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Enquête OPTICIENS : ARNAQUES EN VUE Photoreportage LA MUSCU COMME ART DE RUE DANS L'ACTU DU 13e
MUNICIPALES : QUEL LEADER POUR L'UMP 13 ? PARIS PEINE À RETROUVER SES ŒUVRES D’ART MANGEURS DE CHEVAL * C215, ROI DU STREET ART BON PLAN RESTO * SÉLECTION SORTIES
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F : 3.90 € R 28895 - 0033 -
N°33
SOMMAIRE
Octobre 2013 — www.le13dumois.fr
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n°33 p.03
Édito
p.06
Courrier des lecteurs
p.08
Le 13 en bref
p.48
Sélection sorties
p.57
Billet - L'inconnu-e du 13
p.58
L'image du mois
18
POLITIQUE p.10
Municipales : La droite du 13e se cherche encore un leader SOCIÉTÉ
p.16
Enquête : Optique, grand flou et gros profits — Les accros à la viande de cheval
p.18
DOSSIER
p.12
IMMOBILIER
HABITER LE 13e À TOUT PRIX
Illustration de couverture : Jean-Baptiste Thiriet (les chiffres indiqués sont purements fictifs)
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- Les prix et tendances quartier par quartier - Le marché très fermé des maisons de ville - Le spleen des agents immobiliers - Les ficelles illégales pour rester à Paris
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13e ŒIL p.30
p.36
Photoreportage : Le Street Workout, la muscu des rues — Reportage : éducateur canin, un métier de niche
MÉTRO MON AMOUR, MA HAINE p.53
LOISIRS
p.56
Un resto, un chef, une recette : Hélène Omidi du Norouz — Critique resto : Le MOB
P.45
S'ABONNER
P.07
COMMANDER LES ANCIENS NUMÉROS
p.54
PORTRAIT p.42
Le street artist C215
Petite histoire des entrées du métro
PAR-DESSUS LE PÉRIPH' p.46
À Ivry : Paris gére mal son fonds d'œuvres d'art CULTURE
p.52
Oubliés, le premier roman de Rebecca Vaissermann
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SOCIÉTÉ
— Enquête
OPTIQUE :
Grand flou et gros profits Le récent rapport de la Cour des comptes est sans appel et les (très) nombreuses vitrines de l’avenue d’Italie le confirment : les lunettes françaises sont les plus chères d’Europe. Près de deux millions de Français sont obligés de s’en priver, alors même que les vendeurs sont deux fois plus nombreux qu’en 2000. Pas de concurrence notable sur les prix : de l’aveu même des opticiens et des mutuelles, le secteur est plongé dans une grande opacité. Texte : Philippe Schaller Photographies : Mathieu Génon
« J
e ne connais pas d’opticien à 100 % honnête », lâche Aymeric Petitdidier, gérant de Tres’Optic. Ce petit indépendant de l’avenue d’Italie, énervé par les pratiques de certains de ses confrères, veut passer un coup de gueule. « Cette semaine, j’ai vendu une paire de lunettes à 50 euros à quelqu’un qui avait peu de moyens. La monture m’a coûté une
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dizaine d’euros et les deux verres 9 euros chacun. Chez un confrère, on lui proposait le même verre à 150 euros pièce ! » Ce trentenaire, qui se définit comme un artisan, dénonce un marché des montures dominé par deux fabricants italiens, des magouilles récurrentes et un système hors de contrôle. Voilà le décor bien planté ! La profession est régulièrement sous le feu des critiques pour ses prix élevés – les plus importants d’Europe – et son manque de transparence. Le dernier rapport de la Cour des comptes parle d’un marché « peu concurrentiel, opaque et cher ». Bien y voir coûte cher au porte-monnaie des Français : 75 euros par an, soit une fois et demi plus que nos voisins. D’après l’UFC Que choisir, qui s’est fendu d’une étude en avril, le coût moyen d’une paire, unifocaux et progressifs confondus, atteint 470 euros TTC. Aymeric Petitdidier se veut transparent : « Quand je mets des verres à 23 euros, je les revends 60 euros. Je dois multiplier pas trois pour m’en sortir, car je ne bénéficie pas des larges ristournes des grandes enseignes. » Les magasins d’optique revendent en moyenne 393 euros hors taxes un équipement qui leur a coûté 118 euros. Un taux de marge moyen de 233 % ! Selon la Cour des comptes, les magasins seraient rentables en ne vendant que trois paires par jour. Avenue d’Italie, nouvelle Mecque des opticiens La plupart des professionnels s’insurgent. « Nos tarifs sont normaux, compte tenu des charges, des loyers et
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« Quand j’ai appris que trois (deux en réalité, ndlr) millions de Français renonçaient à acheter des lunettes faute de moyens, je me suis dit qu’on marchait sur la tête. » Voilà comment Marc Adamowicz explique l’ouverture, il y quatre ans, de son site d’optique en ligne Happy View, aujourd’hui leader. Face à l’absence de concurrence en boutique, des petits nouveaux ont fait leur apparition sur Internet. Comme Happy View, installé dans le 13e, dont l’entrée de gamme est à 39 euros, lunettes et verres. Cet ancien de Krys, converti au Net, dénonce le racket des opticiens traditionnels. « Nos prix sont quatre fois inférieurs. Ils ne sont pas “pas chers”, ils sont normaux », explique-t-il, un brin provocateur. Ce trublion de l’optique ne vend pas trois paires de lunettes par jour, mais cent ! Son secret : la commande - et la vente - de gros volumes, l’absence aussi de points de vente. Ici, tout se passe en ligne. Évidemment, pour les essais, c’est moins pratique qu’en boutique. On peut tester des lunettes virtuellement, grâce à sa webcam, ou recevoir
