Y a-t-il une place pour tout le monde dans une exposition d’art contemporain ?
Qui a accès aux expositions d’art contemporain ? Tous les publics sont-ils les bienvenus ? L’art contemporain est-il fatalement élitiste et hermétique ? Comment ouvrir les portes à un maximum de personnes ?
Du 6 au 30 avril 2022, 60 artistes présentent leurs œuvres dans la Grande Halle et le parc de La Villette pour la 4ème édition de 100% L’Expo. 100% invite à découvrir gratuitement des peintures, photographies, films, performances, sculptures, installations, design, œuvres sonores et olfactives, d’artistes issu.es de plusieurs écoles. Le but est de montrer un instant T de la création et de proposer un tremplin professionnel à celleux qui exposent.
Sur invitation d’Inès Geoffroy, le collectif Jeunes Critiques d’Art, arrive sur les ondes de la Villette. Jeunes critiques d’art c’est un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.es ! Depuis 2015 nous nous efforçons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et abordons l’écriture comme un engagement politique.
L’année dernière, quatre membres du collectif Jeunes Critiques d’Art avaient sillonné l’exposition pour en rendre compte dans notre podcast Pourvu qu’iels soient douxces. Nous avions alors exprimé des frustrations face à certaines questions restées en suspens : peut-on dresser le portrait d’une génération d’artistes ? comment proposer une exposition qui n’est ni une foire ni une présentation au parcours thématique sans perdre le public ? comment sont sélectionnées les œuvres présentées ?
Pour la 4ème édition de 100% l’Expo, nous vous invitons à un voyage sonore en trois temps. Le premier épisode est consacré aux métiers nécessaires à la fabrication d’une exposition comme 100% et à la nécessité de la collaboration entre les savoir-faire. Dans le deuxième épisode, nous tendons le micro aux artistes pour savoir si l’on peut percer avec une expo ? Après les coulisses, après les œuvres, lumière sur les publics : y-a-t-il une place pour tout le monde dans cette exposition d’art contemporain ?
Pour cet épisode, nous irons à la rencontre de celleux qui travaillent à créer des ponts entre les publics et les œuvres, allant ainsi à l’encontre des préjugés sur l’art contemporain. Dans la première partie, vous entendrez les personnes en charge de l’accueil des visiteureuses, des jeunes publics ainsi que des publics aux besoins spécifiques et en situation de handicap au sein de La Villette. Gabriel Moraes Aquino,
artiste exposant cette année à 100%, nous parlera de son rapport à la médiation dans le cadre d’un projet qu’il a développé avec la Villette. Nous vous emmènerons ensuite en immersion dans les espaces de l’exposition avec Serge, un visiteur accompagné par l’association Souffleurs de sens.
Avec Camille Bardin, Samy Lagrange, Tania Hautin-Trémolières et moi-même, Mathilde Leïchlé, nous nous sommes demandés, dans la seconde partie de cet épisode, quelle place occupe la médiation et l’accessibilité dans nos propres pratiques. Comment faire pour ne pas s’adresser toujours aux mêmes personnes ?
Ça y est, 100% l’expo a ouvert ses portes ! Les publics arrivent dans la grande halle de la Villette et la première personne qu’iels rencontrent, c’est Luna Esquerra (Louna Eskerra). Louna Eskerra est cheffe d’accueil pour 100%. Son rôle est de donner des clés aux visiteureuses que l’art contemporain pourrait inquiéter et de recueillir leurs impressions, si iels le souhaitent, à la sortie.
L.E. : C’est vrai que quand je dis « art contemporain » ou « jeune création » ça rebute les gens j’avoue ! Ils se disent « qu’est-ce que ça veut dire? ». Ils ne savent pas forcément que ça peut être plein de choses différentes. Justement, c’est le moment pour nous d’intervenir, parce que je pense que ça peut plaire à beaucoup de gens. Le genre de retour qu’on peut avoir c’est sur le choix des oeuvres présentées, par exemple là on m’a dit que c’était déjà très riche, varié et hyper appréciable. Après oui, parfois il y a des gens qui butent sur UN truc dans l’expo et ça les bouleverse - en bien ou en mal - ils repartent troublés. Du coup, ils ont besoin parfois d’en parler avec nous. [Rire]
JCA : Si Louna Eskerra voit arriver tous les publics - jeunes et moins jeunes, familles, étudiant.es en école d’art, promeneureuses du parc… - d’autres se concentrent en amont sur des publics spécifiques pour que leur venue se passe au mieux. Alice Guattari Delacour (Gouattari Delakour) coordonne l’action culturelle jeunes publics. Les visiteureuses qu’elle accueille ont entre 0 et 12 ans. Pour 100% l’expo, elle a créé avec Hugo Thirifays et Micol Borgogno un livret du jeune visiteur / de la jeune visiteuse dans lequel sont définies des notions comme “art contemporain” ou “artiste” et sont présentées plusieurs œuvres, accompagnées d’activités ludiques. Alice Gouattari Delakour nous dit pourquoi il est essentiel que les enfants aient accès à l’art contemporain.
A.G.D. : Moi je pousse depuis toujours pour qu’il y ait une vraie considération pour les plus jeunes. Il y a une saison «Jeune public » à La Villette, mais ça n’a pas toujours été le cas.
