LE M A L’ L’EX ÉMOT
É A P I
M U É O
O N R N
RIAL, E DE IENCE NELLE.
Les enjeux d’un combat contre l’oubli... Mémoire de Master Sous la direction de Fanny Gerbeaud et de Patrice Godier École Nationale Supérieure d’Architecture de Bordeaux 2014-2015 Léa BILLOT
« Il n’y a que deux grands conquérants de l’oubli des hommes, la Poésie et l’Architecture. Cette dernière implique en quelque sorte la première et elle est dans sa réalité plus puissante »1 »1
1 RUSKIN John, Les Sept Lampes de l’architecture, trad. fr. de G. Elwall, Paris, Les Presses d’aujourd’hui, 1980, p. 187.
LE MEMORIAL, A L’AUNE DE L’EXPERIENCE EMOTIONNELLE. Les enjeux d’un combat contre l’oubli...
Je tiens à remercier mes deux encadrants de Mémoire Fanny Gerbeaud et Patrice Godier . Ainsi que l’artiste Gilles Conan pour le temps qu’il m’a accordé lors de nos deux entretiens. Jerome decock artiste Lab[au] pour notre échange par email. Et enfin Martial Boussicault pour les documents qu’il a bien voulu me transmettre.
Sommaire Introduction
p.8
Méthodologie
p.10
I-
Une production symbolique de la catastrophe, à l’échelle internationale. p.17
1 - Du rituel intérieur à la création d’une mémoire nationale.
p.18
2 - La représentation esthétique du tragique international.
p.27
3- Au croisement des pratiques…
p.32
II-
Marques spatiales d’une éthique sociétale et d’une institutionnalisation. p.51
1- La patrimonialisation, mémoire sélectionnée.
p.53
2- L’éthique en héritage.
p.64
3- La mémoire, spatialisée et légiférée.
p.76
III-
De la commande à la pratique : Une expérience spatiale et émotionnelle dans une approche formelle de plus en plus libre. p.93
1-Le mémorial : un artefact de la mémoire.
p.95
2- Un programme en constante évolution.
p.113
3- De nouveaux symboles...
p.127
... et apres
p.134
Conclusion
p.136
Bibliographie
p.140
Iconographie
p.142
Annexes : les études de cas
p.146
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LE MEMORIAL, A L’AUNE DE L’EXPERIENCE EMOTIONNELLE
INTRODUCTION
Frôlée, éclairée, traversée, la mémoire, aujourd’hui se visite. Elle trouble le passant, en lui chuchotant son histoire et l’invite à s’asseoir. Elle s’étale sur l’espace public, s’insérant entre la halle du marché et le parc urbain. La mémoire réapparaît peu à peu dans notre paysage et le quotidien de la ville hétérogène, conçue et symbolisée sous une nouvelle forme : le mémorial. Quel est donc ce nouveau programme qui désoriente le visiteur ? Quelles expériences émotionnelles et spatiales lui sont proposées ? Dans quel but édifions-nous la mémoire au travers de sensations ? Dans un temps où les guerres sont encore présentes et les catastrophes naturelles incontrôlables, nous entrons dans une nouvelle ère du risque, celle du terrorisme et des accidents technologiques. La population mondiale se découvre de nouveaux dénominateurs communs : le crash d’avion, les attentats, les explosions…Le risque est partout et nous le créons, constituant ainsi une culture internationale du drame. Les exemples se multiplient, les mémoriaux aussi. Si d’après la définition, la mémoire, est considérée comme une image mentale, un lieu abstrait où viennent s’inscrire en chacun de nous des faits passés, nous avons eu besoin de la rendre physique afin de la partager. Cette analyse tente de comprendre ce mécanisme qui met à l’honneur et esthétise la perte humaine. Le centenaire de le Grande Guerre avec l’Anneau de la mémoire, l’inauguration du mémorial ACTE en Guadeloupe ou encore celle de la nouvelle tour-observatoire du Word Trade Center ont rythmé notre année, mettant au cœur du débat le devoir de mémoire et le mémorial dans la commande architecturale. Cette cohabitation vie/mort n’est pas à négliger. Elle transforme la construction de nos villes en juxtaposant des temps différents, et en bouleversant les usages et l’identité de lieux. Le mémorial a quitté le patrimoine vernaculaire avec le monument aux morts, minéral et rationnel, pour devenir cette forme hybride d’art public et de place urbaine. Reflet de notre société, il témoigne de nos traditions, de nos modes de vie et de nos traumas. Car devant un futur incertain nous développons un fétichisme de la trace, figeant le temps de ces espaces, pour en faire des témoins. Ces lieux sont soumis à des problématiques politiques, économiques, sociales, et culturelles dans un conflit entre histoire et mémoire. Le mémorial s’inscrit aujourd’hui dans une dynamique de mutation des outils de transmission afin de lutter contre l’oubli.
Les enjeux d’un combat contre l’oubli
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Dans notre étude, nous analyserons cette dynamique, mettant au centre de notre questionnement le monument commémoratif : Quelle place les mémoriaux et leurs pratiques , ont-ils aujourd’hui dans la société, la ville et la production architecturale ? Une première approche du phénomène mémorial révèle le caractère ancestral du rapport entre l’homme, la mort et l’oubli et les différents rites qu’il met en place autour de ces notions. La place du mémorial est internationale. Ces pratiques font disparaitre la création en série des monuments aux morts, pour laisser place à l’œuvre unique presque architecturale qu’est le mémorial. C’est le constat d’une production symbolique qui ne s’adresse plus à un village mais bien à un pays voir à la population mondiale. La réflexion se poursuit par l’étude des raisons et des enjeux de ces lieux de mémoire. En quoi est-ce important de conserver les traces d’un passé douloureux que l’on pourrait légitimement avoir envie d’oublier ? Quelle est le discours véhiculé par le mémorial et les acteurs de ce phénomène ? Dans cette hypothèse, le mémorial est annoncé comme un geste politique. Il y est observé porte-parole de la société et fondateur d’une mémoire commune. Finalement, c’est au travers du regard du concepteur que le mémorial prend tout son sens. Entre symbole et parcours, il devient une expérience spatiale et émotionnelle. Tant libre que soumis à l’importance de la portée de l’histoire, l’architecte est constructeur de l’avenir, mais aussi un conservateur du passé et un gardien de la mémoire collective. La mémoire s’adresse à tous par l’émotion que l’espace produit.
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Méthodologie
Avant tout, il me semble essentiel d’effectuer une présentation de mes premières réflexions qui m’ont conduite à traiter ce sujet et à développer certains axes. Puis j’énoncerai les divers modes de recherches et recueils de données ayant été utilisés dans la construction de mon étude. Tout commence par un étonnement. Partie pour visiter le camp de concentration de Dachau en Allemagne, je m’attends à trouver une enceinte perdue au milieu des bois et des champs, presque cachée. Je suis saisie alors d’incompréhension devant des pavillons avec de jolis jardins installés aux abords des murs barbelés de l’ancien camp. A peine trois mètres les séparent du lieu de l’horreur nazie. Très vite, je me questionne sur la population qui décide de vivre là. Comment ne pas avoir honte d’indiquer son adresse ? Pensent-ils chaque jour à ce qui s’est passé ? En réalité, pourquoi être surprise ? Y-a-il une distance adéquate physique, si elle n’est pas mentale, à prendre ? L’espace manque, le foncier est bas, la vie continue. Mais alors c’est le mémorial qui perd pour moi son sens. Pourquoi ne pas faire table rase du passé ? Pourquoi transformer ces lieux en site touristique, plutôt qu’en logement sociaux ? Et c’est en cherchant des réponses aux raisons qui nous conduisent à conserver ces espaces, en étudiant le processus de patrimonialisation que je comprends l’importance de notre passé et de sa transmission. Alors la ville n’est pas homogène et notre histoire non plus. J’ai toujours été fascinée par la mixité des matériaux qui ornent certaines façades. Partiellement détruites par un bombardement, elles exposent les différentes couleurs des pierres, celles d’un avant et celles que le temps n’a pas encore abîmées. C’est la volonté d’une reconstruction et d’une transmission qui passe par la trace. Cependant l’horreur est parfois trop grande et certains lieux ne peuvent être transmis qu’à l’état de relique. Cela m’amène à me questionner sur la gestion spatiale de la cohabitation vie/ mort, le mémorial étant un des principaux témoins de la perte. De quel objet s’agit-il ? A quoi, et à qui sert-il ? Quels sont les protagonistes du mémorial ? Quelle est son histoire, son évolution ? Je souhaitais le comprendre dans sa globalité. Ainsi, analysé tel un artefact, le mémorial m’apparut comme un édifice à la fonction de médiateur d’un passé mais très représentatif d’une société et d’un contexte actuel. J’ajoute que c’est au milieu de mon étude que j’ai compris sa valeur mémorielle. Ce 7 janvier dernier, le journal Charlie Hebdo a subi un attentat faisant 12 morts, et la population française se mobilise dans les rues. Sans aucune polémique sur les raisons éthiques qui peuvent conduire à un tel mouvement, je dirais qu’il était réconfortant, même dans ce contexte dramatique, de voir une telle communion autour d’un
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évènement. J’ai saisi, par l’expérience vécue, les conséquences d’un choc et les besoins humains du rassemblement et du recueillement. Une expérience émotionnelle que le mémorial tente de recréer pour faire sens auprès du visiteur. Combiner plusieurs dispositifs méthodologiques s’est avéré une condition indispensable à l’élaboration d’une analyse globale du mémorial. L’architecture convoque autant de sciences humaines que techniques, et le mémorial comme indice spatial de comportements sociaux, de contexte historique et de rapports politiques nécessite des champs disciplinaires variés. Il m’a semblé nécessaire dans mon analyse, d’observer le mémorial tant d’un point de vue généraliste par un recensement global du phénomène que d’un point de vue plus rapproché qu’offre l’étude de cas. Par le recensement des différents facteurs entraînant la création d’un mémorial, l’étude des chocs impliquant la responsabilité humaine me parait la plus intéressante. Les enjeux sont, en effet, plus complexes et divers selon le drame. Les quatre études de cas choisies se situent donc dans ce registre : New York avec l’attentat du World Trade Center, Oradour sur Glane avec le massacre du village, L’explosion d’AZF à Toulouse et enfin l’Anneau de la mémoire à Notre Dame de Lorette. Il n’a pas été facile de choisir car les exemples sont nombreux, c’est pourquoi elles n’ont pas été sélectionnées pour leur qualité spatiale, mais pour la diversité de leurs réponses face aux chocs. De plus, outre New York qui eut un impact planétaire, il me semblait plus pertinent d’étudier des évènements impliquant la France, me permettant de connaitre le contexte historique et les coutumes du pays. En comparant les différents exemples, il m’a été possible d’affirmer ou infirmer les hypothèses que je soulevais. De même qu’il résulte de cette comparaison des points de similitudes, très révélateurs du processus de conception et des enjeux d’éthique du mémorial. Il est important de préciser, que j’ai choisi dans la visite de site de ne pas réaliser d’analyse préalable approfondie du monument. Comme un visiteur lambda, je découvre les lieux, les émotions et le message de l’architecte, me forgeant mes propres impressions, tout en cherchant à rester neutre et impartiale. Je laissais place ainsi à la surprise, et à l’étonnement que j’avais vécu à Dachau, de se reproduire. C’est après cette observation directe dans le cas d’Oradour et de Toulouse, que je commence les analyses documentaires et spatiales.
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-New York, Groud Zero : Il est clair que l’impact de cet attentat va bien plus loin que la ville de « la grosse pomme » et qu’il a considérablement changé notre société. C’est par ailleurs, un des plus grands mémoriaux qui existe et il prend la forme intéressante de place urbaine dans la ville. Face à l’incapacité de m’y rendre, je multiplie les supports d’études : vidéos, articles, vues aériennes, photos….Par chance, le lieu étant emblématique et très touristique, les sources sont nombreuses. -AZF, Toulouse : Dix jours après l’attentat de New York, l’usine de Total explose faisant 31 morts. Même si certains, traumatisés par la proximité des dates, continuent de croire à une attaque terroriste, l’explosion chimique est due à une erreur humaine et réveille en nous plutôt la peur du nucléaire. Le contexte politique de cet exemple m’a permis de comprendre certains enjeux éthiques. S’ajoute à cela, que cette œuvre est réalisée par des artistes et non des architectes, ouvrant un débat sur le rôle de ces protagonistes dans la mémoire. -Oradour sur Glane, le village des martyrs : L’extermination et la destruction d’un village entier est devenue un témoin important du risque permanent que subissait la France sous l’occupation Allemande. Cet exemple soulevait en moi, beaucoup de questions car il m’était difficile d’accepter la mise en place d’un lieu figé à tout jamais. Pensant que la conservation de ruines se réalisait que dans un respect d’un monde ancien, je découvre que le processus de patrimonialisation s’effectue aussi en rapport avec l’histoire du lieu. -L’Anneau de la mémoire, Notre Dame de Lorette : Inauguré le 11 novembre 2014, pour le centenaire de la Grande Guerre, il faisait de lui le mémorial le plus récent. Dans cette étude, j’apprends le pouvoir du discours du mémorial autour de la lecture de l’histoire, l’implication des différents acteurs dans le processus de conception, et les enjeux du tourisme lié à ce programme. J’ai eu la chance d’assister à la conférence de l’architecte Philipe Prost, me donnant toutes les informations nécessaires à la compréhension du processus de conception ; Ensemble, ces exemples cristallisaient les différentes interrogations que je me posais et m’ont amené de nouvelles réflexions. Au cours de l’analyse, il est important d’étudier la réception du choc, la contextualisation de l’événement, la conception du mémorial et enfin la réception de l’espace. Ces études de cas ne seront cependant pas exposées dans mon étude comme les principaux exemples d’appuis. L’analyse spatiale s’est faite surtout par le prisme de l’émotion. Les nouveaux mémoriaux tentent de jouer avec nos sens et nos souvenirs. Ainsi outre l’analyse en plan nécessaire à la comparaison et la définition des différentes typologies spatiales, c’est la cohérence entre histoire et sensations vécues qui est mise en avant. L’architecte utilise des symboles, il est passionnant et essentiel de les décoder.
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Bien qu’aucun ouvrage ne soit consacré à l’étude des nouveaux mémoriaux, les sociologues, et anthropologues ont déjà très largement traité les notions de mémoire et de devoir de mémoire qui touchent mon sujet. La bibliographie et webographie sont tout d’abords tournées dans le but de comprendre le comportement humain face au passé. Cet élément m’était en effet inconnu, presque étranger, et il était important pour moi de comprendre les facteurs qui impliquent l’édification de la mémoire. Avant même d’étudier le mémorial comme un espace, je devais appréhender les raisons de sa présence, en passant par une remise en question du programme et de ce phénomène de société. Ainsi, ma deuxième hypothèse s’appuie à exposer les fondements du mémorial et l’attachement que la société lui confère. L’œuvre de Pierre Nora m’a beaucoup aidé dans la compréhension du concept «Lieux de mémoire» qui s’étend de l’espace le plus concret à l’objet le plus abstrait, constituant notre culture, liée à l’énergie que nous développons pour ne pas l’oublier. C’est au travers des écrits de Georg Germann et de Dieter Schnell que j’ai soulevé la problématique de l’éthique dans la construction du mémorial. Il était important de comprendre en quoi la morale intervenait dans notre rapport à la mémoire, et si celle-ci s’inscrivait lors de la conception ou de la pratique. Et enfin, la vision très affermée de l’historienne Françoise Choay sur le cas de Drancy m’a fait comprendre que nos décisions sur notre mémoire ont un réel impact sur notre présent et sur l’identité d’un lieu. « Ce qui importe, c’est moins le produit de la conception, à savoir le bâtiment construit mais plutôt l’étude du processus global qui y conduit et ses implications sur notre manière d’appréhender l’œuvre. »1 L’approche sous forme d’entretiens avec les concepteurs des mémoriaux était primordiale dans le cas d’AZF et d’Oradour, pour lesquels je manquais d’informations. J’ai alors réussi à contacter par mail et téléphone, les artistes du mémorial de Toulouse. Gilles Conan artistes toulousain, m’apprend les relations particulières qu’entretiennent les concepteurs et les politiques, et l’implication forte des associations. De plus, par la difficulté du contexte politique, je découvre que la commande est plus dirigée que je ne le pensais. Martial Boussicault, responsable de la conservation du site d’Oradour sur Glane, m’explique le fonctionnement de la préservation de ces ruines et le rôle des architectes des bâtiments historiques. Il m’a également permis d’obtenir des plans du village. Les entretiens, comme les conférences, ne sont pas retranscrits ici, servant plus à l’élaboration de ma réflexion que comme parole d’experts sur les mémoriaux en général. 1 GAFF Hervé, Qu’est-ce qu’une œuvre architecturale ?, éditions Vrin, France, 2007, p 8
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« Je conjure mes amis de ne faire à aucun prix de moi l’objet d’un monument, mémorial ou quoi que ce soit d’autre. Le testament de.» Charles Dickens
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I-
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UNE PRODUCTION SYMBOLIQUE DE LA CATASTROPHE, À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE.
Cette première partie vise à présenter de façon générale le mémorial et son aspect de plus en plus international. Quels sont les pratiques qu’il permet et les raisons qui nous amènent à créer cet objet ? Il s’agit ici de comprendre la genèse du mémorial, mais aussi sa définition. Nous verrons alors rapidement le rapport entre l’Homme et la peur de l’oubli qui pose le mémorial comme solution dans une continuité d’édifices. A la sortie de la Première Guerre Mondiale, c’est sous la forme du monument aux morts qu’il apparait et étant le premier édifice commémoratif du drame, il est à l’origine du mémorial actuel. Nous retraçons les différentes typologies répertoriées afin de comprendre l’évolution de notre sujet d’étude. Puisque le mémorial est un monument en réaction à un évènement, l’explication dans un second temps, des causes qui génèrent ces lieux permettra de saisir l’enjeu dramatique de cette production symbolique. C’est ainsi qu’à travers le regard de Paul Virilio, seront décryptées les nouvelles catastrophes et la culture internationale qui se construit autour. Pour terminer, les usages du mémorial seront évoqués, exposant la pluralité des fonctions que celui-ci doit permettre. Une observation plus en détail de sa fonction touristique sera faite en étudiant la politique de l’état face à ce patrimoine, facteur d’une économie.
Photo du mémorial Anneau de la mémoire- vue de l’intérieure
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Sol LeWitt «Buried cube containing on object of Importance but Little Value.»
« Si nous trouvons dans un bois, un monticule de deux mètres sur un, nous devenons sérieux et une petite voix intérieure nous dit, que quelqu’un est enseveli ici, c’est de l’architecture. » Adolf Loos
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1 - DU RITUEL INTÉRIEUR À LA CRÉATION D’UNE MÉMOIRE NATIONALE.
L’architecture du mémorial est définie de façon générale comme lieu de commémoration, conservateur de la mémoire. Mais quel type de mémoire ? Que souhaitons-nous conserver, ne pas oublier ? L’Histoire, l’Histoire des Hommes, … A la différence des autres espèces, l’Homme a complètement conscience de la vie et de la mort, que son existence a un début et une fin, remplie de péripéties et que l’accumulation infinie du temps qui passe, réduit notre passage à un court instant. … Est-ce que notre plus grande peur est alors la mort ou l’oubli ? Est-ce que les deux ne sont pas finalement liés ? La connaissance de ce possible oubli ou de cette fin, nous pousse à vouloir contrer le passé en nous projetant dans le futur. Ainsi l’Homme raconte des récits, invente l’écriture, construit des édifices d’une grande pérennité, transmet des objets, des valeurs. Les nouvelles générations se servent des découvertes, des expériences et des erreurs de leurs aînés. Le mémorial rentre lui dans une catégorie particulière de la transmission historique car il est accompagné par le deuil. Lorsque la douleur est trop grande et que le cimetière ne suffit plus, ou que l’enjeu historique est trop important, la société répond à la destruction et à l’absence par la construction et la représentation. Des évènements historiques entraînant de nombreux morts et impliquant une responsabilité humaine, deviennent des espaces temps qui, pour de nombreuses raisons que nous verrons par la suite, ne peuvent être oubliés. Ainsi peu à peu notre paysage s’articule d’espaces publics de toutes sortes et de fonctions différentes allant de la halle de marché, au parc urbain en passant devant cette nouvelle forme architecturale qu’est le mémorial. Ce n’est pas tout à fait un musée, ni un cimetière, c’est presque un cénotaphe à l’exception seulement qu’il est plus généralement situé sur les lieux de l’événement. L’absence est alors représentée physiquement, dans le lieu le plus symbolique qui existe, celui de la disparition. Cette nécessité de créer un lieu représentatif des personnes disparues a été particulièrement visible dans le travail de mémoire des victimes de la Shoah, face à une grande problématique : le syndrome de la « tombe absente ».1 Aucune vérité, ou garantie n’était apportée aux familles quant à la localisation de la dépouille et la dispersion et multiplication des lieux du génocide, rendent le deuil d’autant plus compliqué. La première forme de mémorial que nous avons construit est tout d’abord « la tombe individuelle », au fond du jardin ou dans le cimetière mais là, comme pour le mausolée le corps se retrouve sous la pierre de l’édifice. Dès la préhistoire, l’homme, pour ne pas 1 YOUNG James E citant dans « Ecrire le monument : Site, mémoire et critique » 1993 p729 le concept de tombe manquante de Joost MERLOO exposé dans son ouvrage Massive Psychic Trauma.
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oublier où il a enterré ses morts, plaçait une pierre sur le sol, comme marque pérenne de cette position. Nous pouvons donc en déduire deux choses dans le comportement humain par cette simple action : la première est que l’homme oublie. Et la deuxième est que l’homme ne souhaite pas oublier, et qu’il souhaite même pouvoir revenir sur le lieu. Cela implique une volonté de contrer nos troubles de la mémoire mais aussi de se recueillir sur la sépulture. Les archéologues et anthropologues qui analysent ce type de comportements, ont découvert également par l’étude de la taphonomie (étude des processus qui interviennent depuis la mort jusqu’à la fossilisation d’un organisme) que l’homme cherche à protéger et à conserver les corps en les ensevelissant. Sous la terre, les ossements ne risquent pas ainsi d’être éparpillés ou abîmés par les charognards. A partir du XIVe siècle, la peur de la décomposition des chairs et de la disparition des corps voit la ré-émergence du cercueil qui se répand dans toutes les couches de la société. Nous ne pouvons pas contrer la mort et notre disparition mais nous souhaitons malgré tout conserver notre corps, notre présence physique le plus longtemps possible. Nous ne sommes plus présents mais nous avons encore une place, une pierre, un espace.2 Dans le cas des guerres, il fallut attendre la Première Guerre mondiale et la loi du 29 décembre 1915 pour que l’inhumation individuelle des soldats devienne la règle. En effet, dans les pays occidentaux, les soldats tués au combat ont souvent été abandonnés sur le champ de bataille ou, au mieux, inhumés anonymement en fosses communes comme le prévoyait d’ailleurs l’ordonnance. Après cette Grande Guerre, nous reconnaissons le simple soldat comme étant digne de recevoir une sépulture. Nous n’oublions pas que la célébration des morts se faisait depuis le temps de la préhistoire, avec quelques traces encore visibles comme les Dolmens, mais nous ne nous attarderons pas sur l’histoire de tous les monuments funéraires créés par l’Homme ou l’étude sociologique complète des comportements et rituels humains dans la création de stèles. Notre sujet s’appuie ici sur l’étude d’une façon nouvelle d’aborder la mort et de la commémorer en créant un nouveau programme architectural : le mémorial. Il a pour vocation de garder la mémoire d’un évènement tragique impliquant la disparition d’une personne ou plus généralement d’un groupe de personnes, qui sont inhumées en un autre lieu ou dont les corps n’ont pas été trouvés, ou identifiés. Le monument protège l’histoire et la mémoire des hommes : de ceux qui y sont honorés et des autres qui n’oublieront pas. Cette définition a longtemps été pour définir la fonction du monument aux morts, première forme de mémorial que nous connaissons.
2 Mémoire d’étude d’Emilie Desmoulins « La spatialisation de la mort en France » réalisé en 2013 à L’ENSAPBX.
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LE MONUMENT AUX MORTS
Ce que l’on nomme communément les « monuments aux morts « s’applique en réalité aux édifices érigés par les collectivités territoriales, le plus souvent les communes, pour honorer la mémoire de leurs concitoyens disparus. Avant le XIXe siècle, les monuments aux morts étaient plutôt rares, commémoraient principalement les victoires militaires et portaient rarement les noms des soldats morts. Il fallait être, à l’époque, haut-gradé ou encore avoir réalisé un acte de bravoure pour avoir son nom gravé dans la pierre de l’obélisque située sur la place centrale du village. C’est avec les premiers recensements des morts de toutes les communes de France en 1919, pour la création d’un livre d’Or glorifiant les morts de la Grande Guerre, que les prémices de l’apparition des monuments aux morts commencent.
L’impact d’une guerre :
La Guerre de 1914-1918, définie comme celle qui porte le plus lourd bilan de pertes humaines et de destructions matérielles que tout autre conflit antérieur, est la principale guerre commémorée. Plus de 60 millions de soldats y ont pris part et environ 9 millions de personnes sont décédées. Cette séquence historique vient bouleverser les comportements sociaux face à la perte humaine. Elle définit nettement un « avant » et un « après » dans la relation des sociétés européennes face à la guerre et à la mort au combat. Malgré un achèvement par une victoire, l’ampleur des pertes, auquel s’ajoute l’existence, profondément ancrée, d’un esprit patriotique, révèle un traumatisme national dans l’opinion politique. Nous ne souhaitons plus honorer nos morts seulement dans la sphère privé, car notre deuil est commun, et déborde alors sur l’espace public. Si nous visualisons tous rapidement l’image de ce monolithe sur piédestal qu’est le monument aux morts, c’est que nous avons en tête le stéréotype des espaces symboliques qui représente le village : sa mairie avec la statue de Marianne devant, son école et le préau, son église et le parvis fleuris, son cimetière fermé avec sa jolie grille, et enfin sa statue du poilu. Cette dernière, est en effet la plus fréquente typologie des monuments aux morts car plusieurs modèles sont reproduits en série après la Première Guerre Mondiale afin d’honorer la masse d’hommes partis au front. La plus courante statue en France est d’ailleurs celle du sculpteur français, Eugène Benêt, nommée « le Poilu Victorieux » et érigée à plus de 900 exemplaires.3
3 GAUTIER Corinne et RENOUX Dominique, « L’art de série », dans Monuments de mémoire : Les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, Mission permanente aux commémorations et à l’information historique, 1991, 318 p.
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Les monuments aux morts sont donc principalement des œuvres d’art public honorant les personnes disparues au cours d’une guerre ou d’opérations assimilées à des campagnes de guerre. Par cette effigie neutre du soldat français posée au centre de la vie de la commune, la nation remercie son citoyen d’avoir donné sa vie pour défendre son pays. La fonction de ces édifices a été de rassembler la population autour du souvenir de ceux qui ne reviendront plus vivre dans la cité, faisant ainsi participer la commune au travail de deuil des familles et entretenir un « culte républicain ». 4 Par ailleurs, graver les noms des disparus revenait à donner à ceux-ci un peu de gloire, rendant honorable leur mort.
