EPISODE 2 :
Peut-on percer avec une expo ?
En tant qu’artiste, comment se faire connaître ? Dans quelle mesure une expo peut-elle être un tremplin pour une carrière ? Peut-on percer avec une expo ?
Du 6 au 30 avril 2022, 60 artistes présentent leurs œuvres dans la Grande Halle et le parc de la Villette pour la 4ème édition de 100% L’Expo. 100% invite à découvrir gratuitement des peintures, photographies, films, performances, sculptures, installations, design, œuvres sonores et olfactives, d’artistes issu.es de plusieurs écoles. Le but est de montrer un instant T de la création et de proposer un tremplin professionnel à celleux qui exposent.
Sur invitation d’Inès Geoffroy, le collectif Jeunes Critiques d’Art, arrive sur les ondes de la Villette. Jeunes critiques d’art c’est un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.es ! Depuis 2015, nous nous efforçons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et abordons l’écriture comme un engagement politique.
L’année dernière, quatre membres du collectif Jeunes Critiques d’Art avaient sillonné l’exposition pour en rendre compte dans notre podcast Pourvu qu’iels soient douxces. Nous avions alors exprimé des frustrations face à certaines questions restées en suspens : peut-on dresser le portrait d’une génération d’artistes ? comment proposer une exposition qui n’est ni une foire ni une présentation au parcours thématique sans perdre le public ? comment sont sélectionnées les œuvres présentées ?
Je suis Mathilde Leïchlé, membre de Jeunes Critiques d’Art qui, pour la 4ème édition de 100% l’Expo, vous invite à un voyage sonore en trois temps. Le premier épisode est consacré aux métiers nécessaires à la fabrication d’une exposition comme 100% et à la nécessité de la collaboration entre les savoir-faire. Dans le deuxième épisode, nous tendons le micro aux artistes pour savoir si l’on peut percer avec une expo ? Après les coulisses, après les œuvres, lumière sur les publics : y-a-t-il une place pour tout le monde dans cette exposition d’art contemporain ?
Pour cet épisode, nous vous emmenons à la rencontre des artistes qui participent à 100% L’Expo. Claire Luna et Grégoire Prangé ont d’abord posé leurs questions à Inès Saki Segond-Chemaï et Marilou Poncin qui ont participé à de précédentes éditions de l’exposition afin de mieux comprendre comment cet événement les a impactées. Dans un second temps, Grégoire Prangé et Claire Luna échangeront avec Hélène Bellenger et
Chalisée Naamani qui exposent cette année leurs œuvres dans la Grande Halle de la Villette.
Comment les artistes, alors qu’iels étudient encore, anticipent-iels leur arrivée dans le monde professionnel et le début de leurs carrières ? Quelles sont leurs attentes quand iels participent à une exposition comme 100% ? Est-ce qu’iels modifient parfois leurs pratiques suite à une expo ? Pour répondre à ces questions, Grégoire Prangé et Claire Luna ont rencontré deux anciennes exposantes. Inès Segond-Chemaï est artiste visuelle et directrice artistique indépendante diplômée des Gobelins qui a participé à l’édition 2021 de 100%. Marilou Poncin est diplômée de l’ENSAD et participante de l’édition 2019 qui crée, selon ses propres mots, des “fantasmes et des mondes virtuels à explorer”.
G.P. : Bonjour Inès et Marilou ! On est très heureux.ses de vous accueillir avec Claire pour cet interview et ces échanges sur votre expérience à La Villette 100% l’Expo. On avait une première question qu’on voulait vous poser qui était de nous décrire et de nous raconter votre état et votre moment de carrière aussi quand vous participez à cette exposition pour l’une en 2019 et l’autre en 2020. De nous dire à quel moment vous en êtes, si c’est juste après être sortie de l’école ou quelques années plus tard et également l’état d’esprit dans lequel vous êtes à ce moment-là pour cette exposition. Peut-être qu’Inès tu peux commencer ?
I.S-M. : Alors, bah merci pour l’invitation déjà ! C’est vrai que j’ai eu une grande surprise pour ma sélection au 100%. C’est arrivé un petit peu d’un coup, sans vraiment prévenir. Dans ma carrière j’en étais… alors je suis motion designer. J’ai commencé à travailler pendant mes études donc ce qui fait qu’après les Gobelins, j’ai poursuivi dans une autre école en faisant de la creative tech. C’était l’année d’après qu’on a été sélectionné.es pour 100% l’Expo, donc je travaillais depuis un an, surtout dans la musique et du coup, l’arrivée du festival m’a un peu ouvert les portes sur le milieu de l’art contemporain. Ce que je trouvais super c’était aussi de requestionner le statut de mon travail, parce que le motion on est dans des questions de design, et là d’inscrire mon travail plutôt dans quelque chose de plastique et de questionner l’espace puisqu’on pouvait tourner autour et donc sortir de l’écran, envisager l’image comme un espace autour duquel on pouvait déambuler, ça a ouvert de nouvelles portes sur mon travail.