Il y a « Little Villette » qui est un super outil de travail. Mais c’est vrai que ça reste des outils… le jeune public de manière général dans le monde culturel, c’est pas ce qui intéresse le plus. Après, il y a d’autres considérations importantes en muséographie qui sont que lorsqu’on fait de la conservation d’oeuvres ou quand on montre des oeuvres, l’objectif qu’on a réside aussi dans la préservation des oeuvres et donc plus on a une fréquentation artistique et plus on a du monde et des enfants et plus ça abime. Il faut arriver à trouver le point de jonction entre ces deux objectifs. L’art contemporain est finalement très accessible aux enfants, c’est plus les adultes qui reportent des préjugés, des stéréotypes en se disant qu’ils ne comprendront pas et que ça va être difficile. Effectivement, il fallait faire quand même une sélection d’oeuvres parce qu’elles ne sont pas toutes à hauteur d’enfant, mais pour moi et pour l’équipe et Little Villette, c’était très important qu’elles puissent se destiner aux plus jeunes, parce que c’est là qu’on construit son regard et son identité. Les thématiques de l’exposition sont complètement liées à la construction de l’humain donc il y a des choses sur l’éducation non-genrée, enfin qui vont toucher à ça ; il y a des choses sur le féminisme, sur la peur de la fin, pas forcément fin du monde, mais de toutes nos questions autour du climat. Il y a vraiment des choses qui nous traverse au niveau de la société actuelle et ce sont des choses très importantes à donner à voir sans limite d’âge. Il faut quand même arriver à sortir du mythe qu’une oeuvre parle d’elle-même, etc. On sait que ce n’est pas vrai. Le « choc à la Malraux », il existe quand même assez rarement et il faut des outils, des présences humaines, il faut des documents d’appui, il faut quelque chose qui nous permette de se sentir légitime. L’accueil et de sentir déjà un sourire à l’entrée, c’est déjà énorme, mais ça peut pas être en soi et pour soi ou en tout cas c’est rare, donc il faut vraiment en avoir conscience à la fois en tant qu’artiste et également aux manettes en termes de programmation.
JCA : Ces outils dont parle Alice Gouattari Delacour sont notamment développés par Sarah Russiak, chargée du champ social et de l’accessibilité à la Villette au sein du pôle éducation artistique et culturelle. Elle envisage la médiation comme un mariage entre les artistes et les publics et se pense passerelle, créatrice de rencontres entre les artistes, les œuvres et les publics. L’accueil des groupes n’est pas la seule facette de son métier. Elle intervient aussi en amont, au niveau de la communication et de l’accessibilité physique des infrastructures. Par exemple, pour 100% l’expo, elle a transmis des préconisations à ses collègues en charge de la scénographie.
S.R. : Avec les équipes des expositions, je leur ai transmis de petites préconisations pour veiller à ce que l’exposition soit accessible. Ça peut être effectivement une police qui n’ait
pas d’empattement pour que ce soit très lisible ; la taille des caractères ; les contrastes aussi ; la façon dont on positionne les cartels pour pas que ce ne soit trop bas ou trop haut ; ou encore la taille des vitrines, parce que si une vitrine est trop haute, un fauteuil roulant ne pourra pas voir une oeuvre. C’est vraiment important de se poser toutes ces questions d’accessibilité et en fait ça sert à tous. On se rend compte que l’accessibilité est universelle et si un discours est simplifié, s’il y a moins de texte avec des smots plus faciles, ça sert aussi aux enfants, à des personnes qui ne maitrisent peut-être pas bien la langue française, etc. Ça se décline universellement et c’est pas pensé juste pour un type de handicap.
JCA : Pour Sarah Russiak, la plus value d’une exposition d’art contemporain comme 100% est le caractère sensoriel, olfactif notamment, que l’on trouve dans les œuvres ainsi que l’accès parfois direct aux artistes, à leur discours et leur regard. Gabriel Moraes Aquino, artiste diplômé des Beaux-Arts de Paris, présente cette année une œuvre dans la grande halle. Il a également développé une action de médiation avec la Villette. Il a créé un projet avec une classe ULIS, Unités localisées d’inclusion scolaire, qui accueille des enfants ou adolescent.es en situation de handicap et avec une classe n’ayant pas de besoin spécifique. Avec l’acrobate Bastien Deuz, ils ont pensé des activités autour de la notion de gravité et de rêve. Gabriel Moraes Aquino a également accueilli les élèves dans son atelier et leur fera visiter l’exposition 100%. Pour lui, les artistes ont un rôle à jouer dans la médiation.
G.M. : Je pense que le rôle de l’artiste, même avant toute la poésie ou l’histoire qu’on raconte dans notre travail, c’est la manière de pratiquer la liberté, les passions dans cette volonté d’échanger avec le monde et aussi d’élargir le sens de ce que c’est que de faire de l’art. Pour moi, c’est très important de dire aux jeunes dans les collèges que faire de l’art, ce n’est pas juste les artistes qui font tout. Quand je dis « artiste », je pense aux artistes plasticiens, parce qu’on les met souvent dans cette case, mais l’artiste c’est aussi quelqu’un de passionné pour ce qu’il fait, qui pousse les barrières et les limites et transcende leur vie quotidienne, leurs rêves, leurs savoir-faire. C’est pour ça que c’est très important pour moi de travailler en collaboration avec des gens. Pour moi, les gens qui collaborent avec moi, je suis pas juste en train de leur dire de faire quelque chose pour qu’ils puissent avoir une expérience parallèle à leur quotidien mais aussi d’amener l’idée qu’ils sont des acteurs de ce qu’ils font dans le collège mais aussi dans la rue, dans les expositions, dans les restaurants, chez eux, etc. Ils peuvent vraiment construire leur propre récit de vie activement, de manière consciente, et pour moi c’est ça aussi être artiste de notre propre vie.
