemble et les laisse de côté. Plus tard, il découvre un document daté de 1940 où il apprend que son grand-père a collaboré avec l’Allemagne nazie en vendant du vin aux soldats allemands installés en Bretagne. Un document à la fois terrifiant et déclencheur d’une recherche plus approfondie. Erwan Venn revient vers les négatifs photographiques, il les scrute avec attention, décode les indices (lieux, identités, évènements) et retrace ainsi le parcours de son grand-père.

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Ce dernier est éduqué selon les préceptes d’une morale pieuse, rigide et contre révolutionnaire. Jeune, il se tourne vers la religion en intégrant le petit séminaire. Un passage dont il subsiste quelques images en noir et blanc. Des photographies de groupes où les jeunes séminaristes posent stoïquement, bras croisés et derrière le dos, ou de manière plus candide, assis et allongés dans l’herbe. Des photographies qu’Erwan Venn modifie numériquement en prélevant les têtes de chacun des figurants. Sans tête, sans visage, ils perdent toute forme d’identité et d’individualité. Ils ne sont plus que des costumes, des corps flottants, fantomatiques. Sans têtes, ces hommes, alors considérés comme les « soldats de dieux », se résument à leur mission idéologique. L’artiste met en lumière les rapports étroits entre le clergé et le politique, mais aussi les rouages d’une propagande rampante. Les photographies en noir et blanc accompagnent le développement de l’idéologie fasciste au sein de la vie d’une famille, d’un village et de ses habitants. Elles traduisent une période précise d’une histoire nationale chancelante en figurant les activités d’hommes et de femmes, d’enfants, de familles qui en 1940 ont soit fait le choix de la collaboration, soit celui de la résistance. En ce concentrant sur le parcours de son grand-père et en gommant les têtes de ses camarades, de ses proches et de ses relations, Erwan Venn décapite les acteurs d’un système qu’il exècre. Ses tableaux-photographiques fixent les ombres d’une gangrène et d’un trauma qui n’épargnent pas les générations suivantes. En examinant le contexte historique et politico-religieux dans lequel s’est formé non seulement son grand-père mais aussi toute une population nourrie d’idéolo-

gies extrêmes, l’artiste souhaite remettre à plat une histoire familiale tramée structurée par des non-dits et des mensonges qui se transmettent comme un héritage empoisonné. Une boite de pandore qu’il a ouvert, retouché et partagé publiquement pour comprendre et obtenir une libération, un apaisement. « Mon souci est de «Faire image». C’est-à-dire de trouver ce petit sentiment d’extase que l’on éprouve quand nous retrouvons des souvenirs enfouis au sein de notre mémoire. » (E.V, 2008). Parallèlement, il pointe du doigt la prégnance de cette idéologie profondément ancrée dans les strates du contexte sociopolitique actuel. Une pensée moraliste basée sur une conception galvaudée de la nature humaine qui continue à dresser des barrières entre les individus en excluant toute forme de différence. En ce sens, l’artiste se démarque d’un héritage familial auquel il a refusé de se conformer et revendique son appartenance aux subcultures, aux marges. Dans cet espace alternatif, il questionne, détourne et bouscule les méandres d’une histoire à la fois personnelle et collective.

Page de droite - Seminaristes # 01 70 x 116 cm - impression numérique sur Dibond. Edition de 1 sur 3 - 2011. Collection Frac Poitou-Charentes. Collection Artothèque de Caen.

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There must be an angel #1 - 50 x 76 cm - impression numĂŠrique sur Dibond - Edition de 1 sur 3 - 2013.

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Le maillot - 100 x 70 cm - non imprimĂŠ - 2013

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La balançoire 01 - 100 x 70 cm - non imprimé - 2014


La balançoire 02 - 100 x 70 cm - non imprimé - 2014


Deux sĂŠminaristes - 50 x 75 cm - impression numĂŠrique sur Dibond. Edition de 1 sur 3 - 2013.