C. L. : Et toi Marilou comment tu étais à ce moment-là quand tu sortais de l’école ?
M.P. : Moi, j’ai fait partie de l’édition de 2019 et j’ai été diplômée en 2017 donc c’était quand même assez récent après ma sortie d’école, surtout qu’après l’école j’ai fait une année de post-diplôme donc finalement je n’ai quitté l’école qu’en 2018 et j’avais consacré aussi l’année après l’école aussi, à cause de contraintes matérielles, à créer de visuels avec une ancienne fille des Arts Déco. On a travaillé pendant un an à monter ce studio pour un travail de commande, donc j’avais mis aussi mon travail d’artiste entre parenthèses. En fait, ça a été une surprise, parce que j’avais envoyé ce dossier très longtemps en amont, j’avais un peu oublié que c’était parti. J’ai été appelée un peu par surprise par Matthieu Lelièvre à l’époque pour m’annoncer cette bonne nouvelle. C’est vrai que j’étais aussi en plein doute à ce moment-là sur le fait de réussir ou non à mener une carrière d’artiste. J’étais en plein doute. Ce coup de fil de Matthieu Lelièvre à l’époque, qui a pris le temps de m’appeler pendant un quart d’heure et de discuter de ma pratique a complètement changé les choses et m’a permis de me relancer dans ma pratique d’artiste à 100% ! Sans vouloir faire de mauvais jeux de mots. [Rire]
C. L. : Tu dis que c’était une surprise que ton dossier ait été pris. Tu as candidaté ? Comment ça a fonctionné ?
M.P. : En fait, j’ai du mal à me souvenir parce que ça remonte à quelques années maintenant. J’avais envoyé un porte-folio dans mon année de post-diplôme, donc l’année précédent l’exposition. C‘était un appel qui avait été lancé par nos professeurs pour participer à une exposition commune de post-diplômé.es mais on n’avait pas beaucoup plus d’infos que ça, du coup j’avais envoyé mon porte-folio comme d’autres élèves, sans savoir forcément quelles seraient les retombées par la suite.
C. L. : D’accord, et toi Inès, ça s’est passé comment ?
I.S-M. : Alors moi ça a été assez différent. J’ai été mise au courant, il me semble, par les Gobelins au moment où j’avais déjà été sélectionnée par l’école et où la sélection allait se faire au sein de La Villette. Donc effectivement, il me semble qu’il y a une première sélection au sein de l’école. Je pense qu’on a été une petite dizaine de personnes sélectionnées dans notre promotion, et qu’ensuite La Villette s’est chargée de faire le commissariat et la sélection finale des artistes. Je crois qu’on est au moins deux dans ma promo, et il y a d’autres motion dans d’autres sections qui ont également été pris. Donc voilà, j’ai appris ça au moment où ça avait déjà été fait et on m’a demandé si j’étais d’accord d’y participer et ça a été une grosse surprise, très bonne surprise ! Donc voilà.
G.P. : Du coup, ce qui est intéressant c’est que vous dites toutes les deux que cet appel était une surprise, à un moment aussi où vous n’êtes pas forcément à 100% dans votre créativité artistique. Une fois que cette annonce a été faite, comment vous arrivez à La Villette ? Comment est-ce que vous construisez une proposition pour La Villette et comment ça vient modifier votre activité quotidienne ? Marilou ?
M.P. : Moi j’ai le souvenir quand même qu’il y a eu un long moment entre ce coup de fil de Matthieu Lelièvre et l’expo, presque une année. On avait parlé ensemble de ce que je voudrais éventuellement montrer. On avait parlé de mon projet de diplôme. J’étais en photo-vidéo, c’était un projet notamment avec une grosse installation vidéo qui aura été finalement le projet sélectionné pour La Villette. On en avait parlé ensemble, un petit peu comme on peut avoir une conversation avec un commissaire d’exposition ou un directeur de musée. Le projet était déjà fait puisque c’était mon projet de diplôme. Il s’agissait surtout de réussir à faire des plans, à communiquer avec l’équipe de La Villette pour que ce soit accroché comme je veux. En tout cas, à l’époque, Matthieu Lelièvre m’avait vraiment dit « Vois grand ! » C'était super encourageant pour nous, jeunes artistes, de se dire « Oui, je peux voir grand. » Il y aura les moyens, il y aura l’équipe, c’est un bel endroit. Il faut en profiter pour que ce soit un tremplin.
