EN COUVERTURE : Pouce-pied
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ILLUSTRATIONS INTÉRIEURES : Pieds Haute Ecole des Arts du Rhin Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique Scénographie 2019/2020
Histoire de Pied(s).
L.B.
Au lecteur et ami du verbe, bonsoir. Ceci est une invitation à ne pas prendre au pied de la lettre, autrement dit littéralement, tout ce qui suivra et se déroulera dans les pages à venir. Pour faciliter la prise en main de l’ouvrage, suivez les indications du guide.
NOTICE D’UTILISATION DU MANUEL DE PIED(S): Ouvrez-le au gré du hasard et de vos envies Piochez ce qui vous plaît Composez votre recette Ré-agencez à votre guise à défaut de sauce Laissez le reste.
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0. PRÉAMBULE
p 008
1. LA HONTE DES PIEDS
p 015
> « au pied de la lettre » > doigt de pied p. ——— réflexions sur le nu qui s’expose le pied pied nu pied tendre pied noir
> pied paquets ou pieds et paquets ——— réflexions sur l’informe pieds l’oignon « mettre les pieds dans le plat » panards Les Pieds Nickelés
p 025
2. LE PIED FÉTICHE
p 037 > « faire du pied » ——— réflexions sur le désir des choses cachées pied pudique « prendre son pied » La danse des petits pains
3. FÉMININ MASCULIN
> la chaussure ——— réflexions sur ce que l’objet fait à l’apparence le pied du papalagui les pieds bandés « colosse aux pieds d’argile » « va-nu-pieds » « trouver chaussure à son pied » pied-de-nez les pieds amoureux la mosquée « six pieds sous terre »
4. LE PIED RÉANIMÉ
> faire le pied de grue ——— réflexions sur l’animisme de nos objets un pied le pied de table le pied-bleu pied (de bois)
p 047
p 055
p 067
p 075
> le pied bio-mécanique 006
——— réflexions sur le simulacre de la visualité le le le le
pied pied pied pied
prothèse de pinocchio articulé de la poupée
5. SUPPORT-SURFACE
> les pieds sur terre ——— réflexions sur ce qui nous déséquilibre « coup de pied » le trépied et l’abri bus avoir pied « donner un coup de pied au cul » « lever le pied » « sur pieds » le pied marin « perdre pied » le pied et la peau de banane
6. LA MARCHE
> le pas ——— réflexions sur « la démarche »
p 099
p 105
p 113
marchepied à pieds pousse-pied
> les pieds dans l’eau p 121 ——— réflexions sur les scènes que l’on dessine les pas perdus d’arrache-pied / de pied ferme / pied au plancher pied romain pied de guerre, pied de paix
7. LA COURSE
> le passage piéton ——— réflexions sur le temps qui passe
p 133
« Au pied du mur » « Course à pied » le pied dans la porte
8. CE QUI RESTE
p 143
> spectacle des pieds
pas de côté Journée nationale de la Santé du Pied scène à pied retour(s) de voyage bibliographie
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p 150
> « au pied de la lettre » Sur la terre noire, j’ai compris que j’étais blanche. La première fois que j’ai posé le pied sur la terre battue de la capitale africaine, je n’ai pas tout de suite saisit le poids de ma peau blanche sur le sol rouge. Car enfin, il faisait nuit noire, et rien ne semblait plus étrange que ces yeux dans la nuit, concentrés derrière le volant, échangeant en Mooré — langue majoritairement parlé au Burkina Faso, principalement par les Mossi — des mots qui nous échappaient alors totalement. Nos premières impressions du Burkina se sont plutôt imprégnées de l’odeur lourde du gasoil sur les routes, de la chaleur étouffante qui attrape à la gorge dès les portes de l’aéroport franchies. Des cris et retentissements secs écrasant les premiers moustiques, dansant et s’égosillant sur la chaire fraîche ; de l’odeur d’une marmite de spaghettis chaudes, jetées à la poubelle… Le lendemain matin, les couleurs se sont animées. Les regards aussi. Partout, dans les pupilles envieuses, dans les mots rieurs, parfois acerbes, entre les corps sombres et élancés des Ouagalais, le blanc de notre peau dévoilait, criait, signait, bien malgré nous, nos origines : mis à nu notre profil européen, mise à nue notre nationalité française, mis à nu notre ‘‘ passé ’’ colonialiste. Nos fronts se sont placardés partout dans les rues, ‘‘ l’étrangère ’’ s’est retrouvée violemment exposée aux regards. Il n’y avait nul part où se cacher. Mis à part, peut-être, roulée en boule sous la moustiquaire. Mais même la nuit sombre ne nous protégeait pas de notre couleur. Elle nous trahissait, à chaque pas, reflétant les lueurs de la grosse lune ronde. Sur la terre noire, j’ai compris que j’étais blanche. Le voyage est un déplacement. Une traversée physique. La transposition d’un objet, être humain, animal ou végétal dans un ailleurs. Depuis la nuit des temps — ou du moins, 3 millions d’années — l’être humain et ses multi008
ples variantes homo se sont campés sur leurs deux pieds pour parcourir le globe. Soif de la découverte jamais assouvie, course contre le temps et la vieillesse… La valse des marcheurs s’était mise en marche. Mais il y avait autre chose. Un voyage intérieur. Un déplacement du regard. Un monde nouveau dans un nouveau monde. Passablement ébloui par la beauté des paysages, l’oeil a dû réapprendre à voir. Comme un aveugle qui aurait soudainement retrouvé la clarté des couleurs, le voyageur plisse les yeux. Il tente de déchiffrer des signes et codes pourtant familiers. Un voyage, c’est comme réapprendre à chaque fois à marcher, à parler, à lire. Avec les mêmes mots, mais pas de la même manière. Ce nouvel agencement du langage étonne tout autant qu’il émerveille à chaque fois. Car il questionne des évidences et des certitudes jusque là inébranlables. Il écarte nos oeillères. Il ouvre simplement sur une petite fenêtre qui était là depuis toujours, mais qui pourtant, était restée fermée. Imaginez une salle aux milles fenêtres. Il y a des portes aussi. Un jour, on en ouvre une, on ose y glisser le pied et on la franchit. Derrière, une autre pièce. Identique. Avec plus de portes et de fenêtres encore. La porte qu’on vient de franchir est là aussi, elle est déjà ouverte. Et plus on traverse de portes, plus il y a de portes. Et de portes déjà ouvertes. Certaines, plus hautes que d’autres, sont plus difficiles à atteindre. Quand on les franchit, il y a en a de plus hautes encore. De plus belles aussi. Le vrai voyageur se rit de la distance géographique, physique, anatomique et plein d’autres trucs en « ique ». En une seule journée, il peut parcourir les plus grandes distances en restant au même endroit. Oui, car le vrai voyage, c’est re-mesurer incessamment la distance de notre regard sur le monde. C’est peut-être, simplement, faire glisser la perception hors de son cadre habituel. Sur la terre noire, j’ai compris que j’étais blanche. 009
Assis dans le wagon, le voyageur adossé à la fenêtre perçoit les pieds pressés des passants : pieds âgés, pieds rêveurs, pieds voyageurs, pieds amoureux, pieds aisés, pieds démunis ; pieds perdus… ? Puis le train se met en branle et l’espace s’ouvre. Les pieds ne sont plus amoureux, ils sont des corps dans un paysage lointain. Ombres qui courent sur les pistes ou se promènent dans les champs. Et puis, dans une autre gare, dans un autre voyage, ils sont à nouveau ces souliers qui attendent le prochain train. Découpés par le cadre de la fenêtre, ils déstabilisent le regard du spectateur : la pupille court, d’un endroit à un ailleurs. D’un envers à un intérieur. Elle opère une constante mise au point sur l’image. Et doit, continuellement, accommoder sa perception pour intégrer les nouvelles informations qui lui permettront de contextualiser les objets. Le cadre que dessine la scène est comme celui de la fenêtre : ouvrant, fermant, scandant notre visualité. L’espace, élastique, s’étire et se rétracte. Passe du macro au micro. Élargit physiquement la vision du spectateur et, en même temps, sa perception de la chose représentée. Dans Autour du domaine(1), c’est la scénographie lumière de Sylvie Mélis qui fait s’agrandir, ou se contracter, notre champs visuel sur les fragments de corps pris dans l’obscurité. Ici, c’est une certaine obsession du ‘‘ pied ’’ qui va nous faire voyager à l’intérieur du cadre. Cadre de la scène, cadre du regard : il fait s’ouvrir, au fil de ces pages, notre regard sur ce qu’est le mot ‘‘ pied ’’ : « C’est sale les pieds », « ils sont moches », « Quand l’été arrive, c’est la galère, il faut se mettre en sandales », « C’est la honte, les pieds… », « T’aimes tes pieds ? Tu serais pas un peu fétichiste ? ». Gêne, laideur et puanteur des pieds mènent à toutes formes de pudibonderies. La plus aboutie de toutes ces mascarades pour dissimuler les orteils est la chaussure. Apparence qui se chausse de cuir, sexualité montée sur talons aiguilles et le pied devint désirable ! Voiler pour mieux montrer ? Ou, plutôt, montrer autrement ? L’ingéniosité du processus vaut sans doute autant, que sa grande absurdité : à quel prix est-on prêt à sacrifier son pied ? L’objet 010
masque, se masque, et démasque la vérité. Métamorphe inconstant, joueur et grand blagueur, le pied déséquilibre et nous met la tête en bas. À quoi ressemble le monde à l’envers et ‘‘ l’envers du décor ’’ ? Dans le décor justement, le pied voyage, se perd, mesure, trace des scènes, et ses traces s’effacent. Il court pour les rattraper mais elles s’effacent toujours plus vite. Il court après le temps, alors que le temps ne connaît pas de fin. Un jour il s’arrête et se retourne sur les années passées. Il regarde chez les autres aussi. Et soudain, il se dit que c’est absurde de courir sans savoir pourquoi, et qu’il vaut mieux vivre maintenant, que courir après. Absurdité de quoi et par rapport à qui ? Qui définit ce qui est absurde ou non ? Car après tout, il suffit de changer de règles et de jeux. L’absurde suit, mais sa forme change. Sur la terre noire, j’ai compris que j’étais blanche. Visualisez-vous la matriochka russe ? L’objet est un voyage. Un jeu entre l’intérieur et l’extérieur. D’ailleurs, la scène aussi : lorsque s’ouvre le rideau rouge, tout les chemins sont possibles. L’étiquette nous fiche la paix. Le blanc devient noir même lorsqu’il reste blanc, le parapluie fait office d’ombrelle et les arbres poussent du ciel. Bonsoir peut très bien se dire bonjour, ou ne pas se dire du tout. Les choses ne se soucient plus de leurs noms, elles se déplacent, se métamorphosent. Détournent. S’adaptent. Mélangent les espaces, les usages et les conformités. Les indiens d’Amérique n’utilisaient pas forcément les ustensiles de cuisine échangés par les espagnols pour cuisiner, et alors ? Était ce plus, ou moins absurde, que de savoir que ce qu’ils offraient en échange (fourrure, or) valait trois fois leur pesant d’or ? Mais dans l’Histoire, la plus grande absurdité réside dans la valeur des choix : mettez la cupidité humaine d’un côté, et l’extermination raciale se profile de l’autre… La raison humaine ne semble plus dans le bon camp : entre la Shoah et Chernobyl, faîtes votre choix. La valeur des décisions (oh, quelques millions de vies 011
humaines), par rapport aux conséquences (oh, quelques millions de morts), est devenue absurde. On économise à n’importe quel prix simplement pour sauver la face. Sauver l’apparence. Toujours garder le sourire. Sourires fakes, sourires évangéliques, sourires macabres… Au théâtre, les métamorphoses sont infinies. L’absurde se déplace et déplace notre regard : l’objet scénique se transforme dans le langage parlé, écrit, mâché, craché, tapé. La forme enfle, durcie, s’amollit. Les usages voyagent dans l’absurdité de la poésie. Les choses banales deviennent absurdes : le spectateur s’étonne que la table ait des pieds chaussés d’escarpins, mais ne s’étonne point d’être blanc parmi les blancs. Sauf si… tout à coup, dans la marée de chaussures noires traversant la scène, émerge un petit soulier rouge... Étranger, absurdité de l’étrange… L’objet sur la scène produit une image visuelle. La scénographie en feuillette les strates. Elle joue des codes de la représentation pour nous montrer que le monde n’est pas une fatalité, mais qu’il est transformable. Simplement pour dire : « j’ai conscience de vivre à l’époque de l’image du monde(2), alors comment je joue avec ? ». Rendre étranger, détourner pour d’autres usages, inventer de nouvelles histoires et de nouveaux noms… Peut-être alors que, sans aller jusqu’au Burkina Faso, le regard effectuera une nouvelle mise au point de ce qu’il croyait, jusqu’alors, être vrai. Sur la terre noire, j’ai compris que j’étais blanche. Ce petit livre, c’est comme un « dictionnaire qui déclasse pour revoir toute la classification du monde(3) », un monde des possibles métamorphoses physiques et perceptives du mot, de la chose, de l’objet PIED. Un télescope qui questionne la routine du verbe, nos repères empêtrés de politesse, nos molles habitudes. Une partition scénographique pour modifier le langage de la représentation ; une liste pour questionner l’organique et l’identité figée des choses ; un catalogue des mouvements possibles et un 012
manuel d’adaptation. Une armée de mots pour étrangéiser les quatre lettres du ‘‘ pied ’’ et faire glisser notre perception, de l’habituel à l’absurde. Un geste muet, pour éveiller la magie du quotidien. Qui prête à croire et à montrer que notre monde est encore transformable.
notes :
1 > Autour du domaine. Collectif Porte27. COLLÉ, Marion et MOURA, Chloé, 2015 2 > HEIDEGGER, Martin. Holzwege. Francfort-sur-le-main, Klosterma, 1950. dans Le miroir et le simulacre. Bertetto, Paolo. Collection Le Spectaculaire. PU Rennes : 2015. p 9 3 > DELEUZE, Gilles. dans L’informe mode d’emploi. KRAUSS, Rosalind et BOIS, Yves-Alain Les cahiers du musée national d’art moderne. Paris: Centre Pompidou, 4 juin 1999. p 22-25 013
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1. LA HONTE DES PIEDS
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> doigt de pied
doigt de pied hallux depasus centrus pre-exterius exterius doigt de pied numéroté du plus médial au plus latéral doigt de pied secundus tertius quartus quintus doigt de pied blanc doigt de pied noir doigt de pied tendre doigt de pied grec égyptien carré ou romain doigt de pied verni peint gratté rasé épilé poncé lavé parfumé doigt de pied « nickelé » de l’archiduchesse que l’on caresse doigt de pied marqué doigt de pied esclave doigt de pied nu doigt de pied sale doigt de pied moche doigt de pied tendre doigt de pied léché mordu sucé doigt de pied humide transpirant mycosé doigt de pied à engelures verrues et poils incarnés doigt de pied hallux valgus doigt de pied fracturé écrasé mangé broyé doigt de pied découpé atrophié amputé doigt de pied en griffe ou en marteau doigt de pied qui monte aux arbres doigt de pied à lymphœdèmes doigt de pied qui gonfle qui pue qui macère qui pourrit doigt de pied ridé momifié emballé c’est pesé doigt de pied qui s’endort et disparaît doigt de pied comme les doigts de la main Paysage du doigt de pied qui sourit
> le pied
nom masculin, du latin pes, pedis. Terminus du
membre inférieur humain qui s’esquisse du bas de la jambe, avec laquelle il est articulé, et du talon jusqu’aux orteils. Sa mécanique lui permet l’appui au sol, dans la station debout, et d’ouvrir sur le voyage de la marche.
> pied nu Sa nudité étalée au grand jour, le pied nous en raconte beaucoup plus qu’il ne voudrait. Constamment rabaissé par la tête qui le contemple de haut, catégorisé dans la caste des membres inférieurs, le pauvre bougre négligé et malmené rappelle constamment à l’être vivant qu’il l’est. En cela, il reste purement et simplement un mammifère parmi la chaîne alimentaire, louant sa capacité de bipède à s’élever verticalement pour toucher le ciel tout en oubliant que ses pieds rougissent en enfer. Ainsi va le pied nu, cloué au sol par la gravité, condamné à ramper dans la boue. Il erre sur les chemins, emportant avec lui terre, poussière et crachats. Nu, il s’expose aux regards en établissant une géographie des corps et du monde : Le pied déshabillé est celui de la paysanne qui a ‘‘ les mains sales comme on a les pieds ’’ et de l’esclave sous l’empire romain à qui il rappelle sa condition. Mais aussi celui de Dona Prouhèze lorsqu’elle offre à la Vierge son soulier de satin pour atrophier sa marche vers Don Rodrigue d’un « pied boiteux, avec une aile rognée(1) ». Les pieds filmés par Yasmina Benabderrahmane, eux, dévoilent la nudité pudique de sa grand-mère malade, le soleil qui soigne ses jambes étendues sur le rebord de la fenêtre. L’image tressaute, zoom et rapproche encore le regard des strates de la vieillesse flétrie jusqu’aux craquelures des pieds abîmés. Ces moments muets, l’artiste entend les dévoiler : « j’aspire à montrer ce que l’on ne voit pas et à détourner ce que l’on voit(2) ». Une phrase qui rappelle étrangement une autre, peinte par René Magritte dans un tableau intitulé La trahison des images. «Ce que vous voyez n’est pas ce que vous voyez » (1929). Sous la pipe dessinée se lit clairement : « Ceci n’est pas une pipe(3) ». À pre018
mière vue, la phrase est absurde car elle dément ce qui est représenté au dessus. Justement, ‘‘ ce qui est représenté ’’ n’est pas réellement l’objet ! L’artiste invite à réfléchir sur ce qu’est réellement une pipe. Le mot ? L’objet ? Sa fonction ? Pour Janig Bécog(4), la formule dévoile son propre simulacre, celle de l’image qui se construit par le regard. Ce dernier sélectionne ce qu’il veut voir, et choisit ce qu’il veut en faire. L’image animée n’est, pour cela, pas bien différente de l’image peinte. Les films de Yasmina Benabderrahmane sont conçus dans cette même volonté de « faire voir ». L’artiste documente et montre les choses que l’on n’aurait pas vues ou mal regardées. Et celles devant lesquelles, on a fermé les yeux. Dans ses films, la surface du corps nu expose et s’expose pour dire la vérité. Non pas celle qui est conforme et que l’on revendique, mais celle qui est crue et que l’on cache. De la même manière que, pour Brecht, montrer le réalisme au théâtre ça ne veut pas dire être dans une esthétique naturaliste ou une imitation de la réalité : c’est montrer ce que l’on juge, habituellement, indigne d’intérêt (par exemple, le quotidien des ouvriers en usine). L’artiste photographe, elle, pointe ces petits moments intimes qui montrent comment les gens sont et ce qu’ils ont réellement vécu. Entre le documentaire et le journal filmé, son installation La bête, un conte moderne (2020), se présente comme une expérience d’étude et d’observation où elle croise l’histoire du Maroc d’hier (ces gestes ancestraux, les rituels familiaux de l’Aïd), à celui d’aujourd’hui dont la modernité bétonnée ronge le paysage. Témoignages visuels et sonores se mêlent dans l’espace d’exposition du BAL à Paris pour reconstruire, tout autour et tout entier, l’objet-monde manquant, ce contexte vécu qui révèle la terre et le monde absent. L’agencement des ‘‘ documents ’’ entre eux — interviews de sa grand mère, vidéos de jambes nues se caressant dans l’intimité, archives photographiques filmées — reconstituent une nouvelle histoire, un récit fictionnel qui contribue à laisser planer une ambiguïté sur le caractère du voir et peine à déterminer le vrai du faux. Entre le réel et la fiction, c’est cette der019
nière qui semble l’emporter. Car l’exposition est comme un télescope : la simultanéité des évènements fabrique une nouvelle perception, notre propre interprétation. C’est comme si elle avait matérialisé notre machinerie cérébrale, piochant et recomposant le visible. L’image scénique créée par la scénographie s’affranchit d’une vision linéaire. Elle doit zoomer dans l’objet pour qu’il nous raconte des mondes. Le pied nu est un morceau de vie, un bout du vivant pour nous faire comprendre que notre perception n’est en réalité jamais objective. « L’image, pour moi, comme la réalité, doit demeurer une énigme. Une énigme non anodine. » Yasmina BENABDERRAHMANE
> pied-noir Surnom attribué par les ‘‘ Français de métropole ’’ aux ‘‘ Français d’Algérie ’’ ou ‘‘ Français de seconde-zone ’’, à ne pas confondre avec les ‘‘ Français de province ’’, dont la zone s’étend à tout les ‘‘ Français hors intramuros ’’. L’origine de l’appellation (1830) fait débat : on ne sait plus très bien si elle relève de la propreté douteuse des rues du bled salissant les pieds tendres, ou de l’aimable armée française qui, chaussée de bottes noires s’en allaient gaiement en sifflant coloniser le territoire berbère. Le pied-noir désigne donc un blanc. Une pirouette linguistique pour qualifier un pied différent, venu d’ailleurs ; un pied étranger. Le mot noir devient simplement un masque que le blanc brandit pour désigner l’autre, celui qui est parti là-bas. Il devient un qualificatif pour différencier. Quand je — femme blanche de 24 ans — pense à un pied et tente de me le représenter, il y a de fortes chances pour qu’il soit blanc. D’une part, car c’est la couleur de ma peau. D’autre part, c’est que la vision que je porte sur le monde a été peinte de blanc, nommé blanche et goûte même la saveur du blanc. Le regard blanc différencie l’homme, de l’homme noir, l’artiste noir, l’ami d’enfance noir, le premier président noir et le pied noir. À Wikipédia de préciser que « les effets de la mélanine [pigment 020
> pied tendre colorant la peau pour la protéger du soleil] sur l’apparence physique pied jeune peuvent exercer une grande influence sur la société humaine (choix d’un partenaire, discrimination) pied enfantin (5) ». Autrement dit, la couleur affecte un voile sur la chose : pied délicieusement cuisiné pied délicat qu’elle soit écrite, dites, dessinée, sa représentation prime pied aristocrate sur l’idée. Frantz Fanon raconte à ce propos sa peau noire pieddans candide qui, certains regards extérieurs, l’a rendu esclave de piedapparaître fragile son : « J’arrive lentement dans le monde, habipied nuplus quiprétendre s’effrite tué à ne au surgissement. Je m’achemine pied gentil par reptation. Déjà les regards blancs, les seuls vrais, me pied faible dissèquent. Je suis fixé. Ayant accommodé leur microtome, pied du blanc-bec ils réalisent objectivement des coupes de ma réalité. Je suis pied du colon trahi. Je sens, je vois dans ces regards blancs que ce n’est pied envahisseur pas nouvel homme qui entre, mais un nouveau type piedunétranger d’homme, nouveau genre. Un nègre, quoi !(6) ». pied du un vilain pied dele l’autre Fixé, nom sur la chose, fixé à la glue le regard du pied masqueblanc blanc sur le corps ratatiné, objet dans un monde d’objets. Et pourtant, les noms sont multiples. Pied se dit également : piede, pie, pes, ou encore fuß, foot, mais aussi isigaq ou مدق Chaque son, syllabe, racine grammaticale, claquement de la langue ou roulement des rrr caractérise l’objet nommé d’une saveur, et d’une intention, qui découle d’une géographie, d’une histoire et d’un héritage culturel différent. Pour Marx, « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; il s’agit désormais de le transformer(7) » : pour cela, un léger décalage du regard dans l’espace, un déplacement infime dans le langage, et dans le temps, peut renverser nos aprioris superficiels et, peut être, esthétiser de nouvelles fonctions pour en interroger d’autres. Comment le langage dans son rapport aux corps et à l’espace peutil déconstruire notre regard sur ‘‘ l’étranger ’’ ? Comment l’objet forme une image qui construit un regard ? Dans Le Bruit des arbres qui tombent, Natalie Béasse propose un mélange linguistique surprenant et humoristique. Sur la scène, quatre individus récitent en français, en arabe, en anglais et en néerlandais des textes de Marguerite Duras, Gertrude Stein ou Jacques Brel. Pour le Strasbourgeois lambda, certains textes sont intelligibles, d’autres
erdnet eip > nière qui semble l’emporter. Car l’exposition estdcomme un télescope : la simultanéité des évènementsefabrique une nuej de ip nouvelle perception, notre propre interprétation. nitnafne dC’est eip comme si elle avait matérialisé énisiucnotre tnemachinerie mesueicilcérébrale, éd deip aciléd d eip piochant et recomposant le visible. L’imagetscénique créée etarcvision otsira deip par la scénographie s’affranchit d’une linéaire. edidraconte nac dedes ip Elle doit zoomer dans l’objet pour qu’il nous e l i g a r f d e p mondes. Le pied nu est un morceau de vie, un bout i du e t i r f f e ’ s i u q u n d e i p vivant pour nous faire comprendre que notre perception litneg deip n’est en réalité jamais objective. elbiaf deip c e b c n alb ud deip « L’image, pour moi, comme la réalité, doit demeurer une noloc ud deip énigme. Une énigme non anodine. » ruessihavne deip Yasmina BENABDERRAHMANE regnarté deip n ialiv ud deip > pied-noir e r a’l ed d ip Surnom attribué par les ‘‘ Français detumétropole ’’ eaux cnalb deip ‘‘ Français d’Algérie ’’ ou ‘‘ Français de seconde-zone ’’, à ne pas confondre avec les ‘‘ Français de province ’’, dont la zone s’étend à tout les ‘‘ Français hors intramuros ’’. L’origine de l’appellation (1830) fait débat : on ne sait plus très bien si elle relève de la propreté douteuse des rues du bled salissant les pieds tendres, ou de l’aimable armée française qui, chaussée de bottes noires s’en allaient gaiement en sifflant coloniser le territoire berbère. Le pied-noir désigne donc un blanc. Une pirouette linguistique pour qualifier un pied différent, venu d’ailleurs ; un pied étranger. Le mot noir devient simplement un masque que le blanc brandit pour désigner l’autre, celui qui est parti là-bas. Il devient un qualificatif pour différencier. Quand je — femme blanche de 24 ans — pense à un pied et tente de me le représenter, il y a de fortes chances pour qu’il soit blanc. D’une part, car c’est la couleur de ma peau. D’autre part, c’est que la vision que je porte sur le monde a été peinte de blanc, nommé blanche et goûte même la saveur du blanc. Le regard blanc différencie l’homme, de l’homme noir, l’artiste noir, l’ami d’enfance noir, le premier président noir et le pied noir. À Wikipédia de préciser que « les effets de la mélanine [pigment
colorant la peau pour la protéger du soleil] sur l’apparence physique peuvent exercer une grande influence sur la société humaine (choix d’un partenaire, discrimination)(5) ». Autrement dit, la couleur affecte un voile sur la chose : qu’elle soit écrite, dites, dessinée, sa représentation prime sur l’idée. Frantz Fanon raconte à ce propos sa peau noire qui, dans certains regards extérieurs, l’a rendu esclave de son apparaître : « J’arrive lentement dans le monde, habitué à ne plus prétendre au surgissement. Je m’achemine par reptation. Déjà les regards blancs, les seuls vrais, me dissèquent. Je suis fixé. Ayant accommodé leur microtome, ils réalisent objectivement des coupes de ma réalité. Je suis trahi. Je sens, je vois dans ces regards blancs que ce n’est pas un nouvel homme qui entre, mais un nouveau type d’homme, un nouveau genre. Un nègre, quoi !(6) ». Fixé, le nom sur la chose, fixé à la glue le regard du masque blanc sur le corps ratatiné, objet dans un monde d’objets. Et pourtant, les noms sont multiples. Pied se dit également : piede, pie, pes, ou encore fuß, foot, mais aussi isigaq ou مدق Chaque son, syllabe, racine grammaticale, claquement de la langue ou roulement des rrr caractérise l’objet nommé d’une saveur, et d’une intention, qui découle d’une géographie, d’une histoire et d’un héritage culturel différent. Pour Marx, « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; il s’agit désormais de le transformer(7) » : pour cela, un léger décalage du regard dans l’espace, un déplacement infime dans le langage, et dans le temps, peut renverser nos aprioris superficiels et, peut être, esthétiser de nouvelles fonctions pour en interroger d’autres. Comment le langage dans son rapport aux corps et à l’espace peutil déconstruire notre regard sur ‘‘ l’étranger ’’ ? Comment l’objet forme une image qui construit un regard ? Dans Le Bruit des arbres qui tombent, Natalie Béasse propose un mélange linguistique surprenant et humoristique. Sur la scène, quatre individus récitent en français, en arabe, en anglais et en néerlandais des textes de Marguerite Duras, Gertrude Stein ou Jacques Brel. Pour le Strasbourgeois lambda, certains textes sont intelligibles, d’autres 023