Grand père Kirch - 54 x 80 cm - impression numÊrique sur Dibond. Edition de 1 sur 3 - 2013.



Headless 01 - 83 x 155 cm, impression numĂŠrique sur Dibond. Edition de 1 sur 3 - 2011


Headless 02 - 112 x 148 cm - impression numĂŠrique sur Dibond Edition de 1 sur 3 - 2012


Jobic en tenue de Zouave - 40 x 56 cm -impression numĂŠrique sur Dibond - 2014


La mariée - Impression numérique sur dos bleu - 400 x 600 cm - 2014


Les vacances à la mer - 75 x 52 cm - impression numérique sur Dibond. Edition de 1 sur 3 - 2014. Collection Artothèque de Caen


Les chapeaux noirs - 100 x 70 cm - non imprimĂŠ - 2014


Pierre et Paule - 100 x 60 cm - non imprimĂŠ - 2014


Papa - 70 x 102 cm - impression numĂŠrique sur Dibond. Edition de 1 sur 3 - 2013


P.P. - 50 x 71 cm - impression numĂŠrique sur Dibond Edition de 1 sur 3 - 2013


Sa sœur - 50 x 72 cm - impression numérique sur Dibond Edition de 1 sur 3 - 2013


Sauvez, sauvez la France - Impression numĂŠrique sur Dibond - 110 x 76 cm - 2014


Suzanne et Thérése - 50 x 71 cm - impression numérique sur Dibond Edition de 1 sur 3 - 2013


Tante Thérèse au chapeau - 100 x 70 cm - non imprimé - 2014


QUESTIONNAIRE

GUILLAUME CABANTOUS PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO DORFNER

Guillaume Cabantous est un artiste plasticien, représenté par la galerie Odile Ouizeman. Il participe à l’exposition collective, Microscopie du banc, du 17 septembre au 5 novembre 2016, La Graineterie

1 - Que n’échangeriez-vous pour rien au monde ? G.C. Mes origines Pyrénéennes 2 - Quelle profession rêviez-vous d’exercer lorsque vous étiez enfant ? G.C. Moniteur de Ski 3 - Quel cadeau aimeriez-vous recevoir ? G.C. Un couteau... 4 - Le meilleur endroit où passer la nuit ? G.C. Dans un refuge de montagne 5 - Une chose que vous aimeriez savoir faire ? G.C. Peindre... 6 - Un disque ? Un livre ? Un film ? Distance de Rendez-vous / Gaston Rébuffat, la montagne pour amie de Yves Ballu / Partisan de Ariel Kleiman

G.C.

7 - A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? G.C. N’importe «pas les quatres dernières années...» 8 - Le plus bel homme, la plus belle femme de la terre ? G.C. Mon père et ma mère, j’ai pas de frère et soeur 9 - Que faîtes-vous le dimanche ? G.C. L’apéro...

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QUESTIONNAIRE

10 - Votre syndrome de Stendhal ? G.C. Mon dernier amour... 11 -Avec quelle personne morte aimeriez-vous pouvoir dîner ? G.C. Mon papa ou Ramonite... 12 - Quel est votre alcool préféré ? G.C. La binouze 13 - Quelle est la personne que vous détestez le plus ? G.C. Moi, par moment 14 - Où aimeriez-vous vivre ? G.C. Dans ses yeux... 15 - Qu’est-ce qui attise votre désir chez l’autre ? G.C. Son regard 16 - Un personnage de fiction auquel vous vous identifiez ? G.C. Peter Pan 17 - À combien évalueriez-vous votre corps pour une nuit ? G.C. Au prix de son regard 18 - Un mot, une expression ou un tic de langage ? G.C. MACANICHE!!!!!! 19 - PSG ou OM ? G.C. PSG 20 - Si vous pouviez avoir la réponse à une question, quelle serait la question ? G.C. C’était quoi la question chérie ? 21 - Quelle serait la musique de votre enterrement ? G.C. Born to be alive de Patrick Hernandez 22 - Votre menu du condamné ? G.C. Escalope de veau aux morilles 23 - Une dernière volonté ? G.C. Allez en paix...

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ETRE AU PRINTEMPS

FLORENCE ANDOKA

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L’éclosion du printemps n’est possible qu’au prix du sacrifice d’une jeune vierge, comme si le sang versé offrait à l’existence son renouvellement. C’est le motif central du Sacre du Printemps de Stravinsky et peut-être celui que rejoue Le Printemps de Marcel Hanoun sorti en 1970. Rite sacrificiel devenu fait divers, un criminel en cavale bat la campagne. La nature n’est pas hostile, mais seulement dépourvue de toute possibilité de salut pour le fugitif. Les arbres, la rivière ne délivreront pas l’homme de sa culpabilité. Dans ce désert moral où l’on tue dans un néant de mobile, à l’image de SaintAugustin enfant volant des poires pour rien et découvrant alors le mal. Un couple dans une voiture, l’homme tue la femme et s’échappe. Il fuit d’avoir tué celle qui voulait fuir et mettre fin au défilé stérile des kilomètres du voyage incapable de sauver un amour qui s’épuise.

la campagne. Cette très jeune fille synthétise les deux aspects du sacrifice. Elle est d’abord la coupable qui commet le mal par le meurtre gratuit d’un poisson rouge à coups de ciseaux et qui n’hésite pas à jouer le jeu de la fausse confession à la grand-mère où elle accuse un petit camarade innocent. Mais la jeune fille est aussi l’objet sacrifié, l’objet purificateur dont l’apparition du sang menstruel hâte la fin du récit. La vulve saigne, c’est le printemps, cet âge de la vie où plus rien n’est évident, où tout se dédouble dans la conscience, où commettre le mal est une expérience transgressive devenue principe de changement.

Le mal et le sacrifice sont souvent incarnés par deux objets distincts. Le sacrifié n’est pas le sacrificateur. La faute que l’on expie n’incombe pas au sacrifié. Le Printemps se dédouble passant sans cesse de l’errance d’un criminel en fuite à la vie ordinaire d’une fillette à

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Le Printemps, in Les Saisons, une tétralogie de Marcel Hanoun. Editions RE :VOIR www.re-voir.com


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LIVRES

P A S C A L P AT R I C E

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a photographie japonaise revient depuis peu sur le devant de la scène parisienne avec deux grandes expositions presque simultanées des grandes figures incontournables : Daïdo Moriyama à la Fondation Cartier pour l’art contemporain et Araki au musée Guimet. Cette dernière est monumentale, et propose au visiteur un parcours photographique unique à travers l’œuvre d’une vie, encore non achevée. Cette immersion totale se retrouve avec autant de matière dans le catalogue publié récemment par Gallimard. En plus des grandes séries déjà célèbres, comme « Théâtre de l’amour » ou « Voyage sentimental » qui ont fait connaître Araki, on retrouver couché sur le papier d’autres ensembles plus contemporains, tel « Tokyo tombeau », merveille de noir et blanc qui rend la vision d’Araki depuis l’au-delà. Le

livre balaye d’une façon intelligente une vie entière dédiée à l’acte photographique et mêle subtilement toutes les phases créatives et les sujets qui ont agité l’artiste pendant près de 76 ans. Ponctué de cinq textes et d’une introduction de Tadao Ando, cet ouvrage est une vraie monographie dans laquelle il faut se plonger en priorité pour découvrir la vie de l’homme aux cinq cents livres.

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Araki Nobuyoshi Gallimard relié, sous jaquette 304 pages 719 photos et illustrations 39,90€


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JUIN/AOUT MMXVI - NUMÉRO QUINZE

M E R C I LA FRANCE, PARIS, NICE, LE SPRITZ, ANTOINE GRIEZMANN, NASSER, ALAN VEGA, LES REDACTEURS, LES LECTEURS, LES ARTISTES ET CEUX QUI NE LE SONT PAS.

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