C. L. : Est-ce qu’il s’agissait pour toi Inès et toi Marilou, de la première exposition collective institutionnelle à laquelle vous participiez ? Ou bien auparavant quand vous étiez à l’école vous aviez déjà eu cette opportunité ?
I.S-M. : J’avais déjà monté une exposition collective avec trois autres artistes. C’était vraiment une exposition qu’on avait monté entre nous, dans un lieu qu’on avait trouvé. A la suite de ça, j’avais fait une résidence, au moment où j’ai reçu la sélection. Je revenais d’une résidence à Dubaï ,dans le cadre du festival des Lumières à Sharjah, qui a été exporté par des lyonnais parce que ce festival est natif de Lyon. Ils l’ont exporté à Dubai, avec toute la démesure qui va avec. Quand je suis revenue, je faisais beaucoup de travail de commandes et commençais ce travail à mi-chemin. Déjà le mapping, c’est un entre deux entre l’art numérique, la commande, ça reste aussi des problématiques de design. Du coup, quand je suis rentrée et que j’ai eu cette proposition, j’ai un petit peu insisté pour faire une création. J’avais cette idée en tête de développer un système entre le mapping et la photographie, ce qui a donné naissance à ce procédé de mapping sur photo. J’ai vraiment insisté pour réaliser cette idée, il fallait que je la fasse ! J’ai commencé les
prototypes chez moi sur feuilles A4 et après La Villette a co-produit enfin a produit l’oeuvre et m’a accompagné dans le développement du procédé jusqu’à le créer à taille réelle, ce qui fait à peu près 3 mètres de large en tout comme installation.
G.P. : Si vous voulez nous décrire justement les pièces que vous avez présentées à 100%. Inès tu avais commencé à le faire…
I.S-M. : Oui, alors du coup, c’est une installation qui est composée de deux triptyques qui sont l’un contre l’autre. Le concept c’est d’avoir de la projection sur la photo et du coup des éléments de la photo s’animent. L’idée principale est de sortir de l’écran et d’avoir un procédé un peu plus organique. C’est une revisite de vanité, des vanités classiques, avec des problématiques actuelles liées au numérique. C’est une oeuvre qui est quand même sombre parce qu’elle parle de mort, de deuil, d’héritage et de transmission. C’est un questionnement sur les objets qu’on transmet aujourd’hui. C’est née d’un disque dur qu’on m’a offert au moment de la perte d’un proche. Je m’étais dit que c’était fou d’accorder cette valeur d’estime assez forte alors que c’est un disque dur complètement anodin. J’ai voulu travailler sur ce rapport qu’on a aujourd’hui au digital et les problématiques qu’on a aujourd’hui : les comptes Instagram des personnes décédées, etc. C’est toutes ces problématiques liées au digital et de réfléchir la transmission aujourd’hui avec ces nouveaux objets.
C. L. : Marilou, peut-être avant de nous parler de ton oeuvre, tu peux répondre à la question que je vous avais posée, c’est-à-dire est-ce que pour toi c’était une premier exposition collective en institution ou bien tu avais déjà participé ?
M.P. : Moi j’avais déjà participé à quelques expositions collectives et aussi comme je travaille pas mal la vidéo dans des festivals, donc des projections un petit peu partout en France et un peu à l’étranger, mais j’avais jamais eu d’exposition en institution aussi conséquente que La Villette, ça c’est sûr.
C. L. : Et la pièce que tu as montrée enfin le film ? Tu montrais un film dans d’autres conditions soudainement puisque tu les montrais toujours dans des festivals ? Donc qu’est-ce que tu as montré et quel échos ça a eu ?
M.P. : Le projet en question s’appelle « Welcome to my room », c’est une installation en double écran qui sont disposés en perpendiculaire comme un angle. Donc tu ne peux pas
vraiment voir les deux vidéos simultanément, tu dois d’abord passer un temps devant l’une puis devant l’autre. Le but c’était de les mettre en porte-à-faux car elles sont très complémentaires dans ce qu’elles racontent. Mais sinon ces films racontaient deux fenêtres, donc deux écrans, ouvertes sur la chambre de deux camgirls qui sont ces travailleuses du sexe en ligne. Ce sont des fictions que j’ai tourné avec des comédiennes. Pendant qu’une prend plus cette pratique du caming comme un moyen de s’émanciper et reprendre le contrôle de son corps et de sa sexualité. L’autre est le pur objet de l’artifice, qui exécute le show en prenant le spectateur un petit peu comme le client. Ça rejoue le dispositif à l’échelle 1, de la camgirl, de l’écran et du « spectateur-faux-client ». Elle effectue ce show devant lui et finit par disparaitre et n’être que des morceaux de corps devant l’écran et le laisser seul fasse à son désir.
