Le syndicat des portiers De Guillaume Moraine
1 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Personnages :
1- La gamine 2-Alice 3-Sosie blanc 4- Sosie noir 5- Plombier 6- Le délégué portier 7- Mamie 8- Le clochard 9- Papa / Alice au supermarché / La gamine policière 10- Maman / Alice et le garçon / Troisième bébé 11- La gamine boulangère / Le garçon / La gamine présidente de la république 12- La cliente de la boulangerie / Premier bébé 13- La gamine gardien de nuit / Le traducteur 14- L’homme verbalisé / Deuxième bébé
La foule des journalistes Les portiers
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Peinture 1 : les sosies Les sosies entrent, l’un en jolie robe noire, l’autre en jean noir et blouson cuir. Ils se retrouvent au milieu de la scène et font un miroir. Puis ils vont se placer chacun à un côté de la scène, ils seront bien et mal, gentillesse et méchanceté. En parlant, ils ont parfois des gestes identiques. Se frotter les cheveux, s’accroupir. Sosie blanc : Mais non ! Mais non ! Mais non ! Mais alors là pas du tout, mais qu’est-ce que vous allez imaginer ? Vous êtes dingues ? Vous croyez qu’on fait exprès d’être malade ? Qu’on fait exprès de penser à autre chose, ou d’oublier son livre et ses affaires ? Sosie noir : Et après tout on s’en fiche, et ça vous regarde pas, d’abord ! C’est ma vie ! C’est mon histoire à moi ! Vous avez pas à savoir si je regarde la télé, si je fais mes devoirs ! Mêlez-vous de vos affaires ! à la fin ! Sosie blanc : parce que franchement, c’est très gênant pour moi. J’ai ma sensibilité après tout, je sais que j’ai fait une bêtise, une grosse grosse bêtise, et ça me tourne le ventre, et ça me noue la gorge, et j’en dors plus ! Je suis déjà suffisamment punie, je trouve, non ? Sosie noir : Non ! Non non non ! Rien à faire ! Et puis c’est pas si grave, y en aura d’autres des notes, des cours, des examens, des concours ! Il va falloir arrêter de me prendre la tête avec ces bêtises ! J’ai plus besoin de voir des gens et de sortir, que de bêtement apprendre par cœur les capitales de l’Europe et les clefs de sol ! Sosie blanc : oui je ferais mieux promis, la prochaine fois je travaillerais plus… même si après tout… Sosie blanc et sosie noir : je sais vraiment pas pourquoi je fais tout ça…
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Peinture 2 : La gamine Pendant le dialogue des sosies, la gamine est apparue en fond scène, elle s’avance en les écoutant et s’arrête au milieu. Tous les trois, en parlant, ils ont parfois des gestes identiques. Se frotter les cheveux, s’accroupir. La gamine : Je parle pas toujours toute seule. Ce serait une très mauvaise habitude. Il y a suffisamment de gens à qui causer pour pas être obligé d’en inventer en plus. C’est juste… Sosie blanc : que je cherche le meilleur moyen… Sosie noir : d’expliquer à mes parents pourquoi j’ai eu une sale note… La gamine : c’est pas fréquent. Mais ce coup-ci ils vont me passer un savon, parce qu’ils sont en pleine crise de la quarantaine, ils regardent ce qu’ils ont fait de leur vie, et ils ont des regrets… Sosie blanc : maman voulait faire de la peinture… mais boulot dodo berceau… Sosie noir : elle s’est un peu oubliée. Ça la rend triste et papa… La gamine : qui, lui, a fait le métier qu’il voulait… Sosie blanc : regrette ses amours d’enfance et ses bandes de copains… Sosie noir : c’est un peu vexant je trouve, c’est sa crise de la quarantaine ! Mon père veut s’acheter une moto pour compenser… Sosie blanc : alors ma mère se marre, avant d’aller à son yoga, ou à son tricot, ou à sa poterie ! La gamine : et moi quand je mange du Nutella à la cuillère… parce que j’ai pas le moral Sosie blanc : j’en entends parler pendant des heures… chacun sa boulimie bon sang ! La gamine et sosie noir : carrément ! La gamine : ah je suis contente d’être en accord avec moi-même. (Un temps) j’aime pas les maths. Je fais des efforts pour apprendre. Sosie noir : mais comme j’aime pas j’y vais à reculons. Je fais un peu semblant de comprendre pour qu’on me lâche… Sosie blanc : il suffit de hocher la tête comme ça en faisant oui-oui. Et le prof est content. Sosie noir (mystérieux) : ça se paye un jour La gamine (enflammée): un jour tout se paye. 4 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Sosie noir (mystérieux) : et c’est pour aujourd’hui. Sosie blanc (sur l’air de la musique suivante) : pom pom pompom…
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Peinture 3 : Conseil de famille Ses parents entrent d’un côté. Monstres siamois, ils s’approchent de leur fille. Tels des ogres. Maman : bonsoir ma chérie. Papa : mon ange, bonsoir. Ta journée s’est bien passée ? Tu as bien travaillé ? Maman : qu’as-tu appris aujourd’hui ? La gamine : à avoir peur. Sosie blanc : à me parler à moi-même aussi. Sosie noir : et à me plaindre, surtout. Maman : très bien, ça très bien… Papa : la peur c’est bon, ça fait avancer… Maman : un peu d’adrénaline ça fait pas de mal, un peu de pression… Papa : c’est comme la moto… Maman : arrête avec ta moto, tu m’énerves… Papa : t’as pas une poterie à finir, des fois ? Maman : Aaaah, voilà le vrai toi qui se dévoile ! Dès que je veux m’exprimer tu me fais taire ! Papa : si seulement ma chérie, si seulement ! Sosie blanc : Mais arrêtez ! J’aime pas quand vous vous cherchez des poux ! Sosie noir : au moins, faites ça dans votre chambre, je suis pas obligée d’écouter vos histoires à la fin ! La gamine : Vous pourriez pas juste faire semblant de vous entendre quand je suis là ? Papa : Quelle note t’as eu ? Maman : oui ! Quelle note ? On est fier ou on est pas fier ? Papa : tu restes notre petite fille chérie ou pas ? Maman : on est déçus déçus ? Ou bien on va au restaurant ce soir ? 