Les MDPH (*) : un triple regard pour ne pas diluer l’ambition de la loi de février 2005 – un questionnement sur les pratiques professionnelles et la gouvernance des MDPH Corinne Grenier *MDPH : Maison départementale des Personnes Handicapées
Synthèse – Par la loi du 11 février 2005, le parlement a introduit un ensemble innovant majeur dans le champ du handicap, dont l‟intitulé même manifeste clairement cette ambition : « loi pour l’égalité des droits et des chances pour la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». L‟une des avancées majeures, largement consensuelle et attendue par tous les acteurs du secteur, est l‟instauration des MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées). Se substituant à deux anciens services déconcentrés de l‟Etat, et désormais placée sous l‟autorité des Conseils Généraux, elles offrent une double innovation (ou double ambition) : être un guichet unique pour toute demande de compensation d‟un handicap, mettant ainsi fin à un véritable « parcours du combattant » des personnes pour l‟accession à leurs droits ; poser un mode original de gouvernance partenariale, qui associe une grande variété de parties prenantes, et notamment les associations de personnes handicapées, et en séparant l‟instance qui évalue de celle qui décide. Pourtant de (trop) nombreuses raisons peuvent affaiblir une concrétisation de cette ambition ; prégnance des habitudes professionnelles, complexité à se saisir de la nouvelle définition du handicap et à apprendre de nouveaux modes relationnels avec une variété de parties prenantes, acquisition d‟une autonomie d‟expertise et de décision par rapport à des quasi injonctions à la réduction des interventions sociales, dans un contexte économique de moins en moins favorable… Cette note appelle donc tous les acteurs qui travaillent au sein ou avec les MDPH à œuvrer en véritable acteur stratégique pour répondre au sens et à l‟ambition portés par la loi de février 2005. Une grille d‟analyse des MDPH est proposée, pour faciliter cette appropriation du nouveau paradigme posé par la loi, à savoir pour accompagner la transformation concrète et au quotidien des anciennes manières de penser, décider et faire. Cette grille s‟articule autour des trois fonctions des MDPH : - la fonction sociétale – ou comment « être ensemble », à savoir s‟approprier la loi pour que la personne handicapée soit pleinement restaurée dans sa capacité et ses droits à être un citoyen ; - la fonction politique – ou comment « décider ensemble », à savoir élaborer des modes de décisions qui sachent prendre en compte l‟ensemble des points de vue des parties prenantes qui composent les dispositifs d‟évaluation et de décision de la MDPH ; - la fonction managériale – ou comment « faire ensemble », à savoir élaborer des outils et des pratiques pour réaliser l‟évaluation des demandes des personnes handicapées dans le sens voulu par la loi.
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D’une ambition réglementaire à une ambition pragmatique : s’approprier les MDPH Par la loi du 11 février 2005, le parlement (et le gouvernement initiateur de cette réforme) a introduit un ensemble innovant majeur dans le champ du handicap, dont l‟intitulé même manifeste clairement cette ambition : « loi pour l‟égalité des droits et des chances pour la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Première innovation majeure, alors même que le texte de loi mobilise encore le terme de « personne handicapée », l‟esprit de ce texte est d‟envisager la personne comme étant en situation de handicap, tant l‟environnement de cette dernière est important dans l‟évaluation de la demande de compensation de son handicap. Seconde innovation majeure, cette évaluation est conduite par les EPE (Equipes Pluridisciplinaires d‟Evaluation) des MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées), la décision sur cette demande de compensation relevant alors d‟une nouvelle instance, les CDAPH (Commissions des Droits et de l‟Autonomie des Personnes Handicapées). Rénovant d‟anciens dispositifs (1), ces Maisons concrétisent une organisation fondamentalement différente de l‟accès des personnes handicapées à la compensation de leur handicap, en se substituant à deux anciens services déconcentrés de l‟Etat (CDES et COTOREP2) : -
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elles sont désormais placées sous la tutelle des Conseil Généraux, compétents depuis les lois de décentralisation de 2002 en matière de politiques sociales ; elles sont compétentes pour des demandes émanant de toute personne sans considération d‟âge (avant 60 ans3) ; elles évaluent des demandes de compensation, pour lesquelles la décision est prise par une nouvelle instance, également créée par la loi de 2005, les CDAPH (Commissions des Droits et de l‟Autonomie des Personnes Handicapées), composées notamment du Conseil Général, des services de l‟Etat et de l‟Assurance Maladie qui financent les services ou dispositifs spécialisés accueillant les personnes handicapées. Cette séparation entre évaluateur et payeur, respectant en cela les fondamentaux de l‟évaluation, institue une nouvelle forme de gouvernance partenariale unique dans le champ médico-social ; enfin cette nouvelle gouvernance associe directement à la décision les associations des personnes handicapées, rendant ainsi également unique cette nouvelle forme de gouvernance.
L‟innovation que nous questionnons (les MDPH) est une innovation sociale, qui interroge in fine et toujours, l‟individu dans la société, et qui est essentiellement multidimensionnelle, considérée comme « le développement de pratiques sociales nouvelles qui, se situant en marge des représentations et des comportements dominants, introduisent des ferments d’évolution des sociétés » (Chevalier, 2005).
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Principalement deux lois de juin 1975 : la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées et la loi n° 75-535 de ce même jour relative aux établissements sociaux et médico-sociaux, et organisant une offre dédiée pour des populations dépendantes : personnes âgées ou dépendantes, enfants et familles en difficultés psycho-socio-économiques, personnes en situation de précarité ou d’exclusion. 2 CDES : Commission Départementale de l’Education Spécialisée, COTOREP : COmmission Technique d’Orientation et de REclassement Professionnel 3 Après 60 ans, la personne handicapée est considérée comme une personne âgée et relève alors des dispositifs de cette catégorie de citoyens.
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C‟est aussi une innovation complexe : radicale dans la manière de la loi à définir la personne handicapée, prônant des changements de modes de travail, de représentations et de valeurs…. Mais si difficile à comprendre : i.e. que signifie par ex « être en situation de handicap » ?; ou encore que signifie « séparer l‟évaluation (en MDPH) et la décision (en CDAPH) ?… que leurs directeurs et salariés ont été conduits à « bricoler » (de Certeau, 1980) des compréhensions et des façons de faire locales pour faire au mieux, parce que tous voulaient faire « au mieux » tant cette loi de février 2005, dans l‟ambition qu‟elle porte, est très largement incontestée dans le champ du social et médico-social. Répondre à l‟ambition de la loi de février 2005 appelle que les MDPH œuvrent en véritable acteur du sens porté par cette loi, au sens où une politique publique innovante introduit toujours les « ferments d’évolution des sociétés, en marge des représentations et des comportements dominants » (Chevalier, 2005). Mais faut-il encore prendre acte de la multidimensionnalité de cette organisation innovante : non pas seulement agir en « bon technicien de la loi » mais embrasser et questionner ensemble la dimension organisationnelle (structure et action collective), technologique (outil, modes de travail…) et politique (mode de gouvernance) des MDPH. Et c‟est sur l‟ensemble de ces dimensions que les acteurs doivent questionner au regard de la loi leur manière à faire vivre le dispositif, qui requière donc un double processus de changement : appréhension de la loi, démarquage par rapport à d‟anciennes pratiques professionnelles (et les valeurs et croyances associées). Or trop souvent, observe-t-on que les cadres réglementaires sont lus comme des injonctions à faire selon le « texte » en oubliant l‟esprit de ce texte, et en oubliant que toute loi offre des marges de manœuvre, en particulier dans le champ de la santé qui prône une nécessaire adaptation aux conditions locales (souvent exprimé par l‟expression de la « territorialisation de l’action publique ») ainsi que le principe de la personnalisation de l‟offre de service. C‟est donc en mettant en œuvre les MDPH au regard autant du texte que de l‟esprit du texte qu‟il y a « appropriation » du nouveau paradigme posé par la loi de 11 février 2005, à savoir la transformation concrète et au quotidien des anciennes manières de penser, décider et faire. L‟appropriation consiste à se saisir d‟un « objet » (un outil technologique, un dispositif, une nouvelle loi...) et de le mettre en usage quotidien, passant par la transformation. Ainsi elle ne concerne pas seulement la mise en œuvre d‟un nouveau dispositif, d‟un nouveau principe, mais bien plus la réflexion que cette mise en œuvre doit permettre sur la stratégie d‟une organisation, et les activités au quotidien des acteurs. Autrement dit, il s‟agit «de rendre propre quelque chose, c’est-à-dire d’adapter un objet à soi et, ainsi, de le transformer en un support de l’expression de soi. L’appropriation est ainsi à la fois une saisie de l’objet et une dynamique d’action sur le monde matériel et social dans une intention de construction du sujet » (Serfaty, 2003). Considérée pragmatiquement, l‟appropriation désigne ce que font les acteurs au quotidien, comment ils interprètent le nouveau cadre de leur activité et comment ils intègrent leur environnement pour agir (Kadiri et al., 2009 ; Proulx, 2001). Mises en place à partir de début 2006, les MDPH ont désormais 6 ans d‟existence. Loin de nous de considérer que rien n‟a changé, bien au contraire. Leurs directeurs déclarent qu‟une culture commune de travail et de relations, au sein de ces organisations, mais aussi dans leurs relations avec les CDAPH se met désormais en place, portée par de nombreuses actions locales et nationales : échanges de pratiques, rencontres régulières des directeurs, dans le
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cadre de l‟ADMDPH (4) ou deux fois par an sous l‟égide de la CNSA (5) recommandations, rapports (que nous citons dans la présente note)... Cependant,les MDPH restent à la croisée des chemins et nous y voyons deux champs de questionnement importants. Tout d‟abord, le plein devenir des MDPH, pour répondre à l‟ambition de la loi, dépend de la capacité de l‟Etat et des collectivités territoriales à assumer leur rôle et notamment financier. Dès lors « malgré la volonté et les efforts des Conseils généraux, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) peinent encore à assumer pleinement les missions qui leur sont dévolues » (6). Ces tensions latentes, malgré un réalignement des engagements financiers par l‟Etat récemment réalisé à fin 2011, sera l‟un des enjeux importants de la négociation à venir pour la mise en place des CPOM (7), d‟ici fin 2012. Cela constituera une seconde note prochaine que le Think Tank Think Different publiera. La présente note porte sur un second champ de questionnement, celui de l‟appropriation par les directeurs et leurs équipes ainsi que les membres de la CDAPH de cet ensemble de dispositifs complexes promu par la loi de février 2005. Autrement dit : quels sont les leviers pour répondre sur le plan de l‟identité organisationnelle, de la gouvernance partenariale et des pratiques professionnelles, à l‟ambition de la loi ?