restent dans l’ombre. Alors les comédiens essaient de faire parler leurs corps, à défaut des mots. Ils courent, sautent et, de l’essoufflement de leur course, surgit l’urgence de la parole. C’est l’espace qui se renverse à travers les corps, qui change de cadre lorsque le poids se répartis dans les pieds, des mains, une tête… Voix, sons et présences s’entremêlent pour faire du langage corporel un espace à habiter : « La seule présence de l’acteur immobile raconte déjà beaucoup, puis sa marche, puis sa course, puis sa chute. Le travail que je mène depuis plusieurs années avec des adolescents psychotiques a fait l’expérience de cette relation au corps qui ne passe pas forcément par le langage. Il faut avoir un corps habité, un corps comme une maison. Je pars d’abord du corps, et la parole part d’un état du corps(8). » Nathalie Béasse. > pieds Petits pieds, en termes de rôtisseur, se dit des grives, cailles, ortolans et autres petits oiseaux d’un goût délicat. Terme de cuisine. Patte d’un animal de boucherie ou de charcuterie diversement apprêtée. > l’oignon L’oignon, ou hallux valgus, est une déformation osseuse particulièrement pénible du gros orteil qui, en déviant vers l’extérieur, forme une bosse au niveau du premier métatarse à l’intérieur du pied, empêchant son propriétaire de porter les 3/4 des chaussures étroites vendues sur le marché. Le pied est difforme, le pied nu est laid. Alors pourquoi et comment représenter l’irreprésentable ? Si sa couleur de peau s’inscrit dans un passé culturel commun, les rides qui flétrissent sa fermeté au fil du temps sont identitaires ; les paysages d’ampoules et de verrues germant sur sa surface traduisent des marches et des espaces particuliers. Les oignons, cors et durillons participent à une nouvelle image, celle de la vieillesse qui approche à petits pas. La matière fait corps et pour le comprendre, l’oeil du scientifique et 024
> pieds paquets pieds et paquets du poète s’en vontoudisséquer sa surface. Dans la première revue Corps-Objets-Images sur L’en-deça visible spécialitée marseillaise inventée pardule (TJP 2015), Janig Bégoc interroge justement cuisinier Louis Ginouvès en 1880 nos visions télescopées. La science du vivant, en étudiant le fonctionnegage d’amour de le princesse celio-ligure Gyptis Protis vivants, doit s’adapter à des échelles ment des àorganismes casse-croûte traditionnel des ouvriers moléculaires jusqu’à celle de l’écosystème. Elle s’appuie se automne et font hiver pourcuisine cela sur des outils qui exclusivement appel à la tradition provençale soir astronomique... du 24 décembre vue : microscope, télescope,le lunette Ces instruments optiques augmentent la taille d’un objet en 5 pieds mettant à jour les détails invisibles à l’oeil nu. Cela grâce à 20 paquets d’ail des systèmes de lentilles ou de miroirs qui permettent de 1 petit salé focaliser la lumière. comme 1 bouteille de purée deC’est tomate (50cl) faire entrer un Brechtien au théâtre : le rideau découpe plan de dans le cadre de 1 bouteille de vin blanc demi-sec (deunCassis, préférence) 2scène, verresilderecadre liqueurle deregard. cognac C’est l’option ‘‘gros plan’’ de la caméra, adapté au théâtre. Elle permet de faire émerger huile d’olive oignon une vérité (un détail) du tableau scénique. persil Parallèlement, les outils télescopiques donnent à voir thym le corps comme on l’avait jamais vu : points noirs, poils, poivre cicatrices, cellules, microbes… Ces nouvelles visions transsel posent le corps en image organique. Difforme. Les Gros orteils (1929) photographiés par Jacques-Anmettre les paquets dans une cocotte, dré Boiffard participent cetteà nouvelle esthétique de laisser rendre leur àjus feu doux l’informe. L’objectif aplatit la profondeur de champs et le faire revenir l’oignon, l’ail et le persil volume s’écrase dans la photographie qui émerge du bain hachés dans l’huile d’olive révélateur. L’image livre uneet vision la réalirajouter les paquets la inquiétante purée de de tomate té oùcuire le corps se mue en peau et la et pendant environ 20profondeur minutes en surface. ajouter les pieds et couvrez vin Paradoxalement, en prenant le doigt deles pieddu pour sujet, le blanc geste du photographe magnifie cette partie du corps initiasaler poivrer et ajouter petit bouquet lement peu ragoutante. En effet, un la photographie noire et de thym blanche oublie la chaire et les organes, et pare d’élégance laisser à feu douxentre-coupée, pendant 6hdétachée le portrait mijoter de cet orteil. Énorme, ajouter le cognac de son objet, l’image se détache des canons de beauté. Elle laisser mijoter à feu doux au moins 2h ou reconstruit un autre imaginaire, plus énigmatique, plus toute la journée monstrueux, plus séduisant… forme informe, qui finissez laetcuisson au feu Une de bois s’éloigne de l’ordre des carcans de la beauté pour en trouservir ce plat le lendemain, accompagné ver d’autres. danscuites les filmsàdela Yasmina Benabderde pommes Comme de terre vapeur rahmane où l’artiste agrandit, allonge et maltraite ses pellicules pour éloigner l’image de la ‘‘ vérité ’’. Le corps qu’elle filme s’étrangéise. On ne sait plus s’il s’agit de terre, de
euqap Alors te sd eicomédiens p uo steessaient uqap sdde eifaire p > restent dansst l’ombre. les parler elleurs rapcorps, eétnàevdéfaut ni esdes ialmots. liesrIls amcourent, eétilasautent icéps et, de l’essouffl0 ement 881 nde e leur sèvucourse, oniG ssurgit iuoL l’urgence reinisiude c la parole. l’espace les erugiC’est l-oil ec essqui ecnse irrenverse p el edà travers ruoma’ d corps, egag itrépartis orP à dans sitples yG qui change de cadre lorsque le poids sse sremains, irvuoune sedtête… lennVoix, oitisons dartet eprésences tûorc-ess’ensac pieds, des relangage vih te corporel enmotua nisiucà haes tremêlent pour faire du uneespace e r b m e c é d 4 2 u d r i o s e l e l a ç n e v o r p n o i t i d a rt biter : « La seule présence de l’acteur immobile raconte déjà sdeip 5 beaucoup, puis sa marche, puis sa course, puis sa chute. lia’d steuqap 02 Le travail que je mène depuis plusieurs annéesélavec as titedes p1 adolescents psychotiques)lac0fait l’expérience de cette 5( etamot ed eérup ed ellieturelaob 1 tion au )eccorps neréférqui p edne ,sispasse saC edpas ( cesforcément -imed cnalbpar niv le edlangage. ellietuob Il1 faut avoir un corps habité, un corps cangoccomme ed rueuqune il edmaison. serrev 2 Je pars d’abord du corps, et la parole part d’un eviloétat ’d elidu uh nongio corps(8). » Nathalie Béasse. lisrep myht > pieds e r viop Petits pieds, en termes de rôtisseur, se dit des grives, les cailles, ortolans et autres petits oiseaux d’un goût délicat. Terme de cuisine. Patte d’un animal de boucherie ou de ,ettococ enu snad steuqap sel erttem charcuterie diversement apprêtée. xuod uef à suj ruel erdner ressial lisrep el te lia’l ,nongio’l rinever eriaf > l’oignon evilo’d eliuh’l snad séhcah eL’oignon, tamot edouehallux érup valgus, al teest stune euqdéformation ap sel retosseuse uojar particulièrement setunpénible im 02 du nogros rivnorteil e tnqui, adnen ep déviant eriucvers te niv u d sel zebosse rvuocautniveau e sdeidu p s el retmétauoja l’extérieur, forme une premier cnalde b tarse à l’intérieur du pied, empêchant son propriétaire teules quo3/4 b t ite p nu retétroites uoja te rervisur op le remarlas des chaussures vendues porter myht ed ché. h 6 t n a d n e p x u o d u e f à r e t o j i m essial Le pied est difforme, le pied nu est laid. Alors r pourquoi cangoc el retuoja et comment représenter l’irreprésentable ? Si sa couleur uo h2 sniom ua xuod uef à retojim ressial de peau s’inscrit dans un passé culturel eéncommun, ruoj alles etrides uot qui flétrissent ssa fermeté au fi l du temps sont identitaires iob ed uef ua nossiuc al zessinfi; les paysages d’ampoules de savr suréngapm occa ,niaetme dnverrues el el germant talp ecsurri es face traduisent etc des ruepavdes al marches à setiu errespaces et ed sparticuliers. emmop ed Les oignons, cors et durillons participent à une nouvelle image, celle de la vieillesse qui approche à petits pas. La matière fait corps et pour le comprendre, l’oeil du scien-
du poète s’en vont disséquer sa surface. Dans la première revue Corps-Objets-Images sur L’en-deça du visible (TJP 2015), Janig Bégoc interroge justement nos visions télescopées. La science du vivant, en étudiant le fonctionnement des organismes vivants, doit s’adapter à des échelles moléculaires jusqu’à celle de l’écosystème. Elle s’appuie pour cela sur des outils qui font exclusivement appel à la vue : microscope, télescope, lunette astronomique... Ces instruments optiques augmentent la taille d’un objet en mettant à jour les détails invisibles à l’oeil nu. Cela grâce à des systèmes de lentilles ou de miroirs qui permettent de focaliser la lumière. C’est comme faire entrer un Brechtien au théâtre : le rideau découpe un plan dans le cadre de scène, il recadre le regard. C’est l’option ‘‘gros plan’’ de la caméra, adapté au théâtre. Elle permet de faire émerger une vérité (un détail) du tableau scénique. Parallèlement, les outils télescopiques donnent à voir le corps comme on l’avait jamais vu : points noirs, poils, cicatrices, cellules, microbes… Ces nouvelles visions transposent le corps en image organique. Difforme. Les Gros orteils (1929) photographiés par Jacques-André Boiffard participent à cette nouvelle esthétique de l’informe. L’objectif aplatit la profondeur de champs et le volume s’écrase dans la photographie qui émerge du bain révélateur. L’image livre une vision inquiétante de la réalité où le corps se mue en peau et la profondeur en surface. Paradoxalement, en prenant le doigt de pied pour sujet, le geste du photographe magnifie cette partie du corps initialement peu ragoutante. En effet, la photographie noire et blanche oublie la chaire et les organes, et pare d’élégance le portrait de cet orteil. Énorme, entre-coupée, détachée de son objet, l’image se détache des canons de beauté. Elle reconstruit un autre imaginaire, plus énigmatique, plus monstrueux, et plus séduisant… Une forme informe, qui s’éloigne de l’ordre des carcans de la beauté pour en trouver d’autres. Comme dans les films de Yasmina Benabderrahmane où l’artiste agrandit, allonge et maltraite ses pellicules pour éloigner l’image de la ‘‘ vérité ’’. Le corps qu’elle filme s’étrangéise. On ne sait plus s’il s’agit de terre, de 027
pierre ou de chairs. Disproportionnés dans l’espace, ces images sont comme des objets mélancoliques. Détachés de leur ‘‘ environnement corporel ’’, les fragments de bouches et de pieds prennent une forme macabre. Pour George Bataille, écrire sur Le gros orteil (1929), c’est nous faire regarder l’informe en face. C’est mettre à mal notre obsession illusoire de vouloir donner forme au monde. C’est aussi réprouver la théorie platonicienne des formes sur laquelle trône la représentation académique des apparences. Son texte renverse notre perception de la laideur de ce gros orteil : son « existence ignoble(9) » devient la figure essentielle de la représentation. S’intéresser aux pieds semble absurde ? Pourtant, prendre le gros orteil pour sujet, c’est aussi dire que ce qui nous semble étranger ne l’est pas tant. Que l’absurde est simplement le résultat de notre vision arrêtée sur la chose. Et que celle-ci dépend juste de la manière dont on la montre : Camille Louis, dans son texte intitulé Scènes, Pour une circulation, parle justement de nos nouveaux outils de perception (l’oeil de la caméra) comme d’un moyen pour échapper à la formation et au formatage. Selon elle, ils permettent de rallier un rapport proche et lointain simultanément. La scénographie de l’exposition de Yasmina Benabderrahmane joue sur ces différents plans de proximité. On se déplace et par ce mouvement, on allie un rapport de proximité et de distance avec les images qui défilent sur les murs. On altère l’imagerie du but final en créant notre propre chemin. « Occuper c’est toujours avancer ou se mouvoir sur place, ni vers ni à revers ; ni vers le haut ni vers le bas mais en diagonale(10)». Le spectateur entre dans un paysage blanc et, sans suivre de ligne chronologique, il se déplace d’un endroit à un autre. Il se crée des possibles. Sur les murs, les images de chairs, de bouches, de jambes fragmentées, augmentées et segmentées par la manipulation de l’objectif, s’articulent dans son regard qui le recompose. L’oeil extérieur devient l’inventeur d’une nouvelle forme dans laquelle il n’y a aucun arrêt. Il est curieux de voir comment un simple changement de 028
plan génère un changement de monde (et l’on ne parle pas de géographie). Oui, le dispositif technique – le télescope, la caméra – a changé notre façon de voir mais il change aussi nos manières de représenter le visible. Il devient une « métaphore de notre œil et opérateur critique de nos facultés de perception et d’interprétation(11) ». Nous pouvons donc affirmer ceci : les visions télescopées sont des facilités qui décuplent notre visibilité. Mais il serait faux, à tout voir, de croire avoir tout vu. Alors justement, réinvestir ces techniques télescopées dans la scénographie de théâtre ou de musée permet d’interroger la construction de notre regard pour comprendre quelle vision du monde il véhicule. Zoomé, coupé par la caméra, le cadre de scène ou encore notre regard, le pied fait oublier son « obscure bassesse(12) ». Le corps muet se fait image sur laquelle se projettent nos constructions fantasmatiques et désirantes. « Mais j’habite pas avec lui à cause de l’odeur. Oh le salaud ! L’autre jour, il avait les mains sales, on aurait dit ses pieds, dis donc ! » Coluche, Le clochard analphabète (1977)
> « mettre les pieds dans le plat » Littéralement mettre les pieds dans une situation faisant hoqueter d’indignation la politesse et la bienséance — monter sur la table pour mettre les pieds dans le plat de la maitresse de maison semble être une de ces actions non-conforme en présence de témoins. Luis Buñuel ne prend pas tant de gants lorsqu’il co-écrit L’Âge d’or avec Salvador Dalí pour faire une ode à l’amour libre. Abasourdissant les conventions et la bonne morale, l’amour interdit s’exalte dans l’image en noir et blanc de cette femme léchant goulument les orteils du pied raidi de la statue. Le plaisir naît de la relation directe avec l’objet et nous « séduit bassement ». C’est à dire qu’il émerge de ce bas matérialisme de l’excès, du déchu et de l’abject du quotidien (ce qui n’est pas digne d’être représenté). C’est dans cet ordinaire que Bataille appelle à déceler le 029
sacré. Notre obsession illusoire de vouloir donner forme au monde cède face à la puissance sur le réel qu’impose l’informe. L’informe, «ce n’est pas seulement un adjectif ayant tel sens mais un terme servant à déclasser(13)», c’est une opération de glissement qui fait que ni la forme ni le contenu ne sont plus à leur place, « la stricte démarcation entre le domaine du purement visible (la verticalité du champ visuel) et le domaine charnel (l’espace que notre corps occupe)(14) » s’abolit et le pied, du sol glisse dans la bouche, au centre de notre désir. Dans le film de Buñuel, le pied de la statue s’investit d’une dimension sexuelle qui n’est pas étrangère à la dimension phallique que lui attribue Freud (1914), le lèchement des orteils étant une dérive connue du fétichisme du pied. L’adoration pour un fragment corporel plus ou moins ragoûtant fait fît du reste de la personne : comme démembré, son sujet pourrait tout aussi bien être absent. Dans El, la caméra de Luis Buñuel suit le regard du protagoniste principal, glisse sur les petits petons des enfants que le curé lave et baise avec application et un peu plus loin, s’arrête sur des souliers féminins… avant de remonter le long de la jambe jusqu’au visage de la femme dont il tombera amoureux. Pour Massimo Fusillo, « le fétichisme travaille toujours sur le détail : il le valorise, l’infinitise, il fait entrer dans son microcosme tout un macrocosme de passions et de narrations(15) ». L’objet fétiche, dans les mains du féticheur, est travaillé, usé, transformé. Il est cultivé. Pierre Meunier et Marguerite Bordat justement, entretiennent une forme d’obsession de la matière dans leurs différents spectacles. Roche, métal, vase, le matériau est manipulé jusqu’à l’épuisement de ses sens, de ces utilisations, de ces symboliques. Dans La Vase (2017), la matière molle et brunâtre repose dans une cuve métallique au centre de la scène. Ses gargouillements intermittents exercent une attirance irrésistible sur les pseudo-chercheurs en train de l’étudier. Un doigt s’y trempe, une main malaxe discrètement la matière visqueuse… Mais bien vite, les comédiens vont mettre littéralement les pieds dans le plat : la boue s’étale sur les visages, dégouline et recouvre le 030
sol aseptisé. La vase devient un partenaire de jeu du corps de l’acteur qui glisse sur sa fine pellicule gluante. Elle provoque des attitudes et postures de l’excès à travers des jeux en apparence innocents, faussement scientifiques et plus scatologique. Les propriétés dramaturgiques et plastiques de la vase, mielleuse et filante, sont explorées et épuisées par les comédiens qui s’enfoncent dans un plateau mué en champ de bataille. La matière qui crève et éclabousse les rideaux transparents de ces pustules boueuses, attire l’oeil autant qu’elle révulse. Elle opère un retour à la réalité de la bassesse de notre désir. C’est la conclusion que tire Bataille à la fin de son texte sur Le gros orteil où il écrit : « on est séduit bassement, sans transposition et jusqu’à en crier, en écarquillant les yeux : les écarquillant ainsi devant un gros orteil(16) ». Plus qu’à la forme, mon oeil de scénographe s’intéresse ici à la matière. Malléable, c’est elle qui fait naître et disparaître l’espace. Les éléments naturels et insaisissables, comme la vase, ne sont pas pré-établis, dans nos regards, par des formes concrètes. Au contraire, ce sont eux qui vont les faire émerger. La matière organique fabrique de nouvelles images, séduisantes dans leur étrangeté, qui font corps et espace. Tout comme le pied fétichisé de la statue qui séduit, non pas parce qu’il est beau, mais parce qu’il véhicule une charge émotionnelle dont il se fait réceptacle, celle du désir et du fantasme des « flots bruyants des viscères(17) » qui génèrent en nous un plaisir inavoué ; un appétit de la vermine en écho au Prière de toucher(18) de Marcel Duchamp. > panard
nm masc. familier.
Pied.
> les pieds Nickelés Qui sont-ils, cette bande de trois gaillards formée respectivement par Croquignol, Filochard et Ribouldingue ? Peut être qu’un jour d’été, désoeuvré au fin fond du Poitou-Charentes, écrasé par la canicule qui vous retient d’al031
ler saluer vos charmants voisins bovins, vous monterez à l’étage et ouvrirez la porte grinçante du grenier sur les vestiges immobiles et poussiéreux du dernier siècle. Là, de l’autre côté du miroir, votre esprit aventureux commencera à s’emballer et, malgré vos vingts années largement tassées, vous vous imaginerez instantanément sur L’île aux trésors de Robert Louis Stevenson. Chaque fantôme que vous soulèverez sur votre passage sera susceptible de révéler une pépite. Bien sûr, les objets muets mangés de mites révèleront plus de vieilles chaussures et autres casseroles rouillées mais, entre deux étagères de livres que vous n’aurez pas encore écumées, tombera entre vos main une bande dessinée des Pieds Nickelés. Deux heures plus tard, lorsque l’on aura retourné la bâtisse à votre recherche car ‘‘c’est prêt ! ’’ et que la salade va refroidir, on vous trouvera les fesses dans la poussière, plongé dans une énième arnaque géniale inventée par le trio de fripouilles aux pieds bien trop propres pour être honnêtes. Mais il faudrait peut-être faire un point sur votre argot un peu rouillé parce que oui, les pieds nickelés, ça ne veut rien dire. Ou plutôt, pour que cela veuille dire quelque chose, il faudrait prendre un public Parisien un peu dur de l’oreille, une pièce de théâtre comique à la fin du XIXème siècle et des comédiens aux pieds niclés — c’est à dire mal-formés et non pas couverts de nickel, suivez s’il vous plaît — et vous obtiendrez l’expression « avoir les pieds nickelés » que l’on pourrait attribuer aux blancs petits pieds embourgeoisés, trop précieux trop propres pour s’user à travailler. Bref, avoir les pieds nickelés, c’est un être fainéant mais un fainéant plutôt sympathique. C’est se laisser vivre, autrement dit, c’est celui qui ne rentre pas dans le moule et dans le rang de la « colonie d’insectes intellectuels(19) ». Ce qui ne plait pas trop à cette dernière qui s’alarme, s’offusque, s’indigne et tape du pied au premier qui s’amuse à franchir la ligne. Et pour franchir la ligne, les Pieds Nickelés ne sont pas en reste. Manipulant la bêtise du petit peuple au gros bourgeois, ils se font vétérinaires, policiers, juges pour mieux les détrousser ; pastiches et costumes ridicules les font danser au nez et à la 032
barbe des forces de l’ordre sans pour autant échapper à la case prison, ce qui déclenche, chez le lecteur, un franc éclat de rire. Leurs personnages, grotesques et laids, nous portent à railler avec eux la bonne morale en s’amusant du ridicule de tous ces prétendus gens sérieux. Mais un brusque rappel à l’ordre fige le sourire lorsque, la main bienveillante ayant gracieusement fourni l’hebdo — revue illustrée pour les enfants à un sou, l’Épatant publie pour la première fois les aventures du trio en 1908 — le reprend tout aussi sec en assénant brutalement : « La vie n’est pas un éclat de rire(20) ». Et voilà que le jeu devient tabou et que celui qui s’amuse n’est pas sérieux. Oh, triste sire particulièrement bien dressé... Pour George Bataille, les images ludiques des trois escrocs font s’effriter nos masques d’adultes sérieux et responsables dans un « formidable bruit de vaisselle cassée(21) ». L’amusement et les jeux de l’enfance soigneusement refoulés resurgissent en mettant sur la table nos impulsions inavouables provoquant le rire de l’assemblée (qui en redemande), jamais rassasiée de son désir d’images et d’horreurs perverses. Casser, ce serait, pour Breton, provoquer le choc de la beauté qui convulse. C’est faire surgir le cri incontrôlé du corps dans la foule, ou encore, gribouiller l’ignoble faciès des bandits riant de la beauté figées des angelots sur les boîtes de chocolats. Les pieds nickelés nous amusent parce qu’ils sont laids et nous séduisent d’autant plus de leur laideur dont la valeur burlesque « s’attache toujours plus ou moins aux plaisirs réprouvés par ceux dont l’esprit est pur et superficiel(22) ». Croquis satiriques sur un coin de mouchoir, petites gazettes riant de la noblesse jusqu’aux caricatures politiques de Charlie Hebdo, les dessins ludiques de la culture de masse se gaussent du spectacle du pendu. Ils se délectent des TV-réalités qui érigent de nouveaux zoos humains dans lesquels Adam et Ève se promènent dans le plus simple appareil pour trouver l’amour. Et ainsi, ils élèvent la laideur de la bêtise humaine au rang du « nouveau Promethée(23) ». Révéler l’ignoble, oui, mais comment ? Avec quelles images ? Ces représentations s’emparent de la parole de 033
celles et ceux, qu’à défaut d’entendre, l’on ne voit qu’à travers les imageries produites par les médias. Et que nous disent ces images prétentieuses que l’on ne sait déjà ? C’est la critique que fait Camille Louis à propos du système scénographique mis en place dans le spectacle Sanctuary (2017), de Brett Bailey. Un labyrinthe oppressant aux couleurs du drapeau européen, des migrants muets et statufiés dans des décors dramatiques. Une déambulation subie par le spectateur qui n’a d’autre choix que de contempler en avançant la mâchoire serrée… Le metteur en scène prend la position frontale de la critique pour nous indiquer l’ampleur de notre ‘‘ ignorance et de notre passivité ’’. Le migrant, lui, est présenté comme un être faible à sauver. C’est l’affrontement caricatural des bons et des mauvais mais pour aller où ? Bailey crie : « j’accuse » mais pour quelle forme de réaction ! La culpabilité de nos racines européennes ? Le remord de ‘‘ n’avoir rien fait ’’ ? En nous mettant face à ces images dramatiques, n’omet-il pas de représenter la composition complexe d’un monde commun ? Dans lequel les acceptations, et les frictions, sont aussi l’incarnation de sa vitalité... À l’action finie de l’image qui dénonce, Camille Louis avance une autre mise en scène, un autre décor : sur la scène de Boundary games, l’espace est une forme mouvante qui interroge l’hospitalité. Camille Louis la définit comme « un plan de sensation où s’éprouvent les possibles et limites de l’inclusion différenciante(24) ». L’espace n’est pas figé. Il est transformable. C’est un habitat au sol mouvant, qui distribue « une série de mondes sensibles qui, sitôt installés, sont perturbés par une nouvelle matière ». De nouveau la matière. Celle qui nous interroge sur notre rapport avec la nature, l’environnement, les autres. Celle qui cherche la forme plutôt que de l’imposer. Ce geste libre, ce mouvement pour Bataille, c’est ouvrir « le ventre du jouet criant(25) » pour essayer de mieux comprendre son fonctionnement. La déconstruction (de la représentation, si l’on se réfère à Boundary games) est, non pas un but, mais un point de départ. D’ailleurs, pour Alfred Sohn-Rethel, c’est en brisant les mécanismes que 034
les choses peuvent commencer à réellement fonctionner... Pour Camille Louis, elles ouvrent sur « une nouvelle fiction, celle d’un salut qui ne se trouve ni dans la destruction ni dans l’apaisement qui met fin aux tensions mais dans le redémarrage du mouvement(26) » ; mouvement qui joue des recompositions et « des accidents de sensibilités(27) » pour s’écarter des chemins de la raison rationaliste et de la critique. Riant des belles images gelées, les figures gribouillées des Pieds nickelés renouent avec les images primitives et les pulsions ludiques des dessins d’enfants. Leurs desseins évoluent selon les dessinateurs au bout du crayon, piochant et réinventant de nouvelles astuces pour mieux nous faire comprendre que rien n’est figé et que, si « l’amusement est le besoin le plus criant(28) » de la nature humaine, il est aussi le plus terrifiant.