de la TVA élevés. Ces études ne prennent pas en compte les services que l’on rend gratuitement, le temps que l’on consacre aux clients... », se défend Fabien Demaison, opticien chez Copilote. La « machine à finir » - qui sert à polir les verres et les adapter à la monture coûte, elle, autour de 30 000 euros. La marge finale serait donc de l’ordre de seulement 5 %, assurent les leaders du secteur. L’argumentaire est bien rôdé, mais deux millions de Français sont obligés de renoncer aux frais d’optique, faute d’argent. Dans le 13e, l’avenue d’Italie est la Mecque des opticiens. L’artère en compte près d’une vingtaine, quelquefois les uns à côté des autres. Au moins trois boutiques y ont ouvert au cours des deux dernières années, une explosion symptomatique de la situation nationale. Même ceux qui voient mal ont pu le constater. Depuis l’an 2000, le nombre de magasins a bondi de moitié, les opticiens sont passés de 10 000 à près de 24 000 aujourd’hui. « Autant qu’aux États-Unis, alors que la population y est cinq fois plus importante ! », selon Jean-Martin Cohen Solal, délégué général de la Mutualité française. Il semble qu’il y ait de la place pour tous. Fabien Demaison, dont la boutique s’est installée en novembre dernier, l’admet : « L’activité tourne bien, on n’a pas à se plaindre. » Le marché est juteux : deux Français sur trois ont des problèmes de vue. En une décennie, deux fois plus de professionnels, donc. Mais paradoxalement, pas de doublement des besoins. « On se partage le même gâteau en plus petites parts », explique Aymeric Petitdidier. Lui assure ne pas se payer plus de 800 euros par mois en indépendant, quand il faisait 2 500 euros comme salarié. Mais surtout, malgré la hausse du nombre d’opticiens, pas de
des exemplaires par la poste. Le client envoie ensuite l’ordonnance de son ophtalmologiste indiquant la correction à effectuer. De quoi faire hurler les opticiens traditionnels, pour qui la vente de lunettes est un acte de santé sérieux. « Comment font-il l’ajustement, les prises de mesures à travers l’ordinateur ? La blague ! », enrage David Demaison, de Copilote. Revers de la médaille, des services supplémentaires, comme le traitement antireflets, sont facturés au prix fort. Ils sont aussi nombreux à mettre en cause la qualité des produits. Ce sont pourtant souvent les mêmes montures ! Le verrier d’Happy View ? « Le fabriquant ne souhaite pas se faire connaître », selon Marc Adamowicz. On lira, entre les lignes, qu’il s’agit d’Essilor, numéro un français et mondial, ou de l’une de ses filiales. Une société qui a pourtant publiquement affirmé refuser de travailler avec les « e-lunettiers ». La vente low cost en ligne ne représente que 1 % du marché des lunettes à l’heure actuelle. Fort d’une vingtaine d’employés et d’un chiffre d’affaires avoisinant les deux millions d’euros, Happy View voit grand. Il a vocation à capter ces millions de Français sans lunettes faute d’argent.
Les magasins d’optique revendent en moyenne 393 euros hors taxes un équipement qui leur a coûté 118 euros. Un taux de marge moyen de 233 % ! concurrence notable sur les prix, à part sur Internet (lire l’encadré). David Demaison, de Copilote, assure qu’elle existe. « Des clients viennent quelquefois avec trois ou quatre devis et me demandent d’être moins cher, sans quoi ils partent », rapporte-t-il. Difficile pourtant de le constater en vitrine, où l’on trouve peu de montures en dessous de la centaine d’euros. Une concurrence qui fait monter les prix ! Le b.a.-ba de la théorie économique – plus d’acteurs, donc plus de concurrence, donc baisse des prix - ne marche pas ici. « La concurrence a même été inflationniste !, ironise Frédéric Pierru, chercheur en sciences sociales au CNRS. La santé ne fonctionne pas comme un marché, car elle ne répond pas à ses règles. L’État s’est progressivement désengagé et les clients ont peu d’informations. Les complémentaires fixent les prix, elles profitent d’une rente de situation. » Le consommateur l’a bien compris. À la recherche de la mutuelle qui remboursera au mieux ses frais d’optique, avide d’en profiter à fond chaque !
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SOCIÉTÉ
HAPPY VIEW, LE TRUBLION LOW COST DE L’OPTIQUE EN LIGNE
DOSSIER
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DOSSIER
D
epuis la rentrée, on l’entend, on le lit : c’est le moment d’investir dans l’immobilier. Des taux d’intérêt plus bas et 1 % et quelque de déclin sur le prix du mètre carré à Paris par rapport à 2012 suffiraient à laisser entrevoir des opportunités. L’autre actualité immobilière est la loi Duflot 2 sur le logement, qui sera vraisemblablement adoptée par le Sénat ce mois d’octobre et appliquée au premier jour de 2014. Sur le papier, des mesures engageantes et rassurantes, dont la plus forte, l’encadrement du prix des loyers, est destinée à ce que chacun se sente moins exclu du système locatif privé. Face au problème de fond qu’est la pénurie de logements, à louer ou à vendre, les acteurs du 13e vous le diront : pour y vivre, il faut bien gagner sa vie ou s’accrocher. Quitte à contourner certaines règles.