« Graver un nom signifiait en même temps rendre hommage à l’individu mais aussi reconnaître le sens d’un combat qui le dépassait et, par là même, le sublimait. » 5
Des inscriptions :
La fin de la guerre vit se dessiner deux mouvements parallèles : désir des communes de construire rapidement leur monument commémoratif et volonté de l’État de donner un cadre légal à ces opérations. Un article de la loi du 25 octobre 1919 envisagea l’octroi de subventions aux communes « en proportion de l’effort (...) qu’elles feront en vue de glorifier les héros morts pour la Patrie ». L’État allait participer pour la première fois à cette forme de commémoration. S’il existe des réglementations quant au financement de ces édifices, aucune directive n’initie la façon dont doit se faire l’inscription des morts, ni « qui seront « ces morts. C’est pourquoi l’image du soldat-citoyen, dont la mort devenait un sacrifice pour la nation, prédomine et qu’arrive la gravure de la liste intégrale du recensement. D’une commune à l’autre la retranscription de ces noms, allant parfois jusqu’à une centaine, est différente. Il existe de nombreuses typologies d’énumération mais les plus répendues sont 6la liste alphabétique et l’ordre chronologique de disparition. Nous observons alors une matérialisation de la mémoire du combattant (et non plus seulement de celle des officiers généraux) ainsi que de la victime civil, allant jusqu’à une individualisation de la mémoire.
Les maisons sont fières, la cause est juste et la mention « Mort pour la France »,
4 PROST, Antoine, «Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique?», direction Pierre NORA, Les lieux de mémoire, I, La République, Paris : Gallimard, 1984, pp. 195-225. 5 FLEURY Daniel, adjoint au chef du bureau de la vie associative et des cérémonies de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives. 6 Etude réalisée par Alain GIROD gestionnaire de l‘association France GenWEb Mémoiral.
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De la stèle au mur, les noms persistent.... Mémorial du Vol 93
nous rappelle que si nous sommes là debout, devant ce monument c’est parce qu’ils n’y sont plus. Il était nécessaire et de leur devoir de se battre pour notre paix, notre vie. Un devoir de défense qui se sent surtout sur les cénotaphes des communes d’AlsaceMoselle, où l’inscription est différente car celle-ci n’a pu rester française tout au long de la guerre. En effet, nous pouvons y lire des formules plus neutres comme « Morts pour la Patrie », afin d’exprimer implicitement l’absurdité qu’à subit ces départements divisés par la ligne du front ou la couleur de l’uniforme. La situation particulière de l’Alsace-Moselle et ses problèmes de terminologie amenèrent également l’État à intervenir : selon une circulaire du 3 octobre 1919 adressée aux maires, il « serait à désirer que [le monument] se situe dans le cimetière » et que le texte porte l’expression « Morts pendant la guerre » ».En exposant l’édifice dans le cimetière, l’Etat reconnait leur mort et la douleur des familles mais ne peut honorer des noms appartenant, même par obligation, à l’ennemi sur un lieu public, une scène politique. Les épitaphes des monuments, situés dans les cimetières, sont généralement différentes et dites « funéraires ». Elles se résument à : A nos Morts, A nos Morts glorieux...;Les épitaphes patriotiques, en revanche, font un rappel de la cause de la mort : A nos morts pour la Patrie, A nos héros, ....Dans ces épitaphes si variées se reflètent souvent la tendance politique de l’époque, la présence forte de l’église ou encore l’érudition d’un maire, d’un conseil municipal qui n’hésite pas à reproduire les vers d’un poème.
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Exemples de statues du Poilus et de stèle. Des typologies et symboles différents :
C’est en réalisant un tour d’horizon de ces Monuments aux Morts en France que nous pouvons remarquer les différentes typologies existantes :
• les plaques • les stèles • les Poilus • les allégories
En France, la glorification des actes héroïques et la mémoire des soldats se retrouvent dans la multitude de détails qui ornent le monument funéraire. Les symboles les plus courants sont la couronne de feuilles de chêne, représentant les vertus civiques et la gloire; la couronne de laurier, symbole des vertus militaires ; la branche d’olivier, représentative de la paix. La croix de guerre 1914-1918, ou encore le coq gaulois et le casque du poilu sont habituels. Et enfin peuvent figurer des civils tels qu’une femme veuve et un enfant penchés sur une tombe ou tenant un bouquet, une mise en scène de la douleur causée par la perde de l’être.
« Ils étalent leurs exploits sur leurs pierres tombales ; ils fixent leurs actions dans des obélisques : ils placent l’espoir qu’on se souvienne d’eux dans de fortes pierres assemblées à d’autres fortes pierres, dédiées à leurs sujets ou à leurs héritiers pour l’éternité, oubliant que les pierres désertées par les vivants sont encore plus impuissantes que la vie ne serait ni protégée ni préservée par la pierre » 7
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MUMFORD Lewis , The Culture of cities, New York, Harcourt, Brace, Jovanovich 1938 p434
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Exemples de Plaques et d’allégorie. Un financement nécessaire dans une situation critique :
Durant la reconstruction des villes et la période de deuil des populations, toutes les communes de France, de la plus peuplée à la plus petite du monde rural, veulent honorer leurs morts pour la Patrie en édifiant un monument sur lequel apparaîtront les noms des martyrs. Mais voilà, l’Etat croule sous les demandes que révèle le recensement des pertes matérielles, et malgré l’urgence et le besoin de cette cause, les fonds sont plus utiles à l’économie du pays. Toutefois, dans les années 1920, environ 36 000 monuments aux morts furent érigés. L’État est intervenu pour accorder des subventions et réglementer les édifications, les souscriptions populaires couvrant parfois la totalité des dépenses. Aujourd’hui les subventions gouvernementales ne s’élèvent pas à plus de 20% (ou dans la limite de 1600 euros) régie par la loi du 27 octobre 1919, et ne peuvent suffire à l’érection d’un monument. Ce sont donc souvent des subventions publiques payées par les communes, voire quelques souscriptions publiques qui les ont financés ou de dons récoltés grâce aux associations. Quant à l’entretien de ces édifices, il est le plus souvent réalisé à l’initiative des anciens combattants, espérant poursuivre la transmission et le sacrifice ne soit pas vain. Ces monuments sont de nos jours souvent méconnus. Ils demeurent pourtant à plusieurs titres des témoins historiques, qu’il s’agisse de l’histoire des mentalités, de l’histoire de l’art, ou de l’histoire de la commune tout simplement. Les noms gravés traduisent le poids des guerres sur la vie locale, et sont parfois aujourd’hui la seule trace de certaines familles. Lieux remarquables de l’espace public, ils ne sont plus seulement des repères temporels mais deviennent des véritables repères spatiaux où s’organisent quotidiennement une culture du vivre ensemble mais aussi régulièrement un lieu de rassemblement lors des grandes dates de commémorations de notre calendrier.
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2–LA REPRÉSENTATION ESTHÉTIQUE DU TRAGIQUE INTERNATIONAL.
La représentation spatiale des grands moments de l’histoire n’a pas toujours été exclusive aux évènements dramatiques. Les premiers monuments érigés représentaient, en effet, la fin d’une guerre, les victoires, ou une nouvelle ère politique. Ainsi notre panorama s’est progressivement composé d’Arc de triomphe, d’obélisque, de places monumentales comme la Place de la concorde à Paris ou encore les Quinconces et la Place de la victoire à Bordeaux. Ces monuments dédiés à la joie sont encore aujourd’hui des points de repère dans la ville et des lieux de commémoration les jours d’anniversaire d’armistice. Cependant, les guerres ne se concluent pas que par des victoires, elles ont engendré de nombreux « lieux de mémoire ». 8Des lieux où s’est cristallisée et réfugiée une mémoire collective, rappels d’événements importants et douloureux : villages-martyrs, lieux de massacre par les nazis, camps d’internement et de concentration, … Actuellement, en France, les guerres se font plus rares, plus lointaines. Elles impliquent également des soldats volontaires et préparés qui sont de plus en plus aidés par des technologies de pointes. Une technologie qui permet d’empêcher le nombre de perte d’augmenter avec un développement important de la robotique, mais une technologie qui fait également plus de victimes avec des armes de plus de plus précises et puissantes. L’arrivée de la bombe nucléaire a changé considérablement l’évolution des conflits. La menace est constante, comme une épée de Damoclès, et son utilisation reste pour le moins impossible et absurde car elle entraînerait une destruction presque totale de l’espèce. Mais cela montre bien, le double tranchant du progrès : développer de nouvelles techniques qui se retournent contre nous, maintenir la paix par la menace de la mort. « On ne peut pas oublier qu’inventer le navire c’est inventer le naufrage, inventer le train c’est inventer le déraillement, inventer l’avion, c’est inventer le crash… » 9 Paul Virilio
Les guerres ne sont pourtant pas les seules causes de morts, comme le souligne dans ses nombreux ouvrages et interviews, l’urbaniste visionnaire Paul Virilio ; les accidents technologiques et industriels se sont multipliés à mesure que l’homme fait de nouvelles avancées techniques. La création entraine la destruction et l’accident devient la face cachée du progrès. Aujourd’hui nous traversons une nouvelle ère de guerre, certains 8 Terme utilisé pour la première fois par Pierre Nora, historien et membre de l’Académie Francaise, en 1984 dans son ouvrage « les Lieux de mémoire » ; terme entré dans le grand Robert en 1993. 9 VIRILIO Paul, urbaniste professeur d’architecture et essayiste. « Conversation avec Paul Virilio » interview réalisée par Caroline Gaudriault et mise en ligne le 2 octobre 2014 sur le site Zig Zag Blog.
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parlent même d’une « troisième guerre mondiale » lorsque d’autres parlent de « lutte contre le terrorisme ». Les attentats se multiplient, la quête de territoires se mélange avec les conflits religieux. Nous sommes alors dans une époque où les morts ne sont plus des soldats mais des civiles. Le conflit ne se passe plus sur une ligne de front définie mais partout, de la rue, aux transports, au supermarché, aux éditions de journaux… Attentats, prise d’otages, et même tueries dans des écoles, la protection de chacun est devenue impossible, et l’attaque arrive de partout. Nous ne sommes plus en présence d’une armée mais d’un seul homme contre des hommes, des femmes et des enfants. Nous ne sommes plus en présence d’un problème national mais international. Afin d’étudier, les mémoriaux nous devons alors analyser les causes, les évènements créateurs de ces lieux. Nous emploierons, dans notre analyse, le terme de « choc » afin de définir les catastrophes qui heurtent nos espaces. Car dans sa définition, le choc est ce qui produit un effet, il est le heurt plus ou moins violent d’un corps contre un autre. Il exprime une émotion vive, soudaine, brutale ; il est un impact, un affrontement, un conflit. Il définit la limite entre un avant et un après. Dans l’analyse psychologique du Deuil, Le terme de Choc revient lors de la première phase, lorsque l’individu apprend la mort, la perte d’un être cher. Cette phase est très courte, néanmoins marque la fracture dans l’esprit humain. 10 Nous pouvons définir trois types de chocs : -Humains : comme les guerres, les attentats ou encore les productions de destruction construite pas l’homme comme les camps de concentrations et la bombe atomique.
-Technologiques : les accidents, un crash d’avion et les explosions chimiques.
-Naturels : Phénomènes liés à l’atmosphère (tempêtes), inondations (tsunami), éruption volcanique, feu de forêt, mouvements de terrain (séismes, avalanches, écoulements),… Selon Paul Virilio, l’homme est aujourd’hui confronté de plus en plus à se voir autant comme un créateur qu’un destructeur, qu’une victime et son propre bourreau. En décomposant rapidement les enjeux que chacun des chocs déclenchent afin de comparer les comportements sociaux et politiques adoptés par les populations et les acteurs administratifs, nous remarquons que l’implication de l’élément humain dans le choc entraine des rapports complexes. Les catastrophes naturelles ne sont pas considérées de la même façon. L’homme est soumis, impuissant, aux lois de la nature et comme étranger sur la planète, il accepte résigné les caprices de la matrice de la vie. Nous n’alimenterons pas les débats qui 10 KUBLER-ROS Elisabeth, psychiatre et psychologue suisse du XXème Siècle élabora un modèle des différentes étapes du cycle du Deuil.
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exposent les phénomènes naturels comme dépendant largement du facteur humain mais nous affirmons que nous sommes responsables des pertes humaines, en évoquant seulement le risque et non en l’anticipant. Le conflit armé est beaucoup plus simple à étudier : des ennemis connus, l’un attaquant, l’autre se défendant, un victorieux, un vaincu. L’Etat endosse sa part de responsabilité et la population cependant intègre son obligation au devoir de défense. L’attentat rend les choses plus brutales. Comme nous le disions, non seulement parce que ce sont des civils mais aussi parce qu’il n’y a pas de temps pour une préparation psychologique aux risques encourus. L’exemple du World Trade Center est bien évidemment le plus représentatif de ce type de choc, déclencheur de l’ère du terrorisme mais aussi connu dans le monde entier. Le cas d’Oradour sur Glane est également à intégrer dans cette catégorie. L’extermination soudaine d’un village entier sous l’occupation, ne s’apparente pas un acte de guerre. Il est par ailleurs entendu en France comme un cas, unique, malgré la fréquence de ce type de massacres exercés par les SS dans d’autres villes d’Europe de l’Est. L’implication humaine est clairement connue dans un accident technologique toutefois le responsable est difficile à identifier. Nous le remarquons avec l’incident de l’usine d’AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001 lors de l’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium, qui détruisit la majeure partie du site entraînant la mort de 31 personnes. Apres de nombreux doutes, sur le contexte de l’événement mais surtout sur le déroulement de l’enquête, la cour d’appel de Toulouse prononce la condamnation de la société Grande Paroisse, propriétaire d’AZF, et de son ancien directeur Serge Biechlin, onze ans après l’explosion. Virilio expose dans ses écrits les catastrophes technologiques comme « les revers du progrès ». Parce que le choc humain entraîne des conflits internes en nous mettant dans la position d’auteur et de martyre, il est intéressant de se concentrer sur les mémoriaux représentatifs d’événements de ce type. Nous le verrons par la suite, les attentats, massacres ponctuels ou les explosions chimiques engendrent des attitudes spatiales mais aussi des décisions différentes quant à la pratique, à la forme et à la représentation historique que le monument transposera. Les émotions et les comportements de la société face à ces évènements peuvent devenir source d’inspiration pour le maître d’œuvre. La colère de l’ennemi, la peur des champs de bataille, l’injustice d’un Etat ou la victoire sont des sentiments que nous retrouvons lors des temps de guerre. Dans le cas d’un attentat, c’est la permanence du risque, le « soudain », l’absence de regrets des auteurs, ou encore le sentiment d’impuissance, qui troublent la communauté. Dans l’étude des lieux porteurs de mémoire, le choc est également dissocié en deux catégories distinctes : le choc émotionnel, n’entraînant aucune transformation physique du lieu mais renversant complètement son identité et sa façon d’être perçu et
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Choc
Reponse
Musee Emotionel
reconstruire trace du passe
Physique reconstruire identique reconstruire sans trace Abandon ruine
memorial
Recensement des différentes réponses observées de lieux de mémoire
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le choc physique qui lui produit par la destruction et la perte, un effacement spatial. Dans cette dernière catégorie, l’identité du lieu peut être conservée, néanmoins le site reste grandement marqué par l’événement entraînant le plus souvent une transformation d’usage. La construction de camp ou la transformation d’habitation en centre de déportation comme à Drancy, change considérablement la perception que nous avons du site. Les stigmates ne sont pas visibles mais la mémoire qui est assimilée à ces lieux nous empêche de les regarder par un autre filtre que celui du drame et de l’horreur. La réponse adoptée est alors d’en faire un musée ; le site devient un témoin du passé, sa trop grande valeur mémorielle nous empêchant de le reconvertir. Dans d’autres cas, c’est l’événement qui crée une nouvelle identité au lieu et celuici bascule d’un espace commun à un monument patrimoine historique, à un lieu de mémoire. La parcelle d’AZF à Toulouse change complètement d’usage et de message, en abritant dans quelques années un gigantesque complexe dédié à la santé et à la mémoire. Le site de l’ancienne usine est remplacé par un centre de cancérologie, un parc propice aux balades et un espace recevant les différentes stèles des mémoriaux de la ville. Enfin, le site à part d’Oradour sur Glane, rajoute à notre recensement, le cas des ruines. Il est décidé lors du constat de la catastrophe qu’afin de transmettre « toute sa force, la relique doit être réduite à sa seule dignité de témoin. »11 Un cas déjà aperçu dans le processus de patrimonialisation des ruines d’Athènes, ou encore dans une comparaison plus évidente avec la ville de Pompéi. Ainsi nous en déduisons que les lieux de mémoire traversent plusieurs phases de transformations physiques créées en premier par un choc, puis par une volonté de conservation. Les réponses abordées dans les transformations de ces espaces sont multiples étant donné que nous sommes face à des contextes spatiaux, économiques et historiques différents. Il était peut être préférable dans un contexte économique difficile d’après-guerre, de reconstruire la ville entière d’Oradour sur Glane sur un autre site avec des techniques de construction moins coûteuses et plus modernes, que de tenter de renouveler à l’identique le site devenue patrimoine. Chaque lieu est unique et il faut en analyser tous les paramètres pour pouvoir comparer les comportements spatiaux, les enjeux et les pratiques qui les composent.
11 CHOAY Françoise dans l’ouvrage « Pour une anthropologie de l’espace » édition Seuil, La couleur des Idées, octobre 2006. Page 341.
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Au croisement des pratiques…
Les mémoriaux deviennent des témoins de l’histoire et plus précisément de la partie douloureuse de celle-ci. Ils sont le fruit d’un changement physique qui s’accompagne d’un changement de statut : de simples lieux dans la ville ils deviennent les points centraux de celle-ci, d’espaces communs classiques, ils deviennent lieux de mémoires collectives, de lieux d’horreurs ils deviennent musée, espace de rassemblement, de tourisme… Mais pourquoi faisons-nous de ces lieux des cas à part ? Que révèle la symbolique de ces lieux qui nous oblige à les traiter de façon particulière ? Quelles sont les raisons, les motivations qui nous conduisent à les accepter, à les créer et même à les visiter ? Comme nous l’avons remarqué dans la construction des monuments aux morts, le mémorial est porteur d’un message, implicite ou gravé, il révèle sa fonction et l’attitude que nous devons avoir sur ces lieux. Qu’il soit pour les générations meurtries par la catastrophe ou pour celles à venir, le message est différent selon son public. Nous l’observons comme reconnaissance de la nation face à la douleur du peuple, comme témoin qui lutte contre l’oubli ou encore comme espace de rassemblement. A l’aide du recensement des approches diverses, nous pouvons répondre qu’il existe 5 grandes raisons possibles à l’érection d’un mémorial : le pardon, le recueillement, le souvenir, le tourisme, la commémoration. Au regard de la symbolique du mémorial, ce constat peut paraître évident, cependant il est intéressant de le relever car les 5 raisons déterminent ses fonctions, mais néanmoins ne légitiment pas complètement sa place. Ce questionnement nous le verrons dans un deuxième temps, interroge notre inconscient collectif et notre statut d’humain intégré dans une société construite.
1- Le pardon :
L’objet se doit de cicatriser une blessure, d’apaiser la population. L’espace traduit publiquement la reconnaissance d’une faute, et la demande de rémission de celle-ci par la construction d’un monument. Le pardon induit la responsabilité de personnes ou groupe de personnes ou encore de façon générale d’états. Il symbolise un écart, il traduit un mauvais choix, il traduit tout simplement une erreur humaine. Nous le retrouvons dans le cas des guerres où c’est en effet une raison courante, puisque l’Etat est responsable de ses pupilles et qu’elles sont par le devoir de défense dans l’obligation de participer aux conflits. La raison du pardon se constate encore dans le cas d’une erreur technique responsable d’une grande perte humaine. Dans l’explosion de l’usine AZF, l’entreprise Totale se retrouve dans la situation délicate de responsable de la catastrophe et décide alors de financer le site mnémonique. Par ailleurs, dans
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Photo d’une femme en deuil sur le mémorial Ground Zero
l’incapacité morale de pouvoir réutiliser les nombreux hectares de l’ancien complexe, elle décide d’en faire don à la ville. Que ce soit dans la reconnaissance d’une douleur, ou pour se racheter une image, le mémorial est là le témoin physique de l’implication morale ou financière de la demande de pardon.
2- Le recueillement :
L’espace devient propice à la réflexion et à la contemplation. Il permet tant spatialement que dans les pratiques sociales, de s’attarder un instant, de pleurer nos morts, nos victimes, nos héros. Le mémorial autorise la douleur face à la perte humaine, face à l’horreur. Il inscrit dans la ville un lieu où chacun, lorsqu’il le traverse, repense aux disparus. Un lieu construit dans le respect et qui l’induit, pour celui à qui nous rendons hommage et pour ses proches. Comme dans les pratiques de cimetières, le mémorial est la représentation du disparu, et se trouvant généralement sur le lieu de la mort, il permet aux familles de se sentir plus proches du défunt. L’accès libre au site à toute heure est représentatif des besoins qu’une telle pratique suppose.
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3- Le souvenir :
Le mémorial devient la représentation d’un passé dont nous avons figé le temps. L’espace s’impose comme trace permanente afin de lutter contre l’oubli. Nous ne pouvons pas oublier, nous ne devons pas oublier. Nombreux sont les auteurs, sociologues et anthropologues qui exposent le risque de l’oubli dans l’écriture de l’histoire. Oublier impliquerait alors que nous laissons une porte ouverte à la reproduction du drame. Estce déjà arrivé ? Faisons-nous par-là référence à l’arrivée de la seconde Guerre Mondiale qui avait un gout de déjà vu? Est-ce la mise en garde d’une génération qui a eu le malheur de traverser ces deux évènements ? L’échelle d’une vie humaine est courte et la portée de l’histoire dépend des actions mises en place pour survivre de génération en génération. Nous utilisons pour cela plusieurs outils ; les écrits, la médiation, l’enseignement, les mémoriaux, les évènements commémoratifs … L’objet fait appel au devoir de mémoire, au passé et à sa transmission. Le lieu a alors un sens moralisateur pour les générations futures. Il crée la survivance, dans la mémoire, d’un évènement passé en chacun afin que le choc devienne ou perdure mémoire collective. « Le mémorial opère donc en vase clos, détaché de notre vie quotidienne. Nourrissant l’illusion que nos édifices commémoratifs seront toujours là pour marquer le souvenir, nous en prenons congé pour n’y revenir que lorsque cela nous convient. Nous sommes d’autant plus portés à l’oubli que nous encourageons les monuments à faire notre travail du souvenir. » 12 Grâce à la pérennité de l’architecture, l’oubli est possible car l’espace devient le témoin et permet de faire vivre l’événement. Une fois que nous assignons à la mémoire une forme monumentale, nous nous déchargeons, dans une certaine mesure, de l’obligation de se souvenir. En se chargeant du travail du souvenir, peut-être les monuments soulagent-ils les spectateurs du fardeau de la mémoire ? Cultiver le souvenir pour les générations futures, implique alors que le lieu ne soit pas seulement visité par les familles des victimes mais aussi par des personnes étrangères au drame touchées indirectement. Le site est devenu lieu remarquable et appel à être visité afin de réveiller le passé en chacun, touristes curieux, historiens, groupes scolaires…
12 YOUNG James E., professeur d’étude anglaise et judaïque à l’Université du Massachussetts, dans « Ecrire le monument : Site, mémoire et critique » 1993 p735
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4- Le tourisme :
Lorsque nous parlons ici du tourisme comme raison de création de lieux de mémoire c’est parce que nous pouvons observer dans les comportements la croissance des visites et la multiplication de lieux qui accèdent à ce statut. Aujourd’hui, ces monuments deviennent des passages obligés dans les voyages et parfois même des objectifs de voyages. Nous souhaitons voir le lieu du drame, nous faisons ainsi à notre tour partie de cette mémoire collective. Le visiteur cherche à être au plus proche de cette histoire, partager presque cette douleur… Un phénomène si répandu que le terme de tourisme de mémoire est apparu et prôné par le ministère de la défense et les guides touristiques. « Aborder le tourisme dans son rapport au temps, donc dans son rapport à la conscience du temps : tel est le propos du tourisme de mémoire. Un temps qu’il est présupposé activer ou réactiver, nourrir et entretenir (…). Le tourisme de mémoire, dans sa lutte contre l’oubli, prend (…) le relais de certaines défaillances institutionnelles et sociales.» 13
Le tourisme de mémoire : un pèlerinage moderne.
L’expression « tourisme de mémoire », apparue dans les années 2000, peut surprendre, car la juxtaposition des deux termes paraît quelque peu contradictoire : le « tourisme » se rattache plutôt au loisir, au voyage tandis que la « mémoire » évoque le souvenir, le recueillement. Ces deux notions paraissent donc être à la charnière de deux logiques tout à fait contraires. Et nous verrons en effet, que ces mots induisent des comportements et des rituels si différents qu’ils sont parfois difficilement conciliables. Le tourisme de mémoire n’est pourtant pas une pratique nouvelle, puisqu’il trouve ses origines dès la fin de la Première Guerre mondiale avec le tourisme du souvenir. Les vétérans, les familles des soldats entreprirent, en effet, des voyages de mémoire sur les lieux même du drame, sur les champs de bataille. Désireux pour certains de revoir le sol où ils ont passé des temps durs, aspirant pour d’autres à découvrir les lieux du dernier repos d’un être cher. Ainsi de nombreux voyageurs affluent sur des lieux encore en friche, comme ce fût le cas avec Oradour sur glane, en 1945, après la visite du Général de Gaulle dans le village des martyrs. Considéré comme l’archétype des massacres de populations civiles en France et largement médiatisé, l’événement attire de nombreux visiteurs. A l’initiative des comités du souvenir et indépendamment des interventions de conservations, une signalétique a été mise à l’entrée de la ville pour informer les touristes et les inviter au respect. Le tourisme de mémoire nous rappelle également le tourisme de pèlerinage, une des 13
URBAIN Jean Didier, sociologue et ethnologue, spécialiste du tourisme.
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Guide michelin illustré des champs de bataille.
Panneaux d’indication du site d’Oradour .
