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Lettre à mon fils : Denise Charbonnier
La maman de Charb, journaliste dessinateur de Charlie Hebdo, tué le 7 janvier 2015, a pris la plume pour raconter son Chachane comme seule une mère peut le faire. Pour rester debout, résister à la suffocation et pointer du doigt les loupés, lâchetés, mensonges qui ont contribué à l’horreur. Pour que le rire ne s’éteigne jamais. Rencontre avec Denise mère courage, femme digne et déterminée. Extraits : Pourquoi la nécessité d’un livre ? J’ai commencé à écrire une vingtaine de pages en 2017, j’avais besoin de demander à Stéphane quand il reviendrait à la maison. Je ne pouvais pas penser autrement. Je voulais raconter mon fils. Je voulais rappeler tout ce que l’Etat, les politiques, les médias n’ont pas vu, pas voulu entendre avant qu’il ne soit trop tard. Je voulais que ce livre se termine par le procès (des complices) qui a été ponctué de moments grotesques et pénibles. L’enfance ? Mon gamin était vif et intelligent, il adorait dessiner. Il était timide et je pense que le dessin a été son meilleur atout pour prendre de l’assurance. Il nous posait beaucoup de questions, il fallait que sa curiosité soit satisfaite. Il racontait sa vie à tout le monde avec déjà une aisance déconcertante. A l’école, il appréciait la plupart de ses profs qui avaient tous remarqué que dans chaque espace libre d’un cahier, d’une copie, le bon élève crayonnait. Il les a revus après ses études. Il lisait énormément, c’est comme ça qu’il découvre Cabu qui deviendra sa référence. Passe ton bac d’abord et après ? Je lui ai dit qu’il pouvait facilement devenir prof de français ou d’histoire, deux matières qui le passionnaient. Il m’a dit : oui c’est vrai, mais non, car si je fais ça, je n’aurais plus le temps de dessiner. Quel chemin prendre ? Il a fait plein de boulots différents. Il a créé un tee-shirt avec un dessin, fabriqué des cartes postales et la direction du cinéma Utopia a accepté qu’il les vende, ça l’a rempli de bonheur. Il a essayé de placer ses dessins d’actu partout, aux Nouvelles du Val d’Oise qui les a acceptés, à Libé qui les a refusés. Plus tard, ce quotidien le sollicitera parce qu’il est à Charlie, il leur fera un pied de nez en disant non merci ! Il met alors le dessin de presse au service de ses engagements politiques ? Il en parlait peu et on le voyait heureux. C’est lors de ses funérailles que nous avons découvert un grand nombre de couronnes et messages provenant de tout un tas d’associations qu’il avait parrainées et avec qui il était en contact régulièrement. Le droit au logement, les sans-papiers, l’égalité des chances à l’école et, bien sûr, tout ceux qui avaient un lien avec ses thèmes de prédilection : la liberté d’expression et la laïcité. Et puis la situation se tend au point d’être placé sous protection policière ? Un jour, je lui dis que peut être il faudrait éviter certains sujets, il a rigolé : oui, tu as raison, je vais me mettre à dessiner des nounours, là c’est sûr, pas d’emmerdes ! Il avait découvert sur le net les vidéos de Daech et il d’interrogeait sur la place qu’il fallait prendre aux côtés des combattant.es kurdes qui étaient en train de se battre pour sauver le monde. Malgré tout, le rire reste très présent entre vous ? Oui, on rigolait tout le temps sans tabou. Je réagissais comme lui et continue à le faire. Certains ne comprennent pas et me trouvent « indigne ». Mais, en réalité, ces personnes ne connaissent pas le second degré salvateur qui permet la hauteur. Cette manière d’agir a soudé l’équipe du journal quand il l’a dirigée avec Riss alors que les caisses étaient bien vides. Avec Luz, il déconnait tout le temps, ils ont partagé un nombre incalculable de fou-rires. Les deux s’étaient bien trouvés ! Qu’est-ce qui l’atteignait ? Il était rigoureux dans son travail et écoutait ceux qui veulent défendre des causes. Il combattait toutes les discriminations d’où qu’elles viennent et militait pour la même dignité de soi pour tout le monde. Alors, quand, par un incroyable renversement de situation, il a été accusé d’être raciste, ça l’a blessé. Avec ses valeurs humanistes profondément ancrées, il ne pouvait pas accepter cette propagande ignoble contre lui, contre Charlie. L’appel de ton livre ? Mon Chachane, Samuel Paty enseignant décapité, récemment une policière égorgée. Tant de vies arrachées et des blessés physiquement et mentalement qui ne dessinaient pas Mahomet ! Cette ampleur terroriste a fait prendre conscience du temps perdu à ne rien faire. Je pose la question du laxisme à ceux qui sont en responsabilité pour qu’ils agissent vraiment.
En conclusion de notre entretien ? La même que toi Marika : Stéphane nous manquera toujours.
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