M.L. (JCA) : Je lui ai demandé s’il pensait qu’il y avait une place pour tout le monde dans les expositions d’art contemporain.
G.M. : Je pense pas qu’il y ait de la place pour tout le monde. On peut construire des situations propices et fertiles pour créer des échanges, sûrement qu’il y aura des gens qui en profiteront pour venir de par leur curiosité personnelle. Mais tout le monde, non. [Rire] On ne peut pas penser que l’art va sauver le monde. Je pense qu’il y a plein de choses qui peuvent sauver des individus un par un. Après, un par un, ça devient un collectif, puis un pays, un continent, mais il y aura toujours des pensées différentes. Je pense qu’en tant que lieu qui crée des réflexions, qui pense, qui discute, qui échange, on a le privilège d’avoir ici, en France, le soutien financier pour construire des occasions comme celle-là d’échange. On les utilise à fond, on casse les barrières, mais à la fin, tout le monde ne viendra pas. Mais si une personne en plus vient, elle est liée à plein d’autres. On a la preuve avec les réseaux sociaux maintenant. [Rire] Chacun a 1000, 10 000, 100 000, 1 million d’amis ou followers. Petit à petit, on touche les gens qui veulent être touchés.
M.L. : Parmi ces gens qui veulent être touchés, il y a Serge. Camille Bardin et moi avons suivi une visite guidée proposée par l’association Souffleurs (et souffleuses) de sens. Nous avons ainsi découvert ou redécouvert les œuvres de Gaspard Laurent et d’Hélène Bellanger. Les yeux bandés, je me suis ensuite laissée guidée moi-même avant de rencontrer l’artiste Joël Harder qui a raconté son œuvre à Serge et au groupe.
Sarah Russiak : Je vous présente Victor Qui travaille à Souffleur de Sens. [S’adressant au visiteur aveugle] Je ne sais pas votre prénom monsieur.
Serge : Serge.
Célia : Célia, je suis stagiaire à l’association Souffleurs de sens aussi.
Victor : Et souffleuses !
Célia : Oui et souffleuses ! [Rire]
M.L. (JCA) : Peut-être rapidement, est-ce que vous pouvez rappeler en quoi consiste le service de Souffleurs de sens ?
Victor : Souffleurs d’Images, c’est un service qu’on met en place à l’association Souffleurs de sens, qui propose au public aveugle ou malvoyant, d’avoir un bénévole qu’on a formé, souvent des étudiant.es en art, artistes ou professionnel.les de la culture pour, le temps d’un spectacle ou d’une exposition, lui souffler les éléments qui sont invisibles.
Célia : Vous avez déjà fait des visites avec Souffleurs d’Images ?
Serge : Oui, j’ai même vu une pièce de théâtre qui s’appelait « Le petit chaperon rouge » qui se jouait dans un théâtre à côté. J’avais bien aimé. Voir l’envers du décor.
Hugo : Bonjour !
S.R. : Je vous présente Hugo, c’est un collègue à nous dans le pôle accessibilité à La Villette. Il a travaillé sur un parcours en sélectionnant quelques oeuvres pour le jeune public qui ont aussi un intérêt plastique. Ça va être aussi un guide pour nous sur certaines oeuvres parce qu’il connait très bien le parcours d’exposition. On peut se diriger vers l’exposition ?
Serge, Célia et Hugo : Allez c’est parti ! On vous suit !
M.L. : On entre dans la Grande Halle avec les deux membres de l’association Souffleurs d’Images et Serge qui participe à la visite aujourd’hui.
Célia : … Du coup, je disais qu’on était au milieu d’une très grande salle qui a l’air d’être un vieux bâtiment industriel.
Serge : Oui je vois.
Célia : On voit qu’il y a pas mal d’oeuvres un peu partout, beaucoup de couleurs aussi.
Serge : Je vois différentes lumières à différents endroits.
Célia : Oui, c’est ça. Il y a pas mal de jeux de lumière. Juste en face de nous, une lumière rose, très jolie. Sur la droite une lumière bleue aussi. Enfin une oeuvre bleue plutôt. Cette oeuvre un peu bleue, c’est une oeuvre immersive de Gaspard Laurent. C’est un labyrinthe
et ce que je vous propose c’est qu’on rentre à l’intérieur de cette oeuvre, parce qu’il y a des sons et des effets à ressentir.
Serge : Ah oui ! Tiens je connaissais pas ça !
Victor : Si les membres de JCA sont intéressées, vous pouvez faire une partie de l’exposition avec les yeux bandés, donc si vous voulez vous aussi faire cette expérience là.
[Bruit d’ouverture de sac pour prendre les masque pour bander les yeux]
Célia : N’hésitez pas à me dire aussi s’il y a des descriptions qui vous intéresse plus que d’autres. Plutôt la lumière, la couleur ?
Camille Bardin (JCA) : Tu peux nous décrire ce qu’il se passe peut-être ?
Mathilde Leïchlé (JCA) : On vient de recevoir des masques, pareils à ceux qu’on utilise pour le sommeil, de la part de l’association Souffleurs d’Images et on va les mettre sur les yeux, pour participer nous aussi à la visite avec les Souffleurs et Souffleuses qui vont nous raconter ce qu’il se passe dans cette exposition.