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premières raisons de forts flux touristiques dans certaines régions du monde. Dans l’un nous sommes dans une quête spirituelle et les monuments sont des lieux de cultes, dans l’autre, le but est de commémoré dans un lieu laïque, une sorte de « culte moderne ». Face à la demande, de nombreux dispositifs sont ensuite mis en place afin de promouvoir ces sites. Des guides spécifiques sont publiés, à commencer par les Guides illustrés Michelin des champs de bataille 1914-1918. Les éditeurs de cet ouvrage précisent alors : « Nous avons essayé de réaliser, pour les touristes qui voudront parcourir nos champs de bataille et nos villages meurtris, un ouvrage qui soit à la fois un guide pratique et une histoire », et de préciser que la visite des champs n’est pas conçue ici comme « une simple course dans les régions dévastées, mais bien comme un véritable pèlerinage ».14 Ces guides ont pour vocation de conserver la mémoire des faits, des actions militaires, et d’aider à les comprendre sur les lieux (champs de bataille, villes et villages meurtris).En d’autres termes, le Guide Michelin inventait le tourisme de mémoire avant même la fin du conflit. Selon les réponses collectées à partir des livres d’or des lieux de mémoire, les motivations des visiteurs contemporains ne semblent pas très différentes de ceux des années 1920, à savoir 15: -Une dimension culturelle (comprendre l’histoire de conflit par une approche sensible et émotionnelle) -Une dimension religieuse (faire le deuil des victimes) -Une dimension familiale (visiter la tombe d’un ascendant) Les touristes contemporains de la mémoire resteraient essentiellement motivés par la dimension sacrée de la mémoire, et autant désireux de comprendre que de revivre les évènements.
Le tourisme de mémoire une affaire d’Etat.
Afin de favoriser l’intégration du tourisme de mémoire dans l’offre touristique, l’Etat développe une politique nationale en créant en novembre 1999, la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA). Cette Direction du ministère de la Défense, a ainsi été chargée, via une mission « Mémoire », de dresser un état des lieux de mémoire à l’échelle nationale, et de définir des zones de « territoires de mémoire » 14 Tiré du premier Guide Michelin des champs de bataille publié en France qui concernait le front occidental, libéré, et avait pour titre : Champs de bataille de la Marne. L’Ourcq, Meaux, Senlis, Chantilly. 1917 15 AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, historien spécialiste de la Grande guerre, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales dans l’ouvrage « 1418, retrouver la guerre » co-écrit avec Annette Becker. Gallimard Bibliotheque des histoires 2000.
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homogènes dans une optique de mise en valeur touristique. « Favoriser l›essor du tourisme de mémoire répond à une double exigence : • mieux comprendre le passé et participer à la formation de la conscience civique ; • susciter des flux touristiques pour contribuer à la vitalité des territoires. »16 Pour développer ces flux à travers le pays, le ministère de la défense crée le site Internet « Chemins de mémoire », qui s’attache à recenser et proposer des sites et des exemples d’itinéraires aux touristes. Ainsi, le visiteur peut organiser son voyage et ses haltes en fonction des sites remarquables proposés, ou découvrir les différents lieux historiques chargés de mémoire que sa région possède, avec une mise en réseaux des professionnels du tourisme (centres d’informations, offices du tourisme…) et un récapitulatif historique pour chaque site.
Le tourisme de mémoire, un programme ambitieux.
« Complémentaire de l’offre touristique traditionnelle, le tourisme de mémoire joue un rôle important dans le développement des sociétés et des territoires. Il permet au public de mieux comprendre le passé tout en participant à son enrichissement civique et culturel ; il contribue également à la vitalité économique et culturelle des territoires. Le ministère de la Défense assure la gestion et la valorisation de nombreux sites. Acteur incontournable du tourisme de mémoire, il est, avec de nombreux partenaires (collectivités territoriales, musées, nations partageant une mémoire commune avec la France), porteur de la politique de mémoire. Les lieux de mémoire sont aujourd’hui des lieux d’échanges mais aussi de réflexion sur l’histoire. »17
Ainsi le tourisme de mémoire est conçu pour répondre à « une triple ambition : civique et pédagogique, culturelle et touristique, économique et commerciale. »18
Le tourisme de mémoire : création d’un patriotisme.
Il implique alors un tourisme de valeurs, formant l’éducation des nouvelles générations et fait appel au « devoir de mémoire » une notion que nous développerons plus tard. Nous dirons que cette visée sert à la construction d’une citoyenneté, et à créer un lien entre la société et l’État en rappelant leur histoire commune. 16 Ministère de la Défense - Provient de la brochure « le tourisme de Mémoire » diffusée sur le site internet. 17 Ministère de la Défense – Site internet Mémoire et Patrimoine 18 Ministère de la Défense - ibid
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Outre les enjeux de transmission et d’éducation avec un tourisme scolaire important, la visite d’un lieu de mémoire a été pensé et voulu selon le sociologue et ethnologue Jean Didier Urbain comme « un travail de deuil positif, pour non seulement se souvenir et connaître mais également accepter ce qui s’est passé. ». Nous ne pouvons négliger la dimension touristique dans la création des mémoriaux car ils ne sont pas réaliser seulement pour les morts et l’hommage que nous voulons leur rendre mais bien pour les vivants qui vont parcourir ce lieu. Si personne ne s’y rend pour commémorer l’histoire, y a t-il encore une histoire ? C’est en mesurant l’importance du facteur tourisme dans le projet que l’on peut comprendre que le public visé n’est pas le soldat gravé et ne s’arrête pas à sa famille. Cela va bien au-delà. Comme le dit Jean Didier Urbain à travers la notion de « Deuil », le public doit pouvoir sortir du lieu en aillant fait leur parcours de renoncement positif face à la cruauté de l’histoire qui leur est énoncée en entrant. Les mémoriaux créent alors des témoins. Cela implique que le lieu doit être visité par des personnes venues expressément visiter le site. Le tourisme de mémoire engage nécessairement une fréquentation intentionnelle, avec des touristes sachant le pourquoi de leur visite, avec des touristes co-porteurs d’une mémoire.
Le tourisme de mémoire : une culture commune.
Le Ministère de la Défense prône également l’ambition de la consolidation d’une unité culturelle et la construction d’une identité. Nous retrouvons en conséquence un patrimoine de mémoire à différentes échelles, allant de la mémoire nationale de la guerre jusqu’à la diversité des batailles dans le territoire. L’Etat a pour volonté de diversifier l’offre touristique « traditionnelle » tout en gardant une unité du discours, pour un public souvent étranger. « Rite collectif de connaissance du passé, le tourisme de mémoire participe à la construction de l’identité du territoire, de la Nation, de l’Europe… » 19 Jean Didier Urbain
De tels espaces offrent une singularité identitaire à une ville, à une région, ainsi l’impact du choc n’est pas seulement sur le lieu, ou les mentalités mais sur l’histoire de la ville, sur la portée de son nom, et donc par le tourisme de mémoire sur son économie. Cette dernière notion, soulève de nombreuses questions d’éthique car il nous est difficile d’admettre l’importance du vecteur de l’économie touristique lorsque nous parlons de drame, de perte humaine, et de respect. 19 URBAIN Jean Didier- Tourisme de mémoire – un travail de deuil positif. Cahiers Espaces. 2003, n°80, p.5-7.
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Place du village avec une voiture abandonnée depuis le massacre d’Oradour sur Glane
Photo des ruines du village des martyrs - objets rouillés mis en scène
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Le tourisme de mémoire : une économie nécessaire.
Si l’objectif premier énoncé n’est pas l’enrichissement et le seul prisme économique, l’« ambition économique et commerciale, (...) contribue au développement de régions dont le patrimoine mémoriel devient un facteur direct de création de richesse. » 20 C’est le cas par exemple des collines de l’Artois qui multiplient les lieux de mémoires afin de redynamiser la région après la désindustrialisation des entreprises de charbons. « Enquête nationale sur les retombées économiques du tourisme de mémoire : Les premiers résultats de l’enquête réalisée par Atout France sur le poids et l’impact économique du tourisme de mémoire sont présentés ci-après à partir des données transmises par 155 sites mémoriels payants disposant de données de fréquentation. Il ressort que 6,2 millions de visites ont été observées sur ces sites en 2010 pour un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros. La clientèle étrangère représente 45 % des visites, principalement venue de Grande-Bretagne, d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et des États-Unis. »21 L’économie du patrimoine mémoriel – quel qu’il soit – est devenue un enjeu aussi important que la protection et conservation. La question des retombées économiques directes se pose d’ailleurs car la baisse, voire la disparition, des financements publics dans les budgets d’investissement et de fonctionnement oblige les gestionnaires des monuments et sites culturels à se tourner de plus en plus vers d’autres modalités de financement, en particulier privé (mécénat, dons etc.). Confronté à ses enjeux économiques qui nous renvoient à la réalité du présent, certains sites s’inscrivent dans une logique d’aménagement et d’activité touristique, comme le Mémorial de Caen qui possède des boutiques, un restaurant ou même des espaces de conférence et de réception qu’ils mettent en location. 22 Dans le cas des mémoriaux, la notion de recueillement est très présente ce qui suppose un site ouvert librement au public, et l’économie de tourisme n’a d’impact que sur les villes avoisinants ces lieux dans la durée du séjour du visiteur. Nous pouvons observer alors la création d’un nouveau programme fonctionnant avec le mémorial : le centre d’interprétation. Celui-ci propose des prestations différentes et payantes afin d’entretenir le site. 20 « Le tourisme de mémoire, la fin d’un cycle. Texte sur www.veilleinfotourisme.fr fruit du partenariat entre ODIT France et les Comités départementaux du Tourisme et Comités régionaux du Tourisme. 21 Ministère de la Défense – Site internet Mémoire et Patrimoine 22 DERVEAUX Alexandra, mémoire de fin d’étude cycle master tourisme à l’université de Paris Sorbonne – « La valorisation des Lieux de Mémoire de la Shoah en France, entre mémoire et patrimoine culturel. » 2010 p63
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Grille d’entrée du camp d’extermination d’Auschwitz Birkenau
Photo de touristes prenant la pause dans le mémorial de l’Holocaust à Berlin
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Le tourisme de mémoire : de l’éthique à la dérive.
Si nous pouvons observer que le public est de plus en plus exigent, à la recherche du sensationnel et du tourisme «expérientiel», il apparait un réel engouement pour les lieux de mémoire avec une augmentation des visites sur des sites les plus chargés émotionnellement et au passé les plus difficiles, tel qu’Auschwitz-Birkenau ou Ground – Zéro à New York. Est-ce en faisant visiter des camps de concentration que nous empêcherons ce traumatisme de recommencer ou jouons-nous seulement avec la curiosité humaine ? Nous nous retrouvons face à plusieurs problématiques : la première étant le développement du tourisme de masse qui crée une commercialisation de la mémoire ainsi que des phénomènes de mode proches de l’irrespect et du détournement. « Dans la foule, se recueillir est impossible. »23 En 2011, le philosophe Alain Finkielkraut , dans un entretien à Télérama, en réponse à un reportage réalisé par le magazine, fait part de son scepticisme dans la nécessité de visiter les camps de la mort. « Je lis votre reportage et je me dis qu’honorer les morts, respecter ces lieux, c’est aujourd’hui ne plus s’y rendre. Je suis donc sceptique sur la valeur pédagogique des voyages à Auschwitz pour les jeunes générations. »24 Ayant pu visiter le camp dans les années 80, Alain Finkielkraut compare un lieu qu’il a connu vide et silencieux, au site qui accueille en moyenne, aujourd’hui, 4000 visiteurs par jour venant de partout dans le monde 25. Malgré un calme plus propice au recueillement, le philosophe critique cependant la difficulté de pouvoir réellement se projeter dans cet espace qu’il qualifie de « nu, abstrait, dépouillé de tout. » Hubert Prolongeau écrit dans Télérama, un article nommé, «A Auschwitz, la mémoire étouffée par le tourisme de masse » 26 combien les attitudes choquantes des visiteurs se multiplient. L’ancien camp n’est plus un témoin de l’horreur, une preuve de l’existence de l’extermination des juifs c’est aussi maintenant un passage obligé de la Pologne, une attraction qu’il « faut avoir faite ». Ainsi certains ne s’y rendent plus pour transmettre 23 PROLONGEAU Hubert, journaliste et écrivain français, dans l’article « A Auschwitz, la mémoire étouffée par le tourisme de masse » Publié le 14/12/2011 sur le site internet de Télérama 24 FINKIELKRAUT Alain : “Respecter Auschwitz, c’est ne plus s’y rendre” Propos recueillis par Vincent Remy Télérama - Publié le 14/12/2011. 25 Annonce nombre record de visiteurs au musée d’Auschwitz en 2012 : 1,43 millions. Publié le 04/01/2013 sur Le POINT 26 PROLONGEAU Hubert, ibid.
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l’histoire aux enfants, génération encore épargné de ce lourd passé, mais veulent absolument une photo sous la grille d’entrée : « Arbeit macht frei ». 27 « Nous sommes des proies consentantes de la grande malédiction touristique. »28 Si certains comme Alain Finkielkraut, affirment que de sacraliser un espace en lieu de mémoire et le rendre visitable, c’est déjà le « profaner », en rayer le souvenir et la valeur mémorielle, d’autres sont moins catégoriques et espèrent toucher toutes les âmes, même s’il faut en payer le risque du non-respect du plus grand nombre. « Il n’y a pas vraiment, chez les intellectuels qui travaillent autour du génocide, de débat moral sur le fait d›avoir transformé Auschwitz en lieu de visite. Ces bus de touristes sont la contrepartie d›un travail de mémoire qui est devenu massif et s’incarne ici, explique Jean-Charles Szurek, chercheur au CNRS et auteur de La Pologne, les Juifs et le communisme. Même si ce voyage d›un jour fait en charter depuis une capitale européenne me paraît absurde, un jeune qui est arrivé en rigolant ne repartira peut-être pas sans avoir perçu quelque chose. »29 Il faut alors accepter que la célébrité du lieu soit à double tranchant. Nous ne pouvons espérer avoir un lieu d’une renommée internationale sans avoir son « Selfie » qui dérange. A Berlin, ce n’est pas l’histoire de l’horreur du lieu qui attire les touristes sur le mémorial de la Shoah mais la qualité architecturale favorable à une future photo de profil Facebook. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le lieu par ses jeux d’ombres et de lumière, ses perspectives travaillées et la puissance de sa matérialité suscite le désir du photographe en chacun de nous. Un article du jeune journaliste Vincent Glad sur le site Slate.fr, dénonce l’étrangeté de ce phénomène très répandu chez les jeunes de passage sur Berlin. « Un selfie touristique est surtout un «J’y étais». »30 Autrement dit, la destination prime sur l’histoire du lieu et la notoriété censée diffuser la mémoire peut avoir pour conséquence de détourner l’usage du mémorial. Si nous nous offusquons de cette pratique, cela signifie qu’elle ne rentre pas dans les normes et les traditions. Partant de ce fait, nous étudierons, dans un second temps, l’enjeu de l’éthique qu’un mémorial impose et dans le cas contraire les scandales que cela crée.
27
« Le travail rend libre. » FINKIELKRAUT Alain- ibid 29 PROLONGEAU Hubert, ibid 30 GLAD Vincent « Au mémorial de la Shoah, pourquoi les touristes sourient-ils sur leurs selfies ? » publié le 18/05/2015 sur le site Slade.fr
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5 - Commémoration
Culte moderne
Théâtre de nombreux conflits armés, la France, comme d’autres pays d’Europe, porte encore, dans son paysage et sa mémoire, les blessures et les stigmates des guerres. Non désireux d’oublier ces évènements tragiques, nous organisons des cérémonies officielles où la manifestation de la mémoire est au centre du sujet. Cette célébration, nous apparait comme une modalité privilégiée de la mise en place du souvenir, de la mise en mémoire. Cela pose comme question le rapport à un passé collectif dans le rappel à soi de ce qui a disparu. Il semblerait alors que sa fonction première soit de répéter le drame (même date chaque année) sur le mode symbolique afin d’éviter la répétition tragique. Dans cette mesure la commémoration fait écho au devoir de mémoire : Elle permet de conserver la conscience nationale d’un évènement de l’histoire collective et servir d’exemple et de modèle. La commémoration, du latin « commemoratio » qui signifie mémoire, marque le souvenir d’une personne, d’un évènement. Il s’agit véritablement de rendre hommage, de mentionner et de rappeler la mémoire de personnes disparues, selon un rite particulier. Elle est, selon Joël Candau, professeur d’anthropologie spécialisé dans l’étude de la mémoire, un dispositif qui permet l’organisation des mémoires et la construction identitaire par le repérage dans le temps. 31 Aussi, la commémoration a besoin pour « avoir lieu » de s’inscrire dans une dimension spatiale et temporel. Elle suppose donc la création d’espaces spécifiques, de repères visuels, de supports qui permettent de se souvenir, d’inscrire la mémoire des hommes et des évènements. L’espace commémoratif, donc essentiellement le mémorial se doit d’être propice aux rassemblements et de comporter tous les codes nécessaires à la réminiscence du choc. Le mémorial délivre un message au cours d’une opération de transmission et de communication, dont il est souvent la centralité. Celui-ci ne serait qu’un assemblage ou un amas de pierres si n’existaient pas autour de lui les liturgies, les pèlerinages, s’il n’était pas construit socialement comme un lieu pour se souvenir, comme un élément constitutif d’une mémoire, avec « valeur de remémoration intentionnelle » 32 Pour Antoine Prost, historien français, l’étude des monuments aux morts est indissociable des cérémonies dont ils sont le centre. La signification qu’ils peuvent avoir ne résulte pas seulement de leur réalité matérielle : elle provient également de ce que l’histoire en a fait. 31 CANDAU Joël «Anthropologie de la mémoire», Paris, Armand Colin, Collection Cursus Sociologie, 2005. 32 RIEGL Aloïs Le Culte moderne des monuments, son essence et sa genèse, avant-propos de Françoise Choay, Paris, Éditions du Seuil, 1984.
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Photo de la commémoration de l’attentat du 11 septembre 2001 - Barack Obama, son épouse et Georges W. Bush Culte national
Certains y voient, par ailleurs dans la traduction latine, la signification plus religieuse que nous lui donnions au Moyen Âge, pour désigner l’évocation des défunts, en particulier des saints et y voient un rapprochement avec nos rites actuels. « L’émergence de l’État-nation, l’implosion de la chrétienté catholique, au sens d’universelle, furent nécessaires pour que la commémoration glisse du domaine purement religieux à celui, séculier, de l’identité nationale. La commémoration est donc le fruit d’une fragmentation. »33 Nous pouvons alors voir dans l’acte commémoratif « un transfert de sacralité du religieux sur le laïque, le civique et le profane », voire « une version laïque de la messe ».34 Autrement dit, une commémoration concerne le rassemblement de tous les citoyens autour d’une mémoire collective, cimenté par une institutionnalisation d’un culte du souvenir et commandé par les hauts fonctionnaires de l’Etat. Les représentants engagent, en effet, leur présence à chaque date commémorative de notre calendrier. Ils marquent par là leur intérêt pour l’histoire de la nation, pour les disparus et leur famille, mais 33 COLLET Bernard et HENNETON Lauric – « La commémoration, entre mémoire prescrite et mémoire proscrite » - Presses Universitaires de Rennes - 2010 34 RAYNAUD Philippe, « La commémoration : illusion ou artifice ? », Le Débat, n° 78, janvier-février 1994, p. 108
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servent également de modèle dans la pratique sociale qu’ils cherchent à transmettre. Les sociétés européennes, et en particulier la France, depuis une dizaine d’années observent une inflation des commémorations. Les chocs continuent malheureusement de se produire, et notre calendrier se remplit d’événements dramatiques. La commémoration ne portait pas toujours sur le malheur de la nation, car certaines victoires sont célébrées, mais nous remarquons que l’influence du devoir de mémoire, entraine une figure plus douloureuse et solennelle dans notre rapport à l’histoire. L’omniprésence des commémorations en fait un objet d’étude à part entière. Pierre Nora a parlé de « boulimie », d’« obsession » commémorative, voire d’« acharnement commémoratif».35 Une évolution prévisible, que certains qualifient « d’abus de la mémoire » pour définir une ferveur compulsive, mêlant la nostalgie et l’impératif moral. 36 Il est vrai que nous n’avons encore jamais autant vu, en période de paix en France, notre chef de l’Etat, assister à tant d’événements commémoratifs ou d’inauguration de mémoriaux. Entre l’événement tragique de Charlie Hebdo qui a réuni un très grand nombre de chefs d’états, les dates habituelles, l’ouverture du mémorial pour la paix de Notre Dame de Lorette et celui en Guadeloupe pour l’abolition de l’esclavage, les journaux (presse quotidienne ou périodique) ont leur première page bien remplie.
Pour conclure, la spatialisation du drame sous la forme du mémorial révèle une société en grande relation avec son douloureux passé. Elle éprouve le besoin de se rassembler, de se recueillir, d’exprimer et de partager sa perte jusque sur l’espace public. Ce phénomène est international puisque les causes le sont aussi. L’implantation d’un monument commémoratif marque non seulement le territoire et notre mémoire mais il est aussi une forme de construction d’un espace politique, et la représentation physique de la nation et de ses institutions. Dans sa forme architecturale, le mémorial doit accueillir les rassemblements futurs, les codes et symboles de la communauté qu’il représente afin que chacun s’y reconnaisse et souhaite commémorer à leur tour.
35 36
NORA Pierre, « L’ère des commémorations », p. 4687, 4692 TODOROV Tzvetan, «Les abus de la mémoire» Paris, Arléa, 1995
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« La mémoire n’est pas faite pour le passé, elle est faite pour le présent et l’avenir » François Hollande, inauguration de l’Anneau de la mémoire.
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II- MARQUES SPATIALES D’UNE ÉTHIQUE SOCIÉTALE ET D’UNE INSTITUTIONNALISATION.
Cette seconde partie de ma réflexion explore plus en profondeur les raisons et les enjeux du mémorial. Le besoin de recueillement et de rassemblement n’explique pas l’implication de l’Etat et de l’édification de monuments sur l’espace public. De quelles manières cette pratique contribue-t-elle à une nouvelle perception, réflexion, une prise de conscience personnelle mais aussi à l’élaboration d’un patrimoine commun ? Comment la mémoire s’articule-t-elle avec une meilleure connaissance de l’histoire ? Quel est le rôle de l’architecture dans la mémoire collective ?
Le phénomène de patrimonialisation permettra, dans un premier temps, de comprendre la notion de valeur d’un monument qui dépasse l’aspect économique. Et comment l’histoire, ses témoins spatiaux et les rites liés sont des unificateurs de communauté. Par la suite, la transmission devient sensibilisation. L’éthique et la morale sont exposées comme des notions aujourd’hui intrinsèques à l’Homme. Cependant, chacun peut avoir sa propre définition et c’est alors la société qui définit un cadre. Enfin, devoir de mémoire et lieux de mémoire seront le support de l’étude de cette institutionnalisation. Quels sont les outils mis en place dans le phénomène de transmission afin d’assurer la lecture d’un discours commun autour de la mémoire ? Sera présentée, la dichotomie entre histoire et mémoire qui convoque un nouveau programme architectural lié au mémorial : le centre d’interprétation.
Elevation de l’anneau de la mémoire sur la nécropole de Notre Dame de Lorette
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1- La patrimonialisation, mémoire sélectionnée.
L’homme a toujours témoigné d’un fort intérêt pour le passé, en conservant et vénérant tout ce qui en a attrait. Cette forme de culture du passé touche à beaucoup de domaines allant de l’histoire en générale, à l’architecture en passant par les légendes et mythes qui ensemble, forment le patrimoine. La notion de patrimoine, appliquée à l’architecture et aux œuvres d’art, ne se développe qu’à partir du XIXème siècle, avec l’essor des musées et la mise en place progressive d’une politique de protection et de restauration des monuments historiques. Afin d’exposer ce que représentent les mémoriaux dans le patrimoine culturel, historique et spatial d’aujourd’hui, nous allons étudier les différentes notions du patrimoine et du processus de patrimonialisation. Nos objets de valeur
Nous constatons, tout d’abord, plusieurs patrimoines : artistique, architecturale, linguistique, ethnologique, etc...Regroupés dans le terme de patrimoine culturel, il est en général défini comme un bien possédé, matériel ou immatériel, un héritage commun qui sera ensuite transmis et exposé. Ainsi il annonce une réalité première dans l’étude du phénomène de patrimonialisation : le temps, le transfert du passé vers le futur. Et dans les cas qui nous intéressent, la transmission du passé dans le futur. Nous admettrons que cet acte fort dans le comportement social et dans la traduction physique et architecturale, de vouloir figer le temps d’un espace, d’un évènement, ou d’un monument, ne peut s’effectuer sans raisons bien établies. Pour autant, c’est un acte que nous effectuons chacun personnellement avec la transmission de l’héritage familial. Nous nous projetons dans un futur où nous serons absents mais où notre héritage sera la représentation physique ou mentale de nous-même. Nous créons un désir dans les générations futures de posséder des objets du passé car ils deviennent alors des objets de « valeur ». Mais d’où nous vient l’obligation de garder certains objets en vue de les transmettre ? Et si la première réponse qui nous vient spontanément est cette notion de « valeur », elle ne fait que déplacer la question. Elle n’explique pas la raison pour laquelle nous leur accordons de la valeur. Nous savons pertinemment que beaucoup d’objets qui ont été laissés par ceux qui nous ont précédés ont été détruits pour faire place à d’autres, ou lorsqu’ils existent encore ne sont pas considérés comme des objets de patrimoine. Toute la question est donc celle de la valeur que nous accordons à certains objets et qui justifie leur choix. Car c’est nous qui leur reconnaissons cette valeur et en faisons des objets de patrimoine.
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Photo moment de recueillemnt - Mémorial attentat du 7 juillet 2005 Londre
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Il est très difficile de définir une notion qui implique des comportements ou émotions subjectifs. Et il doit être tout autant difficile de définir des raisons objectives pour justifier la patrimonialisation basées sur des notions subjectives de valeur. Jean Davallon, professeur de sociologie tente de définir la « valeur patrimoniale », c’est à dire « la raison pour laquelle nous accordons de la valeur à certains objets [...], les raisons qui font accéder un objet au statut de patrimoine. » 37Comme la valeur subjective propre à chaque individu au sein de sa famille, la valeur patrimoniale est toujours changeante selon l’histoire, la culture, et la politique du pays ou de la société dans lequel se situe le lieu. Ainsi il nous serait difficile de comprendre intégralement les processus de patrimonialisation d’un autre pays car il dépend de la culture entière de celui-ci et du contexte actuel dans lequel il se trouve. « Simples pierres dans le paysage, les monuments n’ont pas une grande valeur en euxmêmes. Mais dans la mesure où ils font partie des rites d’une nation ou sont l’objet de pèlerinage nationaux, ils prennent en charge l’âme et la mémoire nationales. » 38 James E. Young
Ainsi dans le cas des mémoriaux, la valeur du patrimoine, qu’il soit architectural ou immatériel, n’est pas mesurable économiquement mais de façon historique et mémorielle. Par ses pratiques, ses usages et sa représentation, il devient un objet de valeur. L’architecture avait peut-être une valeur symbolique comme les tours jumelles de New York, un centre de commerce mondialement connu, ou encore aucune valeur historique ou architecturale comme le village d’Oradour sur Glane, ou l’usine Total d’AZF à Toulouse. Nous pourrions donc dire que le lieu accède au rang de patrimoine parce que le contexte historique a changé son usage et sa forme. Il possède alors une valeur émotionnelle et mémorielle plus forte que la qualité architecturale, normalement recherchée.