6 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Papa : Mais qui a parlé de restaurant ? On a pas les moyens ! Maman : On ne fait plus rien de toute façon, c’est quand la dernière fois que tu m’as emmenée au restaurant ? Les sosies se parlent l’un à l’autre, singeant les parents qui se contentent de faire du playback sur les répliques suivantes.) Sosie noir : c’est à peine si tu me regardes ! Sosie blanc : tu ne prends plus soin de toi ! Regarde ta robe ! Tu pourrais faire un effort ! Sosie noir : je n’ai pas le temps de m’occuper de moi, à gérer la maison et les courses et la vaisselle et la cuisine et le ménage et t’écouter te plaindre et élever la petite et faire du jardinage et aller à la mine et couper des arbres et moissonner nos trente hectares de blés ! Sosie blanc : et bla et bla et bla ! Si c’est ça je vais boire une bière avec Paulo ! Et on regardera le match ! Sosie noir : tu regarderas la serveuse oui ! Espèce de pervers ! La gamine : ASSEZ ! Un deux ! J’ai eu un deux. En math. Je m’en veux mais c’est comme ça. Et flûte ! Maman : oh non ! Papa : mais quelle misère, un deux… une honte… mais c’est pas moi qui t’ais éduquée comme ça ! Maman : je vais pleurer ce soir, je vais beaucoup pleurer. Et ce sera ta faute. Papa : tu vas faire pleurer ta mère, tu es fière de toi ? Hein ? Hein ? Tu es fière ? Méchante fille ! La gamine : mais je n’ai pas voulu ça ! Maman : si tu savais ce que tu veux ! il faut étudier, jeune fille ! Papa : longtemps et beaucoup ! il faut connaître les fonctions infinies et la bataille de Marignan ! Maman : c’est ça qui est bien ! Sosie blanc : mais pourquoi ? Sosie noir : pourquoi ? Sosie blanc : on travaille pour gagner de l’argent ! Sosie noir : on mange pour vivre ! 7 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
La gamine : mais je sais pas pourquoi je dois apprendre… Papa et maman : par-ce-que ! Papa : j’espère que c’est clair ! Tu as intérêt à te bouger les fesses ! Maman : maintenant je vais aller pleurer ! Papa : et je vais aller me soûler ! Tu es fière de toi, hein ? Ils s’en vont, toujours siamois. En maugréant « mauvaise fille mauvaise fille » Sosie blanc : ça pourrait Sosie noir : être drôle Sosie blanc : si La gamine : je les aimais pas quand même…
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Peinture 4 : Mamie Les sosies se rapprochent d’elle et viennent se coller derrière son dos. Elle s’assoit et prend sa tête dans ses mains. Désespérée. Les sosies la consolent. Entre mamie, dansant, pirouettes et tours de valses, danseuse étoile de 80 ans, souple et splendide. Lorsqu’elle voit la gamine, elle s’arrête aussitôt et redevient usée et âgée, du mal à marcher et mal de dos. Mamie : je sens comme de la tristesse ! Comme si le monde s’était effondré sur les épaules d’une adolescente ! Et une crise de plus ! On en sort jamais ! Ma retraite est pas grosse, mais au moins j’ai fait le tour des drames et des petites querelles ! J’ai la paix ! C’est pas beau la vieillesse ? Alors ma petite, c’est qui cette fois ? Qui t’a plaquée ? Qui s’est moqué de tes cheveux ? Régis ? Raymond ? Roger ? Robert ? La gamine (bougonne) : Bonsoir Mamie. Sosie noir : pourquoi faut-il que tous tes exemples pourris commencent par un « R » ? Sosie blanc : et de nos jours, les garçons n’ont pas tous des prénoms de garagistes ! Faut te mettre à jour, grand-mère ! Passer à Mamie 2.0 ! Sosie noir : et faire un tour sur www.Troisième millénaire.com ! Mamie : Ouh, cessez le feu ! Je m’en retourne ! (Elle commence à repartir en dansant) La gamine : j’ai le bourdon, grand-mère. La mamie s’arrête de danser. Et se rapproche de la gamine. Mamie : et bien dis-moi ? C’est pas une histoire de cœur, alors ? Elles sont marrantes vos histoires d’amour… La gamine : Non, c’est les parents… Mamie : Tsssssss…. La gamine : je ne comprends plus ce qu’ils attendent de moi. Mamie : C’est même pas sûr qu’ils le sachent eux-mêmes. Ils pensent juste qu’ils doivent attendre quelque chose ! La gamine : en plus je m’en fiche de ma note ! Je m’en fiche de tout ça ! Je sais même pas pourquoi je dois avoir de bonnes notes ! Pour moi ya pas de raisons ! Tout ça c’est gratuit et absurde !
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Mamie : il me semble que ça dépend de ce que tu veux faire plus tard… non ? c’est pas ça le jeu ? Sosie noir : bonjour le jeu. Sosie blanc: il y a des jeux plus amusants… Mamie : et plus tu te bats et plus tu te rapproches de tes rêves ! Et moins tu te bats et plus tu t’en éloignes ! La gamine : j’en ais pas. Mamie : pardon quoi quoi ? La gamine : j’en ais pas. Je sais pas ce que j’ai envie de faire plus tard. C’est très loin de moi tout ça. Quand je pense à moi adulte, à moi qui travaille, à moi sérieuse et en tailleur, j’ai l’impression de penser à quelqu’un d’autre. Et à quelqu’un de pas très amusant. En plus. Sosie noir : c’est clair ça donne pas envie de me rencontrer. Sosie blanc : soirée scrabble et surtout ne pas louper la météo ! La gamine : moi plus grande, c’est pas moi ! Ça me concerne pas encore ! Donc j’ai pas de rêve. J’en suis plus à vouloir être princesse ou pompier… Mamie : mon dieu que c’est déprimant tout ça… La gamine : Et donc : j’ai le bourdon. Sosie blanc : CQFD. Sosie noir : voilà voilà. La gamine retombe dans son abattement. Mamie (elle se remet à danser): je t’ai déjà raconté comment j’ai rencontré ton grand-père ? La gamine : je serais sûrement plus motivée si je savais ce que je veux faire. Mamie : Il faisait un temps de chien. J’avais de la boue plein ma robe. Et lui il s’était pas lavé depuis trois jours. La gamine : On y met plus de bonne volonté quand on sait pourquoi on fait les choses. Mamie : Moi parce que j’étais tombée dans une flaque énorme. Lui parce qu’il avait plus d’eau chez lui. Je te raconte pas l’odeur ! Sosie blanc : si j’inventais ? Je serais banquière ! Ah ça me donne la nausée ! Mamie : j’étais couverte de boue, et il sentait le fauve. Romantique, non ? 10 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Sosie noir : Je serais la femme de Jonnhy Depp ! Sosie Blanc et la gamine : n’importe quoi… Mamie : Je me suis changée chez lui, et il a appelé le plombier. Après on s’est marié. La gamine (à Mamie) : Mais quel rapport ça a avec moi ? Mamie : Tu n’es pas le centre du monde ma petite. Et puis il y a un rapport : le plombier. La gamine : si j’apprends les maths, je veux savoir si c’est pour être dessinatrice de mode… Sosie blanc : ou dame pipi ! Sosie noir : c’est essentiel ! Tu comprends, mamie ? Les trois : es-sen-tiel ! Mamie : ce que tu es bruyante, ma fille ! Veux-tu qu’on fasse de la magie ? Quelques petits tours de passe-passe ? La gamine se lève brusquement, les sosies se resserrent au sol. La gamine : c’est pas possible, t’es sous traitement, là ? t’as pris quelque chose ? J’arrive pas te suivre, sérieux ! Sosie blanc: faut avouer… Sosie noir : c’est un peu chaud, effectivement… Mamie : Et en avant pour le spectacle ! Et si ? La gamine : Et si ? Mamie : Et si tu avais du devenir… Boulangère !