Célia : On va se diriger si vous le voulez bien vers l’oeuvre de Gaspard Laurent qui s’appelle « Bdrynthe »
[Musique Rock]
Victor : On est devant des couleurs assez pastels avec du verre sur notre droite, de l’orange à notre gauche, un peu plus de rose à notre droite et sur ces aplats de couleurs, au noir, il y a certains dessins. Par exemple sur notre droite, il y a le dessin d’une porte noire qui est fermée. Sur la gauche, un chemin, pareil, avec un portail noir mais ouvert. Juste en face de nous, on a sur fond rose, toujours dessiné en un trait noir, un couloir, au sol un tapis noir et au bout de ce tapis, on voit aussi une porte. Dans l’espace qui se dessine là, on a sur notre gauche, une autre ouverture de ce labyrinthe qui amène vers un fond jaune où est représenté une bibliothèque et sur notre gauche, etc.
[La musique prend le dessus sur la parole qui s’estompe]
Célia : […] On retrouve toujours les briques bleues sur le tour, enfin les carreaux bleus.
Serge : Ah j’adore le bleu !
Célia : Oui c’est une belle couleur ! En plus c’est un bleu très électrique !
Serge : Oui ça m’évoque le ciel qui tombe vers la terre, je sais pas..
M.L. : La visite s’organise autour de l’envie de Serge qui perçoit une oeuvre qui a envie d’aller vers elle. La souffleuse se met à lui décrire ce qui se passe devant lui. La souffleuse rebondit sur ce que dit Serge et c’est une conversation qui s’installe devant les oeuvres pour continuer ce parcours dans l’exposition.
Célia : Là on va aller voir une oeuvre qui est en partie tactile je crois Serge. Il y a à la fois à toucher et à sentir !
Serge : Ah bon !
Célia : C’est des plaques comme du Plexiglas et on est invités à entrer dans ce cube. Vous pouvez me suivre si vous voulez. Là, on entre…
Serge : Ahhh oui d’accord.
Célia : … vous avez en-dessous un socle rempli de billes et vous pouvez plonger les mains dans ces billes.
Serge : C’est bien, c’est un peu gluant. C’est bizarre.
Célia : On dirait un peu des oeufs de poisson à la texture. Ça a une texture un peu… un peu gluante, un peu aqueuse.
Célia : C’est ce que le monsieur nous expliquait tout à l’heure. Je ne sais pas si vous avez pu entendre mais en fait cette oeuvre s’inscrit dans le cadre d’une recherche qui chercher à reproduire l’odeur du bonheur.
Serge : Le bonheur, c’est un domaine qui est vaste.
Célia : Et vous qu’est-ce que ça vous fait comme sensation ?
Serge : Quelque chose de bizarre, j’ai l’impression de toucher des oeufs, des oeufs de poisson…
Célia : Est-ce que c’est agréable pour vous de les toucher ?
Serge : Hum… Ça fait bizarre.
Célia : Bizarre ?
Serge : Bizarre. Je crois que c’est la première fois que je fais ce genre de choses.
Célia : Je comprends. C’est bien, il faut des premières fois à tout. [Rire] Là on est dans le cube et tout autour vous avez des petites affiches sur des anti-dépresseurs, sur plein de médicaments qui font se sentir mieux.
C.B. : Ça y est Mathilde tu portes le masque ?
M.L. : Ça y est je commence à être guidée.
C.B. : Tu es bien accompagnée par Victor c’est ça ?
Victor : C’est ça ! N’aie pas peur, je suis vraiment devant toi. Si on avance et qu’il y a un obstacle, tu sens que je m’arrête avant. Tiens moi le bras, n’aie pas peur. S’il y a une marche, pareil, tu vas sentir que je vais descendre. N’aie pas trop d’appréhension, normalement je ne vais pas te guider dans le mur !
M.L. : D’accord !
Victor : On est toujours dans la Grande Halle, sur notre gauche, on a une énorme impression en portrait qui fait un peu penser aux pubs de vêtements. C’est coupé, on ne voit pas la tête des personnes qui sont photographiées. Dessus, il y a comme des traces de tags, avec une ligne rouge, une ligne verte, une ligne jaune. Est-ce que ça te dérange
de me donner ta main pour que je t’explique. Donc le sac est comme ça… En bas à gauche on voit… attends je me rapproche parce que je suis un peu loin… on voit une photographie qui représente je crois une cuisine avec un frigo sur la gauche et un tas d’objets au milieu. Plus en haut, on a la représentation de quelques bijoux dorés et d’une boucle d’oreille en diamant et au centre, un petit objet doré aussi qui ressemble un peu à une cloche. Je te rends ta main.
M.L. : Merci. Donc là Victor vient de dessiner dans ma main ce qu’il voyait pour que je puisse le percevoir moi aussi.
Sarah : Si vous voulez, on peut faire une dernière oeuvre sur la passerelle et après on aura fini.
Serge : Je veux bien ! Je suis là pour ça ! Pour découvrir !
S.R. : Eh bien allons-y ! Ah ! Il y a un artiste qui est présent ! Bonjour !
Serge : Bonjour !
S.R. : Je suis Sarah, je suis en charge de l’accessibilité, on est en train de faire une visite. On décrit les oeuvres avec les Souffleurs de sens. On est avec Serge et on se disait que ce serait intéressant que vous lui décriviez un petit peu votre oeuvre.