G.P. : Et du coup de montrer ces pièces à La Villette dans ce contexte de 100% l’Expo, qu’est-ce que ça vous a apporté ensuite ? Est-ce qu’il y a eu des choses qui sont nées à ce moment-là ? Est-ce qu’il y a eu des collaborations qui ont été faites ? Est-ce qu’il y a eu des rencontres aussi ? Est-ce que vous pouvez nous raconter ça ?
C. L. : Est-ce que ça a été vraiment une opportunité en terme de carrière ?
G.P. : Oui totalement. Je ne sais pas qui veut commencer ?
M.P. : Je peux commencer parce que ça a été effectivement un grand tournant pour moi car c’est le soir du vernissage de l’exposition que j’ai rencontré mon galeriste.
C. L. : Ah oui quand même !
M.P. : Oui quand même ! Pendant le vernissage, comme je faisais partie des exposé.es en vidéo, on n’était pas vraiment dans la fosse principale mais sur les étages sur les cotés, car nos oeuvres devaient être plongées dans le noir. Je me baladais autour de ma pièce pour rencontrer les gens qui regardaient les vidéos et je suis tombée comme ça sur Laurent Godin, mon actuel galeriste, qui était très intéressé par les films. On a échangé quelques mots et quelques jours plus tard, j’avais son mail dans ma boîte mail. Il m’invitait à discuter de mon travail et a organisé mon premier solo show quelques mois plus tard… je crois… la même année oui !
C. L. : Magnifique !
I.S-M. : Pour ma part, ça a été de belles rencontres et plusieurs surprises assez diverses. J’ai notamment rencontré un réalisateur qui m’a permis de collaborer avec la radio « Grünt » et « Nova » pour créer un habillage pour une série de live qui s’appelle « Nova Set » qui est très drôle c’est que finalement ça fait vraiment des liens entre mon travail de designer et mon travail plus artistique. De manière plus actuelle, mais du coup c’est aussi des rencontres à retardement, j’ai rencontré récemment Laura Lafon qui est co-fondatrice du magazine Gaze avec qui je collabore pour un projet photo. Il y a pas mal de rencontres qui ont été faites notamment avec des galeries, donc il y a encore des projets qui se font encore aujourd’hui. Des graines semées. J’ai été contacté par des agents d’artistes, ce genre de choses. Ça a porté beaucoup de rencontres et ça a inscrit mon travail dans un nouveau schéma, avec du coup aussi l’exposition emergence.fr aux Beaux-Arts de Bruxelles.
C. L. : Tu peux nous en parler un tout petit peu ?
I.S-M. : Oui ! C’est assez récent aussi ! J’ai été contacté par Inès Geoffroy, tout s’est fait un peu vite. Elle m’a demandé si ça me tentait d’exposer « (Nothing) disappeared » que j’ai exposé à la grande halle et de l’emmener aux Beaux-Arts de Bruxelles. L’exposition a commencé en janvier. C’était un format un peu plus petit de l’exposition 100% avec une quinzaine d’artistes sur les 150, il me semble, qu’on était à la Grande Halle. A l’occasion de la présidence française à l’union européenne, j’imagine que c’était envisagé comme une vitrine de la création française à l’étranger. L’exposition finit le 10 avril, donc dans deux jours. C’était aussi super de voir ça parce que c’est une très jolie galerie, la scénographie est très chouette. Ça mettait aussi un autre cadre en comparaison avec la Grande Halle qui est assez immense en hauteur de plafond et là de voir l’oeuvre qui avait été imaginé pour cet espace, dans cette plus petite galerie.
G.P. : Merci beaucoup à toutes les deux pour votre présence et vos réponses ! On a était très heureux.se de vous accueillir avec Claire et on espère vous revoir bientôt pour d’autres expositions et d’autres aventures !
C. L. : Merci beaucoup à toutes les deux !
I.S-M. : Merci !
M.P. : Merci ! Au revoir !
M.L. : Dans un second temps, Claire Luna et Grégoire Prangé ont tendu leurs micros à deux artistes qui participent cette année à 100%. Hélène Bellanger, diplômée de l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles, propose une réflexion en arc-en-ciel visuel, sensoriel et olfactif sur les bonheurs chimiques créés par les laboratoires pharmaceutiques. Chalisée Naamani, diplômée des Beaux-Arts de Paris, présente une installation sur les vêtements qui nous cachent et nous révèlent, sur les capes, les gilets jaunes et les identités qu’iels suggèrent.