notes :
1 > CHEVALIER, Jean, GHEERBRANT, Alain. Dictionnaire des Symboles, mythes rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres. Edition Robert Laffont S.A. et Éditions Jupiter, Paris : 1969. p 1043 2 > BENABDERRAHMANE, Yasmina. à propos de son exposition : La bête, un conte moderne de Yasmina Benabderrahmane. DUFOUR, Diane commissaire et GENOUDET Adrien co-commissaire. Installation artistique. Paris : Le Bal, 2020 [vue le 26/01/20]. Article disponible sur : https://www.le-bal.fr/expositions/ en-ce-moment?fbclid=IwAR2XMwPLLEnW1kkdPLkZV9osWzF3U4H9w4sMX9XDWJE7E_BVgRGFIU8A8ok 3 > MAGRITTE montre dans ce tableau que, même peint de la représentation la plus réaliste qui soit, l’objet dans un tableau n’est pas une pipe. Elle reste une image qu’on ne peut ni bourrer, ni fumer, comme on le ferait avec une vraie pipe. L’artiste a développé ce questionnement du rapport entre l’objet, son identification et sa représentation. 4 > BÉGOC, Janig. Entre surface de l’oeil et opacité du monde : les visions télescopées de Tim Spooner. Revue REVUE CORPS-OBJET-IMAGE N°1/INFRA : L’en-deça du visible. Strasbourg : TJP, février 2015 [vue le 26/01/20]. 5 > contributeurs de WIKIPÉDIA. Mélanine. Wikipédia, l’encyclopédie libre [en ligne]. 5 décembre 2019 [consulté le 31/01/20]. Disponible sur : http://fr.wikipedia.org/w/index. php?title=M%C3%A9lanine&oldid=165144003. 035
6 > FANON Frantz. Oeuvres. Peau noire, masques blancs. Paris : La découverte, 2011. p 158 7 > MARX, Karl. Thèses sur Feuerbach (Onzième note philosophique). Stuttgart : Friedrich Engels, 1888. Frantz Fanon y fait sans doute allusion lorsqu’il écrit qu’« il ne s’agit plus de connaitre le monde mais de le transformer » dans Oeuvres. Peau noire, masques blancs. Paris : La découverte, 2011. p 71 8 > BÉASSE, Nathalie à propos de son spectacle Le Bruit des arbres qui tombent. Dossier d’accompagnement du théâtre de la Bastille [en ligne]. Paris, octobre 2019 [consulté le 10/10/19]. Disponible sur : http://www.theatre-bastille.com/ media/bastille/8-dossier_le_bruit_des_arbres.pdf 9 > Bataille, George. Le gros orteil. Extrait de la revue Documents n°6, 1929. p 202-203 10 > LOUIS, Camille. Scènes, Pour une circulation. Extrait de Laurent de Sutter (dir.), Postcritique, PUF, « Perspectives critiques », 17 avril 2019. p 143 11 > BÉGOC, Janig. Entre surface de l’oeil et opacité du monde : les visions télescopées de Tim Spooner. Revue COI, N°1/INFRA : L’en-deça du visible, production TJP. p 121 12 > BATAILLE, George. Le gros orteil. Revue Documents n°6, novembre 1929. OC I, op. cit. p 202-203 13 > KRAUSS, Rosalind et BOIS, Yves-Alain. L’informe mode d’emploi. Les cahiers du musée national d’art moderne. Paris : Centre Pompidou, 4 juin 1999. p 25 14 > Ibid. p 25 15 > Fusillo, Massimo. L’objet-fétiche littérature, cinéma, visualité. Paris : Honoré Champion Editeur, 2014 p 9-10 16 > BATAILLE, George. Le gros orteil. Documents n°6, novembre 1929. OC I, op. cit. p 202-203 17 > Ibid. p 202-203 18 > Allusion au catalogue Exposition Internationale du Surréalisme, présenté par André Breton et Marcel Duchamp, aussi connu sous le nom de Prière de toucher, Le surréalisme en 1947 et dont la couverture affiche un sein en mousse de caoutchouc coloré à la main, monté sur velours noir et attaché à la couverture en carton rose du catalogue. Un appel à dépasser le sens de la vue pour toucher et expérimenter la dimension érotique de l’objet. 19 > BATAILLE, George. Les Pieds Nickelés. Documents, no 4, deuxième année, 1930. p 215-216 20 > Ibid. p 216 21 > Ibid. p 216 22 > Ibid. p 216 23 > Ibid. p 216 24 > LOUIS, Camille. Scènes, Pour une circulation. Extrait de Laurent de Sutter (dir.), Postcritique, PUF, « Perspectives critiques », 17 avril 2019. p 143 25 > BATAILLE, George. Les Pieds Nickelés. Documents n°4, deuxième année, 1930. p 216 26 > LOUIS, Camille. Scènes, Pour une circulation. Extrait de Laurent de Sutter (dir.), Postcritique, PUF, « mPerspectives critiques », 17 avril 2019. p 143 27 > Ibid. p 143 28 > BATAILLE, George. Les Pieds Nickelés. Documents n°4, deuxième année, 1930. p 216
036
2. LE PIED FÉTICHE
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> « faire du pied »
appel du pied au XXIème siècle pour exprimer un désir amoureux pied aux récepteurs très sensibles pied qui fait des avances pied caché pied pudique pied voilé pied maîtrisé pied qui s’expose pied qui se met en scène pied Louboutin qui se fait déshabiller par son soulier pied du XVIe siècle qui ne contracte pas la syphilis pied qui remonte lentement le long de la jambe voisine pied qui fait l’amour sous la nappe pied fétiche qui séduit obsède fanatise fascine dégoute pied de la reine pied immoral pied consentant pied léché ligoté bandé arnaqué frappé caressé sucé pied phallique(1) pied offert par Madame jeu des pieds qui raconte autre chose langage érotique des orteils pieds de pain et de fer qui dansent sur la table(2) pied au jugement dernier
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> pied pudique « La secrète épouvante causée à l’homme par son pied est une des explications de la tendance à dissimuler autant que possible sa longueur et sa forme(3) ». La pudibonderie des pieds est une invention des temps modernes inconnue des femmes les plus pudiques de la période Antique qui, ignorantes de la hantise que cela provoquerait chez leurs congénères quelques siècles plus tard, traversaient la rue d’un pas guilleret en s’aérant leurs orteils chaussés de sandales de cuir. Mais, à force de stratagèmes autoritaires et absurdes faisant du pied un moignon de chairs, ce dernier se cache, honteux de sa condition difforme et d’infirme. Les chinoises ne s’étant pas essayées au bandage des pieds se voient refuser tout bon parti, celles l’ayant fait se voient dans l’obligation de les cacher jusque dans la couche maritale. L’immoralité condamnant peu à peu l’exposition de la jambe, puis de la cheville, du pied jusqu’à même prohiber l’apparition des l’orteils, l’étau se resserre, le champ du visible aussi. Le simple fait de voir surgir un pied des dessous encombrés de la jupe augmente considérablement l’électricité statique et hormonale de la pièce. L’homme qui pose les yeux sur le délicat panard féminin est un criminel. Le costume évolue en conséquence. Aussi, M. Salomon Reinach détaille dans son article sur les Pieds pudiques les situations cocasses générées à la fin du XVIIème siècle par l’absurdité du respect de la bienséance morale. Les lettres écrites par la comtesse d’Aulnoy décrivent la longueur aberrante des jupes des femmes espagnoles qui préféraient se marcher sur les pieds plutôt que de les montrer et « quelques maris poussèrent l’extravagance jusqu’à dire qu’ils aimeraient mieux voir leurs femmes mortes que de souffrir qu’on leur vit les pieds(4) ». Mais le plus tabou reste le pied royal, celui de la reine. Son aura est telle qu’on « aime mieux qu’elles exposent leur vie et qu’elles courent risque de se blesser(5) » que de le toucher. L’indécence de la simple vision d’un morceau de chair du petit peton royal est poussée à son paroxysme lorsqu’elle mène le comte de Villamediana, amoureux de la reine Elizabeth, à allumer 040
un incendie lui permettant de l’emporter dans ses bras : « il lui déroba là quelques faveurs, et, ce qu’on remarqua beaucoup en ce pays-ci, il toucha même à son pied. Un petit page vit cela, rapporta la chose au roi et celui-ci se vengea en tuant le comte d’un coup de pistolet(6) ». L’acte d’immoralité ne pardonne pas et le pied non plus. Recouvert sous des strates d’étoffes, de bandelettes et de bas de soies fines à n’en plus finir, le paysage organique du pied, solidement empaqueté pour ne point s’imposer à la vue, se fait fantasme au fur et à mesure que les femmes se couvrent cheveux, corps et visages. La chose cachée, devenue tabou, libère l’imagination sur ces mondes cachés car il est universellement apprécié « que, lorsqu’on voit le pied, la jambe se devine(7) ». Les bas transparents épousent l’organe comme une seconde peau et se font excroissance pour mieux suggérer le corps organique et sexuel qui se cache à l’intérieur : Objet de désir, objet voilé, le corps ‘‘ chosifié ’’ se soumet à l’autorité du regard pour mieux réveiller le désir de voir. Détaché de sa destination origine, le pied acquiert de nouvelles connotations d’une force fantasmatique qui le transforme en objet-fétiche. IV. Madame alléguera qu’elle monte en berline, Qu’elle a passé les ponts quand il faisait du vent ; Que, lorsqu’on voit le pied, la jambe se devine ; Et tout le monde sait qu’elle a le pied charmant. Mais moi, qui ne suis pas du monde, j’imagine Qu’elle aura trop aimé quelque indiscret amant
Alfred de Musset, extrait IV de Namouna, Premières Poésies (1829-1835)
>
la danse des petits pains / pieds Pratique de séduction effectuée seul ou à plusieurs, bien souvent dans le but d’impressionner le sexe opposé et de, possiblement, conclure agréablement la soirée. La danse des petits pieds — oups, des petits pains ? — apparaît dans une scène du film La ruée vers l’or, de Charlie Chaplin. Le petit Charlot, si affamé qu’il en vient même à 041
manger sa chaussure, sans toutefois manquer de la saler auparavant, travaille d’arrache-pied pour offrir un dîner de Noël à la femme qu’il admire, Georgia. Le soir tant attendu enfin advenu et trop ému pour tenir le discours réclamé, il propose d’effectuer une danse. Le voilà qui empoigne une fourchette dans chaque main et les pique chacune dans un petit pain. D’un geste humble mais parfaitement exécuté, le petit homme fait virevolter sur la table avec la maîtrise d’une ballerine sa marionnette improvisée. Sous ces doigts, la frugale nourriture acquiert une nouvelle prestance comme dans la poésie de Ponge où « sa masse amorphe(8) » se façonne en « vallées, crêtes, ondulations, crevasses(9) ». Dans la fluidité du mouvement de Chaplin, les petits pains bien chiches à nos yeux, deviennent des pieds d’or aux siens car ‘‘ qui a du pain, mange à sa faim ’’. D’un mime parfait, ils sont ré-animés et s’humanisent : ils deviennent l’incarnation du danseur exécutant avec nonchalance des pas d’une fluidité expérimentée. L’objet, détourné ainsi, devient sous nos yeux l’incarnation du corps désirant de Charlot pour sa chère et tendre. Manipulateur de la fiction, lui ne disparaît pas. Mais il devient l’objet du regard des autres, à travers ce fragment de ‘‘ corps mouvant ’’ sur la table. Ceux qui le contemple impressionnés, Georgia, ses amies tout autant que le spectateur extérieur, ne voient plus l’association absurde d’objets marmiteux, la fourchette plantée dans le vulgaire morceau de pain. L’objet-fétiche opère un voyage animiste qui n’est pas un déplacement géographique mais un déplacement perceptif. Il s’exprime à travers la constitution d’un être-ensemble entre l’animé, ici, un Charlot sans le sou à la redingote rapiécée, et l’inanimé entre ses doigts. Charlie Chaplin décentre l’attention de ces spectateurs de sa propre situation pour concentrer leur regard ailleurs. Il n’y a pas de gros plan sur ses mains, le manipulateur reste visible. Mais par un micro-déplacement de l’action dans le cadre de la scène, il réduit notre champ perceptif pour nous montrer sa capacité habile à être médiateur entre le réel et l’irréel, et donner naissance à son double imagi042
> «naire. prendre son pied » ème même processus est mis en place au théâtre par la XIXLe siècle compagnie Kiss & Cry. Dans le spectacle Cold Blood, le plajouir teau scénique est l’espace tournage d’un film.sexuel Dans ceavoir un orgasme au de cours de l’acte prendre du plaisir lui-ci circulent caméramans et maquettes : chambre, danavoir sa tout doseles univers sont pensés à l’échelle d’une cing, forêt, absurdité étymologique main humaine, celle des comédiens qui incarnent de leurs argot des pirates d’une et corsaires doigts les personnages histoire miniature. Manipuprendre son fade, prendre panard, prendre lation et construction des images son se font et se défont à vue son taf, prendre ses ébats du spectateur, qui peut tout aussi bien choisir de suivre la part du butin des voleurs et des corsaires fiction de recomposée l’écran surplombant la scène. Le part plaisir sur partagé processus scénographique nous fait passer de l’infiUn tiers pour le Roi un tiers pourtantôt l’armateur niment grand, à l’infi niment petit. Il manipule les échelles un tiers pour les corsaires de représentation pour nous présenter une vérité de la fapartage équitable au pied brication, le monde minuscule des jouets, à la vision unité dealliant mesure de 33 centimètres pied vaut son pesant d’or macro qui de la caméra. Cette dernière interroge et décortique marin qui de vend sa part prostituées le processus création de nosaux images d’aujourd’hui. Ici, femme « prend sa de ration » du spectateur pour l’objet fiqui lmique s’empare la vision femme qui en eu; pour compteChez Chaplin, lui permettre de avoir de voirson à travers. femme à l’apogée de son plaisir qui histoires saisit l’oeil opère lui même ce passage entre les deux son pied puisqu’elles prennent forme dans un seul et même plan. posture érotique Antique Le regard est comme un télescope, il redécoupe et choisit part longtemps réservée à la gente féminine de plonger droit dans la mise en abîme du danseur s’exerçant sur la table. L’animé change de corps, Charlot s’efface par l’humilité muette de son geste devant sa marionnette. Il s’incline devant celle qui, par son inhumanité, restitue ce que lui ne peut effectuer. L’objet, ainsi investi de cette sacralité, interroge une autre vision. Celle d’un monde désenchanté où les rites et les croyances disparaissent au profit d’une réalité anthropocentrique. Pour Jacopo Rasmi, une réponse passe par un décentrement du regard dans l’espace et sur les choses. Mais aussi, pourrait on ajouter, un décentrement des choses dans l’espace. Sortis de leurs contextes habituels, les choses questionnent ce que l’on nommerait ‘‘ la normalité ’’. Chez Chaplin, tout comme le collectif Kiss & Cry, le décentrement s’opère par le jeu sur l’échelle de la représentation qui, en agrandissant ou rétrécissant l’espace produit une « contre-animation (artistique) du monde environnemen
» deipmanquer nos erdde nela rpsaler « > manger sa chaussure, sans toutefois emè de auparavant, travaille d’arrache-pied pour offrir un elcè isdîner XIX Noël à la femme qu’il admire, Georgia. Le soir tant attendu riuoj enfi ému il lenuadvenu xes etet catrop ’l e d spour ruoctenir ua le emdiscours sagro nréclamé, u riova propose d’effectuer une danse. Lervoilà une isiaqui lp empoigne ud erdne rp sod as dans rioun va fourchette dans chaque main et les piqueechacune euqigolomyté étidrusba petit pain. serimais asroparfaitement c te setari p sed le topetit gra D’un geste humble exécuté, e r d n e r p , d r a n a p n o s e r d n e r p , e d a f n o s e r d n erp homme fait virevolter sur la table avec la maîtrise d’une s t a b é s e s e r d n e r p , f a t nola s ballerine sa marionnette improvisée. Sous ces doigts, seriasroc sed te sruelov sed nitub ud trap frugale nourriture acquiert une nouvelle prestance comme égatrap risialp (8) ed trap dans lampoésie masse farueta ra’l rde uoPonge p sreioù t «nsa u i oR elamorphe ruop s(9) re»ise t n U çonne en « vallées, crêtes, ondulations, crevasses ». Dans seriasroc sel ruop sreit nu la fluidité du mouvementdde les eipChaplin, ua elb atpetits iuqé pains egatbien rap chiches à nos yeux, deviennent d’or sertè mitnec 3des 3 epieds d eru semaux edsiens éticar nu ‘‘ qui a du pain, mange ro’dà sa tnfaim asep’’. nD’un os tmime uav iparfait, uq deiils p seéutitetsos’humanisent rp xua tra:pilsadeviennent s dnev iul’incarnaq niram sont ré-animés » noiavec tar nonchalance as dnerp «des iupas q ed’une mmef tion du danseur exécutant e t p m o c n o s r u o p u e a n e i u q e mef fluidité expérimentée. L’objet, détourné ainsi, devientmsous t i s i a s i u q r i s i a l p n o s e d e é g o p a ’ l à e m mef nos yeux l’incarnation du corps désirant de Charlot pour d e i p nos sa chère et tendre. euqitnA euqitoré erutsop Manipulateur de la fiction, lui ne disparaît pas. Mais il eniniméf etneg al à eévresér spmetgnol trap devient l’objet du regard des autres, à travers ce fragment de ‘‘ corps mouvant ’’ sur la table. Ceux qui le contemple impressionnés, Georgia, ses amies tout autant que le spectateur extérieur, ne voient plus l’association absurde d’objets marmiteux, la fourchette plantée dans le vulgaire morceau de pain. L’objet-fétiche opère un voyage animiste qui n’est pas un déplacement géographique mais un déplacement perceptif. Il s’exprime à travers la constitution d’un être-ensemble entre l’animé, ici, un Charlot sans le sou à la redingote rapiécée, et l’inanimé entre ses doigts. Charlie Chaplin décentre l’attention de ces spectateurs de sa propre situation pour concentrer leur regard ailleurs. Il n’y a pas de gros plan sur ses mains, le manipulateur reste visible. Mais par un micro-déplacement de l’action dans le cadre de la scène, il réduit notre champ perceptif pour nous montrer sa capacité habile à être médiateur entre le réel et l’irréel, et donner naissance à son double imagi
naire. Le même processus est mis en place au théâtre par la compagnie Kiss & Cry. Dans le spectacle Cold Blood, le plateau scénique est l’espace de tournage d’un film. Dans celui-ci circulent caméramans et maquettes : chambre, dancing, forêt, tout les univers sont pensés à l’échelle d’une main humaine, celle des comédiens qui incarnent de leurs doigts les personnages d’une histoire miniature. Manipulation et construction des images se font et se défont à vue du spectateur, qui peut tout aussi bien choisir de suivre la fiction recomposée sur l’écran surplombant la scène. Le processus scénographique nous fait passer tantôt de l’infiniment grand, à l’infiniment petit. Il manipule les échelles de représentation pour nous présenter une vérité de la fabrication, alliant le monde minuscule des jouets, à la vision macro de la caméra. Cette dernière interroge et décortique le processus de création de nos images d’aujourd’hui. Ici, l’objet filmique s’empare de la vision du spectateur pour lui permettre de voir ; de voir à travers. Chez Chaplin, l’oeil opère lui même ce passage entre les deux histoires puisqu’elles prennent forme dans un seul et même plan. Le regard est comme un télescope, il redécoupe et choisit de plonger droit dans la mise en abîme du danseur s’exerçant sur la table. L’animé change de corps, Charlot s’efface par l’humilité muette de son geste devant sa marionnette. Il s’incline devant celle qui, par son inhumanité, restitue ce que lui ne peut effectuer. L’objet, ainsi investi de cette sacralité, interroge une autre vision. Celle d’un monde désenchanté où les rites et les croyances disparaissent au profit d’une réalité anthropocentrique. Pour Jacopo Rasmi, une réponse passe par un décentrement du regard dans l’espace et sur les choses. Mais aussi, pourrait on ajouter, un décentrement des choses dans l’espace. Sortis de leurs contextes habituels, les choses questionnent ce que l’on nommerait ‘‘ la normalité ’’. Chez Chaplin, tout comme le collectif Kiss & Cry, le décentrement s’opère par le jeu sur l’échelle de la représentation qui, en agrandissant ou rétrécissant l’espace produit une « contre-animation (artistique) du monde environnemen045
tal(10) ». Des mains, du pain, des pieds… Les existences mineures et les attachements oubliés des objets réaniment un monde figé qui, après tout, est bien plus qu’humain. Et le pied redevint le pain. Quelle importance cela a t-il de savoir après, que tout cela n’était finalement qu’un rêve éveillé.
notes :
1 > « Selon les psychanalystes (Freud, Jung, etc.), le pied aurait une signification phallique et la chaussure serait un symbole féminin : il appartient au pied de s’y adapter. » CHEVALIER, Jean et GHEERBRANT, Alain. Dictionnaire des Symboles, mythes rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres. Edition Robert Laffont S.A. et Éditions Jupiter, Paris 1969. p 866 2 > CHAPLIN, Charlie. La ruée vers l’or [cassette vidéo]. Studio : Fravidis, 1999. 1 cass. vidéo VHS, 70 min. 3 > BATAILLE, George. Le gros orteil. Revue Document no 6, novembre 1929. OC I, op. cit. p 200 4 > REINACH, Salomon. Pieds pudiques, Cultes, mythes et religions. Tome I, Éd. Ernest Leroux, Paris, 1905. pp 104-110. Extrait des Mémoires du maréchal de Noailles. t. XXXIV, p 118. Texte [en ligne] établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article [vu le 07/01/20]. Disponible sur : http://psychanalyse-paris.com/913-Pieds-pudiques.html#nb1 5 > Ibid. p 533. 6 > Ibid. p 180-181 7 > DE MUSSET, Alfred. extrait IV de Namouna, Premières Poésies (1829-1835). Charpentier, 1863. p 310-353 8 > PONGE, Francis. Le parti pris des choses, extrait Le pain. Paris : Folio, 2009. p 24 9 > Ibid. p 24 10 > RASMI, Jacopo. Ré-animation, dossier thématique : La caméra pythagorique de l’animisme qui nous est propre. Revue CorpsObjets-Image n°3. Strasbourg : TJP Editions, mars 2018. p 116 046
3. LA CHAUSSURE
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> la chaussure
chaussure en cuir de veau ou de vache chaussure à boucle en acier et en laiton, à boutons et noeuds papillons chaussure à lacets ou à scratch chaussure plate ou à talon chausson de sport de sécurité de danse de nuit pointes demi-pointes poulaines mixtes, poulaines pointues, poulaines royales basket bateau boots botte bottillon babouche ballerine bas résille bas de contention cothurne croquenot claquettes crocs escarpin espadrille écrase-merde après-ski brodequin caoutchouc charentaise chaussette chausson de toilette japonais galoche godasse godillot grolle mocassin mule péniche pantoufle pataugas patin pompe sabot sandale savate snow-boot socque sorlot soulier spartiate ribouis tatane............................. abarka, waraji, zori, open toes et autres incongruités chopines vénitiennes lys d’or Ballerina Ultima louboutin Nike Nike air Nike air max Nike air force Nike Air Jordan 1 Armadillo chaussures cornet de glace chaussures d’apparat pantoufle de verre sandales ailées mocassin Weston du garçon de café bottes de sept lieux cuissardes du chat botté chaussure féminine masculine patte d’ours et bec de cane pour les six orteils de Charles VIII
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> le pied du Papalagui « Papalagui : le blanc, l’étranger, littéralement : le pourfendeur du ciel. La prononciation samoane est proche de Papalangui, le g étant doux et nasal. La vraie écriture est Papalagi(1) ». Bien qu’on les trouve principalement en Europe où il fourmillent par milliers, les pieds du Papalagui voyagent et s’exportent de plus en plus hors de leurs frontières pour coloniser d’autres pieds, sous couvert de les protéger. Touiavii, chef de la tribu Tiavéa dans les îles Samoa, a vu les pieds des Papalagui et les raconte ainsi : Le Papalagui n’est pas très à l’aise avec la chair car la chair est péché. Celle de sa poitrine, de ses pieds et même celle de ses « membres qui s’attouchent pour engendrer les hommes(2) ». Alors il utilise des couvre-chair pour la cacher. Des pieds à la tête, il s’enveloppe « de pagnes, de nattes et de peaux, si serrés et si épais qu’aucun oeil humain, aucun rayon de soleil ne les traverse, si serrés que son corps devient pâle, blanc fatigué, comme les fleurs qui poussent au fond de la forêt vierge(3) ». Les pieds du Papalagui sont affublés de deux peaux. L’une, douce et souple, s’adapte à la morphologie du pied. L’autre, plus dure, est tannée puis séchée au soleil. « Le papalagui s’en sert alors pour fabriquer une sorte de pirogue à bords relevés, juste assez grande pour accueillir un pied. Une pirogue pour le pied gauche, et une pour le pied droit. Ces bateaux pour pieds sont crochetés et ficelés solidement au cou-de-pieds, de sorte que les pieds s’allongent dans une coque solide comme le corps d’un escargot de mer(4) ». Ces petits navires, l’homme blanc ne les quitte presque jamais et vogue avec toute la journée, marchant et dansant du lever au coucher du soleil, sans jamais libérer ses pieds. Ceux-ci se mettent à puer, rougir, gonfler, craqueler : déformés, ils ne peuvent plus agripper et grimper à l’arbre, ils ne peuvent plus danser et courir. Et un jour, ils ne peuvent plus marcher. Les pieds sont morts dans leur cage dorée. Alors, pour dissimuler son malaise, le Papalagui s’acharne à faire briller le cuir qui recouvre ses pieds. Il le lustre si fort que les yeux, éblouis et séduits par 050
l’image qui se reflète dans le miroir, en oublient l’incommodité. Alors le Papalagui se dit que ça vaut bien le coup d’avoir mal aux pieds. C’est pourquoi tout le monde a ri lorsqu’un jour, un blanc a dit : « Ce n’est pas bon de porter aux pieds des peaux si serrées et si lourdes. Allez pieds nus sous le ciel aussi longtemps que la rosée de la nuit tapisse l’herbe, et toute maladie se retirera de vous(5) ». Le temps a passé et les Papalaguis ont continués à construire des pirogues pour pieds par milliers. Il a inventé encore des masques pour se cacher et des belles images pour raconter d’autres histoires. Et les pieds de la tribu Tiavéa ont continué à parler et danser avec le soleil, libres des peaux, des cordes et de la honte du Papalagui pour ses pieds. « Les objets partiels sont la partie d’un tout, comme le terme l’indique clairement. Le sein ou la chaîne, l’oeil ou la vue, la bouffe ou la voix font figure de partie d’un corps entier ou d’une personne. » Peter Weibel, Phantom of Desire, Visions of masochism in art, 2003
> les pieds bandés (éloge du petit) Coutume pratiquée au Xe siècle sur les pieds des jeunes filles issues de classes sociales aisées avant de s’étendre à toute la Chine. La légende dit que le poète et souverain Li Yu (937-968) désirant contempler son épouse Yao-niang en train d’effectuer la danse traditionnelle du lotus, il imagina lui transformer les pieds ‘‘ en croissant de lune ’’. Cette pratique, dite du ‘‘ Lys-d’or ’’, vise à rapprocher les orteils vers l’os calcaneum du talon à l’aide de bandes d’étoffe, les incrustant définitivement sous la voute plantaire comme une corolle de lys. Ainsi mutilés, les pieds des chinoises s’engouffrent dans des chaussons étroits — les plus petits ne font pas plus de 7,5 cm de long — qui seront envoyés au futur mari en gage de féminité. Du social à l’esthétisme, de l’esthétisme à la séduction, la petite chaussure dans lequel s’insère le petit pied devient un objet de fantasmes. Un véritable fétichisme s’empare de ce soulier dans lequel est 051
transposé toute la sensualité génitale du corps féminin sur laquelle les hommes se masturbent. La chaussure est un revêtement. Elle habille. Camoufle le corps nu. Frontière entre l’intérieur et l’extérieur, le soulier est une peau artificielle qui se voile et se dévoile. Deleuze parle d’une seconde peau qui « protège la sentimentalité suprasensuelle comme vie intérieure, et l’exprime comme ordre extérieur, comme colère et sévérité(6) ». Ses fonctions naturelles cachées, le pied chaussé devint objet de nouveaux mythes. L’organique s’oublie. Le corps, reproduction du monde, délaisse sa chair pour devenir image, symbole de la sensualité féminine. Et, dans notre société où l’apparence est reine, ce ne sera sans doute pas la dernière fois que, la mode, s’imposant comme norme, remodèle l’anatomie du féminin. > « Colosse aux pieds d’argile » Expression désignant une entité ou individu d’apparence puissante mais de constitution vulnérable. Elle prend racine dans un épisode de la Bible dans lequel le prophète Daniel raconte au roi Nabuchodonosor II un rêve prémonitoire de l’effondrement du royaume de Babylone : il y voit une immense statue à la tête d’or, au torse et aux bras d’argent, aux cuisses de bronze et aux jambes de fer, qui semble indestructible. Mais ses pieds, d’argile et de fer, sont d’édification fragile. Frappés d’une pierre en chute libre, ils se brisent sous l’impact faisant s’écrouler dans leur sillage la statue entière. Ce colosse aux pieds d’argile, c’est aussi le pied de la femme vénitienne du XVIe siècle juchées sur des platesformes de 55 cm à la marche instable, obligée de sortir escortée de ses serviteurs, jusqu’à la femme du XXIe siècle sur ses talons aiguilles. Supports de la station debout propre à l’être humain, symboles de la force de l’âme selon Paul Diel, les pieds sont notre fondation. Privé de cette force, tel Achille ou Héphaïstos le boiteux, le déséquilibre du pied révèle une faiblesse de l’âme. Les fragiliser revient à ôter toute mobilité à son sujet, le privant ainsi de son libre arbitre. Hors, si la chaussure visait initialement à cou052