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Peinture 5 : Boulangère La scène de la boulangère se met en place en musique et changement de lumière. Elle démarre comme si elle était déjà en route depuis longtemps. La boulangère tient une baguette qu’elle tend à la cliente, celle-ci a la main dans son porte-monnaie mais ne s’arrête pas de parler.
La cliente de la boulangerie : et puis avec mon dos c’est pas facile de porter des grosses charges, vous comprenez, mais mon fils il s’en fiche ! Ah la famille ! Vous comprenez, moi je ferais tout pour lui ! La boulangère : et avec ceci, qu’est-ce que ce sera ? La cliente de la boulangerie : mais c’est normal, je suis sa mère, alors… et lui il trouve ça naturel ! Mais à mon âge jouer les déménageuses ! Vous m’imaginez avec un lavevaisselle sur les bras ? La boulangère : oui oui… 80 centimes s’il vous plaît, il vous faut autre chose ? La cliente de la boulangerie : alors comme quoi qu’il devait changer d’appartement, il était très bien son appartement ! Pas grand c’est vrai ! Mais on a pas besoin de vivre dans des palaces, quand même ! La boulangère : bien sûr… juste une baguette alors ? La cliente de la boulangerie : monsieur veut une autre pièce ! Monsieur ne veut plus dormir dans son salon ! Vous avez des enfants vous ? Parce que sinon réfléchissez à deux fois ! On nous dit que c’est merveilleux, mais c’est de la propagande ! La boulangère : 80 centimes… La cliente de la boulangerie : c’est des mensonges ! C’est le gouvernement qui nous dit de faire des enfants ! Les gens qui disent que c’est merveilleux, il paraît que c’est tous des agents de l’état ! Des agents secrets même ! Vrai de vrai ! C’est mon neveu qui me l’a dit, et il s’y connaît mon neveu, il est informaticien ! La boulangère : bon d’accord, je vous l’offre, la baguette ! La cliente de la boulangerie : Et puis… quoi ? Ah bon, ah bah ça c’est gentil… La gamine : Stop !
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Peinture 6 : Mamie 2 La scène de la boulangerie disparaît. On en revient à la scène précédente. La gamine : c’est quoi ça ? Mamie : un tour de passe-passe, je t’ai dit. Sosie blanc : dingue ! Sosie noir : trop forte, mamie ! La gamine : tu peux faire beaucoup de ces… trucs ? Mamie : Alors boulangère, ça te plaît ? La gamine : Non ! mais non ! Mamie : Essayons autre chose ! Sosie blanc : oh ouais ! Mamie : Et en avant pour policier ! Sosie noir : ça je le sens pas.
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Peinture 7 : policier La scène du policier se met en place très vite, même système que pour la précédente. Un agent est en train de dresser une contravention, en silence, sa victime se plaint.
L’homme verbalisé : Ah ça vous plaît ça, hein ? ça vous fait plaisir ! Vous vous en fichez que ça me mette en retard à mon travail ! Vous vous en fichez que je me fasse virer parce que vous faites du zèle ! Ah elle est belle la France ! Je paye mes impôts moi monsieur, et là vous ennuyez un honnête travailleur au lieu de courir après les voleurs, les trafiquants de drogues ou les étrangers ! Le policier : vous avez commis une infraction. L’homme verbalisé : j’ai commis une infraction ! J’ai commis une infraction ! Un crime, oui ! Où est le cadavre ! J’avoue tout, Columbo, tu m’as démasqué ! J’ai grillé un feu ! À peine rouge en plus ! Je l’ai vu orange en passant, moi ! Et voilà le délit ! Pas d’accident, pas de mort ! Et vous venez me prendre la tête ! Petit fonctionnaire ! Parasite ! Le policier : Restez poli, je vous prie. L’homme verbalisé : Poli ? Que je reste poli ! Mais oh le schtroumpf ! Je travaille moi ! Tu me fais perdre mon temps pour pouvoir faire du chiffre ! Pour avoir ta prime, c’est ça ? Tu vas toucher combien, pour m’avoir collé une prune ? Je me fais dix fois plus en une semaine ! Je me fiche de ton amende, tu peux te la coller, ton amende ! Le policier : ne me forcez pas à vous verbaliser pour outrage à agent, monsieur ! L’homme verbalisé : mais verbalise, mon bonhomme, verbalise ! Tiens pour la forme, ta prune tu te la carres sous le képi, tu manges le tout, et si t’as encore faim, tu peux aussi avaler tout le carnet ! Et si tu manques d’appétit et que tu sais pas quoi en faire, de ta prune, tu veux que je te dise où tu vas pouvoir la mettre ? La gamine : Stop !
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Peinture 8 : mamie 3 La scène disparaît, on en revient à la mamie. Mamie : ça te plaît pas, la force publique ? Sosie blanc : Mais tu aimerais ça, toi ? Mamie : C’est pas de mon avenir qu’on parle. Et allez, gardien de nuit ? Sosie noir : Gardien de quoi ?
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Peinture 9 : gardien de nuit. La scène du gardien de nuit apparaît. Il est seul, et s’ennuie profondément, il a une lampe torche qu’il utilise de temps en temps. Le gardien regardant sa montre : 22h00… Un long, un très long temps. Il allume sa lampe torche et regarde. Puis regarde de nouveau sa montre. Le gardien : 22h02. Bon. Ça avance. Il jongle avec sa lampe torche. La fait tomber. Il s’ennuie vraiment beaucoup. Il piétine sur place. Le gardien : 22h04. Allez. Plus que 8h00 ! Courage ma grande ! Et demain rebelote ! La gamine (pour le faire partir) : merci ! Merci beaucoup !
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Peinture 10 : mamie 4 Idem. Sosie noir : j’en veux pas non plus, ça a l’air d’un ennui mortel, comme travail… Sosie blanc : sûr ! Mamie : Et présidente de la république ! La gamine : n’importe quoi !
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Peinture 11 : présidente ! La scène de la présidente se met en place. La présidente est devant son pupitre, la foule des journalistes est répartie de chaque côté. La présidente : Et vous pouvez être sûr, pour toutes ces raisons, que vous ne m’aurez pas élue en vain ! Les choses vont changer ! Ce n’est pas une promesse, c’est un serment ! Maintenant je vais répondre à vos questions. Journaliste : qu’en est-il sur les retraites ? La présidente : ah ça, on va pas pouvoir y toucher pour l’instant, parce que c’est compliqué vous savez… Journaliste : et pour l’école ? La présidente : l’école est un sujet délicat, il vaut mieux attendre que les choses se tassent. Journaliste : et les salaires ? La présidente : c’est difficile de régler cette question dans l’immédiat, le dossier est à l’étude actuellement… Journaliste : et la sécurité ? La présidente : et bien on va faire de notre mieux, mais on est pas magiciens non plus ! Ça prend du temps, tout ça ! Journaliste : et nos relations avec les autres pays ? La présidente : rien à dire ! On s’entend très bien avec ces idiots ! Journaliste : vous n’allez rien faire, alors ? La présidente : j’y travaille ! j’y travaille ! Journaliste : pourquoi vous a-t-on élue, dans ce cas ? La présidente : je me le demande moi-même ! Journaliste : merci madame la présidente ; La présidente : je vous en prie. La gamine : ça ne m’intéresse pas.
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Peinture 12 : mamie 5 La mamie : et ça ne fait pas écho chez toi ? Ces situations ne te semblent pas familières, un petit peu ? Sosie noir : qu’est-ce que tu veux dire ? La mamie : il y a une légende. Une légende très ancienne. On apporte son fauteuil de grand-mère, un livre de contes et un verre de porto. Elle se met à raconter. Une petite musique douce se lance, la gamine et les sosies peuvent prendre leurs pouces.
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Peinture 13 : la légende Mamie : il y a très longtemps, on pensait que chacun avait un destin. Que celui qui devait être charpentier, c’était écrit. Quelque part. Que celui qui devait être marin, c’était écrit. Quelque part. et que tout le monde finalement se contentait de faire le métier qui lui était destiné. Qu’il ne choisissait pas. On dit que dès la naissance, le bébé sait tout. Qu’il sait qui il va aimer et épouser et quel métier il va exercer. On dit que c’est pour ça que le bébé hurle à la naissance. Tout le monde lui fait des gouzisgouzis, alors qu’il a une voiture à aller réparer, un incendie à éteindre, et personne ne le comprend ! On le berce alors qu’il doit se dépêcher de piloter un avion ! et tout le monde s’en fiche ! On lui change sa couche quand il doit installer une parabole ! Il sait tout le bébé. Et c’est trop lourd pour lui. Alors il oublie. Exprès il oublie. Pour pouvoir se calmer et s’endormir. Et l’ignorance le fait sourire dans son sommeil. Sosie blanc (au public) : C’est à ce moment que j’ai repensé à ce reportage sur la maladie d’alzheimer. Et je me suis un peu inquiétée pour mamie. Mamie : Mais tout ça. On l’a toujours en tête. C’est oublié mais c’est pas effacé. La réponse est toujours là au fond de notre tête, enfouie avec les souvenirs de notre naissance. Il faut juste aller la débusquer. Après tu pourras apprendre pour de bonnes raisons. C’est ce que tu veux non ? Sosie noir : Et où je dois aller chercher ça ? Chez le lapin blanc ? La gamine : Chez les trois petits cochons ? Mamie : Pour la lire, cette réponse, il faut faire sauter tous les murs de l’oubli, il faut être complètement libre de tout… Il n’y a que dans les rêves que ça arrive. C’est dans un rêve qu’on retrouve ces réponses. Sosie blanc : mamie… tu as bu ? C’est ça ? Mamie : Faut aller dans ton rêve, gamine. Et pour l’atteindre, il n’y a qu’une solution, il faut faire appel au plombier. Sosie noir : OK. Tu as bu. Mamie : car pour aller dans le rêve, c’est un tunnel. Un tunnel c’est un peu comme un tuyau, un gros tuyau. Et que quand on a un problème de tuyauterie, c’est le plombier qu’on appelle. Long silence. La gamine : on l’appelle comment ton plombier ? Un rituel vaudou ? On frappe trois fois dans ses mains en répétant « plombier viens à moi » ? Sosie noir (au public) : qu’est-ce que je l’aime ma mamie, elle est trop marrante !
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Mamie : Tu as un portable ? Il doit être chez lui ce soir, y a un match de foot… il adore le foot. D’abord interdite, la gamine sort son portable et le lui tend. La mamie compose un numéro et attend. Mamie (à la gamine) : ça sonne. Un temps Mamie : Ah bonsoir, je te dérange pas ? … ah oui la mi-temps, super… non c’est pour un rêve… ben oui si c’est possible… ma petite-fille… je sais pas, attends… (À la gamine) tu fais beaucoup de cauchemars ? La gamine secoue la tête. Mamie reprenant sa conversation : non c’est bon… je comprends sinon… bah oui c’est casse-pieds… tu peux venir quand ? Le plus vite possible ce serait bien…
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Peinture 14 : le plombier Le plombier entre, il poursuit sa conversation au téléphone avec la mamie. Le plombier : …bah là je suis libre si tu veux. Ça vous va ? Mamie (toujours au téléphone) : Parfait c’est parfait ! On t’attend ! Ils raccrochent. Le plombier : Bonsoir ! Mamie : Ah coucou, tu as fait vite ! Ils se font la bise. Le plombier : tu m’as dit que c’était urgent, alors… Mamie : Merci d’être venu, c’est très gentil ! Le plombier (la draguant ouvertement) : Tu sais bien que je ne peux rien te refuser ! Mamie (flattée et gênée) : Oh toi ! Le plombier regarde la gamine. Le plombier : C’est elle ? Il s’approche, les sosies s’enfuient, au bord des coulisses, laissant la gamine seule. Elle est pas fière. Le plombier, (il a sa trousse à outils, il la pose au sol et l’ouvre) : Alors comme ça on a besoin du plus grand magicien du monde ? On veut entrer dans son rêve ? La gamine : ben… noooon… Le plombier : je connais mon boulot. Les plombiers règlent tous les problèmes de tuyauterie. Une fuite de larmes, un tour de clef et hop ! Ça fissure au niveau du cœur, un peu de plâtre et hop ! Le roi du cache-misère ! Les plus grands magiciens ! C’est pas pour rien qu’on nous appelle même la nuit, même le dimanche ! La gamine (inquiète) : mamie ? Le plombier : tu es sujette aux cauchemars ? Sinon c’est la clef de douze dont j’ai besoin ! La gamine : non, ça va, je dors bien… Le plombier (il sort une clef) : ah tant mieux. Ç’aurait pas été une partie de plaisir, sinon… au boulot ! 22 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Peinture 15 : portiers
le
syndicat
des
D’un coup, les portiers apparaissent, ils sortent de partout, en roulant, en sautant, comme une invasion de forces spéciales militaires. Ils se placent. Un portier : que plus personne ne bouge ! Madame restez où vous êtes ! Le plombier : Bon sang, les portiers ! C’est pas vrai ! Il cherche à s’enfuir, mais les portiers bloquent les passages. Il tente de forcer un barrage. Un portier : arrêtez cet imposteur ! Arrêtez-le ! Plusieurs portiers se saisissent du plombier et l’enserrent. Celui-ci ne peut plus bouger, il est fermement tenu. Un portier (au plombier) : Alors, le bricoleur, on voulait nous fausser compagnie ? Un portier (au plombier): c’est pas gentil ça ! Un portier (au plombier): on veut juste te parler ! La gamine : Mamie ! Un portier : mademoiselle, ne bougez pas ! La gamine : Vous êtes dans ma chambre, là ! Ça va pas bien chez vous ? Un portier : Ne bougez pas, s’il vous plaît ! Mamie : Ne t’en fais pas, tout va bien se passer ! Ce ne sont que des portiers ! Entre le délégué syndical des portiers. On sent que c’est le chef. Le délégué : « que » des portiers ? Vous êtes bien impolie, madame… nous sommes les représentants du syndicat des portiers, grands ouvreurs de portes. Et vous allez avoir des explications, mademoiselle. Tout d’abord, je vous prie de nous excuser pour cette intrusion un peu… cavalière… mais il nous fallait absolument prendre cet imposteur par surprise. Sans quoi il se serait certainement enfui. Le plombier : Grands ouvreurs de portes… n’importe quoi ! « Bonjour monsieur » « au revoir monsieur » « belle matinée madame » « je vous souhaite un bon retour madame »… des perroquets toujours collés à la poignée ! Je baisse je tire je pousse je monte je baisse je tire je pousse je monte ! Ridicule ! Et vous vous êtes montés en syndicat ? Pourquoi faire ? Réclamer qu’on huile les portes ? Être couverts pour les entorses au poignet ? 23 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Le délégué : blablabla… (Il sort un document et se met à le lire) soyez attentif je ne lirai cela qu’une seule fois ! « Attendu que l’accès aux rêves exige la manipulation prudente de portes qu’il convient d’ouvrir ou de fermer, afin d’en faciliter l’accès, ou pour éviter l’invasion de fantasmagories dans le monde réel. Attendu donc que parler de la porte des rêves, c’est encore parler d’une porte. Attendu que seuls les portiers sont capables, de part leur diplôme, leur fonction, ou leur compétence, à manipuler des portes. Il a été décidé à l’unanimité par un vote du comité de décision du bureau du syndicat des portiers, réuni en session extraordinaire, que seuls les portiers étaient habilités à ouvrir cette porte. En conséquence il est exigé du plombier qu’il cesse toute activité de magie en rapport de près ou de loin avec cette porte. Sans quoi des sanctions seraient prises. » Le plombier : c’est absurde ! La porte des rêves, c’est de la poésie ! Ça ne ressemble pas à un morceau de bois avec une poignée ! Le délégué : la porte des rêves, c’est sans doute très poétique, mais ça reste une porte, une porte ! Pas touche ! Les portiers : touche pas à ma porte ! Le plombier (aux portiers qui le tiennent) : lâchez-moi, vous ! Le délégué leur fait signe de le libérer. Le plombier : Vous n’y connaissez rien ! On dit porte, pour la clarté ! Mais ça ressemble plus à une sorte de robinet, ou de siphon de baignoire ! On l’ouvre pour laisser couler nos folies, ou on s’y retrouve aspiré comme dans un tourbillon ! De plus il faut être magicien pour réussir à le faire ! Et vous les portiers, vous êtes tout sauf des magiciens ! Vous êtes beaucoup trop terre à terre ! Si on enlève la poignée à une porte, ils pensent que c’est un mur ! Pour vous, une porte doit pouvoir s’ouvrir, ou ce n’est plus une porte ! Combien de portes condamnées, ou rouillées, avez-vous abandonnées à leurs sorts ? Si on vous met face à un placard, vous n’en bougerez pas ! Vous allez attendre, bêtement, qu’une paire de chaussures demande à sortir ! C’est absurde ! Tout le monde sait que les chaussures ne sortent qu’accompagnées par un adulte ! Le délégué : mais quel poète ! Mes amis quel poète ! Tu prétends qu’il faut être magicien ? Mais la réalité est tout ce qu’il y a de magique ! Ouvrir la porte, c’est permettre aux gens de pénétrer dans de tout nouveaux univers ! C’est quitter le confort de la chambre pour l’activité fébrile de la cuisine ! Ouvrir la porte c’est laisser entrer la lumière du jour dans une pièce obscur ! L’espoir au cœur des ténèbres ! C’est une promesse de musique dans le salon ! La tenir fermer c’est conserver le mystère des conversations chuchotées ! L’odeur de la cuisine de votre mère qui se faufile ! Cette fraude est plus merveilleuse que d’être plongé tête la première dans la casserole ! Manger le pain grillé, boire le café, c’est agréable ! Mais le sentir, du fond de notre lit, à travers la porte close ! Ça c’est le bonheur ! Et le portier est là. Fiable. Main sur la poignée. Prêt à libérer ces odeurs et ces musiques ! 24 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Aux portiers Vous avez vu, les gars, moi aussi je deviens poète ! Ils rient. Le plombier s’est discrètement approché de sa caisse à outils. Le plombier : t’es trop bavard, portier ! Et tant qu’à t’entendre débiter des âneries, autant que ce soit rigolo ! Il sort une clef de sa caisse et commence à jouer avec. Le délégué : attention, il a une clef ! Vite empêchez-le il va (le plombier fait un geste dans sa direction) (le délégué continue à parler en gromlo) Le portier : chef ? Chef ça va ? Le délégué : gromlo. Le portier : on comprend rien chef ? Qu’est-ce qu’on fait ? Le délégué : gromlo. Le portier : Qu’est-ce que tu lui as fait, plombier de malheur ? Le plombier : la poésie c’est pas la magie ! La magie c’est pas la poésie ! La magie c’est ça ! Le plombier fait un nouveau geste avec sa clef, et les portiers s’effondrent au sol, sauf le délégué, qui continue de l’insulter en baragouinant. Le plombier fait un geste menaçant de clef vers lui. Le délégué se tait aussitôt. Le plombier : Ramasse donc tout ça. Et ne venez plus jamais me casser les pieds avec vos histoires de portes ! J’ai autre chose à faire que de vous donner des leçons d’artisan ! Le délégué commence à ramasser les portiers et à les traîner en coulisse. Pendant ce temps, le plombier reprend la parole avec mamie et la gamine.
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Peinture 16 : voyage. Le plombier : Bon on reprend ? Mamie : on reprend. La gamine : Je me sens un peu perdue. Sosie blanc : franchement je ne comprends Sosie noir : vraiment Sosie blanc : plus rien La gamine : à cette histoire… Le plombier : le monde est plein de conflits ! Main gauche contre main droite ! Nuit contre jour ! Portier contre plombier ! etc etc… on va pas en faire un fromage ! Ça arrive tous les jours, des trucs comme ça ! Sosie blanc : ah bah justement… Sosie noir : là j’ai un doute ! Le plombier : bon, on t’envoie dans ton rêve. Tu trouves ce que tu cherches. Tu reviens et basta ! Ah ils m’ont mis de sale humeur ! (À Mamie) Mamie ! Tu marques le tempo ? Mamie commence à battre des mains, régulièrement. La gamine : Mais pourquoi faire, tout ça ? Le plombier : pour rêver faut s’endormir. Pour s’endormir faut être très fatiguée. T’es fatiguée ? La gamine : Non, ça va… Le plombier : alors voilà pourquoi ! Il fait un mouvement de clef, la gamine voltige d’un côté de la scène. Sosie blanc : mais oh ça va pas ? Le plombier : va falloir t’épuiser ! Je suis désolé il n’y a pas le choix ! Il fait un nouveau geste, la gamine voltige de l’autre côté. Puis le plombier fait des petits gestes de haute en bas, la gamine saute sur place. Sosie noir : mais vous êtes malades ! Arrêtez tout de suite ! 26 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Mamie : Détends-toi gamine ! Fais comme si tu dansais ! La gamine : mais je connais pas les pas ! Le plombier : pas d’importance ! C’est parti ! Une musique très rythmée se lance et monte fort. La gamine se met à danser dans tous les sens, comme une marionnette qui ne se maîtrise pas. Le plombier enchaîne les mouvements avec sa clef. Au bout d’un moment, la gamine n’en peut plus, elle ralentit, et fini par s’écrouler au sol. Endormie. La musique s’arrête. Le noir se fait progressivement, et monte la musique du rêve. Le plombier, la mamie et les sosies disparaissent. La gamine reste seule, allongée au milieu de la scène, endormie.
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Peinture 17 : rêve de marelle. Sur la musique douce, une petite fille habillée en blanc apparaît en fond scène, elle joue à la marelle pour se déplacer. Elle s’approche de la gamine endormie. Repart, revient avec une couverture et un oreiller. Elle couvre la gamine. Puis regarde autour d’elle. Des ombres apparaissent. Passent et sortent. Dansent légèrement. Ce sont des morceaux de ses souvenirs qui apparaissent et disparaissent. Des rêves étranges passent tout le long de cette scène. Alice au supermarché s’installe, ainsi qu’Alice et le méchant garçon. Alice : Bon. Alors c’est ça, mon rêve ? Pas très rassurant. (Elle se regarde, et regarde ses vêtements) et je me vois comme ça dans mes rêves ? Et moi qui pensais que j’avais grandi… a priori il y a encore du boulot… (Elle regarde autour d’elle) Eh Oh ! Il y a quelqu’un ? Je suis là ! Je fais quoi maintenant ? Entre le clochard, bouteille à la main. Il titube. Il cherche à se diriger vers elle mais n’y arrive pas. Alice : Allons bon… c’est quoi encore, ça ? Eho ! Je suis pas rassurée, là ! J’aimerais bien qu’on vienne me renseigner ! Le clochard : j’arrive, j’arrive ! On est pas aux pièces ! Toujours pressés ! Sales gosses ! Alice : Attendez attendez ! Vous êtes qui d’abord ! Le clochard s’arrête. Le clochard : Ben, je suis là pour te renseigner. C’est pas ce que tu voulais ? Alice : Ben si, mais j’ai pas voulu… enfin… que ce soit… ça qui me renseigne ! Le clochard : Ah bah c’est ton rêve, tu peux t’en prendre qu’à toi-même ! (Il boit) Tu me dis de partir et moi, pffff, je disparais ! Alice : vous me rappelez quelque chose… je vous ais déjà vu quelque part, non ? Le clochard : P’têt… (Il boit) Tu en veux ? Alice : Sans façon… Et vous savez comment ça marche ici ? C’est très bizarre… Le clochard : ben ici, tout tes rêves traînent, ils font des trucs et des machins… ils s’occupent, quoi… et des fois ils inventent des histoires… l’autre jour y a un éléphant qui s’est mis à danser le tango avec ta mère… on a bien rigolé… Alice : je me rappelle…j’avais dis à mon père qu’à force de manger des sandwiches il allait finir par peser 100 kilos… ma mère m’a dit de me taire… je lui ais répondu que ça lui plaisait peut-être d’être mariée à un éléphant… 28 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Le clochard : T’es du genre agréable, comme fille, toi… Alice : Ils m’ont envoyés dans ma chambre… Vous êtes sûrs qu’on s’est pas déjà croisés ? Le clochard : Ptêt, j’te dis ! Moi ch’uis juste là ! Et je sais que ce que toi tu sais ! Alors tant que tu t’en rappelles pas, je peux pas t’aider ! (Il boit) Ah et aussi une fois, il y avait une table immense, avec 4 jambes et 20 têtes de gamins en train de rigoler ! Et des bras aussi, et ils te montraient du doigt. Et une grande asperge en tailleur qui hurlait « silence ! Silence ! » Alice : La grande asperge en tailleur, ça doit être Mme Berger, ma prof de math… Le clochard : Et la table avec les têtes ? C’était des élèves ? Alice : Sûrement… ça doit être le jour où je me suis cassé la figure en montant sur l’estrade, dans la classe… ils se sont tous moqués de moi… Le clochard : C’est cruel, les enfants… (Il boit) Alice : à leur place, j’aurais rigolé aussi, sûrement… et eux là… (Elle montre Alice au supermarché et Alice et le garçon qui la martyrise) c’est encore des rêves à moi ? Le clochard : naaan, ça doit être des rêves du voisin qui se sont perdus… Alice : Sérieux ? Le clochard : Bien sûr que non ! T’es vraiment pas fine ! Comment ce serait possible ! Alice : Mais je sais pas moi ! C’est la première fois que je viens ! Le clochard : Bah c’est chez toi, pourtant… (Il boit) Alice : Et vous… mais oui ça y est ! Je me souviens ! Le clochard : Ah bah tiens moi aussi… c’est marrant comme sensation… Alice : Mais oui, j’avais 5 ans ! Le clochard : à la pharmacie, avec ta mère. Alice : On faisait la queue, elle cherchait dans son sac ! Le clochard : Elle faisait pas attention à toi. Et je suis passé. Alice : et vous vous êtes penché sur moi, ça puait, vous étiez sale, mal habillé, vous sentiez le vin, vous m’avez parlé ! Le clochard (il rejoue la scène en s’adressant à des fantômes): Salut, bout’chou ! Alors tu fais tes courses avec ta maman ? Ben dis donc t’as une jolie poupée là ! Elle s’appelle comment ?