C.L. : Bonjour Chalisée ! Bonjour Hélène ! On est heureux.ses avec Grégoire de vous accueillir pour parler de votre expérience à 100% l’Expo à La Villette ! Vous participez à l’édition actuelle et le vernissage a eu lieu mardi soir. Comment ça s’est passé ? Hélène, tu as une extinction de voix donc j’espère que tu vas pouvoir nous parler de ton expérience [Rire] Chalisée toi aussi !
H. B. : (avec une voix enrouée) Alors pour le vernissage [Hum hum] Effectivement, on peut entendre les conséquences de ce vernissage qui fait plaisir après deux ans de confinement. On a eu énormément de monde, c’était vraiment un beau moment de partage et de rencontre avec d’autres écoles. J’ai rencontré des étudiants du Fresnoy, on a pu échanger sur leurs expériences et leurs études. Donc ça c’était super ! Je suis diplômée depuis cinq ans d’Arles, donc j’ai pu retrouver des étudiants. C’était vraiment un très bon moment ! Ça peut s’entendre ! [Rire]
C.L. : C’est manifeste ! [Rire] Et toi Chalisée ?
C.N. : Merci beaucoup pour l’invitation ! Pareil, c’était un très beau moment ! J’avais pas vu autant de monde depuis longtemps [Rire] C’était l’occasion de recroiser d’autres diplômé.es des Beaux-Arts que j’avais pas vu depuis un moment, de rencontrer d’autres étudiants. Malheureusement, on ne s’est pas vues.
C.L. : Oui on est en face mais on ne s’est pas rencontré.es ! C.N. : C’était aussi un moment précieux parce que j’ai pu le partager avec ma famille.
G.P. : Effectivement, tu l’as dit Hélène, c’est tout à fait fortuit, mais on vous a invitées toutes les deux à ce podcast et il se trouve que vous êtes l’une en face de l’autre dans l’exposition. A ce vernissage qui a eu lieu mardi, vous avez pu présenter vos oeuvres, vous nous raconterez mais j’imagine qu’elles sont issues d’un long temps de préparation et de production. Est-ce que vous voulez nous raconter justement, nous présenter ces oeuvres, nous les décrire et nous raconter comment elles ont été produites, quels processus ça a été ? Hélène tu veux commencer ?
H.B. : C’est un projet qui a été produit par le 3bisf, qui est un centre d’art contemporain qui se trouve à Aix-en-Provence dans un hôpital psychiatrique encore actif. Ce que je présente à La Villette aujourd’hui, c’est une frise de 47 images de publicité pour antidépresseurs, des années 1970 à 2010. Ce sont des publicités qui font souvent assez réagir de par leur caractère très genré. On retrouve énormément de femmes dans ces images. On voit que le public visé est extrêmement féminin. On a une vision, pour ne pas dire sexiste des femmes dans ces images. Lexomil notamment avait un logo avec des mains manucurées qui cassaient un médicament. Aussi on retrouve dans la marque DEGLOR, un King Kong portant une femme en détresse et criant : « Au secours DEGLOR ». Une image de la femme qui est véhiculée par ces publicités qui ne sont pas si loin de nous finalement. Aussi une iconographie très POP, on trouve des palmiers, des couchers de soleil, des dauphins qui sautent. On trouve également quelques figures d'hommes mais assez peu finalement et toujours représentés dans des positions d’acteurs. On retrouve « Mission Guérison » qui ressemble à une affiche de cinéma en mode « Mission Impossible » ou alors des hommes derrière un bureau en action de travail. Donc il y a toute cette image qui fait un petit peu réfléchir sur ce qu’est l’image d’un bonheur qui a l’air d’être vendu par ces publicités, un bonheur calé sur des valeurs commerciales capitalistes. On a notamment le terme « efficacité », « retour à l’efficacité » qui revient assez régulièrement. Cette collection m’a amené à réfléchir sur le concept « d’happycratie », ce concept d’injonction au bonheur. Toute cette réflexion autour du concept de norme dans l’émotion m’a amené à vouloir créer une « expérience émotionnelle guidée » chez le spectateur. J’ai découvert que le sens directement lié aux émotions c’était l’olfaction, l’odorat. Donc j’ai décidé de créer un parfum sur mesure qui inciterait à une certaine émotion chez le spectateur. C’est pour ça que dans l’espace qui m’est proposé à la Villette il y a cette frise d’images, il y a aussi un cube en Plexiglas recouvert de filtre dichroïque, qui est un écrin pour ce parfum présenté sous forme de gélatine, de petites billes gonflées d’eau parfumée. La partie parfumée plutôt immatérielle ici se matérialise, on a envie de la touchée. On est face à deux pièces, trois pièces avec le
parfum, ce cube et ces frises d’images, donc une sorte de déambulation au sein de cette recherche qui a pris un an et demi et qui continue d’évoluer grâce à La Villette.