Les MDPH : une ambition au bénéfice des Personnes en situation de Handicap Quelques chiffres sur le handicap (8) On estime que 12 millions de français sont porteurs d‟un handicap, que 5,5 millions (seulement) se déclarent en situation de handicap, que parmi celles-ci, 850.000 ont une mobilité réduite et que 1,5 millions souffrent d‟une déficience visuelle. L‟enjeu est donc énorme de bien faire fonctionner les dispositifs introduits par la loi pour compenser ces situations de handicap. Un parcours législatif en faveur des personnes handicapées entamé depuis 1975 Bien que le dispositif législatif de février 2005 rénove considérablement la loi de juin 1975, cette dernière a cependant introduit des fondements importants, qui impriment encore le champ social et médico-social,et que nous exposons rapidement. Elle a tout d‟abord institué l‟existence même de ce champ médico-social, présenté en son temps comme intermédiaire entre le sanitaire et le social (entre le soin et l‟accompagnement des personnes). C‟est la reconnaissance de la nécessité d‟organiser une offre de services nouvelle 4
ADMDPH : Association des Directeurs de MDPH.Créée le 5 octobre 2007, l’association s’est donné pour objectifs d’affirmer la place et de porter l’expertise des directeurs de MDPH auprès des pouvoirs publics dans la mise en œuvre opérationnelle de la loi handicap du 11 février 2005. Elle est un lieu d’échanges et de mutualisation des pratiques et des expériences et joue aussi un rôle de soutien pour les directeurs nouvellement nommés, comme pour ceux qui rencontrent des difficultés dans l’exercice de leurs fonctions. 5 CNSA : Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie ; elle est à la fois une caisse (financement) et une agence, à savoir un espace public d’échanges sur l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Site : www.cnsa.fr 6 Propos rapportant le récent rapporteur du médiateur de la république, et extrait du « Médiateur Actualités », Avril 2010 - N°56, p. 2 7 CPOM : contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens ; c’est un instrument de contractualisation entre l’Etat, et les MDPH, visant à définir les niveaux d’engagements financiers de ces institutions au regard des objectifs d’activités des MDPH. 8 Données collectées en juillet 2012 sur le site : www.mdph.fr
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pour des populations en fragilité (économique, social, psychologique…) dans un contexte de poussée citoyenne où les associations et représentants des personnes handicapées vont défendre des exigences d‟intégration tout autant que de prises en charges spécialisées et spécifiques (hors « environnement ordinaire »). Désormais, la prévention, le dépistage des handicaps et leurs soins, l‟éducation, la formation professionnelle, l‟emploi, des ressources minimum garanties, l‟intégration sociale et accès aux soins… constituent une obligation nationale. Cette politique publique instituait alors des mesures et aides en faveur des établissements spécialisés qui accueillaient les personnes handicapées, mais également tout établissement et entreprise « ordinaires » dans lesquels ces personnes étudiaient (établissement scolaire par ex.) ou travaillaient (entreprise, administration…). Deux services de l‟Etat et déconcentrés dans chaque département sont créés : la CDES et la COTOREP, instance d„évaluation et d‟attribution (décision) des prestations de compensation, la première compétente sur les dossiers Enfants (jusqu‟à l‟âge de 16-20 ans, dépendant si cet enfant était déjà dans un processus de parcours professionnel), l‟autre sur des dossiers Adultes. Ces commissions précisent le taux d‟incapacité à l‟aide d‟un outil barème, décident de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (COTOREP), proposent une orientation vers des structures spécialisées et déterminent si leur état justifie l‟attribution d‟allocations spécifiques. Bien que fondatrice, cette loi de 1975 présentait des faiblesses importantes. Elle ne définissait pas explicitement la notion de handicap, que les outils de cotation utilisés par les CDES et COTOREP et les pratiques vont surtout envisager dans sa dimension médicale, et selon un principe essentialiste (on EST handicapé). Bien qu‟associant les associations des personnes handicapées à la gestion des établissements médico-sociaux, elle donne peu de moyen à une véritable gestion partenariale ni même à l‟expression de la personne elle-même à la revendication de ses droits. Par ailleurs la loi se centrait davantage sur une logique de dispositif (allocation, mesures de compensation…, selon une appréhension administrative des droits à allouer) que d‟intervention et d‟accompagnement tout au long de la vie ; pour preuve l‟insatisfaction des intervenants quant à la relation entre Etat –Départements – Etablissements qui était mal organisée, alors que ces établissements (fonctionnant en grande partie sur des budgets Etat ou Département) avaient la charge d‟accompagner les personnes handicapées. Par ailleurs, les lois de juin 1975 se sont révélées peu à peu impuissantes face à la montée d‟un environnement complexe fait de crises économiques, d‟accroissement des populations dépendantes et défavorisées, d‟approches nouvelles en termes de soin, et face à la montée d‟une posture de « clients » de ceux habituellement appelés des bénéficiaires ou usagers, revendiquant des droits nouveaux, une parole et une place nouvelles dans la société tout autant que dans l‟élaboration de leur plan d‟aide et d‟accompagnement. Un pas décisif a été introduit par la loi du 2 janvier 2002, dite de rénovation de l‟action sociale et médico-sociale, dans un contexte réglementaire rénové (lois de décentralisation, qui accordent notamment la compétence de mise en œuvre des politiques publiques sociales aux Conseils Généraux, création de la PSD9…). Avec cette loi de 2002, les droits fondamentaux des personnes dépendantes et des valeurs fortes (dignité, intégrité, vie privée, intimité, sécurité, prise en charge personnalisée, qualité, continuité et personnalisation du parcours de vie…) sont affirmés. Le consentement éclairé de la personne est recherché, obligeant à l‟information et au dialogue. Des outils sont conçus, qui participent au bon fonctionnement des établissements médico-sociaux, et concrétisent les avancées législatifs : 9
PSD : prestation Spécifique Dépendance, créée par la loi de de janvier 1997
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le CVS (Conseil de la Vie Sociale, instance qui composée d‟une majorité de résidents, ouvre un champ de parole et de responsabilisation de ces usagers, le livret d‟accueil, la charte des droits et des libertés, le projet d‟établissement…). La prise en charge de la personne dépendante (ou l‟évaluation de sa situation) se fait au regard de son projet de vie, qu‟elle est fortement encouragée à élaborer. Enfin cette loi de 2002 promeut l‟expérimentation en faveur de nouveaux modes de prise en charge et encourage les établissements à coopérer avec les différents acteurs du champ social et médico-social. C‟est donc une complexification du paysage institutionnel et organisationnel qui s‟est peu à peu structuré au fil du temps, offrant certes un contexte propice à des innovations, mais rendant difficile de comprendre « qui fait quoi » tout autant que d‟aligner des conceptions et des intérêts entre l‟ensemble de ces parties au bénéfice de la personne handicapée. C’est alors les notions et outils qui visent à assurer une continuité dans le parcours de vie de cette personne, la mise en œuvre effective de son projet de vie, et une personnalisation de son accompagnement qui en souffrent. La loi de février 2005, issue de nombreuses réflexions et travaux expérimentaux a apporté des novations attendues par l’ensemble des acteurs du champ.
Petit exposé sur une grande loi : le dispositif du 11 février 2005 L‟intitulé de la loi de février 2005 imprime clairement son ambition, qui va bien au-delà de l‟énoncé technique des aides pouvant être accordées, pour promouvoir une autre façon de vivre ensemble malgré, ou grâce, aux différences : « loi pour l‟égalité des droits et des chances pour la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », et répondant ainsi aux revendications des associations de ces personnes. Ainsi la loi pose une double obligation : celle de l‟accessibilité à une vie citoyenne (et donc privée et professionnelle) et celle de la compensation des conséquences d‟être en situation de handicap. C‟est également cette dernière formulation qui est particulièrement nouvelle. L‟appréhension essentialiste (on EST handicapé) du handicap est abandonnée au profit d‟une appréhension contextualisée. Et pour la première fois, une loi définit le handicap, qui, si elle n‟est pas tout à fait satisfaisante, apporte deux novations importante : le handicap est défini par rapport à l‟environnement de la personne handicapée, rompant ainsi avec la vision strictement sociomédicale qui prévalait (10) ; la reconnaissance du handicap mental et psychique. Il en découle une manière renouvelée à considérer la compensation des situations de handicap. Compenser, c‟est contrebalancer, équilibrer, c‟est agir pour diminuer les effets pénalisants d‟un état, d‟un empêchement, d‟un contexte. Pour garantir « l‟égalité des droits et des chances », pour faciliter « la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », il faut mettre en œuvre des dispositions particulières, susceptibles de faciliter ce qui devient difficile pour certains, de permettre une vie le plus autonome possible, tant au plan du choix de vie, de sa volonté, que de sa capacité à l‟exercer. Cette compensation a tout d‟abord une dimension collective et une large partie de la loi fait obligation à la Société d‟organiser de manière systématique l‟accessibilité des personnes handicapées à leurs environnements.Le parti pris n‟est plus celui des droits spécialisés, mais au contraire d‟intégrer ces personnes dans le droit commun (aidées par ces mesures de 10
Dans son article 2, la loi édicte : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
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compensation), dans les domaines du logement, du travail, de l‟école, de l‟accès à l‟emploi... C‟est ainsi que la personne handicapée est avant tout une Personne, changeant ainsi radicalement le rapport au « handicap ». La compensation a également une dimension individuelle et c‟est pour parvenir à une mise en œuvre effective de la loi que celle-ci une prestation de compensation du handicap (PCH) destinée à favoriser une vie digne et la plus autonome possible (11), prenant la forme d‟aides personnalisées (voir ci-après, quant au rôle de la MDPH) tenant compte de la situation de la personne et de son projet de vie. Cette notion de projet de vie est un élément cardinal de la loi de février 2005. Par ce vocable, la personne handicapée n‟est plus (simplement) l‟objet d‟attentions, de prises en compte ou de prises en charge, ou encore le destinataire de décisions, le bénéficiaire de droits et allocations, mais elle initie véritablement, par ses désirs exprimés, un processus de réponse à des besoins la concernant.