vrir le pied et à permettre la marche, les multiples transformations imaginées au fil du temps — des ‘‘ becs de cane ’’ adaptés aux six orteils de Charles VIII ! — ont peu à peu perdu l’usage premier de l’objet au profit d’une allure. Mot qui est synonyme de contrôle sur ‘‘ Madame ’’. La forme du soulier agit sur le corps. Elle modifie les formes et proportions naturelles du pied afin de générer un geste, un mouvement, une démarche chaloupée qui devient parfois la signature de Marylin Monroe. Ou le pied parade de Steven Cohen. Perché sur talons en crânes humains, de sabot animal ou sarcophage lors de sa dernière performance, la hauteur est telle qu’il ne peut se déplacer sans béquilles ou être accompagné. Tel Oedipe s’appuyant sur son ‘‘ troisième pied ’’, le performeur sud africain transforme cette fragilité du corps en force. L’objet sculptural se substitue à la fonction corporelle du pied et la marche tout comme la chaussure, deviennent une performance. Ce talon vertigineux n’est pas bien loin des pieds bandés du Xe siècle ou du talon aiguille aujourd’hui. Objet inconfortable, il n’est pas pensé pour la marche mais comme marqueur de distinction sociale. Selon Michel De Certeau(7), c’est l’objet ajouté qui fait dire le code au corps. La chaussure conforme à une posture. Impose une forme, un tonus à valeur de ‘‘ carte d’identité ’’. La chaussure refait le modèle physique du féminin en enlevant, ou en rajoutant, un élément au corps. Il s’agit de corriger un excès, ou déficit, dans la démarche et dans l’esthétique du pied. Le soulier se conforme aux règles et modes de contrats socio-économiques et culturels. Mais, ainsi, il modifie également les fonctions premières du pied (stabilité, mouvement, marche). Il véhicule l’image d’une femme fragile, une femme dont la préciosité des pieds n’est pas adaptée à la marche dans l’univers urbain. Une femme contrôlée. Et, si cela paraît improbable, l’exposition Marche et démarche, une histoire de la chaussure du Musée des Arts Décoratifs, explique qu’encore aujourd’hui, « contraindre le mouvement est une garantie de moralité. Car la liberté de mouvement est perçue comme un risque de sexualité débridée(8) ». 053
C’est justement en jouant avec ces codes sociaux, entravant et travestissant le pied, que les chaussures extravagantes de Steven Cohen désacralisent les rapports de genre, et de domination, imposés sur la communauté homosexuelle. Et, de manière plus générale, sur l’identité de la chaussure féminine : le talon aiguille hurle, s’exhibe et affirme son libre arbitre en revendiquant, sans conteste, sa féminité. Un ‘‘ coup de gueule ’’ partagé par Rebecca Horn. Dans ses installations, l’art est ce « théâtre qui nous réveille : nerfs et cœur(9) » revendiqué par Antonin Artaud et son Théâtre de la cruauté. Die preussische Braut (1988), ‘‘ la mariée prussienne ’’ pour les francophones, est un ‘‘ Na ! ’’ ironique, lancé à La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (Le Grand Verre, 1915-1923) de Marcel Duchamp, dont l’œuvre évoque l’autosuffisance sexuelle dans un monde sans femmes. En réponse, la figure des ‘‘ célibataires ’’ de Rebecca Horn est constituée d’une paire de louches articulées et fixées au mur, ‘‘ éjaculant ’’ de l’encre sur la ‘‘ mariée ’’. Celleci est représentée par des escarpins blancs, également fixés au mur, un mètre en dessous de la paire de louches. Imperturbable, Die Braut continue sa danse nuptiale. La blancheur de ses souliers se transforme, peu à peu, sous la noirceur des éclaboussures. La chaussure n’est plus un prolongement du corps comme chez Steven Cohen. Elle le remplace totalement et devient ‘‘ une arme ’’. Un geste symbolique. L’objet incarne le genre, il nous parle de la cruauté que les choses peuvent exercer contre nous, ce que la chaussure fait au pied de la femme : un ‘‘ suicide ’’ corporel et social au nom de l’esthétique. C’est un théâtre du sensible et de l’érotisme, certes. Mais, c’est aussi et surtout, une chaussure qui pousse un cri passionnel : une voix qui s’élève pour questionner les agencements conflictuels de nos désirs féminins et masculins. Mesdames, ne faites pas de votre talon aiguille une arme, faites-en votre liberté. 054
> « va-nu-pieds » (dédicace à Victor HUGO) Les chaussures sont des accessoires de luxe réservés à la catégorie bourgeoise de la population ou aux travailleurs. Le vagabond ou l’esclave dans la période Antique, ne peut pas s’offrir de chaussures (symbole de liberté et d’aisance). Il va nu pieds. « Comme l’ombre à tes talons collée J’emporte le bruit lent de nos pas assemblés »
Olivier SAILLARD, Commandes Très Spéciales, poème sérigraphié sur des chaussures J.M. Weston, 2019
> « trouver chaussure à son pied » (métaphore de l’amour) Expression du début du XVIIème siècle signifiant « trouver quelqu’un qui résiste(10) ». Aujourd’hui, elle marque le fait d’avoir trouvé ce dont on a besoin et découle d’une image simple : trop petites ou trop grandes, les chaussures deviennent difficiles, voir douloureuses, à porter. Les bonnes chaussures trouvées, le pied est libre, l’espace s’ouvre, car, selon Jean Servier : « marcher avec des chaussures, c’est prendre possession de la terre(11) ». Métaphoriquement, les souliers symbolisent également les deux sexes, signifiant à la fois le contenu et le contenant. Trouver chaussure à son pied serait donc trouver la personne qui convient. Et pour cela, aucun spectacle n’est trop beau. Publicités, vitrines, collections, défilés, expositions, la chaussure aimante, se met en scène sur son piedestal glacé. Elle se fait appeler Louboutin, ou Manolo Blahnik au pied de Carrie Bradshaw dans la série Sex and the City. Les stars et le domaine du luxe lui donne un nom, une marque. La chaussure s’humanise, on parle de ‘‘ décolleté de la chaussure ’’. L’amour se vend en boîtes à chaussures et par milliers. Elle défile et pour cela, n’a plus besoin du pied : mise en scène érotique et jeux visuels orientent et manipulent la perception du spectateur. Pour Can Onaner, c’est le mode de visibilité qui prime : « l’important est moins ce qui est vu que la façon de donner à voir(12) ». 055
Dans Commande très spéciale (2019), le directeur artistique Olivier Saillard de la marque J.M. Weston, fait performer l’emblématique mocassin 180 au Café de l’Époque plongé dans un décor années 30. Chaque paire est une commande haut de gamme qui défile sur les plateaux des garçons de café, dépouillés de leurs expressos habituels, au son de poésies en guise de menu. Et le ticket de caisse ? C’est un poème, une ode au geste créateur, au mouvement du corps et à l’attitude du marcheur qui s’incarne dans ces objets de cuir servis sur des plateaux d’argent. La chaussure ne porte plus, c’est elle qui se fait porter. Cette fétichisation de la marchandise s’exprime à travers un spectacle vitrine dont le corps est absent, le seul objet de la mise en scène reste la perception du matériau. Can Oaner explique que le matériau fétichiste va à l’encontre d’une lecture claire et rationnelle, il projette une image qui gêne la lisibilité et la lecture du consommateur. C’est ce que génère la série surréaliste, et sensuelle, des Walking Legs de Pierre Bourdin : des demi-jambes de mannequins, parées d’escarpins traversent la route ou s’adossent à un banc, face à l’océan. L’association de l’objet à un contexte raconte la traversée d’une femme en escarpins rouges, une sensualité, une attente… La puissance de l’image réside dans sa capacité à faire oublier au spectateur qu’il s’agit en réalité d’une campagne publicitaire pour le chausseur Charles Jourdan. Elle construit un standing sur des illusions subtiles : la femme qui chausserait ces escarpins emporterait dans ses pas la sensualité poétique véhiculée par les images de Bourdin. Plus qu’une illusion, la chaussure construit un mythe féminin. Que cela soit par le biais de la mise en scène sur des corps, ou son agencement stratégique dans un espace, la chaussure projette une image. La narration, construite autour de l’objet, fait imaginer un corps idéal, d’autant plus mystifié par son absence. Le mocassin incarne, à lui seul, un certain standing de vie parisien dans le quartier de Palais-Royal à Paris. La chaussure est une falsificatrice, elle génère un espace d’illusion. Un fantasme visuel qui s’incarne dans la 056
photographie. L’image fabrique l’objet. Et façonne le mythe. > « pied de nez » (l’androgyne) Geste moqueur consistant à poser le bout du pouce sur son nez tout en agitant les doigts dans le but de narguer ouvertement la personne en face et, éventuellement, de la faire sortir de ses gongs. Action ironique particulièrement prisée par l’artiste photographe Pierre Molinier dont l’esthétique est un pied de nez constant à l’ascétisme et aux principes moraux coincés d’une société qui avance les yeux bandés. Chez Molinier, la fétichisation débute avec le travail du matériau de la chaussure. Bas résilles et talons vertigineux remanient, travestissent, déguisent et maquillent le pied. L’escarpin, ainsi chargé en puissance érotique et mortifère, devient l’abstraction et la sublimation d’une sensualité féminine. « L’ornement suprasensuel(13) » enchante ces objets du quotidien en générant des sensations corporelles, érotiques et sexuelles. Peintures surréalistes, montages photographiques, Pierre Molinier se met en scène avec des créatures fantasmagoriques qu’il se taille sur-mesures : « il invente le collant à double ouverture, le joug d’auto-fellation, il fabrique les godemichés à une ou deux places, parfois montés sur un talon d’amour (14) ». Ces objets, ‘‘ utilitaires ’’ ou ‘‘ embellisseurs ’’, falsifient le rapport au corps qui se construit dans des imbriquements surréalistes (chimères de femmes aux jambes plurielles). L’architecture érotique des photographies de Molinier relève d’un procédé qui oriente et manipule la perception du spectateur. Ce dernier ne sait plus où situer les limites de l’artifice car c’est la perception du matériau, plus que l’objet lui même, qui devient le sujet de la mise en scène fétichiste : « le matériau qui subit une transposition fétichiste va aller à l’encontre d’une lecture claire et rationnelle ; il va projeter une image qui gêne la lisibilité et trompe la lecture(15) » (Can Oaner). Voilà le pied figé dans un milieu inquiétant, troublé 057
d’objets inanimés et de cadavres fleuris ; une atmosphère où l’énergie érotique du corps se suspend dans le clair-obscur des bas résilles. L’image du, ou des corps, devient floue. L’espace acquiert une atmosphère épaisse dans laquelle le regard extérieur se perd, s’enlise ; plus d’horizon, plus de limites spatiales : « Qu’est ce qu’un milieu ? C’est beaucoup plus que l’espace et même plus qu’un lieu. C’est un lieu-matière mouvant. C’est une intensité dispersée. Une continuité de plus et de vagues sans relâche(16) ». Georges Didi-Hubermann définit ainsi le ‘‘ mi-lieu ’’. Entre-deux identitaire dans l’univers de Molinier, celui-ci cherche et provoque en utilisant la chaussure comme un masque pour déguiser et modifier son corps. L’escarpin s’empare du sexe et de la jambe comme d’une matière malléable. L’objet n’est plus genré : sur un corps masculin lui même modifié, fardé, féminisé, l’escarpin questionne la sexualité qu’il appose ou impose. La chaussure chez Molinier est transidentitaire, le pied devient androgyne. Les outils « suprasensuels(17) » de l’artiste projettent une image dont la signification ne se donne pas immédiatement : « il ne s’agit pas de faire des enseignes lisibles, mais de projeter des images caractérisée par les matériaux et les symboles. L’illisibilité est souvent un système(18) » pour renverser nos représentations et nos idées reçues. L’escarpin n’est plus seulement l’image sexualisée de la figure féminine minaudante mais une force revendiquée politiquement et socialement. Pierre Molinier chaussé d’escarpins se fait « maître du vertige(19) ». > les pieds amoureux Les chaussures font la paire. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans l’Antiquité par exemple, les sandales de cuir ne différenciaient pas le pied droit, du pied gauche. On peut donc imaginer que l’on pouvait aisément se prémunir de trois, cinq, ou même onze chaussures identiques, si on le souhaitait, en prévention de l’usure de l’une d’entre elles. C’est bien plus tard que l’industrie a commencé à produire des souliers s’adaptant à la voute plantaire. À partir de ce changement, les chaussures vont par deux. 058
Elles respectent la symétrie axiale du corps humain et se complètent : elles sont la parfaite image inversée l’une de l’autre. D’ailleurs, en Chine du nord, le mot soulier signifie l’entente réciproque. La paire symbolise ‘‘ l’union fusionnelle ’’ du féminin et du masculin. Sans sa moitié, la chaussure est vite rendue caduque car le pied, ainsi déstabilisé, ne peut plus marcher. Il est voué à l’immobilité. La femme sans l’homme, l’homme sans la femme, voué à l’échec ? Les objets détournés de Meret Oppenheim ironisent pleinement la pression qu’exerce la société sur nos ‘‘ pauvres coeurs de femmes célibataires ’’ : Das Paar (1956) est une paire de bottines en cuirs, soudées l’une dans la pointe de l’autre. Comme deux bouches fusionnant dans un baiser vorace... Objet totem, ‘‘ Le couple ’’ devient la métaphore des entraves amoureuses. La marche est empêchée, les chaussures féminines entravent et annulent tout mouvement qui tenterait d’aller de l’avant. Les pieds amoureux sont un joli piège : pour la femme, dans son rôle de muse, épouse, mère, et pour l’homme, auquel la société incombe d’être porteur de cette relation. L’objet interroge. L’entrave, physique, raconte l’autre, psychologique, culturelle, sociale. Celle qui ne se voit pas, ni ne se dit. La chaussure cristallise nos désirs contraires et irréalisables. Elle devient, en quelque sorte, la prothèse non d’un être absent, mais d’une idée. Quelque chose qui n’est pas incarné. L’objet se fait porteur de ce message. En effaçant le corps, les bottines racontent autre chose et nous emportent ailleurs. Comment nos relations humaines s’incarnent dans nos objets du quotidien ? Quelles formes naissent de nos rapports féminins-masculins ? Et, quelles formes pour tous les autres, les relations lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queer, intersexes qui s’en émancipent ? Au théâtre, ce questionnement va engendrer des objets non-fonctionnels et non-utilitaires : contraindre le mouvement afin de se ré-approprier ses mécanismes, apprendre à marcher avec deux pieds gauches, deux pieds droits… L’objet tend à renverser les rapports que la société impose comme une norme : pourrait-il nous réapprendre à marcher seul, ou, au contraire, fusionner les relations dans des 059
chaussures pour avancer à trois, quatre ou cinq pieds ? Ces objets prennent une apparence absurde, certes, mais cela pour reconsidérer des relations (physiques, culturelles) qui ne le sont pas moins, vestiges religieux de principes monothéistes conservateurs, formatés par une soi-disant ‘‘ morale ’’. > « six pieds sous terre »
1. Décédé. 2. Expression qui tire son origine de la profondeur ré-
glementaire établie au XVIe siècle pour l’enterrement des cercueils afin d’empêcher les chiens de déterrer les morts. Celle-ci était de 1m80, soit six pieds sous la terre. 3. Dans les traditions occidentales, le soulier vide près du mourant indique qu’il n’est plus en état de marcher, il préfigure la mort : chaussure vide du pied déchaussé, relique funéraire du pied qui s’oublie, témoin du pied qui n’est plus. Symbole du voyage à destination de l’autre monde, la chaussure incarne des mondes révolus. Alliance entre présence et absence, les chaussures utilisés par Christian Boltanski sont des reliques, objets témoins du passé d’une mémoire collective : celle de l’holocauste, de la Shoah. L’objet vide évoque des mondes d’affects et de souvenirs, des hommes et femmes dépouillés, déshabillés, empilés à l’entrée des camps. Leurs effets sont comme des présences perdues qui réactivent une mémoire commune, dernière tentative de transfigurer une perte. Dans le cadre de la « Monumenta » au Grand Palais, Personne (2010) est une installation monumentale, un espace labyrinthique où le spectateur est immergé dans un environnement minimal et industriel rythmé par les soixante-dix battements de coeur qui résonnent dans l’espace. Au sol, des montagnes de vêtements cartographient l’espace. L’artiste archive, empile, catalogue et fait l’inventaire. L’installation devient « une obsession ritualisée de la perte(20) » qui transforme la chaussure trouée ou le vêtement usé en un fétiche de substitution. Ces objets collectés suspendent la temporalité présente par leur présence 060
> la mosquée physique dans l’espace muséal et ouvrent sur des mondes entiers. Le fétichisme sol sacré, terre d’islam fonctionne au travers de systèmes ritualisés et théâtralisés. Ceux-ci permettent étranger déchaussé, de transcender la perte et la mélancolie évoquées par la murs de souliers chaussure pour construire une nouvelle identité hybride. société deimage chaussettes Comme une aux pièces manquantes que l’on cométagères numérotées, plète, la chaussure usée témoigne d’un pied féminin ou masculin, adulte ou enfant arpentant les champs ou les satraversée lons… Ce quifeutrée importe n’est pas la vérifiabilité évocatrice champs de moquette de l’objet, « l’histoire vraie », mais la porte que son souvenir sandale oubliée entrouvre sur l’imagination. pied dépossédé ; Régine Robin parle de « frottements temporels(21) », un décalage entre différents temps dans un même niveau de dos courbés temporalité. Ainsi, le temps se donne à voir, à sentir. À traraie des fesses vers sonvoilé écoulement réel, son passé et son « devenir ». Il est corps pied déshabillé, perçu dans sa simultanéité, il devient un « temps spatial », premier verstout l’intimité à l’intérieurpas duquel, s’accumule et cohabite. Un point du présent peut correspondre à un temps passé, aussi bien qu’à un phénomène futur. Les vêtements, les enregistrements sonores sont marqués par un passé mais la manière dont ils vont être agencés dans l’espace va impacter sur la temporalité de l’installation. Celle-ci muséifie le vêtement, la scénographie opère un changement de statut : il devient une relique, porteuse d’empreinte temporelle, de présence humaine. Une nouvelle temporalité s’introduit alors par la présence de l’absence. L’objet est porteur de la trace d’un souvenir. Cette temporalité de l’empreinte est ponctuelle, c’est un pont entre le passé de l’action et le présent de celui qui regarde. Dans ce processus, l’objet remplis « une fonction thérapeutique et cathartique(22) » en se faisant la substitution du corps. Souvent, il se double d’un aspect obsessionnel, réaliste ou morbide. Le chaussure vide appelle donc un autre temps, un temps de la représentation qui invite à se dissocier d’une dramaturgie linéaire suivant les codes classiques de la narration. Pour Massimo Fusillo, le fétichisme mémoriel suppose répétition et ritualité. Une atmosphère qui fait partie d’un tissage scénographique permettant au spectateur de faire l’expérience de la durée ; de l’espace-temps. Le pay
éucinq qsompieds al ?> chaussures pour avancer à trois, quatreeou Ces objets prennent une absurde, malsapparence i’d erret ,ércascertes, los mais cela pour reconsidérer des relations ,éss uahcéd (physiques, regnarté culturelles) qui ne le sont pas moins, vestiges religieux de sreformatés iluos epar d sr um principes monothéistes conservateurs, une settessuahc ed étéicos soi-disant ‘‘ morale ’’. ,seétorémun serègaté > « six pieds sous terre » eértuef eésrevart 1. Décédé. etteuqom ed spmahc 2. Expression qui tire son origine de la profondeur réeéilbuo eladnas glementaire établie au XVIe siècle pour ; él’enterrement déssopéd dedes ip cercueils afin d’empêcher les chiens de déterrer les morts. Celle-ci était de 1m80, soit six pieds sous lasterre. ébruoc sod 3. Dans les traditions occidentales, le s soulier du essefvide sedprès eia r mourant indique qu’il n’est plus en état de marcher, éliov silppréroc ,él libahsédrelique deip figure la mort : chaussure vide du pied déchaussé, timitnitémoin ’l sredu v spied ap rqui eimn’est erp funéraire du pied quiés’oublie, plus. Symbole du voyage à destination de l’autre monde, la chaussure incarne des mondes révolus. Alliance entre présence et absence, les chaussures utilisés par Christian Boltanski sont des reliques, objets témoins du passé d’une mémoire collective : celle de l’holocauste, de la Shoah. L’objet vide évoque des mondes d’affects et de souvenirs, des hommes et femmes dépouillés, déshabillés, empilés à l’entrée des camps. Leurs effets sont comme des présences perdues qui réactivent une mémoire commune, dernière tentative de transfigurer une perte. Dans le cadre de la « Monumenta » au Grand Palais, Personne (2010) est une installation monumentale, un espace labyrinthique où le spectateur est immergé dans un environnement minimal et industriel rythmé par les soixantedix battements de coeur qui résonnent dans l’espace. Au sol, des montagnes de vêtements cartographient l’espace. L’artiste archive, empile, catalogue et fait l’inventaire. L’installation devient « une obsession ritualisée de la perte(20) » qui transforme la chaussure trouée ou le vêtement usé en un fétiche de substitution. Ces objets collectés suspendent la temporalité présente par leur présence
physique dans l’espace muséal et ouvrent sur des mondes entiers. Le fétichisme fonctionne au travers de systèmes ritualisés et théâtralisés. Ceux-ci permettent de transcender la perte et la mélancolie évoquées par la chaussure pour construire une nouvelle identité hybride. Comme une image aux pièces manquantes que l’on complète, la chaussure usée témoigne d’un pied féminin ou masculin, adulte ou enfant arpentant les champs ou les salons… Ce qui importe n’est pas la vérifiabilité évocatrice de l’objet, « l’histoire vraie », mais la porte que son souvenir entrouvre sur l’imagination. Régine Robin parle de « frottements temporels(21) », un décalage entre différents temps dans un même niveau de temporalité. Ainsi, le temps se donne à voir, à sentir. À travers son écoulement réel, son passé et son « devenir ». Il est perçu dans sa simultanéité, il devient un « temps spatial », à l’intérieur duquel, tout s’accumule et cohabite. Un point du présent peut correspondre à un temps passé, aussi bien qu’à un phénomène futur. Les vêtements, les enregistrements sonores sont marqués par un passé mais la manière dont ils vont être agencés dans l’espace va impacter sur la temporalité de l’installation. Celle-ci muséifie le vêtement, la scénographie opère un changement de statut : il devient une relique, porteuse d’empreinte temporelle, de présence humaine. Une nouvelle temporalité s’introduit alors par la présence de l’absence. L’objet est porteur de la trace d’un souvenir. Cette temporalité de l’empreinte est ponctuelle, c’est un pont entre le passé de l’action et le présent de celui qui regarde. Dans ce processus, l’objet remplis « une fonction thérapeutique et cathartique(22) » en se faisant la substitution du corps. Souvent, il se double d’un aspect obsessionnel, réaliste ou morbide. Le chaussure vide appelle donc un autre temps, un temps de la représentation qui invite à se dissocier d’une dramaturgie linéaire suivant les codes classiques de la narration. Pour Massimo Fusillo, le fétichisme mémoriel suppose répétition et ritualité. Une atmosphère qui fait partie d’un tissage scénographique permettant au spectateur de faire l’expérience de la durée ; de l’espace-temps. Le pay063
sage, ou la déambulation, sont des moyens d’utiliser la matière-temps pour s’affranchir d’un point de vue unique sur l’espace scénique. Ainsi, on peut avancer que l’espace-temps de la scène, tout comme « la forêt insoumise, échappe à l’histoire, et que sa remarquable inactualité contient peut-être de quoi combattre le monde de l’immédiateté que l’impérialisme de la marchandisation s’efforce d’imposer, non sans générer son lot d’irresponsabilité et de ressentiments mortifères(23) ».
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notes :
1 > SCHEURMANN, Erich. Le Papalagui, 1920. Pocket. Oesch Verlag AG : Présence Image Editions, 2001. p 153 2 > Ibid. p 20 3 > Ibid. p 20 4 > Ibid. p 21 5 > Ibid. p 21 6 > WEIBEL, Peter. « Masochism as a post-phallic mandate » in Phantom of Desire, Visions of masochism, 2003. p 12. dans Adolf loos et l’humour masochiste - L’architecture du phantasme, ONANER, Can. MetisPresses, collection VuesDensemble 2019. p 119 7 > DE CERTEAU, Michel. L’invention du quotidien 1. arts de faire. Nouv. éd. Paris : Luce Giard, Collection Folio essais (n° 146), Gallimard, 1990. p 216 8 > Ouvrage collectif sous la direction de BRUNA, Denis. Extrait du Catalogue de l’exposition Marche et démarche. une histoire de la chaussure, Musée des Arts Décoratifs de Paris. Edition MAD 2020 [vu le 27 janvier 2019]. Disponible sur : https:// madparis.fr/francais/musees/musee-des-arts-decoratifs/expositions/expositions-en-cours/marche-et-demarche-une-histoire-dela-chaussure/ 9 > ARTAUD, Antonin. « Le théâtre et la cruauté », dans Le théâtre et son double, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1938. p 131 10 > EDILIVRE. L’expression de la semaine : Trouver chaussure à son pied [en ligne]. [vu le 27 janvier 2019]. Disponible sur : https://www.edilivre.com/lexpression-de-la-semaine-trouverchaussure-a-son-pied/ 11 > SERVIER, Jean. Les Portes de l’année. Dictionnaire des Symboles, mythes rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres. CHEVALIER, Jean, GHEERBRANT Alain. Edition Robert Laffont S.A. et Éditions Jupiter, Paris 1969. p 1042 12 > ONANER, Can. Adolf loos et l’humour masochiste - L’architecture du phantasme, MetisPresses, collection VuesDensemble 2019. p 122 13 > Ibid. p 122 14 > JORON-DEREM, Christophe, commissaire priseur. Archives Pierre Molinier, DROUOT, 14 novembre 2016 [vu le 27 décembre 2019] . p 9. Disponible sur : https://www.gazette-drouot.com/ telechargement/catalogue?venteId=79331 15 > ONANER, Can. Adolf loos et l’humour masochiste - L’architecture du phantasme. MetisPresses, collection VuesDensemble 2019. p 122 16 > DIDI-HUBERMANN, Georges. Phantom of desire. Visions of masochism. Adolf loos et l’humour masochiste - L’architecture du phantasme. ONANER, Can. MetisPresses, collection VuesDensemble 2019. p 127 17 > Ibid. p 122 18 > Ibid. p 122 19 > JORON-DEREM, Christophe commissaire priseur. Archives Pierre Molinier. DROUOT, 14 novembre 2016 [vu le 27 décembre 2019] . André Breton à Pierre Molinier le 13 avril 1955, p 6. Disponible sur : https://www.gazette-drouot.com/telechargement/ catalogue?venteId=79331 20 > MARRONE, 2002, p.19 ; cf. Eccher 1997 L’objet-fétiche Littérature, cinéma, visualité, FUSILLO, Massimo. Collection dirigée par J. Bessière et D.Mellier. Paris : Honoré champion, 2014. p 84 065
21 > LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ D’OTTAWA | UNIVERSITY OF OTTAWA PRESS. Esthétique et recyclages Culturels de Jean Klucinskas, Walter Moser. Peut-on recycler le passé ? [en ligne]. ROBIN, Régine. Septembre 2017 [consulté le 31 janvier 2020], p 65-77. Disponible sur : https://books.openedition.org/ uop/2215?lang=fr 22 > FUSILLO, Massimo. L’objet-fétiche Littérature, cinéma, visualité. Collection dirigée par J. Bessière et D.Mellier. Paris : Honoré champion, 2014. p 56 23 > LE BRUN, Annie. Radovan Ivsic et la forêt insoumise. Chap. La forêt des éclairs. Coédition Gallimard / Musée d’art contemporain Zagreb. Paris : Livres d’Art, Gallimard, 2015.