Texte : Jérémie Potée et Virginie Tauzin Photographies : Mathieu Génon
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Portrait-robot de l’immo e dans le 13 Chiffres, particularités et tendances : c’est à y regarder de plus près que l’on y voit plus clair. Passage de l’arrondissement à la loupe.
« J
’ai deux appartements vides rue du Moulin de la Pointe et je n’arrive pas à les louer, c’est ça la réalité ! » Richard Mellul, responsable de deux agences Century 21 dans le 13e, l’assure : 10 à 20 % des biens mettent plusieurs semaines à se louer. Selon lui, les locataires auraient donc le choix. Quid, alors, d’un marché de l’immobilier parisien saturé, tendu ? « Les gens se battent pour les logements au pied d’un métro, avec un ascenseur... Mais dès que c’est un peu moins bien situé ou
LES VENTES, QUARTIER PAR QUARTIER
En 2012
Ma iso nB lan che Tot al 1 3e
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En nombre de mutations dans le 13e pour des appartements libres ou occupés, hors maisons individuelles, chambres de service, garages et immeubles entiers.
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1er trimestre 2013
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253
Source : Base BIEN, Notaires Paris Ile-de-France.
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moins sexy, ça met beaucoup plus de temps à trouver preneur », renchérit-il. Le trois pièces inhabité du bas de la rue du Moulin de la Pointe entre apparemment dans cette catégorie. Son prix : 1 700 euros par mois. La difficulté à se loger décemment et à un prix raisonnable à Paris est une autre réalité. Si le coût de l’ancien a diminué de 1,1 % entre septembre 2012 et septembre 2013, l’impact sur les prix à la location est infinitésimal, voire nul. « La demande est considérable en location et l’offre trop faible, note Philippe Goujon, directeur de l’enseigne Immo Express. Mais, même si elle est moins forte qu’avant, il y a aussi une forte demande à l’achat : tout le monde a envie d’être propriétaire à Paris et il y a toujours une partie qui y accède. » En 2012, sur les 21 646 transactions effectuées à Paris, un millier ont été enregistrées dans le 13e (voir tableau ci-contre), où le prix au mètre carré moyen est de 7 750 euros, soit 1,3 % de moins qu’il y a un an, mais 29,2 % de plus qu’il y a cinq ans (1). Des disparités de standing et de prix « Dans notre arrondissement plus qu’ailleurs, ce prix du mètre carré ne veut pas dire grand chose », souligne le notaire Benoît Herbreteau. La fourchette, en effet, est large : situé entre 6 000 et 7 000 euros dans le Triangle de Choisy, aux Olympiades ou le long des Maréchaux, le prix grimpe jusqu’à 10 000 ou 12 000 euros au plus près du 5e arrondissement. Il précise : « Il y a ici une diversité extraordinaire de constructions : de l’haussmannien aux Gobelins, les premières tours béton à Croulebarbe, les premières dalles aux Olympiades, les petites maisons à la Butte-aux-Cailles et dans le quartier des Peupliers... » Des disparités de standing et de prix que l’on retrouve à l’intérieur d’un même quartier et, parfois, de part et d’autre d’une même rue. Pierre Antoine Menez, vice-président de la Fnaim (Fédération nationale de l’immobilier) Paris Île-de-France, cite l’exemple de la rue de Patay, dont le prix du mètre carré perd
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environ 3 000 euros entre la place Jeanne d’Arc et le boulevard Masséna. Autre particularité : amputé par d’immenses périmètres non habitables, tels que l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, la gare d’Austerlitz, la BNF, les universités et autres immeubles de bureaux d’une part, et par un domaine immobilier dédié à hauteur d’un tiers au logement social (33,2 %) d’autre part, le parc privé de l’arrondissement s’en trouve largement réduit. Les professionnels du secteur invitent à regarder du côté de Maison Blanche, l’un des quartiers les plus accessibles, qui offre le plus grand nombre de logements privés et a enregistré les années précédentes le plus de mutations.
La fourchette est large : situés entre 6 000 et 7 000 euros le m2 le long des Maréchaux, les prix grimpent jusqu’à 12 000 euros au plus près du e 5 arrondissement
La tendance ? Au bourdon Ces acheteurs, qui sont-ils ? « La majorité des gens qui investissent dans le 13e le font pour y vivre, pas pour spéculer », analyse le notaire Benoît Herbreteau. Pour Philippe Goujon, d’Immo Express, le marché de l’immobilier du 13e est avant tout boosté par les petites surfaces type studios ou studettes qui, « fixées autour de !
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— Concurrence et chute du marché
Le spleen de l’agent immobilier Un millier de biens vendus en 2012 dans le 13e et encore moins en 2013. Voilà ce que doit se partager la centaine d’agences immobilières établie dans l’arrondissement, quand ce ne sont pas les particuliers qui prennent la besogne en charge... Le point sur une profession rongée par la concurrence et qui traîne une bien mauvaise réputation.