C.L. : Et toi Chalisée, tu es en face, tu as montré une installation est-ce que tu peux nous en parler ?
C. N : Oui alors cette installation faisait partie d’une série de quatre grandes bâches imprimées à mon diplôme. Celle que j'ai présentée à La Villette c’est une image que j’ai prise dans la rue. Sur ces bâches viennent se greffer des sortes de vêtements. La photographie sur la bâche, c’est une photo que j’ai prise devant le tribunal du XVIIe (Paris) lors de la manifestation en soutien à Adama Traoré. On peut apercevoir sur l’image des silhouettes, en fait on ne voit pas les visages mais on voit des postures je dirais. Sur l’un des vêtements d’une des personnes il y a écrit « Badass Feminist ». Je trouve leur posture très belle, très fière. [Rire] J’ai été très heureuse de pouvoir capturer ça. Et par-dessus, il y a deux pièces, une qui s’appelle « Cape et gilet jaune » et l’autre qui s’appelle « Sac-à-dos porteurs d’images ». C’est une pièce qui m’a beaucoup questionnée, que j’ai hésité à présenter parce que j’avais peur qu’on me coince. En fait, très simplement je travaille et me questionne sur le vêtement et il s’avère qu’il y a un mouvement social qui porte le nom de ce vêtement « les gilets jaunes ». En faisant des recherches, je me suis aperçu que le terme technique du « gilet jaune » c’est « vêtement à haute visibilité » du coup c’est partie de ça. J’ai ajouté une cape et bon… après c’est moi dans ma tête comment ça s’est construit mais j’ai pensé à la cape d’invisibilité d’Harry Potter [Rire] Une cape généralement c’est un vêtement avec lequel on va se couvrir, pas forcément se cacher, mais c’est un recouvrement. Ce n’est pas un véritablement un gilet jaune mais c’est un survêtement de sport jaune flou sur lequel je suis venue… en fait je fais imprimer des photos sur du tissus que je viens incruster dans des vêtements que je récupère ou parfois que je construire de A à Z. J’ai aussi fait des recherches sur la couleur jaune, comment elle a évolué au cours de l’histoire. C’était une couleur très positive à la Renaissance, symbole de prospérité et de richesse. Au Moyen Age on peignait la porte des traitres en jaune. Aujourd’hui, « gilet jaune » c’est devenu presque péjoratif je trouve. On en a tellement parlé dans les médias, tellement de commerçants qui étaient saoulés [rire] des manifestations, du coup on pensait souvent « Ah encore les gilets jaunes » du coup la connotation qu’a pris la couleur à travers ce mouvement. En ce qui concerne « Les sacs à dos porteurs d’images », je me suis inspirée lors d’un voyage à Istanbul, il y avait ces porteurs dans la rue qui avaient des… en fait pour porter des cartons ils on des sortes de sacs à dos, mais on ne peut rien mettre à l’intérieur ce sont des assises en fait. Ce sont
des objets magnifiques ! Du coup j’ai voulu recréer ces sortes de sac à dos, sauf qu’ici ils portent des images. Ce sont des foulards, un peu à l'image des foulards qu’on trouve dans les boutiques de touristes à Paris. J’ai réutilisé aussi des tissus tapissiers qui viennent d’Iran, parce que je suis d’origine iranienne.
C.L. : Avant de rentrer dans le coeur même de l’expo, comment ça s’est déroulé, etc. On avait envie de savoir si vous aviez déjà entendu parler de 100% L‘Expo à LA Villette, peutêtre à l’école ou ailleurs ? et si c’était à l’école comment vous en parliez, quels en étaient les enjeux ?
H.B. : Moi, j’avais vu ceux de l’année dernière. J’avais vu pas mal de choses sur les réseaux sociaux et lus pas mal d’articles. Et surtout c’était une des seules expositions qui avaient ouvertes pendant le confinement cet prolongée. J’avais eu beaucoup de retours très positifs des étudiants et j’avais vu de très belles images. Je ne savais pas comment on postulait en tout cas. Moi on m’a présélectionnée sans que je postule. En gros, c’est les écoles qui proposent des étudiants. J’avais eu beaucoup de bons retours avant et je dois dire que j’ai aussi de bons retours à donner. [Rire]
C.L. : Et toi Chalisée tu en avais entendu parler ?
C.N. : J’en avais entendu parler il y a très longtemps, c’était le tout début. J’avoue que j’en avais pas entendu de très bons retours mais c’était le tout début. Mais l’édition de l’année dernière j’en ai eu d’excellents retours. Malheureusement, je n’ai pas vu l’expo parce que c’était toute cette période où je sortais peu, mais j’ai pu suivre sur les réseaux, je connaissais quelques uns des artistes qui exposaient donc je m’y étais pas mal intéressée. Oui pareil, c’est les écoles, enfin les Beaux-Arts qui ont proposé je crois une…
H.B. : C’est un peu flou en fait…
C.N. : Oui oui… Du coup, j’ai reçu un mail qui disait que j’étais sélectionnée.
C.L. : Quand vous en aviez entendu parler, ça provoquait une envie de votre part de participer en tant que jeune diplômée ?
H.B. : Oui bien sûr !
C.N. : Oui carrément ! Bah c’était massif, c’était assez impressionnant.
H.B. : Oui le dispositif est grand… les rencontres avec les étudiants… ça avait l’air d’être chouette !
G.P. : Et du coup ça se passe comment parce que vous êtes toutes les deux à des moments après école qui sont différents. Toi Chalisée tu sortais tout juste de ton école.
C.N. : Je suis diplômée depuis octobre 2020.
G.P. : C’est ça, c’était tout récent. Et toi Hélène c’était plus ancien. Et du coup, vous recevez cette invitation et comment ça se passe ensuite ? Comment se passe le processus de création ? Est-ce que les échanges sont tout de suite assez nourris avec La Villette ? Comment votre emplacement dans l’exposition se décide avec les scénographes ? Comment ça se passe concrètement en quelques mots ? Hélène ?
H.B. : Alors moi je suis diplômée depuis cinq ans, donc c’est vrai que je pense que je l’ai appréhendé avec un peu plus d’habitude. Je pense qu’en sortant de l’école, j’aurais eu plus peur ou un peu plus timide. Là par exemple, je leur ai tout de suite proposé… enfin ils ont choisi le cube et le parfum, et je leur ai tout de suite proposé de présenter les images qui pour moi fonctionne avec. Ils ont accepté. C’était une pièce déjà produite. Je leur ai aussi proposé de produire un nouveau parfum avec un nouveau système de diffusion, et ça aussi ce sont vraiment ces cinq ans post école d’aujourd’hui de savoir comment négocier, proposer une nouvelle pièce, faire évoluer un projet grâce à des opportunités comme celles-ci. Le dialogue était super fluide, vraiment c’était une belle équipe et ils étaient même assez friands de voir de nouvelles productions et de participer à ça. Il y avait beaucoup de bienveillance. En fait, ça m’a rappelé… j’ai participé à Montrouge en 2017, c’est vrai que le contexte je me rappelle un petit peu on était des jeunes diplômés tous ensemble, mais je trouve qu’il y a quelque chose de plus bienveillant ici, moins de compétition, de la curiosité de se découvrir, c’est super intéressant de parler de ton travail Chalisée de voir comment tu rentres dans l’histoire des images, des traditions… je sentais moins cet espace de rencontre dans d’autres salons.. enfin je ne sais pas si on peut appeler ça un « salon » [Rire]
G.P. : Dans d’autres espaces oui.
C.L. : Oui dans d’autres expositions collectives.
G.P. : Et toi du coup Chalisée ?
C.N. : Dans mon cas, la pièce avait déjà été produite et j’étais très heureuse de pouvoir la présenter parce que pour mon diplôme j’ai pu inviter personne, enfin on n’avait que 7 invités et mes parents c’est déjà 4 personnes donc ça va vite. La bâche je l’avais pas réouverte depuis un an, donc j’étais très heureuse de ça. Pareil, j’ai senti énormément de bienveillance de la part de l’équipe, j’ai eu de supers échanges de la part des scénographes, avec Inès la commissaire, avec la production, c’était un vrai dialogue et on sentait une écoute. Ça s’est super bien passé et j’ai été aussi super heureuse de t’entendre parler de ton travail.
H.B. : On s’envoie des fleurs !
C.N. : Non mais c’est vrai ! C’est des sujets qui m’intéressent en plus. Et voila [rire]
C.L. : Puisque vous en aviez déjà entendu parler et que maintenant vous y participez, quelles sont vos attentes vis-à-vis de votre participation à cette exposition ? Est-ce que vous avez des attentes déjà ? Et si vous en avez lesquelles ?