Joël Harder : Avec plaisir ! On est sur une installation avec une branche de gui au-dessus avec une belle tente entièrement faite en camouflage. C’est une installation qui retranscrit deux ans de recherche, qui documente la disparition d’un lieu de drague homosexuel dans le sud de l’Ardèche. Ça se passe dans le village de Saint-Privat dans une ripisylve, c’està-dire une forêt qui borde un cours d’eau, qui borde la rivière de l’Ardèche. J’ai grandi à 700 mètres à vol d’oiseau de ce lieu de drague en question. Pour moi, en tant que jeune homosexuel ayant grandi la-bas, et ayant vu tout ce qui s’y passé, c’est un lieu assez chargé en symbolique et historiquement aussi dans mon propre conditionnement. Ce qui est exposé ici à La Villette, c’est énormément d’artefacts qui m’ont servi à réaliser ma recherche. Ce n’est pas tant la recherche académique en tant que telle, ni les interviews, ni la documentation, mais plutôt des objets qui m’ont permis de prélever, d’aller fouiller, de ranger ou de classer tout ce que je suis allé chercher dans cette forêt. En fait, dans les techniques de dragues qui sont utilisées, on a beaucoup soit au niveau de l’olfaction, on
peut repérer des drag par le parfum qu’il porte ou alors niveau son. Ça c’est quelque chose assez… c’est assez universel, on peut le retrouver aussi bien dans « Le jardin des proies » donc aux Tuileries, qu’en Ardèche, dans n’importe quel lieu de drague. Quand quelqu’un secoue ses clés en marchant, c‘est pour signaler aux autres, pour ceux qui connaissent le code, qu’il est à la recherche d’un partenaire sexuel. Quand les gens se baladent dans le milieu dragueur, aux Buttes Chaumont ou dans ce lieu à Saint-Privat, en secouant leurs clés, ceux qui comprennent le code savent que cette personne est disponible est prête à rentrer dans la zone privatise au pied des grands arbres. Y a cette identité un petit peu sonore.
Tous.tes : Merci beaucoup !! Ça tombait super bien !
Joël Harder : Merci pour votre attention ! Merci à vous ! Bonne continuation et bonne visite !
C.B. : Ça vous a plu ?
Serge : Oui oui oui !
C.B. : C’est chouette de parler à des artistes ?
Serge : C’est trop bien ! C’est la meilleure manière de découvrir quelque chose. Ils connaissent leur domaine, leurs objets. On peut avoir que les meilleures explications !
C.B. : Ah bah je suis bien contente si ça vous à plu de pouvoir mettre un petit pied dans l’art contemporain et voir que c’est pas si terrible ! [Rire]
Serge : Oui ! Voilà voila !
[Musique de transition]
TABLE-RONDE :
M.L. : A notre tour de prendre part à la réflexion, avec Camille Bardin, Tania HautinTrémolières, Samy Lagrange, et moi-même, Mathilde Leïchlé, nous nous sommes retrouvé.es dans le studio d’enregistrement de la Gaité Lyrique pour parler médiation et
accessibilité. On a d’abord voulu partager avec vous ce qu’on avait pensé de l’édition de cette année, et puis finalement on a bien du se rendre compte qu’on avait des biais. Après avoir rencontré les équipes et les artistes, après avoir vu tout le travail engagé, comment tenir encore un discours critique ? Le la critique d’art, doit-iel être un.e ermite ? Nous n’aurons pas le temps de répondre à cette question ici, nous avons préféré aborder l’épisode avec un angle différent. En tant que critique, chercheureuse, commissaire, podcasteureuse, professionnel.le de la culture et du monde de l’art : comment envisageons nous l’accessibilité dans notre propres pratiques ? Pour commencer, on peut se demander ce que pour nous veut dire médiation. La médiation à l’origine, c’est un terme utilisé pour définir un.e intermédiaire qui intervient à l’occasion d’un conflit ; associé à la culture, ça prend un autre sens : est-ce un conflit entre un public et les oeuvres ? On peut se le demander. Qu’est-ce que ça vous évoque vous ce terme de « médiation » ?
S.L. : Je veux juste commencer en disant que c’est hyper intéressant, j’avais pas pensé à cette notion de conflit et je pense que oui, intrinsèquement il y a un conflit entre les publics et les créations, mais du coup ça résout pas du tout le problème de la définition. Tania ?
T. H-T : Je rejoins un petit peu ce que tu dis Mathilde, pour moi c’est la notion de passerelle et d’intermédiaire avec peut-être dans l’idée de la résolution de conflit, l’idée de créer un terrain d’entente différent, avec différents dispositifs, différents moyens, différents publics.
C.B. : Aussi se dire que l’art contemporain ça réclame de l’argent, on a souvent cette idée là d’un monde très élitiste parce que les oeuvres coûtent cher, mais ça réclame aussi énormément de temps parce ce que les artistes font référence à des oeuvres, livres, films, etc. Et quand on fait les 3/8, on n’a pas forcément le temps d’acquérir toutes ces connaissances là. Je pense que les médiateurices sont là pour raccourcir le temps vers l’émerveillement, simplement en décrivant par exemple que dans cette oeuvre il y a tel film suédois des années 70 que l’artiste adore, etc. Et ce raccourci se fait et on découvre plus facilement l’oeuvre comme ça je pense. Tania ?