A
gent immobilier indépendant installé rue Brillat-Savarin, Jean-Luc Fossé est frappé de plein fouet par l’inertie immobilière de ces derniers mois. « C’est simple : j’ai passé la pire année de ma vie d’agent. À peine la vente d’un studio et, pour la location, je m’attendais à des renouvellements, mais rien du tout. » Pour lui, cette mauvaise année se traduit par 3 000 euros de pertes. Philippe Goujon, directeur d’Immo Express, chiffre même le déficit à 100 000 euros avec, sur l’une de ses deux agences (Place d’Italie et Chevaleret), un poste en voie de licenciement. « Depuis la rentrée, avec les impôts, le téléphone ne sonne plus du tout », déplore-t-il. En 2012, il assure avoir vendu deux produits par mois et par agence, tandis que les ventes ont chuté de 30 à 35 % en 2013. « D’autre part, les transactions se discutent plus longtemps », ajoute-t-il. Le constat est le même chez Century 21, où le délai moyen d’une vente est passé de 45 à 72 jours. Secteur ultra-concurrentiel, l’immobilier compte 10 000 agences professionnelles en Île-de-France, près de 2 000 à Paris et une centaine dans le 13e, selon la Fédération des agences immobilières (Fnaim). « Il n’y a pas assez de biens pour tous, lance Jean-Luc Fossé. Les agences, c’est comme des champignons, il en pousse partout dans Paris. » Benoît Herbreteau, notaire dans le 13e, grimace : « Je ne vois pas comment ça peut tenir. » Certains bureaux contactés confieront d’ailleurs envisager de fermer boutique. Le réseau, gagne-pain de l’agent indépendant Installé chez lui et travaillant seul, l’indépendant de la rue BrillatSavarin est financièrement parmi les moins bien lotis : « Je fais des bonnes affaires au coup par coup, sans salaire fixe. Il y a parfois une belle vente, puis plus rien pendant six mois. Pour moi c’est extrêmement stressant », raconte-t-il. Contrairement aux grandes agences, il ne bénéficie pas d’une vitrine. « Au moins je minimise les frais. Et puis, sur Internet, on n’en a pas besoin. » Ni de la réputation des enseignes franchisées : « Pour dégoter des biens, je fonctionne principalement par bouche-à-oreilles. La vingtaine de propriétaires avec lesquels je travaille me font confiance. Quand ils ont des amis qui louent des appartements, c’est moi qu’ils appellent. C’est tout un réseau. Sans cela, je mettrais la clé sous la porte. » D’ailleurs, afin de pallier les mois creux, Jean-Luc Fossé s’est positionné depuis quelque temps sur un autre créneau : la recherche d’appartements
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pour une clientèle aisée et travaillant trop pour avoir le temps de se plonger dans les petites annonces. Depuis qu’Internet a révolutionné les modes de recherche du bien immobilier, la profession s’est vue piquée par une autre concurrence venue des particuliers, nombreux à déposer leur annonce sur leboncoin.fr, dont la rubrique immobilier est la plus fournie et la plus consultée de tous les sites dédiés. Plus alléchante, car sans honoraires, et surtout plus directe, l’offre des particuliers séduit. « Le Bon coin porte plus atteinte à PAP [De Particulier à Particulier, version papier et numérique,
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Chroniques de la gruge ordinaire Pour qui possède un ordinateur mais dispose de peu de moyens pour garder ou dégoter un appartement, il est possible, à ses risques et périls, de se débrouiller. Revue de détail de ces combines dans l’air du temps.
Sous-locations illégales CONTRE LES FINS DE MOIS DIFFICILES, 01
UN BON BOL D’AIRBNB En plein essor, la plateforme Internet AirBnB a révolutionné la pratique du logement chez l’habitant. Une aubaine pour les touristes et les propriétaires, comme pour certains locataires, prêts à contourner leur bailleur et le fisc pour améliorer l’ordinaire. Et ainsi garder, coûte que coûte, leur appartement parisien. Rencontre avec trois d’entre eux.
S
imple comme un clic : pour moins de 50 euros, il est possible de passer la nuit à Paris dans un studio rien que pour soi. Le site airbnb.fr est si bien huilé que les annonces se ramassent à la pelle. Le système, infaillible, fait transiter l’argent de compte à compte ; les identités y sont protégées et les dialogues bridés au point qu’il est impossible d’échanger aucune coordonnée – façon pour AirBnB d’éviter que sa com’ lui passe sous le nez, si jamais ses clients trouvaient à s’arranger dans le monde réel. Malgré ces restrictions, on est allé à la pêche aux loueurs qui, eux-mêmes locataires, s’abstiennent d’avertir leur proprio. Avec succès : d’après notre modeste investigation, le phénomène n’a rien de marginal. Élodie, Guillaume et François (1) ont bien voulu nous parler de leurs petits arrangements avec la loi. Rendez-vous est donc pris chez l’habitant. La crise est passée par là Outre leur pratique d’AirBnB, nos trois volontaires ont pour point commun d’être au chômage. Guillaume, la cinquantaine fringante, a été licencié pour motif économique voilà trois ans. Signe des temps, la fédération syndicale qui l’employait s’est séparée de lui
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quand elle s’est retrouvée à court de cotisations. Désormais en fin de droits, la location ponctuelle de son studio propret du boulevard Blanqui lui permet d’ajouter « peut-être 300 euros, maximum » à sa petite allocation de solidarité spécifique (ASS) de 500 euros. « Je fais ça gentiment, uniquement le week-end, et je ne passe pas mon temps à relancer les gens », dit-il. Avec ça, il peut se permettre de payer son loyer et rester à Paris, dans ce studio-bureau où il passe ses journées à défricher les offres d’emploi. Quand il y a emménagé, c’était alors pour se rapprocher de son lieu de travail ; le week-end, il revenait dans sa résidence principale, en Bretagne. C’était avant le chômage. Depuis, Paris est devenu son unique pied-à-terre. Et, le temps aidant, dit-il, « je me suis attaché au quartier, à la Butte-auxCailles. Je me sens chez moi et je ne conçois pas de partir. » Quand débarquent ses sous-locataires, Guillaume fait le vide chez lui et… change d’étage, où se trouve l’appartement de sa compagne. Une solution bien pratique, qui entraîne toutefois beaucoup d’allées et venues. « Il y a une zone de risque, admet-il. Je ne suis pas à l’abri qu’un connard veuille me nuire. » Lui n’a pas le sentiment de frauder, renvoyant la balle à certains utilisateurs nettement plus actifs.