Présentation des MDPH (et des CDAPH) C‟est pour accompagner cette ambition que la loi créée également, par son article 64, les MDPH, dont nous avons évoqué en introduction, brièvement, leur rôle : celui d‟évaluer les demandes de compensation déposées par les personnes handicapées, la décision étant prise en CDAPH. Les MDPH sont avant tout un guichet unique qui met fin au véritable parcours du combattant des personnes handicapées (et souvent de leurs familles ou de leurs aidants) dans l‟accès à l‟information et aux droits, longtemps réclamé par l‟ensemble des associations les représentant. Leur mission est : l‟accueil, l‟information, l‟accompagnement, le conseil, l‟aide à la formulation du projet de vie ainsi que la sensibilisation des citoyens aux handicaps et la mise en place d‟équipes pluridisciplinaires d‟évaluation, de la Commission des droits et de l‟autonomie des personnes handicapées (CDAPH), de procédures de conciliation, l‟aide à la mise en œuvre des décisions prises par la CDAPH, incluant l‟accompagnement de cette décision et les médiations que cette mise en œuvre requiert. Elles sont, sur un plan juridique, un GIP (groupement d‟intérêt public) placé sous la tutelle juridique et financière du Conseil Général (et non plus un service de l‟Etat déconcentré dans les départements). Elles sont ainsi structurées : -
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une Commission Exécutive (la Comex) délibère sur les sujets liés à la politique et l‟administration de la MDPH, votant notamment son budget de fonctionnement, validant son rapport d‟activité, et statuant sur son fonctionnement interne ou encore le fonctionnement de la CDAPH ; le président du Conseil Général est président de droit de la Comex ; le directeur de la MDPH, nommé par la Comex, et ayant un pouvoir hiérarchique sur les salariés de la MDPH (voir-ci-après) ; une partie de ces salariés est organisée en équipe d’évaluation pluridisciplinaire (EPE12), qui évalue toute demande d‟une personne, reçue par la MDPH et déclarée
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Ainsi près de 80.000 personnes (en 2010) bénéficiaient de la PCH pour un montant mensuel moyen de 980 euros (contre 450 euros avec l’ancienne prestation). 12 La loi définit ainsi le rôle des EPE : elle définit l’équipe pluridisciplinaire comme dédiée à l’évaluation « des besoins de compensation de la personne handicapées et son incapacité permanente sur la base de son projet de vie et de références définies par voie règlementaires et propose un plan personnalisé de compensation du handicap ».Les EPE sont donc constituées de salariées des MDPH mais dont également appel à
des expertises extérieures spécialisées en tant que de besoin. Corinne Grenier – Septembre 2012 – www.thinktankdifferent.com
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recevable ; cette équipe réunit des compétences aussi variées que possible (pour tenir compte du regard complet à porter sur une situation de handicap, qui n‟est plus strictement médical), telles que : psychologues, ergothérapeutes, médecins, assistants sociaux ; et auxquels d‟adjoignent, selon la spécificité des demandes, des compétences spécialisées extérieures (sur l‟autisme par ex.) ; la CDAPH.
Cette Commission des Droits et de l’autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) constitue également une innovation majeure de la loi de février 2005, qui a voulu instaurer une nouvelle forme de gouvernance dans l‟attribution des droits, en séparant l‟instance en charge de l‟évaluation (MDPH) et l‟instance en charge de la décision (CDAPH). Sont membres de cette commission des représentants de la collectivité départementale (élus du Conseil général ou leurs suppléants), des administrations de l‟Etat DDCSPP et ARS (13), la DIRECCTE (14) et de l‟Education Nationale (inspecteur académique sur le département) mais également les organismes d‟assurance maladie et de prestations familiales, les organisations syndicales de salariés et de fonctionnaires, les organisations professionnelles d‟employeurs, les associations de parents d‟élèves, des représentants d‟organismes gestionnaires d‟établissements ou de services pour personnes handicapées, un membre désigné par le CDCPH (15)et surtout les associations de personnes handicapées et de leurs familles. La CDAPH est ainsi composée de 23 membres. D‟une composition très hétéroclite, l‟ambition de la loi était de faire participer collectivement à l‟attribution des droits l‟ensemble des acteurs concernés par la problématique du handicap, quelque soit l‟âge (enfant ou adulte) des personnes concernées. Revenons quelques moments sur le directeur des MDPH. Pierre angulaire de leur fonctionnement et des relations avec les partenaires extérieurs, il voit son rôle défini par l‟article L.146-4 de la loi qui stipule que « le directeur [de la MDPH] est nommé [par arrêté départemental] par le président du Conseil général », dans la logique où le président du Conseil Général est président de droit du GIP et en assure la tutelle administrative et financière. La fonction du directeur est définie globalement dans la convention constitutive dont la signature par les membres de droits marque la naissance du GIP départemental. Cette convention édicte en substance que « [Le directeur] dirige la maison départementale et dispose de tous les pouvoirs nécessaires à sa gestion. A cette fin, il confie à l’ensemble du personnel de la maison leurs fonctions et exerce sur eux une autorité fonctionnelle. Il prépare et exécute les délibérations de la commission et assiste aux réunions avec voix consultative. Le directeur de la maison départementale des personnes handicapées exécute également les décisions du comité de gestion du fonds départemental de compensation du handicap et rend compte aux membres de la commission exécutive et aux contributeurs de ce fonds de l’usage des moyens ».Mais ce pouvoir et rôle lui sont généralement dévolus par un conseil d‟administration ou toute autre instance délibérative (par ex. la Comex de la MDPH). Il a donc pour principale mission de mettre en œuvre les décisions de ces instances. L‟ambition de la loi est très belle mais porte pourtant en elle-même la plupart des ferments à sa délicate mise en œuvre. C‟est ce que nous allons analyser ci-dessous pour proposer des recommandations pour une véritable appropriation des MDPH.
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La DDCSPP : Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations ; l’ARS : Agence Régionale de Santé. 14 Qui a pris les champs d’intervention de l’ancienne DDTE-FP ; DIRECCTE : Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi 15 Comité départemental consultatif des personnes handicapées.
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… Quand la complexité du dispositif et les pratiques professionnelles freinent l’ambition voulue par la loi La mise en place des MDPH (et CDAPH) a connu un processus lent et incertain, compréhensible au regard de la complexité de ces dispositifs et de la loi, mais qui peuvent aboutir, s‟il n‟est pas mis en évidence et interrogé, à un affaiblissement de l‟ambition législative. Nous allons dans cette partie mettre en évidence les principaux écueils et difficultés que les acteurs ont rencontrés. Il ne s‟agit aucunement de prétendre que tous les ont rencontrés ni qu‟ils n‟ont pas fait l‟objet de résolution. Cependant tous questionnent la capacité des acteurs à s‟approprier un dispositif complexe et à répondre à son esprit, à savoir l‟ambition portée par la loi de février 2005. Ce qui suit relèvera davantage d‟une énumération de ces principales faiblesses, auxquelles nous répondrons dans la dernière partie de cette note. Un contexte de mise en œuvre complexe Mais avant d‟entamer cette énumération des principales faiblesses, il est important de comprendre combien le contexte de mise en œuvre des MDPH (et CDAPH) fut lui-même délicat. Votée en 2005, la loi a très vite rencontré ce qui sera l‟une des principales difficultés : la crise économique qui, d‟un côté incitait nombre de personnes en situation de handicap à reconnaître leur situation et à demander une compensation, face à un milieu économique de moins en moins propice à intégrer des personnes qu‟il pouvait juger moins « productive », et face à un milieu scolaire qui avait du mal à recruter (faute de budget) des AVS (16), et d‟un autre coté une moindre implication financière de l‟Etat et des collectivités locales, rendant délicate l‟exercice plein des prérogatives des MDPH en matière d‟évaluation et de proposition de plans de compensation. Ainsi, l‟ADMDPH notait encore en 2010 que les MDPH restaient des organisations encore fragilisées « par le non-respect des engagements de l’Etat, par la crise économique et la forte tension dans les budgets des collectivités territoriales qui tend à rationaliser toutes les procédures et les organisations » (ADMPH, 2010) Un second élément de contexte concerne plus directement le mode opératoire des MDPH. Elles ont dû « du jour au lendemain » mettre en œuvre un nouvel ensemble législatif complexe et une croissance importante des demandes de compensation, en raison notamment de l‟élargissement par la loi de la définition du handicap, ouvrant largement l‟éventail des personnes pouvant prétendre à bénéficier de droits et allocations. Elles ont eu aussi à reprendre et traiter les nombreux dossiers en cours d‟examen ou laissés en suspens (en attente de la mise en place de ces Maisons) par les anciennes CDES et COTOREP. Alors que la grande majorité des MDPH ont intégré dans leurs équipes les anciens salariés de ces deux commissions déconcentrées, l‟on peut facilement comprendre la tentation à reproduire leurs modes de travail qui prévalaient depuis 30 ans. De plus, des difficultés liées au statut social de ces personnels (différences de traitement entre les anciens des CDES et des COTOREP…) ont expliqué la difficulté des MDPH à stabiliser un personnel, et donc à stabiliser de nouvelles pratiques, rendues délicates par – comme nous venons de le dire – une surcharge importante de travail, ne permettant pas d‟organiser des temps de réflexion sur la manière de faire et d‟inventer au concret la MDPH.
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AVS : auxiliaire de vie scolaire, en charge d’accompagner dans leur scolarité des enfants en situation de handicap.
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Enfin, les équipes des MDPH ont dû apprendre à concevoir et organiser cette nouvelle gouvernance partenariale alors qu‟en CDAPH siègent tout à la fois des institutions déjà partenaires des anciennes commissions (et qui elles aussi devaient « désapprendre » leurs anciennes pratiques pour s‟approprier la loi de février 2005), mais aussi de nouveaux partenaires, et notamment les associations représentantes des personnes handicapées, qui ont dû inventer leur rôle. Dans ce contexte, nous avons noté trois ensembles de difficultés que nous parcourons cidessous. Une structuration délicate à mettre en œuvre Quelle autonomie par rapport aux Conseils Généraux ?
La loi de février 2005 reconnait l‟autonomie des MDPH par rapport aux Conseils Généraux, même si ces derniers en assurent la tutelle juridique et financière (budget de fonctionnement), et cela grâce à l‟instrument du GIP. Récemment réaffirmé par une loi de 2011 venant compléter celle de 2005, ce principe souffre cependant dans nombre de départements ; et voit-on de nombreux Conseils Généraux qui ont intégré dans leurs services (et symboliquement dans leurs propres locaux) les MDPH, ce qui signifie un détournement et une incompréhension profonde de la loi de février et du principe de gouvernance partenariale qu‟elle a voulu instituer. Cela illustre par cette visée de normalisation, « la volonté de manager en direct, sur le modèle classique des services départementaux, un projet innovant et complexe qui n’a pas été conçu pour qu’il en soit ainsi » (Rapport moral 2010, ADMDPH). C‟est donc le rôle fondamental des MDPH qui est en question : sont-elles de simples structures au service de la politique sociale édictée par leurs Départements, mais aussi par les acteurs nationaux ? Ou sont-elles des pleins acteurs stratégiques chargées d‟analyser leurs environnements pour mettre en œuvre leurs missions et en conséquence de faire remonter toute information utile aux conseils généraux et à l‟Etat ? C‟est naturellement cette dernière assertion qui est la nôtre, mais qui requiert la construction de compétences politiques et stratégiques, et une réelle reconnaissance de leur autonomie. Quelles organisations interne répondant à l’esprit de la loi d’une approche longitudinale de la personne handicapée ?
Autre élément de structuration délicate, l‟organisation interne des MDPH qui s‟est dans une grande majorité des cas reconstituée en un pôle Enfant et un pôle Adulte, faisant d‟ailleurs image avec cette même organisation en CDAPH, réunie en une commission Enfant et une commission Adulte. Ce sont alors plus facilement les anciennes pratiques qui ont prévalu pendant quelques années au sein des MDPH, au contraire de l‟esprit de la loi qui prône une approche longitudinale de la personne handicapée, son dossier étant traité en continuité par une même équipe tout au long de l‟avancée en âge, et donc en pratique en rupture autour du passage des 16-20 ans. Cette structuration a non seulement contribué à faire perdurer les anciennes pratiques, mais elle explique aussi que les nouveaux dispositifs et instruments prônés par la loi de 2005 aient été bien souvent mis en œuvre de manière différenciée dans chacun des deux pôles ou des deux commissions. Exemple : les partenaires en appui avec la CNSA ont élaboré un outil de cotation de la situation du handicap pour en faciliter son évaluation et instruire l‟ensemble des éléments en
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conformité avec la loi, le GEVA (17). Or constate-t-on que cet outil est bien souvent utilisé différemment dans les pôles Enfant et Adulte, et entre les pôles (Adulte ou Enfant) de différentes MDPH. Exemple : il en va de même quant au fonctionnement des CDAPH. Afin d‟alléger leur charge de travail et porter une attention certaine à des demandes complexes, ont-elles souvent décidé de constituer en une liste l‟ensemble des demandes de simple renouvellement pour statuer globalement (et non pas sur chaque demande) ; cette technique est également très souvent appliquée différemment par les commissions enfant ou adulte…. Au-delà de ces exemples, ceux-ci posent l‟égalité face à la loi et l‟équité dans la mise en œuvre de cette loi, différenciée selon l‟âge, au contraire de son esprit. Naturellement, les MDPH ont peu à peu revu leur structuration interne pour supprimer cette double organisation administrative ; mais en reste-t-il des façons de faire différentes qu‟il reste à harmoniser. Comment articuler évaluation et décision et faire vivre la gouvernance partenariale promue par la loi ? Ce sont tout à la fois les acteurs des MDPH et des CDAPH qui ont éprouvé de grande difficulté à faire vivre ce nouveau principe de de gouvernance qui sépare l‟instance évaluatrice de l‟instance décisionnelle. « Perte de pouvoir » pour ceux des MDPH (qui en grande majorité évaluaient et décidaient dans les anciennes instances), « suspicion de contrôle » par les membres de la CDAPH à la vue de dossiers très informatifs, considérés alors comme laissant peu de place à une réelle discussion et décision en leur sein. Plus largement, que signifie « fournir une information pertinente » à la CDAPH sans paraître orienter sa décision ? Mais aussi comment accepter une décision contraire par cette Commission à ce qui avait été proposée par l‟EPE, sur la base d‟un long processus d‟évaluation ? Cette sorte de suspicion se cristallisait sur certains éléments de procédure tels que le montrent les nombreux exemples suivants qui ont eu cours dans un grand nombre de Maisons : Exemple : l‟anonymat des dossiers examinés en CDAPH : voulu par les salariés des MDPH car craignant que les membres de la Commission (et en particulier les associations) ne décident sur des éléments additionnels en leur possession, parce qu‟ils pourraient connaître la personne dont le dossier est examiné ; mais refusé par ces membres, arguant de l‟importance à connaître la personne pour personnaliser au mieux la décision ; Exemple : la fabrication d‟une jurisprudence en CDAPH : voulue par les membres de la CDAPH pour stabiliser leurs décisions et parvenir à une équité dans l‟application de la loi, pouvant être considérée avec méfiance par certains acteurs de certaines MDPH, car alors perçue comme appelant à un certain formatage de leur propre travail d‟évaluation ; Exemple : le format de présentation d‟un dossier en CDAPH : doit-il être décidé par cette commission ou par les membres de la MDPH ? alors que ce format, souhaité par tous, est aussi perçu comme une tentative de normalisation par l‟un des parties du travail de l‟autre partie… C‟est donc de manière très pragmatique que s‟est exprimée cette difficulté à saisit l‟articulation entre évaluation et décision, dans un contexte où les partenaires ne se connaissaient pas ou quand chacun devait réinventer son propre rôle.
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GEVA : Guide d’EVAluation multidimensionnelle
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Des outils complexes à appréhender Enfin la délicate invention localisée des MDPH se lit dans la difficulté à se saisir des outils prévus par la loi (projet de vie, PPC) ou élaborés par la suite pour sa mise en œuvre (GEVA). Le projet de vie porte une ambition forte : donner la parole à la personne handicapée pour mieux comprendre ses désirs et définir les modalités de compensation de son handicap. Mais comment donner la parole à une personne qui très souvent a du mal à exprimer son handicap (voire qui est en déni de ce dernier) ? Comment traduire les propos d‟une personne tout en la laissant à sa place, et sans être déjà dans l‟évaluation ? Les associations ont naturellement embrassé ce dispositif qui offre une véritable place à la parole aux personnes handicapées et les ont très largement accompagnées dans cet exercice de formulation. A tel point que les acteurs de la MDPH ont porté un regard de suspicion sur cet outil dont ils avaient du mal eux-mêmes à se servir, quand le projet de vie n‟était plus qu‟une liste de droits et allocations que les personnes donnaient… sur le conseil des associations. Faute d‟une réflexion nationale sur cet outil, on observe encore de nombreux bricolages qui ne satisfont personne. Une fois le travail d‟évaluation mené, et quelque soit la prestation ou la nature de la demande, les MDPH doivent élaborer un PPC (plan personnalisé de compensation) qui récapitule les réponses proposées par l‟équipe pluridisciplinaire, et l‟adresser à chaque usager pour qu‟il puisse faire part de son avis et de ses remarques éventuelles, avant que la CDAPH ne se prononce. Mais la réalité est bien différente: beaucoup de MDPH ne procèdent pas ainsi, ou n‟élaborent ce PPC que pour les demandes de prestation de compensation du handicap (PCH) : manque de temps et de ressources, absence de formation des équipes à sa rédaction, très faible retour de la part des personnes concernées, ce qui n‟encourage pas les MDPH à poursuivre cette mise en œuvre… C‟est pourtant un élément important qui garantit la parole de l‟usager. Et cette difficulté à mettre en œuvre la loi sur cet élément traduit finalement la difficulté des équipes à donner pleine parole à la personne handicapée et à accepter que cette dernière puisse remettre en cause le travail d‟évaluation qui aura été conduit. Enfin c‟est pour faciliter et accompagner le travail des équipes d‟évaluation que la CNSA a, avec le concours de plusieurs MDPH, élaboré un outil de cotation appelé GEVA, et institué réglementairement par décret et arrêté de février 2008. Il comporte 8 volets (18). Le GEVA porte fondamentalement la nouvelle définition du handicap consacrée par la loi qui tempère largement une vision du handicap biomédicale et centrée sur l‟individu, pour accorder davantage de poids aux facteurs environnementaux et aux choix de vie de la personne. Or son utilisation n‟est pas neutre : coter, donc en pratique « mettre en croix dans une case » offre forcément un regard réducteur que bon nombre d‟équipes d‟évaluation ne voulaient pas adopter. Réaliser la synthèse (volet 8) suppose alors d‟articuler les différentes informations, et donc de leur donner « un poids » pour ne retenir que les principales, obligeant les acteurs à savoir se détacher des anciennes pratiques qui donnaient une prédominance au regard médical pour faire valoir les autres points de vue (ergothérapeutes, psychiatres..). C‟est alors un difficile processus de légitimation de la parole de tous ceux qui participent à l‟évaluation qui est en jeu. Coter n‟est pas un exercice neutre pour cette autre raison ; doit-on évaluer au regard de la seule situation de la personne ou en tenant compte des ressources existantes dans le 18
Le GEVA permet d’instancier les informations nécessaires à une bonne évaluation : l’identité de la personne (volet 1), la situation sociale et les ressources (volet 2), l’habitat (volet 3), le cadre de vie et les transports (volet 4), le parcours de formation (volet 5), le parcours professionnel (volet 6), les éléments médicaux (volet 7). Un volet 8 permet de faire la synthèse de l’ensemble des informations et d’élaborer le PPC.
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département (établissements spécialisés, AVS…. ?) ? Est-il possible ou utile de proposer un PPC optimal, au risque de créer de faux espoirs, ou un PPC qui intègre des contraintes ? L‟on retrouve ici, le débat exposé plus haut sur le rôle des MDPH : agent au service de politiques sociales édictées par les Conseils Généraux et les instances nationales, ou acteur stratégique pouvant contribuer, par leur connaissance de la situation des personnes handicapées, à faire évoluer ces politiques ? Ce sont donc toutes les questions que les acteurs des MDPH et des CDAPH ont eu à embrasser. Mal résolues, elles peuvent précipiter ces dispositifs dans un risque de technocratisation et mettre à mal l‟autonomie des MDPH et l‟ambition de la loi.