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4. LE PIED RÉANIMÉ « L’objet a cessé d’être un accessoire de la scène, il est devenu le concurrent de l’acteur. » Tadeusz Kantor, Leçons de Milan, 1990
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> « faire le pied de grue »
pied qui fait du stop pied poli qui attend en tapotant gentiment pied qui fait du sur-place en surface pied éléphantiasis pied qui n’aime pas rester au bureau toute la journée pied statique dynamique pied mort mais vivant pied animé et animiste pied-de-biche Louis XV pied de table de chaise de lampe de lit pied arc bouté et arc boutant pied à l’ossature du chasseur pied de bois fer silicone porcelaine verre plastique pied prothèse, automate, double, clone pied articulé pied armé pied de poupée pied droit du soldat de plomb et de la danseuse de papier pied du chêne pied qui prend le parti du roseau quand le chêne se fend pied marin qui tangue mais reste droit pied facteur de micro-mouvements pied ressort qui emmagasine de l’énergie et la relance à chaque pas pied dont le cerveau tire les ficelles pied marionnette pied en mouvement
> un pied Élément servant, seul ou à plusieurs, de support : Les pieds de la chaise. Partie d’un tout ; partie du lit qui est opposée au chevet, à la tête : Au pied du lit. > le pied de table
nom masculin singulier. Partie inférieure de la table qui sert de support à un plateau horizontal ; peut fonctionner à l’unité ou par paires de deux, quatre, à six pieds, et plus si affinités. Généralement fixe, le pied de table ne peut se déplacer sans l’aide d’un être animé, qu’il soit végétal, animal ou humain. A contrario, le pied de table de Miet Warlop possède cette mobilité. Il est à la fois statique et mobile. Mi-homme, mi-objet, ses deux jambes gantées de noir, perchées sur de haut escarpins, soutiennent un plateau rond nappé d’une toilette blanche. Avec la prudence de celle qui regarde où elle met les pieds, la table est un personnage muet évoluant dans un univers burlesque et coloré en constante métamorphose. La créature n’est pas seule, elle flirte avec les pieds de la boite-aux-lettres en carton. Celle-ci, d’une main gantée de blanc, lui caresse la nappe et y dresse, délicatement, trois petites tasses blanches sur son plateau rond. Puis, elle brandit une bouteille qu’elle pose avec fracas sur la table avant de tomber raide morte à ses pieds, inanimée. Dans Springville(1), la cheminée d’une maison en carton vomit des tripes de plastiques colorés, un géant homme se jette dans l’embrasure de la fenêtre et ses jambes, qui survivent à la chute, se mettent à danser. On assiste à la mort du compteur électrique qui titube en crachant des étincelles avant de s’écrouler, et la table meurt silencieusement, sans rien renverser. Du plus petit objet jusqu’à l’architecture, tout l’univers domestique fonctionne initialement par l’impulsion de l’être humain. Mais dans la pièce, les choses se mettent à avoir leur propre autonomie et s’emparent de l’espace : fracas assourdissants et fumées jaunâtres débordent de la 070
maison qui finit par vaciller. Le sol lui-même commence à s’animer, gonflant et soulevant la maison de terre. Elle chavire sur une mer plastifiée et pourrait presque s’envoler… De fait, hormis l’humain, les catastrophes naturelles, tsunamis ou tremblements de terre, sont également de très bons facteurs de déplacement. C’est l’espace qui, en s’animant, anime à leur tour les objets. La force des éléments naturels permet d’incorporer une autre temporalité. La pression de l’air gonfle des formes monumentales, surnaturelles, apportant une nouvelle tension dramaturgique. Le rapport aux corps change : ceux-ci semblent fragiles devant le monstre prêt à exploser. Ce que montre bien la scénographie de La mélancolie des Dragons (2008) de Philippe Quesnes, c’est la manière dont l’espace s’élargit puis rétrécit. Le ‘‘ vide ’’ du plateau, immense l’instant d’avant, diminue lorsqu’il s’emplit de gigantesques bâches noires saturant l’image scénique. Le corps devient minuscule face à la reconstitution d’une nature sur-réelle. Et, sur la scène de Springville, la maison finit par imploser. Au début, il y avait une maison carré et une boite-auxlettres au centre du plateau. À la fin, l’espace est envahi, chantier, vestige, ruines. Pas de sens logique car la réalité le transforme en permanence. Dans un mouvement muet qui dure 50 minutes, chaque nouvelle catastrophe réinvente des agencements nouveaux : « dès qu’un objet a trouvé sa place, il est mis sens dessus dessous ou brisé(2) ». La destruction, comme après un ouragan violent, insuffle une nouvelle vie à ces objets réanimés qui tiennent ici les premiers rôles. Une vision désenchantée du monde qui ébranle les relations réciproques et prédéterminées que l’être humain a établi avec son environnement. Le vivant ne manipule plus l’objet, il se fond en lui, il devient l’objet. De ce chaos ‘‘ Warlopien ’’ se construit une nouvelle logique : « les rapports mutuels entre objets ont changé. Les chaises qui se trouvaient dans le jardin ont atterri sur le toit ; un arbre émerge de la fenêtre au lieu de saillir du sol ; une voiture s’appuie à la verticale contre un mur(3) ». 071
L’espace est une poésie qui émerge de la ruine. « Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas. » André BRETON, Le manifeste du surréalisme, 1924
> le pied-bleu 1. Champignon basidiomycète, dont la plupart des espèces sont comestibles : tricholome de la Saint-Georges ou mousseron, tricholome nu ou pied-bleu, tricholome équestre des bois de pins. Cependant le tricholome tigré, des forêts de conifères des montagnes, est gravement vénéneux. Le pied bleu est réputé comestible jeune et cuit, mais toxique cru, âgé, gelé ou gorgé d’eau. 2. Conscrit portant encore les guêtres bleues du paysan. 3. Le pied bleu de La chaise bleu. Dans l’album dessiné par Claude Bougon, un loup et un chien, Escarbille et Chaboudo, se promènent dans le désert. Pourquoi se promènent-ils au milieu du rien ? Pourquoi ce jour-là ? Que font-ils les autres jours ? Nul ne le sait, mais ils s’ennuient. Quand, tout à coup, ils aperçoivent au loin une chaise bleue. Ce n’est un secret pour personne, il est fréquent de tomber sur une chaise bleue prenant le soleil au milieu du désert. Notons au passage l’importance de la couleur bleue et non pas jaune. Selon le Larousse, le bleu est la « couleur analogue à celle d’un ciel sans nuage(4) ». L’air est un élément immatériel, vide, transparent. Difficile de représenter sa pesanteur. La couleur bleue est là pour symboliser sa matière, elle permet de passer du réel vers l’imaginaire. Entrer dans le bleu, c’est passer de l’autre côté du miroir, comme Alice dans son pays des merveilles. De plus, il n’y a pas des chaises mais ‘‘ la chaise bleue’’, celle qui permet de devenir quelqu’un d’autre, le temps d’un instant présent, dans « l’ici et maintenant(5) ». Les deux amis s’attellent donc immédiatement à un inventaire de toutes les possibilités de jeu qu’offre la chaise bleue : « Une chaise c’est vraiment magique. On peut la 072
transformer en tout ce qu’on veut, en traîneau à chiens, en voiture de pompiers, en ambulance, en grue de chantier, en montgolfière…(6) ». Elle permet aussi aux grands de devenir petits, de passer du désert désertique au monde bleu de tous les possibles. « C’est ainsi que cette identification de l’objet du théâtre avec toutes les possibilités de la manifestation formelle et étendue, fait apparaître l’idée d’une certain poésie dans l’espace qui se confond ellemême avec la sorcellerie(7) ». Artaud affirme ici la plasticité du théâtre contre la suprématie de la parole. L’espace se fabrique par les gestes. Sinon comment interroger les choses lorsqu’elles sont déterminées par les noms et les mots ? « Non, mais ça va pas la tête ! Qu’est ce que c’est que ce cirque ? Boum, patatras, fin du jeu. Une chaise dit-il, est faite pour s’asseoir dessus. Et il s’installa sur le siège, bien décidé à n’en plus bouger(8) ». Un camélidé intervient dans le jeu des deux compères pour leur rappeler que la norme attribue à la chaise un usage (qu’il nomme) et qu’il est absurde de l’en détourner. Voilà le camélidé qui attend, assis sur sa chaise au milieu du désert, tel Vladimir et Estragon dans l’attente d’un Godot qui n’existe peut-être même pas. Le décalage du contexte dans lequel se situe l’objet (le désert), rend son utilisation assise absurde. L’espace, en contradiction avec la chose, ou l’action représentée, permet une nouvelle interprétation des usages de l’objet, dans un monde situé entre réel et imaginaire. Et le jeu symbolique lui, permet d’échapper au désert désertique. Pour finir, les deux compères laissent le chameau seul sur sa chaise et affirment ainsi avec un humour implicite : « Partons » dit Escarbille à son ami, « ce chameau n’a aucune imagination. » « Et en plus, ce n’est même pas un chameau, il n’a qu’une bosse, c’est un dromadaire» ajouta Chaboudo qui aimait la précision(9)». « Imagination n’est pas don mais par excellence objet de conquête » André BRETON, Il y aura une fois, 1930 073
> pied (de bois) Partie d’un végétal, arbre ou plante, dont le tronc ou la tige est au plus près de la terre : Le pied de l’arbre. Pour se chauffer et construire un tas d’objets encombrants, l’homme-bûcheron coupe beaucoup de pieds de milliers de forêts, dont l’une est tristement célèbre pour rapetisser à pas de géants. Les pieds déracinés, coupés de leur terre natale, partent en exil en quête d’un nouveau sol où enfouir leurs rhizomes blessés. Pour s’adapter, ils entrent dans un processus de transformation. Le chêne devient table et l’acajou se sculpte en pied-de-biche pour se fondre dans les appartements Louis XV. De la matière, émerge la forme d’un pied, et l’homme se sculpte en marchant. > le pied prothèse Lorsque le corps humain ne suffit plus, on va couper le pied d’un arbre pour le transformer en pieds humains. L’une des premières prothèse créée par l’homme et connue à ce jour, date de l’Egypte Antique(10) : c’est un gros orteil de bois, sculpté pour la fille d’un prêtre égyptien. Une gaine de cuir le reliait au membre droit. Contrairement aux jambes de bois des pirates (version simplifiée de l’anatomie humaine), la prothèse égyptienne est sculptée à l’image d’un orteil véritable. Même si personne n’est dupe, il y a tentative de faire ‘‘ illusion ’’, de parer l’artificiel d’une apparence naturelle. Un célèbre pantin naquit ainsi un matin d’un morceau de bois narquois sculpté entre les mains habiles de Gepetto. Le faux pied, est conçu comme une apparence sensible qui se donne pour une réalité. Du pied SACH (joli pied en mousse néoprène inventé aux États Unis en 1950), jusqu’aux prothèses médicales mécaniques (joli pied en silicone), les membres (et organes) artificiels permettent aujourd’hui d’aller au delà du ‘‘ naturel ’’. C’est à dire que, doucement, le surnaturel s’est approprié ce que l’on nommait ‘‘ réalité ’’. La reproduction du ‘‘ réel ’’ s’est tant perfectionnée qu’elle ne permet plus de discerner la chose vraie. Les signes que l’on reconnaissait comme signifiants, les masques que l’on enfilait pour prétendre au simulacre ne tombent plus face 074
> pied biomécanique (OS) simulacre ne tombent plus face à l’incapacité de la perception à déterminer la frontière entre l’artifi ce et pour une partie discale du membre inférieur le réel : ils nous de l’homme : mangent le visage. Le simulacre a pris le pouvoir sournoisement et proclame l’artificialité, sa 26 osfaisant allégées reine, se courber la société ventre à terre. Et pour 1 arche «osseuse en devint 3 parties Nietzsche, le monde vrai fable(11):».tarse métatarse phalanges Nous sommes devenus les comédiens de notre propre 1 talus n’est articulé avec les de ladujambe vie.os L’illusion plus seulement sur os le plateau du tibia et du péroné théâtre mais sur nos lèvres, dans nos actes et traverse nos 1 os calcanéus articulé avec l‘os du talus espaces. Paolo Bertetto cite très justement Heidegger à ce et l’os cuboïde sujet se pose commeintermédiaire scène sur laquelle latél’étant 3 os: «l’homme cunéiformes médial ‘‘ne peut que se représenter, se présenter, c’est-à-dire ral (12) être ». Oui, laaplati société fait Alors, vers 1 osimage’’ naviculaire en spectacle. forme de barque où mener représentation faire de nos masques entre lela talus et les? Que os cunéiformes quotidiens ? On entend déjà les glapissements des 1 os cuboïde de forme cubique entre outrés le calcinés le métatarse insurgéset se lever : 5 os métatarse « Et du alors, quoi encore, les gueules cassées auraient peut-être 14 dansdeles dû sephalanges passer des services Janeorteils Poupelet !? » 5 orteils dont 1 en voie d’extinction Peindre, dépeindre et repeindre… pour établir une 3 plaques Plantaire-Sésamoides re-fi guration et réformation du visible même ! Utiliser 1 os sésamoïde en forme de petit genou cal’illusion théâtrale pour reformuler le visible. Utiliser ché sous le pied le pour re-définir interconnectées le vrai. D’ailleurs, pour Deleuze, 16faux articulations «107 le simulacre n’est pas une copie dégradée, il recèle une ligaments, essentiellement passifs, in(13) puissance positive qui nie et l’original et la copie » : il dispensables pour l’esprit de groupe permet de montrer quelque chose du qui n’est pas, et dans le 20 muscles stabilisateurs centre monde, mais semble l’être.Voilà, le scénographe peut se locomoteurs du mouvement 1 trépied quiL’image s’équilibre entre le talon, mettre au travail. visuelle que projette la repréle gros théâtrale et le petit orteil sentation doit se parer de l’apparence du monde 1 assemblage de tenségrité pour mieux le démasquer. L’espace scénique (de la fic1 plante de pied tion) se dessinera par un «mouvement entre le masque du 1 clavier de réflexologie visible et sa reformulation différentielle, dans l’évocation 1 pointure variant du 20 au 48 du monde en vue de son dépassement(14)». 1 option tout-terrain Fragmentés et polymorphes, les sujets font apparaître 1 option télescopique des doubles humains 1 option roues affublés de pieds mécaniques générateurs de nouveaux canons esthétiques, et des automates 1 cheville érotiques neurones humains qui, un jour, 1 poésieinjectés de lademécanique seront peut-être capables de nous consoler tout en nous faisant du pied sous la table.
> pied (de bois) )SO( euqinacémoib deip > Partie d’un végétal, arbre ou plante, dont le tronc ou rueiréfni erbmem ud elacsid eitrap enu ruop la tige est au plus près de la terre : Le pied de : el’arbre. mmoh’lPour ed se chauffer et construire un tas d’objets encombrants, l’homme-bûcheron coupe beaucoup desepieds égélde la milliers so 62 de-forêts, dont l’une est tristement célèbre pour atém esrat : seitrap 3 ne esuesso rapetisser ehcra 1 à pas de géants. Les pieds déracinés, coupés segnalde ahleur p esterre rat natale, ebmajpartent al edensexil o sen elquête cevad’un élu nouveau citra sol suloù atenfouir so 1 énorép ils udentrent te aidans bit un ud leurs rhizomes blessés. Pour s’adapter, sulat ude d stransformation. o‘l ceva éluLe citchêne ra sudevient énaclac so et 1 processus table edïose bufondre c so’ldans te l’acajou se sculpte en pied-de-biche pour -éappartements tal eriaidéLouis mretnXV. i lDe aila dématière, m semrémerge ofiénula c forme so 3 les lar d’un pied, et l’homme se sculpte en marchant. euqrab ed emrof ne italpa erialucivan so 1 semrofiénuc so sel te sulat el ertne >-lle ac pied el erprothèse tne euqibuc emrof ed edïobuc so 1 Lorsque le corps humain ne essuffi rattaplus, tém on el vatecouper sénic le pied d’un arbre pour le transformer en pieds esratatém humains. ud so 5 L’une des premièresslprothèses par etp 41 ietro scréées el sna d l’homme segnalah connue ànce oijour, tcnidate txe’de d l’Egypte eiov neAntique 1 tno(10) d :sc’est lietro 5 sedisculpté omaséS -eri tlle nald’un P se uqalp 3 un gros orteil de bois, pour laafi prêtre -ac uoUne neg gaine titede p e d ele mrreliait of ne dïomasé s so 1 égyptien. cuir au emembre droit. depirates ip el (version suos éhc Contrairement aux jambes de bois des seétcenhumaine), nocretnilasprothèse noitaluégypcitra 61 simplifiée de l’anatomie n i , s f i s s a p t n e m e l l e i t n e s s e , s t n e m agMême il 701 tienne est sculptée à l’image d’un orteil véritable. epuorg ed tirpse’l ruop selbasnepsid si personne n’est dupe, il y a tentative de faire ‘‘ illusion ’’, te ertnec ud sruetasilibats selcsum 02 de parer l’artificiel d’une apparence tnemevuonaturelle. m ud sruUn etcélèbre omocol pantin naquit ainsi un matin d’un morceau de bois nar,nolat el ertne erbiliuqé’s iuq deipé rt 1 quois sculpté entre les mains habiles de Gepetto. lietro titep el te sorg el Le faux pied, est conçu senéticomme rgésneune t eapparence d egalbme ssa 1 sible qui se donne pour une réalité. Du SACH deipied p ed etna((joli lp 1 eigo loxÉtats eflérUnis edenr1950 eiva pied en mousse néoprène inventé aux 1950), ),lc 1 84médicales ua 02 umécaniques d tnairav ((joli erupied tnien op 1 jusqu’aux prothèses niaartifi rretciels -tuopermettent t noitpo 1 silicone), les membres (et organes) qipoc’’. seC’est lét àndire oitpo 1 aujourd’hui d’aller au delà du e‘‘unaturel s e u o r n itpo 1 que, doucement, le surnaturel s’est approprié ce o que ellivehc 1 l’on nommait ‘‘ réalité ’’. La reproduction du ‘‘ réel ’’ s’est euqinacém al ed eiséop 1 tant perfectionnée qu’elle ne permet plus de discerner la chose vraie. Les signes que l’on reconnaissait comme signifiants, les masques que l’on enfilait pour prétendre au
à l’incapacité de la perception à déterminer la frontière entre l’artifice et le réel : ils nous mangent le visage. Le simulacre a pris le pouvoir sournoisement et proclame l’artificialité sa reine, faisant se courber la société ventre à terre. Et pour Nietzsche, « le monde vrai devint fable(11) ». Nous sommes devenus les comédiens de notre propre vie. L’illusion n’est plus seulement sur le plateau du théâtre mais sur nos lèvres, dans nos actes et traverse nos espaces. Paolo Bertetto cite très justement Heidegger à ce sujet : «l’homme se pose comme scène sur laquelle l’étant ‘‘ne peut que se représenter, se présenter, c’est-à-dire être image’’(12) ». Oui, la société fait spectacle. Alors, vers où mener la représentation ? Que faire de nos masques quotidiens ? On entend déjà les glapissements outrés des insurgés se lever : « Et alors, quoi encore, les gueules cassées auraient peut-être dû se passer des services de Jane Poupelet !? » Peindre, dépeindre et repeindre… pour établir une re-figuration et réformation du visible même ! Utiliser l’illusion théâtrale pour reformuler le visible. Utiliser le faux pour re-définir le vrai. D’ailleurs, pour Deleuze, « le simulacre n’est pas une copie dégradée, il recèle une puissance positive qui nie et l’original et la copie(13) » : il permet de montrer quelque chose qui n’est pas, dans le monde, mais semble l’être.Voilà, le scénographe peut se mettre au travail. L’image visuelle que projette la représentation théâtrale doit se parer de l’apparence du monde pour mieux le démasquer. L’espace scénique (de la fiction) se dessinera par un «mouvement entre le masque du visible et sa reformulation différentielle, dans l’évocation du monde en vue de son dépassement(14)». Fragmentés et polymorphes, les sujets font apparaître des doubles humains affublés de pieds mécaniques générateurs de nouveaux canons esthétiques, et des automates érotiques injectés de neurones humains qui, un jour, seront peut-être capables de nous consoler tout en nous faisant du pied sous la table. « Le simulacre n’est ni icône ni vision : il n’a pas un 077
rapport d’identité avec l’original, le prototype, et n’implique pas non plus la rupture de toutes les apparences et la révélation d’une vérité pure. Le simulacre est une image qui n’a pas de prototype, l’image de quelque chose qui n’existe pas ». Mario PERNIOLA, La société dei simulacri, 1980
> le pied de Pinocchio L’histoire du corps de Pinocchio est celle d’une matière en perpétuelle transformation. Le corps du bonhomme change de forme, tantôt végétal dans son corps de bois, tantôt animal lorsqu’il se transforme en chien ou en âne. Attention, comprenez moi bien. Ces changements corporels ne sont pas une simple illusion, ni là pour donner l’apparence de ‘‘ se couler dans un moule ’’. Ils modifient réellement le corps de bois du pantin pour l’adapter aux situation du moment : chaque mensonge fait s’allonger son nez, oreilles et queue lui poussent au royaume des jouets et ses pieds de bois, étendus à sécher devant la cheminée, prennent feu et se réduisent en cendres. Mais cette catastrophe, plutôt que de l’atrophier indéfiniment, lui permet d’obtenir de nouveau pieds taillés dans du bon bois d’artiste. Comme le phénix qui renaît indéfiniment de ses cendres. Brunella Eruli, dans Le mythe de Pinocchio, explique que le corps métamorphe du pantin est le symbole physique d’une identité plurielle. Autrement dit, il ne possède pas une seule identité. Il n’est pas unique. Dans la mise en scène de Marco Baliani avec le Teatro delle Briciole, Pinocchio nero (2004), le pantin est joué par 20 enfants issus des « chokora » (surnom des bidonvilles-poubelle de Nairobi). A travers le théâtre et la danse, ils revendiquent ensembles, d’une seule voix, leur dignité humaine. Ils utilisent leurs différences pour parler de la complexité d’un monde commun. Brunella Eruli parle d’un « collage d’éléments hétérogènes qui s’assemblent au gré d’une suite d’évènements dont l’enchaînement et le but sont souvent obscurs(15) ». Le corps du pantin est comme le jouet dans les mains 078
d’un enfant : il est transporté dans des univers hétéroclites que l’artisan n’avait pas anticipés. À la différence que Pinocchio n’est pas cette marionnette docile dont les membres s’animent uniquement par le biais du marionnettiste. Cependant, son esprit, lui, est manipulable, ou plutôt, c’est son identité qui est malléable. Et cette manipulation se traduit physiquement : les changements corporels de Pinocchio découlent directement des différents environnements qu’il traverse dans le conte (le monde des jouets, la chaleur du feu). L’espace est une texture dans laquelle son corps de bois se fond. Symbole de toutes les possibles du corps humain, le corps est une « forme en mouvement dans le cycle des transformations qui traversent une matière où coexistent le vivant et l’inanimée(16)». Mais qu’est ce qui définit le ‘‘ vivant ’’ ? Le vivant respire. Oui, mais dans le conte, la frontière entre les choses qui respirent, et celles qui ne respirent pas, est très instable. Lorsque Joël Pommerat monte Pinocchio (2016), il s’amuse à jouer de cette ambiguïté : le pied de bois du pantin semble parfois plus de chair que de bois. Les transformations sont faites à vue et parfois, il suffit pour cela d’un ‘‘ retournement de veste’’ : le maître d’école devient brigand puis directeur de cirque, la fée bleue est tantôt diva à paillettes ou sale gosse entraînant le pantin dans ses entourloupes ! Les cinq acteurs se métamorphosent dans un échange des rôles continu (toujours comme ce jouet dans la main de l’enfant). Chez Pommerat, le merveilleux tient dans un infime glissement qui donne au personnage la possibilité d’être plusieurs, simultanément. Pour Nietzsche, c’est la figure même du faussaire: celles d’un «sujet qui prend des masques multiples au lieu de se fixer dans une seule identité rigide(17)». Mais pour que cette illusion fasse effet, une connivence avec le public est nécessaire. Celui-ci doit accepter d’y croire. Pour cela, une seule formule magique est universellement reconnue : ‘‘ et si on disait que… ’’ Alors, les portes de l’imaginaire, s’ouvrent et tous les impossibles deviennent possibles. Faire les changements à vue, c’est une manière de dé079
monter toute l’artificialité du monde réel. À travers le jeu du ‘‘ faisons-comme-ci ’’, les représentants de l’autorité (les adultes), sont affublés de têtes animales inquiétantes et les ‘‘ vrais petits enfants ’’ sont symbolisés par une assemblée de marionnettes en tissu. Sagement assises sur une rangée de chaise, les faux-vrais-petits-enfants sont installés en miroir face à un public (le vrai) qui ne sait plus où situer la réalité. Ni qui y participe. La boîte à illusion est-elle réellement celle que l’on croit ? Ce qui représente le ‘‘ vrai ’’ dans la pièce, n’est finalement que simulacres et violences. C’est le monde réel qui devient faux. Les choses banales, la valeur de décisions prises par rapport aux conséquences humaines, deviennent absurdes (entre Chernobyl et plus récemment, les 629 migrants bloqués au bord de l’Aquarius sur la Méditerranée en 2018 faute de trouver un arrangement ‘‘ diplomatique ’’, les exemples ne manquent pas). Finalement, le plus humain est sans doute le pantin de bois. Un Pinocchio métamorphe, pluriel, un faussaire masqué certes, mais pour nous montrer que le monde n’est pas une fatalité. Il est transformable. Le pantin nous demande de croire, encore un peu, que la vérité sort de la bouche des enfants et d’imaginer un monde où le corps n’existerait que pour incarner « ce qu’est Pinocchio, le désir, la volonté de changer, de vivre plusieurs vies pour tromper la mort(18) ». De nos jours, la plupart des Pinocchios sont fabriqués en aulne, merisier, hêtre, bouleau ou en charme, bois plus simples à sculpter que le bois tendre du sapin qui se fend aisément. > pied articulé Le pied et la cheville, sans les orteils, sont constitués de 14 os et 17 articulations. Avec les orteils, cela fait un total de 28 os et 31 articulations. Ce système mécanique a pour rôle de produire des forces qui nous propulsent et nous permettent de maintenir le position verticale sur n’importe quel type de sol, dans toutes les directions et à vitesse variable. Le pied est un ensemble complexe d’articulations 080
osseuses unies par des ligaments. Le dessin des surfaces articulaires et la localisation des attaches des ligaments sur les os déterminent les mouvements qui se produisent au pied. Les muscles, extérieurs au pied (extrinsèques) et situés à l’intérieur du pied (intrinsèques) provoquent et contrôlent ces mouvements. Autrement dit, la mécanique de nos gestes est pré-formatée et contrôlée par nos mécanismes intrinsèques. « Un pied féminin n’est réel que si le désir ne le prend pas fatalement pour un pied. » Hans BELLMER, Petite anatomie de l’image, 1957
> le pied de la poupée 1. Figurine à tête humaine, généralement de sexe féminin. Jouet, mannequin, amulettes de fertilité, fétiche. Souvent jolie, coquette, futile et un peu sotte. 2. En mécanique, la poupée est l’organe d’une machine recevant un arbre de transmission, ou servant de point fixe à un mouvement de rotation. 3. Vénus opulentes, corps mous et têtes disproportionnées, articulations à deux ou quatre jambes, tronc unique ou doubles réversibles des « Topsy-Turvy(19) » et j’en passe. La poupée est l’outil, par excellence, pour monter, démonter, démembrer et désarticuler le corps humain, afin de créer un corps nouveau. Hans Bellmer l’a bien compris et, pour faire un léger pied de nez(20) au fascisme allemand et à l’idéal de beauté ‘‘ Aryen ’’, il décide de se lancer dans la construction de ‘‘ filles artificielles ’’. Des Poupées grandeur nature qui ouvrent une réflexion sur l’intégrité corporelle et l’identité sexuelle. Autour d’une ‘‘ boule de ventre ’’ en bois (rouage tenant lieu de bassin), s’articulent différentes parties corporelles : mains, têtes, jambes, bras, jambes de nouveau, le mécanisme permet différents types de liaisons des membres, modifiant ainsi l’image corporelle à l’infini. Il n’y a pas une poupée, mais des poupées dues à la manipulation. Corps à quatre jambes, corps sans têtes, les ‘‘ filles ’’ produites 081
par Bellmer sont scandaleuses, désirables, fantastiques et monstrueuses. Comme dans un rêve, notre perception logique des choses s’adapte à notre désir : les formes se déforment, permutent, se condensent… pour revitaliser notre désir. Dans Petite anatomie de l’image (1957), l’artiste dit du corps qu’il est « comparable à une phrase qui vous inciterait à la désarticuler pour que se recomposent, à travers une série d’anagramme sans fin, ses contenus véritables(21) ». Le corps que l’on désire ne serait donc pas celui que l’on voit ? L’artiste affirme que non. Selon lui, notre perception ré-agence et priorise certains membres et organes sexuels. Par exemple, « l’image de la femme désirée serait prédéterminée par l’image de l’homme qui désire(22) ». En un sens, les poupées interrogent nos fantasmes pour en créer de nouveaux. Le corps articulé est un instrument pour représenter ce que l’inconscient désire. Une anatomie de l’inconscient physique. L’organisme hybride de la poupée est un lieu expérimental. Il donne à voir les mécanismes d’une réalité interdite ou trop douloureuse pour la conscience. Le corps articulé comme une contrainte produit un langage nouveau qui ne modifie pas le cadre de la représentation, ni la nature des objets, mais leurs formes et leurs fonctions : les pieds ne sont pas animés ou facteur d’un mouvement. Ils ne marchent pas, ne dansent pas, ne courent pas. Ils ne sont pas fonctionnels mais ils témoignent d’un état. L’état d’un processus de fabrication (jeux de montages et démontages du corps) dont Bellmer rend compte par la photographie : puisque la condition naturelle de la perception ne permet pas de voir certaines choses, leurs représentations demandent un arrêt sur image. Les photos présentent, comme un arrêt sur acte, la poupée dans ses différentes évolutions corporelles. Et, au fur et à mesure, les images lui inventent une vie fictive. La théâtralité des photographies de Bellmer ouvre une réflexion sur l’objet scénique, sur sa condition d’accessoire, de ‘‘ partenaire ’’ ou d’acteur. La marionnette est, ici, une tentative d’ancrer un corps dans l’espace et de se de082
mander ce que présente, représente ou propose au regard ce corps dans l’espace. En l’occurence, la poupée se fait le théâtre d’un corps-surface. Un objet surréaliste pétrifié dans le temps, le temps d’un rêve et d’un instant.