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13e ŒIL
— Photoreportage
ATHLÈT
DES RU On l’appelle Street Workout - pour musculation de rue -, un mouvement venu des USA qui mêle la technique des arts martiaux à la discipline militaire. Une canalisation de l’agressivité par le sport, dont la ville est devenue le terrain de jeu favori de ses pratiquants. Panneaux signalétiques, poteaux de stationnement, grillages : tout y passe et devient prétexte à cette muscu des rues.
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UES Texte : Pierre-Yves Bulteau Photographies : Mathieu Génon
13e ŒIL
TES
P
as un jour sans nouvelle de la classe dangereuse. Cette jeunesse que l’on regarde avec méfiance, bien blotti du bon côté du périph’. Des racailles, des dealers, des gangs d’islamistes qui prépareraient leur nouveau jihad. La réalité est plus prosaïque. Alors que le centre de Paris se gentrifie, au bout des lignes de RER, on assiste à une autre forme d’assignation sociale. Les plus pauvres avec les plus pauvres et advienne que pourra. Épisodiquement, en région parisienne, les banlieues prennent feu. Les journalistes embauchent des fixeurs comme s’ils se rendaient en territoire de guerre. « La France a peur », plagient les nouveaux présentateurs du 20 heures. Après 2005 et les « émeutes » de Villiers-le-Bel, il y a eu 2007 et de violents affrontements opposants des bandes de Grigny-Centre à celles de La Grande-Borne. Deux quartiers d’un même territoire de l’Essonne où les grands frères ont été emprunter aux États-Unis un nouvel art de la rue. Pour calmer les tensions des plus jeunes, pour occuper les corps et les esprits. Canaliser cette violence sociale sourde et la transformer en une recherche de la performance sportive, qu’elle soit musculaire ou d’endurance. La rue est donc devenue un nouveau territoire. Pas uniquement celui quadrillé par le business de la came. On s’y entraîne aussi à la dure. Pas pour se préparer à la guerre, mais pour faire du sport ensemble. Loin des contraintes horaires et d’argent des salles de fitness. « La rue, c’est tout le temps, quand on veut et gratuit. » La rue, les rues de La Courneuve ou du 13e sont aussi un moyen de sortir de l’ordinaire, de montrer aux passants que la frime n’est pas le seul apanage des nouveaux riches version « bling bling ». Les prolétaires, les banlieusards aussi aiment se faire beaux, porter la sape et la coiffe. Avec le Street Workout, le costume se mesure au tour des biceps, à la taille acérée des abdominaux. Parce que, quand on n’a pas de pognon, on se transforme soi-même en Ferrari ou en Lamborghini. On sculpte son corps. On s’exploite pour l’exploit.! 31
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13e ŒIL
— Reportage
Éducateur canin, un métier de niche À Paris, on dénombre 200 000 chiens, vivant essentiellement en appartement. Un constat à l’origine d’un nouveau métier, celui d’éducateur canin, pour qui l’adaptation de l’animal en milieu urbain ne va pas sans l’éducation de son maître. D’appartements du quartier jusqu’au bois de Vincennes, nous avons suivi l’un d’entre eux.
A
urélie Ingrato le dit sans ambages : « On me confie parfois des chiens déprimés en espérant que je vais les soigner. Mais, quand le chien ne va pas bien, c’est souvent que son environnement ne lui convient pas tout à fait. » Ancienne infographiste aujourd’hui reconvertie en éducatrice canine, la trentenaire a toujours vécu au contact des chiens. « Pour moi, c’est un compagnon de vie avec qui on se balade, on partage des émotions. Mais, là aussi, il faut être clair, un chien n’est ni un enfant ni un mari. » Un chien débarque à la maison quand un enfant le demande, quand une personne se sent seule. Une présence qui impose une discipline de vie, pour l’animal comme pour son maître, « surtout à Paris où, contrairement aux autres capitales européennes, rien n’est réellement fait pour faciliter l’intégration des chiens dans la ville ». À l’entrée des nombreux squares de la capitale, toujours ce même écriteau interdisant leur présence ou leur imposant d’être tenus en laisse. Ne restent plus guère que des endroits comme les bois de Boulogne ou de Vincennes, où « les gardes champêtres tolèrent leur présence à condition qu’ils soient accompagnés », explique la gérante de la société Une vie au poil. !
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Texte : Pierre-Yves Bulteau Photographies : Mathieu Génon
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PORTRAIT
— Christian Guémy, alias C215
6 DATES 18 octobre 1973 : Naissance à Orléans. 2003 : Naissance de sa fille, Nina. 2007 : Première intervention (non autorisée) dans le 13e. 2008 : Première exposition individuelle, « Nina te amo », à Sao Paulo. 2009 : Installation dans son atelier de Vitry-sur-Seine. Avril 2013 : Réalisation du chat bleu, boulevard Vincent-Auriol.
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PORTRAIT
La rue lui est acquise
Texte : Rozenn Le Carboulec Photographies : Mathieu Génon
C215, de son vrai nom Christian Guémy, fait partie de la centaine de talents qui exposent en ce moment à la Tour Paris 13. En quelques années, il est devenu l’un des principaux représentants du street art en France, notamment dans le 13e, où ses pochoirs ornent le mobilier urbain par dizaines. Un rôle de précurseur qu’il dit avoir de la peine à assumer. Rencontre à Vitry-sur-Seine, dans son atelier.
C
hristian Guémy est arrivé à Vitry-sur-Seine « par accident », il y a un peu moins de quatre ans. Il voulait se rapprocher de sa fille, Nina, venue habiter à Ivry avec sa mère, dont il venait de se séparer. Depuis lors, il laisse dans chaque quartier des traces de la présence de Nina. Des portraits colorés et saisissants d’humanité, que l’on retrouve dans son atelier. Aux murs, en vrac : des pochoirs, des images de vierges, un autoportrait et des photos de sa fille. S’il a choisi le pochoir, c’est parce qu’il s’était mis en tête de réaliser des portraits de sa fille autour de chez elle, avec un « degré technique qui permette qu’elle se reconnaisse ». Depuis lors, ce medium ne l’a plus quitté, tout comme les portraits : « Je voulais parler d’identité, mais ce sont mes angoisses, mes souffrances qui m’ont conduit à ça, ça ne se choisit pas », confie-t-il. À l’époque, il n’imaginait pas qu’il ferait de ces portraits un métier. Sa popularité l’a pourtant rattrapé. L’un des pères du street art Christian Guémy a commencé à peindre vers 11 ans. « C’est un oncle qui m’a ouvert les yeux, mais je n’ai jamais pris ça au sérieux », raconte-t-il brièvement. Après avoir amassé les connaissances à la fac – études de langues, d’économie, master en histoire de l’art à la Sorbonne, un autre en histoire de l’architecture –, une carrière d’universitaire s’ouvre à lui. Mais, au dernier moment, il renonce. Les boulots s’enchaînent : il devient historien de l’art pour les Compagnons du devoir, chargé d’études pour le syndicat du meuble, ou encore responsable export dans le textile... En 2006, il publie deux livres de poésie, mais ne continuera pas dans cette voie : « Ça s’est bien
vendu, mais je ne voulais pas en écrire un troisième, je n’étais plus inspiré. » Sa motivation, dit-il, n’a jamais été l’argent. Il voulait être libre, simplement. « Populariser l’expression de rue », s’adresser au plus grand nombre, enrichir la ville avec un langage universel. Donner à voir « un message consensuel ». Bref, il voulait « faire du beau ». Et ça a marché. Peut-être un peu trop. Aujourd’hui, la patte de C215 se retrouve aux quatre coins du monde et du 13e. La rue, même sans autorisation, lui est acquise. Après sa récente arrestation à Barcelone, il a été relaxé. « Vous peignez sur du mobilier urbain qui a moins de valeur que vos peintures », lui a-t-on concédé. De ville en ville, C215 est devenu l’un des pères du street art. « Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de galeries, pas d’argent. Maintenant, j’ai trop de boulot », reconnaît Christian. À 40 ans, il admet aujourd’hui, un brin dépassé, que « si l’institutionnalisation et la popularisation du street art existent, j’en suis hélas responsable. J’ai participé à créer le système. » Lancé sur le sujet, cet admirateur du Caravage et d’Ernest Pignon-Ernest semble pouvoir parler des heures durant sans s’arrêter, évoquant son inquiétude face à un art qui tend à se transformer en simple « business », en « divertissement », tout en se gardant de cracher dans la soupe : « Il y a des moyens, on nous confie des murs, c’est devenu un métier. On a été comblés et les nouveaux ont les portes ouvertes, c’est magnifique pour eux. » « L’adrénaline » des grandes fresques C215 déborde de projets, notamment dans le 13e, où il est très présent. « Il a fait une exposition absolument !
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Où sont passées les œuvres d’art de la Ville de Paris ? Dans un rapport rendu public en octobre, la Chambre régionale des comptes fait état d’une mauvaise gestion des œuvres d’art de la Ville de Paris. Celle-ci ne connaîtrait ni la localisation, ni l’état, ni le nombre exact des pièces de sa collection, notamment réunies au sein du Fonds municipal d’art contemporain, situé à Ivry. Un constat qui ne date pas d’aujourd’hui. Texte : Rozenn Le Carboulec
« L
a gestion des collections municipales est défaillante. La Ville risque de devoir en rendre compte à la Chambre régionale des comptes [...] », écrivait en novembre 2005 l’Inspection générale de la Ville de Paris (IGVP), dans un rapport d’enquête relatif à la gestion du Fmac, le Fonds municipal d’art contemporain de la capitale. Près de huit ans plus tard, cet avertissement vient de se confirmer. La Chambre régionale des comptes (CRC) publie, à son tour, un rapport rendant mot pour mot les mêmes conclusions : la gestion des œuvres d’art de la Ville de Paris est « défaillante ». Le Fmac, rattaché à la Direction des affaires culturelles (Dac), rassemble quelques 22 700 œuvres acquises depuis 1816, dont 9 000 sont conservées à Ivry-surSeine. Ses missions : soutenir et promouvoir la création contemporaine, tout en assurant la gestion et la diffusion de la collection, notamment à travers un important travail d’inventaire, de documentation et de récolement. Seulement, problème : cette
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© Christophe Noël, Ville de Paris.
PAR-DESSUS LE PÉRIPH'
— Ivry-sur-Seine
dernière opération, qui consiste à vérifier le nombre exact, l’état et la localisation de toutes les œuvres, n’a jamais été effectuée. « Aucun récolement global n’a été fait. En conséquence, un certain nombres d’œuvres ne peuvent plus être localisées », observe la Chambre régionale des comptes. 50 ans que ça dure Si des récolements partiels ont effectivement été effectués, ces derniers « ont permis de constater que des meubles présents à l’Hôtel de Ville et dans les différentes mairies d’arrondissement ne figurent dans aucun inventaire vivant de la Ville ». D’où l’inquiétude de la juridiction administrative : « On peut raisonnablement craindre de ne pas retrouver un nombre non négligeable de ces œuvres. » Barbara Wolffer, chef du département de l’art dans la ville de la Dac, se défend : « On a fait un récolement partiel dans un équipement municipal récemment. Le premier résultat faisait état de dix œuvres manquantes. Au final, il n’y en avait plus que deux, mais cela ne veut pas dire qu’elles ont disparu, on continue
à chercher. » Pour elle, comme pour Anne Sudre, responsable du Fmac, qualifier cette gestion de « défaillante » est « un peu fort », car « c’est un fonds complexe, héritier d’une histoire. » Sur ce point, la Chambre régionale l’admet : « La municipalité actuelle a hérité d’une situation ancienne. Avant eux, il y a eu des maires et des préfets, c’est une responsabilité qui s’étend sur 50 ans et dont on ne s’est pas occupé depuis 1964. » C’est en 1816 que la Ville de Paris a donc commencé à acheter des œuvres d’art pour encourager la création, tout en décorant l’Hôtel de Ville et les mairies d’arrondissement. À l’époque, c’est le préfet de la Seine, également préfet de Paris, qui a acquis ces œuvres. En 1987, une partie des collections municipales est regroupée au sein du Fmac. Mais entre-temps, en 1964, la Seine et la Seine-et-Oise disparaissent pour être divisées en quatre départements : Paris, Les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. C’est là que les choses se compliquent : « Le préfet a-t-il constitué cette collection en tant que préfet de Seine ou de Paris ? » s’interroge la CRC. Une fois que les
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Par Pierre-Yves Bulteau
CULTURE
— Premier roman
Oubliés de Rebecca Vaissermann Ce qui n’était encore qu’un manuscrit au début du mois d’août est devenu un roman. Lauréate du prix « jeune auteur » du salon l’Île aux livres de l’Île-de-Ré, Rebecca Vaissermann a saisi l’opportunité de voir Oubliés publié à un millier d’exemplaires. Un premier pas dans le monde littéraire prometteur et « marrainé » par la grande Madeleine Chapsal.
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vec Oubliés, la très jeune Rebecca Vaissermann ouvre un vaste et passionnant chantier. Celui de l’Histoire, de la mémoire et de l’oubli. Trois notions qui prennent corps sur ces passés qui ne veulent pas passer. Comme toute bonne histoire, la trame est simple et efficace. Dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale, deux hommes s’aiment. En secret. Dénoncés, Louis et Jacques sont arrêtés et finissent internés en camps, séparés. C’est avec ce basculement de la petite histoire dans la grande que l’auteure nous plonge dans la quête de Louis, prêt à tout pour retrouver « [son] Jacques », aussi bien dans l’horreur de ces camps de travail finement reproduite par Rebecca Vaissermann qu’au cœur d’un Paris d’après-guerre où tout se reconstruit, où tout, surtout, semble possible.
Oubliés de Rebecca Vaissermann, Éditions Parole ouverte, 158 pages, 16 euros.
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Un roman né du débat sur le Mariage pour tous « J’avais l’impression qu’on n’avait pas fait pire comme période de l’Histoire, raconte celle qui vit dans le 13e. Or, je voulais partir d’un ancrage très fort pour raconter cela et ne pas simplement transposer un couple d’homosexuels dans ces années-là. » Sur cet aspect, Oubliés est une réussite. Rebecca Vaissermann possède ce style à la fois riche et profond des chroniqueurs d’un temps donné. Le plus étonnant, dans ce court roman de 158 pages qui se lit en un temps record, est de vivre cette passion destructrice entre deux
© M.G.
Les homosexuels pendant la guerre,
hommes par la voix d’une jeune femme d’aujourd’hui. « L’idée m’est venue du récent débat sur le Mariage pour tous. La libération des paroles a réveillé des choses abominables que l’on taisait. Pour mon premier roman, je voulais un point de vue fort, une cause qui me touchait », poursuit l’étudiante, inscrite en licence de théâtre à la Sorbonne. Intellectuellement risquée, cette analogie entre les années 1940 et 2013 fonctionne, même si ce premier coup littéraire fulgurant - Oubliés a été écrit entre mai et novembre 2012 - oublie justement un peu trop le rôle de ces « oubliés » dans l’Histoire. Ces « inoublieux », comme les appellent Henry Rousso, à qui les historiens rendent vie et justice par leurs travaux. On l’a dit, le chantier était vaste et si « ce roman est une fiction, pas un livre d’histoire », c’est bien sur cet aspect factuel et historique que la force de la jeunesse de Rebecca Vaissermann se transforme en faiblesse. Notamment par certains passages parasités par une ambiance à l’eau de rose, alors même que l’on aurait aimé que cette plume fluide s’accompagne d’un travail plus documenté sur la réalité de la déportation des homosexuels durant la Seconde Guerre mondiale (1). Pas pour entrer dans cette étrange lutte des souffrances, sordide comparaison du nombre des victimes de la folie nazie, mais bien pour toucher du doigt ce travail fondamental de vérité et de justice à rendre à ces « oubliés ». ! (1) L’auteure le note dans son livre, en France les homosexuels n’ont pas été déportés pour ce motif mais en tant que prisonniers politiques. Ainsi, ils partaient en camps avec, à la poitrine, le triangle rouge des « politiques » et non le triangle rose des « homosexuels ».