Propositions : une triple lecture des MDPH pour répondre à l’ambition voulue par la loi (19) Pour accompagner ce changement majeur, nous proposons la grille de lecture suivante de la MDPH à partir de laquelle nous articulerons nos recommandations. Cette grille articule les trois fonctions de cette organisation : -
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la fonction sociétale– ou comment « être ensemble », à savoir s‟approprier la loi pour que la personne handicapée soit pleinement restaurer dans sa capacité et ses droits à être un citoyen (pourrions-nous dire même un citoyen « ordinaire ») ; la fonction politique– ou comment « décider ensemble », à savoir élaborer des modes de décisions qui sachent prendre en compte l‟ensemble des points de vue des acteurs et organisations qui composent les équipes pluridisciplinaires et la CDAPH ; la fonction managériale – ou comment « faire ensemble », à savoir élaborer des outils et des pratiques pour réaliser l‟évaluation des demandes des personnes handicapées dans le sens voulu par la loi.
Ces trois fonctions visent au respect de principes d‟actions et reposent sur des ressorts d‟actions, que le tableau ci-dessous présente : Les fonctions de la MDPH La fonction sociétale « être ensemble »
Les principes au nom duquel la fonction est mise en action Le Principe d’une approche globale et longitudinale de la PH pleinement citoyenne et acteur Ce principe questionne la capacité de la MDPH à mettre en œuvre la loi de février 2005 en apportant une réponse aux PH au regard de leur projet de vie (approche longitudinale) et en considérant la PH comme citoyenne et acteur (approche globale). La fonction Le Principe d’autonomie Ce principe questionne la capacité de la politique MDPH à mettre en œuvre sa mission et une « décider
Les ressorts d’action 1° ressort – Mission et sens de la MDPH 2° ressort – La fabrique du sens par la MDPH (20)
1° ressort – La gouvernance de la MDPH 2° ressort – La
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Cette partie reprend l’analyse conduite dans l’ouvrage : « Les MDPH : une organisation innovante dans le champ médico-social », co-écrit par Bernard Laborel (directeur MDPH) et l’auteure de cette note, sorti en novembre 2011 aux Editions Eres. 20 Le terme de « sens » réfère ici à une double signification : ce qui donne cohérence à un dispositif, ce qui projette ce dispositif dans une direction d’action.
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action qui lui est propres, en lien avec les différentes parties prenantes avec lesquelles elle doit composer. Le Principe de diversité Ce principe questionne la diversité des parties prenantes associées au pilotage, à la décision et à la gestion de la MDPH. La fonction Le Principe d’équité Ce principe questionne la capacité de la managériale MDPH, à travers sa structure, ses outils, et la « faire manière de convoquer les expertises et ensemble » revendications, à répondre de manière équitable aux demandes des PH (citoyennes et acteurs). ensemble »
construction de la diversité des parties prenantes
1° ressort – Le rôle du directeur 2° ressort – La fabrication d‟une culture et d‟un langage 3° ressort – La fabrication des outils de travail
C‟est donc en nous appuyant sur cette grille de lecture que nous proposons quelques recommandations pour l‟action des acteurs des MDPH. De quelques recommandations pour s’approprier la MDPH dans sa fonction sociétale (i.e. « être ensemble ») Du principe de la fonction sociétale
La MDPH ne gère pas seulement des services, elle ne répond pas seulement à des besoins sociaux et économiques. Elle incarne, porte et met en action une mission sociétale que lui a conféré la loi. Son action n‟est donc pas que technique (bien appliquer la loi) mais relève de cette mission, de cet engagement sociétal : contribuer à une vie sociale meilleure en produisant de la richesse sociale et du sens politique. Elle incarne ce que la société a pour projet et comme représentation la compensation du handicap, pour offrir à tout un chacun handicapé les mêmes conditions et opportunités de vie, personnelle, professionnelle, sociale, citoyenne. Dès lors, la MDPH se trouve confrontée à deux principales situations : comprendre son engagement, l‟essence de la loi ; mettre en action cet engagement, au regard d‟un environnement local (celui du département), fait de contraintes mais aussi d‟exigences particulières. Pourtant avons-nous vu combien les MDPH sont de plus en plus soumises à un impératif de réalisme économique et managérial. La MDPH est en particulier confrontée à des injonctions qui en découlent, en tant qu‟organisation gestionnaire d‟un budget et devant rendre des comptes. Ces injonctions sont d‟ordre économique (gérer au mieux les demandes de compensation au regard des contraintes budgétaires de ses partenaires), d‟ordre managérial (gérer au mieux son propre budget, s‟agissant souvent de faire toujours plus à ressources constantes) et d‟ordre rationalisant (imposé ou quasi-imposé par des outils et dispositifs prescrivant de plus en plus la manière d‟évaluer, de décider et d‟évaluer). C‟est donc bien en repensant sa mission et le sens de son action que la MDPH sera mieux à même d‟assurer sa fonction politique et managériale. Or le risque est pour les acteurs de n‟avoir qu‟une compréhension « technocratique » de la MDPH, s‟ils se réfèrent au seul article 64 de la loi qui définit (succinctement) son rôle, alors que l‟essence même de ce rôle est contenue dans le reste du texte.
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De quelques recommandations pour s’approprier la fonction sociétale
Pour penser et comprendre pleinement la mission des MDPH, à savoir ce pour quoi elles existent et quelles sont leur raison d‟être, ces organisations doivent « fabriquer du sens » et non pas être une simple « boutique de sens » (Rousseau, 2007). Par l‟expression de « boutique de sens », l‟auteur nous décrit la situation d‟une organisation où les injonctions venues de l‟extérieur et les échanges externes prédominent, définissant et imposant la mission. Les individus de l‟organisation sont alors en simple position d‟agentsexécuteurs, sans réelle prise de conscience et assimilation de ce que doit être cette mission. Elle se trouve vidée de sens concret et approprié et les agents vont, dans leur travail, répondre à un problème (une demande de compensation), plutôt de construire, à savoir interroger et comprendre, la situation de la demande de compensation. Considérée comme une boutique de sens, l‟organisation agit en tant que « problem-solving » et non pas en tant que « problem-building ». Au contraire, par l‟expression de fabrique de sens, Rousseau nous interpelle sur les capacités d‟une organisation à s‟approprier une mission donnée par un acteur ou une institution extérieurs (la loi par ex.), à faire sienne cette mission, et à lui donner un sens. Il est question d‟une « ingénierie de sens » (Rousseau, 2007). Comment construire cette ingénierie de mission ? S‟interroger à tout moment sur les mots clés de la mission de la MDPH : personne en situation de handicap, autonomie et citoyenneté de cette personne, accompagnement, projet de vie… ; Exemple (21) : la MDPH de Meurthe et Moselle a mis en place des temps d‟échanges entre usagers et associations pour développer une compréhension commune de cet outil qu‟est le projet de vie. “L’expérience d’un pair facilite l’expression des usagers”, reconnaissait Stéphane Dussine, directeur de la MDPH. Par ailleurs, sur le site Internet, un espace est dédié au projet de vie sous forme de questions/réponses. Dès 2009, elle a élaboré un document de communication sous forme de bande dessinée pour démystifier cette notion de projet de vie et sortir de son acceptation par trop administrative (22) ; Exemple (23) : la MDPH du Val de Marne a mis en place des accueils spécifiques pour notamment les personnes atteintes d‟un handicap psychique (20% des demandes), sous la forme d‟une permanence par l‟UNAFAM (24) dans les locaux de la MDPH et une psychologue. -
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S‟interroger sur le département dans lequel chaque MDPH opère : est-ce un espace de ressources (25) naturellement limitées auxquelles elle doit s‟adapter ? ou est-ce un espace sociétal en devenir qui doit s‟enrichir de ces ressources pour mieux répondre aux besoins de ses citoyens ? Pour ce faire, certaines MDPH ont mis en place des
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Extrait du feuillet « les MDPH d’un département à l’autre » édité par la CNSA, février 2010, n° 3 Extrait du feuillet « les MDPH d’un département à l’autre » édité par la CNSA, février 2009, n° 2 23 Extrait du feuillet « les MDPH d’un département à l’autre » édité par la CNSA, février 2012, n° 5 24 UNAFAM : Union NAtionale des Familles et AMis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (www.unafam.org) 25 Ces ressources sont variées : la capacité financière de chaque Conseil Général dans ses politiques sociales en faveur du Handicap (dans oublier que ces instances doivent financer d’autres politiques sociales, et notamment la Vieillesse), la capacité en lits ou places des établissements socio-médicaux pouvant accueillir des personnes handicapées, des expertises spécialisées pouvant participer à l’évaluation des demandes de compensation… 22
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observatoires pour mieux identifier avec les conseils généraux (mais aussi les ARS) ces ressources manquantes, et tenter d‟agir en conséquence (26); Exemple (27) : en 2009-2010, la MDPH des Hautes Pyrénées a recruté un professionnel en charge de l‟effectivité. Son rôle: suivre l‟application des décisions en faisant un état des lieux par type de structures et en établissant des listes d‟attente des usagers qui n‟ont pas intégré un établissement. Deux études d‟effectivité ont déjà été réalisées : la première pour les ESAT, la deuxième pour les SESSAD, et une troisième est en cours pour les FAM, MAS et foyers de vie. Les ESAT ont par la suite souhaité qu‟avec la MDPH soit constitué un comité de coordination des entrées et des sorties, pour traiter, au cas par cas, les situations des personnes qui, orientées en ESAT, n‟ont pas encore de place. “L’objectif pour la MDPH est de créer des comités de coordination pour les différents types de structures, et d’aboutir ainsi à la constitution d’un “réseau-observatoire” disposant de données actualisées mensuellement pour objectiver les discussions sur le futur schéma départemental et préconiser des évolutions sur les capacités et offres des établissements”, explique Romain Cabaup, son directeur ; Exemple (28) : de même la MDPH des Pyrénées Orientales a conçu un web partagé permettant aux établissements médico-sociaux de renseigner en temps réel les entrées et sorties, le nombre de places disponibles et surtout les demandes sur liste d‟attente. « Ce nouveau dispositif nous permet … d’assumer notre rôle d’observatoire des besoins en équipements », assure la directrice adjointe de la MDPH. -
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Avoir une capacité à produire sa propre jurisprudence, pour « situer », à savoir prendre en compte les spécificités de chaque département dans la manière à comprendre et donner sens à la loi de février 2005. Cela relève aussi de la nécessité d‟articuler ce texte général avec la complexité des situations étudiées, parce que « il faut de la nuance pour comprendre les nuances du monde, et cette capacité permet également d’agir de manière complexe et nuancée » (Vidaillet, 2003) ; Savoir mettre tous les acteurs en position de faire sens de ce qui se passe autour d‟eux (Weick, 1993), à savoir mener un processus de sensemaking (Ibid.) entre l‟ensemble des acteurs qui discutent des décisions en Comex, en CDAPH, des modes de travail en EPE… et qui alors « construisent » leur environnement dans lequel ils veulent agir.