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Alice : J’étais morte de trouille ! J’ai commencé à pleurer, j’arrivais pas à parler, à appeler maman ! Le clochard : Ben faut pas pleurer comme ça, j’te veux pas de mal ! rhhhooooohh… moi je m’appelle Paulo…et toi c’est quoi ton nom ? Alice : Ma mère s’est retournée, elle vous a dit de vous en aller, de me laisser tranquille ! Le clochard : Ben je fais rien de mal, madame, ça va hein ! Je fais que parler ! C’est bon je m’en vais ! Les gens sont pas polis ! Alice : Et vous êtes parti. Moi j’ai pleuré longtemps encore, dans les bras de ma mère ! Le clochard : Ouaip. Ch’uis parti. Pouf parti ! (Il boit et s’écroule par terre) Alice : Et j’y pense encore… ça a du me faire vachement peur à l’époque… Le clochard : Tu dois encore avoir un peu peur aujourd’hui… (Il boit) pour le rêver… Alice : Et eux là… (Elle montre Alice et le garçon) mais oui là c’est moi aussi ! En CP ! Le garçon c’est Kevin Barnier ! Il n’arrêtait pas de m’embêter ! En fait il était amoureux de moi, c’est une copine qui me l’a dit plus tard ! Mais il m’a fait passer de sales moments ! Le clochard : C’est bizarre comme technique de drague… Alice (s’adressant à Alice) : Et toi ! T’inquiète pas comme ça ! Il te tire les cheveux par ce qu’il est amoureux de toi ! Il sait pas comment te le dire ! Il t’adore en fait ! Alice qui pleure Arrête aussitôt de sangloter. Elle regarde le garçon qui est pris sur le fait. Alors lui fait signe que « non pas du tout je l’aime pas ! » et s’enfuit en courant. Alice qui pleure se lève et lui court après. Ils sortent. Alice : Et là ! (Elle regarde Alice qui court et cherche) Les courses de Noël, 7 ans. Je me suis perdue dans le centre commercial, j’étais paniquée ! J’ai passé des heures à courir dans les magasins en cherchant mes parents. Le clochard (toujours au sol, affalé): Des heures… ça a du être moins long que ça quand même… Alice : Et finalement je me suis endormie dans un tas de peluches, c’est là que les parents m’ont retrouvée ! (À Alice qui court) Eh toi ! Le rayon jouet, troisième allée à gauche, installe–toi dans les nounours, les parents vont arriver très vite ! (Alice qui court l’écoute et galope en coulisse) Je me sens plus légère, tout d’un coup… Le clochard : félicitations… (Il boit) Alice : Et maintenant, je fais quoi ? Le clochard (il réfléchit) : Alors voilà comment ça marche, et tu vas devoir répondre à des questions, si tu te trompes tu ne te réveilleras jamais ! Et tu vas devoir combattre d’énormes monstres, les pires de tes cauchemars ! Et si tu te fais tuer ici, tu mourras aussi en réalité ! 30 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Alice : C’est vrai ?? Le clochard : nan c’est pour rire… enfin si tu le veux vraiment, ça peut se faire… Alice : Non c’est bon… Le clochard (il se relève) : Bon on s’y met ? Alice : J’allais le dire. Le clochard : C’ests toi qui le dis, justement. T’as toujours pas compris ? (Alice réfléchit, puis se masse les tempes) Alice : je devrais rêver d’une aspirine… Le clochard sort un tube de sa poche. Le clochard : Tiens… (Alice prend le tube et avale deux comprimés) Alors tu viens faire quoi par chez toi ? Juste visiter ? Alice : Je suis venue chercher ce que je savais quand j’étais bébé… Ce que je ferais plus tard… il faut que je le demande à qui ? à vous ? Le clochard : J’ai une tête de nourrisson ? Bizarre ça. Bizarre. T’as qu’à le demander à toi bébé… (il boit et lui tend la bouteille) Tu en veux ? Alice : non, et vous devriez arrêter. Parce que tout ce que vous buvez on le voit sur vous. Vous devenez tout rouge, et votre cou s’allonge comme celui d’une bouteille. Et je peux presque lire 12 degrés sur votre front. Le clochard : Quoi quoi quoi ? Où ça ? Alice : Je rigole. (Ironique) Mais si je le voulais vraiment… Le clochard repose sa bouteille aussitôt. Le clochard : fais venir le bébé. Et pose lui ta question. Alice (en fermant les yeux, elle se met à chanter une berceuse) : Une chanson douce, que me chantai ma maman… En suçant mon pouce, j’écoutais en m’endormant… Cette chanson douce, je la chanterai pour toi. Qui a la peau douce, comme la mousse des bois… Pendant qu’elle chante, le clochard s’endort.