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Par Pierre-Yves Bulteau — Photographies : Mathieu Génon
UN RESTO, UN CHEF, UNE RECETTE
— Le Norouz
Saveurs, épices et lettres persanes
Comme le roman épistolaire de Montesquieu, la cuisine d’Hélène Omidi, en apparence simple et familiale, est pour elle un réel moyen de transmettre ce qui se joue dans cet Iran qu’elle a dû fuir.
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a patronne du Norouz est née deux fois. La première, c’est dans cet Iran des années 60, où ses parents la baptisent Ashraf. La seconde, c’est au cœur des années 90, où elle obtient la nationalité française et choisit pour prénom Hélène. Un bout de papier d’identité en forme de protection, avec cet infime espoir de retourner au pays. Et puis, de la dictature du Shah téléguidée par la CIA au retour du fanatisme religieux des mollahs, il a bien fallu se faire une raison. « J’ai fini par quitter l’Iran en 1984. » Alors, depuis des années maintenant, Le Norouz est sa maison. Des feux et friteuses de ce restaurant, discrètement calé au 48 de la rue du Dessous-des-Berges, crépitent des morceaux de viandes, finissent de cuire des gamelles entières de riz basmati, flottent des odeurs d’épices. Comme lors des préparatifs de
ces cérémonies qui accompagnent la vie de chacun des membres de la famille. « Vous savez, dit-elle soudain avec un accent léger, la cuisine que je sers ici est une manière de dire que nous sommes des gens civilisés, pas aussi bêtes que ce pour quoi les mollahs voudraient nous faire passer aux yeux du monde entier. » « La tête de ce mollah devait avoir l’odeur du ghormeh sabzi » En arrière-plan, Ossin cuisine, sans jamais se départir d’un radieux sourire. Pourtant, lui aussi est une victime du régime. En 2004, quand, ostensiblement, un mollah de Téhéran séduit sa femme et l’oblige à divorcer. « La tête de ce mollah devait avoir l’odeur du ghormeh sabzi », lâche Hélène. Du nom de cette sauce mijotée dont les Iraniens affublent celui ou celle qui ne leur revient pas. « Cette
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Par Emmanuel Salloum
LOISIRS
— Critique resto : Le MOB
© Francis Amiand
De la poudre aux yeux
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out pimpant, le nouveau restaurant de la Cité de la Mode. Gros effort sur la déco flashy à la gloire du pont de Brooklyn, quartier de New York où le premier « Maïmonide of Brooklyn » (MOB) est né l’an dernier à l’instigation de Cyril Aouizerate. Ce philosophe atypique reconverti en entrepreneur était déjà à l’origine, avec Philippe Starck, des hôtels branchouilles Mama Shelter. Grâce à ce succès, on a fait appel à lui pour convaincre les pontes de la nuit parisienne d’investir dans les Docks. Le quadra en vogue y croit tellement qu’il s’y est aussi implanté, à grand renfort de strass et de paillettes. Car le MOB, c’est avant tout un emballage marketing très bien ficelé, autour de la posture : « Vegetarian food for carnivores ». Le patron entend convaincre les férus de viande que l’on peut se faire plaisir autour d’un bon burger tout en participant au sauvetage de la planète. En mangeant un burger exempt de toute matière animale, on fait un « acte héroïque » (1) sans rien perdre en saveur. On va même se régaler, puisque deux chefs étoilés - Alain Senderens et Jérôme Banctel - ont
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© M.G.
Nous avons testé le nouveau fast food végétalien des Docks d’Austerlitz. Ça brille, c’est tendance, mais en bouche, ça pèche.
travaillé d’arrache-pied pendant deux ans pour concevoir les produits. Seulement, cela nous fait penser à ces parties de drague sous les spots déformants des boîtes de nuit. Une fois revenus à la lumière naturelle, on a le droit d’être déçus. Ici aussi, notamment par cet ersatz de steak, une sorte de pâtée mêlant riz et shiitakés (champignons japonais). Chefs étoilés ou pas, le MOB Burger n’a aucun goût, si ce n’est celui du cramé (cramé hein, pas fumé), à peine relevé par les oignons et l’aubergine. Le pain lui, est mou, pas assez cuit. Résultat, le burger a une consistance assez lourde. Pas mieux du côté des frites, servies en grande quantité, mais grasses et beaucoup trop salées. Même constat pour le MOB Dog, un hotdog avec une saucisse faite de chou mariné. En revanche, il nous faut saluer le MOB Iron Man, une sorte de tarte reprenant la forme des arches du pont de Brooklyn, avec des shiitakés sur un lit d’épinards et de crème à l’ail. Joli, savoureux, finement relevé. On ne saurait vous parler des desserts à la ricaine (cheesecake au lait de coco, coo-
kies…), car l’estomac nous pesait déjà bien assez après le burger. La terrasse, il faut le reconnaître, offre un cadre exceptionnel pour mieux digérer le tout. Mais, dans l’ensemble, nous ne sommes pas du tout convaincus par ce fast food veggie. L’adresse, certes toute jeune et sans doute perfectible, reste une curiosité. À vous de tester le concept, vous aurez au moins la douce sensation d’être dans le coup ! ! (1) Interview donnée par Cyril Aouizerate pour le site web femininbio.com.
MOB — Cité de la Mode et du Design 34 Quai d’Austerlitz 01.42.77.51.05 MOB Burger 4€ (petit), MOB Deluxe 8,50€, MOB Iron Man 9€, MOB DOG 8€, frites 1,50€ Ouvert tous les jours de midi à minuit.