Cette mission passe aussi par une connaissance concrète du dispositif des MDPH par leurs bénéficiaires, qui restent complexes (procédures nombreuses de dépôt de demande, formalisme des documents à produire, étapes de l‟instruction des dossiers…). Exemple (29) : pour organiser son pôle “accueil et recevabilité”, la MDPH de Moselle s‟appuie notamment sur la participation des associations, qui tiennent deux permanences par semaine pour donner des informations généralistes sur le handicap et accompagner dans l‟expression du projet de vie. Celle du Val-de-Marne s‟appuie sur les CCAS (30) du département. Celle de Paris a mis en place une boite mail « accueil », s‟engageant à gérer les mails dans les trois jours.
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Venant conforter les propos du Médiateur de la République dans le numéro spécial du Médiateur Actualité d’avril 2010, consacré aux 5 ans de la loi de février 2005, et constatant avec regret combien d’handicapés ou de parents d’enfants du Nord et Est de la France se tournent vers les pays frontaliers (et notamment vers la Belgique) où des structure d’accueil et de prise en charge sont plus variées et accessibles, en raison du déficit de structures (notamment pour les enfants) en France. 27 Extrait du feuillet « les MDPH d’un département à l’autre » édité par la CNSA, février 2010, n° 3 28 Extrait du feuillet « les MDPH d’un département à l’autre » édité par la CNSA, février 2012, n° 5 29 Extrait du feuillet « les MDPH d’un département à l’autre » édité par la CNSA, février 2010, n° 3 30 CCAS : Centres Communaux d’Action Sociale
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Exemple (31): dès 2007, la MDPH des Hautes Alpes a recruté un interprète en langues des signes pour améliorer l‟accueil des personnes sourdes ou malentendantes. De quelques recommandations pour s’approprier la MDPH dans sa fonction politique (i.e. « décider ensemble ») Du principe de la fonction politique
La MDPH ne fait pas qu‟évaluer et attribuer. Elle convoque un ensemble très diversifié de partenaires pour mettre en œuvre sa mission : des experts, des représentants des services de l‟Etat, des représentants des associations de personnes handicapées, la personne handicapée elle-même. Son action ne se réalise pas dans l‟espace confiné de ses locaux, mais dans l‟espace ouvert de la société et de l‟environnement local, et du domicile de la personne elle-même ; et ses décisions doivent refléter la diversité des revendications portées par ces parties prenantes. Dès lors, la MDPH se trouve confrontée à la difficulté de décider collectivement au nom d‟un principe d‟efficacité (la décision doit être prise et être cohérente), de diversité (la décision doit encapsuler les revendications des parties prenantes) et de légitimation (la MDPH doit pouvoir mettre en œuvre, parfois construire la légitimité en action de ces parties, que la loi institue certes, mais qui doivent savoir se reconnaître dans le contexte de mode de travail et de prise de décision différent que la loi a institué). Pourtant, nous avons vu combien l‟équilibre et la compréhension entre « évaluer » et « décider » est difficile à trouver, tout autant que de parvenir à une vision pluridisciplinaire et partagée en EPE, et tout autant que de mettre fin à la césure entre les acteurs qui évaluent ou décident sur des demandes émanant d‟enfants et sur celles émanant d‟adultes. De quelques recommandations pour s’approprier la fonction politique
Pour fonder une véritable fonction politique des MDPH, les acteurs doivent repenser deux mécanismes importants, la gouvernance de ces organisations et la construction de la diversité des parties prenantes, pour agir sur un département où opèrent des « tensions et d’éventuels compromis entre des modes de coordination et de régulation hétérogènes » (RichiezBattesti et Gianfaldoni, 2005). Le concept de gouvernance permet d‟ouvrir la « boite noire » de la décision dite collective, et de comprendre comment celle-ci prend forme à partir de la prise en compte d‟une variété de revendications d‟institutions, d‟organisations, d‟acteurs et d‟individus (appelés parties prenantes). En cela, la gouvernance constitue la modalité politique et méthodologique de la fonction sociétale que nous venons d‟examiner. Quant à la diversité des acteurs, elle est au cœur de la gouvernance des organisations. La loi définit effectivement différentes catégories qui sont parties prenantes à la vie de la MDPH et de la CDAPH et il appartient aux directeurs de ces organisations tout autant qu‟aux présidents des Conseils Généraux (qui président la Comex) de faire vivre cette diversité, à savoir parvenir à une décision collective, qui fasse sens pour chacune des parties prenantes, tout en ne niant pas les spécificités des revendications de chacune. Puisque chacune porte un regard – a priori – légitime sur la personne handicapée. Mais une question émerge : de quelle diversité est-il question ? Les parties repérées et nommées par la loi le sont-elles au nom d‟institutions (collectivités, services de l‟état, 31
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associations...) qu‟elles représentent (et souvent au titre desquelles elles sont nommées) ou le sont-elles au nom de leurs compétences et leurs connaissances sur la personne handicapée ? M. X ou Mde Y, en CDAPH ou en Comex, parlent-ils au nom de l‟institution qui les a nommés, ou au nom de leurs expériences du champ du handicap (pouvant dès lors porter un regard différent de celui de l‟institution) ? De plus, les directeurs des MDPH, pour faire face à la complexité de la mise en œuvre de la loi de février 2005, peuvent-ils se satisfaire des parties prenantes listées précisément par ce texte ? Finalement, nous posons la question de la latitude des directeurs des MDPH, non seulement à gérer la diversité (pour parvenir à la décision collective), mais aussi à construire la diversité (Grenier, 2009) de ces parties, à savoir leur capacité à décréter avec qui elles entendent gouverner. Comment concevoir les mécanismes d‟une gouvernance partenariale ? C‟est avant tout une gouvernance partenariale que la MDPH doit articuler, au sens où « la réussite des politiques publiques ne dépend pas uniquement de la capacité des acteurs publics, mais aussi de la mobilisation et de la coopération d’une pluralité d’acteurs » (Enjolras, 2008) ; et pour ce faire : -
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Savoir décrypter les rapports de force qui existent (naturellement) entre l‟ensemble des parties prenantes à la gouvernance des MDPH, loin d‟une vision « angélique » que renvoie trop souvent ce terme de gouvernance, qui serait une « idéologie … qui occulte les rapports de force » (Chevallier, 2003) ; et donc en conséquence, Savoir créer les conditions favorables à ces relations nouvelles ou renouvelées, en agissant sur des leviers qui relèvent de la logique d‟un « ordre local négocié » (Turcotte et Pasquero, 2001), à savoir un espace territorialisé (le département dans ses spécificités propres) qui produit ses propres normes et habitudes de décision collective. Nous ne disons pas que ces normes ignorent ou sont en contradiction avec les principes de la loi. Elles permettent à l‟organisation de dire localement ce qui fait sens entre les parties prenantes. La construction de la gouvernance comme un ordre local négocié repose sur les principes suivants : o Exprimer clairement la légitimité des parties prenantes (la mettre en discussion pour éviter tout conflit larvé) ;
Exemple (32) : c‟est « pour créer du lien entre les professionnels de l’équipe pluridisciplinaire et les membres de la CDAPH, et mettre fin aux malentendus, compréhensions réciproques qui traduisaient un manque de confiance », selon les propos de sa directrice que la MDPH d‟Ille et Vilaine a mis en place une « CDAPH fonctionnelle ». Une après-midi par mois, elle se réunit pour un temps d‟information / formation sur un thème particulier. Les réponses sont consignées par écrit et remises à chaque membre, servant ainsi de référence, dans le but, également d‟harmoniser les pratiques. o Articuler des valeurs communautaires et des intérêts utilitaristes ; cette condition se décline à travers la question de la personnalisation de la réponse à une demande de compensation au regard d‟une équité des réponses prises globalement ; c‟est notamment avec la capacité de se donner une « doctrine » (quant aux évaluations en EPE ou aux décisions en CDAPH) que les tensions entre ceux qui évaluent et ceux qui décident peuvent être régulées. Notamment, c‟est une juste compréhension collective de la loi (qui détermine 32
Extrait du feuillet « les MDPH d’un département à l’autre » édité par la CNSA, février 2011, n° 4
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les droits des personnes) qui permet de clore certaines suspicions de certaines parties prenantes perçues comme agissant au nom d‟un « toujours plus », et d‟autres parties prenantes perçues comme intégrant dans leur propos les contraintes de ressources du territoire ou du Conseil Général ; Exemple (33) : la MDPH de l‟Aisne a organisé un séminaire fin février 2010 pour les membres de la CDAPH, à l‟occasion du renouvellement de leur mandat, pour échanger sur la loi, les réorganisations internes, les droits et prestations, et contractualiser leurs droits et devoirs en signant une charte du membre de la commission. o Avoir la capacité d‟implémenter les décisions collectives prises, quelque soit la distribution des pouvoirs qui aura prévalu à la prise de décision ; nos propos précédents quant à la mise en place d‟observatoire des ressources sur le département est ici également une réponse à la capacité des MDPH à favoriser le développement de l‟offre de services pour répondre au mieux aux besoins des personnes handicapées et pouvoir rendre rapidement opératoires certaines décisions prises en CDAPH ; o Savoir créer un tel espace négocié qui mette fin à la séparation qui prévaut dans certaines MDPH (et issue de la loi de 1975) entre un pôle Enfant et un pôle Adulte en MDPH, ou une commission Enfant et une commission Adulte en CDAPH ; -
Faire vivre cet espace à travers deux habiletés (Grenier, 2009) : o une habileté projective, capable de lancer des projets politiques autour desquels elle mobilisera les acteurs qui intégreront l‟ordre local négocié ; o une habilité sociale, capable de maintenir une connaissance fine et appropriée de son environnement, des institutions, organisations et acteurs qui s‟y meuvent, et en particulier de leurs revendications.