Autour de la Nation
James E. Young énonce le rapport entre patrimoine et nation. Le monument commémoratif est alors vu comme un dispositif permettant d’inscrire une valeur commune, d’y appliquer des souvenirs évoquant l’appartenance à une même nation et de lier le destin d’une communauté locale à l’histoire nationale. 37 DAVALLON Jean professeur de sociologie à l›université d›Avignon et des Pays de Vaucluse, dans son article « Comment se fabrique le patrimoine ?» paru dans le Hors-Série num. 36 « Qu’est-ce que transmettre ? » du magazine Sciences Humaines en 2002. 38 YOUNG James E., professeur d’étude anglaise et judaïque à l’Université du Massachussetts, dans « Ecrire le monument : Site, mémoire et critique » 1993 p732
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Photo de la nouvelle génération face au passé - Mémorial 14-18 Besançon
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La nation, dans sa définition, est représentée par une union humaine ayant conscience d’être unie par une identité historique, culturelle, des traditions communes et parfois une même langue. Elle est également une communauté politique, caractérisée par un territoire et une organisation en Etat avec sa constitution. Nous sommes intéressés par la première partie de sa définition, celle qui révèle la nation comme une communauté ayant des origines et des pratiques culturelles communes. Celle qui soulève un lien presque intrinsèque entre les individus, un lien autant matériel qu’immatériel. Partageant la même histoire, ils sont donc susceptibles de partager la même mémoire, mais aussi d’avoir des réactions identiques face à certains évènements. «L’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun.»39 « La mémoire du passé national a pour but d’affirmer la légitimité de la naissance d’une nation […]. Elle rappelle le martyre de ceux qui ont donné leur vie dans la lutte pour l’existence nationale […]. »40 Cela sous-entend qu’il est important pour les dirigeants de cette nation afin que celle-ci perdure, que les éléments du passé communs soient conservés et que les évènements présents et futurs continuent de former une unité. Il est affirmé également que l’Etat assure sa légitimité, et le rappelle de celle-ci, par la mise en place d’outils, comme le mémorial. Ces acteurs entretiennent alors le patrimoine de la nation. Le processus de patrimonialisation est «un processus social par lequel les agents sociaux entendent conférer à un objet, à un espace ou à une pratique sociale un ensemble de propriétés ou de «valeurs» reconnues et partagées puis transmises à l’ensemble des individus à travers des mécanismes d’institutionnalisation, individuels ou collectifs nécessaires à leur préservation (c’est à dire légitimation durable).»41 S’il y a volonté de patrimoine de notre part, cela ne suggère pas que nous le voyons de façon identique, et la réponse ne peut être une décision imposée par un seul individu. C’est pourquoi Jean Davallon décrit la présence et la démarche des agents sociaux, élus ou reconnus pour leur compétence dans ce domaine. Ils se doivent tout d’abord de choisir : il y a dans les processus un moment où une communauté, ou les élus de celle-ci, s’accordent sur les traces qu’il est important de « patrimonialiser » pour qu’elles soient transmises à la postérité .Nous acceptons, plus ou moins, le pouvoir de ces acteurs dans le choix des objets dignes de devenir patrimoine, qui sont par exemple L’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la 39 RENAN Ernest « Qu’est-ce qu’une nation ? » dans Œuvre complète T1 Paris Calmann lévy 1947 p887 40 YOUNG James E., « Ecrire le monument : Site, mémoire et critique » 1993 p733 41 DAVALLON Jean , sous la direction d’Emmanuel AMOUGOU . La Question patrimoniale : de la « patrimonialisation » à l’examen des situations concrètes. L’Harmattan Paris 2004
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science et la culture) et l’ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites), ou encore les administrations locales et les architectes spécialistes des bâtiments historiques (architecte des bâtiments de France), acteurs actifs de ce mouvement. Puis il est nécessaire afin que le choix soit accepté et que le consensus se fasse et que le sens de cette décision soit défendu. En effet, les acteurs de la constitution d’un patrimoine doivent, dès le début, expliciter leur projet et justifier leur choix sur l’intérêt des traces qu’ils veulent « patrimonialiser », et sur le sens qu’il convient de leur accorder. Cela semble évident quand il s’agit d’évènements tragiques, toutefois l’histoire et l’impact de celle-ci sont étudiés puis légitimés par des « savants », comme les sociologues, anthropologues et historiens, permettant de donner une consistance au discours. Cette légitimation est nécessaire car la patrimoinialisation d’un site à un impact économique. En déclarant un monument patrimoine et donc « bien national », celui-ci perd une certaine valeur économique du point de vue du propriétaire puisqu’il est alors interdit de le vendre, même si cela ne sous-entend pas qu’il ne va pas devenir source de financement, bien au contraire. Dans le cadre d’Oradour sur Glane par exemple, nous pouvons noter, que le village des martyrs, laissé en ruine, était fait de bâtisses en pierre, aujourd’hui très recherchées dans les biens immobiliers, et que les habitations de la nouvelle ville n’ont pas la même qualité en terme de matériaux et de charme pittoresque, témoins plutôt d’une architecture d’après-guerre. Le mémorial quant à lui représente l’attraction touristique culturelle en tête du classement des 20 sites payants ayant le plus attiré de visiteurs en 2007 dans toute la région du Limousin. 42 Le patrimoine, entendu, comme préservation d’une trace du passé collectif est un indice du rapport qu’une société entretient avec son histoire. La valeur du village des martyrs d’Oradour sur Glane est pour la société Française dans son histoire et sa culture bien plus importante aujourd’hui qu’il ne l’était avant le drame. Selon Isaac Chiva, anthropologue français, «un bien patrimonial est celui dans lequel les hommes se reconnaissent à titre individuel et collectif ; ils le considèrent à la fois comme significatif de leur passé et précieux pour leur avenir.» 43 L’intérêt pour le passé a évolué, avec la prise de conscience que la conservation de notre héritage commun n’est pas seulement un devoir moral dû aux générations futures mais aussi un besoin essentiel pour la survie de notre génération et de la nation. Nous réalisons qu’avoir un passé, c’est avoir une identité aussi bien individuelle que collective, et que le mémorial est un de ses témoins. 42 Bilans touristiques 2007 des CDT du Limousin : Site d’Oradour-sur-Glane (306 427) 43 CHIVA Isaac, « Une politique pour le patrimoine culturel rural», Rapport présenté au Ministre de la Culture et de la Francophonie, avril 1994
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Patrimoine immateriel
Commémorer, célébrer, se recueillir, tant de rites permis par le mémorial qui font aujourd’hui partis de notre culture. La notion de patrimoine immatériel telle que présentée par l’UNESCO, nous semble alors essentielle dans notre étude. « On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable. »44 L’UNESCO se donne le droit de regard sur la conformité des éléments. Si les nations s’investissent pour la protection de leur identité culturelle, les critères pris en compte pour la définition de cette identité sont soigneusement sélectionnés par l’Etat. Le processus de patrimonialisation passe alors par une phase d’institutionnalisation. Ce mécanisme tend à formaliser, inculquer et diffuser des valeurs et des normes dans un but de pérennisation et d’acceptation d’un système de relations sociales. L’Etat rentre dans un processus de valorisation des différentes formes de culture et à la fois de contrôle de celles-ci. Le mémorial suppose comme observé précédemment, des pratiques très différentes sur un même lieu (recueillement, tourisme, commémoration...) et représente beaucoup de l’histoire, des traditions et mentalités du pays, allant même jusqu’au style architectural. Le patrimoine immatériel comprend également les traditions orales, les rituels et les événements festifs. Il inclut aussi la religion dominante ou ancestrale de la communauté qui a pu avoir une grande influence sur la culture de la nation, comme elle l’a été sur l’architecture. Le mémorial reste un monument laïque, avec une valeur commémorative proche du rite, du culte. Un « culte moderne », basé sur un calendrier, entretenu par des cérémonies, des « messes politiques » et un représentant. 44 « Convention pour la sauvegarde du UNESCO, 17 Oct. 2003
patrimoine culturel immatériel»,
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«Le patrimoine immatériel est un miroir de la diversité culturelle. »45 UNESCO L’UNESCO expose le patrimoine culturel immatériel comme un facteur important de la diversité culturelle et permettant par sa grande richesse de faire face à la mondialisation croissante. Répertorié dès à présent ce patrimoine sera utile au dialogue interculturel et encouragera le respect d’autres modes de vie. Cela fait partie de l’identité sur laquelle, le mémorial se raccroche : devoir être pluriel, être capable d’accueillir des personnes de cultures différentes, tout en transmettant l’histoire et en suggérant le respect de celle-ci. « Le patrimoine culturel immatériel, une forme vivante de patrimoine recréée en permanence et qui évolue à mesure que nous adaptons nos pratiques et nos traditions à notre environnement. Il procure vis-à-vis de nos cultures un sentiment d’identité et d’appartenance. À mesure que le monde change, la modernisation et la mécanisation font partie de ce processus vivant – souvent, elles peuvent même favoriser et promouvoir la créativité. » 46 C’est dans cette deuxième définition que le rapport avec la fonction du mémorial diffère. Si les éléments qui constituent notre culture immatérielle s’appuient sur des formes non tangibles, il est évident qu’avec l’évolution permanente du monde, ce patrimoine est en constante mutation. Or le mémorial est la représentation figée d’un évènement, il assure la pérennité de l’histoire à travers les générations. Comment un espace qui s’appuie sur des valeurs et un patrimoine culturel en perpétuelle transformation peut- il transmettre le passé, aux générations futures sans tomber en désuétude et dans l’oubli ? Il se doit d’évoluer.
45
Section
46
UNESCO - ibid
unesco.org)
culture et patrimoine culturel immatériel sur le site officiel de l’UNESCO.
(www.
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La mémoire comme outil pour figer le temps : les cas de Drancy et d’Oradoursur-Glane
Dans les cas d’Oradour sur Glane et de Drancy, penser et appréhender ce type de patrimoine est difficile. L’esprit d’un lieu et son pouvoir évocateur sont plus difficilement définissables que le style ou la signature d’un bâtiment. Utiliser à l’excès, la mémoire et sa sacralisation deviennent des freins au développement de ville, et à la qualité de vie de ses habitants. Françoise Choay tente de sensibiliser sur cette question par un cri d’alarme, en prenant pour exemple la cité de la Muette à Drancy, classé monument historique depuis 2001. Ce lieu a été durant l’occupation un camp d’internement et la gare principale de départ vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Il était auparavant cité d’habitation construite dans les années 30 par quatre noms célèbres, Henri Sellier, Beaudoin et Lods, et Jean Prouvé. En classant Drancy, toujours habité, le gouvernement français empêche la rénovation des vieux immeubles de la cité. Les habitants vivent aujourd’hui dans des lieux identifiés par le reste de la société comme porteur d’horreurs incommensurables, et la moitié d’entre eux, sont privés du confort thermique et acoustique. Anne Bourgon donne une explication critique à la raison de cette patrimonialisation : « Cependant, ce classement résulte moins d’une décision du gouvernement français visant à commémorer le crime contre l’humanité que constitue la Shoah, que de la volonté d’interrompre la réhabilitation de cet ensemble d’immeubles de logements locatifs sociaux. »47 A cet égard, nous nous interrogeons sur la pertinence du classement au titre des monuments historiques pour conserver la mémoire d’un événement. Dans une situation d’après-guerre, la France peine à reconstruire et se trouve dans un contexte de graves difficultés politiques, économiques et sociales. C’est au printemps 1945, un an après le drame d’Oradour sur Glane, que le débat sur la reconstruction du village, centré sur des enjeux éthiques et économiques, commence. Très vite, il est décidé de réaliser une « réédification du village sur un emplacement différent de l’ancien. ». La loi votée, l’Etat se donnait les moyens d’exproprier les ayantsdroits des bâtiments en ruines, pour les conserver au titre de monuments historiques, et de construire l’équivalent du bourg détruits en utilisant les crédits des dommages de guerre. En effet ce n’est qu’à quelques mètres à l’ouest de l’ancien village, avec le même nombre de maisons et disposant de la même superficie que le bourg a été construit. Le plan du nouvel Oradour est proche de l’ancien : une rue centrale qui distribue les services de la ville, et une nouvelle église Saint-Martin, située dans la partie basse de la rue et de la 47 BOURGON Anne - «LA CITE DE LA MUETTE A DRANCY : AMBIGUÏTES, DIFFICULTES ET PERSPECTIVES DE L’HERITAGE»
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Photos actuelles de la nouvelle ville, place du marché - Oradour sur Glane
Plan de la nouvelle ville, reconstruite à «l’identique» - Oradour sur Glane
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Cité de la Muette- Drancy « Je préfère montrer, ici, qu’il n’y a pas eu en France d’excès patrimonial mais un déficit de réflexion quant à la transmission d’un drame à travers le patrimoine bâti. » Anne BOURGON
colline, comme l’était celle du village martyr. Aujourd’hui c’est une ville en béton et crépis, presque déserte, que les touristes aperçoivent lors de leur passage. Habité par les fantômes de notre mémoire et les touristes, le village des martyrs, ruines et musée urbain, domine par sa mémoire la ville nouvelle, l’empêchant, dans un sens, de se développer. L’architecture d’après-guerre a beaucoup moins de valeur que les vielles bâtisses de l’ancien village, et le tout a été réalisé dans un souci de conserver une expression de deuil avec des bâtiments austères et gris. Il est impossible pour les habitants de repeindre différemment, et il est compliqué pour la ville de devenir attrayante. En respectant la valeur mémoriel de ce lieu, nous pouvons cependant imaginer qu’il était peut-être moins couteux de reconstruire à neuf plutôt que de rénover.
Les acteurs du patrimoine ne peuvent ignorer la question du sens, de la cohérence et de la forme que doit prendre la transmission d’un événement traumatique. En d’autres termes, si la question a été de savoir comment la mémoire dans ces lieux devait être conservée, aujourd’hui elle est plutôt de trouver comment nous allons conserver la vie dans ces espaces.
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2- L’éthique en héritage :
Pourquoi ne ferions-nous pas simplement table rase du passé ? Émettre aussi l’idée que finalement la destruction permet la reconstruction, fait évoluer la ville, libère des dents creuses, transforme les fonctions… Il semblerait que faire à neuf soit synonyme d’oubli, de déni, de rejet… Pourquoi faire d’un camp de concentration un musée serait-il plus politiquement correcte que de construire à la place un centre d’aide et de logements pour les pauvres par exemple? Le phénomène de patrimonialisation s’effectue dans le cas le plus simple en réponse à la modernisation. Ce processus s’applique à constituer des archives de nos bâtiments, de notre culture, combattant la détérioration, les effets de mode, et les changements de besoins de la société en matière de comportement ou de confort. Dans ce cas-là l’échelle de temps est plus longue, le débat s’appuie sur les nouvelles normes, sur les moyens financiers, sur les enjeux politiques et fonciers tout en s’additionnant à la problématique de l’éthique. Dans le cas où l’espace est meurtri par une catastrophe, les arguments du débat sont les même mais leur prépondérance peut s’inverser et la relation à l’histoire n’est plus l’effet de mode ou la simple dégradation due au temps mais la portée historique du choc subit par la société. La problématique de l’éthique évolue également d’un cas à l’autre et beaucoup d’historiens de l’architecture se sont penchés sur cette question qui tend à justifier la conservation, la protection de nos édifices ou l’élection d’un espace au rang de lieu de mémoire. « L’éthique de la conservation patrimoniale, lorsqu’elle intègre la protection et sauvegarde dans des modèles de pensées et de comportements plus larges, peut inciter à prendre la défense de notre héritage bâti. »48 L’éthique comme la notion de patrimoine s’applique aux biens collectifs matériels et immatériels. Dans le cas de l’architecture, le débat révèle l’incapacité physique de pouvoir tout conserver et donc fait appel au choix, dans celui des mémoriaux la question complexe de la valeur du patrimoine s’approche de la morale et des sentiments partagés par une communauté. Si l’éthique « enseigne ce que nous devrions faire pour le bien commun », 49elle devient la raison, l’essence des débats autour de la patrimonialisation et surtout autour des lieux de mémoire. Elle permet de trouver la motivation qui unie la pensée commune et est propre à chaque cas. Elle consent également à imposer une certaine légitimité à l’installation de lieux de mémoire. 48 GERMANN Georg « Conserver ou démolir ? le patrimoine bâti à l’aune de l’éthique. » Collection Archigraphy poche- Infolio 49 GERMANN Georg- ibid
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Georg Germann, historien qui a par ailleurs enseigné dans de nombreuses universités suisses, l’éthique de la restauration entre 1997 et 2009, compare cette notion au « respect » en allant même à exposer le concept de « piété » et avance en premier lieu les raisons générales du désir de conservation dans la société.
L’émotion comme héritage.
« Quel est ce besoin ? Pourquoi faut-il agir ? Selon une conception généralisée que je partage, la raison de cette protection est la menace de perte ou de destruction de points de repères familiers dans l’espace et le temps, qu’il s’agisse d’un orme centenaire et malade ou d’une cathédrale incendiée par un bombardement d’artillerie. La perte de monuments naturels ou culturels provoque la prise de mesures de sauvegarde afin de détourner le malheur, ou, tout au moins, éviter que de semblables accidents ne se reproduisent. Les disparitions de vergers, de forêts, de quartiers, et même d’espaces industriels entiers, sans beauté mais familiers à des centaines de personnes, sont aujourd’hui ressenties comme des pertes par ces derniers. »50 En effet nous autres humains témoignons d’une vraie dilection pour nos souvenirs personnels qui entourent notre environnement ou les cercles de groupes et communautés auxquels nous appartenons. Ainsi nous avons besoin de retrouver les rues où nous avons grandi, les bâtiments où nous avons vécus, les édifices publics que nous avons croisés dans notre parcours. Il arrive que dans une vie nous revenions sur nos pas et pouvons alors en comparant nos souvenirs au constat actuel remarquer un changement, une évolution ou au contraire une constance, une pérennité. Ce constat, dans les deux cas de figures, peut provoquer chez l’individu des émotions telles que la déception, la nostalgie, la joie, la tristesse, l’étonnement… L’architecture provoque des émotions et réveille celles de notre passé. L’attachement de l’être humain pour son patrimoine relève du domaine affectif. Et cet attachement que montrent les individus pour le patrimoine monumental se révèle d’autant plus lorsque les pertes sont brutales et dues au hasard. Nous parlons même de traumatisme. « L’un des impératifs de l’éthique est de respecter les sentiments dont témoignent d’autres humains pour tout ce qui touche à leur mémoire. »51 Georg Germann expose alors, que l’éthique dont les politiques et intervenants, comme l’architecte, dans les processus de conservation, de réhabilitation et de reconstruction doivent faire preuve, est de prendre en compte l’histoire de façon objective ou comparative à d’autres événements mais également les émotions communes révélées par ces actes. L’historien allemand, Dieter SCHNELL parle lui de façon plus large des objets en général 50 51
GERMANN Georg - ibid GERMANN Georg- ibid
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Dôme de Genbaku - Mémorial de la paix - Hiroshima .
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et de notre lien affectif que nous créons avec : « Manifestement, dans notre culture, les êtres humains établissent des relations affectives non pas seulement avec d’autres humains, mais aussi avec des objets, voire avec des constructions. […] Ainsi l’être humain projette des significations des attentes ou des souvenirs sur les choses. […] Ces significations et ces manifestations affectives liées à un objet peuvent être valables pour un grand nombre d’humains ou, à l’extrême, peuvent n’avoir de sens que pour une seule personne. Et les objets, outre leur valeur matérielle ou d’usage ont donc également une valeur idéelle ou sentimentale. » 52 Ce concept de valeur idéelle, nous permet de comprendre les raisons de la patrimonialisation qui se trouve en réalité en chacun de nous. Nous souhaitons que quelque chose que nous avons partagé ou même qui nous représente fasse foi de notre passage, fasse héritage, et perdure après notre mort. Le lieu de mémoire est très lourdement chargé en émotions même s’il n’a plus aucune valeur d’usage. Il y a en effet une certaine beauté qui se dégage des bâtiments en friche, ou d’un village en ruine, lorsque nous nous tenons à distance de son passé et de son souvenir évoqué, pour autant la mousse sur les pierres, les objets de la vie quotidienne laissés là comme les traces d’une vie figée ne résonnent pas en chacun de nous de la même façon. Les associations des familles des victimes se battent à chaque catastrophe pour conserver les quelques traces d’un passé disparu, qui prennent pour eux une valeur sentimentale si forte que le politique n’a aucun poids décisionnel et se doit éthiquement de respecter l’objet de leur mémoire. Ainsi Oradour devient un village entièrement musée, où les plaques des noms des familles accrochées sur les quelques murs restants témoignent du lien que les habitants avaient pour leur village et leur habitation. Ce comportement n’est pas propre à notre culture européenne, les habitants de la ville d’Hiroshima, au Japon, peuvent aujourd’hui apercevoir dans le parc de la paix réalisé par Kenzo Tange, les vestiges d’un palais préfectoral. Le Dôme de Genbaku, classé patrimoine de l’UNESCO, était le seul monument le plus proche de l’épicentre de la bombe, encore dressé après l’explosion. Il est conservé comme « le symbole extrême et puissant de la force la plus destructrice que l’homme ait jamais créée et il incarne en même temps l’espoir de la paix dans le monde et de l’élimination définitive des toutes les armes nucléaires. »53 Dans cet ordre d’idée, nous pourrions nous retrouver, après chaque catastrophe avec une parcelle en ruine, empreinte éternelle et emblème de l’interdiction de l’oubli. Il est très possible que l’attachement que nous mettons dans les choses, sans jugement de valeur matérielle, soit là aussi pour créer un lien dans le temps, une résistance à la mort. Nous sommes attachés à des œuvres d’un passé que nous n’avons pas connu, qui implique des personnes que nous n’avons jamais rencontrées mais pourtant par ce 52 SCHNELL Dieter « Conserver ou démolir ? le patrimoine bâti à l’aune de l’éthique. » Collection Archigraphy poche- Infolio 53 UNESCO
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Plan du village des martyrs , partie en ruine- Oradour sur Glane
Croquis de relevé d’état des lieux d’une façade à Oradour sur Glane réalisés par le service conservation.
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lien nous devenons plus proches d’eux. Cependant une sélection se fait sur ce qui est conservable ou non et d’autres acteurs éloignés de l’émotion sont également juges de la valeur de l’objet. Martial Boussicault, responsable de la conservation du site d’Oradour sur Glane, nous apprend que le temps fait son œuvre et que les ruines d’Oradour ne résistent pas à ce phénomène. Chaque année un peu plus soumises aux intempéries, les pierres menacent de s’écrouler, la végétation ronge le calcaire, les ruines disparaissent. L’architecte en Chef des monuments historiques Pascal Prunet établit des relevés permettant de voir la progression de cette disparition, et se retrouve responsable des décisions quant aux actions de conservation à réaliser. A ce jour, le service territorial de l’architecture et du Patrimoine de la Haute-Vienne ne détient aucun relevé complet des façades du village et craint que l’état des lieux 70 ans après implique de grandes décisions. Il est pour le moment certain, que l’église, patrimoine de l’état avant la catastrophe et lieu principal de l’horreur, soit toujours conservée. En d’autres termes, le patrimoine iconique est privilégié au patrimoine domestique.
La sélection par le prisme du respect
La décision de conservation et de patrimonialisation doivent être, cependant, valables pour une communauté entière, que l’accord soit pris avec la majorité et les administrations élues. Si nous ne sommes pas survivants de la catastrophe quel lien avons-nous avec ces édifices ? Georg Germann exprime aussi que les valeurs éthiques relèvent également de la notion de respect pour le passé ainsi que pour ceux qui y ont contribué et que de conserver un patrimoine architectural se voit comme un héritage à transmettre. Ainsi nous inscrivons dans une filiation qui donne un sens à notre existence et à nos actions. « Dans le domaine du bâti, il est particulièrement évident que la Raison ne demande pas seulement cette intervention par respect pour nos prédécesseurs et par sens des responsabilités envers nos concitoyens, mais aussi, tout comme la protection de la nature ou l’attention portée au langage, en vue des générations à venir . » 54 En développant cette notion de « respect » qu’il utilise, nous pouvons soulever que cette approche sentimentale est caractéristique d’une population qui se reconnait dans le travail des prédécesseurs ou qui possède une sensibilité envers cette production. Les administrations et les autorités législatives et judiciaires en charge d’évaluer l’intérêt du monument sont en effet constituées d’architectes mais aussi de politiques avertis ou engagés dans le domaine de l’architecture. Ainsi nous pouvons nous demander si les critères de « valeur historique » et de « valeur esthétique » sont objectifs ou au contraire des instruments utilisés par une petite catégorie de la population afin de justifier un désir 54
GERMANN Georg « Conserver ou démolir ? le patrimoine bâti à l’aune de l’éthique. » Collection Archigraphy poche- Infolio
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de protection en brandissant le drapeau de l’éthique et de l’héritage. L’historien Georg Germann va lui jusqu’à parler d’une motivation fondamentale en lien avec le respect qui serait la « piété ». « A mon avis, la raison profonde de l’intérêt pour les monuments historiques se trouve dans la « piété ». La piété est de prime abord une déférence affectueuse pour des parents, ou pour d’autres personnes dignes de respect. Dans la Rome antique, la Piétas était vénérée comme une divinité. Piétas est la vertu romaine du devoir accompli à l’égard des dieux, de la patrie, des parents et des enfants, envers chaque concitoyen et même envers les citoyens des provinces lointaines. Elle ne s’étend pas seulement à des personnes vivantes dépendant les unes des autres, mais aussi aux générations passées, voire aux signes destinés à rappeler leur souvenir. Ainsi la Rome impériale punissait-elle le pillage des tombes et de monuments, et obligeait-elle à les rétablir. »55 Je trouve pour ma part la prise en compte de cet élément comme juste et essentiel pour expliquer l’orientation des administrations mais aussi car en tant que future architecte je ne peux nier comprendre ce désir protectionniste envers ces témoins du passé qui forment nos références. Et il me faut avouer qu’il n’est pas facile d’accepter qu’un jour sa création ne nous appartient plus et qu’elle soit susceptible de disparaitre par le processus classique du temps ou pas la destruction soudaine d’une catastrophe. Cependant, cette intention s’éloigne de l’éthique ou suppose que ces acteurs de la patrimonialisation puissent s’exprimer au nom de la population et parler d’intérêt public sans se demander si la décision de détruire ou de conserver fasse consensus dans la société. Les nouvelles recommandations et lignes directrices de l’UNESCO et du Conseil de l’Europe tiennent compte de cet aspect, dans la mesure où ils délèguent le choix des objets à protéger, aux sociétés et communautés concernées. Il est clair que d’avoir l’approbation de chacun est chose presque impossible, toutefois nous retiendrons que l’important est d’avancer vers le futur sans jamais oublier le « respect » pour le passé, pour les prédécesseurs, pour les pertes, pour les émotions …et celui-ci passe, en architecture, par des actes concrets. A ce propos, pouvons-nous penser que s’il n’y a pas consensus de la part de la population cela peut supposer qu’il n’y a pas d’éthique et que le choix aussi justifié soit-il, n’est pas juste ou moral ? A Nuremberg, en Allemagne, une controverse alimente le débat, avec les tribunes du Zeppelinfeld, qui nécessitent une rénovation de 70 millions d’euros. Le centre des congrès, appelé aussi le Reichsparteitagsgelände, construit en 1933, est un des hauts lieux du nazisme et rendu célèbre dans les images du cinéaste Leni Riefenstahl « Triomphe de la volonté». Les habitants de la commune sont tout autant scandalisés par le prix de la rénovation, qu’ils craignent que celle-ci signifie une glorification du troisième Reich. Ce « Lieux de la mémoire internationale » est encore très visité, et c’est par sécurité pour les touristes qu’il n’est plus possible de le laisser naturellement se désagréger comme il était souhaité. 55
GERMANN Georg ibid
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Le maire de Nuremberg, Ulrich Maly, a confié au quotidien Süddeutsche Zeitung le choix cornélien qui s’offrait à lui perdu entre « mythification » par la démolition et glorification par la rénovation : « Démolir les bâtiments soulèverait une vague d’indignation internationale. Nous allons donc rénover le complexe, ce qui ne signifie pas que nous voulons l’embellir.»
C’est un débat complexe, qui révèle les problématiques d’identité de l’Allemagne. Il se pose pour chaque monument représentatif du nazisme allant jusqu’à la question du devenir de la maison natale d’Hitler à Braunau dans le nord de l’Autriche. Si certains redoutent que la rénovation d’un tel symbole du nazisme n’envoie un mauvais message aux nouvelles générations, d’autres font en revanche valoir le devoir de mémoire. Une « rénovation limitée » des tribunes serait la solution afin de ne pas « embellir » le complexe et renvoyer une image différente des intentions.
Les limites floues de la morale
La notion d’éthique est composée de respect, d’émotion, de piété, de devoir de mémoire mais aussi de morale. Elle est un enjeu fort du mémorial mais reste complexe à définir. Il est possible d’observer que dans ce nœud de la mémoire, chacun des acteurs doit faire preuve de principes moraux face à cet objet. Dans l’affaire de l’explosion d’AZF le 21 septembre 2011, le procès révèle très tôt que cet accident n’a rien à voir avec un acte terroriste et que la responsabilité, même dans le cadre d’une erreur humaine d’un seul ouvrier, revient à l’entreprise Total. Apres le nettoyage du site, la compagnie d’énergie fossile, a cédé pour « 1 euros symbolique » le terrain de 220 ha à la Communauté d’Agglomération du grand Toulouse, afin qu’ils puissent y réaliser le mémorial et le plus grand centre de cancérologie d’Europe. Il est vrai qu’il était moralement impossible pour l’entreprise de reconstruire une centrale sur les lieux, ou même de continuer d’exploiter le terrain pour en faire des profits. De nombreux experts en écologie, soulèvent cependant le paradoxe que représente la construction d’un centre de cancérologie sur ce site, dépollué sur seulement 50 cm. Finalement ce point nous rappelle, que l’éthique sert également à embellir une image et reste un outil utilisable afin d’empêcher la contestation. Encore aujourd’hui le projet du grand complexe ne cesse d’évoluer et il est intéressant de pouvoir étudier l’évolution d’une parcelle et sa transformation au travers des enjeux qu’elle génère.
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Publication dédié au nouveaux complexe du centre de cancerologie prévu sur l’ancien site d’AZF à Toulouse - Vision globale du futur projet Dossier spécial «La France en 2020»-Capital. Balloide Photo Toulouse
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Plan Masse du futur projet de canceropole réalisé par l’architecte Jen-Paul Viguier
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Deux jeunes filles qui mangent une glace sur le mémorial de l’Holocaust de Berlin.
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Dans le programme du mémorial, et son usage, le respect et la bonne conduite sont aussi de rigueur, pourtant là encore avons-nous un manuel ? Cela dépend-il des cultures ? Qui cela dérange ? Comme nous l’avons décrit précédemment, le mémorial de Berlin suscite par sa qualité architecturale, la prise de photos dite « Selfie », mais ce qui a surpris les deux journalistes de l’article, c’est l’air joyeux des touristes sur ce lieu de mémoire. Malgré la connotation dramatique qu’il représente, la convention photographique de la photo souvenir, reste le sourire. « Demander à des touristes pourquoi ils sourient au Mémorial de la Shoah, c’est débarquer dans un grand terrain de jeu avec une pancarte «Attention, mémorial» et refroidir sérieusement l’ambiance. » 56 Comme dans un lieu de culte, il y a donc un comportement à avoir lorsque nous nous rendons sur un mémorial. Nous faisons silence dans une église, nous ne sourions pas dans un mémorial. Si ce n’est pas pour respecter les morts, c’est pour respecter ceux qui souhaitent s’y recueillir, comme nous respectons ceux qui prient alors que nous ne sommes ni croyant, ni pratiquant. «Ce n’est pas parce qu’on sourit qu’on manque de respect aux victimes» disent certains et ce n’est surement pas faut mais quand l’acte dérange il devient alors irrespectueux. Fallait-il prendre un air triste ? Ne pas photographier ? Peut-être seulement rester dans la demi-mesure… «Le Mémorial doit être un lieu normal et ordinaire, en même temps qu’il doit être un lieu non normal et non ordinaire» 57 La limite de la morale n’est pas toujours claire. Le mémorial est pour tous, touristes et familles de victimes doivent cohabiter et comme sur tout espace public, lié par l’hétérogénéité de la ville et de ses usages. La prise en compte d’un autrui est primordiale. Nous pouvons voir dans les paroles de Peter Einsenmann, que le mémorial fait aujourd’hui partie du paysage urbain, de notre quotidien mais que ça ne le rend pas pour autant banal et qu’il faut accepter également de ne pas le sacraliser.
Il est important pour la morale et l’éthique de réaliser des mémoriaux, et il est bon pour le mémorial de le considérer avec morale et éthique. Nous comprenons par ce constat que ce fonctionnement provient de mécanismes intrinsèques mais aussi que la société et les institutions dictent également le comportement que nous devons avoir. Elles ne font pas que nous montrer l’exemple à suivre, elles nous imposent un devoir, un devoir de mémoire envers notre histoire et les lieux où elle se cristallise.
56 GLAD Vincent journaliste pour slade.fr «Au mémorial de la Shoah, pouquoi les touristes sourient-ils sur leur selfies?» le 18/05/2015 57 EINSENMAN peter architecte du mémorial de Berlin - ibid
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3-La mémoire spatialisée et légiférée
La conservation de la mémoire est un acte réfléchi et collégial qui impacte fortement la société et l’espace. L’histoire ne nous met pas toujours en position de victime, et le mémorial représente aussi les fautes commises. La définition de lieu de mémoire ne prend pas en compte la difficulté du quotidien sur les lieux d’un passé sombre. C’est également en cela que divergent histoire et mémoire. L’histoire objective détermine l’importance du lieu, la mémoire subjective la douleur qu’il évoque. Ces deux notions sont si distinctes qu’elles sont spatialisées différemment, entre mémorial et centre d’interprétation. Elles se rejoignent toutefois sur un point, l’importance de ne pas oublier, l’obligation au devoir de mémoire. La complexité de la conservation de la mémoire
« Un lieu de mémoire n’est pas une destination comme les autres. Il n’existe pas en soi, mais par un regard spécifique, le regard de celui qui se souvient et le fait devenir et demeurer le réceptacle d’un passé toujours vivant dans les mentalités et les sensibilités collectives ».58 A la suite de la chute du mur de Berlin, un tournant va s’opérer. La mémoire nationale, qui célébrait les héros pour leur courage sur le champ de bataille ou pour leur combat intellectuel ou politique va laisser place à un hommage aux victimes et aux peuples. L’exemple le plus flagrant fut l’élaboration des divers monuments pour les victimes de la Shoah. Sur le territoire national, nous passons d’une commémoration des « morts pour la France » aux « morts à cause de la France ». Et aujourd’hui dans « une compétition victimaire », la reconnaissance de la traite des Noirs comme crime contre l’humanité en 2001, entraine une prise de conscience des nombreux pays responsable de leur mise à l’esclavage et la programmation de la construction de premiers mémoriaux conséquents. Appréhender ce type de patrimoine est loin d’être évident tant du point de vue de la conservation que de la valorisation. En effet, quel sens donnons-nous au souvenir des conflits ? Comment ces lieux doivent-ils être assumés et vécus ? « Du fait que les bâtiments ont en règle générale une durée de vie dépassant largement celle des humains, tout édifice peut-être réinterprété. […]Dans un monde où l’architecture serait constamment renouvelée les usagers ne sauraient comment se comporter, ni comment se mouvoir, dans des espaces et des édifices dont ils ignorent la signification. La conservation monumentale vise donc à maintenir la lisibilité de l’espace architectural. »59 58 URBAIN Jean-Didier - ibid 59 SCHNELL Dieter - « Conserver ou démolir ? le patrimoine bâti à l’aune de l’éthique. » Collection Archigraphy poche- Infolio
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Comme le souligne Dieter Schnell ce n’est pas seulement la lisibilité de l’espace que la conservation de la mémoire implique mais bien celle de notre histoire véhiculée par ces monuments d’une grande pérennité. Notre histoire spatialisée, notre mémoire construite, nous permet de garder des repères spatio-temporels. Nous juxtaposons des espaces de temporalités et de mémoires différentes, constituant la diversité de la ville. Marie-Anne Sire, conservatrice en chef des monuments historiques, estime que « le lieu de mémoire doit être renouvelé matériellement pour qu’il parle toujours de la même histoire ; qu’il est un lieu qu’il faut “faire vivre” sans cesse ». 60Elle évoque un « cas de conscience permanent » pour les conservateurs quant à la préservation des traces de la barbarie. Un objet, explique Pierre Nora, « devient Lieu de mémoire quand il échappe à l’oubli, par exemple avec l’apposition de plaques commémoratives, et quand une collectivité le réinvestit de son affect et de ses émotions. »61 Toutes ces questions sont évidemment complexes, les avis divergent. Françoise Choay estime, par exemple, que les camps d’extermination ne sont en aucun cas des monuments, mais des « reliques », des lieux sacrés qu’il ne faut pas muséifier : « La charge traumatique et affective de ces lieux, simplement encadrés, circonscrits et ainsi désignés à la piété des générations survivantes, tient à leur nature même de témoins, de reliques. Le travail de mémoire n’y est possible qu’à condition d’en exclure toute fonction utilitaire et quotidienne. (…) On n’habite pas Auschwitz. On vient s’y recueillir». 62
En affirmant qu’il n’est pas raisonnable d’en faire des musées, elle déclare aussi qu’il n’est pas possible de vivre sur un lieu de mémoire. Les habitants d’Auschwitz, nous parlons ici de la ville proche du camp et présente avant les faits, souffre de la stigmatisation comme lieu d’horreur. Dans un cas comme Oradour sur Glane, c’est le rang de patrimoine qui freine la vie des habitants, dans le second, la charge mémorielle qui détruit l’image à tout jamais. Cette problématique de la préservation se pose sans doute d’autant plus pour les lieux de la déshumanisation, et de barbarie. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, la menace de la répétition potentielle d’un évènement tel que la Shoah semble, d’après les institutions et les expériences du passé, une réalité à ne pas sous-estimer. Ainsi les lieux de mémoire sont dès lors des destinations particulières, qui permettraient à la collectivité de lutter contre l’oubli, et de sauvegarder une conscience historique mais ne peuvent être des lieux de vie. 60 SIRE Marie-Anne colloque « La protection des lieux et des objets de mémoire au titre des monuments historiques : sa force et ses ambiguïtés », 61 NORA Pierre «les lieux de mémoire» 1984 62 CHOAY Françoise dans l’ouvrage « Pour une anthropologie de l’espace » édition Seuil, La couleur des Idées, octobre 2006. Page 341.
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A New York, pourtant, la place réalisée pour le mémorial du 11 septembre 2001 est aujourd’hui un lieu central de ville, et une place vivante. Les questions commémoratives et de Lieux de mémoire ont été théorisées en premier lieu par un des grands historiens français, Pierre Nora dans plusieurs volumes intitulés « Les lieux de mémoire » dans les années 1990. Pour Pierre Nora, La notion de « lieux » est à prendre dans un sens métaphorique car il ne désigne pas seulement un espace mais le plus souvent des symboles (emblèmes, formules, devises …) et institutions (fêtes nationales). Il apparaît, au regard des différentes lectures, que la notion s’est par la suite matérialisée et spatialisée. Assimilés à des édifices et des sites, les lieux de mémoire sont devenus le support de commémorations, des lieux où s’est cristallisée et s’est réfugiée une mémoire collective. Henry Rousso, historien français, spécialiste du XXe siècle et notamment de la Seconde Guerre mondiale, affirme qu’il n’est pas nécessaire de conserver spatialement les drames, pour former une mémoire autour d’eux. “On assiste en Europe, ces dernières années, à une patrimonialisation du crime et à la constitution d’une mémoire négative (…), où tout lieu lié à l’histoire traumatique du siècle se doit d’être conservé comme si le souvenir ne pouvait s’incarner que dans la dimension matérielle, patrimoniale et non plus dans le registre symbolique. C’est le cas de Drancy : il aurait été regrettable de raser la Cité de la Muette, mais l’aurait-on fait que cela n’aurait pas forcément entraîné une déficience de mémoire” 63 Nous voyons dans cette dimension symbolique du lieu de mémoire, une réelle possibilité à exploiter pour les mémoriaux de notre génération, et celles à venir. Elle ne ferait pas disparaitre l’espace mais permettrait de mixer les éléments. Nous ne serions pas obligés de conserver toutes les traces du passé mais simplement de l’évoquer afin de révéler son histoire. En plein centre-ville comme à New York, ou sur site aux proportions démesurées comme à Toulouse sur le complexe d’AZF, les problématiques de conservations sont différentes de celle d’Oradour sur Glane et la symbolique du mémorial est une solution idéale.
Entre vérité et émotion, l’apparition d’une institution : le centre d’interprétation :
Il est nécessaire d’éclaircir également un point de notre étude, à la source de beaucoup de débats chez les sociologues et historiens qui tentent d’analyser les lieux de mémoire. Il y a en effet une réelle dichotomie entre histoire et mémoire qui ne nous permet pas de les aborder de la même façon. 63 ROUSSO Henry , historien français, spécialiste du XXe siècle et notamment de la Seconde Guerre mondiale, dans “Le patrimoine, indice du rapport de la société à l’histoire”, Le Monde, 27 novembre 2001
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Le célèbre historien des lieux de mémoire, Pierre Nora a dédié à ce sujet une étude dans son ouvrage « Entre Mémoire et Histoire, la problématique des lieux. » où il expose que le travail de l’historien se distingue d’un simple travail de mémoire et qu’il doit dans une certaine mesure se méfier de celle-ci. La mémoire est alors définie comme sélective, émotive, particulière, multiple, vivante, et sacralisante. Si bien que dans les acteurs du passé, les témoignages peuvent être différents selon les points de vue de chacun. Ils sont alors étudiés et vérifiés, servant d’outils de bases de recherches mais jamais pris comme vérité absolue. Le témoin est présent pour éclairer une période mais c’est à l’historien qu’incombe le rôle de l’expliquer par son recul et son point de vue extérieur. L’histoire est une approche intellectuelle et critique du passé, à prétention universelle. Elle aspire à une explication du passé véridique, permettant de saisir une unité, une continuité dans le déroulement des évènements. L’historien de la Seconde Guerre mondiale, Henry Rousso soutient la thérorie de Pierre Nora en considérant que « la mémoire relève d›une approche sensible, individuelle, presque sentimentale du passé, qui abolit la caractéristique première de l›histoire historienne, à savoir la mise à distance». 64 Ainsi là, où la mémoire divise, l’Histoire est censée réunir. Nous remarquons dans l’objectif de l’Histoire, la recherche d’une vérité, d’une connaissance qui se veut objective de l’expérience des hommes dans le temps. Cette rationalité qui pousse l’histoire à prendre une valeur universelle oppose nos deux thématiques. Notamment car la transmission du témoignage est l’objectif de la mémoire, la rendant alors individuelle et plurielle. Certes la construction de la mémoire personnelle met en jeu les codes sociaux de la mémoire dite collective, mais l’individu y injecte son vécu, ses propres souvenirs et son interprétation. Maurice Halbwachs, sociologue français de l’école durkheimienne qui a beaucoup étudié le concept de mémoire collective, part du postulat d’une histoire qui serait du côté d’une physique sociale hors du vécu et s’efforce de distinguer en tout point histoire et mémoire, mais cette fois en défendant l’importance du souvenir. D’un côté, la mémoire est entièrement du côté du vécu, alors que « les événements historiques ne jouent pas un autre rôle que les divisions du temps marquées sur une horloge, ou déterminées par le calendrier. » 65L’histoire se trouve donc reléguée à une temporalité purement extérieure, un temps du dehors. Elle se trouve sur le versant de l’écart théorique alors que la mémoire est concrète et s’atteste par de multiples lieux de cristallisation. 64 ROUSSO Henry , « Réflexions sur l’émergence de la notion de mémoire», in Histoire et mémoire, CRDP de Grenoble, 1998. 65 HALBWACHS Maurice, La mémoire collective,, Paris, 1950, Albin Michel, Paris, 1997, p. 101
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Plan du village des martyrs destiné aux visiteurs indiquant l’entrée du centre d’interprétation
Vues du centre d’interprétation d’Oradour sur Glane - depuis l’esplanade et depuis l’entrée
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Pour Maurice Halbwachs ces deux dimensions sont même décalées car « l’histoire ne commence qu’au point où finit la tradition, au moment où s’éteint ou se décompose la mémoire sociale. » « Dans le développement continu de la mémoire collective, il n’y a pas de lignes de séparation nettement tracées, comme dans l’histoire. » 66 Sa théorie ne s’oppose pas à celle de Pierre Nora, car chez ces deux spécialistes du passé et comme c’est le cas depuis peu dans les consciences nationales, histoire et mémoire sont à dissocier, mais Maurice Halbwachs ne relègue pas la mémoire à un élément purement incertain et en perpétuelle évolution obligeant la méfiance. Il considère par le prisme du phénomène de la mémoire collective, que cet élément est bien trop fort et présent et qu’il doit être pris autant en compte que l’Histoire dans l’étude de notre passé. Les mémoriaux, si comme leur nom l’indique, sont attachés à la transmission de notre mémoire, il n’en reste pas moins des témoins d’un fait historique retraçant des dates, des noms de disparus et soulignant un évènement dans notre calendrier. D’autre part, si les mémoriaux jouent sur l’émotion et que les faits historiques sont centrés sur la perte et la douleur qui en résulte, c’est que l’humain intègre et s’approprie plus facilement des éléments qui l’ont marqué, qui le touche personnellement. Ainsi les concepteurs de mémoriaux s’attachent de plus en plus à travailler un parcours émotionnel et intellectuel, afin de sensibiliser les visiteurs, en jouant sur l’affect. Nous verrons, de plus, dans notre troisième hypothèse que cette prise en compte du facteur émotionnel a une vraie incidence sur la conception spatiale. Si actuellement mémoire et histoire sont dissociées dans les disciplines de l’étude du passé, elles le sont également spatialement. Le mémorial est devenu progressivement un témoin de l’émotion, s’éloignant de la simple narration véridique de l’évènement. Dans cette perspective, un nouveau programme est apparu afin de combler le manque d’information : le centre d’interprétation. Initialement prévus dans les parcs nationaux et dans les activités artisanales, ces programmes apparaissent de plus en plus associés aux mémoriaux. Ils ne peuvent être considérés comme des musées, ne possédant aucune œuvre et sont plus associés aux sentiers pédagogiques qu’aux parcs à thème. Les centres d’interprétation ont pour fonction de mettre en valeur et de diffuser les richesses d’un patrimoine et d’un site. Destinés à accueillir un large public, ces monuments retracent l’histoire du lieu de façon didactique et s’ils ne peuvent exposer d’objets de valeur, ils ne sont pas pour autant dépourvus de scénographie très étudiée. Sur l’éventail des loisirs culturels proposés aux touristes, ils apparaissent comme des référents scientifiques, une source de connaissance, de vérité sur le patrimoine auquel ils sont liés. Nous parlons, ici, d’un patrimoine singulier et impossible à réunir dans un musée classique, comme c’est le cas pour les ruines d’Oradour sur Glane, ou encore de la mémoire de la Shoah, sujet très vaste et diffusé partout en Europe. 66 HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Alcan, Paris, 1925, Albin Michel, Paris, 1994.
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Vue aérienne du Mémorial Holaucaust de Berlin - Peter Einsenmann
Maquette coupe du Mémorial Holaucaust de Berlin et son centre d’interpretation Peter Einsenmann
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Dans le premier, l’implantation du centre se fait 55 ans après les faits de cette atroce après-midi du 10 juin 1944, et permet de mettre en lumière non pas les raisons, car ce serait justifier de tels actes, mais le déroulement des faits historiques durant l’occupation allemande qui ont provoqué une telle horreur. Et dans la mesure où le dénouement des faits sont longtemps restés flous et les coupables difficilement jugés (situation des alsaciens dans l’armée allemande, et procès d’après-guerre focalisés sur la découverte des camps), établir la vérité était aussi importante pour les familles des victimes que la reconnaissance de l’horreur par la patrimonialisation du site. De plus, lors d’un entretien avec Martial Boussicault, responsable de la conservation du site d’Oradour sur Glane, nous apprenons que de nombreux visiteurs (étrangers et jeunes générations) ne sont pas informés des raisons de la destruction de ce village, et pensent que les ruines sont les restes d’un bombardement. Ainsi le centre d’interprétation permet d’empêcher une autre interprétation de l’histoire et d’enseigner aux générations futures l’histoire de la nation lorsqu’elle n’est pas relayée autrement. Il sert alors à assurer la pérennité de la mémoire collective. Dans la situation du centre d’information de Berlin, pour le mémorial aux juifs d’Europe assassinés, la commande a été réalisée en même temps que le mémorial obligeant les concepteurs à associer ces deux programmes. Le mémorial sous forme d’immense place publique de Peter Einsenman se situe au-dessus de monument sous-terrain de la scénographe de musée allemande Dagmar von Wilcken faisant ainsi son toit. Nous y voyons ici comme un symbole de la mémoire s’appuyant sur l’histoire. Le mémorial de New York reprend également cette disposition, utilisant les fondations des anciennes tours comme fond de scène du discours retranscrit. Ainsi dans le parcours, surtout dans le cas d’Oradour sur Glane où le sens de visite se réalise depuis le centre d’interprétation, notre cerveau intègre en premier lieu les faits historiques, les témoignages, le contexte, puis découvre les ruines, les objets rouillés et les maisons où vivaient les victimes. Nous avons ainsi le sentiment de souvenir lorsque nous nous retrouvons dans l’église sans toiture. Nous faisons personnellement l’aller-retour entre le visage observé sur les panneaux de l’exposition et le nom gravé sur le mémorial ou l’entrée des anciennes habitations. Ces ruines ne sont pas vides, comme des ruines gallo-romaines, mais encore pleines de fantômes. Malgré le caractère éducatif du lieu, nous retrouvons certains aspects jouant de nouveau sur l’émotion, à la différence des musées où l’information est neutre sur mur blanc. Le recours privilégié aux sentiments révèle une concrète volonté de partager des valeurs en utilisant l’affect pour transmettre un discours. En transition entre le centre d’interprétation d’Oradour sur Glane et le village des martyrs, une salle vide à la lumière tamisée est dédiée à « la réflexion ». Le concepteur, offre la possibilité ou impose au public, de prendre un temps pour intégrer ce qu’il vient de lire et se préparer à la violence de la vue des ruines. Des messages sont inscrits sur le sol. Les citations
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de grands écrivains ou philosophes, retranscrivent l’importance de la mémoire dans la protection de notre futur. Autrement dit, il est bien entendu, que nous devons par-là mesurer la gravité de l’évènement, marquer un respect, une minute de silence, pour les disparus. Nous ne sommes pas dans une muséologie de l’objet mais bien dans une muséologie de l’idée. Anne Bourguon, chargée du patrimoine à la mairie de Bobigny et auteur, voit même dans ces nouveaux monuments une nouvelle forme d’institutionnalisation : « Les récents projets muséographiques d’Oradour-surGlane inaugurés en 1999 et celui en cours d’élaboration du Struthof (camp de prisonniers politiques et également raciaux) […] témoignent également de cette institutionnalisation et de ce passage de la mémoire à l’Histoire… » 67 Pour conclure, nous en déduirons que l’utilisation de l’émotion dans le cadre du mémorial permet de s’approprier des faits historiques avec lesquels nous sommes en distance et ainsi de mieux transmettre notre passé. De même, l’emploi de l’histoire dans le témoignage vécu de la mémoire, rend celui-ci avéré et non contestable. Ainsi la mémoire, l’histoire, le mémorial et le centre d’interprétation sont des outils importants et efficaces d’une forme d’institutionnalisation passant par le devoir de mémoire.
Une mémoire « prescrite »
En ce qui concerne la notion de devoir de mémoire, elle est à aborder avec une grande vigilance. L’expression appartient aujourd’hui en France au langage courant. Son utilisation se banalise dans les médias, les déclarations des hommes politiques, les discours des responsables religieux ou associatifs. Elle s’inscrit dans une longue liste : lieux de mémoire, chemin de la mémoire, politique de la mémoire, ministère de la défense mémoire et patrimoine… qui traduit donc, de la part des contemporains, un nouveau rapport au passé. De cette façon, elle prend presque un caractère essentialisant (pour la nation, les institutions), elle est érigée ainsi en une entité au même titre que la liberté ou l’égalité par exemple. Nous l’essentialisons, la sacralisons même sur l’espace public avec les mémoriaux comme nous le faisions avec les Marianne. La mémoire a déjà été sacralisée par les Grecs sous forme d’une déesse appelée « Mnémosyne «. Ils en ont fait la clef de toute connaissance, et une source de l’humanisation. Ils l’ont mise à la base de l’édifice social, en récitant sans fin la généalogie des dieux, l’origine des peuples, ou même encore l’origine des mots. 67 BOURGUON Anne - LA CITE DE LA MUETTE A DRANCY: AMBIGUÏTES, DIFFICULTES ET PERSPECTIVES DE L’HERITAGE
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Or beaucoup de sociologues et anthropologues réfutent ce caractère essentialisant véhiculé par le discours social car la mémoire n’est pas la morale. Personne ne devrait nous dire ce dont nous devons nous souvenir ou non, car mémoire n’est pas histoire. L’expression « devoir de mémoire » entre dans le dictionnaire Larousse en 2003 avec pour définition : «L’obligation morale de témoigner, individuellement ou collectivement, d’événements dont la connaissance et la transmission sont jugées nécessaires pour tirer les leçons du passé. 68» Le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel, annonce clairement que la motivation principale dans la volonté de connaissance de notre histoire, est « que l’on croit pouvoir en tirer un enseignement moral et c’est souvent en vue d’un tel bénéfice que le travail historique a été entrepris»69. Le mémorial est un témoin qui cherche à créer une mémoire collective autour de nos erreurs dans le but de ne pas les reproduire. Il serait comme une réponse à la perte physique et mentale, en prévention des déficiences de la mémoire. Mais qui est dans le devoir ? Devons-nous nous rendre chaque année comme le chef d’Etat le fait sur les stèles mémorielles des précédentes guerres ? Nous apprenons notre histoire grâce à l’enseignement de nos écoles mais comment l’Etat peut-il s’assurer que tous se souviennent ? Quels sont les dispositifs ? Le devoir de mémoire est, par définition, la responsabilité morale des Etats de rappeler à leur peuple les souffrances et les injustices subies par certaines populations. Par ce devoir moral l’Etat se devrait non seulement d’entretenir le souvenir des souffrances subies dans le passé, mais aussi d’avouer leurs responsabilités permettant parfois d’offrir une explication aux familles, allant jusqu’à même demander pardon. Ce devoir apparaîtrait en réaction à l’amnésie collective, qui est l’action d’occulter certains actes ou certaines réalités de l’histoire. Cette action s’apparente au déni, permettant de garder une version souvent plus positive des actes réellement commis. Il est vrai qu’il a fallu pour la Shoah, grande horreur de notre culture, un certain temps avant d’être reconnue comme telle. Les écrivains comme Primo Levi, ancien survivant des camps, et les puissantes associations ont largement contribué à instaurer le devoir de mémoire envers ce crime. Aujourd’hui personne ne vit hors de cette histoire et il est possible de commémorer les victimes sur l’un des innombrables sites. Le passé occupe une place importante dans notre société. Il est vu comme le ciment de notre nation, nous le connaissons tous, au contraire du futur trop incertain pour y instaurer des valeurs. Selon Maurice Halbwachs, sociologue français, « la mémoire est imminente, elle 68 « Devoir de Mémoire », in Dictionnaire Larousse, Paris, Editions Larousse, 2003, p. 376 69 HEGEL, La raison dans l’histoire, introduction à la philosophie de l’histoire, 10/18
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Je me recueille Tu te recueilles Il se recueille Nous nous recueillons RECUEILLEZ-VOUS Ils se recueillent
Panneaux indicatifs à l’éntrée du Village des Martyrs - Oradour sur Glane
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constitue une matrice organisatrice de la société, et notamment des rapports sociaux. Elle se nourrit de l’histoire individuelle ou collective, elle perpétue le passé dans le présent, mais en même temps se réorganise, pour chacun à chaque moment de son existence, de même que pour la société toute entière, en fonction des situations des évènements, des grands débats qui, à chaque époque la travaillent. »70 Il explique ainsi que les divers groupes de la société sont capables, à chaque instant, de reformuler le passé. La mémoire n’est pas une faculté obéissant à ses lois invariables mais est-il nécessaire de légiférer pour assurer le «devoir de mémoire»? Alors, « n’oublions pas », mais comment ? Avec des minutes de silence, des défilés, des chef d’Etats qui montrent l’exemple devant les mémoriaux ou pendant des marches de souvenir, en créant des jours fériés, en votant des lois , en gravant des noms, en imprimant des premiers pages de journaux, en construisant des monuments ou en conservant d’autres…. Car l’oubli n’a pas bonne presse, ni au regard de la logique, ni au regard de l’éthique. Nous sommes conscients d’être soumis à une obligation de mémoire permanente, la nuance étant qu’elle n’est pas imposée seulement par les autorités mais qu’elle relève d’un investissement collectif. Certains voient dans cette reconnaissance un moyen essentiel à la résilience pour la reconstruction des individus et des sociétés après les crises, d’autres une façon d’éviter la rupture de la chaine de transmission. C’est également une solution pour uniformiser la lecture de l’Histoire, combattre ainsi certains courants comme le négationnisme. Parfois, cette obligation de mémoire sert de récupération politique du passé ou des évènements, comme nous avons pu le constater avec la présence de nombreux chefs d’Etats, lors de la marche en mémoire aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. « Le maintien de notre équilibre implique donc la sauvegarde de ce patrimoine, ainsi que la garantie de son avenir afin de le transmettre aussi intact que possible aux générations ultérieurs. » 71 L’espace participe à la création et au maintien d’une société, il lui faut des représentants spatiaux de l’unité nationale. Dans un pays que l’on dit en grande « division », le mémorial est notre nouvelle Marianne, messager de l’histoire autour d’une mémoire commune. Ainsi, lorsque nous apprêtons à oublier un évènement, trop loin de notre génération, il y a son demi-siècle d’anniversaire puis son centenaire puis… nous construisons un autre mémorial. A notre Dame de Lorette, plus grande Nécropole de France de la Première Guerre Mondiale, un Anneau de la Mémoire vient d’être inauguré, le 11 novembre 2014, 70 HALBWACHS Maurice, « Les cadres sociaux de la mémoire », Paris, Les Presses universitaires de France, 1952 71 SCHNELL Dieter - « Conserver ou démolir ? le patrimoine bâti à l’aune de l’éthique. » Collection Archigraphy poche- Infolio
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comme monument commémoratif du centenaire de la Grande Guerre. Sur un site où de nombreux soldats de différentes nationalités sont morts, ce mémorial est le premier à être international, en réunissant tous les noms sans distinction, simplement par ordre alphabétique. « Anneau synonyme à la fois d’unité et d’éternité : unité car les noms forment dès lors une sorte de chaîne humaine, éternité puisque les lettres s’enchaînent sans fin,[…]. » 72 Philippe PROST, architecte du mémorial.
Symbole de paix, et d’union des pays, il représente la nouvelle France, la nouvelle Europe. Nous avons la possibilité de réécrire l’histoire, car elle « s’écrit désormais sous la pression des mémoires collectives. » pierre nora N’avons-nous pas peur de trop la solliciter, de la surcharger, voire de la saturer ? Piere Nora trouvait que dans cette inflation de la commémoration nous subissions la « tyrannie de la mémoire ». « Mémoire collective, devoir de mémoire, travail de la mémoire, abus de la mémoire, etc….A la limite, on ne parle plus que de cela, on n’écrit que sur ce sujet. Quand il n’est pas directement question de « mémoire », c’est la commémoration qui vient au premier plan de l’actualité, le patrimoine, les journées du patrimoine, toutes les formes de muséification du passé. Le passé vient nous visiter en permanence, à l’échelle mondiale. »73
La notion de patrimoine ne cesse d’évoluer, transformant par la même les outils de transmission ou en créant d’autres. Alors, le mémorial devient patrimoine commun comme « porte- parole » pérenne d’une dimension éthique, d’une émotion, d’un évènement et le centre d’interprétation prend le relais de la lecture de l’histoire et du discours moral autour de la mémoire. Sans réellement comprendre pourquoi, nous éprouvons de l’empathie pour des personnes qui nous sont inconnues alors nous nous recueillons par respect. D’après tous ces éléments, les mémoriaux semblent être des outils de gouvernance et de régulation sociale par les pouvoirs publics. Ils sont destinés à agir sur les individus pour constituer une mémoire commune et avoir un impact sur la mémoire individuelle. Le mémorial, unificateur de société, réunit autour d’un évènement, d’un espace, mais aussi autour d’un discours. 72 «Anneau de la Mémoire : quand l’architecture unit des ex-ennemis de la Grande Guerre» 14/11/14 73 ROBIN Régine, historien sociologue et écrivain «La mémoire saturée» - un ordre d’idée Stock 2003
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« De quelle utilité pour l’homme moderne est cette contemplation « monumentale » du passé ? » Nietzsche.
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III - De la commande à la pratique : Une expérience spatiale et émotionnelle dans une approche formelle de plus en plus libre.
La difficulté et l’intérêt de ce travail de mise en espace de la mémoire réside dans la recherche constante de cohérence entre les enjeux, le discours, et les attentes de la société. Pourquoi le mémorial a-t-il pris la forme de monument ? Que révèle l’architecture dans la société pour devenir l’élément le plus propice à la transmission, à l’institutionnalisation ? Il s’agit ici de comprendre le choix de l’expression de la mémoire sous la forme monumentale et d’analyser les parcours et le discours du concepteur. Dans un premier temps, le mémorial nous apparaitra comme un artéfact de la mémoire, proposant de faire consensus dans la société. Le programme de cet édifice est libre mais loin d’être banal. L’architecte est non seulement soumis à la dure responsabilité de la portée de l’histoire mais aussi aux attentes du réseau d’acteurs qui gravitent autour de la mémoire. Ensuite, la mise en comparaison d’exemples de mémoriaux illustrera l’évolution spatiale de cet édifice et les nouvelles formes qu’il occupe aujourd’hui dans la ville. Finalement, Les mémoriaux actuels cherchent à faire sens auprès du visiteur en s’appuyant sur des émotions. Les concepteurs utilisent des symboles, des matérialités qui tendent à transmettre un message et à provoquer des émotions compréhensibles par tous. La mémoire est transmise par l’expérience vécue.
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Croquis «I am a monument» de Robert Venturi, Learning from Las Vegas, 1972
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1 – Le mémorial: Un artefact pour la mémoire.
Nous avons étudié la fonction première du mémorial, ainsi que les enjeux et raisons qui le constituent et l’appliquent dans notre société, cependant nous n’avons pas questionné sa forme. Il existe de nombreuses façons de lutter contre l’oubli, de travailler la mémoire ou d’institutionnaliser le discours autour de l’histoire, et le mémorial se dessine dans la spatialité, la monumentalité. A cet égard, il nous semble important d’étudier ce comportement, car de ce fait le mémorial s’implante dans l’espace public et travaille à la formation des vides urbains. Il s’agit ici de prendre de la distance avec notre connaissance actuelle du mémorial comme monument lié à un programme et à des enjeux, et de l’exposer comme un objet, un outil construit par l’homme dans le but de se souvenir d’un évènement. Ainsi le mémorial est un artéfact.
Artefact construit
Si nous étions quelques minutes archéologues, et que nous découvrions un mémorial sans connaître sa fonction, nous remarquerions rapidement que nous ne pouvons pas y vivre, qu’il n’est nullement lieu d’habitation. Sans signes apparents de culte, car le mémorial est bien laïque, nous chercherions à connaitre l’utilité de cette espace, sa fonction. Il serait alors dans la recherche de l’archéologue un artefact, un objet « produit et utilisé par des hommes pour exercer l’une de leurs activités. ». Les nombreux artefacts, les ustensiles, découverts lors des fouilles, se retrouvent aujourd’hui dans les musées : des premiers silex taillés servant de couteaux aux premières poteries ou outils d’écriture, ils ont une valeur patrimoniale importante et permettent d’étudier et de comprendre des objets, des comportements et des civilisations liés au passé. En anthropologie, l’artéfact est un produit ayant subi une transformation, même minime, par l’homme, et qui se distingue ainsi d’un autre provoqué par un phénomène naturel. Le mémorial n’est pas naturel, il bien construit et même s’il appartient pour nous à un autre temps, s’il semble inscrit dans notre paysage, il est apparu sous cette forme de la main de l’homme. Nous avons abordé dans notre processus d’analyse, le mémorial comme un archéologue qui réalise une enquête afin de comprendre tous les aspects de l’objet tant au travers de nos études de cas que de façon plus générale sur les mémoriaux et monuments aux morts. Tout d’abord, l’analyse commence par une description précise de l’artefact : lieu exact de découverte, matériaux, type d’objet (vaisselle, outil, etc.) et sa fonction (cuisine, pêche, chasse, etc.). Cette étape est essentielle pour associer correctement l’artefact à un lieu, une époque, etc. Ensuite, il faut établir une documentation sur celui-ci, en se basant sur les différentes collections et les répertoires déjà existants pour situer l’artefact trouvé par rapport aux autres. Finalement, l’analyse des matériaux détaillée, peut ainsi permettre d’identifier le lieu de fabrication de l’artefact, les techniques de façonnage employées et son utilisation précise.
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Cette méthode d’étude permet d’interpréter l’objet aux travers de différentes questions : 74
-Quoi ? De quel objet s’agit-il ? Quelles sont ses propriétés (matériaux et fabrication) ? Comment était-il utilisé ? -Où ? Où cet artefact a-t-il été produit ? Où était-il utilisé ? -Quand ? Quand a-t-il été produit ? Quand fut-il utilisé ? -Qui ? Par qui l’objet a-t-il été produit ? À qui servait-il ? Qui l’a conservé ? -Pourquoi ? Quelle est la signification de l’artefact ? Pourquoi cet objet a-t-il été conçu ? Et ainsi cela rend possible la réflexion sur la signification de l’artefact, vu comme un objet lié à un contexte historique et social, au travers de sa fabrication et de son utilisation. Puis nous tentons de définir quelle valeur était attribuée à l’artefact par son fabricant et son utilisateur, afin de savoir pourquoi nous devrions le conserver, et quelle importance a-t-il par rapport à l’histoire locale, régionale, nationale ou internationale ? Si le mémorial est bien un artefact servant à la mémoire des hommes, pourquoi a-t-il pris la forme d’architecture et pas celle d’une image, d’un livre, d’une phrase...? Nous retrouvons une grande pluralité de témoins lors d’un choc. Les objets laissés sur place dans les débris, les survivants, les images prises par les médias ou les artistes peintres dans une époque lointaine, les écrits des familles, des habitants, des experts … Au premier abord, l’image nous parait être un témoin logique, étant un art transportant un message au même titre que l’architecture, cependant elle peut être interprétée de plusieurs façons et à plusieurs moments, par le créateur et par l’observateur. Et même si cette problématique se retrouve dans toute œuvre architecturale, elle ne dépend pas d’un regard subjectif par le cadrage, la couleur, l’échelle, comme c’est le cas dans la photo. Nous perdons l’objectivité de la spatialité que nous pouvons pratiquer, et expérimenter pas nous même. L’image alors ne suffit pas face à la sensation de l’espace. Il y a alors cette dimension du vécu qui prend tout son sens dans la mémoire d’un évènement historique. Nous conservons l’espace ou nous le créons afin que chacun s’approprie l’histoire, la revive. Ce vécu, nous est pourtant retranscrit dans le discours des survivants, mais le temps, la langue et la véracité sans interprétation de point de vue rend de nouveaux cet élément difficilement utilisable comme témoin de mémoire. Les témoignages s’apparentent à la mémoire communicative, qui implique la mémorisation de l’évènement par transmission orale. Malheureusement, de nombreuses études montrent que cette transmission ne va pas au-delà de 3 générations, et que le discours ne reste pas toujours exact. A cela s’oppose la mémoire culturelle, fixé dans l’écriture ou les monuments, qui offrent alors à l’histoire une possibilité de traverser les générations. L’image et le témoignage sont utilisés par les historiens comme des outils de preuve de l’évènement et permettent par la citation et la comparaison photographique de rendre l’ouvrage écrit plus vivant. Toutefois, il est complexe de diffuser un écrit qui se doit d’être 74
http://www.mccord-museum.qc.ca/fr/eduweb/interpreter/
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complet sur toutes les facettes de l’évènement, accessible et compréhensible par tous. De plus, l’archéologie est là pour nous prouver que la « mémoire de pierre » subsiste souvent seule, les autres supports ayant cessé d’exister. Il n’est donc pas surprenant que le souvenir des morts au combat ait pris une forme lapidaire. Toutefois, même si elle plonge ses racines dans l’histoire lointaine, la réalisation de ces édifices en France n’est guère plus que centenaire. C’est qu’elle traduit à la fois la constitution d’une nation et la prise de conscience de l’individu dans cette nation. Cette « mémoire de pierre » émane d’abord d’un mouvement de société, que l’État a davantage accompagné que conduit. Nous créons alors des lieux à l’endroit des drames, interpellant les passants, devenant point d’arrivée des visiteurs, qui rassemblera les groupes, traversera les générations, et sera, qui sait, un jour trouvé par un archéologue…. « Le monument [commémoratif], en effet, était traditionnellement défini comme le garant, par l’apparente permanence de son ancrage au sol, de la permanence d’une idée ou du souvenir particulier qui lui sont attachés. Dans cette perspective, le monument reste essentiellement insensible au temps et au changement, relique inchangée témoignant d’une personne, d’un évènement, ou d’une époque. » 75 Finalement, l’architecture est par essence monument de mémoire sociale dans la mesure où se transmettent d’âge en âge les traces construites laissées par les générations passées et permet d’unifier autour d’une mémoire collective. Le mémorial comme monument, s’accroche à la grande pérennité de la ville, qui s’étale, mute se refait sur elle-même mais surtout se constitue de temporalité différentes permettant alors d’accepter un représentant du passé
1% d’art 100% de mémoire
Hors de sa fonction de commémoration, de rassemblement, d’espace, de morceaux de ville, le mémorial s’apparente à une œuvre d’art. Il porte en lui une valeur esthétique importante, ainsi qu’une capacité à créer des émotions, par la représentation du drame mais aussi par son travail spatial. Certains d’entre eux, comme le mémorial d’AZF sont réalisés par des artistes, et d’autres sont soumis à la loi du 1% artistique, composant alors l’architecture et l’art sur un même espace. La mémoire est source de créativité, matière à critiquer, inspiration permanente par l’évocation du passé, de l’oubli, du rêve…De nombreux artistes ont travaillé cette notion de mémoire, en dehors de la commande de marché public, et alimentent le patrimoine mémoriel lié aux chocs. Certaines œuvres ont par ailleurs une réelle vocation à engendrer un moment de commémoration et c’est à celles-ci que nous nous intéresserons. L’un des plus connus dans ce domaine, souvent associé à la mémoire de la Shoah, est l’artiste plasticien français Christian Boltanski. C’est à l’occasion de Monumenta 2010, dans la nef du Grand Palais, que Boltanski met en place l’installation « Personnes ». Le titre de l’exposition est déjà rien qu’à lui seul très évocateur de l’œuvre de Boltanski. 75 YOUNG J. E., « Ecrire le monument : site, mémoire, critique », Annales ESC, mai-juin 1993, p. 733
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Installation «Personnes» au Monumenta 2001 dans la nef du Grand Palais
Installation 10 000 visages au Musée Juif de Berlin
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En entrant dans la nef, un grand et haut mur de boîtes nous fait face, faisant obstacle à l’installation complète. Ce mur (42 x 3.9 m) est constitué de boîtes de biscuits rouillées numérotées, et est surmonté de petites lampes. L’obsession du nombre dans l’œuvre de Boltanski est au service d’une réflexion sur l’individu et la masse : comment l’unique résiste au nombre? Comment notre individualité survit au collectif? « Je suis infiniment conscient de l’unicité de chacun comme de sa fragilité » Mais ceci peut également illustrer la mort des individus si l’on considère ces boîtes comme des urnes funéraires. La volonté de Boltanski est de nous faire ressentir des émotions, ici le malaise semble être celui souhaité. « Cette installation est conçue pour produire un puissant sentiment d’oppression » 76 Passé ce mur, nous nous retrouvons face à 64 m2 de vêtements posés parterre, organisé méthodiquement par secteur évoquant les piles similaires découvertes dans les camps d›extermination.. Au bout de ce No Man’s land se trouve une montagne de vêtements. Au-dessus, une pince mécanique, attrape des vêtements et les relâche. Ceci illustre « la main de Dieu », le hasard, la fatalité de la mort. Dans ces 24 tonnes de tissus entassés, accumulés, l’homme n’est plus qu’une masse un groupe, l’unicité de l’individu a disparu... mais au milieu de tout cela il n y a toujours personne. Cette installation, le temps de son exposition devient un réel lieu de mémoire. «Ce qui m’intéresse principalement aujourd’hui c’est que le spectateur ne soit plus placé devant une œuvre, mais qu’il pénètre à l’intérieur de l’œuvre. » 77. Comme pour les mémoriaux, nous le verrons plus loin, le rapport spatial a changé car nous ne tournons plus autour de la sculpture du poilu mais nous traversons un espace définit. Il réalise par ailleurs une seconde œuvre directement reliée à notre thème, nommée « Monument commémoratif » ou également « Monument Odessa » (nom de son village natal) qui représente une sorte d’autel par un dispositif de photographies floues, d’ampoules et de câbles électriques. Ici, la difficulté du souvenir, tant dans sa douleur que dans la complexité de refaire surface nettement, est mis en scène dans une composition qui ressemble aux veillées spontanées. Un autre exemple fort, et l’œuvre permanente des 10 000 visages découpés dans des disques d’acier qui jonchent le sol d’une salle étroite et très haute sous plafond du musée Juif de Berlin, réalisé par l’architecte Daniel Libeskind. L’artiste israélien Menashe Kadishman a dédié son œuvre non seulement aux Juifs assassinés durant la Shoah, mais aussi à toutes les victimes de la violence et de la guerre. Les visiteurs sont invités à marcher sur ces visages et à écouter les sons produits par les disques de métal qui s’entrechoquent et résonnent dans l’espace. Dans un autre registre, Londres a souhaité commémorer la première Guerre Mondiale le 11 novembre 2014 avec deux œuvres urbaines et éphémères. La première, réalisée par l’artiste Paul Cummins, inonde de milliers de fleurs de pavot rouge en céramique les douves de la Tour de Londres. La deuxième rend hommage au soldat avec les 5000 hommes de glace du sculpteur Nele Azevedo, sur les marches de Birmingham. 76 77
BOLTANSKI Christian- http://www.cnap.fr/personnes BOLTANSKI Christian - id
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Installation de Paul Cummins dans les douves de la Tour de Londres.
les 5000 hommes de glace du sculpteur Nele Azevedo, sur les marches de Birmingham.
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La mémoire collective est directement représentée dans ces œuvres, elle devient l’attraction, le moment d’émotion et le message à transmettre. Ces images illustrent combien le passé, et l’art de le représenter de façon esthétique, ont une importance dans la ville, et dans notre quotidien. Pourquoi les mémoriaux sont-ils, et plus particulièrement aujourd’hui, réalisés par des architectes et non des artistes ? Qu’est ce qui différencie l’art de l’architecture, faisant entrer le programme du mémorial sur le marché des constructions architecturales et laissant l’artiste hors de cette commande ? Certains mémoriaux évoquent pourtant plus des sculptures que de l’architecture, et la place de l’artiste est toujours conservée puisque dans chaque œuvre mémoriel le dispositif du 1% est mis en place. Institué en 1951 et coordonné par la Direction générale de la création artistique (DGCA), ce procédé consiste à consacrer un financement représentant un pour cent du coût des constructions publiques, à la commande ou à l’acquisition d’une ou plusieurs œuvres d’art spécialement conçues pour le bâtiment considéré. Enjeu important du développement de la création contemporaine dans le domaine des arts visuels, le « 1 % »permet à des artistes de tendances diverses de créer des œuvres pour un lieu de vie quotidien, de collaborer avec des architectes et d’éveiller le public à l’art de notre temps. Pratiquement tous les édifices de l’Etat sont concernés et implique alors que le suivi des procédures de « 1 % » soit assuré par un comité artistique constitué par le maître d’ouvrage dès l’approbation de l’avant-projet sommaire. Le comité artistique présidé par le maître d’ouvrage est composé également du maître d’œuvre, d’un utilisateur du bâtiment, du directeur régional des affaires culturelles et deux personnalités sensibles au monde de l’art. Ensembles, ils élaborent le programme de la commande artistique, qui précise notamment la nature et l’emplacement de la réalisation envisagée et le soumet à l’approbation du maître de l’ouvrage. L’art est alors très maitrisé, dirigé, encadré tout ce qui nous parait opposé à sa fonction première. Nous imaginons l’artiste plus soumis à ses propres contraintes et cherchant à dénoncer, à oser, à perturber l’opinion public plutôt qu’à le respecter. « L’artiste n’est pas un designer, un coloriste, ou un paysagiste. Il est artiste parce qu’il dit des choses, prend position, qu’il dénonce et se met en travers des sentiments et des pouvoirs dominants. »78 Dans notre entretien, avec les artistes concepteurs du mémorial d’AZF de l’incident du 21 septembre 2001, nous apprenons que la commande était beaucoup plus dirigée que dans notre imaginaire et que l’œuvre circulaire que nous pouvons admirer aujourd’hui n’était pas seule, ni le premier choix des artistes. Ils avaient en effet en tête de réaliser au départ un monolithe noir en panneaux photovoltaïques, faisant référence à celui de Stanley Kubrick dans son film « 2001 l’Odyssée de l’espace ». Dessus serait écrit : « TOTALEMENT », une formulation régulièrement employé dans les manifestations contre l’entreprise Total. Bien évidemment, la colère des familles des victimes aurait été représentée mais le deuil, l’évocation du drame, et la possibilité de recueillement était complètement absente. Le cratère de l’explosion est toujours présent sur le site, ainsi que des restes de tubes en acier et de murs de l’usine, mais ils sont fermés dans une 78 SEIGNEUR François, architecte et artiste, discours publié sur culture.gouv pour le colloque Art et Architecture.
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zone sous scellé, servant encore 14 ans après à la justice dans l’interminable procès. Là encore les artistes trouvaient matière à créer, utiliser les tubes qui provenaient directement de l’usine, ou laisser apparaitre le cratère qui représente la violence du choc qui a retenti dans tout Toulouse ce matin-là. Il fallait pourtant faire comme si le site était vide, évoquer le cratère, et réaliser un espace, une œuvre pour la mémoire des victimes et non pour réveiller la colère. Le mémorial doit être un symbole de pays pour permettre de se pencher complètement sur sa douleur. Comment être révolté et donner en même temps un cadre agréable ? Les mémoriaux ne sont pas là pour dénoncer les responsables. Marianne Doezema, directrice de musée et spécialiste en histoire de l’art écrit que «Le monument public à une responsabilité distincte de ses qualités comme œuvre d’art. Ce n’est pas seulement l’expression privée d’un artiste individuel : c’est aussi une œuvre d’art créée pour le public, qui peut donc et doit être évaluée en fonction de sa capacité à produire des réactions humaines » 79 Dans ce sens, Le mémorial est art public. L’art comme l’architecture doit produire des réactions et des émotions, mais l’artiste ne cherche pas à être consensuel au contraire de l’architecte qui est au service de la population. « Puisque tout le monde est d’accord sur ce qui fait patrimoine ; il y a effectivement un consensus, et c’est une des caractéristiques du patrimoine que de produire du consensus. À la différence, par exemple, de l’art contemporain. » 80 L’architecte est là pour mettre en forme des usages et résoudre les problématiques de la multiplicité des fonctions d’un espace. Il a une connaissance dans la construction, l’ingénierie, le comportement et les besoins humains dans le but de répondre à une problématique particulière impliquant un utilisateur. Dans la recherche de l’espace idéale, il mélange science et approche artistique mais il a surtout une responsabilité sociale.
Architecte dans un réseau d’acteurs
Au travers, de nos études de cas, nous avons remarqué que le mémorial n’est pas un patrimoine qui se décide seul, et que bien au contraire les acteurs sont très nombreux autour de la mémoire et de sa morale. Nous avions envisagé de réaliser au départ un organigramme permettant d’exposer le processus de la commande de ce monument public et le rôle de chacun des protagonistes. Cependant devant la complexité des enjeux différents à chaque type de choc, par la portée du drame et le contexte (économique, politique, social..) dans lequel l’évènement s’est produit, il nous est impossible de définir un processus type. 79 DOEZEMA Marianne « the Public Monument in Tradition and Transition » dans The public Monument an Its Audience, Cleveland, Cleveland Museum of Art 1977 p9 80 DAVALLON Jean - Professeur à l’Université d’Avignon, responsable de l’équipe Culture & Communication (Centre Norbert Elias) interview de Jean-Marc Lauret. Publié sur PRÉAC Patrimoines et diversité Du patrimoine à la patrimonialisation
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S’il n’y a pas d’organigramme récurrent, nous pouvons toutefois énumérer les acteurs présents, et leur fonction dans ce rapport à l’histoire. Dans la phase de réception du choc, nous retrouvons en premier lieu, les victimes, les familles puis par extension du cercle les habitants de la ville impactée, les communautés et plus largement le public mondial en connexion aujourd’hui presque directe grâce aux médias. Très vite, tous se retournent vers le politique afin de comprendre les causes du drame et d’obtenir une forme de « réparation ». Les familles plongées dans leur deuil cherchent des explications, les communautés attendent un discours preuve d’une vérité et de la stabilité de la nation. Dans un deuxième temps, c’est la contextualisation du drame qui rentre en jeu. Nous formons des comparaisons avec les drames précédents et définissons les coupables, là le politique n’est plus seul car les experts sociologues et historiens apparaissent. Les stratégies et négociations d’acteurs, imbriqués dans ses nouveaux cadres sociaux, interviennent dans la désignation de différents faits historiques considérés comme mémorables ou non pour la société. Et enfin, quelque temps plus tard, arrive la phase de conception où l’architecte, expert de l’espace, doit réunir toutes les problématiques apparues précédemment, et faire consensus auprès de toutes les personnes concernées par le mémorial. Les acteurs du début seront présents jusqu’à la fin. Les victimes seront représentées dans le mémorial, immortalisées, Le public récepteur du choc deviendra récepteur du monument et sera juge de la concordance des faits représentés et du respect de la transmission de la mémoire. Les historiens et sociologues apparaissent comme savants dans cette commande et permettent de légitimer la construction de la mémoire. Le politique soumis à une éthique et répondant à un besoin social réalise la commande, mais celle-ci est entièrement maitrisée par les associations comme celle des familles de victimes. Etant les plus concernées, elles sont en effet très présentes dans chacun de nos cas d’études, allant de l’élaboration du programme jusqu’au choix du projet. L’architecte, concepteur du mémorial, a un rôle social, prenant en compte les attentes subjectives de chacun, et un rôle politique, d’acteur responsable du devenir de l’espace dans la ville et de la portée de l’histoire. Il n’échappe pas aux enjeux économiques d’un tel projet. Les dégâts causés par le choc soudain imposent parfois une reconstruction totale soumise à la réalité des concours. Le politique prend une décision quant au poids et à la portée que cet évènement prendra, dans notre société, notre histoire et même notre espace. Cette décision induit l’importance et le caractère du mémorial. « Certains mémoriaux visent à éduquer la génération suivante et à lui inculquer le sentiment d’une expérience et d’un destin partagé, d’autres sont érigés en expiation et répondent à un sentiment de culpabilité ou d’autoglorification. D’autres enfin sont destinés à attirer les touristes. »81
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YOUNG J.E - id
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Croquis de l’architecte Daniel Libeskind - mémorial de New York -
Studio libeskind
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New York, 9 heures du matin heure locale, sous les yeux du monde entier les Etats-Unis sont frappés par une attaque terroriste. Quatre avions de ligne sont détournés par des terroristes islamistes de la mouvance Al Qaida. Deux s’écrasent avec leurs occupants sur les tours jumelles du World Trade Center, et un troisième sur le Pentagone à Washington. Le quatrième s’écrase dans un bois de Pennsylvanie, les passagers ayant tenté au sacrifice de leur vie de maîtriser les terroristes. Au total, environ 3000 morts et disparus, l’humanité vit, les attentats les plus meurtriers jamais perpétrés. La population mondiale subit un choc psychologique considérable, les images de l’avion heurtant la deuxième tour du World Trade Center et l’effondrement en quelques secondes des deux bâtiments, étant diffusées en direct. Les conséquences de cet acte considéré comme « crime contre l’humanité »82 dépassent le nombre impressionnant de victimes. Les attentats sont à l’origine de la « guerre contre le terrorisme » impliquant, encore à ce jour, la présence de troupes américaines en Iraq et une profonde peur dans le peuple américain, mais aussi mondiale. Par ailleurs, depuis ce jour, un net ralentissement économique est remarqué, affectant l’ensemble des marchés mondiaux.
La décision est claire, au regard de la médiatisation et de la violence de l’évènement, le projet du mémorial doit être monumental. En 2002, la Société de développement de Lower Manhattan (LMDC) a annoncé un concours pour un plan directeur afin de développer les 16 hectares détruits. Le design du Studio de Daniel Libeskind, nommé le «Fondements de la mémoire», a remporté la commission. Il prévoit la construction de 5 nouvelles tours autour de l’ancien site du WTC qui lui, deviendrait place urbaine et mémorial. Il était fondamental d’équilibrer la mémoire de la tragédie avec la nécessité de reconstruire un quartier d’affaire animé et de travail, ainsi que de représenter la douleur du peuple américain en laissant le site vide. Cependant le message est clair, les Etats-Unis restent une grande puissance capable de rebondir en construisant un nouveau complexe, comportant la plus haute tour des Etats-Unis (541 m). Le mémorial appelé « Reflecting Absence » est dessiné par l’architecte israélien Michael Arad et l’architecte-paysagiste Peter Walker. Dessous, un musée, imaginé par l’agence Gehry Partners LLP et Snøhetta, raconte les évènements du 11 septembre, et exposent certains objets comme les affaires trouvées ou les camions de pompier accidentés pendant les sauvetages. L’entrée de celui-ci se retrouve sur la place du mémorial formant le seul élément bâti sur la parcelle. Le mémorial « Ground Zéro » n’est pas le seul monument intentionnel dédié à l’attentat du 11 septembre, car un peu partout dans le monde des morceaux de murs et de poutres métalliques fondues sont visibles, rappelant que parmi les victimes, nombreux étaient ceux qui avaient une nationalité étrangère.
82 Le 17 octobre 2001, Mary Robinson, chargée du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
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Les conséquences de cet attentat, se retrouvent en France, lorsque 10 jours après l’effondrement des tours de New York, Toulouse tremble devant l’explosion de l’usine de Total. La ville rose est soufflée par la détonation, et la France frissonne entre la peur de Tchernobyl et l’arrivée des terrorismes. Comme nous l’avons vu précédemment, ce contexte rend le deuil des 31 victimes, difficile et le procès interminable. Sur l’immense terrain est prévu le plus grand Oncopole d’Europe, très attendu par la communauté scientifique mondiale, il sera composé d’un institut, un centre de recherches, des espaces pour doctorants, des laboratoires, une pépinière d’entreprises et un mémorial. La mission de l’architecte en chef de la ZAC Jean Paul Vigier, se porte sur la coordination de la reconversion du site dévasté en un campus dédié à la lutte contre le cancer. Le message de ce projet est le renouveau, le regard vers l’avenir, c’est presque un rêve d’imaginer sauver des vies sur un site qui en à enlever. Mise à part un des bâtiments de l’ancienne porte du site d’AZF, plus rien de l’usine ou de la catastrophe ne sera visible et seul une zone de la mémoire fera témoin dans cette nouvelle ZAC. Nous avons pu remarquer, dans notre étude de terrain que cet espace mémoriel est composé de nombreuse stèles et œuvres commémoratives disposées de façon épare sur la parcelle, mais reliés au sol par un chemin blanc « le parcours de mémoire ». Le chemin en réalité ne crée pas un parcours mais plus une distribution en arête de poisson où chaque élément de commémoration est une impasse. Si nous avons plusieurs monuments aux morts, c’est parce que la ville a regroupé celui pour les combattants résistants déportés durant la Seconde Guerre Mondiale avec ceux d’AZF. Si les victimes possèdent plusieurs stèles et œuvres, c’est que les associations sont trop divisées par l’évènement et que chacun choisi d’y installer son artefact de commémoration. L’œuvre qui nous intéresse est celle réalisée par le plasticien toulousain Gilles Conan, éclairagiste de formation, en collaboration avec Lab(au), un studio de création artistique Belge. Réalisée avec le 1% artistique dédié au complexe, l’œuvre circulaire en inox, se situe alors dans cette zone entièrement consacré au recueillement et visible depuis un parc. Contrairement au message d’AZF, le village d’Oradour sur Glane ne parle d’aucun avenir, le temps s’est complètement figé cette après-midi du 10 juin 1944. Le Générale de Gaulle en a décidé ainsi, nous ne changerons pas une seule pierre du village détruit. Les éléments construits visibles aujourd’hui sont le nouveau village, permettant de reloger les familles, le centre d’interprétation, espace tampon entre le monde des vivants et celui des morts, un monument aux morts situé dans le cimetière du village et un mémorial. Ce dernier, ressemblant à un dolmen, a été très mal perçu par les habitants, faisant plus office de musée, exposant au sous-sol des objets du passé parmi les noms des victimes que de lieu de recueillement. C’est en effet sur le mur dans le cimetière que nous retrouvons, le plus de témoignages et de photos, comme s’il y avait un lieu public et un lieu privé. L’instant le plus fort est bien « le village des martyrs », rues désertes de ruines, et mise en scène de vestiges d’objets rouillés, preuve irréfutable de, preuve irréfutable de l’horreur. Les limites de la mémoire sur ce territoire sont floues car en réalité tout le village est dédié à la catastrophe qu’il a vécue et à sa transmission. Tout aujourd’hui n’est que mémoire et histoire sacralisés dans ce décor de bocages du Limousin..
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Anneau de la Mémoire - Philipe Prost- Notre Dame de Lorette croquis d’intention et image de synthèse
Le mémorial de Philipe Prost, honore le passé mais ne transmet pas l’horreur mais plutôt un message de paix. Certes le vertige créé par la vue de ces 241 214 noms de soldat rappelle le terrible bilan de cette première Guerre Mondiale, toutefois sur les 345 mètres de périmètre que forme « l’anneau de la mémoire », c’est la mise en avant d’une fraternité posthume qui prime. Sans différence de nationalité, de camps, de religion, de grades, les soldats sont tous gravés sur une même plaque. Réunis sur un même lieu auparavant pour s’affronter, ils le sont aujourd’hui en représentants de paix. Un symbole d’égalité profonde, les disparus sont des humains avant d’être des ennemis. L’enjeu parait simple mais il implique la bonne volonté de nombreux acteurs, comme l’approbation du Commonwealth War Graves Commission, la cohabitation avec les associations des anciens combattants du site et la collaboration des différentes archives de chaque pays. La colline de la Nécropole de Notre-Dame de Lorette, la plus grande de France, était déjà un haut lieu de mémoire. Là- haut, limite entre le bassin minier et les plaines agricoles les morts ont la plus belle vue sur les paysages typiques de l’Artois. Inauguré le 11 novembre 2014 par le Président de la République et réalisé en seulement 9 mois, ce nouveau mémorial du Nord pas de Calais aura couté au total 8 millions d’euros. Ce monument répond à un tourisme de mémoire très présent dans le nord de la France et à un devoir de transmission, en offrant la possibilité de changer le discours véhiculé depuis un siècle. Ainsi les réponses spatiales sont différentes selon le contexte, le choc et les enjeux, et le message s’adapte à chaque situation. Les acteurs de la mémoire sont responsables de sa transmission et souhaitent tous défendre l’importance de la perte qu’ils ont subie. Que ce soit une nation entière qui défend son honneur et son pouvoir, les familles de victimes qui portent le souvenir, l’état qui se montre en victime pour oublier qu’il a été surtout perdant, ou l’historien qui se pose en savant de la transmission, chacun défend un idéal à travers le programme du mémorial et c’est à l’architecte qu’il revient de le formaliser.
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Mémorial dédié à la catastrophe AZF de Toulouse Plan de la sculpture Vue dans le site.
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Le mémorial un programme libre et unique :
Répertorié les mémoriaux, nous montre qu’il existe une multitude de forme dans le paysage architecturale de la mémoire. Ce constat s’explique également par la grande liberté du programme, qui ne contraint pas la forme par une fonction. Lors de la conférence de Philipe Prost pour la présentation de l’anneau de la mémoire, tous les aspects du projet sont exposés, allant de la recherche de la typographie la plus universelle (de par les alphabets différents de chaque pays) jusqu’au contraintes de relief du site. Nous découvrons un programme qui lie à la fois une immense pression et une grande liberté. Il y a bien évidemment la contrainte du budget, mais l’enveloppe reste bien au-dessus d’un programme social et le mémorial est par ailleurs loin de la pression des labels écologiques, et des problématiques des zones inondables. Il n’est pas habité, n’est pratiqué que ponctuellement et n’est de plus pas fermé, ni couvert. Dans ses fonctions de rassemblement, de recueillement, de lieu touristique et de commémoration, il serait pourtant parfois plus agréable de pouvoir s’abriter le temps de notre méditation. Il est possible que par l’exigence d’une accessibilité permanente et par tous, le mémorial exprime cette possibilité en étant complètement ouvert. Ainsi le mémorial est bien un espace public, aujourd’hui sur des places, autrefois dans des cimetières, ce programme reste à ciel ouvert. N’étant pas propice à l’abri, il ne devient pas lieu de refuge… Les contraintes imposées sont des problématiques de voiries et réseaux divers (VRD), ainsi que depuis peu les normes et l’accessibilité handicapés. La sculpture circulaire d’AZF est composée de 397 tubes d’acier formant un tout de 13,40 mètres de diamètre. Les tubes sont de hauteurs différentes, les plus hauts situés au pourtour de l’œuvre culminent à 4 mètres de haut, alors que ceux du centre ne mesurent que 50 centimètres, les autres ont des hauteurs décroissantes de l’extérieur vers l’intérieur. Ainsi vu d’en haut, la sculpture forme une sorte de cratère creusé dans une forêt de tubes, évocation directe au cratère de l’explosion. Toujours espacés de 60 centimètres, permettant la pénétration du corps dans l’œuvre, les tubes émettent des sons le jour et de la lumière le soir. Afin que l’œuvre d’AZF soit accessible par tous, il est possible de sortir des tubes pour laisser passer un fauteuil jusqu’au centre de l’œuvre, et celle-ci se trouve sur une base en béton poreux signalant aux non voyant la présence de l’œuvre et la rendant également plus praticable. La question de la pérennité des matériaux est également au cœur du projet. La pierre fût le plus souvent utilisée, remplacée aujourd’hui par des matériaux moins couteux à l’usinage comme le métal, sous différentes formes, déjà oxydé ou en alliage inoxydable. « Pour qu’une architecture s’inscrive avec justesse dans son site – naturel ou urbain -, il faut aller puiser son inspiration dans un réservoir de formes, d’idées, de matériaux et de mises en œuvre du passé qui peuvent entrer en résonnance avec le présent »83 L’interprétation de l’expression de la mémoire est le plus souvent libre, ce qui explique la mise en place de concours. Dans le cadre du mémorial « Ground Zero » de New York,en 83
LE MONITEUR.FR Chessa Milena « Philippe Prost donne une leçon du passé aux futurs architectes du patrimoine.» 02/02/15
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Croquis de l’architecte Daniel Libeskind - mémorial de New York -
Studio libeskind
Proposition de l’agence THINK pour le mémorial de New York - publication par l’agence
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2003, le débat était porté sur la fameuse skyline de « la grosse pomme » complètement défigurée par l’absence des tours jumelles et qui devenait un réel enjeu. De nombreuses grandes et célèbres agences y ont répondu par des formes parfois assez extrêmes, seul la sobriété a été retenue avec en finalistes le projet de Libeskind et la conception de Think, cabinet dirigé par Rafael Vinoly. Il envisageait deux tours translucides faites d’échafaudages, où seraient aménagés des espaces culturels. Relayés par la presse, les deux rivaux se sont lancés dans une joute de critique, lorsque Rafael Vinoly qualifie le projet de Libeskind de « mur des Lamentations » celui répond voir dans la proposition de son opposant « Deux squelettes dans le ciel ».C’est une enquête auprés des New-Yorkais qui clôtura le débat, la majorité désirait un jardin du Souvenir au niveau de la rue et pensait que le retour des tours était une provocation pour les terroristes. «La discussion fait partie du processus civique. Si les gens ne parlent pas d’un bâtiment, c’est qu’ils s’en fichent. Les architectes doivent se comporter selon une éthique, croire vraiment en ce qu’ils font et assumer le risque de ce chemin. Ce n’est pas la voie de la moindre résistance.»84 La prise en compte de l’opinion public rappelle que le monument leur est dédié, mais le sujet est particulièrement sensible dans le cas d’un drame, créant une réelle pression historique et d’image. Elle doit affronter la réalité en admettant les atroces vérités du passé et laisser place aux symboles annonçant un avenir meilleur. «L’architecture doit donner à voir un nouvel horizon, une liberté. Pour ce faire elle doit être riche de sens, tout en étant ancrée dans la vie. Ce n’est pas chose facile.»85 L’emplacement des anciennes tours deviendra, dans les mêmes dimensions de l’emprise, deux immenses bassins d’eau entouré d’un garde-corps épais en métal (bronze) où sont gravés les noms. A l’ombre des arbres de ce nouveau parc urbain, une cascade d’eau sur le périmètre des bassins s’écoule en permanence rappelant le mouvement d’effondrement des tours. Le mémorial est une source perpétuelle de symbole, libeskind dessine la Freedom Tower d’une hauteur 1 776 pieds [541 mètres], une allusion à la guerre d’indépendance de 1776et sa forme, conçue pour devenir la plus haute structure du monde, est un hommage abstrait et stylisé au bras qui porte la torche de la statue de la Liberté. De façon encore plus abstraite, l’emplacement des futures tours est prévu afin qu’un Triangle de lumière se forme, défini par les angles du soleil entre 8 h 46, moment où le premier avion a heurté une tour, et 10 h 28, lorsque la seconde tour s’est effondrée. Aucune ombre ne tombe sur le site entre ces deux heures, tous les 11 septembre… «Il est important d’appréhender la réalité de l’acte terroriste, pas de l’enterrer. Vous ne pouvez pas dire qu’il ne s’est rien passé ici. Ce jour-là a changé le monde, a changé l’Amérique. En pensant à ce qui s’est passé, vous comprenez que ce mémorial est un espace important. Cela ne peut pas être simplement un parc où l’on lance des Frisbee.»86 Tout est dans la mesure, il s’agit de plus en plus chez les concepteurs de créer un cadre agréable, propice au recueillement au sein même de l’évocation d’une situation douloureuse. 84 LIBESKIND Daniel, architecte du master plan du mémorial de New York. 85 LIBESKIND Daniel- id 86 LIBESKIND Daniel - id
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« Il s’agit surtout de créer un espace qui propose sa propre ambiance, sa propre réalité, et par conséquent qui propose un isolement partiel du contexte. La volonté était de créer un espace aux limites floues, presque immatériel, mais qui par la conjugaison du son, de la lumière et du jeu de pleins et vides de la matière, fait appel à tous les sens et définit un point singulier sa propre ambiance. Les éléments esthétiques qui font directement appel à la mémoire et à l’événement sont là, la forme évasée, circulaire, la plateforme noire,... Ils sont en fait secondaires, les sensations et les émotions sont purement le fait de cette expérience d’un espace singulier, qui comme il fait appel aussi à la mémoire, fait appel au temps, un espace qui n’est pas figé mais qui évolue sur un rythme lent, qui permet aux sens de rester éveillés, qui permet simplement de passer un peu de temps sur place, voire de se recueillir, sans être gêner par le bruit ou le silence, sans être enfermé ou perdu dans le vide, sans être dans la lumière ou dans l’ombre. »87
En conclusion, l’architecte est le concepteur de l’artéfact de la mémoire porté, désiré, utilisé par la société entière. Il transmet et interprète une histoire, mais promet aussi un avenir. Les mémoriaux sont les conséquences d’un évènement et non un programme défini, ce qui explique la pluralité et l’hétérogénéité des formes. « Une fois admis que les monuments sont nécessairement les médiateurs de la mémoire, même quand ils cherchent à la créer, on en vint à la considérer comme des substituts de la mémoire qu’ils étaient censés matérialiser. Pire encore, en insistant sur le fait que la mémoire du monument était aussi fixe que la position de celui-ci dans le paysage, on donnait l’impression qu’il échappait à la mutabilité essentielle de tout artefact. » 88 Or la production architecturale du mémorial évolue avec son temps, ses catastrophes, ses nouvelles technologies de fabrication et de construction, et sa génération. Nous observons en particulier, un nouveau « courant » chez les concepteurs qui cherchent à intégrer l’histoire du passé dans le présent, transformant l’objectif de monumentalité du mémorial, en objectif d’intimité.
87 DECOCK Jérôme, artiste dans le collectif Lab au, membre du groupe concepteur du mémorial AZF, dans notre entretien par mail. 88 J.Young ibid
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2- Un programme en constante évolution
La montée du primas compassionnel et des traumas de l’histoire dans notre société a conduit à la création d’immenses mémoriaux semblant vouloir être à la « hauteur » du choc. Nous assistons à une complète relecture des première et seconde guerres mondiales dans l’espace public, centré sur la souffrance et la monumentalité. Aujourd’hui le message est tout autre, nous revenons à l’intimité de la stèle, à la possibilité du recueillement. En rupture avec le discours de la puissance de la nation, nous ne sommes plus fiers, ni responsables des guerres, nous ne sommes que des victimes, désireuses de paix. Nous n’imposons plus le passé dans le paysage urbain par la verticalité mais cherchons plutôt à l’intégrer dans le présent par l’horizontalité. Le mémorial prend une place différente dans la ville, le croisement des usages font de lui un morceau de ville où la vie se passe et continue.
Une sphère publique de plus en plus grande :
Dès 1918, après avoir longtemps regardé vers l’avenir, la France se voit regretter son passé, et comprend qu’elle vient de vivre des évènements d’une telle ampleur qu’ils doivent être représentés. Nous dressons alors un monument aux morts dans chaque village, à tel point qu’aujourd’hui seule une commune Palazingues (19) de France, n’ayant connu aucune perte, n’en possède pas. Dans cette perspective, nous construisons sur les lieux de l’affrontement, des mémoriaux gigantesques à la gloire des soldats et l’espace public devient espace idéale de représentation de la mémoire. Très proche de l’architecture classique et composé de symbolique traditionnelle, la monumentalité de ces mémoriaux, plantés dans des champs vides, impose le souvenir. L’architecte, le plus représentatif de cette période d’entre-deux-guerres, est Paul Philippe Cret, architecte franco-américain et professeur de dessin architectural à l’université de Pennsylvanie où il aura pour élève notamment Louis Khan. L’exemple le plus marquant de sa production serait le mémorial à Varennes en Argonne, érigé et financé par l’Etat de Pennsylvanie en 1928 à la mémoire des soldats américains. Constitué de pierre et de marbre, nous retrouvons un langage néoclassique, avec deux péristyles de colonnes carrées qui entourent une esplanade où se trouve, au centre, un piédestal et une vasque en bronze. Les sculptures et gravures exposent des symboles de puissance et bravoure guerrière, avec des têtes de lions et des épées. Tout est composé autour du langage du socle et de la symétrie. Il reprend le même vocabulaire dans Le monument américain de Château-Thierry, inauguré en 1933. En 1967, Charles Legrand architecte et ancien combattant dessine ce qui est toujours aujourd’hui l’un des principaux musées européens de la grande guerre, Le Mémorial de Verdun. Au cœur des collines de Verdun encore ravagées par les millions d’obus qui ont causé la mort de plus de 300.000 personnes, le Mémorial de Verdun retrace l’histoire de la plus célèbre bataille. Né de la grande volonté des Anciens Combattants et très attendu,
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Mémorial à Varennes en Argonne. Paul Phillipe Cret
Mémorial de Verdun. Image du futur projet de l’agence Brochet-Lajus-Peyot
Mémorial 6 millions de Juif. Maquette du projet de Louis Kahn
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il est réalisé en béton blanc dans un style très sévère, témoignant du respect nécessaire sur les lieux. Actuellement, le mémorial-musée est en rénovation et une extension de 750 m2 est en cours, conçue par l’agence Bordelaise Brochet-Lajus-Peyot89. Il ne répond en effet plus aux conditions nécessaires d’accueil du public, avec un hall restreint, une absence de réserve et aucunes normes handicapées appliquées. Ce n’est pas le patrimoine architectural que nous cherchons à conserver mais le symbole qu’il représente aujourd’hui. Le projet ne changera que très peu la façade de l’édifice en posant une structure légère et vitré en toiture, et l’extension va s’intégrer dans les fondations et en contrebas du musée afin de rester invisible. Ces édifices, aux formes traditionnelles du monument commémoratif, n’inspire pas les Maîtres du Mouvement moderne. Ce désintérêt pour l’expression de la mémoire est associé à une rupture de l’expression architecturale qu’ils tentent de renouveler. Certaines propositions sont faîtes, mais sous la forme de sculpture plutôt que d’édifice comme le monument aux morts de mars (1921) à Weimar, en forme d’éclair, de Walter Gropius, ou la main ouverte de le Corbusier, sollicité pour la réalisation d’un monument à Paul Vaillant-Couturier en 1937. Il faut attendre les années 1960 et l’œuvre de l’Américain Louis Kahn pour voir réintroduits l’intérêt et la réflexion sur le monument intentionnel. Il imagine un mémorial pour les six millions de Juifs qui devait être réalisé dans un face à face avec le mémorial de Franklin Delano Roosevelt. Le premier n’a jamais était construit et le deuxième sera réalisé à titre posthume et vient juste d’être inauguré. A la pointe sud de l’île de Manhattan dans Battery Park, le mémorial des six millions de Juif devait posséder un piédestal de granit supportant sept cubes de verre solide, de sorte que, dans ses mots, «le soleil pourrait venir à travers et laisser une ombre rempli de lumière.» Installation régulière compose les pleins et les vides dans un strict rapport d’égalité mais ne comporte aucune symétrie. Au centre le bloc de verre est gravée avec des inscriptions en hébreu et en anglais, est devait contenir une petite chapelle circulaire. Le travail de la lumière saisit le sens de la transparence. « Le Monument tiendra son atmosphère des changements constants de la lumière du jour et de la nuit, des saisons de l’année, du jeu changeant du temps, et même de la lumière soudaine d’un éclair. »90 Kahn a proposé une conception abstraite, et devient un pionner tant par l’échelle humaine retrouvé que par l’intégration de nouveaux matériaux et de parcours sensorielle. Ici, le monumentale est absent, car le projet contemporain incarne l’espoir par la symbolique de la lumière, source de vie et inspiratrice de l’acte créateur, et invite ainsi au recueillement. Malheureusement, ce mémorial ne verra jamais le jour, il faudra attendre 20 ans pour qu’une réelle rupture opère et que nous voyons apparaître les mémoriaux « expérientiels ». 89 PLANCARD Fréderic, journaliste pour L’est Républicain.fr publié le 21/12/2012. « Le nouveau visage du mémorial de Verdun ». 90 KAHN LOUIS, Texte de présentation du projet dans L’Architecture d’aujourd’hui, numéro 14 p74
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Vietnam Vetreans Memorial - Washington DC- Vue aérienne d’ensemble
Vietnam Vetreans Memorial - Washington DC
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La rupture : le mémorial du Vietnam par Maya Lin
Lorsque la conception de Maya Lin, à l’époque étudiante à l’école d’architecture de Yale University, a été dévoilée la première fois, les critiques ont condamné ce projet de «balafre noire de la honte » ou de « fossé dégradant». Washington est une ville conçue comme pure commémoration, où le blanc domine comme couleur des édifices, il était attendu un projet conventionnel prenant comme modèle le Lincoln Memorial et centré sur une image de la guerre conformiste. Mais le monument du Vietnam Vétérans Mémorial construit à partir de 1982 s’impose comme un cas exemplaire d’ouverture formelle et riche de l’architecture intentionnelle. En V ouvert selon un angle de 125° dont les deux bras pointent l’obélisque du Washington Monument et celui du Lincoln Memorial, le projet s’enfonce en pente douce. Maya Lin a choisi des murs de granit noir aux surfaces réfléchissantes où sont gravés comme en filigrane plus de 58000 noms. Les visiteurs voient, en lisant les noms leur image dans le miroir noir du Mémorial, point de contact entre le monde des vivants et le monde des morts. Ces derniers sont inscrits dans l’ordre chronologique de leur disparition et non dans un ordre alphabétique, seule particularité remarquable sur ce monument complètement lisse. Le caractère minimaliste, discret et non conventionnel du mémorial a dérouté. Nous ne sommes plus dans l’ordre du grandiloquent et de l’exaltation héroïque. « J’avais l’impulsion d’ouvrir une tranchée dans la terre ... une violence initiale qui se cicatriserait avec le temps. L’herbe repousserait, mais la tranchée resterait. » 91 A la fois à moitié enterré et à l’air libre, le mémorial s’est imposé comme un lieu de méditation et de recueillement. Sa neutralité, son horizontalité, son échelle modeste, sa proximité, voire son caractère tactile inscrivent ce mémorial en rupture avec des pratiques traditionnelles du souvenir. Il s’agit d’une remise en question de la typologie classique. Ce qui dérange beaucoup trop le public américain, car le projet ne comporte aucun drapeau ou signe symbolique américain. C’est pourtant pour son « jamais-vu » que Maya Lin a été retenu parmi plus de 1400 projets proposés. Les dessins étaient des pastels dans des tonalités douces, très mystérieux, très picturaux, et pas du tout typiques des dessins d’architecture. Ils n’avaient en effet rien d’un rendu normal d’architecte avec plan, coupes et élévations. Les controverses n’ont pas cessé avec l’inauguration du mémorial en 1982, d’où l’ajout au cours des années suivantes, de plusieurs symbole comme la sculpture intitulée : Three soldiers en 1984, puis dans un souci d’équité féministe la statue Vietnam Women’s Memorial en 1993. Il semblerait alors que cet anti-monument, ce simple mur change trop les codes et que les sculptures figuratives qui viennent compléter le dispositif mural 91 LIN Maya - propos écrit dans «Le vietnam veterans memorial et la crise du monument contemporain» Massu CLAUDE - Professeur Université Paris Sorbonne
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étaient nécessaires à la fonction mémorielle. Plustard, le Korean War Veterans Memorial, inauguré en 1995, viendra s’inspirer du travail de Maya Lin. Frank Gaylord crée un groupe de 19 statues très réaliste de soldats en acier complétées d’un mur noir de granit poli portant des visages gravés, évocation du reflet, et un bassin du souvenir où est écrit « Freedom is Not Free ». Aujourd’hui les deux mémoriaux sont des assemblages de plusieurs éléments et se répondent par leur proximité sur la vaste esplanade du Mall. Chacun à leur manière interrogent le pouvoir des arts à transmettre une mémoire collective et le site du Vietnam Veterans Memorial, qui a été voulu discret et presque invisible au départ, est devenu paradoxalement par le nombre de visiteurs un des hauts lieux de la mémoire américaine contemporaine.
Le non-monument, entre intégration dans la ville et lieu d’émotions.
Fini la grandiloquence. Les monuments cherchent désormais à susciter des émotions et à marquer le visiteur par leur seul pouvoir d’évocation d’un drame. Nantes vient de dédier à l’abolition de l’esclavage un monument invisible, enfouis sous ses quais. New York, pour l’inscrire dans la ville, a creusé le traumatisme jusque dans son sol. Berlin, depuis 2005, évoque les victimes de la Shoah en perdant le piéton dans un dédale de singuliers monolithes. Ainsi l’horizontal se substitue au vertical, l’expérience sensible à l’allégorie, l’évocation inconsciente au spectaculaire écrasant. Les mémoriaux changent parce que nous-mêmes changeons, aujourd’hui prêts à participer à des jeux de mémoire plus complexes. Comme l’exposait Pierre Nora, « Moins la mémoire est vécue de l’intérieur, plus elle a besoin de support extérieur et de repères tangibles. » 92Et c’est dans cette perspective que les concepteurs aspirent maintenant à faire vivre la mémoire de l’intérieur grâce à l’expérience du support tangible du mémorial. Nantes, ancienne capitale de la traite négrière, possède maintenant un exemple typique de cette nouvelle forme d’espace public, avec son mémorial de l’abolition de l’esclavage. Du 17e au milieu du 19e siècle, tous les grands ports européens ont participé à ce trafic d’êtres humains. Durant plus de trois siècles, des navires mirent le cap vers l’Afrique pour y échanger leur cargaison de marchandises contre des millions de captifs, vendus ensuite comme esclaves sur le continent américain. Ce trafic assurait la prospérité des colons planteurs de canne à sucre ou de coton et garantit l’essor de toute l’économie occidentale. Sur les 4100 expéditions négrières françaises, près de la moitié partirent de Nantes. Le mémorial de l’abolition de l’esclavage est venu se nicher sous un quai de la ville en contact direct avec la Loire, voie principale du transit. Rien ou presque ne le signale à 92 NORA Pierre «Entre mémoire et Histoire » dans l’œuvre « Les lieux de mémoire » VOL.1 La république Paris Gallimard 1984
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Memorial dédié à l’abolition de l’esclavage - Nantes
l’extérieur. Le mémorial est invisible. Des escaliers abrupts amènent le visiteur dans une fosse qui ressemble à une cale, et c’est au ras du fleuve sur un plancher en chêne que l’expérience émotionnelle commence. L’eau clapote contre la « coque » de briques et de béton. La lumière remplie l’espace le long d’une paroi de verre oblique. Dessus sont inscrits les noms des expéditions négrières parties de Nantes, ainsi que des citations de Léopold Sédar Senghor, Nelson Mandela, Aimé Césaire, Bob Marley et de nombreux anonymes. La structure du mémorial en béton, crée des espaces plus intimes avec des assises, invitant au recueillement. Nous parcourons ce chemin méditatif de 90 mètres de long, accompagnés d’une ambiance sonore. Des bruits d’eau, de métal, du vent, de craquement du bois, nous sommes en immersion dans l’histoire de ces hommes vendus dans le triangle d’or. Les concepteurs du projet, Krysztof Wodiczko et Julian Bonder, jouent avec nos sens. Les sons ne doivent pas être didactiques mais symboliques et évoquer dans notre imaginaire un univers. Les plaques de verre transpercent le sol jusqu’à la surface, formant une faille. Nous sommes dans la cicatrice d’une ville. Le soir source lumineuse sur les quais, elles permettent de connecter le mémorial à un parcours urbain. Le mémorial est une «évocation métaphorique et émotionnelle de la lutte pour l’abolition de l’esclavage». Ce lieu fort offre «une expérience à strates multiples grâce à laquelle les visiteurs pourront interpréter les diverses dimensions d’une histoire qu’ils croyaient déjà connaître». 93 C’est la dimension émotionnelle qui est représentée ici, celle qui touche nos sens et nous installe dans la réflexion. La partie historique des faits est traité dans plusieurs salles 93
Propos de Wodiczko et Bonder sur le site mémorial-nantes.fr
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Memorial Ground Zero - New York - Reflecting Abscence - place urbaine autour des bassins
Memorial Ground Zero - New York - Reflecting Abscence - Bassin d’eau
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du château-musée de Nantes et le mémorial cherche à être complémentaire. La ville a longtemps occulté son passé, et donne aujourd’hui une forme à la mémoire, placé entre la ville et son fleuve. Le mémorial délaisse les champs de batailles, et les places de mairie pour se confondre dans la ville et dans le quotidien de ses habitants. Le mémorial n’est plus seulement un mur de noms, ou une sculpture sur l’espace public, il devient une place entière, un morceau de ville. Michael Arad à New York, a creusé le traumatisme du 11 septembre 2001 jusque dans son sol. Le symbole de la perte est présent et fort, marqué par la monumentalité des trous carrés de 45 mètres et de 10 mètres de profondeur dans le sol. L’emplacement des anciennes tours sert aujourd’hui de bassins, avec une cascade qui coule en permanence et rafraichi l’atmosphère brulante d’été. Elles sont les plus grandes chutes d’eau artificielles de l’Amérique du Nord. L’architecte-paysagiste Peter Walker, recouvre le projet « Reflecting Abscence » d’arbre, créant alors une ambiance douce et intime. Seuls les noms gravés dans la plaque de bronze formant le contour des bassins indiquent que nous ne sommes pas sur une place comme les autres. Un bâtiment, très éloigné de l’architecture et de la hauteur des buildings de ce centre d’affaire, marque l’entrée du musée. Les architectes expriment la non-architecture en enterrant le musé sous le mémorial. L’histoire du lieu est la base de la mémoire mais aussi de la vie qui s’y passe. «Il ne s’agit donc pas d’un lieu mortifère et pathétique, d’une image noble et solennelle d›un monument paré de toutes les offrandes sacrificatoires, (…), mais d’un miroir de la vie urbaine, lequel nous exhorte à apprécier son éternelle vitalité»94 A l’opposé du plan de Daniel Libeskind, architecte caractérisé comme le spécialiste du tragique monumental, Michael Arad ne souhaitait pas proposer un sanctuaire dédié à la mort et au souvenir mais offrir un espace ouvert et vivant. «J’ai voulu clairement rendre compte du fait que, si l’espace est dédié à la mémoire de façon très importante, il ne doit pas être coupé de la ville (…) L’idée de base était de créer une place publique, claire et directe» 95dit-il. Nous pouvons, en effet, croiser au bord des deux immenses vides représentants l’emprise des anciennes tours du World Trade Center, des promeneurs avec leur chien, des hommes d’affaires qui prennent un sandwich ou encore une famille venant poser une rose sur le nom d’un disparu. Tout se mélange, la vie continue. En réalité, la continuité spatiale de la ville représente, en transformant le mémorial en un parc-urbain dans un paysage de gratte-ciel, la continuité de la vie même après le drame. L’approche ici est de laisser l’habitant, reconquérir cet espace meurtrit et aux souvenirs lourds, en symbolisant l’absence de manière forte et en permettant le deuil autant que la vie. En laissant les lieux de mémoire s’ouvrir à la ville, nous rendons volontairement les 94 ARAD Michel, architecte du mémorial de GROUND ZERO -article «L’enjeu était la mmoire : le mémorial 9/11» 07/09/11 le courrier de l’architecte.fr 95 ARAD Michel - id
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Memorial Holaucaust Berlin - une fille marche sur les stèles
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limites floues. Le visiteur semble un peu perdu dans ce nouvel art public qui ne s’annonce pas et ne prend pas la forme d’un mémorial traditionnel. A Berlin, le Mémorial des Juifs assassinés d’Europe suscite la perplexité, voire l’incompréhension des passants. Dans cet étrange labyrinthe, l’interpellation passe par la désorientation. Il n’est pas rare de voir, aux beaux jours, enfants et grands y jouer à cache-cache ou encore des badauds allongés en train de s’adonner au bronzage sur les 3000 stèles de béton. «Ce type de comportement ne me dérange pas, car l’idée de départ était aussi que le monument, en plein cœur de la ville, s’inscrive dans le quotidien des Berlinois. »96 Située entre la sculpture et l’architecture, l’œuvre de Peter Eisenman, architecte théoricien, est une réalisation peut conventionnelle des mémoriaux mais à la fois très représentative de ce nouveau programme. Aujourd’hui, l’appel à la mémoire passe par de toutes autres sensations. « C’est une construction qui transmet la mémoire de la guerre par l’expérience de l’œuvre éprouvée par le corps entier. »97 Le champ de stèles s’étendant sur 2 hectares, se situe sur l’ancien no man’s land qui longeait le Mur, et recouvre la «Place de l’Information» contenant le nom de toutes les victimes juives recensées par le musée israélien Yad Vashem. Depuis son inauguration en 2005, les Berlinois et visiteurs se perdent dans le dédale pourtant quadrillés des sombres monolithes, s’élevant jusqu’à 5 mètres de hauteur. La décision du Bundestag en 1999 de créer ce mémorial a mis 15 ans à se concrétiser. Une longue attente qui témoigne des nombreux débats autour de la réalisation de ce monument. Le sol en vague et les jeux de niveaux des blocs rend la découverte dynamique et contribue à la perte des repères. Nous voyons les autres disparaitre puis réapparaitre, évocation de l’oubli et du souvenir. Sans information sur la symbolique du lieu, le passant devient ainsi le sujet d’une lecture autonome. Le parti pris est de ne rien documenter car le musée, situé une nouvelle fois sous le mémorial, retrace l’histoire de la Shoah. En restant dans l’allégorie, Peter Eisenmann permet des significations variables chez chacun. «Je pense que les gens vont venir manger le midi sur les piliers, expliquait Eisenmann avant l’inauguration du lieu, en 2005. Je suis sûr que les skaters vont l’utiliser. Les gens vont danser sur les piliers. Plein de choses inattendues vont s’y passer. Il va y avoir des gens qui vont tenter de dégrader les lieux mais c’est ainsi, c’est l’expression du peuple.»98 Si la libre interprétation de cette architecture favorise une multitude d’usages et d’appropriations, il n’en reste pas moins que l’image de cette mer de blocs rappelant la masse de Juifs en fuite ou déportés durant la seconde Guerre mondiale, est saisissante. 96 WOLGANG Thierse - Ancien président (SPD) du Bundestag. 97 CARLAndré, artiste plasticien américain. 98 GLAD Vincent journaliste pour slade.fr «Au mémorial de la Shoah, pouquoi les touristes sourient-ils sur leur selfies?» le 18/05/2015
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L’expérience du lieu reste physique et émotionnelle. Cependant, de peur de voir continuer ce genre de comportements, la ville a déposé des plaques au sol rappelant à l’ordre le visiteur : « interdit d’y courir, d’y jouer de la musique, d’y faire du skate-board ou de sauter de pierre en pierre. » Il semblerait que la beauté et l’aspect ludique du mémorial risque de faire oublier sa fonction. Devons-nous comme à Oradour sur Glane, « ordonner » le recueillement et le silence par des écriteaux ? Ainsi nous pouvons en conclure que l’espace induit un comportement. Un lieu ouvert et planté laisse le public libre d’appropriations quotidiennes, un autre à la forte spatialité attire des visiteurs curieux. Les mémoriaux en cœur de ville, sont plus souvent traversés, et font comme parti d’un paysage quotidien. Nous pouvons imaginer qu’il est important dans ces morceaux de quartier, de conserver l’histoire et l’hommage sans forcément véhiculer la souffrance des martyrs et transformer l’espace en un lieu d’inconfort. Nous pourrions même penser que ce type de programme offre la possibilité d’un double usage : celui de commémorer car la trace du passé reste cruciale, et celui du loisir en allant s’y balader. Le mémorial serait alors un lieu de repos pour les morts et pour les vivants. Certains vivent aujourd’hui les lieux de mémoire comme une pause agréable dans une journée, et pour beaucoup de population la fête de la Toussaint et les cimetières sont des moments pour célébrer les morts dans la joie et les rires. Ainsi sans oublier le drame, nous pourrions concevoir le programme du mémorial sous un angle plus ludique.
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Memorial Bunker 599
Centre d’interprétation Oradour sur Glane
Jonas Dahlberg - Memorial Sørbråten à Oslo, en Norvège.
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3- De nouveaux symboles…
Les codes symboliques sont différents mais toujours présents dans la conception architecturale. Le mémorial d’aujourd’hui véhicule un message mais de façon indirect, plus inconscient. Il questionne le visiteur plutôt que de lui imposer un point de vue sur l’histoire. Loin des lamentations ou du déshonneur, nous acceptons notre faiblesse face à la mort et créons des lieux agréables et propices au recueillement. Cet artefact de la mémoire, induit des rites autour de l’expérience sensorielle. L’artiste Jérôme Decock, du collectif Lab[au], définit sa fonction : « Évoquer l’événement et provoquer des émotions ou des réflexions, à travers la mémoire pour ceux qui l’ont vécu, à travers le traitement esthétique et l’expérience spatiale pour les autres. » Nous pouvons le frôler, le toucher, l’entendre et la nuit le voir. Il y a un aspect universel dans cette nouvelle conception car nous nous adressons « à l’humain et non à un homme venant d’une culture» 99 Le concepteur peut faire appel à des symboliques que le public ne connait pas, ne comprend pas mais la sensation est bien présente. C’est le cas par exemple dans l’immense escalier du Musée Juif de Berlin, dessiné par Daniel Libeskind. Cet escalier infini monte sur trois niveaux et est l’axe le plus long du musée. Dans la culture Juive il rappellerait l›échelle de Jacob et représente ainsi les différents exils que le peuple juif fut obligé d›endurer avant la venue du Messie. Même si nous ne comprenons pas ce message, la perspective est saisissante et la longue montée des marches épuisante. Il y a une récurrence dans les formes et les matérialités employées dans les mémoriaux, soulevant l’hypothèse que la mémoire se transmet par de nouveaux symboles.
Une forme récurrente,
La faille :
La faille de verre du mémorial de Nantes, celle en acier corten dans le centre d’interprétation d’Oradour sur glane ou encore celle du bunker 599, composent l’inventaire des mémoriaux utilisant la représentation littérale de la plaie. C’est l’instant T coupé des autres moments de la vie, celui qui scinde l’avant et l’après-évènement. Ce geste architecturale reproduit l’expérience physique d’enlever, reflétant la perte brusque et permanente de ceux qui sont morts. L’espace se déchire, il n’y a que du vide. Maya Lin parlait de cicatrices, d’autres de ruptures poétiques, de plaies. Nous formalisons 99 Choay Francoise dans l’ouvrage « Pour une anthropologie de l’espace » édition Seuil, La couleur des Idées, octobre 2006. Page 339
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mémorial Afrique du Nord 1952-1962 de Nancy-Thermal à Nancy
Rezé, Pont-Rousseau, mémorial Afrique du Nord et Oradour sur Glane
Mémorial Juno Beach -Courseulles-sur-Mer
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afin d’admettre qu’il y a bien eu un drame. L’artiste néérlandais Erick de Lyon et l’agence d’architecture et de paysage Rietveld ont transformé un ancien bunker datant de la seconde guerre mondiale en mémorial. Se situant près d’Utrecht au Pays-Bas, l’imposant bâtiment en béton a été ouvert en son milieu, révélant son intérieur et l’épaisseur impressionnante de ses murs. Cette intention radicale métaphorise la rupture, l’absence avec laquelle nous devons vivre.
les nouvelles matérialités :
Les premiers mémoriaux étaient faits de pierres, offrant une grande pérennité du monument. Cette technique est aujourd’hui très couteuse car artisanale et évoque un mémorial désuet. Nous sommes dans une société de l’innovation et non plus de la tradition. Les nouvelles technologies nous permettent un usinage et la pérennisation des matériaux. La problématique des concepteurs est de réaliser une architecture qui supportera le travail du temps et des conditions climatiques difficiles. Normalement utilisé dans la construction d’industries ou des buildings, l’acier, plus particulièrement l’alliage métallique, gagne une nouvelle noblesse en entrant dans les mémoriaux. Dans le mémorial d’AZF, il se retrouve sous forme d’inox, rappelant les tuyaux de l’ancienne usine. Il est peut-être aussi en Bronze comme à New York ou en feuille dorée reflétant la lumière sur les 500 panneaux de l’Anneau de la Mémoire. Le métal permet une mise en œuvre plus économique et rapide. Il est facile d’y découper ou graver des motifs divers avec une grande précision et se retrouve alors support de la liste des victimes. Cependant, la forme la plus courante sous laquelle il apparait dans les lieux de mémoire patrimonialisés et les mémoriaux, est en acier corten. Ce nom de marque identifie un acier auto-patiné à corrosion superficielle forcée. Cette formation de corrosion va créer une couche superficielle imperméable e protectrice avec ainsi une grande résistance aux conditions atmosphériques. La pérennité est assurée puisque le matériau est déjà altéré mais de façon contrôlé. Comment expliquer une telle présence ? Tout d’abord par un effet de mode. L’artiste contemporain américain Richard Serra semble être un des précurseurs de l’utilisation de cette matière. Il réalise avec, d’immenses sculptures minimalistes qui influencent beaucoup d’artistes et d’architectes grâce à leur grande force spatiale. Aujourd’hui mondialement connu, il participe par sa notoriété au développement de ce phénomène. Enfin, les matériaux expriment un message. Cet aspect rouille renvoi l’image du temps qui passe, des choses qui se décomposent. Le concepteur donne un coté authentique à son installation, le monument appartient déjà au passé. Nous tentons de faire accepter
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Oeuvre Lumineuse -Anneau de la mémoire
Mémorial Groud Zero Oeuvre Lumineuse dans la Skyline Vue de Nuit
Mémorial AZF - Gilles Conan et Lab[au]- Vue de Nuit
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que rien ne puisse être permanant. La découverte sensorielle du mémorial se réalise par le touché, et l’acier oxydé est irrégulier, poreux, intéressant dans ce rapport tactile.
La lumière :
Les noms semblent gravés d’or, l’anneau de la mémoire flotte dans une partition lumineuse, la parabole du cratère d’AZF se matérialise lorsque le soleil s’en va. Il nous est désormais possible de travailler la lumière électrique et d’en faire une scénographie. En Angleterre, les cimetières et mémoriaux sont accessibles en permanence, comme un lieu public et ne subissent aucune dégradation. Nous désirons depuis quelques temps ouvrir notre mémoire à toute heure de la journée, mais cela implique une installation lumineuse. Cette partie du programme du mémorial est souvent dédié au 1% artistique. La skyline de New York a complétement changé mais la nuit deux faisceaux bleus déchirent le ciel, comme un phare, recréant la présence des tours jumelles dans le paysage. Au fur et à mesure de la progression de la lumière, le mémorial de Notre Dame de Lorette met en scène les panneaux, où sont inscrits les noms. Jamais éclairés en même temps, les 500 panneaux et les 500 000 morts deviennent les acteurs d’un spectacle. L’artiste parisien Yann Toma nous offre une œuvre dynamique qu’il décrit comme « une partition lumineuse qui, à la tombée du jour, fait communiquer poétiquement l’énergie des morts et celle des vivants. » Pour Gilles Conan, l’artiste du mémorial de Toulouse, ce n’est pas réellement le cratère qui est représenté dans cette œuvre mais des lucioles, des vers luisants. Ces animaux disparaissent en premier avec la pollution et c’est une façon pour l’artiste, actif dans l’écologie, de représenter une absence. Une sorte d’ironie sur le site de l’ancienne usine. Les lumières de l’œuvre ondulent entre le rouge et le blanc, des codes utilisés dans notre société pour signaler le danger, et l’œuvre, vue d’en haut, forme une cible. Les mémoriaux ont maintenant deux figures( jour et nuit), se renouvellent, et proposent différentes sensations et messages en fonction des temporalités. La lumière a également une inspiration religieuse, elle crée des atmosphères fortes, extrêmement travaillées dans les lieux de culte. Par les vitraux des églises en journée, et les forêts de bougies le soir. Alors grâce aux nouvelles technologies, le mémorial retrouve un côté mystique.
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Reflecting Abscence - Michel Arad - Mémorial de New York
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Le reflet :
Dans la continuité de la représentation de l’absence, le reflet est un moyen fort et efficace. Michel Arad l’a bien compri lorsqu’il dessine les buildings en miroir sur les bassins de New York et qu’il nomme ce mémorial «Reflecting Abscence». A Washington, portant sur sa parure de marbre sa liste tragique, le mémorial de Maya Lin nous met face à nos fantômes. Le mémorial est un lien entre le monde de la vie et celui de la mort, c’est l’immatériel visible.
La prochaine étape, l’expérience sonore :
Des sons de bateaux résonnent dans la cale du mémorial de Nantes. L’œuvre de Gilles Conan à AZF bourdonne comme un courant électrique, comme une usine anciennement présente. Le toucher, la vue sont déjà convoqués, L’ouïe s’éveille aujourd’hui. Les mémoriaux pourront parler…que nous diront-ils ?
Les symboles sont de plus en plus neutres, sans désir de porter une valeur nationaliste, ou un jugement sur l’évènement. La douleur est autorisée par le cadre agréable et propice que les concepteurs tentent de créer. L’architecte Philipe Prost convoque d’autres messages qui l’aident à l’élaboration de la forme de son mémorial. Dans un site très peu contraint, sur le haut plateau, du monumental à l’invisible tout état possible. Telle une ronde d’enfants, main dans la main, le projet du mémorial devait selon l’architecte représenter symboliquement l’unité des nations. Il prend ainsi la forme d’un anneau. Une unité, tout de même très récente avec les premières idées de la création de l’Europe en 1950, qui semble encore instable. Cette sensation est retrouvée dans le mémorial lorsque le parcours de long de l’anneau perd pied et flotte au-dessus du vide. Le terrain offre en effet par sa topographie la possibilité de faire ressentir aux visiteurs la fragilité de la paix.
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….et après ?
Une fois le mémorial construit, les enjeux du devenir de cet espace ne sont pas résolus car il traverse différents moments après la conception. Tout d’abord c’est la réception du mémorial, la phase du deuil et de la reconnaissance du drame. Son arrivée soulage les familles et la communauté. Puis, le mémorial est dédié aux témoins encore présents, à la commémoration. C’est une période où nous revenons sur l’histoire avec plus de distance la comprenons et l’intégrons. Le mémorial permet la visite de ceux qui ont connu l’évènement mais l’ont vécu de loin. Enfin, les générations futures sont au cœur de son avenir et de sa fonction de transmission. Il prend un rôle d’éducateur en enseignant les leçons du passé. Une filiation s’installe sur le lieu, nous repartons du mémorial avec une responsabilité envers le passé et le futur. