SEPTEMBRE/NOVEMBRE MMXVI - NUMÉRO SEIZE
BRANDED CHRISTODOULOS PEINDRE SCULPERE AURÉLIE
LE
PANAYIOTOU PAYSAGE -
FERRUEL
-
-
MATHIAS
CYRIL
IVAN &
FLORENTINE
KISS
ZARCONE ALECHINE GUÉDON
07
36
ÉDITO par Laurent Dubarry
ART Cyril Zarcone
10
44
ART Théâtre des objets déracinés Christodoulos Panayiotou
ART Sculpere
20
48
ART Peindre le paysage, un art de la dépose
ART Le bord des mondes
28
52
ART Mathias Kiss, l’infini et le commensurable
ART Mais, comme un murmure…
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SOMMAIRE B R A N D E D
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QUESTIONNAIRE Guillaume Faure 66
PORTFOLIO Aurélie Ferruel & Florentine Guedon 92
LITTÉRATURE Le Puits des oiseaux nature morte 95
REMERCIEMENTS
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ÉDITO IT ’ S
ALL
RIGHT
It ain’t no use to sit and wonder why, babe It don’t matter, anyhow An’ it ain’t no use to sit and wonder why, babe If you don’t know by now When your rooster crows at the break of dawn Look out your window and I’ll be gone You’re the reason I’m trav’lin’ on Don’t think twice, it’s all right It ain’t no use in turnin’ on your light, babe That light I never knowed An’ it ain’t no use in turnin’ on your light, babe I’m on the dark side of the road Still I wish there was somethin’ you would do or say To try and make me change my mind and stay We never did too much talkin’ anyway So don’t think twice, it’s all right Don’t Think Twice, It’s All Right - Bob Dylan
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SEPTEMBRE/NOVEMBRE MMXVI - NUMÉRO SEIZE
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COPYRIGHTS
WWW.BRANDED.FR Fondateur et directeur de publication : Laurent Dubarry laurent.dubarry@branded.fr Rédacteur en chef : Jordan Alves jordan.alves@branded.fr Directeur artistique : Léo Dorfner leodorfner@gmail.com Rubrique Art Julie Crenn julie.crenn@branded.fr Rubrique Livre Jordan Alves jordan.alves@branded.fr Rédacteurs : Florence Bellaiche, Ricard Burton, Stéphanie Gousset, Madeleine Filippi, François Truffer, Antonin Amy, Pauline Von Kunssberg, Ludovic Derwatt, Marie Medeiros, Mathieu Telinhos, Chloé Dewevre, Joey Burger, Ema Lou Lev, Jen Salvador, Benoît Blanchard, Len Parrot, Marie Testu, Benoit Forgeard, Alexandra El Zeky, Marianne Le Morvan, Blandine Rinkel, Mathilde Sagaire, Cheyenne Schiavone, Pauline Pierre, Virginie Duchesne, Marion Zilio, Florian Gaité, Tiphaine Calmettes, J. Élisabeth, Eugénie Martinache, Florence Andoka, Julien Verhaeghe, Anaïs Lepage, Pascal Lièvre, Mickaël Roy, Vanessa Morisset, Julie Cailler, Lili Lekmouli, Sabrina Belemkasser, Charline Guibert, Pauline Lisowski, Gérard Love, Nariné Karslyan, Kristina Mitalaitė, Laurence Gossart
Page 01 : Courtesy Aurélie Ferruel & Florentine Guedon Page 10 : © Christodoulos Panayiotou. Photo. Julie Joubert. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris Pages 12-13 : © Christodoulos Panayiotou. Photo. Julie Joubert. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris Page 14 : © Christodoulos Panayiotou. Photo. Julie Joubert. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris Page 16 : © Christodoulos Panayiotou. Photo. Julie Joubert. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris Page 17 : © Christodoulos Panayiotou. Photo. Julie Joubert. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris Page 18 : © Christodoulos Panayiotou. Photo. Julie Joubert. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris Pages 20 : Courtesy Damien Cadio & Galerie Eva Hober Page 23 : Courtesy Brad Phillips Page 21 : Courtesy l’artiste & Galerie Escougnou-Cetraro Page 24 : ©Cy Twombly Page 27 : ©Julien Gorgeart Pages 28-29 : Courtesy Mathias Kiss & Galerie Alain Gutharc Pages 34-35 : Courtesy Mathias Kiss & Galerie Alain Gutharc Page 52-63 : ©Nicolas Daubanes Page 69-91 : Courtesy Aurélie Ferruel & Florentine Guedon
Contributeurs : Alizée de Pin, Jérémy Louvencourt, Julia Lamoureux, Morgane Baltzer, Camille Potte, Mathieu Persan
EN COUVERTURE AURÉLIE FERRUEL & FLORENTINE GUEDON
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ET ILS DISENT QU’IL S’EST ENFUI
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Vue de l’exposition “Theory of Harm”, galerie Kamel Mennour. Untitled, 2016. Stained glass, 114 x 106 cm.
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THÉÂTRE DES OBJETS DÉRACINÉS
FLORIAN GAITÉ
H
abitué des grands événements internationaux (dOCUMENTA (13) de Kassel, Biennale de Venise et Performa en 2015 pour ne citer que ceux-là), Christodoulos Panayiotou mobilise une compréhension politique des archives et de leurs objets. Si le jeune artiste chypriote a baigné dans une culture où les ruines sont omniprésentes, son approche va néanmoins bien au-delà d’un goût pour l’Antiquité, en concevant la société industrielle comme la matrice d’une archéologie du présent, en cours de production, à la lumière de laquelle tout le passé se réinterprète. Après un passage remarqué au CAC Brétigny en 2012, le nouvel entrant de la galerie Kamel Mennour, Christodoulos Panayiotou présente pour son premier solo show l’exposition « Theories of Harm » dans laquelle il met en scène les récits collectifs pour
mieux travailler la plasticité de leurs interprétations. Son titre évoque ainsi le parasitage des intérêts économiques au cœur de l’Histoire et dans sa restitution, le sens d’un principe libéral de non-concurrence (« The principle of Harm » théorisé par John Stuart Mill) se doublant en effet de sa traduction plus littérale : théorie du préjudice ou de la nuisance. De Chypre au monde global, Christodoulos Panayiotou remonte aux racines des récits culturels pour mieux révéler leur réappropriation délétère par les idéologies capitalistes, déclinant une esthétique personnelle du dommage et du faux-semblant.
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Vue de l’exposition “Theories of Harm”, Kamel Mennour Sectile, 2016. Quartzite and granite. Variable dimensions.
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74.51.2857 (Bearded head wearing a conical helmet), 2014. Limestone Carving. 35 x 46 x 40 cm. Vue de l’exposition “Theories of Harm”, Kamel Mennour
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ARCHÉOLOGUE-PLASTICIEN L’épure de l’exposition traduit le choix plastique d’une condensation extrême des signifiants. Les œuvres y sont autant des objets concrets (façonnés, construits, bricolés, usinés) que des surfaces symboliques, des nœuds sémantiques à déchiffrer. Œuvre-signature de Panayiotou, Price of Copper, une fontaine bricolée à partir d’une plaque de cuivre, apparaît au premier abord pour un simple hommage à sa Chypre natale (le métal fut appelé cyprum en latin du fait de son abondance sur l’île) et à une figure-clef de l’histoire de l’art (de la Fontaine de Trévi à celle de Duchamp). Son titre — L’Achat du cuivre, en référence à un texte de Brecht sur la force de la convention et de l’illusion théâtrale — oriente pourtant la lecture vers une interrogation sur la différence entre valeur symbolique et valeur matérielle. L’eau délimite ainsi sur la cathode une partie mouillée, altérée, prise dans le flux des imaginaires collectifs, décollée d’une autre partie sèche, brute qui le renvoie à son statut de matériau affectivement neutre, monnayable pour ce qu’il est. Posé en regard du contemporain, une généalogie critique est alors possible, prête à être dépliée. Le cuivre, premier motif de l’établissement des routes commerciales en Méditerranée, est renvoyé à l’épuisement imminent de ses ressources naturelles comme à son pillage massif et organisé à travers l’Histoire, anciennement réemployé pour la construction d’armes ou aujourd’hui revendu aux industries. Archéologue-plasticien, Panayiotou cherche à révéler l’arkhè — l’origine — dont Arendt et Derrida ont si finement analysé la double étymologie de « commencement » et « commandement ». Il s’agit en effet pour lui de déconstruire cette autorité première et de révéler ce qui a été perdu, occulté, déformé ou conservé à travers l’Histoire. Agissant de façon plus
active dans l’économie des représentations collectives, Christodoulos Panayiotou entreprend avec le vitrail rose et turquoise de « réparer » l’abandon de ces couleurs du rainbow flag originel, étendard de la communauté homosexuelle, dans sa version commerciale. Incrusté dans un mur de la galerie donnant sur l’extérieur, il laisse passer la lumière naturelle et ses variations, produisant une atmosphère féérique et doucement libidinale. A travers cet objet précieux, aussi simple que sophistiqué, il s’agit de réancrer le symbole dans un sol originaire historique tout en le déréalisant aussitôt, de rejouer l’histoire officielle dans une dramaturgie poétique qui en réoriente la lecture. Ce désir de tenter une autre origine s’exprime tout aussi bien dans les mosaïques, dont les tesselles viennent de copies d’œuvres antiques récupérées en Syrie. En gommant les motifs pour ne conserver qu’un protocole minimal, entre le programme et le geste plus intuitif, Christodoulos Panayiotou rend ce geste artisanal à la vanité de sa conservation actuelle, les allées chypriotes étant recouvertes de terre après avoir été découvertes dans le but de les préserver. L’apparente gratuité de ces œuvres renvoie également à un présent de l’art, rendu selon les termes de Jean-Luc Nancy a un état lui-même vestigial, condamné à n’être plus qu’une fumée sans feu, un art sans cause, ni finalité. De fait, Christopoulos Panayiotou n’inscrit ces œuvres dans aucune transcendance, les réduisant à leur minimum signifiant pour en augmenter la force d’évocation.
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Untitled, 2014. C-print. Vue de l’exposition “Theories of Harm”, Kamel Mennour
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Untitled, 2013. Detail Wall mosaic. 60,5 x 50,5 cm. Vue de l’exposition “Theories of Harm”, Kamel Mennour
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PRODUITS SANS RACINE Christodoulos Panayiotou joue constamment de l’écart entre la valeur symbolique et la valeur d’usage, l’artifice et le naturel, l’apparence et l’être. La question du faux-semblant est au cœur d’une série de photographies de fleurs artificielles, passés du statut de comble du raffinement du temps de MarieAntoinette à l’emblème cheap de la mondialisation aujourd’hui. Rendu dans la province chinoise de Guangzhou, centre mondial de cette industrie, le plasticien fait le constat d’une conséquence absurde de l’économie globalisée : la production est entièrement destinée à l’exportation vers les pays occidentaux, au détriment de sa diffusion au niveau local, comme si la notion d’origine perdait sa radicalité, sa capacité à faire racine, à s’enraciner dans un territoire. Superposant fleurs artificielles et milieux naturels, les photographies disent avec une concision qui confine à la dérision, la confusion toujours plus franche entre le réel et l’illusion, l’affaiblissement de la notion d’original et l’hégémonie industrielle de la copie. Réminiscence des lapidariums de son enfance, une pierre sculptée, reproduction d’un détail d’une œuvre des collections chypriotes du Metropolitan Museum (Bearded Head Wearing a Conicol Helmet), interroge ainsi autant la perte inhérente au fragment et à sa reproduction muséale, qu’il attire l’attention sur le transfert géographique de l’objet d’exposition dans la culture globalisée, comme usurpé à sa terre d’origine, pleinement déraciné. La dernière salle de l’exposition radicalise enfin l’intention de dévoiler les généalogies, en descendant physiquement au niveau de la terre. Dans une épure monacale, Christodoulos Panyiotou livre son interprétation du sol de marbre en granite et en quartz
du Brésil, dans un geste burlesque qui tourne en dérision la noblesse dont il bénéficie dans l’histoire de l’art : du marbre de carrare employé par Michel-Ange pour réaliser le tombeau de Jules II à son emploi contemporain chez Carl Andre. En découvrant des inscriptions techniques (son poids, sa provenance, sa qualité…), des traces normalement gommées ou cachées à la vue, il en fait une œuvre inachevée, contrariée dans sa forme finale, résistant aux mécanismes de fétichisation. La mise à nu du processus de fabrication en contredit aussitôt la puissance de simulacre et en conjure l’investissement symbolique. A l’image d’une œuvre placée entre art scénique et anthropologie plastique, Christodoulos Panayiotou démontre avec « Theories of Harm » toute la puissance d’un geste de réorganisation narrative et symbolique, à la faveur de laquelle il édifie, avec élégance et discernement, une mythologie critique du contemporain.
Page précédente Christodoulos Panayiotou, Price of Copper, 2016. Copper cathode, pump, water jets and hose. 110 x 110 x 0,5 cm. Vue de l’exposition “Theories of Harm”, Kamel Mennour
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PEINDRE LE PAYSAGE, UN ART DE LA DÉPOSE L A U R E N C E G O S S A RT
« Il n’y a paysage que s’il y a déconcenatration - dé-fixation – du regard et que celui-ci se met à circuler. Il faut que le regard se promène pour que le paysage apparaisse »1
P
eindre des plantes, des arbres, des paysages n’est pas chose facile. Nombreux sont les peintres contemporains qui, pour de raisons variées, s’y adonnent. Si l’on peut, en effet y déceler des effets de mode (après tout, nous ne sommes que le produit de notre temps), ce sont les approches de ces sujets que j’interroge ici. Quelques entrées nous orientent. La réflexion que mène François Jullien nous intéresse particulièrement en cela qu’elle est celle d’un philosophe et sinologue français dont le regard nous permet d’accéder à une pensée qui nous est par définition étrangère. Se décaler de notre microcosme pour ouvrir et déplier une pensée car il semble que « ce pli ne se déplie pas. On ne peut défaire ce face-à-face où chacun est d’abord pensé à part de l’autre et l’un « devant » l’autre : la « nature » d’un côté, « présentant » le paysage comme « ob-jet » et, de l’autre, un « ob-servateur » se posant en « sujet » de liberté2 ». Le « pli » conduit cette pensée à rester dans l’ombre, dans ce que François Jullien nomme « l’impensé ». Pouvoir déplier une pensée, c’est la faire respirer, 1
1 Jullien, François, Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, NRF, Gallimard, Paris, 2014, p31 2 Ibidem, p 28
c’est lui permettre d’offrir des zones, de les faire exister. Déplier c’est ouvrir à la lumière. Je propose ici de tenter de défroisser les plissements pour sillonner dans les processus de ces paysages.
Objectivation et objet « De ce culte de l’objectivation, grâce auquel nous avons produit la « nature », notre pensée du paysage pourra se débarrasser ? (…) avec la pensée de l’objectum comme ce qui est « jeté devant » et fait obstacle à la vue, l’« objet », cette « invention moderne » de l’Europe et son grand outil, n’a pas seulement introduit une étanchéité de principe entre l’homme et le monde3 ». C’est en effet un clivage profond qui agit et détache l’homme occidental de son environnement quand la pensée chinoise, au contraire, pense l’unité du Monde et les interrelations qui s’y opèrent. Point d’objet mais des phénomènes et des processus. Ainsi le dessin, les dessins et peintures, sont un état de ce processus et non son résultat. Des arts de la dépose. De la même façon que le pinceau vient déposer l’encre sur le papier ou la soie, les per3 Ibidem, p 27
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ceptions et sensations du Monde semblent s’imprimer dans le corps et l’outil. Comme si le Monde donnait de son corps au corps de l’artiste. Comme si de l’un à l’autre, ce que nous nous nommons en occident « représentation » était en fait un état de la relation. Juste avoir su prélevé une vibration gracile et délicate d’une fleur, d’un arbre, d’un nuage, d’un souffle. Juste avoir su offrir ce moment. Il y a ici un lien intangible qui soumet l’un à l’autre, qui fait agir l’un dans l’autre et non une scission tranchante qui détache l’homme du Monde. Les mécanismes de vision en occident procèdent en effet différemment car centrés sur la vue et sur l’image. L’idée et les idées s’articulent autour de la question de la représentation (et ainsi autour de l’Idée platonicienne). On re-présente un ob-jet. Il y a un double mécanisme de distanciation qui démultiplie le mécanisme d’objectivation. La relation duelle cloisonne la nature dans une fonction d’objet soumis au regard d’un sujet, l’homme. Penser la nature c’est, en occident, la soumettre à notre regard, la soumettre à notre protocole de fonctionnement qu’est la vue. Le prima du scopique induit une approche des éléments naturels, un regard d’analyse ciselé et précis qui est nourrit par l’approche scientifique. C’est un regard qui distingue, isole et analyse. C’est un regard de compréhension. Non une compréhension empathique et attentive - qui pourrait se rapprocher des tentatives phénoménologiques4 - ce qui implique une relation de sujet à sujet - mais une compréhen4 « (…) la « compréhension » phénoménologique se distingue de « l’intellection » classique, qui est limitée aux « vraies et immuables natures », et la phénoménologie peut devenir une phénoménologie de la genèse. Qu’il s’agisse d’une chose perçue, d’un évènement historique ou d’une doctrine, « comprendre », c’est ressaisir l’intention totale - non seulement ce qu’ils sont pour la représentation, les « propriétés » de la chose perçue, la poussière des « faits historiques », les « idées » introduites par la doctrine - mais l’unique manière d’exister, qui s’exprime dans les propriétés du cailloux, du verre et du morceau de cire, dans tous les faits d’une révolution, dans toutes les pensées d’un philosophe. » Maurice Merleau-Ponty, La phénoménologie de la perception, Tel, Gallimard, 1992, p XIII
sion qui vise à appréhender par la connaissance. Comprendre les mécanismes des choses ne conduit pas forcément, dans la pensée classique, à en saisir l’essence contrairement à la pensée chinoise dont la phénoménologie semble emprunter des voies proches. La nature est donc souvent, en Occident, objet de connaissance. « « Paysage » supposera toujours en lui, en Europe, cette extériorité du spectateur5 ». Ainsi formulé le paysage devient « paysage » et est affranchit de son article de notoriété (le), de son article définit, de son « cas-objet » (formulation intéressante en Français car elle met l’accent sur la dimension d’objet d’un point de vue sémantique aussi). Et comprendre, lorsqu’il s’agit d’éléments de nature, c’est en sentir les respirations, s’en imprégner, en toucher le caractère de vivant. Le vivant…y compris parfois dans son dépérissement, son évolution et son temps. Les artistes chinois observent la nature longuement comme l’explique François Cheng dans Vide et Plein6. Ils possèdent à l’avance une « vision d’ensemble » qui résulte d’une minutieuse observation de la nature. « C’est seulement lorsque l’artiste possède la vision et les détails du monde extérieur qu’il commence à peindre. L’exécution, instantanée et rythmique, devient alors une projection à la fois des figures du Réel et du monde intérieur de l’artiste. »
5 Jullien, François, Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, NRF, Gallimard, Paris, 2014, p 28 6 Cheng, François, Vide et Plein, Le langage pictural chinois, Seuil, Paris, 1991
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Page 20 Damien Cadio La charge des hommes - Huile sur toile - 2016
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Brad Phillips - First Time Sober in Europe - Aquarelle sur papier - 2015
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Busei Kita - Un hibiscus - © Fondation Claude Monet, Giverny
Poétique et poiétique Ainsi, c’est vers une poiétique de l’attention que le sillonnement de notre pensée nous conduit. Si le mot observation tient à distance, celui d’attention rapproche. L’objet est celui qui est tenu en dehors du sujet. Il est duel et non dialectique. François Julien parle d’assèchement : « De là à penser le paysage comme visuel-aspectuel le retient à sa surface, l’asséchant dans ses traits, et nous maintient nous même à l’extérieur : s’y tarit déjà sa ressource.7 » L’aspectuel est déduit de l’extériorité, de ce qui fait aspect, surface restant ainsi dans une forme de distanciation 7 Jullien, François, Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, NRF, Gallimard, Paris, 2014, p 25
visuelle ou sensible. Le terme d’attention quant à lui concerne l’action de fixer son esprit sur quelque chose, c’est une activité mentale qui peut prendre plusieurs formes et ainsi solliciter différents sens. Ainsi, par le terme d’attention, il nous est offert d’approcher les éléments naturels (qu’ils soient plantes, feuilles, fleurs, paysages…) non pas seulement sous l’angle de l’image mais sous celui du « vivre de » dont l’image, ou l’ensemble des images produites, seraient une trace de l’expérience. L’attention, c’est aussi et avant tout, la disposition à la prévenance, aux soins attentifs envers quelqu’un. Quant à « L’attention flottante », celle préconisée par Sigmund Freud aux analystes, c’est celle qui se détache d’une orientation déterminée et marquée. Cette attention flottante offre la possibilité de marquer des accents, des ten-
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tions, des moments, de repérer des vibrations du vivant et les mouvements intrinsèques de la plante, de l’arbre, du paysage. Si ces derniers sont objets, une photographie suffit comme modèle, si ils sont sujets, ils ne tolèrent aucun intermédiaire. Paysage, plante etc, ne sont pas figés par l’image mais révélés par le dessin. L’attention pose alors un fil conducteur entre ces éléments et le peintre, tandis que l’observation y place une ligne de démarcation. « Au contraire, la pensée du procès repose sur un jeu d’interactions réciproques au sein d’une dualité dont les deux termes fonctionnent à parité : yin et yang, Ciel et Terre, dans le cas du monde, de même qu’ « émotion » et « paysage » dans le cas du poème. Celui-ci naît à la rencontre de l’intériorité et de l’extériorité, par incitation mutuelle entre elles deux, le « paysage » évoqué dans le poème se constituant sous l’effet de émotion éprouvée en même temps que celle-ci est suscitée sous l’effet du paysage contemplé8 ». Le peintre poète insuffle un procès. L’idée de la racine commune entre poiétique et poétique dans le « faire » nous permet de faire dialoguer la part sensible différemment sans la dissocier de ce qui est produit. Ainsi la relation sujet / objet s’atténue là encore pour mettre en évidence la poésie du faire, nous ramenant ainsi la formule de Paul Valéry « les œuvres de l’esprit ». La dimension poiétique étant en fait fondamentalement le processus à l’œuvre dans la pensée chinoise. La formule de Cézanne le dit bien, « le paysage se pense en moi » et non « je pense le paysage ». Il s’opère ainsi un bol alchimique dans lequel une relation entre deux sujets se réalise. Le paysage est ici sujet qui se pense et non pas objet de pensée. Il est vécu et en mouvement, et l’on constate que le verbe penser est employé sous sa forme pronominale et non transitive, forme qui aurait introduit un complément d’objet direct. Le paysage n’est pas objet, il est pronom, il est acteur, il est sujet. Il est sujet dans le sujet, ainsi, œuvre de pur esprit, le paysage se pense en lui…
Continuons et concluons. « (…) Mais c’est le paysage qui s’exprime à travers moi. D’en être le truchement, au sens propre, fait la vocation du peintre. Car si nous avons vu que le procès figuratif débute bien en amont de l’homme, à même les tracés naturels, nous savons aussi que l’homme est au sein du monde « là » où le monde prend conscience de luimême par le langage et s’explicite. Aussi le paysage s’est-il « enfanté-métamorphosé en moi comme je me suis enfanté-métamorphosé en lui » : si bien que le paysage et moi nous nous rencontrons en esprit » (…) 8». Cette formulation du peintre Shitao, cité par François Jullien, est très proche en effet de celle de Cézanne. Proche en terme d’expérience, proche en terme de ressenti. De l’Orient à l’Occident les marges deviennent poreuses. Elles respirent. Sillonnant ainsi, l’idée de se déplacer légèrement, et, pourquoi pas, d’enlever l’image photographique ou les différents intercesseurs, pourrait ouvrir une porte, renouveler une attention au monde et enrichir d’un nouveau souffle les branches légères de pratiques picturales dont la beauté n’est en aucun cas à remettre en question. Juste une idée…Et si l’image devenait phénomène ?
8 Jullien, François, Procès ou création, Une introduction à la pensée des lettrés chinois, Seuil,Paris, 1989, pp 260-261
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Julien Gorgeart - Balade - Huile sur toile - 89 x 116 cm - 2016
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MATHIAS KISS L’INFINI ET LE OMMENSURABLE C JULIE CAILLER
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« LES COULEURS SEULES HABITENT L’ESPACE, ALORS QUE LA LIGNE NE FAIT QUE VOYAGER AU TRAVERS ET LE SILLONNER. LA LIGNE TRAVERSE L’INFINI, TANDIS QUE LA COULEUR EST » YVES KLEIN
LE DÉPASSEMENT DE LA PROBLÉMATIQUE DE L’ART ET AUTRES ÉCRITS
D
amier aussi fragile que chatoyant, In situ, œuvre de Mathias Kiss, rayonne de 12 500 feuilles d’or, apposées à la surface même du sol de la galerie Alain Gutharc, entièrement recouvert. In situ apostrophe de son nom l’espace même du lieu qui l’accueille, ses murs, ses angles, ses rebords, ses surfaces mais aussi ceux qui l’habitent, le traversent, le foulent et qui, d’un pas trop engourdi ou trop indolent, l’effeuillent, emportant du bout de la chaussure un peu de la matière étincelante. En contrepartie, une trace, une salissure entache la surface, laissant l’empreinte des passages, désacralisant la pureté de la matière originelle. Feuille après feuille, les unes à côté des autres, les unes au-dessous des autres, en une géométrie invariable, en un monochrome d’or, la matière excède la dimension décorative.
Ni cadre ni ornement, les feuilles d’or se déploient au-delà de la notion de surface, même si elles s’y appuient, la recouvrent, la revêtent. Révélant un espace sans perspective, sans limite, sans réalité tangible où rien ne heurte le regard absorbé jusqu’au point de transcendance, l’or en aplat impressionne l’oeil. La matière se révèle pareille à un pan, tel que le définit Georges Didi- Huberman notamment à propos de la peinture de Fra Angelico, c’est-à-dire, à la fois une condensation symbolique et un pur objet visuel. Par sa luminance, il modifie la perception de l’espace, il l’habite, le fait vibrer. L’or fascine et accapare la vision. Résonnent en cette matière le monumental et le somptueux, elle se joue de l’immatériel, elle en est la couleur, en elle retentit le sacré, le divin, l’infigurable, l’infini. In situ convoque les fonds d’or byzantins, l’espace des icônes et les cieux suspendus aux coupoles. Pourtant Mathias Kiss opère un renver-
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sement des espaces de la représentation et décroche ce pan éblouissant des plafonds auxquels il semblait destiné. Entre ciel et terre, il se réalise une interversion de ces espaces. Cependant, même au sol, le pan étincelant préserve une dimension céleste. In Situ, un ciel déchu ? Peut-être, mais l’important est ailleurs. Cette œuvre invoque alors d’autres œuvres, d’autres peintures de l’artiste. Parangon des créations de Kiss, de ses scénographies, de ses installations : le ciel, des ciels peints, ceux des intérieurs privés, des nuées, des nuages en bois dorés à la feuille d’argent, des plafonds en feuilles d’argent. L’artiste s’est emparé du sujet, il le décline, le met à portée de mains, de pieds, dans une forme de visibilité immédiate et de toucher imminent, rendant tangible le cumulus, palpable le stratus. L’immatériel emplit l’espace, allant au-devant du spectateur, se projetant vers nous par la couleur mais aussi par la forme, le volume. Les œuvres de Kiss se distinguent par ce goût prononcé pour l’inversion, que ce soit grâce à la réflexion spéculaire ou, comme dans In Situ, dû au renversement des espaces. Se révèle alors
l’illusion d’un espace infini, une sensation de la matière, de l’or, de l’argent, celle du reflet dans la glace mais cette illusion se heurte ici au commensurable, du carré de la feuille d’or au volume du cube, à cette géométrie tacite mais aussi au commensurable du temps et des corps, à leurs inscriptions sur et dans le lieu, à leurs passages. Les corps œuvrent et font œuvre, font l’œuvre, décrochant les paillettes de métal, altérant les feuilles d’or, maculant la surface. Alors ces sombres nuées, ces salissures opportunes voyagent, sillonnent, traversent l’infini, pour reprendre les mots d’Yves Klein, comme autant de lignes, de tâches défiant la couleur, l’emportant, elle et la matière précieuse, dans leurs tracés. Arpentant l’étendue en mesure, en cadence de ses pas, les corps reconsidèrent et recréent sans cesse l’œuvre. Chaque personne lui confère une visibilité nouvelle, une facture inédite. Le spectateur ne s’incarne-t-il pas alors véritablement au travers de cette rencontre ? Celle de l’homme et de la matière, celle de l’infini et du com-
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mensurable ? Et ressurgissent les mots de Saint Bernardin de Sienne pour figurer l’Incarnation, souvent cités par Daniel Arasse au sujet de de l’Annonciation d’Ambrogio Lorenzetti, peinture alliant fond d’or et perspective géométrique : « l’éternité vient dans le temps, l’immensité dans la mesure, le Créateur dans la créature, {...} l’infigurable dans la figure, l’incirconscriptible dans le lieu, l’invisible dans le visible, {...}l’impalpable dans le tangible ».
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Cyril Zarcone LÉO MARIN
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ENTRE PARIS ET MARSEILLE LE 10 MAI 2015, 08H42.
« JE RÉFLÉCHIRAI SUR LA CONSTRUCTION DE LA CATHÉDRALE, AFIN DE MIEUX COMPRENDRE SON ARCHITECTURE. » ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY
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l obtient son DNAP à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Marseille (2011) en agrémentant cette expérience de nombreux échanges, notamment à l’Akademie der Bildenden Künste à Munich, mais aussi à Bruxelles. Il poursuit ensuite son cursus à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et obtient son DNSEP en 2013. Au cours de cette dernière formation, il écrit « LE BRICOLAGE SUPÉRIEUR », mémoire dans lequel il questionne et explore les différences entre le bricoleur et le sculpteur. On y retrouve des parties très à propos, intitulées : « L’art du bricolage selon Lévi-Strauss », « D.I.Y. et tâtonnement » ou « Les
bricoleurs (mon voisin et moi) », qui constituent aujourd’hui les principes fondamentaux de sa pratique. Ces recherches marquent le début d’un processus prolifique pour l’artiste qu’il est aujourd’hui. Attentif dès la première heure au travail de Cyril Zarcone, j’ai pu observer en direct l’élaboration de son concept, et l’évolution régulière qu’il y apporte depuis lors en approfondissant ses axes de recherche tout en affinant son travail de la forme.
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ART Double page précédente Cyril Zarcone, RE/ PRODUCTIONS, vue de l’exposition de gauche à droite : Protection, 2016, échafaudage et filet de protection, dimensions variable Colonne, 2016, Plâtre et bois, 240 x 55 x 55 cm Photo Rebecca Fanuele Courtesy Galerie Eric Mouchet
CONSTRUCTEUR DE SCULPTURES « Bricoleur Supérieur » autoproclamé, Cyril Zarcone aime que notre regard s’attarde sur les détails de ses constructions et identifie les techniques utilisées pour la création de ses sculptures. Souvent, il laisse apparentes les traces des procédés qu’il a mis en œuvre pour réaliser ses pièces et donne ainsi aux étapes de construction autant d’importance qu’à leur résultat final. Le « Bricolage Supérieur », tel qu’il l’entend passe par l’utilisation d’outils et de techniques propres aux techniciens (éléments de coffrage, de protection ou de soutènement) dont il s’inspire pour créer ses volumes. Sans avoir leur formation, mais avec ses connaissances propres, il examine ces instruments de BTP et les sites de construction puis les reproduit généralement dans les mêmes matériaux. Il dira luimême : « Le bricolage ce n’est pas de la bidouille mais plutôt un moyen de faire au mieux avec ce que l’on a ». Il crée ainsi ses œuvres en partant d’outils-objets
souvent destinés au rebut à l’issue de leur utilisation réelle. Cependant, lorsqu’il les reconstruit à (ce qui semble être) l’identique, il dépossède les originaux reproduits de leur utilité première. Leur fonction ne subsistera, elle, que dans l’essence de ces items refaçonnés. Cyril Zarcone redonne ainsi au volume la beauté de sa forme première et le débarrasse de ses contingences utilitaires. L’essence de ce processus réside dans une création par le dépouillement de la fonction pour revenir à l’état originel supposé des choses. Comme un retour en arrière, qui en plus de nous faire accéder à la forme première, nous donne un aperçu du cheminement mental de son créateur initial et des besoins qui l’ont poussé à construire un outil-objet.
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Cyril Zarcone, RE/ PRODUCTIONS, vue de l’exposition de gauche à droite : Coffrage bois pour béton : about circulaire en biais, 2016 Bois, contreplaqué cintrage peint, 66 x 166 x 40 cm Coffrage bois pour béton : élément pour poutre, 2016 Bois, contreplaqué filmé, bâche armée, corde, 160 x 53 x 69 cm Coffrage bois pour béton : voile courbe, 2016, Bois, contreplaqué cintrage peint, 60 x 200 x 42 cm . photo Rebecca Fanuele, Courtesy Galerie Eric Mouchet
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Cyril Zarcone, Planches martyres – Série 1, 2016, MDF alvéolé 125 x 390 cm Courtesy Galerie Eric Mouchet
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SCULPTEUR DE CONSTRUCTIONS Lorsque, dans d’autres cas, Cyril Zarcone ne reprend que la forme et que la reconstruction passe par d’autres matériaux que ceux d’origine, comme le papier, le plâtre ou encore le polystyrène expansé, il se joue des faux-semblants et l’on se laisse surprendre par la fragilité de ses sculptures qui, une fois qu’on les a approchées, ne soutiennent rien, ne portent plus et bien souvent sont elles-mêmes maintenues par ce qui les entoure. Ces substitutions de matériaux poussent encore un peu plus loin le dépouillement utilitaire de la forme créée par l’artiste et l’annihilent complètement. Cyril Zarcone nous oblige alors à nous confronter à cette forme dans ce qu’elle a de plus primaire. En 2011, il réalise « Contre-Fiche », une structure d’étaiement de cinq mètres de haut en polystyrène extrudé qui n’étaiera que la nature de sa forme, car en réalité c’est le mur sur lequel cette sculpture est appuyée qui lui sert de soutènement. En 2012, avec « Protection », il recouvre un mur
qui n’en avait aucunement besoin, d’une bâche renforcée, et laisse les traces et débris du montage de cette toile plastique créer d’eux-mêmes des motifs simples rappelant au passage ceux de la fresque. En 2015, il produit « Ouverture » et utilise un passage préexistant dans l’espace de la Galerie Éric Mouchet qu’il recouvre de contre-plaqué filmé, calé par des tasseaux de bois sans aucune fixation. Il nous laisse croire volontairement que cette installation soutient l’ouverture alors qu’en réalité c’est l’ouverture qui soutient, toute en tension, son installation. Ces constructions alors ne sont plus seulement de simples réappropriations d’éléments de chantier, mais bel et bien de véritables sculptures qui nous amènent à nous questionner non plus seulement sur la forme de ce qu’elles sont mais aussi sur les préceptes de ce qu’elles mettent en lumière.
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SCULPERE SCULPTER, VERBE TRANSITIF, DU LATIN SCULPERE : TRAVAILLER LA MATIÈRE EN VUE D’EN DÉGAGER DES FORMES ET DES VOLUMES.
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Volée hélicoïdale, 2016, bois, bâche thermo-rétractable, visserie. 278 x 278 x 250 cm. Commissariat de Romain Semeteys. Production Galerie Eric Mouchet
Volée hélicoïdale est la première sculpture monumentale de Cyril Zarcone. Elle est présentée dans la cours du Crédit Municipale de Paris pour le parcours de la Young International Artists ArtFair 2016 (Y.I.A.). Attaché depuis toujours aux éléments de construction du bâtiment et du BTP, Cyril Zarcone y puise ses principales inspirations. Les éléments de coffrages quels qu’ils puissent être ont eu une place prépondérante dans le travail de cet artiste. Recréer et concevoir à l’identique ces éléments du bâti, avec ses propres connaissances est un des fondements de sa pratique. Faire des « ready re-made » comme l’artiste aime à les appeler, lui permet de se réapproprier la forme de ces volumes tout en se détachant des fonctionnalités des éléments dont il se nourri pour créer. Nous sommes bien là dans une configuration de sculpteur qui s’attache à travailler la matière pour
concevoir une forme en s’inspirant d’éléments extérieurs pour produire et nous offrir dans une autre définition du sensible, sa passion pour la construction. Volée hélicoïdale marque un tournant dans son travail. Une volée de ce type, est habituellement un moulage en béton d’un escalier hélicoïdale. Pour la forme que l’artiste nous livre ici, Cyril Zarcone ne reproduit pas simplement le moulage tel qu’il le connaît, il utilise des éléments de construction autre comme le coffrage et la bâche de protection thermorétractable, pour penser dans
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une nouvelle conception de la construction, comment nous présenter ce volume, dans ce que son essence à de plus sculptural. C’est ce qu’il nous livre ici est sa contribution dans l’édifice de la sculpture contemporaine.
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LE BORD DES MONDES
FLORENCE ANDOKA
Le musée Albert et Félicie Demard, à Champlitte (70), consacre une exposition au Mexique placée sous le signe de l’émigration utopique. Inscrite dans le présent, la section contemporaine du parcours présente notamment des œuvres d’Ivan Alechine qui vit depuis plusieurs années au Mexique, où il s’est immergé dans la communauté des Huichols. À l’aube de
l’été, Michel Collet, poète et performeur membre fondateur du dispositif de création Montagne froide, a invité Ivan Alechine à revenir sur son expérience sud américaine et son lien avec l’œuvre de Marcel Duchamp.
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Les photographies d’Ivan Alechine au grain marqué, aux noirs épais disent un monde brumeux, un espace nimbé de mystère parfois tendu vers l’abstraction. Nul paradis perdu observable à l’œil nu, juste des corps et des volumes qui agissent ensemble selon des principes invisibles. Ivan Alechine est poète, il a notamment publié en 2015 Trébuchet, épopée anthropologique subjective, où Marcel Duchamp rejoint les Huichols où se nouent l’inframince et l’inframonde. Trébuchet témoigne d’une quête unique aux accents platoniciens, où l’être à avoir avec les formes. L’inframince duchampien n’est-il pas cet autre rapport au monde qui unit les Huichols à leurs divinités ? « Un chaman est d’abord un paysan et un chasseur en contact avec les phénomènes climatiques, il perçoit d’autres mouvements, d’autres mondes s’additionner au monde que nous voyons. Les divinités ne sont pas des entités célestes inatteignables, elles se reflètent dans les formes. La capture, l’appropriation des forces qui animent ce que les anthropologues désignent par l’inframonde, sont l’attrait et le but même des cérémonies huichols […] Le chaman recueille une poussière de fonctionnement céleste, il isole les déités sur
le verre huichol comme Marcel Duchamp isole les mécanismes du désir sur son Grand verre. » affirme Ivan Alechine. Du tableau de Duchamp intitulé Jeune homme triste dans un train, auquel l’auteur identifie sa propre jeunesse, au sacrifice d’un taureau à visée thaumaturge, le fil qui guide Ivan Alechine est ténu. Le poète plus que jamais est un guide à travers le Grand verre, la Boîte verte, la Roue de bicyclette, ou encore Étant donné, un passeur à travers l’œuvre mystérieuse et métaphysique de Duchamp. Dans un monde ou dans l’autre, l’auteur s’est immiscé lentement, a dénoué les fils de sa propre existence dans la fréquentation de l’œuvre duchampienne comme dans les règles de vie des Huichols. Nul romantisme dans Trébuchet. Ivan Alechine a percé à jour depuis longtemps les sortilèges mythiques de L’Herbe du diable et la petite fumée de Castaneda. Le poète a, lui aussi, pris le peyotl, « substance lucidogène qui vous arrête dans le mouvement, vous rend patient », selon ses dire. Pourtant il dénonce les affres de la modernité, les drogues dures, l’omniprésence du plastique qui remplace à
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grande vitesse les créations artisanales, le maïs sacré est devenu OGM ; chacun est désormais menacé par le cancer à cause de l’eau infestée de pesticides. Ses photographies témoignent parfois de cette réalité en mouvement. Des bouteilles en plastiques partout, des petites filles aux boucles de Barbie, échappées de 4X4, imitant les codes des telenovelas qui inocule l’esprit post-moderne à celui qui les regarde : le bilan d’Ivan Alechine est lucide, sans romantisme, marqué seulement par son respect pour une tradition menacée de disparition.
Trébuchet, Ivan Alechine, édition Galilée, 2015 Exposition : Champlitte-Jicaltepec/San Rafael, l’écart absolu Jusqu’au 27 octobre 2016 Au Musée Albert et Félicie Demard, à Champlitte www.musees.haute-saone.fr
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M A I S ,
C O M M E
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M U R M U R E …
À PROPOS DES SABOTAGES DE NICOLAS DAUBANES L A U R E N C E G O S S A RT
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LE TRAVAIL DE NICOLAS DAUBANES ÉTAIT PRÉSENTÉ LORS DE L’YIA ART FAIR 7 2016 PAR LA GALERIE MAUBERT
…DES FAILLES S’INSINUENT DANS LE BÉTON DES FORMES SCULPTÉES POSÉES À MÊME LE SOL. DES FORMES QUI ÉVOQUENT L ’HABITAT, L’ESCALIER, L’IDÉE MÊME DE CONSTRUCTION. DES FORMES COMME DES FRAGMENTS D’UNE UNITÉ PERDUE QUE POURTANT ELLES SUGGÈRENT. DES FORMES MINÉES DE L’INTÉRIEUR, IRRÉMÉDIABLEMENT RONGÉES, SANS RETOUR POSSIBLE.
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…COMME UNE MALADIE QUI POURSUIT SON SINISTRE CHEMIN, DÉVORANT LE CORPS DE CELUI QU’ELLE HABITE. LENTEMENT, SÛREMENT, UN ÉCHO AUX GESTES RÉSISTANTS DES HOMMES FORCÉS À CONSTRUIRE LES BUNKERS SUR LES CÔTES DE L’ATLANTIQUE. À CES MASSES COMPACTES, DENSES ET IMPRENABLES, RÉPONDENT LA BRAVOURE DES ANONYMES QUE L’ON A FORCÉ À LES BÂTIR. DES CORPS D’ARCHITECTURE DONT L’UNITÉ COMPACTE EST VÉROLÉE DE L’INTÉRIEUR PAR LE SUCRE INCORPORÉ DANS LE MATÉRIAU LUI-MÊME. FIGURE DE L’ENFERMEMENT, LE BUNKER EST AUSSI FIGURE DE L’OCCUPATION D’UN TERRITOIRE DONT LES CÔTES SAUVAGES DES BORDS DE MER SONT ENCORE AUJOURD’HUI LE TÉMOIN. DES MASSES DE BÉTON QUI S’ENLISENT DANS LE SABLE MAIS QUI RÉSISTENT MALGRÉ TOUT AUX BOURRASQUES, AU SEL, AUX MARÉES.
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…COMME UNE MÉCANIQUE ALÉATOIRE MAIS CONTINUE, LA DESTRUCTION DU CORPS S’OPÈRE. NICOLAS DAUBANES CONTAMINE LE BÉTON ARMÉ DE SES SCULPTURES PAR DES BRASSÉES DE SUCRE. UN GESTE ABSURDE MAIS QUI PORTE EN LUI UNE CORROSION LENTE ET POURTANT VIRULENTE. ON NE SAIT SI LA STRUCTURE VA CÉDER, MAIS ELLE EST MINÉE. EN PROFONDEUR. CES FORMES HÉLICOÏDALES, ESCALIERS OU CHAINE ADN SUGGÈRENT LE CORPS. UNE CORPORÉITÉ MALAXÉE ET CONTRAINTE DANS DES MOULES, ESTAMPÉE DE L’EXTÉRIEUR TOUT AUTANT QUE STRUCTURÉE DE L’INTÉRIEUR. MAIS PARASITÉE, INFILTRÉE, DONT L’INTÉGRITÉ EST MENACÉE. RONGÉES D’UN MURMURE QUI DESSINE DES LIGNES PLUS VISIBLES ET DONT LE SOMBRE CHANGEMENT DE COULEUR RÉVÈLE LA PRÉSENCE DU PROCESSUS À L’ŒUVRE. AU BRUTALISME APPARENT RÉPOND LE RAFFINEMENT DU DÉLITEMENT DE LA MATIÈRE QUI S’OPÈRE SOUS NOS YEUX.
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….COMME DES CÉSURES DANS L’EXISTENCE, LES FISSURES DES STRUCTURES S’AFFIRMENT ET DONNENT À LIRE LEUR FRAGILITÉ PAR DELÀ LEUR APPARENCE. ET LA SOLIDITÉ FACTICE DE CES ÉDIFICES DEVENUS RUINES DÈS LEUR CONCEPTION, ÉDICULES ACCULÉS À LA DÉMOLITION, CÈDE FACE À LA DENRÉE QUI PROGRESSIVEMENT LA GANGRÈNE…
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QUESTIONNAIRE
GUILLAUME FAURE PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO DORFNER En aide de camps de Napoléon Kassovitz dans Guerre et paix pour la BBC, en mari de Liv Tyler pour Belstaff ou encore auprès du Dr Strange Cumberbatch dans le prochain Marvel, Guillaume Faure est pourtant un acteur français. On le retrouvera prochainement dans les films de Guillaume Canet ou LucienJean Baptiste.
1 - Que n’échangeriez-vous pour rien au monde ? G.F. Ma loyauté 2 - Quelle profession rêviez-vous d’exercer lorsque vous étiez enfant ? G.F. Cowboy 3 - Quel cadeau aimeriez-vous recevoir ? G.F. Un steinway de concert 4 - Le meilleur endroit où passer la nuit ? G.F. Le pont d’un voilier dans les grenadines 5 - Une chose que vous aimeriez savoir faire ? G.F. Des flips flaps 6 - Un disque ? Un livre ? Un film ? La llorona / Lhasa, La promesse de l’aube / Romain Gary, Tree of life / Terrence Malick
G.F.
7 - A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? G.F. Debut 20eme dans l’ouest américain 8 - Le plus bel homme, la plus belle femme de la terre ? G.F. Barack Obama et ma femme 9 - Que faîtes-vous le dimanche ? G.F. C’est quoi le dimanche?
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QUESTIONNAIRE
10 - Votre syndrome de Stendhal ? G.F. Etre au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes personnes 11 - Avec quelle personne morte aimeriez-vous pouvoir dîner ? G.F. Kurt Cobain 12 - Quel est votre alcool préféré ? G.F. Bourgogne Blanc 13 - Quelle est la personne que vous détestez le plus ? G.F. Le connard, qui sous pretexte de ne jamais avoir essayé, va bien nous foutre dans la merde en mai prochain en mettant son bulletin dans l’urne 14 - Où aimeriez-vous vivre ? G.F. Venice Beach 15 - Qu’est-ce qui attise votre désir chez l’autre ? G.F. Ce qu’elle choisit de me dévoiler 16 - Un personnage de fiction auquel vous vous identifiez ? G.F. Rocky Balboa 17 - À combien évalueriez-vous votre corps pour une nuit ? G.F. L’offre depend de la demande 18 - Un mot, une expression ou un tic de langage ? G.F. Putain 19 - PSG ou OM ? G.F. A jamais les premiers!!!! 20 - Si vous pouviez avoir la réponse à une question, quelle serait la question ? G.F. Il parait que l’univers a une fin, qu’est ce qui commence derrière? 21 - Quelle serait la musique de votre enterrement ? Le prelude de la Traviata
G.F.
22 - Votre menu du condamné ? G.F. Tête de veau!! 23 - Une dernière volonté ? Un verre de Chateauneuf du Pape pour l’accompagner
G.F.
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PORTFOLIO
AURÉLIE FERRUEL & FLORENTINE GUÉDON JULIE CRENN
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’anthropologue étudie le genre humain dans sa totalité. Il en observe le corps, les spécificités physiques, mais aussi la culture grâce aux disciplines connexes comme l’ethnologie et la sociologie. Aurélie Ferruel et Florentine Guédon inscrivent leur réflexion plastique dans une perspective clairement anthropologique. L’humain, son histoire, sa mémoire et son savoir, en est le sujet moteur. Pour mieux l’appréhender, elles mènent un travail d’analyse sur le terrain, en immersion conviviale et collective. Depuis 2010, elles partent à la rencontre de groupes, de clans et de tribus, proches et inconnus, dont elles décryptent les mœurs, les traditions, les rites, les costumes, les danses, les chants, les spécialités gastronomiques et toutes les spécificités qui les composent. Les deux artistes tentent de saisir les objets, les gestes, les mythes et les codes qui architecturent les microsociétés dont elles s’imprègnent. Nous sommes tous membre d’un clan, à commencer par notre famille. Les artistes font de leurs familles respectives, en Vendée et en Normandie, un terrain d’investigation et d’expé-
rimentation. Florentine Guédon a reçu l’enseignement de la couture par sa grand-mère, tandis qu’Aurélie Ferruel excelle dans le maniement de la mini-tronçonneuse grâce à son père. Drôle d’alliance que celle de la couture et du bûcheronnage. Une alliance rendue possible par la transmission de savoir-faire, d’une génération à une autre. La notion de transmission (pratique, orale, écrite ou intuitive) au sein d’un groupe s’inscrit au cœur de nombreux projets. En 2013, elles entreprennent la réalisation d’une photographie de famille, l’union de leurs deux familles, où chacun porte une coiffe signifiant à la fois une personnalité et une compétence (Sisi La Famille). Quels objets nous représentent le mieux ? Comment et pourquoi ? Une photographie résulte d’une mise en scène réalisée au beau milieu d’un champ normand. Les coiffes sont comprises comme de véritables sculptures, qui vont ensuite être mises en scène en couronnant des structures en bois brut. La performance, forme vivante, donne lieu à la sculpture. Les deux pratiques sont indissociables, l’une engendre l’autre et vice versa. Les vêtements et les objets créés pour chaque projet ne sont pas les simples accessoires d’une
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mise en scène ou d’un rituel, ils sont envisagés comme des sculptures à part entière. En ce sens, elles activent Temps Libre (2013-2015), une performance conçue comme un temps de travail durant lequel elles tissent une tapisserie. Harnachées d’un vêtement-outil, elles sont assises de par et d’autre d’un métier à tisser fabriqué de manière artisanale. La visée anthropologique pose aussi la question de l’exotisme et des objets issus des rites cultuels. De nombreux objets, de provenance africaine, asiatique ou sud-américaine, sont sculptés et réalisés à des fins cultuelles et ne sont pas intrinsèquement envisagés comme des œuvres d’art. Pourtant, les Occidentaux y voient une dimension artistique, magique et mystique forte. Du point de vue occidental, les objets incarnent l’Autre et détiennent une aura exotique. Sans quitter l’hexagone, le milieu rural, les pratiques culturelles et les traditions populaires recèlent une dimension exotique cependant dépourvue du charme des contrées lointaines. En explorant les processus de transmission, Aurélie Ferruel et Florentine Guédon, artistes-ethnologues, travaillent aussi la valeur et la portée de l’objet cultuel (masque, attribut, vêtement, blason, accessoire). Pour cela elles hybrident les cultures, les récits et les pratiques. Les sculptures résultent d’un métissage : technique et culturelle. Elles prospectent tant au niveau local (Normandie et Vendée), qu’au niveau international, leur recherche est transhistorique et transculturelle. De la danse Shangaan en Afrique du Sud au Fest-noz breton, en passant par l’art des azulejos portugais, La Confrérie des Chevaliers du Goute-Boudin de Mortagne-au-Perche ou les chants paillards vendéens, tout est prétexte à rencontre, à expérience et à création. En 2015, lors d’une rési-
dence à Louvigné-Du-Désert, les deux artistes mixent les costumes traditionnels bretons avec ceux de l’ethnie sud-africaine Shangaan. La jupe plissée bouffante rencontre alors la coiffe et le plastron. Danse avec le Cul articule le chant et la danse comme armes de séduction. Pendant que leurs grand-mères chantent et que le grand-père joue de l’harmonica, les artistes dansent en compagnie d’hommes sculptés dans le bois, inertes et dociles. Aurélie Ferruel et Florentine Guédon développent une œuvre participative conjuguant les histoires et les spécificités ethniques. La mutualisation des expériences est mise à profit d’une réflexion profondément humaine. Avec humour et sincérité, elles pointent du doigt différents débats sur la lente morte des traditions populaires, sur le genre ou encore sur les questions qui opposent le folklore et la tradition. Par l’appropriation des codes, des rites et des traditions, Aurélie Ferruel et Florentine Guédon mettent en lumière un pan d’une culture commune méconnu et trop largement déprécié. La transposition des univers est plurielle et métisse, elle engendre une réactivation et réactualisation d’un territoire qui souffre d’un mépris et d’une invisibilité auxquels l’art peut remédier.
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LIVRES
LE PUITS DES OISEAUX
N AT U R E M O RT E J O R D A N A LV E S
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out d’abord, il y a une masse inerte. Une forme qui se révèle sur le fond blanc. Et puis, il y a les plumes. Leurs couleurs, leur brillance, leur douceur. Viennent ensuite les pattes, dissimulées minutieusement comme un détail anodin. Les yeux, parfois, regardant le vide, ne regardant plus rien. Et la cordelette qui suspend la bête, qui la raccroche à la vie malgré la mort. Tout cela donne une image composée comme un tableau qui rend compte de ce qui existe, une nature morte oui, mais qui parle de la beauté et non pas de nous. Le puits des oiseaux est un livre qui expose la collection d’oiseaux d’Éric Poitevin, photographiée avec un systématisme silencieux. Voilà de quoi il est question ici : d’oiseaux. De liberté, de vol, de battements d’ailes, de hauteur et d’air. Il ne faut rien de plus au photographe pour attiser la curiosité, la recherche du détail, et l’envie de s’évader ou de voler : une mise en scène neutre et un choix juste de position du volatile. Les seuls mots qui vont à merveille sur ce bestiaire ailé sont ceux de Jean-Christophe Bailly. Parfait dans le rôle d’ouvreur d’œil, il signe un texte magnifique qui nous parle de
la nature et de ce que l’on va regarder en tournant la page. N’allant pas jusqu’à nous dire quoi regarder, il nous fait voyager avec les mots qui résonnent sur les images. « N’importe quelle mort, la mort de n’importe quel être, de n’importe quelle bête aux abois suffit à transformer l’espace, y répandant comme une rumeur son venin gris et douceâtre, couleur et parfum des mauvais jours, mais en fait, non, elle ne transforme rien, puisque tout demeure intact autour d’elle : c’est dans l’intact qu’a lieu la disparition, l’effacement est presque invisible, à peine une petite virgule, un coma enlevé à une phrase qui continue son chemin, son chemin vivant. » Finalement, il ne reste du livre que des mots et des images, une photographie pour parler de la vie. Le puits des oiseaux Nature morte Jean-Christophe Bailly, Éric Poitevin Le Seuil 112 pages 28 euros
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SEPTEMBRE/DÉCEMBRE MMXVI - NUMÉRO SEIZE
M E R C I LES AMIS
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