T. H-T. : Oui… En fait, je trouve que la médiation se rapproche assez bien des métiers de la traduction avec l’idée de ne pas faire une traduction littérale mais de l’adapter aussi par son propre prisme et d’essayer de le transmettre à d’autres personnes.
S.L. : C’était aussi assez intéressant de remarquer que dans la plupart des pastilles, des entretiens, des prises de son, qui ont été fait pour cet épisode, il y a la question de l’universalité qui revient, qui n’est pas toujours traité de la même façon, qui est souvent en tension. Je trouve que c’est une question à se poser : est-ce que la médiation doit viser l’universalité ? C’est souvent ce qu’on nous apprend quand on fait de la médiation à proprement parler. Quand on est guide conférencier par exemple, on nous demande d’avoir un discours médian, un discours qui pourrait potentiellement viser tout le monde. Personnellement, je pense que c’est un peu vain de viser l’universalité, tout simplement parce que tout discours est situé donc il manque forcément l’universalité. On ne parle jamais pour tout le monde, ni tout à fait à tout le monde. Et en fait, je pense que ce n’est pas du tout grave. L’enjeu aujourd’hui, c’est plutôt de multiplier les discours, de laisser la place à chacun.e de s’exprimer. Peut-être qu’avez la pluralité de ces sujets et de ces points de vue, c’est à ce moment-là qu’on arrivera à élargir cet universel dont on parle tant qui est à la fois frictionnel et en tout cas trop étroit. Après, on peut toujours se demanderet je vous pose aussi la question de comment faire ça - comment élargir l’universel et comment parler autrement ? Selon moi, il y a le fait de laisser la place à celleux qui veulent parler autrement et qui parlent déjà autrement mais qu’on entend pas encore assez, et se permettre soi-même de ne pas épouser un discours hégémonique mais se permettre de parler autrement. J’irais même « plus loin », je pense qu’aujourd’hui il faut se permettre de dire autrement, quitte à ne pas être intelligible pour tous.tes et notamment par celleux en position hégémonique ou en position dominante.
M.L. : Et dans le cadre aussi des expositions qu’on organise nous-mêmes ou auxquelles on participe, il y a la question de faire venir le public et de l’organisation de visites guidées. Tania, tu as une expérience des visites guidées, qu’est-ce que tu en penses du rôle de ces visites ?
T. T-H. : Je suis très mitigée sur les visites guidées. Effectivement quand j’étais étudiantes en histoire de l’art, j’ai travaillé comme guide dans un château, donc rien à voir avec l’art contemporain à ce moment-là. On était deux à mener ces visites-là, qu’on a conçues nous mêmes, donc on a compilé beaucoup de connaissances sur toute l’histoire du château et de la collection, pour ensuite essayer d’en faire quelque chose de digeste et d’intelligible pour le public. C’est un exercice que je trouve très difficile parce qu’il y a avait cette envie que ce soit le plus fluide possible, que le public puisse poser des questions, puisse interagir avec nous, éventuellement interagir entre eux aussi, mais il y a quand même la dimension de groupe ce qui est très compliqué parce que les personnes ne vont pas au
même rythme, n’ont pas les mêmes centres d’intérêt, n’ont pas le même âge. Ça demandait de combiner tout ça. Même si on avait ce désir d’essayer de produire un espace temps qui permette l’échange à travers cette visite, c’était quand même très compliqué parce que souvent dans les visites guidées, le public se retrouve un peu dans une forme de passivité à recevoir un savoir qui vient de la personne qui mène la visite guidée. Il y avait un vrai malaise avec cette posture autoritariste et savoir descendant, alors que nous-mêmes nous avions appris ces sujets qu’on leur transmettait puisqu’on n’était pas du tout spécialistes des sujets dont on parlait. Donc, j’aime pas trop les visites guidées en tout cas quand elles sont faites dans ce sens là, parce que j’aime pas cette posture que ça donne à la fois aux personnes qui la suivent et éventuellement aux personnes qui la mènent, même s’il n’y a pas ce désir d’autorité. En même temps, j’ai conscience que j’ai mille biais en disant que je n’aime pas les visites guidées, parce que j’ai fait des études d’histoire de l’art, parce que j’ai été habituée à faire des expositions, donc j’ai déjà un certain nombre de codes, donc je conçois tout à fait qu’on puisse vouloir venir en essayant de recevoir des connaissances qu’on estime ne pas avoir. Oui je suis très partagée sur ce sujet. [Rire]
M.L. : Toi Camille au moment de l’exposition « Faire corps », c’est aussi quelque chose à laquelle tu as pensé, à la médiation, à l’accès au discours et à la parole des artistes ?
C.B. : Justement quand je parlais du podcast PRESENT.E que je produits aussi, il a été utilisé comme un outil de médiation. On avait laissé dans une bibliothèque, tous les podcasts avec un petit QR Code, donc on avait directement la possibilité d’avoir 1h avec l’artiste qui présentait son travail, ses doutes, ses réflexions, ses recherches, etc. Je trouvais que c’était intéressant vis-à-vis des personnes aveugles parce qu’elles ont aussi accès à une parole. C’est ça que je trouve intéressant dans tous les entretiens qu’on a eu avec les personnes de La Villette, c’est qu’on se rend compte que dès lors qu’on fait un pas vers un certain public, on arrive aussi à en toucher un autre. Typiquement, dans le cadre de la médiation via le podcast, on arrive à toucher des personnes et à faire en sorte de ne pas toujours être présente, parce qu’on ne peut pas toujours enchainer les visites avec les personnes : soit on va avoir des visites seulement avec des collectionneurs.ses, seulement des professionnel.les, donc déjà avec des personnes privilégiées. Mais du coup ce dispositif donne accès à un autre public.
M.L. : Du coup, on passe de la médiation à l’accessibilité. Le fait même qu’on ait à parler d’accessibilité, c’est que les lieux ne sont pas de prime abord accessibles, et qu’il faut une
volonté active pour les rendre accessibles. Ça pose diverses questions : trouver les fonds, faire venir les gens, les personnes concernées, puis ensuite pérenniser la démarche. Estce que Samy tu veux nous raconter un peu comment ça s’est passé pour nous deux quand on a organisé le colloque « Censurer les arts encadrer les corps » qui a eu lieu à l’école des Chartes et qu’on a voulu rendre accessible en LSF aux personnes sourdes et malentendantes. Par LSF, j’entends langue des signes française.
S.L. : On en parlait tout à l’heure et on en parlait ensemble Mathilde depuis plusieurs mois autour de cet événement, ce colloque universitaire qu’on voulait créé. On s’est rendu.es compte tout simplement, grâce au collection des Mains Paillettes, même si ça parait évident, que l’accessibilité c’est pas un bonus et donc on ne devrait pas organiser d’événements si on n’est pas apte à les rendre accessibles à toutes et à tous. De la même manière qu’on ne fait pas un événement si on ne peut pas inviter les gens qu'on veut inviter ou si on ne peut pas se payer de la sécurité pour surveiller des oeuvres par exemple. Alors, déjà il y a un problème de responsabilité personnelle, puisqu’on a beau s’être dit ça au début, on a finalement lancé le projet sans avoir la sécurité de pouvoir le rendre accessible à toutes et à tous, notamment en termes d’accessibilité en LSF, de sous-titrages, d’accès aux personnes en situation de handicap, de personnes à mobilité réduite. Il y a une première responsabilité qui est d’accéder soi-même à cette évidence que rien ne devrait être fait si c’est excluant pour une partie de la population et donc du public. Ensuite, malheureusement on a beaucoup d’obstacles sur notre chemin, nous c’est un cas très particulier qui est un cas de colloque universitaire où on ne le finance pas par des fonds propres ou privés, mais par des fonds publics qui viennent directement des universités, donc on est allé.es demander durant de nombreux mois pour rendre le colloque le plus accessible possible et on a été confronté.es à diverses expériences qui ont toutes la même finalité : des fins de non recevoir, on faisait comme si on n’avait rien entendu, on nous disait très clairement que rien n’était prévu pour de tels projets d’accessibilité, ou même par la suite, après nous avoir dit non ou ne pas nous avoir répondu, on nous disait que c’était une initiative merveilleuse et que la prochaine fois il ne faudrait surtout pas hésiter à demander parce que tout le monde serait très heureux.ses de se joindre à ce genre de projet et notamment de donner des sous pour ça. [Rire] Donc c’est assez frustrant de voir quand on a fait la démarche nécessaire de vouloir inclure tout le monde - qui n’est d’ailleurs pas du tout une démarche mais qui devait être une évidence même - une fois qu’on est arrivé.es à cette évidence, on se rend compte que les institutions desquelles on dépend, ne considèrent pas du tout cela comme allant de cela
car c’est coûteux. Je pense qu’on rappellera deux, trois prix pour que les gens se rendent compte.
C.B. : Tu peux le faire maintenant.
S.L. : J’ai peur de dire des bêtises…
M.L. : C’est environ 100€ par heure et par traducteurice, sachant qu’il faut trois interprètes traducteurices pour faire une rotation et gérer la fatigue.
S.L. : Oui quand on parle d’interprétation en LSF par exemple. On peut aussi parler du prix pour les installations PMR par exemple. Tout ça est coûteux et c’est normal que ce le soit parce que c’est fait pour payer des gens qui exercent un métier. Au même titre qu’on ne ferait pas un événement sans chaine pour le public, sans prévoir un ordinateur et une connexion wifi, sans payer le café trois fois dans la matinée pour les pour les intervenant.es comme dans tous les colloques. Tout ça qui est évidemment absolument coûteux, mais pourtant moins essentiel que de garantir l’accès à toutes et à tous.
M.L. : Ce qui est intéressant aussi dans la visite avec Souffleurs de Sens qu’on a vue, c’est la question du rapport avec les personnes concernées. Est-ce que tu veux nous en parler un peu Camille ?
C.B. : Oui et d’ailleurs ça me permet aussi d’ajouter un petit truc sur ce qui vient d’être dit. Je pense que c’est aussi nécessaire… Nous depuis tout à l’heure, on s’exprime en tant que personnes valides, il n’est pas du tout question de prendre le statut de valid savior, de personnes valides qui viendraient sauver comme ça des personnes en situation de handicap, loin de là ! Au contraire, je pense qu’il est nécessaire d’écouter les personnes directement concernées et de comprendre quels sont leurs besoins, c’est pour ça que je pense que ça pourrait être chouette d’inviter les auditeurices à suivre des personnes comme Elodia (@elodia.lsf) et Erremsi (@erremsi) sur Instagram, on vous mettra les liens dans la description, qui sont deux CODA (Children of Deaf Adult), des enfants entendant.es de parents sourd.es. Tous les deux font un gros travail militant pour essayer de nous déconstruire nous personnes valides et de comprendre quelles sont les réalités des personnes sourdes et malentendantes. Autre exemple aussi pour parler de cette notion de la nécessité d’écouter les personnes directement concernées, il y a une autre chose qui nous a troublé, c’est quand les souffleur.euses parlaient des couleurs. L’oeuvre
en l’occurence était verte. On se demandait ce qu’il en était quand la personne qui écoute était aveugle de naissance, si on avait le droit de lui parler de couleur. Cette personne nous a répondu que oui car les liens se faisaient avec des ressentis, des sensations. Par exemple, une personne aveugle à qui il avait fait la visite lui expliquait que le vert pour iel faisait référence à un déjeuner, un pique-nique, que la personne avait fait lorsqu’il faisait beau et qu’iel était bien. Le vert pour iel faisait référence à ça. Je pense que c’est nécessaire que nous en tant que personnes valides on écoute davantage quels sont les besoins, les nécessités de ce qu’il faut faire ou ne pas faire ou en tout cas quels sont les points de vigilances.
M.L. : C’est ce qui fait échos aussi à ce que tu disais dans le malaise que tu as ressenti par rapport aux visites guidées Tania, c’est que là Serge, dans le cadre de la visite avec Souffleurs de sens, était vraiment agent de la visite qu’il faisait. Il exprimait ses besoins, ses envies, et c’est ça aussi qui nous a beaucoup marqué.es. Alors la dernière question pour conclure, maintenant qu’on a posé tout ça : quelles perspectives dans nos propres pratiques en termes d’accessibilité ? Personnellement, suite à l’expérience qu’on a eu au moment du colloque, se sont débloqués dans notre esprit tous ces mécanismes qui deviennent des automatismes. Ça permet qu’à chaque fois qu’on pense un événement, on contacte des associations qui font tout le travail de valorisation et de diffusion, on entre en contact avec des personnes concernées pour savoir exactement ce dont elles ont besoin pour venir à l’événement et ainsi participer à la création d’un nouveau réseau, tissus, pour continuer à porter nos pratiques, nos travaux mais de manière plus inclusive et moins excluante.
S.L. : Je suis assez d’accord. Je pense que la prochaine étape ou en tout cas la prochaine chose dans nos pratiques personnelles autour de la table c’est peut-être de sortir de nos propos hors-sol, moi-même au début je parlais de conceptualisations philosophiques de la médiation, et ça m’a beaucoup aidé à changer mes points-de-vue, à creuser dans d’autres directions, à me raccrocher à des idées qui m’encourageaient à aller autre part, à naviguer autrement à travers les discours que je diffusais et que je recevais. Mais je pense c’est bien de sortir de ce hors-sol pour aller vers des pratiques concrètes, des mises en application, parce que c’est ça qui change nos perceptions. La médiation, en tant que terrain d’entente, un dialogue, un terrain conflictuel, ça se fait par du concret, et on ne peut pas passer toutes nos journées à dire qu’il faut le faire. Je pense qu’il faut qu’on trouve toutes et tous des manières de mettre en application ça de manière plus stricte. On peut rappeler qu’on n’est pas concerné.es par ces conditions, en tout cas les conditions
physiques, on ne parle plus des discours mais d’accessibilité. On parle d’une position qui est extérieure, ce qui fait qu’on oublie sûrement pas mal de choses, donc on s’en excuse et on serait heureux.ses d’avoir ces retours parce que c’est ça qui fera avancer et qu’on puisse se rendre compte de tout.
M.L. : Déjà justement, puisqu’on n’est pas concerné.es, commencer par s’informer le plus possible puisqu’il y a des initiatives qui existent déjà, des personnes qui travaillent dans ce sens là, c’est le cas des personnes avec qui vous avez suivi la visite Souffleurs de sens et il y en a plein d’autres. Justement, puisque des personnes sont concernées et sont déjà compétentes sur la question, c’est hyper bateau mais c’est aussi s’entourer le plus possible, admettre qu’on ne peut pas tout résoudre tout.e seul.e et au contraire réfléchir à plusieurs et élaborer des solutions concrètes à plusieurs pour que ça puisse s’améliorer, vraiment quoi.
Tous.tes : Merci Mathilde !
M.L. : Merci de nous avoir suivi.es dans ce voyage sonore. Vous avez jusqu’au 30 avril pour découvrir l’exposition et vous pouvez suivre la suite des aventures de Jeunes Critiques d’Art sur Instagram, sur notre site internet et via notre podcast Pourvu qu’iels soient douxces.
Merci beaucoup aux équipes de la Villette et plus particulièrement à Inès Geoffroy pour l’invitation, à Chloé Thevret et Irène Guéllièk pour la coordination, au producteur Christophe Payette, à la réalisatrice Lucile Ocèle.
Merci pour leurs réponses à Louna Eskerra, Alice Gouattari Delakour, Sarah Russiak, Gabriel Moraes Aquino, Victor Dobin, Célia Adgharouamane et Joël Harder. Merci à Serge.
Du côté de Jeunes Critiques d’Art, c’est Grégoire Prangé qui s’est occupé de la coordination générale, accompagné de Mathilde Leïchlé et Luce Cocquerelle-Giorgi pour la conception des épisodes. C’est Camille Bardin qui s’occupe du pré-montage. Les prises de son et interviews ont été réalisées par Camille Bardin et Mathilde Leïchlé qui ont construit l’épisode que vous venez d’écouter.
A bientôt !