notes :
1 > WARLOP, Miet et DURNEZ, Sophie. Springville. Performance, Arts Centre BUD. Kortrijk, Mai 2009. 2 > WARLOP, Miet. dans Semi-humain, semi-objet [en ligne]. KAAI Theater, 2010 [consulté le 06/12/2019]. Disponible sur : https://kaaitheater.be/fr/agenda/springville 3 > Ibid. 4 > LAROUSSE. bleu, bleue [en ligne]. Disponible sur : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/bleu/9836 5 > BENJAMIN, Walter. L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Éditions Payot & Rivages. Paris : Petite bibliothèque Payot, 2013. p 45 6 > BOUJON, Claude. La chaise bleue. Collection Album. Paris : Ecole Des Loisirs, septembre 1996. p 9 7 > ARTAUD, Antonin. Oeuvres complètes. Le théâtre et son double. Collection Blanche. Paris : Gallimard, 1938. p 70 8 > BOUJON, Claude. La chaise bleue. Collection Album. Paris : Ecole Des Loisirs, septembre 1996. p 21 9 > Ibid. p 24 10 > VAN DER KLUFT, Marine. Les secrets d’une prothèse en bois égyptienne vieille de 3000 ans se dévoilent. Sciences Avenir [en ligne]. Juin 2017, Archéologie, [consulté le 05 janvier 2020]. Disponible sur : https://www.sciencesetavenir.fr/ archeo-paleo/archeologie/les-secrets-d-une-prothese-en-boisegyptienne-vieille-de-3000-ans-se-devoilent_114060 11 > NIETZSCHE, Friedrich. Le crépuscule des idoles, dans Le miroir et le simulacre. Bertetto, Paolo. Collection Le Spectaculaire. PU Rennes, 2015. p 7 12 > HEIDEGGER, Martin. L’époque de l’image du monde, Holzwege. Francfort-sur-le-main, Klosterma (1950) dans Le miroir et le simulacre. BERTETTO, Paolo. Collection Le Spectaculaire. PU Rennes, 2015. p 13 13 > DELEUZE, Gilles. Logique du sens (1969) dans Le miroir et 083
le simulacre. BERTETTO, Paolo. Collection Le Spectaculaire. PU Rennes : 2015. p 25 14 > BERTETTO, Paolo. Le miroir et le simulacre. Collection Le Spectaculaire. PU Rennes : 2015. p 27 15 > ERULI, Brunella. Le mythe de Pinocchio dans La vie filmique des marionnettes. DE SCHIFANO, Laurence. Presses universitaires de Paris Nanterre : Collection Libellus, 2018. p 37 16 > Ibid. p 37 17 > Nietzsche, Friedrich, à propos de la figure du faussaire, dans Le miroir et le simulacre. BERTETTO, Paolo. Collection Le Spectaculaire. PU Rennes, 2015. p 29 18 > ERULI, Brunella. Le mythe de Pinocchio In de SCHIFANO, Laurence. La vie filmique des marionnettes. Presses universitaires de Paris Nanterre : Collection Libellus, 2018. p 37 19 > Poupées « topsy-turvy » (sens dessus dessous): jouets en chiffon fabriqués par les esclaves lors de la colonisation de l’Amérique par les européens aux XVIIe et XVIIIe siècles. Poupées avec deux bustes diamétralement opposés, une tête de couleur blanche et une tête noire, pour préparer les filles d’esclaves à consacrer leur vie à élever deux enfants, un blanc et un noir. 20 > voir « pied-de-nez », Chap. LA CHAUSSURE. p 057 21 > BELLMER, Hans. Petite anatomie du désir (1957) dans Hans Bellmer : les jeux de la Poupée, les enjeux du dessin. DE LA BEAUMELLE, Agnès. Editions Gallimard. Paris : Centre Pompidou, 2006. p 25-35 22 > DOURTHE, Pierre. Transformation et maîtrise du corps. Hans Bellmer Anatomie du désir. DE LA BEAUMELLE, Agnès. Editions Gallimard. Paris : Centre Pompidou, 2006. p 37-45
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5. SUPPORT-SURFACE
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> « Les pieds sur terre »
pied debout, pied digne pied obèse, pied prudent pied qui a le sens des priorités pied qui n’est pas dans la lune pied dans l’haptique du voisin pied grinçants des ébats amoureux pied de la chaise du canapé du fauteuil du lit pied support de 55 kilos pied lourd pied pivot pied de la cane pied qui glisse sur la banane pied stable fixe confortable pied tout-terrains pied sur le fil pied qui a du tact pied support-surface pieds sur terre la tête dans les nuages pieds sur terre et la terre est une orange
> « Coup de pied » Pied qui a le sens du tact ; action de porter un coup de pied sur une surface, établissant une relation éphémère via l’outil corporel. Sachez que le pied est nerveux. Petit bijou de technologie hyper connecté, ses récepteurs sont multiples et indiquent au cerveau où il est, sur quoi il marche et combien de pieds il possède ; information capitale si l’on veut maintenir la position debout. Au moment où il entre en contact avec une surface, le pied active ces récepteurs épicritiques à sensibilité superficielle : ceux-ci permettent de déterminer si la matière touchée est lisse, rugueuse, poilue, douce etc. Ces récepteurs perçoivent la sensation et nous donnent le sens du toucher. Sans même identifier la nature de l’objet, ils rendent visible et sensible ce qui ne le serait pas autrement. Le corps s’en remet à la sensation plutôt qu’à la perception. Il se fait ce que Deleuze appelle le « corps sans organes(1) », un corps sans la société. Voilà à quoi peut tendre la représentation théâtrale. Plutôt que de dénoncer en mettant le spectateur face à des images glacées (voir ce que dit Camille Louis à propos de Brett Bailey(2)), ne serait-il pas plus intéressant de mettre à jour le processus mécanique qui fait les corps (et donc la société) et l’image activée par ce mécanisme ? Il faut laisser le corps prendre la parole ! Suspendre la narrativité par le mouvement de figures hallucinatoires et fantasmatiques. Plutôt que de le raconter en récitant des textes vides, le corps doit se faire réceptacle du désir ! Réveiller nos esprits engourdis par les images lisses, comme dans les peintures criantes de Bacon ! À propos des figures produites par le peintre dans ses tableaux, Freud dit justement ceci : « le figural se présente comme mode de production du texte et de l’image caractérisée par l’objectivation du fonctionnement de la psyché, par la suspension des règles narratives ; spatiales, temporelles et syntactiques et par l’affirmation de l’écriture automatique(3) ». Faire ressentir au spectateur, à nouveau. Pas simplement voir. Sur la scène, le corps développe la sensation. Celle là même qui, par son parcours, forme le sujet. 102
> le trépied et l’abri bus Support à trois pieds ; celui-ci n’est jamais innocent, surtout quand deux corps presque nus se font paysages épidermiques pour des figurines en exil : Dans Invisible Lands de la compagnie Livsmedlet, la voûte plantaire est un arrêt de bus, les genoux, de hautes montagnes, les talons monts et vallées et l’hélicoptère lui, surgit du gouffre béant de la bouche. Le corps sur scène renonce à son identité et son univocité pour devenir le support d’une autre histoire. Se manipulant l’un l’autre, Sandrina Lindgren, (chorégraphe et performeuse) et Ishmael Falke, (marionnettiste et performeur,) transforment leurs corps en une seule et même plateforme organique commune. Sur ce réceptacle vivant, ils déplacent silencieusement des personnages miniatures, fuyant la guerre d’orteil en orteil et dérivant sur une mer de ventres. Ici, « le corps n’existe pas car nous ne cessons de prendre corps(4) » écrit Alice Godfroy. Il prend uniquement forme par rapport à l’autre, dans une relation qui s’établit par le toucher : approche, peu conventionnelle, qui remet en chantier la perception et la proprioception du corps propre. Comme l’enfant qui, explique Bernard Lesage, « ne peut intégrer comme, lui appartenant, des parties de son corps, tout comme il tend à s’incorporer des parties du corps de l’autre(5) ». Filmé en direct, le spectacle joue sur deux niveaux de narration simultanés. Le micro et le macro, pour questionner la manière dont nous percevons les réfugiés. D’un côté, il y a ces êtres minuscules, un peu abstraits que l’on voit à travers un écran TV et de l’autre, l’expérience physique et psychologique réelle vécue par ces personnes. Sur scène il y a l’écran, qui montre des images de petits personnages tentant de survivre dans un paysage et, dans le même espace, deux performeurs en sous-vêtements manipulent leurs corps dénudés : ils s’allongent l’un sur l’autre, jouant de la surface d’un bras ou d’une jambe pour former le trépied d’une seule et même histoire. Finalement, leurs corps sur le plateau fonctionnent comme une lentille d’ajustement qui s’articule, de tact en tact, entre un jeu de contacts 103
et de distances. L’espace est double. L’oeil s’attarde sur le détail d’un orteil sur l’écran puis embrasse l’ensemble formé par le paysage des deux corps nus. Cette constante accommodation demandée au regard spectateur génère autour du corps humain « une épaisseur haptique(6) » qui altère et redéploie notre vision en la soumettant à d’innombrables mises au point. Ouvrant et fermant l’espace, le pied tantôt humain, tantôt support, fait glisser le cadre de notre perception. De sujet dans un espace (voir le « pied nu »), il se fait lien entre l’espace et l’objet. Il devient un milieu. > « Avoir pied » Toucher le fond de l’eau, tout en ayant la tête qui dépasse ; pouvoir se tenir debout au dessus d’un dessous, la tête hors de l’eau, les pieds au fond. La tête dessus, les pieds dessous. Tête en haut, pied en bas, envers à l’endroit. « La terre est bleue comme une orange Jamais une erreur les mots ne mentent pas » Paul ELUARD, L’amour la Poésie, 1929
> « Donner un coup de pied au cul/au derrière » Pied qui a le sens du tact ; action de porter un coup de pied dans le derrière, établissant une relation éphémère via l’outil corporel. Si les récepteurs épicritique à sensibilité superficielle du pied permettent de reconnaître la surface avec laquelle il entre en contact, la chair, les récepteurs à sensibilité profonde permettent d’identifier sa nature et son histoire. Autrement dit, ils prennent en compte la perception de l’objet dans un espace. Ici, il s’agirait du fessier. C’est cette sensibilité qui nous permet de comprendre sans voir. Elle qui, au toucher, capte la position globale du pied par rapport à l’environnement. L’expression est souvent utilisée comme menace pour faire accélérer un processus. Elle prône une accélération du mouvement. De fait, elle empêche totalement la construction d’une relation tactile 104
qui nécessite un temps de perception. Autrement dit, pour que la relation corps-corps — ou corps-objet — se fasse, il faut lever le pied. > « Lever le pied »(petite éloge de la lenteur) Lever le pied est une invitation à relâcher la pression de l’accélérateur sur le ‘‘ train-train ’’ de nos vies. Autrement dit, c’est un appel à ralentir. Alors, avec un bonheur enfantin, nos pieds redécouvrent la texture d’un espace qu’ils ont maintenant tout le temps d’apprivoiser. Pieds dans la boue, orteils dans le sable qui s’enlisent, chatouillement de l’herbe sous la peau... Perchée sur ces orteils, sur une pointe ou sur deux, le pas de la danseuse dans les airs est comme une lente caresse allant à la rencontre de l’espace. Toute son attention se focalise sur ce petit « fragment de peau qui touche une matière(7) ». Le corps dansant, entre dans une relation de re-découverte avec son environnement. Et, lentement, il dessine un espace. Dans leur spectacle Autour du domaine (2015), Marion Collé et Chloé Moura se prêtent au jeu « d’être touché » par la matière. Contrairement à la danseuse classique qui s’élève sur ces pointes vers le ciel pour nous faire oublier qu’un pied la raccroche toujours à la gravité, les deux performeuses choisissent de faire corps avec le sol. Elles se laissent affecter par les fils tendus, traversant l’espace de part et d’autre. Leurs pieds s’y engagent doucement, s’enroulent autour du câble pour apprivoiser son mouvement. À l’écoute de sa vibration, le geste ralentit, attentif, puis rebondit, s’adapte, s’enroulant dans cet axe suspendu. Autour du domaine est une éloge de la lenteur pour re-formuler l’acte du toucher. Il le sublime, le met à jour. Sur le fil, le geste semble fractionné, il trouble notre perception. On dirait les corps dansants au ralenti dans Crowd (2017) de Gisèle Vienne : chaque mouvement se fige, dans le temps et dans l’espace. Le regard suit, un à un, les corps transformés par la transe. Puis la musique techno se déchaîne, le rythme des danseurs s’accélère. Comme l’ambiance frénétique des boîtes de nuit, qui ne nous laisse guère percevoir autre chose qu’une masse visuelle et so105
nore. Et soudain, sur le plateau de Crowd, c’est comme si quelqu’un avait saisi la télécommande pour repasser au ralenti la dernière scène d’un film, dans laquelle un détail lui aurait échappé. Le regard du spectateur se promène et scrute la foule. À la manière d’un scientifique, il dissèque chaque ‘‘ état ’’ des corps. Ce que nous propose la chorégraphe est comme une hallucination. Elle permet au regard de photographier l’instant. De saisir ce « punctum » que Roland Barthes qualifie de « piqûre, le petit trou, la petite tâche, la petite coupure, mais aussi le coup de dé en latin(8) ». L’oeil du spectateur devient l’objectif de l’appareil photographique. Lèvres étrangères qui se cherchent dans l’obscurité, mains agiles qui font subtilement les poches des corps dansants dans la foule… Le théâtre — tout comme la photographie — donne ici le temps que le cinéma n’a pas, tout en lui empruntant ses procédés techniques (ralenti, flash back, gros plan etc.). Astreinte à une voracité continue, l’image à l’écran ne peut développer cette pensivité. Car, le « punctum » est un détail difficilement perceptible. Pour prendre le temps de le déceler, il faut ralentir le temps, et l’image. Alors, lentement, le geste peut se déployer en silence. Nul besoin de paroles. Crowd, Invisible lands et Autour du domaine, sont autant de performances corporelles où l’image s’exprime en silence. La représentation fait travailler notre perception. Elle aiguise le regard du spectateur pour capter le hasard d’un geste, dans une sorte de « horschamp subtil, comme si l’image lançait le désir au-delà de ce qu’elle donne à voir(9) ». Dans Autour du domaine, la ‘‘ scénographie lumière ’’ de Sylvie Mélis accentue ce système photographique du regard en se jouant de l’obscurité. L’obscurité dominante découpe l’espace pour en faire émerger des corps morcelés : des pieds qui tombent, des silhouettes flashées dans la pénombre. Une succession d’images forment comme des micro-espaces. Et soudain, une forêt, projetée dans l’espace, se superpose aux corps immobilisés sur le fil. Pendant un instant, l’espace se fige, permettant à l’oeil de photographier deux 106
cocons de chair suspendus à une branche. Puis, si lentement que le regard du spectateur semble pris dans une hallucination, les corps entrent en mutation. Les dos nus se mettent à bouger de l’intérieur. On croirait sentir la colonne vertébrale qui ondule et gargouille sous la chair ; comme des chrysalides prêtent à faire éclater leur cocon de soie pour devenir papillon. Puis, aussi soudainement qu’ils s’étaient arrêtés, les corps des deux équilibristes se remettent en mouvement et l’image se démantèle à nouveau, pour en former une autre. La lumière permet d’altérer et d’intensifier le visible. C’est elle, qui fait vibrer le masque qui le recouvre. Paolo Bertetto dit que «l’objet est la lumière donc le temps(10) », ainsi, « tout visible change sa configuration en fonction de la lumière(11)». La lumière, par son rapport à l’obscurité, est ce qui ‘‘ nous fait croire voir ’’. Elle rend visible, ou non, le sujet, et transforme par là notre rapport avec le monde. La lumière rend la vision problématique, elle questionne l’objectivité de notre regard sur les choses : « ce n’est pas la chose qui passe dans l’image, mais l’objectivation de la relation de l’objet avec le monde, le fait qu’il soit en même temps sujet et regard, rapport de perception(12). » Lumières obscures, vitesses ralenties, autant de systèmes qui troublent le regard du spectateur pour remettre en cause ces certitudes et ces ‘‘ définitions ’’ de l’objet. La lenteur du geste, qu’elle soit effective par la proximité d’un tri-frontal dans Invisible lands ou par la distance au ralenti du paysage scénique de Gisèle Vienne, permet de démanteler les mécanismes de l’image en train de se créer pour redonner couleur à une fragilité oubliée. Celle d’un déséquilibre qui nous fait « lever le pied ». > « Sur pieds » Pied debout, réveillé ou guéri ; pied avant que le végétal ne soit fauché, moissonné ou cueilli. > « Le pied marin » 107
Pied tout terrain qui s’adapte aux circonstances et permet à l’homme de tenir en équilibre sur le sol. Il est le seul animal pouvant maintenir la station « debout ». Les deux pieds, campés sur la terre permettent, à certains plus qu’à d’autres, d’être à leur aise sur des surfaces en mouvement. « Avoir le pied marin » tire donc son origine de la capacité à savoir garder son équilibre sur un bateau. La position debout est, notamment au passage de l’enfance, la porte qui s’ouvre sur l’espace du monde. > « Perdre pied » (la scénographie qui déséquilibre) Littéralement, un déséquilibre du corps dans la répartition du poids et des forces dans le sol. Le pied panique, déstabilisé par nos lourdes têtes pensantes prises de court et bim ! C’est la chute sur le plancher des vaches. Et là, patatras, on perd pied une seconde fois. On ne sait plus que dire, le contrôle de soi-même a foutu le camp laissant libre court aux larmes qui débordent goulûment. Honte, douleur, moquerie et ridicule sur nous, ‘‘ all included ’’. Ce qu’il nous restait de dignité humaine est bon à jeter. Le petit soldat de plomb (1838) d’Hans Andersen lui, ne perd jamais pied et c’est pour cela qu’il reste digne. Même quand il tombe, c’est seulement parce qu’il l’a décidé et jamais, jamais il ne baisse la garde. Mais en réalité, c’est son environnement qui le ballote : en bas de l’immeuble jusque dans le ventre du poisson, les évènements le ramènent finalement dans l’appartement où il finit dans les flammes de la cheminée, aux côtés de sa danseuse de papier. Oui, l’espace est acteur. Il fabrique nos postures, notre démarche et toute la mécanique de notre mouvement. Il transforme les corps et, parfois, les soumet à des paradoxes gravitaires pour les extraire du déterminisme de la matière. Sur le plateau de Celui qui tombe (2014), le sol horizontal devient vertical. Il bascule, tangue, glisse et le pied l’accompagne dans sa chute. Une plateforme carré de 1800kg, tantôt suspendue, tantôt en suspension sur un axe, est en perpétuel mouvement. Sur sa surface, six comédiens tentent de s’adapter : marcher en avant, en arrière ou sim108
plement tenir debout, devient un combat. La scénographie agit sur les corps. Elle leur inculque un mouvement dans l’espace. Et lorsque la marche des comédiens atteint ses limites, elle laisse place à une chorégraphie acrobatique. Les corps acceptent de perdre pied, nos racines de s’arracher de terre, en s’abandonnant dans un terrain de jeu dont ils ne connaissent pas l’issue. Comme l’enfant inconscient des risques qu’il prend en courant au bord de la piscine. C’est un espace où l’incontrôlable est la clef de tous les possibles : pour le comédien, dont le corps se courbe pour appréhender la force centrifuge et pour le regard du spectateur. En effet, sa perception est soumise à une remise à niveau incessante entre le dessus et le dessous d’un sol qui se situe constamment ‘‘ au seuil ’’. Où est l’envers, où est l’endroit ? Yoann Bourgeois questionne la condition humaine face aux forces fondamentales et le contrôle quotidien exercé sur elles. Ce qui l’intéresse, en décentrant l’humain au même plan que l’espace, c’est de mettre à jour le rôle de l’objet technique dans l’agencement social et la circulation des affects humains ; ce que Deleuze nomme, en toute simplicité : « territorialisation-reterritorialisation(13) ». Ainsi redéfini, l’espace est un plateau qui prend vie ; une scénographie qui déséquilibre ; un jeu qui permet de parcourir en toute impunité et pour un petit laps de temps, encore, des paysages imaginaires dans un pied d’adulte. > Le pied et la peau de banane (le rire comme révolte contre la technicisation du monde) Qu’il referme ce livre celui qui n’a jamais ri : quand, cheminant tranquillement aux côtés de votre voisin tout en devisant de la politique étrangère des Etats-Unis, son pied glisse brusquement et s’étale de tout son long sur la chaussée, déclenchant, chez vous, un hurlement hystérique à terrasser mère-grand accrochée à son déambulateur, de l’autre côté de la chaussée. Particulièrement prisée dans les bandes dessinées, gag classique, elle fait écho à tous les enfants de 7 à 77 ans cette peau de banane jaune, siestant innocemment sur le 109
trottoir, en attendant avec réjouissance un pied rêveur. La blague marche d’autant plus lorsqu’elle est annoncée, Tintin en fait régulièrement les frais. Tellement qu’elle devient attendue avec impatience jusqu’à se transformer en arme projectile dans Mario kart, déroutant les adversaires sur les pistes arc-en-ciel. La chute a souvent une portée négative. Et, pourtant, elle est parfois simplement une façon différente d’appréhender l’espace. Relativement plus douloureuse certes, mais bien plus drôle, vous en conviendrez. D’ailleurs, l’effet comique est aussi autre chose qu’une simple distraction. Celui qui tombe (2014) révèle quelque chose, une absurdité du monde. Les comédiens, immobiles, se font catapulter dans l’espace par l’énorme plateforme qui, de droite à gauche, se balance de sa mécanique régulière. Un à un, on dirait qu’ils attendent que le monstre technique vienne les bazarder au sol. On rit parce que c’est ridicule de les voir se faire dégommer comme des quilles, on rit aussi de l’absurdité de leur situation qu’ils acceptent pourtant ; qu’ils subissent en quelque sorte. Le comique nous dévoile, sans prévenir et avec une légère ironie, cette manière dont l’homme parvient à nouer un rapport ludique et idiot aux choses via la technicisation du monde. De Charlie Chaplin, emporté dans les rouages de ses machines, aux chutes naïves de Buster Keaton jusqu’aux performances explosives de Miet Warlop aujourd’hui, le rire est une révolte. Les maladresses improbables dues à notre environnement technique génèrent des réactions physiques étonnantes. Que l’on chute, l’on glisse ou que l’on dérape, nos réflexes deviennent soudainement acrobatiques et même, souvent, spectaculaires. Tout le monde aime rire d’une bonne chute. Parce que, soudain, la relation du corps à l’espace (ou l’objet) change. Elle nous sort de nos habitudes, perturbe nos automatismes. L’espace d’un instant, le train-train gris du quotidien est traversé d’un rire lumineux, comme un rayon de soleil entre les nuages. Se défaire de ses automatismes, c’est oser ‘‘ se laisser tomber ’’. Volontairement. Nos gestes sont généralement effectués dans « le seul but instrumental de prendre, de 110
manier, de déplacer pour mener à bien une action(14) ». Car, en se démultipliant, nos objets sont devenus purement utilitaires. Alice Godfroy, dans Les dessous du corps objet : une pratique du tact, explique que le marionnettiste (tout comme la scénographie) doit ré-interroger « l’inévidence des médiums expressifs(15) » de nos objets. Car, qu’est ce que le geste actif ? C’est établir un contact. Une relation… éphémère ? Tout est une question de tact, d’espace, d’objet, de corps et de rythme. Il faut être dans le temps de l’objet. Glisse, tombe, s’écroule, explose, celui qui, par la pitrerie et le ratage, génère le rire : le rire comme révolte contre la technicisation du monde, du travail et tous ses corrélants (machines, techniques et outils) ; le rire comme détournement et petit clin d’œil au sérieux bonhomme qui garde les pieds sur terre ; le rire contre la peur. Pour Octavio Paz, le rire suspend le sens ‘‘ sérieux ’’, il refuse l’esprit cartésien et « renvoie l’univers à son indifférence et à son étrangeté originelle. Le comique rompt avec la gravité du monde technique car dans le rire, le monde et les hommes redeviennent des jouets(16) ». Conclusion ? N’ayez pas peur, de rire, sourire et tomber. Tombez et après, recommencez. Il sera plus facile de tenir debout.
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notes :
1 > DELEUZE, Gilles à propos de Francis Bacon dans Logique de la sensation. Paris : Éditions de la Différence, 1981. p. 33 2 > Voir la définition des « Pieds Nickelés ». Chap. 1, p 31 3 > FREUD dans Le miroir et le simulacre, de BERTETTO, Paolo. Chapitre VII – L’image filmique et le figural Collection Le Spectaculaire. PU Rennes : 2015. p 149 4 > GODFROY, Alice. Les dessous du corps objet : une pratique du tact. Revue REVUE CORPS-OBJET-IMAGE N°1 / INFRA : L’en-deça du visible. Strasbourg : TJP, février 2015 [vue le 26/01/20]. p 76. PDF disponible sur : https://static1.squarespace.com/ static/542cf50be4b0b0eacb4ab721/t/5819e5438419c21ac8dcf07a/1478092101610/PRATIQUE+DU+TACT+01.pdf. 5 > LESAGE, Bernard. Dialogue corporel et danse-thérapie. [en ligne] Eléments théorico-cliniques à l’adresse des étudiants en psychomotricité de la Faculté de médecine Pierre & Marie Curie, 2003, p. 17. Disponible sur : http://www.chups.jussieu. fr/polysPSM/psychomot/danseth/index.html 6 > Ibid. p 79 7 > Ibid. p 78 8 > BARTHES, Roland. La chambre claire, notes sur la photographie. Collection : Cahiers du cinéma Gallimard. Chapitre 10 Studium et Punctum. Paris : Gallimard, 1980. p 49 9 > Ibid. p 49 10 > BERTETTO, Paolo. Le miroir et le simulacre. Collection Le Spectaculaire. Chapitre V – Le miroir et l’image réflexive. PU Rennes : 2015. p 107-123 11 > Ibid. p 107-123 12 > Ibid. p 107-123 13 > Concept créé par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans L’Anti-Œdipe. Collection critique. Paris : Les Éditions de minuit, 1972 14 > GODFROY, Alice. Les dessous du corps objet : une pratique du tact. Revue REVUE CORPS-OBJET-IMAGE N°1 / INFRA : L’en-deça du visible. Strasbourg : TJP, février 2015 [vue le 26/01/20]. p 77. PDF disponible sur : https://static1.squarespace.com/ static/542cf50be4b0b0eacb4ab721/t/5819e5438419c21ac8dcf07a/1478092101610/PRATIQUE+DU+TACT+01.pdf. 15 > Ibid. p 75 16 > PAZ, Octavio. Rire et Pénitence (1938), Paris, Gallimard, p 238, dans La vie filmique des marionnettes. SCHIFANO, Laurence. Presses universitaires de Paris Nanterre : Collection Libellus, 2018. p 108
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6. LA MARCHE
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> le pas
pas de bourrés, pas de deux, pas tombé pas perdus pas-à-pas pas chassés pas déchargé pas de côté premier pas pas furtif pas d’éléphant politique des petits pas pas commun pas de tango, salsa, chachacha, valse, rock’n roll pas allongé, pas rassemblé de l’équidé pas de Suse pas de Calais pas de géants pas de la porte Pas de tir Pas d’arme pas de loup cent pas
> marchepied
nom masculin (contraction du verbe marcher et pied). 1. Marche ou série de marches pour monter dans une
voiture, dans un train, ou pour en descendre. 2. Escabeau à deux ou trois marches. 3. Moyen de progresser, de réaliser ses ambitions. 4. Chemin réservé le long des cours d’eau navigables sur la rive opposée au halage et servant à la circulation des piétons ou des chevaux. 5. Aux Antilles, paillasson. > « À pieds »
1. En marchant. 2. Aller à pieds dans un univers gravitationnel d’une ma-
nière bipodale, se déplacer en tout-terrain, dans toutes les directions, avancer à vitesse variable et en dépensant le moins d’énergie possible. Phénomène cyclique, la marche est un mouvement rythmé, une production de forces propulsives intermittentes. Pendant ce cycle, on oppose, classiquement, une phase aérienne, et une phase où le pied entre en contact avec le sol. À ce moment précis, le poids du corps s’enfonce dans le sol pour mieux propulser le mouvement vers l’avant. Le pied fonctionne comme une pompe (d’où, peut-être, l’expression ‘‘ ramène tes pompes ’’) : il permet d’alimenter continuellement le sang vers le coeur et opère, ainsi, une circulation continue des flux et liquides pour garantir l’équilibre sur terre. D’ailleurs, l’immobilité impacte souvent négativement le corps. Elle le déforme. Les pieds éléphantiasis ne font pas référence au pachyderme innocemment. Résultat d’une inactivité prolongée, ils court-circuitent la circulation du sang en faisant gonfler outrageusement les gros panards. Preuve que les pieds nécessitent une activité régulière. La marche permet d’avancer en se déplaçant d’un point A à un point B. Autrement dit, un mécanisme qui permet d’atteindre une destination. Le pied étant l’unique lien corporel au sol nous permettant d’avancer, il est donc tout naturel de considérer ce dernier comme le symbole du 116
mouvement. Et lorsque se met en route la mécanique de la marche, l’espace s’ouvre. La perception du sujet s’élargit à l’ensemble du corps. Le pied fait partie d’une globalité, une mécanique qui procède « d’un agencement(1) » (terme cher à Deleuze). À ce sujet, Laurence Louppe cite très justement la danseuse Sylvie Giron : « c’est troublant de se rendre compte qu’un geste, un mouvement engage tout(2) ». Le pied est, ici, perçu comme le rouage d’un mécanisme de mobilité. Laurence Louppe rappelle que « la charge d’un mouvement ne dépend ni de son ampleur ni même de sa nature mais de ce qu’il engage(3) ». Les ‘‘ voyages traversants ’’ de Francis Alÿs en témoignent. Ses marches tournent en rond, résistent au corps. Elles deviennent des performances. À Mexico, en 1997, l’artiste parcourt, pendant neuf heures, les rues surchauffées de la ville. Arcbouté, il pousse un cube de glace à taille humaine, son corps, tout entier, est tendu dans l’effort. Peu à peu, sur le béton brûlant, sous le soleil asséchant, l’énorme carcasse froide rapetisse. Sur les derniers mètres, l’artiste la pousse négligemment du bout des pieds pour lui faire descendre les escaliers. Enfin, le monstre devenu glaçon s’échoue silencieusement sur la chaussée, formant une petite flaque. Ce qu’Alys met ici en représentation est simplement l’un de nos mouvements fondamentaux, la marche. Mais une marche éveillée. Nikolais réunit, dans le concept de ‘‘ motion ’’, « et le geste conscient et la conscience du geste(4) ». Francis Alÿs, dans sa marche, est contraint par l’objet et l’environnement dans lequel il le place. La glace et la chaleur de Mexico entrent en contradiction. La traversée devient absurde et dénaturalise notre action quotidienne. Car soudain, dans l’effort, la marche ralentie. Le corps se met en représentation. Son action porte sur le mouvement en tant que traversée de sa propre expérience. Cela fait indéniablement penser aux premières « chronophotographie » permettant, à l’oeil nu, de voir, pour la première fois, la décomposition de la locomotion humaine et animale. Le fusil photographique (1882) inventé par Marey 117
lui permet de linéariser, sur une même plaque, les poses successives engendrées par le déplacement du cavalier arabe. Ce procédé donne lieu à des images : en suspendant le temps et le mouvement sur le papier, les photographies révèlent une poétique de la marche. Selon Françoise Dupuy, le mode de déplacement de l’être humain, ainsi libéré de tout usage ou destination, s’imprègne du temps et de l’espace qu’il traverse. La marche devient un mouvement dansé : « la danse ne commence-t-elle pas au moment où cette marche est maitrisée dans son temps, son espace, son énergie afin qu’elle puisse raconter autre chose que la seule identité quotidienne de celui qui le porte ou qu’elle porte… ? Celui qui danse doit dominer l’appui de son pied sur le sol, la façon dont ce pied s’éloigne, dont il suspend ce corps qu’il soutient ou qui le soutient(5) ». Lorsque la mécanique de ses pieds s’active, le marcheur dessine, dans l’espace et dans le sol, un paysage corporel du mouvement. Il s’ancre dans une partition qui projette une image. Un peu comme dans les théâtres miniatures des ‘‘ Lambe-lambe ’’ (créés au Brésil en 1989) et les lanternes magiques du dernier siècle. Ce paysage, spatial et visuel, soudainement déployé par la marche, nécessite d’élargir le champs de vision du spectateur. Le regard du voyageur se met à distance, choisit des ‘‘ points of view ’’ et ‘‘ highest view ’’, ou encore des : ‘‘ the best view ’». La focale de l’appareil photographique se fait grand angle et panorama, le corps prend du recul. L’espace s’ouvre. Et le regard aussi : « Et là, l’iceberg se dresse face au marcheur. Immobile, il semble paisible. Et si lointain… Il ne semble pas si grand. ‘‘ Mais.. là ! Qu’est ce que c’est ? ’’ Un point noir, au loin, traverse le ciel en surplombant l’iceberg. C’est un oiseau. Soudain, la montagne de glace semble monstrueuse. Le voyageur se ratatine et manque tomber à genoux dans la neige. L’immensité écrasante de la nature lui donne le vertige. Alors il se dit que, ses livres de toujours, ses romans fétiches, ne sont que de pâles copies, que les mots ne suf118
fisent pas pour décrire le merveilleux, et que Tolkien n’a, finalement, peut être rien inventé. » (extrait de mon journal de bord sur le voilier Atka, 2019 Oqaatsut, Groenland) La marche ouvre le geste, puis l’espace et enfin, le regard. La marche devient une poétique, une performance, une danse. Une image qui s’ouvre par le travail de ce geste car, pour reprendre Laurence Louppe, la danse est ouverture, « ouverture à tous les mouvements possibles dont aucun n’est interdit(6) ». « Tout geste modifie l’espace. » Jacqueline ROBINSON
> pousse-pied
nom masculin invariable (contraction du verbe pousser et pied). Petit bateau plat, que l’on fait glisser
sur la vase en le poussant avec le pied. Suivant l’injonction du corps, l’objet est propulsé sur la surface et file la poupe en avant, dans le sens du vent, des navigateurs et des voyageurs. Suivant naturellement la courbe de l’espace et la gravité induite par le poids, notre corps se penche et se dirige toujours en avant. L’avant nous indique la direction à suivre, l’arrière est celui auquel on tourne le dos. Méprisé, passé et repassé, il se morfond et se cache dans l’ombre. Si avancer est l’empanache du progrès, de l’évolution, reculer en est généralement la tendance inverse, c’est à dire synonyme de régression. À celui qui stagne et bien pire, s’avise de reculer, on conseille généralement de ‘‘ passer à autre chose ’’ pour avancer. Il y a pourtant une personne, une démarche, un pas qui détourne au son de Billie Jean le sens fondamental de la marche : le moon walk. Sur une ligne imaginaire, Mickael Jackson danse une marche robotique. Comme s’il était coupé dans l’élan qui le porte en avant, ses pas sont jetés, ses pieds se posent par à coups. Mais soudain, ses mouvements se font fluides et glissent en marche arrière sur le sol qui semble de glace. Et d’une pirouette il repart de plus belle, jouant du sol comme d’un tapis roulant, reculant 119
comme pour mieux recommencer, pour recréer, encore et encore, l’image de son profil traçant dans l’espace un nouveau plan. Le corps prend l’espace et se laisse prendre, « le danseur est ensorcelé par l’espace(7) », le corps et l’espace deviennent le parcours, « l’être du trajet(8) ». > les pas perdus (destination sans visage) Ils ont perdu leur destination. Hagard, désorienté, le voyageur se résigne à se laisser porter par ses pas et le vent. Il oublie sa quête, saute du wagon filant sur les rails dans la campagne gelée et délaisse ses bottes de sept lieues pour s’imprégner du paysage et imprégner le paysage de son passage. L’espace des possibles s’ouvre. Il flâne, se promène dans les rues de Prague et sa marche le fait dériver à travers champs. Mais bien vite, il tombe sur des traces. Instinctivement les suit, tourne au coin d’une ruelle familière et voilà le randonneur revenu à son point de départ. Faussé par son inconscient, voilà l’arpenteur d’espaces forcé de reconnaître que ses pas s’alignent à ceux de la masse délirante qui agite les rues de la capitale Tchèque. Bien décidé à s’éloigner des grandes avenues, il se glisse hors des sentiers battus et gravit les marches du Letna Park. En haut de la colline, la ville se déploie sous les yeux du voyageur devenu voyeur. Devant lui s’étale « le monde qui ensorcelait et dont on était possédé(9) ». La foule n’est plus qu’une colonie de fourmis grouillantes, voyageurs armés de crème solaire et appareils photos jusqu’aux dents qui se pressent pour faire, dans un temps record, tous les spots touristiques recommandés par le guide. Ensembles, les corps obéissent « aux pleins et aux déliés d’un ‘‘texte’’ urbain qu’ils écrivent sans pouvoir le lire(10) ». En observant la ville du haut du World Trade Center, Michel De Certeau remarque que « les réseaux de ces écritures avançantes et croisées composent une histoire(11)». Et, pour être perçus, ils nécessitent une mise à distance de l’oeil. Alors, le paysage se dessine comme un tableau de Jérôme Bosch. Et dans ce panorama qui s’étale, les marches tracent des noeuds de réseaux qui forment eux-mêmes des sentiers empruntés, piétinés, foulés encore et encore et 120
> les pieds dans qui ne semble pas l’eau relever du hasard autant qu’il paraîtrait. En réalité, le marcheur un parcours malicieuAu Groenland, la mer estsuit verte le ciel sement construit par l’architecture de la ville qui le fait est rose et les nuits sont bleues tourner en rond, entre les attractions touristiques, dans ses habitudes, ses la quartiers. arpente les pavés, façonne Au Groenland, terreIl et la mer se confondent dans de lepleins hublot les espaces de « courbes et de déliés(12) » que les Au Groenland, l’endroit cartes ont oubliéesl’envers de relever. devient Des pas qui, sans destinales frontières n’existent pas leur apparaisse et tion, errent dans l’attente que celle-ci Au Groenland, glaceenfond qui, en attendant, filorsque nissent parlatourner rond en suivant les pêcheurs zigzag entre les le troupeau, belle image de Francis Alysicebergs dans le film Padans leurs petits bateaux de pêche triotic Tales : Multiplication of Sheep(13), tournant autour du Au Groenland, la banquise s’étale mât de Zocalo tel un berger conduisant indéfiniment ses à perte de vue moutons. (14) « le parlerles des pas D’ailleurs, les pas Au C’est Groenland, pasperdus lourds ».s’enperdus donnent nom à une salle dite ‘‘ d’attente ’’, un foncent dans leur la neige molle largeGroenland, vestibule communiquant, sorte d’anti-chambre d’un Au les pas buttent dans la ouvert glaceaudure bâtiment public dans lequel les députés de la ème Au Groenland, marche est Chambre (début dula XIX siècle) ont un fait sport les cent pas dans Au Groenland, les traces s’efl’angoisse de connaitre les résultats de leur réélection ou facent avant même de s’imprimer non. L’attente naît de l’angoisse de ne pas connaître la fin. Au Groenland, le marcheur se perd Elle nous fait ressentir la durée du temps qui s’étire. Acdans l’immensité du rien cepter de se perdre,l’espace c’est s’ouvrir à cette peur de AU Groenland, est remplit del’inattenblanc du. Ne pas être ‘‘ dans l’après ’’ mais à ‘‘ être dedans ’’. Une Au Groenland, la terre est tellemanière de redécouvrir le plaisir simple du déplacement ment grande qu’elle nous avale mais aussi de ‘‘ ce qui autour ’’. Privé destination, le AU Groenland, lesesticebergs sontdedes voyageur s’appliqueest dansune la marche géants l’homme fourmiet, sous ses yeux, la rue fumante de crasse se transforme en monts et vallées. Il Au Groenland, la lumière scintille saute de pavés en pavés pour ne pas se faire manger par les le paysage aussi le vide en alignant méthodiquement crocodiles, et, nargue Au pas Groenland, la du glace vivante et un geste ses sur le rebord quai. est Ses pieds tracent se joue des pieds qui s’y risquent cheminatoire qui joue avec les organisations spatiales de la ville. Car, sans but, les pieds s’inventent de nouveaux Au Groenland, la marche est une ascension repères : ils comptent, s’arrêtent, repartent, puis Au Groenland, la mesurent, marche est si lente recommencent. Ils chantent et dessinent une nouvelle que la nuit rattrape le jour rythmique. toute une traversée. Il s’agit Au Finalement, Groenland, la marche petite est traversée simplement de choisir la fréquence qui la transforme en devient grande Au Groenland, la traversée est un voyage une marche éveillée.
uae’l spour nad recréer, sdeip encore sel > comme pour mieux recommencer, et encore, l etraçant leil’image c el ede treson v tprofi se r m al ,dans dnall’espace neorG un uA nouveau plan.sLe l’espace eucorps elb tprend nos s tiun set else tlaisse e esprendre, or tse « le danseur est ensorcelé par l’espace(7) », le corps et l’esal te e«rl’être ret du altrajet ,dn(8) al». neorG uA pace deviennentrelem parcours, tolbuh el snad tnednofnoc es tiopas rdneperdus ’l tnei(destination ved srevne’l sans ,dnalvisage) neorG uA > les s a p t n e t s i x e ’ n s e r è i t norf sele l Ils ont perdu leur destination. Hagard, désorienté, d n o f e c a l g a l e u q s r o l , d n a l n e o r G u A voyageur se résigne à se laisser porter par ses pas et le vent. sgrebeci sel ertne gazgiz sruehcêp sel Il oublie sa quête, saute du wagon filant sur les rails dans la ehcêp ed xuaetab stitep sruel snad campagne gelée eet lieues ladélaisse té’s esses iuqbottes nab ade l ,sept dnal neorGpour uA s’imprégner du paysage et imprégner le paysage euv ed etde repson à passage. L’espace des possibles s’ouvre. Il flâne, se promène dans les etasa -nrues e’s de sdPrague ruol s p marche sel ,dle nafait lnedériver orG uAà travers champs. Mais bien vite, sursdes Insello m eilgtombe ien al nadtraces. tnecn of tntourne ettubausa p sd’une el ,druelle nalnefamilière orG uA tinctivement les suit, coin erpoint ud ede caldépart. g al Faussnad et voilà le randonneur revenu à son ops nu tse ehcl’arpenteur ram al ,dd’espaces nalneorGforcé uA sé par sontrinconscient, voilà f e ’ s s e c a r t s e l , d n a l n e o r G uA de reconnaître que ses pas s’alignent à ceux de la masse r e m i r p m i ’ s e d e m ê m t n a v a t n e c af délirante qui agite les rues de la capitale Tchèque. Bien décidé à s’éloigner des grandes avenues, il se glisse hors drep es ruehcram el ,dnalneorG uA des sentiers battus et gravit neiles r umarches d étisndu emmLetna i’l sPark. nad En haut de la colline, la ville se déploie sous les yeux du cnalb ed tilpmer tse ecapse’l ,dnalneo rG U A voyageur devenu voyeur. Devant lui s’étale « le monde qui -ellet tse erret al ,dnalneorG uA (9) ensorcelait et donteon lavétait a spossédé uon elle». ’uLa q foule ednan’est rg tplus nem qu’une colonie sed de tnofourmis s sgregrouillantes, beci sel ,voyageurs dnalneorarmés G UA mruof enphotos u tsejusqu’aux emmoh’ldents stnaqui ég de crème solaire etiappareils se pressent pour faire, dans un temps record, tous les spots llitnics erpar èimu al ,dEnsembles, nalneorG les uA touristiques erecommandés lel guide. i s s u a e g a s y a p el corps obéissent « aux pleins et aux déliés d’un ‘‘texte’’ urt e e t n a v i v t s e e c a l g a l , d n a l n e o r G uA (10) bain qu’ils écrivent sans pouvoir le lire ». En observant tneuqsir y’s iuq sdeip sed euoj es la ville du haut du World Trade Center, Michel De Certeau remarque noisneque csa« les enuréseaux tse ede hcces ra(11) mécritures al ,dnavançantes alneorG uet A croisées composent une histoire ». Et, pour etnel is tse ehcram al ,dnalneêtre orGperuA çus, ils nécessitent une distance ruomise j elà e parttade r tl’oeil. iun Alors, al eule q paysage se dessine comme un tableau de Jérôme Bosch. Et dans ce panorama lesamarches eésrevaqui rt s’étale, etitep l ,dnaltracent neorG des uA ednardes g tnsentiers eived noeuds de réseaux qui forment eux-mêmes egayovpiétinés, nu tse eésr evartetaencore l ,dnet alneorG uA empruntés, foulés encore
qui ne semble pas relever du hasard autant qu’il paraîtrait. En réalité, le marcheur suit un parcours malicieusement construit par l’architecture de la ville qui le fait tourner en rond, entre les attractions touristiques, dans ses habitudes, ses quartiers. Il arpente les pavés, façonne les espaces de « courbes de pleins et de déliés(12) » que les cartes ont oubliées de relever. Des pas qui, sans destination, errent dans l’attente que celle-ci leur apparaisse et qui, en attendant, finissent par tourner en rond en suivant le troupeau, belle image de Francis Alys dans le film Patriotic Tales : Multiplication of Sheep(13), tournant autour du mât de Zocalo tel un berger conduisant indéfiniment ses moutons. C’est « le parler des pas perdus(14) ». D’ailleurs, les pas perdus donnent leur nom à une salle dite ‘‘ d’attente ’’, un large vestibule communiquant, sorte d’anti-chambre d’un bâtiment ouvert au public dans lequel les députés de la Chambre (début du XIXème siècle) ont fait les cent pas dans l’angoisse de connaitre les résultats de leur réélection ou non. L’attente naît de l’angoisse de ne pas connaître la fin. Elle nous fait ressentir la durée du temps qui s’étire. Accepter de se perdre, c’est s’ouvrir à cette peur de l’inattendu. Ne pas être ‘‘ dans l’après ’’ mais ‘‘ être dedans ’’. Une manière de redécouvrir le plaisir simple du déplacement mais aussi de ‘‘ ce qui est autour ’’. Privé de destination, le voyageur s’applique dans la marche et, sous ses yeux, la rue fumante de crasse se transforme en monts et vallées. Il saute de pavés en pavés pour ne pas se faire manger par les crocodiles, et, nargue le vide en alignant méthodiquement ses pas sur le rebord du quai. Ses pieds tracent un geste cheminatoire qui joue avec les organisations spatiales de la ville. Car, sans but, les pieds s’inventent de nouveaux repères : ils comptent, mesurent, s’arrêtent, repartent, puis recommencent. Ils chantent et dessinent une nouvelle rythmique. Finalement, toute marche est une traversée. Il s’agit simplement de choisir la fréquence qui la transforme en une marche éveillée. 123
« Danser, c’est rendre l’espace visible. »
Dominique DUPUY, La danse du dedans, dans La danse naissance d’un mouvement de pensée, 1989
> d’arrache-pied / de pied ferme / pied au plancher Écraser le poids du corps au sol, imprimer sa marque, revendiquer sa terre, marquer le coup. Le pied, dans le paysage, appose une empreinte. Une trace de son passage qui défigure, modifie son environnement. Lorsque la mécanique de la marche se met en place, le poids du corps est déplacé, et déplace notre ‘centre’ corporel. Mouvement perpétuel et fondamental, la marche commence et finit avec le pied. Celui-ci est l’unique point de contact avec le sol. Il prend appui sur la terre, la travaille et la module : le raisin est foulé pour en extraire le jus, les danses traditionnelles et les piétinements ternaires des bourrées frappent en groupe, malaxent la surface terrestre pour la rendre fertile. Le poids du geste (qu’il soit marché ou dansé) est un facteur de mouvement primordial. Le pied affirme son pouvoir, sa capacité à tenir debout, sa légitimité sur le territoire, et sa liberté. Ainsi s’ancrent les danses africaines. Pour, par, dans, et avec le sol, les corps en émergent pour se libérer de leurs chaînes. Le pied nu s’imprègne de la poussière rouge qu’il soulève. Socle mouvant, porteur du corps, il plonge le poids de ses racines dans la terre-mère et, en même temps, s’envole et saute comme pour s’en affranchir. Martelé d’une énergie explosive, le sol se recouvre d’empreintes. Une trace qui n’est pas seulement visuelle mais également sonore. Au rythme des percussions, les danseurs s’imprègnent d’une présence rythmique, collective. Les pieds rebondissent dans des bruits sourds, claquent et libèrent le poids des jambes. Annie Le Brun écrit qu’une « terre qui n’est pas chantée est une terre morte(15) ». Et, dans les danses africaines, la terre vibre sous le poids des corps dans le sol. Ils écrivent une partition sonore du mouvement. Une musique de la marche. Le pied bas le rythme, puise son énergie dans le sol et l’espace, qui se dessine 124
sous ses traces, lui répond en le libérant de sa gravité. Un peu plus loin, dans la boîte d’un théâtre occidental, le terreau vient enduire la surface noire de la scène. Le plateau de la compagnie du Tanztheater Wuppertal de Pina Bosch se recouvre d’eau, de fleurs, de terre. La chorégraphe allemande reporte les éléments de la nature pour dessiner une scène, qui se métamorphose sous les pas. Fleurs écrasées, corps éclaboussés, les empreintes mouillées et poussiéreuses façonnent des images de corps au sol. Elles dessinent de nouveaux chemins à emprunter. Quand Pina Bausch reprend Le sacre du printemps (1975), un immense carré terreux, proprement délimité, dessine l’espace de la performance. La scène se fait un morceau de paysage, emporté, sur les corps et dans les pas. Fragment de terre fraîchement découpée, que l’on aurait jeté là, ou un tapis organique, que l’on aurait traîné ici. En réalité, la terre a été soigneusement ratissée en amont de la représentation, afin d’être vierge de toutes marques. Immaculée. Et quand les danseurs entrent en scène, que la terre, foulée et piétinée par le poids des corps, la matière s’anime. Les danseurs se font les cartographes d’une matière visuelle et auditive. L’identité sonore de la marche se construit au son des pas, étouffés dans la terre. Serge Aimé Coulibaly, à propos de son spectacle Kirina, dit des danseurs qu’ils tracent « une marche de l’humanité(16) ». Une marche collective qui dessine le mouvement millénaire des peuples, foulant la terre à la recherche d’un ailleurs : ainsi, « le danseur puise son énergie dans le sol pour la transmettre à tout son corps. C’est en quoi la danse traditionnelle africaine est une danse naturelle. Elle apprend à décoloniser son corps, à sentir son propre rythme et nous invite à bouger toutes les parties de notre corps. » (Alphonse Tierou, Si sa danse bouge, l’Afrique bougera, 2001). À l’inverse, la terre-mère révèle aussi nos faiblesses et nous rappelle à notre humilité. Dans Electre/Oreste, de Ivo Van Hove (2019), les personnages coupables de matricide, ne peuvent tenir debout : ils se débattent, se tuent, s’arrachent et s’enfoncent dans la scène engluée de boue. La grandeur des éléments naturels réside dans cette force, ineffable, 125
qui ramène, inlassablement, sa petitesse à l’homme face à l’univers. La terre rappelle à elle nos origines organiques, nos racines terrestres et finit par tous nous avaler. En attendant, le danseur peut jouer de l’élasticité de ses racines pour étendre de nouvelles ramifications qui, toujours, monteront vers le ciel, mais s’enfonceront aussi profondément dans le sol, par d’incessants et éternels allers-retours. > pied romain Unité de longueur, correspond à la longueur d’un pied humain, d’environ vingt-neuf centimètres. À la période médiévale, le pied et ses sous-multiples (1 pied = 12 pouces = 16 doigts = 144 lignes) sont une référence de mesure pour la construction. Ils permettent d’estimer les distances. Mais déjà à la période Antique, le pied était un instrument de mesure. Plus particulièrement celui du chameau car son pas nonchalant était réputé pour être particulièrement régulier. Il était d’ailleurs employé par les bématistes, arpenteurs de grands chemins dont le métier consistait à marcher, donc à mesurer les distances entre deux villes en comptant le nombre de pas du ‘‘ camelidé ’’. Ainsi en 200 avant J.C, la circonférence de la terre avait déjà été estimée par Ératosthène, à partir de la distance entre Alexandrie et Syène (Assouan) et notamment en pas de chameau. Les unités de mesures évoluent et les pas façonnent des espaces puis se reportent sur des cartes. Les tracés de marches spatialisent et permettent de donner des ordres de grandeur. Et au fur et à mesure que les pas s’amassent, les tracés s’élargissent et s’allongent, une masse fourmillante court de villes en villes et trace, non pas un sentier, mais des allées, des avenues, des autoroutes, des voies aériennes, maritimes et terrestres. Des frontières absurdes découpent les pays africains en petits compartiments. La route 66 relie l’est à l’ouest du nord américain. Le paysage devient mathématique, les cartes dirigent nos pas dans un ballet mécanique ou plutôt, pourrait-on dire, un Ballet Triadique. Les scènes d’Oskar Schlemmer 126
transposent justement les dimensions bidimensionnelles de la toile à la profondeur spatiale de la scène du théâtre : « Victoire pour l’esthétique ! Je suis passé de la géométrie de la surface unidimensionnelle à la demi-sculpture (relief), et ainsi à l’art pleinement sculptural du corps humain. Il y a aussi une géométrie qui s’applique à la surface du sol sur lequel on danse, bien que seulement comme élément et projection de la géométrie spatiale des solides. Je travaille une géométrie similaire des doigts et des notes sur le piano, dans un effort de trouver une identité (ou une unité de mouvement et de forme corporelle)…(17) » Oskar Schlemmer, lettre à Otto Meyer, 1920 Sur le sol se dessinent des quadrillages et le déplacement s’organise comme sur un plateau d’échecs ; les trois formes géométriques de base : cercle - carré - triangle construisent un rapport mécanique des corps à l’espace et schématisent des lieux : la ligne s’étend au sol pour souligner les escaliers, monte au mur pour marquer le coin, dessine une cage, un cercle dans lequel le danseur s’engouffre… La lumière, qui nous permet habituellement de percevoir les limites des objets (et espaces) est ici aplatie, la couleur envahie tout et emporte avec elle les repères auxquels le regard chercherait à s’accrocher. Les lumineuses oeuvres de Turrel suivent un procédé similaire mais dans lequel le spectateur immergé déambule, désorientant le regard mais également la direction. Les lignes tracées dans le ballet triadique de Schlemmer, ou re-découpées par les aplats lumineux de Turrel, quadrillent des scènes tout autant que le sens de la marche. L’espace, sévère, vient l’ordonner. Tout comme les réseaux géométriques imaginaires, que Gordon Craig dessine sur le plancher de la scène, fixent les points de passages obligatoires dans le déplacement des figures. La marche est conditionnée par une succession de lignes droites et de lignes courbes. Le mouvement est tantôt anguleux, tantôt arrondi. Il est formaté. Ainsi, les espaces schématiques de nos cartes se sont reportés dans nos rues, façonnant des scènes pour « faire du mouvement dans l’espace l’essence du théâtre(18) » 127
(Georges Banu, préface de De l’art du théâtre). La forme (spatiale) conditionne le pas et celui-ci, en hoquetant, se met à danser sur sa « partition chorégraphique ». La visibilité d’un processus qui, pour Laurence Louppe « donne un programme d’activités des scénarios qui génèrent à leur tour des ‘‘ scènes ’’ qui se démultiplient dans le temps et dans l’espace(19) ». L’espace dessine une nouvelle démarche pour le pied. > pied de guerre, pied de paix (esthétique d’une démarche) Être sur le pied de guerre, c’est un état en alerte, c’est l’armée qui se tient sur le qui-vive, prête à fondre sur le conflit. Les pieds se mettent en formation militaire et comme d’un seul homme, ils défilent en direction des tranchées, paradent dans les rues libérées. Ils forment un seul et même corps, unité illusoire uniquement maintenue par le champ chorégraphique de leurs pas assemblés. Tremblant face à cette machine rouleau compresseur, le sol se déploie sur son passage, déroulant tapis rouge, podium, avenue des champs Elysées et nefs fleuries. Marche collective des mannequins d’Yves St Laurent, marche nuptiale qui s’étale religieusement au son de l’orgue, marche funèbre tanguant au rythme des pleurs, le corps parade et s’expose aux regards. Les espaces deviennent des couloirs, la marche une traversée et l’allure une démarche contrôlée. La destination s’oublie pour l’esthétique du déplacement. Les scènes que les pas dessinent sont des passages, comme des successions de portes à franchir sans pour autant atteindre l’autre côté. Le plateau expose et présente les corps en mouvement. Leur démarche devient un outil pour véhiculer une tension dramaturgique. La marche lente de la mariée étire l’espace qui la sépare de l’autel où elle va s’agenouiller, le cortège funèbre étire le chagrin, sa file indienne voilée de noir trace dans le paysage une ambiance sinistre. Dans les pas de loup pleins de retenue, c’est le temps que l’on déploie comme un fil, que l’on tire autant que le permet son élasticité. C’est cette tension, 128
induite par une marche militaire, que Mathilde Monnier revisite, redessinant la traversée saccadée des mannequins dans son Défilé pour 27 chaussures(20). La marche droite des troupes se fait, ici, déambulation : dans l’espace, les souliers l’attendent déjà, acteurs muets préfigurant les pas à venir. La danseuse arrive alors, pieds-nus, chaussant tour-à-tour mocassins, bottines et Richelieu en nombre. Ceux-ci l’accompagnent, dans son avancée silencieuse. Sa démarche solitaire et rectiligne se heurte à leur présence au sol. Le corps de la danseuse est obligé de se glisser et de se mouler dans les positions ordinaires qu’ils induisent. La traversée mécanique des apparences devient une danse symbolique, une dansethéâtre, à l’image de « the nelken line(21) ». Les danseurs de la compagnie de Pina Bausch forment, en fil indienne, une longue procession. Ils avancent dans une gestuelle parfaitement synchronisée et effectuent, en boucle, une série de gestes qui symbolisent les différentes saisons. Le corps du danseur est l’émanation d’un espace. Le pas militaire des défilés et des processions s’affiche dans de nouveaux contextes. Chez la chorégraphe allemande, il dessine, à travers une parade de gestes répétitifs, le cycle du temps. L’éternel recommencement. De plus, la compagnie filme bon nombre de ses performances en extérieur. Métros, rues, paysage urbains et ruraux, voient des marcheurs traverser l’espace public en suivant des lignes invisibles au sol. Ainsi, le défilé s’affranchie également de l’espace traditionnel de la représentation (podiums, théâtres). La marche militaire, celle du corps mis en scène, est réinvestie dans le paysage quotidien. Elle y insuffle une nouvelle poétique de la marche. Mais aussi de nouveaux ‘‘ corps ’’. Des physiques non idéalisés ou pré-formatés. Les danseurs de la compagnie du Tanztheater Wuppertal sont, d’une part, de nationalités et d’ethnies multiples. Leur marche commune est celle d’un monde complexe et hétérogène. Un geste collectif duquel émerge des individualités. D’autre part, ils font et refont cette marche sur plusieurs années. Leurs corps, peu à peu, se marquent du temps et du poids de l’âge. Mais 129
leur procession, elle, reste inchangée. Les danseurs sont simplement ‘‘ des corps ’’ réceptacles. Ils portent des gestes simples que toute personne, non-initiée, peut facilement reproduire. D’ailleurs, la Fondation Pina Bosch a invité tout public à reproduire la chorégraphie en diffusant un tutoriel public. Ainsi, la marche des saisons est dansée à travers le monde, jamais identique, et se pare de notre diversité. Chez Monnier, quand le soulier joue avec la discipline du défilé, la marche devient rêveuse. Car ce dernier chausse, autant les mains, que les pieds de la danseuse. Il se glisse à ses côtés, à l’envers, à l’endroit, l’incitant à des postures très peu conventionnelles. Bien que seule sur scène, le corps de la danseuse, côte à côte avec les chaussures, se pare d’une multitude de marches. Ses « jambes deviennent des lieux de propagation ou d’extinction d’un mouvement venu d’ailleurs(22) ». Le corps militaire s’affranchit de ses origines pour réinvestir ses codes corporels dans de nouveaux espaces, pour de nouveaux usages. Transformée en traversée, dépouillée de son usage quotidien, la cadence de la marche militaire se glisse dans le pas du danseur.