C.N. : Je vais être très honnête, je suis diplômée depuis un peu plus d’un an mais les choses sont allées très très vite pour moi. Je suis représentée par une galerie quelques mois après mon diplôme, j’ai eu énormément de projets qui se sont enchainés, donc ce serait un peu bizarre de dire que je suis dans l’attente de quelque chose parce qu’il y a quelque chose qui s’est déjà déclenché pour moi. Après, ce dont je suis très fière et c’est très personnel, dans mon parcours scolaire et dans mes études supérieures, j’aurais jamais imaginé faire les Beaux-Arts de Paris, je ne pensais pas avoir ma place. Une fois que j’y étais diplômée, je n’aurais jamais imaginé être sélectionnée pour représenter cette école, et pour ça j’en suis très reconnaissante et je suis d’autant plus reconnaissante de pouvoir inviter ma famille au vernissage, une famille qui n’est pas du tout issue du milieu de l’art. Moi c’est surtout ça que je retiens. Après, évidemment la visibilité j’en profite ! Mais du coup, ce que j’attendais c’était surtout des rencontres avec les autres exposants et de découvrir les autres travaux et voir ce qui se fait parce qu’on est à peu près des mêmes générations.
H.B. : Oui pareil ! En fait, c’était déjà une telle surprise déjà d’être sélectionnée sans avoir candidaté. En fait, il y a peu d’attente quand on ne postule pas. C’est surtout une belle surprise avec une belle vitrine et des rencontres. Voilà, sans beaucoup d’attente.
G.P. : J’avais une petite question à vous poser sur l’après. Est-ce en quelques mots vous avez un projet qui va avenir dans les prochaines semaines ou prochains mois ?
H.B. : Alors oui ! Déjà je sors d’un gros projet que j’ai fait à Saint-Gervais où j’ai été invitée en résidence pour travailler à partir de leurs archives, des archives d’iconographie de haute montagne. Il s’agit d’un mille-feuilles de 36 images avec des tailles croissantes ou décroissantes selon les point-de-vue. Il retrace l’histoire des différents médiums de représentation du Mont Blanc mais aussi l’évolution du paysage, ici le Mont Blanc. Ça fait réfléchir sur les montagnes comme un espace de réceptacle de nos imaginaires parce que les représentations ont énormément changé, or le massif du Mont Blanc a assez peu changé depuis le XVIIIe siècle, première image de cette installation. Voilà, pour moin c’est un projet que je viens de terminer mais qui est important. Pour la petite anecdote, j’ai reçu un mail de conservation hier, et le cube qui est à La Villette sera présenté à la Nuit Blanche à la Mairie du XVIIIe en octobre.
G.P. : Super ! Ah c’est génial ! Et toi du coup Chalisée un projet à nous partager ?
C.N. : J’ai deux gros projet pour le mois de juin sur lesquels je suis en train de travailler. Il y a la biennale de Nice début juin. Le thème c’est les fleurs. J’adore les fleurs. [Rire] J’en mets un peu partout ! Il faut que je produise une nouvelle pièce et je suis à fond là-dessus. J’essaie de voir un peu comment je peux étendre et développer cette idée de bâche d’images un peu différemment et toujours avec mon amour du vêtement. Le deuxième gros projet c’est que je vais participer à Liste avec ma galerie et ça c’est un gros saut dans le vide. C’est très excitant et très stressant et c’est une autre plateforme… enfin une autre sphère [Rire]
G.P. : Donc Liste qui est la foire d’art contemporain à Bâle.
C.N. : Oui pardon, j’ai pas précisé ! Et je vais y présenter une sorte de robe de mariée. Je vais y parler de la manière dont on consomme l’amour et les vêtements aujourd’hui. Voilà.
C.L. : Merci beaucoup Chalisée et Hélène ! On invite toustes les auditeurices à aller visiter l’exposition dans laquelle on peut apprécier vos oeuvres et plein d’autres ! A bientôt !
H.B. : Merci beaucoup !
C.N. : Merci beaucoup !
Dans le troisième épisode, nous irons à la rencontre des publics et de celleux qui les accueillent afin de savoir s’il y une place pour tout le monde dans une exposition d’art contemporain.
En attendant, merci beaucoup aux équipes de la Villette et plus particulièrement à Inès Geoffroy pour l’invitation, à Chloé Thevret et Irène Guéllièk pour la coordination, au producteur Christophe Payette, à la réalisatrice Lucile Ocèle. Merci pour leurs réponses à Hélène Bellenger, Chalisée Naamani, Marilou Poncin et Inès Segond-Chemaï. Du côté de Jeunes Critiques d’Art, c’est Grégoire Prangé qui s’est occupé de la coordination générale, accompagné de Mathilde Leïchlé et Luce Cocquerelle-Giorgi pour la conception des épisodes. C’est Camille Bardin qui s’occupe du pré-montage. L’épisode que vous venez d’écouter a été construit par Claire Luna et Grégoire Prangé.
A bientôt !