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Peinture 18 : les berceaux Pendant qu’elle chante, le traducteur apparaît et amène les bébés un par un sur la scène, en les portant ou en les tenant par la main. Trois bébés sont installés. Le traducteur reste à leurs côtés. Les bébés vont babiller, lui va traduire tout ce qu’ils disent. Alice : trois bébés. Bon, je m’impose des épreuves maintenant. Alors c’est lequel, moi ? Elle s’approche du premier bébé. Alice : et salut toi ! Le bébé se met à gazouiller. Le traducteur : ma couche est pleine. J’en ais plein les fesses. J’apprécierai que quelqu’un vienne me changer. Sans ça je vais me mettre à hurler. Alice : Dis donc, petite, c’est à toi que je dois parler ? Le traducteur : toi. La grande chose qui fait du bruit. Change ma couche tout de suite. Je te l’ordonne. Alice : Dis-moi ! Qu’est-ce que tu sais ? Qu’est-ce que je serais quand je serais plus grande ? Le bébé se met à pleurer. Le traducteur : Tu comprends pas ? Arrête de faire du bruit et change-moi ! J’ordonne j’ordonne j’ordonne ! Alice : Bon d’accord je te change ! Elle se met à genoux pour le changer. Puis réfléchis et se redresse. Alice : Mais pas question que je mette les mains là-dedans ! c’est mon rêve ! Pouf tu es propre ! Le bébé arrête aussitôt de pleurer. Alice : Alors ? Qu’est-ce que tu sais ? Le traducteur : quand je serais grande, je serais belle. Alice : Très bien, ça… Le traducteur : Quand je serais grande, je serais la plus belle du monde ! Alice : Ok, alors je vais devenir prétentieuse…
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Le traducteur : Je serais mannequin. Puis chanteuse. Je serais très riche et ma famille sera très riche. Et puis je me marierais avec un garçon riche et puissant ! Alice : Bon. D’accord ça c’est pas moi. (Au bébé) Fais dodo. Le bébé s’endort. Alice s’approche du second bébé. Alice : Salut toi ! (Le bébé s’apprête à pleurer) alors pouf t’es propre et t’as pas faim. Que sais-tu, petit bout ? Le traducteur : Je sais beaucoup de choses. Et quand je serais grand je vais tout oublier. Parce que j’aurais pas besoin de beaucoup réfléchir. Alice : C’est sûrement un garçon, ça. Le traducteur : Et je taperai dans un ballon. Et je gagnerais beaucoup d’argent comme ça. Et je passerais à la télé et on me paiera pour que je me rase. Et j’aurais plein de copines. Et je mettrais de jolis shorts et des super baskets. Alice : Oui c’est un garçon… Pouf allez fais dodo ! Le bébé s’endort. Alice s’approche du troisième bébé. Alice : à toi ma petite. Le bébé se met aussitôt à hurler. Le traducteur : J’ai faim ! J’ai faim ! J’ai faim ! Donnez-moi à manger là maintenant ! Je veux du lait ! Encore du lait ! Je veux ma maman ! Je veux ! Je suis Dieu et je veux tout maintenant ! Ma maman et du lait ! Du bon lait ! Oh que je suis malheureuse ! Alice : oui ça c’est moi ! Je mangeais tout le temps ! Et il n’y avait que ma mère qui pouvait me calmer ! Une vraie braillarde ! Le traducteur : Oh j’ai faim ! Et ma couche est sale maintenant ! Et les couleurs du plafond sont pas belles et j’ai peur et je veux ma maman ! Alice se met à chanter tout doucement. En lui caressant la joue. Le bébé se calme petit à petit. Le traducteur : J’ai faim. Je suis un peu triste. C’est jolie cette chanson. C’est la chanson de ma maman. Elle est agréable cette chanson. J’aime ma maman. Alice : alors petit bout de chou. Tu es moi bébé ? Le traducteur : Alors toi tu es moi grande ? Je vais ressembler à ça ? Je crois que je vais encore pleurer… Alice : Allons, allons… ça va… ça va… calme-toi… dis-moi petit bébé, tu sais ce que tu seras quand tu seras grande ? 33 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
Le traducteur : bien sûr que je le sais, je sais tout. Je suis Dieu d’abord. Alice : Et tu veux bien me le dire ? Tu veux bien me dire ton secret ? Le traducteur : Si tu veux. Approche-toi. Alice approche son visage du bébé. Le traducteur met son doigt sur sa bouche. Il ne parle plus. Alice se relève, elle sait. Le bébé s’endort. Elle se met à réciter sa table de multiplications. Comme une comptine. Elle se dirige vers la gamine endormie. Et s’allonge à côté d’elle tout en chantonnant. La lumière baisse et la musique du rêve monte de nouveau.
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Peinture 19 : réveil La lumière revient. Ils ont tous disparu, la gamine se réveille doucement, en poursuivant la comptine. La mamie et le plombier sont en train de flirter dans un coin de la scène. Sosie blanc et sosie noir se lèvent aussi, ils se rapprochent d’elle. Mais elle leur fait signe de s’en aller. Elle n’a plus besoin d’eux. La gamine se lève elle regarde autour d’elle. Elle voit mamie et le plombier. La gamine : mamie ! Mais eh ! Oh ! Tu fais quoi là ! Ça va pas non ? Vous êtes dans ma chambre bande de dégoûtants ! La mamie et le plombier se séparent en vitesse. Mamie : calme-toi, ma petite. Tu dormais bien ! et ton rêve avait l’air de durer. Alors on a bavardé un peu. Pour pas te réveiller on se parlait tout bas tout près… et de fil en aiguille… eh bien… voilà quoi… La gamine : mais réagit mamie ! T’as deux fois son âge et … ooooh je sens que je vais être malade… Mamie : Y a pas d’âge, jeune fille. Il est beau, il est costaud… je me demande si je vais pas refaire ma vie. La gamine : et toi le plombier ! Exterminateur de portiers ! Jongleur de clefs de douze ! C’est ma grand-mère là ! Tu devrais draguer des femmes de ton âge, plutôt ! Vous profitez que je dors pour vous bécoter dans les coins ! C’est dégoûtant ! Mamie : que veux-tu ma petite… c’est peut-être mon destin ! La gamine menaçante : Ah oui, tu crois ? Silence. Tout le monde comprend où elle veut en venir. Mamie : Non mais attends ! La gamine : Il n’y a qu’à s’en assurer, non ? On va voir ça ! Mamie : mais il n’en est pas question ! La gamine : Et pourquoi prendre des risques ? Allez le plombier, fais danser mamie ! Le plombier : Ecoute, jeune fille… je crois que… 35 Le syndicat des portiers, gmoraine@gmail.com
La gamine : MAINTENANT ! Le plombier lève sa clef et la gamine se met à marquer le tempo en battant des mains. La musique se lance et la mamie commence à danser quand le plombier agite sa clef. Mamie : NOOOOONNN !
Noir Rideau
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