Exemple : observe-t-on que nombre de MDPH organisent régulièrement (voire tous les mois) des réunions d‟information sur ce dispositif à destinations des associations, des services de l‟Etat et de tout autre organisation et acteur (établissements médico-sociaux, professionnels de santé, associations de bénévoles, entreprises, services d‟aide à domicile…) avec lesquels elles sont susceptibles de travailler. Exemple (34): la MDPH du Cher propose, une fois par mois, aux personnes ayant déposé une demande de réorientation professionnelle une réunion d‟information animée par le référent pour l‟insertion professionnelle de la MDPH, un conseiller de Pôle emploi et un professionnel d‟un centre de rééducation professionnelle. Après un temps d‟échange collectif sur les démarches, les droits, une rencontre individuelle est proposée avec l‟un des animateurs. “Souvent désarçonnés par les formulaires, les usagers peuvent ainsi repositionner ou affiner leur demande, et sont rassurés, car ils ont une meilleure compréhension de chaque étape du dossier”, déclare Véronique Gaudinat, référente insertion professionnelle. -
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Elaborer une jurisprudence des décisions en CDAPH, qui soit entendu par un souhait d‟équité, et non pas de « préfabrication » de l‟évaluation que sont amenées à faire les équipes des MDPH ;
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Exemple (35) : dans l‟Allier, l‟Isère, le Rhône, des “séances blanches” de la commission sont l‟occasion de prendre du recul sur l‟examen des dossiers individuels et de définir des éléments de doctrine partagée sur les décisions à prendre, la manière d‟étudier les différentes demandes, l‟articulation avec l‟équipe d‟évaluation pour aider la CDAPH à trouver sa juste place et favoriser l‟égalité de traitement des demandes. C‟est donc une véritable reconnaissance de la diversité des parties prenantes qui est (aussi) au cœur de la gouvernance partenariale, ce que nous examinons ci-dessous. Comment construire la diversité des acteurs ? Le terme général de diversité vient peupler nos discours et nos pratiques. L‟accent est désormais moins mis sur la totalité que sur ce qui – dans ses différences – compose cette totalité. Ainsi, l‟explication des faits évolue d‟une perspective du social à une sociologie des associations (Latour, 2006), cet auteur préférant le qualificatif de « collectif », ce qui n‟est plus individuel mais multi-individuel, pour signifier « non pas une action effectuée par des forces sociales homogènes, mais au contraire une action rassemblant différents types de forces qui sont associées précisément parce qu’elles sont différentes » (Ibid.). Tenir compte de la diversité dans la gouvernance relève expressément de ce principe : faire ensemble parce que précisément nous sommes différents ! Tout individu, tout acteur est fondamentalement ubiquiste, enchâssé dans de nombreuses identités et logiques d‟action. Ainsi par exemple, un médecin d‟une EPE doit-il s‟exprimer en tant que médecin ou en tant que membre d‟une instance collective (où parvenir à une évaluation collective et partagée prévaut ? Ou encore comment encourager la prise d‟une parole libre en CDAPH des membres du collège des établissements alors que ces derniers sont en lien avec le Conseil Général (nommé autorité de tarification, qui autorise leur activité et définit en partie le budget de leur établissement) ?) Les membres des EPE doivent se prononcer au titre d‟un dossier Enfant ou Adulte ou au titre d‟un dossier Personne Handicapée (comme le requiert la loi) ? Par ailleurs, la loi édicte en quelque sorte la « bonne diversité » requise, quand elle liste les institutions, organisations et expertises qui participent au fonctionnement des MDPH et des CDAPH. Mais les acteurs doivent-ils se contenter de cette « liste » ? Ne peuvent-ils faire appel en EPE à d‟autres expertises ou organisations pour enrichir leurs discussions et leur compréhension de la loi et du handicap ? C‟est pour faire face à ces identités et diversités multiples que nous prônons l‟expression de « construction de la diversité » (Grenier 2009, 2011), à savoir construire à quel titre les acteurs interviennent, qui peut reposer sur les leviers suivants : o Mettre en place un travail de reconnaissance partagée de la place et de la parole de chacune de ces parties ; ce travail doit se faire dans des espaces (ou moments) particuliers, bien souvent en marge des espaces de discussions prévus par la loi (et les alimentant). En effet, les espaces prévus par la loi (EPE, CDAPH et Comex) se sont souvent révélés peu propices à la construction d‟une interdépendance des intérêts, puisque les discussions qui s‟y déroulaient centraient les acteurs sur des cas spécifiques (parfois perçus comme sources d‟opposition), et ne permettaient pas une discussion plus générale sur la loi de 2005. Et si parfois, quelques espaces émergents ont été 35
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observés (formation, séminaire interne, rencontres informelles entre les acteurs....), ils ont du mal à perdurer (occasion factuelle, manque de temps...) ; Développer un mode de parole en EPE qui permette réellement l‟expression de tous les points de vue (tour de table de l‟ensemble des participants, explicitation collective des éléments d‟évaluation reçus par des experts extérieurs à cette Equipe…) ; Pouvoir intégrer de nouvelles expertises dans des espaces spécifiques pour participer à l‟enrichissement de la connaissance des acteurs des MDPH et CDAPH (ce qui requiert de pouvoir y consacrer du temps, chose peu évidente mais pourtant nécessaire…) ; Développer une terminologie (certains disent un « jargon ») commune et compréhensible par tous, au-delà des frontières professionnelles et institutionnelles ; Enfin mettre la personne handicapée en situation d‟exprimer elle-même ses désirs, non pas seulement sur son projet de vie, mais aussi sur le fonctionnement de la MDPH (dans un sens de simplification des procédures par ex.). Ce qui requiert l‟acquisition de certaines compétences ;
Exemple (36) : depuis 2008 la MDPH des Côte d‟Armor associe les personnes handicapées (directement et pas seulement via leurs associations) à la simplification des procédures et des démarches en MDPH, ou encore à rendre lisible et compréhensible les notifications, se réunissant par groupes d‟environ 10 personnes tous les deux mois. C‟est donc ainsi que les équipes des MDPH et les membres de la CDAPH ont peu à peu acquis une meilleure compréhension de la dialectique « évaluer – décider ». Exemple : beaucoup de structures, tout comme la MDPH des Hautes Alpes, ont développé un modèle type de présentation d‟une demande de prestation en CDAPH, présenté par un membre de l‟EPE qui aura instruit le dossier ; permettant aux membres de la Commission d‟accéder à un ensemble type et ordonné d‟information pour mieux décider. Cette présentation commune participe également au développement d‟une culture commune entre les deux instances, par l‟usage d‟une même matrice informationnelle (i.e. les informations « pertinentes » pour bien décrire une demande de compensation, l‟usage d‟une terminologie partagée…) ; Exemple (37) : la MDPH de la Martinique a mis en place un partenariat avec trois centres hospitaliers spécialisés pour remédier à l‟imprécision de certificats médicaux produits par les personnes handicapées, et ainsi améliorer la qualité de l‟évaluation. “Avant, nous devions demander des compléments d’expertiseaux usagers, ce qui rallongeait considérablement les délais”, confie DeniseDesormeaux, directrice de la MDPH. Aujourd‟hui, une évaluation globaleest réalisée en une journée sur l‟un des trois sites disposant de plateaux derééducation. Exemple : (38) : dans les départements de la Côte d‟Or et de l‟Ain, les MDPH ont mis en place, en amont des décisionsde la CDAPH, une instance restreinte composée de membres de la CDAPH, dont la mission est de recevoir les personnes qui souhaitent être entendues sur le plan de compensation proposé. Appelée “Comité restreint” en Côte-d‟Or et “CDAPH préparatoire” dans l‟Ain, cette instance se fait le porte-parole de la personne devant la CDAPH plénière. “Cela permet de ne pas engorger les séances décisionnaires”, explicite Jérôme Pélissier, adjoint au directeur de la MDPH de Côte-d‟Or. Pour Muriel Rauturier, de
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la MDPH de l‟Ain, “cela permet aussi un accueil à dimension humaine car, la confrontation avec la commission plénière donnant l‟impression d‟un tribunal était souvent difficile”. De quelques recommandations pour s’approprier la MDPH dans sa fonction managériale (i.e. « faire ensemble ») Du principe de la fonction managériale
La MDPH n‟est pas qu‟un ensemble de pôle d‟expertises et de commissions diverses nécessaires à la mise en œuvre de sa mission. Elle doit mettre en place une structure qui convienne aux conditions de l‟exercice de sa mission : interrogeant et réinterrogeant le sens de la loi avec des équipes et des parties prenantes variées ; décider au regard de la diversité tout en évitant l‟anomie ou l‟accaparation de ce qui est fait par un acteur dominant, créer une expertise partagée et commune sur l‟Enfant et l‟Adulte (approche longitudinale prônée par la loi). Pour ce faire, la MDPH doit savoir faire vivre un principe d‟équité (à savoir la capacité à répondre de manière équitable aux demandes des PH, tout en articulant le principe de personnalisation de la réponse, que portent les différentes parties prenantes à travers leurs revendications). Nous interrogerons ce que doivent être le rôle du directeur de la MDPH, ses outils de travail et sa culture (ou langage commun) pour donner sens à la structure de cette organisation. De quelques recommandations pour s’approprier la fonction managériale
Un directeur porteur d‟une légitimité managériale Fonction cardinale que celle du directeur, faisant le lien entre les salariés de la MDPH et la Comex, mais aussi la CDAPH dont les modes d‟organisation peuvent aussi se définir en Comex. La mise en place des MDPH n‟a pas été chose aisée, et aux difficultés que nous avons déjà évoquées, s‟est doublée la délicate question d‟intégrer des personnels qui dans les anciens dispositifs travaillaient sous des conventions sociales différentes. Il a dû aussi savoir structurer l‟organisation autour de deux pôles de compétences (mais pouvant recréer une différence de culture et de pratiques, certes contraire à l‟esprit de la loi, mais dans un souci d‟efficacité, eu égard aux compétences de ses salariés (qui pour la grande majorité étaient issus des anciennes CDES et COTOREP) tout en encourageant autant que possible leurs rapprochements pour favoriser des pratiques communes. Les leviers de ce rôle sont les suivants : -
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Développer des compétences multiples : gestionnaire, pédagogue (sur la compréhension de la loi), acteur-frontière entre l‟ensemble des parties prenantes internes et externes… mais aussi un chef de projets, parce que c‟est en lançant des projets (démarche qualité, expérimentation d‟outils…) que la MDPH peut être à même d‟enrichir et comprendre son rôle ; et donc, Agir davantage comme un leader transformationnel (Bass et al., 199639), sachant donner le cap et imprimer une dynamique de changements et de projets ; Développer une capacité réflexive sur cet agir ensemble et en particulier pour traduire (Callon, 1986) les directives des Comex vers les échelons inférieurs ;
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On distingue habituellement deux types de leadership : managérial et transformationnel. Le premier convient mieux à un environnement stable et faiblement complexe, quand il s’agit de gérer un dispositif selon un cadre bien établi et non ambigu. Au contraire, le second convient mieux à des contextes de changements ou de nouveautés.
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Participer et susciter des réflexions et travaux au niveau national, notamment par l‟intermédiaire de l‟association des directeurs de MDPH (ADMPH) ; requérant que cette association puisse disposer de ressources et de moyens à produire sa propre parole (rapports, études et recherches…) pour infléchir les politiques publiques.
Développer une culture commune sur le handicap Une des préoccupations prioritaires de la CNSA, dès le lancement des MDPH, a été d‟encourager et d‟aider au façonnage d‟une culture commune, pour créer un liant dans un contexte de diversité des acteurs. La culture (Schein, 1985) est un ensemble d‟hypothèses fondamentales qu‟un groupe donné a inventé, découvert ou constitué en apprenant à résoudre ses problèmes d‟adaptation à son environnement et d‟intégration interne. Elle se décline en croyances, valeurs et normes, en mythes et histoires de / sur l‟organisation, en idéologies portées par sa mission, en rites collectifs, voire aussi en tabous, zones d‟ombres.... C‟est un concept dont on ne doit pas nier le rôle instrumental, la culture permettant tout à la fois à socialiser les nouveaux membres, qu‟à cadrer (voire contrôler) le comportement des membres. Dit autrement, nous définissions ici la culture comme un tout complexe qui comprend les connaissances, les savoirs pratiques, les principes, les habitudes professionnelles, les pratiques sociales codifiées, les valeurs prégnantes (dont celles du service public), les normes intériorisées, … mais aussi les supports grâce auxquels ils s‟expriment et les pratiques langagières qui les portent. Ainsi le dossier de l‟usager, le droit à contester une décision, la terminologie spécialisée, l‟intériorisation de sa place et de son rôle propres dans le dispositif, celle des rapports hiérarchiques, … tout cela fait partie de ce que nous énonçons comme contenu culturel. Or le seul mot « handicap » fait l‟objet de nombreuses compréhensions (Rossignol, 2010) et ne peut constituer par lui seul ce ferment culturel, sauf à être discuté et travaillé. Plus généralement faire tenir un commun tout un articulant les différences repose sur quelques leviers : Exemple (40) : pour faire vivre la culture du handicap auprès de ses salariés, et en particulier ceux qui sont moins en contact direct avec ses usagers, la MDPH de Paris organise tout au long de l‟année des initiatives telles que : diffusion de film sur le handicap et organisation de débats, animation d‟atelier de sensibilisation à certaines formes de handicap, création d‟un centre de documentation interne… La plupart de ces initiatives sont ouvertes aux partenaires de la MDPH. Exemple (41) : les “Rencontres pour une culture partagée ”, dont la première journée s‟est tenue le 20 septembre 2007 avec les départements d‟Ile-de-France, ont permis aux agents des MDPH et aux associations de mieux se comprendre. Par des ateliers de mise en situation et au travers de jeux de rôle, chacun pouvait se mettre “à la place de l‟autre”. Des journées semblables ont été organisées en Guadeloupe et dans le Grand Est. Des séances d‟information / formation et la recherche d‟une connaissance mutuelle des membres de la CDAPH est aussi une préoccupation des directeurs de MDPH. Ils organisent des sessions avec l'appui des associations, des échanges techniques entre les membres eux-mêmes, des visites collectives d'établissements médico-sociaux et pourront désormais s‟appuyer sur des formations référencées par la CNSA. Exemple (42) : les ergothérapeutes des quatre MDPH d‟Auvergne se réunissent régulièrement pour partager leurs questions/réponses sur la PCH logement et développer ainsi une culture commune sur les pratiques.
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Quant aux outils de la MDPH Nous avons largement abordé la question des outils (PPC, projet de vie, GEVA…) tout au long de cette note, tant leur utilisation à bon escient ou selon une pratique qui dévoie l‟ambition de la loi, matérialise tout autant qu‟elle imprime clairement ce que font réellement, au quotidien, les acteurs de la MDPH (et de la CDAPH). Revenons sur le GEVA et regardons alors ce que signifie son appropriation pour répondre à cette ambition, et en favoriser une utilisation « non artificielle », comme le recommande la CNSA (rapport, 2010) : - développer une maitrise cognitive et technique de l‟objet ; à savoir une compréhension de la structure du GEVA en 8 volets (et en particulier du 8° volet dit de synthèse) ainsi que les critères de cotation, et de comment les utiliser ; pour ce faire, les équipes peuvent s‟appuyer sur le guide d‟utilisation du GEVA édité par la CNSA tout autant que sur des formations organisées par quelques experts, ainsi qu‟un apprentissage « entre pairs », quand les membres des équipes échangent entre elles leur compréhension respective de l‟outil pour faire émerger un usage collectif et partagé ; - développer une intégration sociale significative de l‟usage de cet objet dans leur vie quotidienne (organisationnelle, professionnelle...) ; cela s‟opère quand tout un chacun abandonne les outils ou systèmes de cotation habituellement utilisés pour n‟utiliser que le GEVA ; - être capables d‟un geste de création, à savoir que l‟usage de l‟objet puisse faire émerger de la nouveauté (localisée) ; ce dernier critère est essentiel; l‟appropriation ne constitue pas seulement en un changement d‟outil, mais en un changement de pratiques. Or le risque est souvent observé qu‟un outil est en réalité détourné dans un usage, quand des équipes continuent à faire comme elles ont en avaient l‟habitude, manifestant ainsi leur résistance au changement. Au contraire, l‟outil est aussi une technologie sociale et cognitive qui encapsule du sens, des valeurs, des représentations et des façons de faire. L‟article L 146-8 du code de l‟action sociale et des familles prévoit qu‟« une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins de compensation de la personne handicapée et son incapacité permanente sur la base de son projet de vie et de références définies par voie réglementaire et propose un plan personnalisé de compensation du handicap ». L‟appropriation du GEVA est donc observée quand cet outil conduit les équipes à revoir leur manière à travailler ensemble et de manière davantage pluridisciplinaire, quand elles parviennent à coter au regard du projet de vie de la personne en situation de handicap, et enfin quand elles parviennent à synthétiser leur travail (avec le volet 8) pour aboutir à un plan personnalisé de compensation. En fait, s‟approprier un outil suppose de prendre en compte les trois dimensions qui en sont constitutives : cognitive, relationnelle (David, 1998) et politique (Grenier, 2009). Par sa dimension cognitive, l‟outil révèle ce qui est en jeu dans le faire (évaluation, concertation, décision…). Il repose aussi sur un ensemble de vocables dont la technicité compréhensive plus ou moins complexe, conduit, de manière volontaire ou non, à écarter certains acteurs du travail autour de l‟outil. Par sa dimension relationnelle, l‟outil révèle avec quels acteurs ceux qui le mobilisent font ce faire.Enfin par la dimension politique, l‟outil révèle tout autant qu‟il enchâsse la structure de pouvoir (Foucault, 1976) au sein des MDPH et plus généralement dans le champ du handicap et des politiques publiques. L‟acteur qui conçoit un outil, qui en favorise et forme à son utilisation, n‟est jamais neutre. Un outil tel que le GEVA, conçu par le conseil scientifique de la CNSA en concertation avec bon nombre de MDPH, devrait être considéré comme porteur de la manière dont ces organisations envisagent le handicap et la Corinne Grenier – Septembre 2012 – www.thinktankdifferent.com
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manière de l‟évaluer. Avec ces outils, les concepteurs mettent en quelque sorte en scène et légitiment des représentations (sur le handicap, la compensation, le travail en équipe pluridisciplinaire…) pour agir. Et cette mise en scène et cette légitimation permises par l‟outil sont d‟autant plus critiques que la MDPH (dispositif innovant) perturbe les habitudes et représentations acquises, les frontières d‟intervention des acteurs, voire « instituant » de nouveaux acteurs (association des personnes handicapées par ex. siégeant en CDAPH et en COMEX).
Conclusion La mise en œuvre d‟une nouvelle réglementation ambitieuse ne requière pas uniquement de « suivre le texte », mais relève de deux conditions intrinsèquement liées : pouvoir répondre localement, de manière contextualisée, à l‟esprit de ce texte et changer les représentations et les pratiques des acteurs professionnels. Tel est l‟objet principal de cette note, que nous avons abordé à travers la notion d‟appropriation, et étayée au regard d‟une grille de lecture des MDPH dans leurs trois fonctions ; sociétale (mettre en œuvre le « être ensemble »), politique (mettre en œuvre le « décider ensemble ») et managériale (mettre en œuvre le « faire ensemble »). Nous nous sommes surtout centrés sur les relations entre les CDAPH et l‟ensemble des instances (Comex) et ressources (les partenaires, les personnels des MDPH et en particulier les EPE) qui concourent à son fonctionnement ainsi que sur le mode d‟organisation et de fonctionnement de ces Maisons elles-mêmes. Avons-nous évoqué bien entendu, mais de manière incidente, les relations avec les Conseils Généraux, en charge des politiques sociales dans leur département (et notamment de leurs financement, à travers le financement de certains dispositifs et établissements qui, peu ou prou, sont concernés par la nouvelle gouvernance partenariale des MDPH), ainsi que le rôle de l‟Etat, notamment dans ses nouvelles orientations en matière de dépendance et d‟autonomie, et sa capacité à participer à son financement également. De nouveaux enjeux prennent forme prégnante à ce jour : révision des modalités contractuelles entre l‟Etat et les MDPH (avec la signature des CPOM), interrogation sur le financement des politiques publiques de santé et sociale…. Une prochaine note abordera ces sujets.
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