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notes :
1 > DELEUZE, Gilles in Poétique de la danse contemporaine, La suite, par Laurence LOUPPE. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, mai 2007. p 46 2 > GIRON, Sylvie, L’oeil dansant, textes rassemblés par Laurent Barré, Centre National Chorégraphique de Tour (1995). dans Poétique de la danse contemporaine par Laurence LOUPPE. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, 3ème édition mai 2004. p 105 3 > LOUPPE, Laurence. Poétique de la danse contemporaine. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, 3ème édition mai 2004. p 105 4 > NIKOLAIS, Alwin, n° spécial de la revue Dance Perspective (1971) dans Poétique de la danse contemporaine par Laurence LOUPPE. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, mai 2004. p 108 5 > DUPUY, Françoise, Pas de danse, in Maryas n°18, PAris (1991), in Poétique de la danse contemporaine par Laurence LOUPPE. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, mai 2004. p 115 6 > LOUPPE, Laurence. Poétique de la danse contemporaine. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, 3ème édition mai 2004. p 111 7 > NIKOLAIS, Alwin, n° spécial Dance Perspective, dans Poétique de la danse contemporaine par Laurence LOUPPE. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, mai 2004. p 179 8 > VIRILIO, Paul, L’inertie polaire, Paris, Galilée, (1992) in Poétique de la danse contemporaine par Laurence LOUPPE. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, 3ème édition mai 2004. p 179 9 > DE CERTEAU, Michel. L’invention du quotidien, I : Arts de faire. Luce Giard. Collection Folio essais (n° 146). Paris : Gallimard, novembre 1990. Chap VII. Marches dans la ville, p 140 10 > Ibid. p 141 11 > Ibid. p 141 12 > Ibid. p 141 13 > ALŸS, Francis. Cuentos Patrioticos (Patriotic Tales). Single-screen, video projection, 24:40 mins, 1997 14 > DE CERTEAU, Michel. L’invention du quotidien, I : Arts de faire. Luce Giard. Collection Folio essais (n° 146). Paris : Gallimard, novembre 1990. Chap VII. Marches dans la ville, p 147 15 > LE BRUN, Annie. Radovan Ivsic et la forêt insoumise. Coédition Gallimard / Musée d’art contemporain Zagreb. Paris : Livres d’Art, Gallimard, 2015. p 79 16 > COULIBALY, Serge Aimé à propos de son spectacle Kirina (2019). Interview disponible sur : https://www.nouvellescenenationale.com/content/1-saisons/1-saison-18-19/0-kirina/190123bruzz_brussel.pdf 17 > SCHLEMMER, Oskar. Lettre à Otto Meyer (1920), dans Oskar Schlemmer L’homme qui danse [en ligne] Centre Pompidou Metz. p 19 [vu le 10/01/2020]. Disponible sur : https://www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/images/dossiers/2016.10-OS. pdf 18 > CRAIG, Edward Gordon. De l’art du théâtre. L’acteur et la Sur marionnette. Circé 1999, p. 79 19 > HALPRIN, Lawrence, cité par Laurence LOUPPE dans Poétique 131
de la danse contemporaine, La suite. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, mai 2007. p 25 20 > Défilé pour 27 chaussures, performance de Mathilde MONNIER pour la marque WESTON. DA Olivier saillard, Paris : Grand Palais, Juin 2018 21 > « The nelken line » est une danse inventée par Pina Bausch, issue de la pièce Nelken (1982). 22 > LOUPPE, Laurence. Poétique de la danse contemporaine. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, mai 2004. p 111
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7. LA COURSE
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> Réflexions autour du passage piéton. Rayure blanche sur le goudron noir. Rayure peinte mais effacée, brillante glissante, froide et mouillée serpentins dans les rues de Pékin à Rio cartographiant la chaussée Rayure plate ici, à Pompéi surélevée, passage clouté de cuivre et d’acier, têtes à facettes qui reflètent les phares écrasant la biche effrayée ; Rayures normées, ordonnées petits pavés noirs et blancs, armée de cailloutis qu’on déterre, empile et jette sur les flics en 68 ; Rayure coincée entre deux trottoirs à jamais séparés, comme la mère de l’enfant qui a peur de traverser et les amants dans la hâte de se retrouver Rayure imperturbable qui voit, s’accumulant à chacune de ses extrémités, taper des pieds impatients dans l’attente grandissante d’atteindre l’autre côté. Rayures, si sévères, forçant l’arrêt et la politesse stoppant camions, voitures et piétons, bien groupés chacun dans son camps ; Rayure altière, nous fait solennellement regarder à droite, puis à gauche, comme une prière, pour arriver de l’autre côté ; Rayure qui s’ouvre alors sournoisement au vert sur un raz de marée et se ferme au rouge avant qu’il ne soit terminé ; couloir qu’un cycliste tente de forcer, bien vite pris en chasse par la police en danseuse pour une amende salée ;
Rayure piétinée de pieds enfantins sautant frénétiquement du blanc au blanc pour ne pas se faire manger par les caïmans, de pieds anciens marchant un peu trop lentement et de courses d’escarpins semblant toujours manquer de temps ; Rayures bondées par la foule qui se bouscule sans se voir dans le tunnel noir, Rayure no man’s land au milieu de la nuit, monstrueuse traversée de pieds tremblants titubants, Rayure ensoleillée qui montre le chemin à suivre à la brebis égarée Rayure : autoroute d’automates qui ne laisse pas le temps aux insultes, baisers et appels urgents Rayure que le piéton rebelle dédaigne pour se faufiler entre les Klaxons ; Rayure indifférente voit se faire écraser l’enfant qui n’avait pas regardé, Rayure qui devient rouge sur l’asphalte dur où plus rien ne bouge. Rayure qui a sa place dans le caniveau. Rayure légendaire sur laquelle on prend la pose on Abbey Road ; Rayure traçant le seul passage pour aller de l’avant. Rayure sur laquelle, seul le jongleur, s’arrête quelques instants. Il attend les saluts et fiche le camps.
> au pied du mur Fait de se retrouver acculé dans une situation sans d’autre échappatoire possible que : un, se prendre le mur et deux, prendre ces responsabilités et agir (remercions les escrimeurs qui n’avaient de cesse de repousser leur adversaire jusqu’à le planter au pied du mur et en plein coeur, lui ôtant ainsi tout moyen de reculer). Voilà donc Aurélien Bory qui met littéralement au pied du mur cinq comédiens qui regardent tour à tour le public, le sommet de la paroi, puis de nouveau le public d’un regard interrogateur. Traversant de part et d’autre le plateau scénique d’Espaece — mot valise emprunté au roman Espèces d’espaces (1974) de George Perec — la gigantesque façade ne bronche pas. Deux portes y sont incrustées, surplombées d’un luminescent ‘sortie de secours’ vert sur fond noir. Légèrement déstabilisés par le vide environnant, les personnages sortent de leurs poches des livres, entièrement blancs, et commencent à manipuler leurs tranches pour former mot par mot et contre le mur, une phrase de George Perec, peu banale : « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner(1) ». Le mur, qui n’en a pas perdu un mot, semble trouver cela fort à propos et se met en marche. Il glisse vers la droite, entrainant les corps adossés à lui dans son déplacement. Puis il s’avance, manquant faire tomber de scène un des protagonistes, pliant et dépliant au fur et à mesure sa masse grinçante de vieillard sur toute la longitude du plateau. Les cinq minuscules êtres, contraints par ce monstre mécanique, sont bien obligés de se mettre en mouvement pour s’adapter à toutes les formes spatiales que leur impose leur environnement. Défiant la pesanteur et le piège tendu à chaque instant par la paroi mobile, les comédiens se jettent sous elle, grimpent tel des alpinistes le long de la falaise, s’assoient à son sommet et, lorsque la gravité ne suffit plus, ils l’inverse pour marcher entre et sur les murs. Et, une fois en haut, plongent dans le vide. La façade, mécontente, gronde et craque en déplaçant sa masse chuintante dans le silence, ponctuellement brisé d’un chant mélancolique. Puis soudain elle se tait, quand, 137
dans un cliquetis, descendent des cintres trois perches auxquelles viennent se suspendre autant de comédiens. Se laissant porter au va-et-vient de la pendule, ils marquent la mesure du pied en courant doucement dans les airs. > course à pied Oui, dans le spectacle d’Aurélien Bory, les comédiens courent constamment, c’est à dire qu’ils utilisent l’un des deux modes de locomotion bipède de l’être humain se caractérisant justement par une phase de suspension où, lors de leur propulsion, les deux pieds sont simultanément décollés du sol. À la différence qu’à priori, les cinq acteurs ne sont visiblement pas dans l’optique d’effectuer une petite promenade de santé. Alors pourquoi courent-ils à travers les portes qui ne mènent nul part, tournant dans une spirale sans fin ? Est ce pour fuir quelqu’un ou rattraper quelque chose ? Est-ce une allégorie du temps qui passe et que l’on veut mettre derrière soit ? Comme Forrest Gump qui, un jour, décide de courir jusqu’au bout de son allée, puis aux frontières de l’Alabama, puis d’une mer à une autre sans plus s’arrêter, traversant les Etats Unis pendant trois ans, deux mois, quatorze jours et seize heures, sa barbe poussant au passage des saisons. Mais le temps dans Espaece ne passe pas, il est coincé. Coincé dans ce mur, tout comme les comédiens, qui ne savent plus s’ils tentent de le fuir ou de le rattraper dans leur course effrénée à travers les issues de secours sans issues. L’ironie est à peine voilée. Les voilà emportés dans une horloge infernale rythmée par la lumière dont les éclats battent impitoyablement la mesure du temps. La folie n’est pas loin de s’emparer d’eux, tout comme Charlot qui, rendu marteau dans Les Temps modernes(2) à force de visser des écrous à une cadence démentielle sur une chaîne de montage accélérée, plonge dans les rouages des machines sans cesser de visser les boulons jusqu’à finir par les confondre avec les tétons de son camarade d’à côté. Alors que cherchent-ils ces personnages ? « L’autour est le seul chemin possible qui me mène au dedans(3) » déclare Aurélien Bory mais on ne sait pas ce 138
qui les attend dedans, ni où il se trouve d’ailleurs celui-là. Alors les cinq personnages continuent de courir comme certains courent pour le droit des femmes ou l’écologie, ils courent sans savoir pourquoi, simplement pour ne pas se retrouver hors de la boucle qui réactive une temporalité plus ancienne, celle d’un vécu cyclique du temps. Simplement ici la course devient une performance contre ce temps, pour aller toujours plus vite et plus loin. Et, une fois arrivé, comme Forrest(4) devant la mer, un nouvel ailleurs se dessine qui le relance dans un nouveau marathon absurde. Tout comme le comédien rebondissant de porte en porte sur le mur désarticulé qui, au centre du plateau, est purement un cul-de-sac. « Ainsi court le papalagui sans arrêt tout au long de sa vie, oubliant de plus en plus la promenade, la marche et le joyeux mouvement vers la destination qui vient à nous, sans qu’on l’ait cherchée(5) » (Erich Scheurmann, Le Papalagui, 1920) Fatigué par l’absurdité de la course ou bien purement éjecté du circuit, voilà qu’un des comédiens s’extirpe de l’espace-temps enfermant les quatre autres. Cassant la convention, brisant le cycle temporel et spatial instauré, il laisse venir à lui un autre temps. Celui des souvenirs et de la mémoire ravivée. « Je crois que le temps lui échappe comme un serpent dans une main mouillée, justement parce qu’il le retient trop. Il ne le laisse pas venir à lui. Il le poursuit toujours, les mains tendues, sans lui accorder jamais la détente nécessaire pour s’étendre au soleil. Le temps doit toujours être très près, en train de parler ou de lui chanter un air. Mais le temps est calme et paisible, il aime le repos et il aime s’étendre de tout son long sur la natte. Le papalagui n’a pas reconnu le temps, il ne le comprend pas et c’est pour cela qu’il le maltraite avec ses coutumes de barbare. (…) Nous devons libérer de sa folie ce pauvre papalagui perdu, nous devons l’aider à retrouver son temps. Il faut mettre en pièce pour lui sa machine à temps ronde et lui annoncer que du lever au coucher du soleil, il y a plus de temps que l’homme en aura jamais besoin. » Erich Scheurmann, Le Papalagui, 1920
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> le pied dans la porte Quand on franchit une porte, on saisit la poignée et, avant même d’avoir eu le temps d’y penser, on se retrouve de l’autre côté. Franchir une porte n’a pour ainsi dire, aucune temporalité. On est ici ou là-bas, à l’extérieur ou à l’intérieur du mur. Attardez-vous et l’on vous invitera promptement à ne pas rester dans le pas de la porte, sujet à de fréquents courants d’air. Car, personne, ne songe à s’arrêter dans cet entre-deux sans éprouver la gêne de ne plus savoir sur quel pied danser. Seuls les VRP y stationnent et, pour éviter qu’elle ne leur soit claquée au nez, mettent promptement le pied-dans-la-porte du potentiel client pour avoir tout loisir de l’entuber tranquillement. A cette exception près, les traversées de portes sont insaisissables et cela, qu’elles soient en chêne ou en acier, ouvrant sur des palais, des cages ou des forêts. Toutes ? Non, car au théâtre, le temps devient élastique et l’objet s’adapte au rythme du pied qui le parcourt. Sur le plateau d’Espaece, le mur se met en branle au moment même où le comédien cherche à en franchir la porte. Le voilà qui avance dans le seuil de cette dernière sans réussir à la traverser, tentant vainement du bout de son pied de saisir l’autre côté. Il a beau marcher, la porte joueuse continue de reculer et la traversée s’étire dans une course suspendue. Le voilà entre-deux temps, ni ici, ni là-bas. Cette fissure est un laps de temps infime dont « nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace(6) » nous dit Perec. Un entre-deux que Bory n’a pas la prétention de réinventer mais plutôt « d’interroger, ou, plus simplement encore, de le lire(7) ». Dans cet entre-deux, il n’y a rien à saisir, que du vide à attraper. Mais à l’intérieur de cet espace dépeuplé, des lieux familiers font surgir des souvenirs : ceux des heures passées dans les recoins familiers des étagères à la bibliothèque municipale, des positions inconfortables et extravagantes que l’on alterne pour lire son livre. D’autres images, elles, émergent d’un temps pas140
sé : ainsi, un comédien mime la séparation de Perec avec sa mère, emportée par ‘‘ Auschwitz ’’. Ce rien glisse toujours entre les mains des comédiens comme les portes qu’ils franchissent finalement pour n’y rien trouver de l’autre côté. Et, aussi stupide que cela puisse paraître, ils s’entêtent à retraverser dans l’autre sens et ainsi indéfiniment, dans la joie de savoir qu’un jour, peut être, le dedans sera là, à les attendre derrière la porte. Ce n’est pas sans rappeler ‘‘ l’affaire Sisyphe ’’ qui, d’un pied guilleret, remontait inlassablement en haut de la montagne son rocher, sachant parfaitement qu’une fois le sommet atteint, le roc dégringolerait à nouveau le flan de la montagne et qu’il lui faudrait tout recommencer. L’existence humaine est ainsi faite. Sa plus grande absurdité est sans doute d’avoir commencé à compter le temps, acceptant ainsi de signer, de son plein gré, en bas du contrat qui atteste la fin de sa pitoyable existence. Alors il se pourrait que Bory, pour ne pas laisser sombrer dans le désespoir nous autres spectateurs, invite à vivre l’absurde tout comme Camus « transforme en règle de vie, ce qui était une invitation à la mort(8) » et, plutôt que de faire comme si de rien était, lance un appel à sortir un peu du cadre pour en jouer. Alors peut-être faut-il imaginer, les personnages d’Espaece, tout comme Sisyphe, heureux.
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notes :
1 > PEREC, George. Espèces d’espaces. Journal d’un usager de l’espace, Galilée, Paris : 1974. Cité par BORY, Aurélien à propos de son spectacle Espaece crée en 2016. Propos recueillis sur https://www.cie111.com/spectacles/espaece/ 2 > CHAPLIN, Charlie. Les Temps Modernes. [cassette vidéo]. Studio Fravidis, 1999. 1 cass. vidéo VHS, 85 min. 3 > BORY, Aurélien à propos de son spectacle Espaece crée en 2016. Propos recueillis sur https://www.cie111.com/spectacles/ espaece/ 4 > ZEMECKIS, Robert. Forrest Gump. Film, 1994. Dans le film, la course de Forrest Gump dure 3 ans, 2 mois, 14 jours, 16 heures. Sa propre manière d’avancer, littéralement, pour mettre le passé derrière soi. 5 > SCHEURMANN, Erich. Le Papalagui. 1920 Pocket. Oesch Verlag AG : Présence Image Editions, 2001. p 88 6 > PEREC, George. Espèces d’espaces. Journal d’un usager de l’espace, Galilée, Paris : 1974. Cité par BORY, Aurélien à propos de son spectacle Espaece crée en 2016. Propos recueillis sur https://www.cie111.com/spectacles/espaece/ 7 > Ibid. 8 > CAMUS, Albert. Le mythe de Sisyphe. Paris : Gallimard, « Folio essais », 1942. p 89
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8. CE QUI RESTE J’ai vu la foret. Une foret petite, bleue. Je l’ai éveillée de l’autre main. Radovan IVSIC, Airia, 1960
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> spectacle des pieds
Voyage des pupilles organisé à vos frais Évènement quotidien parcouru au pas de course, « mensonge qui fait prendre un signe pour un autre(1) ». Légendes, mythes et fables, vérité générale des intellectuels arguant avec culot que les fées n’existent pas. Illusion consentie où vingt-quatre heures s’entassent dans un sandwich, l’Antique et le 51ème siècle sur le même palier, l’espace-temps ouvre et ferme en lumière. Train-train de l’extraordinaire qui fait du pied à l’ordinaire, spectacle de la rue, trace vite effacée, l’image du monde se reflète dans une flaque.
« Image de quelque chose qui n’existe pas(2) » jeu collectif appelé démocratie, ou : société automatique d’automates automatisés. Oh show américain, dont le plafond est en carton, au simulacre bien léché indiquant : port de l’apparence obligatoire. Voyeurisme légal, en selfie sur les rails de l’indifférence menant à l’abattoir, l’horreur posée sur la table proclame « je vois que tu ne me vois pas ». Das Unheimliche ist an der Tür, mains qui font des claquettes, À l’ouverture du rideau, triomphe le spectacle du virtuel. short message service : Dernier pilier vivant recherchant son aura sous la table, Rêve d’un monde un peu plus absurde Image du monde vrai, Théâtre de nos vies.
> pas de côté Sur la terre noire, j’ai compris que j’étais blanche. Sur la terre blanche, j’ai perdu pied au milieu de l’immensité du rien Sur la terre rouge, j’ai vu le soleil basculer le Wadi Rum en peinture, Sur la moquette sacrée, on a déshabillé nos pieds Sur la mer morte, on a marché sur le sel Sur le bord du lac à midi, on a mélangé nos ombres Sur la terre du gouda avec toi, on a planté la tente au milieu du champs de minuit Sur le passage piéton silencieux, je me suis arrêtée pour m’allonger Sur la page blanche, imbibée de couleurs, j’ai gribouillé un pied noir. > Journée Nationale de la Santé du Pied Cette année, selon l’Union Française pour la Santé du Pied ou UFSP, la journée nationale de la santé du pied aura lieu le Jeudi 11 juin 2020. > Retour(s) de voyage ; épilogue ? 61 définitions du mot ‘‘ pied ’’, 27 scénographies de pieds, des milliers d’images, de listes non-exhaustives et de cadavres dans les tiroirs. Après, le voyage, que reste-til ? Des photographies mal cadrées, des objets-souvenirs voués à prendre la poussière… Peut-être, aussi, une rencontre. Un mot, un geste, un visage, ou un paysage ? Un glissement du regard qui vous questionne : si la terre est bleue, pourrait-elle tout aussi bien être orange, mûre ou chantée ? Ici, je ‘‘ ferme ’’ une parenthèse car, après tout, de ‘‘ fin ’’ il n’y a pas. Le ballet des portes sur la ligne 13 continue de s’ouvrir et de se fermer. Les pieds de faire l’amour et de tomber pour se relever. Sauf au théâtre, peut-être, où le temps ‘‘ semble ’’ s’arrêter. L’illusion nous parle d’elle et 146
> scène à pieds à défaut (et fort heureusement) de la la scénographie, délaisser, est lapeu plushabitée belle desmais images pour: ouvrir, plus Zone aride aussi grand, notre regard sur ledemonde. Dictionnaire des symÉtendue collective l’individualité soliboles, gardien des clefs,etleséphémère. portes qu’elle ouvre sont à taire, provisoire Plateau bois, grinçant sous le poids des prendre oude à laisser. coffres d’opéra. Et, si cela ne vous intéresse pas, baissez les yeux sur ‘‘ le monde des petits ’’ et observez, dans la marée humaine, vos Traversée du désert de quelques êtres pupilles : s’élargir,des devant l’image d’un pied hagardsseàdilater la manière vieux habitués : qui vous sourit. 1 2,1 2 test ! Souvenir d’une scène de ménage « Vivre, ce doit être une sacrément belle aventure » Paul John HOGAN, Peter Pan, (fide lm) 2004 transformée en scène crime, planches à trappes rêve des petits rats.
Dernier lieu où quelques idéalistes ont fredonné, scène V de l’acte V, je voudrais « mourir sur scène(3) ». Chante la terre orange(4), le paysage gonflé, artifice de carton-pâte acidulé.
Girouette médiatique à plein temps, des derniers statuts en couple ou absent, réseau de tweets finement hachés du président s’inclinant face aux convenances d’un autre temps. Apogée du mauvais goût, liberté échappant au cadre, au public et à l’écran, milieu où plus rien ne nous empêche passer de l’ici à l’ailleurs. Distance rime avec absence et présence, notes : l’horizon se lève sur d’Actéon, le pays« le imaginaire et 1 > FOUCAULT, Michel. La prose mensonge est un simulacre qui fait prendre und’affronter signe pour un autre dans La nos peurs dépassées la », forêt.
nouvelle revue française, 1964, dans Le miroir et le simulacre
de Paolo Bertetto, Collection Le Spectaculaire. PU Rennes : Petite forêt bleue, 2015. non-lieu tout les possibles, 2 > PERNIOLA, PERNIOLA,de (1980) : « le simulacre La société dei simulacri est l’image quelque chose quiet n’existe pas », dans Le mile livre deest un géant le lit berce vertiroir et le simulacre, Paolo BERTETTO. Le Spectaculaire. PU calement. Rennes : 2015. 3 > DALIDA. Mourir sur scène (1983). Johnny HALLYDAY a tou-
« Fabula est » aurait murmuré l’empejours affirmé acta à son guitariste vouloir mourir sur scène. 4 > ELUARD, Paul. « La Terre est bleue comme une orange », reur Auguste. L’amour la poésie, 1929
> pas de côté sdeip à enècs > Sur la terre noire, j’ai compris que j’étais blanche. : issua siam eétibah uep edira enoZ Sur la terre blanche, j’ai perdu pied au milieu de -ilos étilaudividni’l ed evitcelloc eudnetÉ l’immensité du rien .erèméhpé te eriosivorp ,eriat Sur ledWadi sedlasterre diop rouge, el suj’ai os vu tnle açsoleil nirg basculer ,siob e uaetRum alP en peinture, .arépo’d serffoc
sertê ssacrée, euqleon uqa edéshabillé d tresédnos udpieds eésrevarT Sur la moquette : s é u t i b a h x u e i v s e d e r è i n a m a l à sdragah Sur la mer morte, on a marché sur le sel ! t s e t 2 1,2 1 Sur le bord du lac à midi, on a mélangé nos ombres eganém ed enècs enu’d rinevuoS Sur la terre du gouda avec ,emi rc toi, ed on enaècplanté s ne laeétente mrofau snart milieu .sdu tarchamps stitede p minuit sed evêr seppart à sehcnalp Sur le passage piéton silencieux, je me suis arrêtée -pour erf m’allonger tno setsilaédi seuqleuq ùo ueil reinreD ,V etca’l ed V enècs ,énnod Sur la page blanche, imbibée de couleurs, j’ai gribouillé .» )3(enècs rus riruom « siarduov ej un pied noir. ,éflnog egasyap el ,)4(egnaro erret al etnahC .éludicadeetla âp-Santé notracduedPied ecfiitra > Journée Nationale Cette année, selon l’Union Française pour la Santé du ,spmet nielp à euqitaidém etteuoriG Pied , la pied ,tou neUFSP sba u o journée elpuocnationale ne stutde atla s santé sreidu nre d sed aura lieu le Jeudi 11 juin 2020. tnedisérp ud séhcah tnemenfi steewt ed uaesér ertua nu’d secnanevnoc xua ecaf tnanilcni’s .spmet > Retour(s) de voyage ; épilogue ? 61 définitions du mot ,‘‘tpied ûog’’,s27 iavscénographies uam ud eégopde A pieds, des milliers d’images, de listes non-exhaustives à te cilbup ua ,erdac ua tnappahcé étrebiet l cadavres lesntiroirs. Après, ede hcê pme sudans on en eir su lp ùole uvoyage, eilim que ,nareste-trcé’l il ? Des photographies .srumal ellcadrées, ia’l à des iciobjets-souvenirs ’l ed ressap voués à prendre la poussière… Peut-être, aussi, une rencnemot, sérpuntgeste, e ecnun esbvisage, a cevou a eun mipaysage r ecnat?sUn iD contre.,eUn t e e r i a n i g a m i s y a p e l r u s e v è l e s n o z i r o h ’l glissement du regard qui vous questionne : si la terre est .têrof al retnorffa’d seéssapéd sruep son bleue, pourrait-elle tout aussi bien être orange, mûre ou chantée ? ,euelb têrof etiteP Ici, je ‘‘ ferme , ’’ sune ‘‘ n fio nn’’ elbparenthèse issop selcar, tuaprès ot etout, d uede il-ilitn’y rev ecrLe eb ballet til edes l tportes e tnasur ég la nuligne tse 13ercontinue vil el a pas. nemelaet c de s’ouvrir et de se fermer. Les pieds de faire.tl’amour de tomber pour se relever. Sauf au théâtre, peut-être, où -epme’l érumrum tiarua » tse atca alubaF « le temps ‘‘ semble ’’ s’arrêter. L’illusion nous .etparle sugud’elle A rueetr
la scénographie, à défaut (et fort heureusement) de la délaisser, est la plus belle des images pour ouvrir, plus grand, notre regard sur le monde. Dictionnaire des symboles, gardien des clefs, les portes qu’elle ouvre sont à prendre ou à laisser. Et, si cela ne vous intéresse pas, baissez les yeux sur ‘‘ le monde des petits ’’ et observez, dans la marée humaine, vos pupilles se dilater : s’élargir, devant l’image d’un pied qui vous sourit. « Vivre, ce doit être une sacrément belle aventure » Paul John HOGAN, Peter Pan, (film) 2004
notes :
1 > FOUCAULT, Michel. La prose d’Actéon, « le mensonge est un simulacre qui fait prendre un signe pour un autre », dans La nouvelle revue française, 1964, dans Le miroir et le simulacre de Paolo Bertetto, Collection Le Spectaculaire. PU Rennes : 2015. 2 > PERNIOLA, La société dei simulacri (1980) : « le simulacre est l’image de quelque chose qui n’existe pas », dans Le miroir et le simulacre, Paolo BERTETTO. Le Spectaculaire. PU Rennes : 2015. 3 > DALIDA. Mourir sur scène (1983). Johnny HALLYDAY a toujours affirmé à son guitariste vouloir mourir sur scène. 4 > ELUARD, Paul. « La Terre est bleue comme une orange », L’amour la poésie, 1929 149
> bibliographie : LIVRES > ANDERSEN, Hans. Le petit soldat de plomb. Collection L’heure Des Histoires, numéro 4. Paris : Gallimard jeunesse, octobre 2010 > BARTHES, Roland. La chambre claire notes sur la photographie. Cahiers du cinéma Gallimard. Paris : Gallimard, 1980 > BENJAMIN, Walter. L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Payot & Rivages. Paris : Petite bibliothèque Payot, 2013. > BERTETTO, Paolo. Le miroir et le simulacre. Collection Le Spectaculaire. PU Rennes, 2015. > BOUJON, Claude. La chaise bleue. Collection Album. Paris : Ecole Des Loisirs, septembre 1996. > CAMUS, Albert. Le mythe de Sisyphe. Gallimard, 1942 > CHEVALIER, Jean, GHEERBRANT Alain. Dictionnaire des Symboles, mythes rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres. La chaussure, p 252. Le pied, p 866. Le soulier, p 1042. Edition Robert Laffont S.A. et Éditions Jupiter, Paris 1969. > DE CERTEAU, Michel. L’invention du quotidien, I : Arts de faire. Luce Giard. Collection Folio essais (n° 146), Gallimard, novembre 1990. Chap VII. Marches dans la ville et Chap X. L’Économie scriptuaire > DE LA BEAUMELLE, Agnès. Hans Bellmer Anatomie du désir. Editions Gallimard. Paris : Centre Pompidou, 2006. > DE MUSSET, Alfred. extrait IV de Namouna, Premières Poésies (1829-1835). Charpentier, 1863. p 310-353 > FANON Frantz. Oeuvres. Peau noire, masques blancs. Paris : La découverte, 2011. p 45-257 > FUSILLO, Massimo. L’objet-fétiche Littérature, cinéma, visualité. Collection dirigée par J. Bessière et D.Mellier. Paris : Honoré champion, 2014. > KRAUSS, Rosalind et BOIS, Yves-Alain. L’informe mode d’emploi. Les cahiers du musée national d’art moderne. Paris : Centre Pompidou, 4 juin 1999. p 22-25 > LE BRUN, Annie. Radovan Ivsic et la forêt insoumise. Coédition Gallimard / Musée d’art contemporain Zagreb. Paris : Livres d’Art, Gallimard, 2015. > LOUIS, Camille. Scènes, Pour une circulation. Extrait de Laurent de Sutter (dir.), Postcritique, PUF, « Perspectives critiques », 17 avril 2019. > LOUPPE, Laurence. Poétique de la danse contemporaine. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, 3ème édition mai 2004. > LOUPPE, Laurence. Poétique de la danse contemporaine, La suite. La Pensée Du Mouvement. Bruxelles : Contredanse, mai 2007. > ONANER, Can. Adolf loos et l’humour masochiste - L’architecture du phantasme, MetisPresses, collection VuesDensemble 2019. p 123- 130 > PONGE Francis. Le parti pris des choses. Le pain. Paris : Folio, 2009 > SCHEURMANN, Erich. Le Papalagui, 1920. Pocket. Oesch Verlag AG : Présence Image Editions, 2001. > SCHIFANO, Laurence. La vie filmique des marionnettes. Presses 150
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> Ich danke, danke, danke
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Ali Saal für die Fuss-Geschichten Mama Papa Oma Opa Cathy für den Versuch zu verstehen Paolo Morvan immer an meine Ideen zu glauben Meinen Lehrern für einige Tips Freunde und Freundinnen die erfolglos versucht haben, mich in die Bar zu schleppen An alle FüBe der Welt, bleibt nur so wie ihr seid Schmutzig und Hässlich.
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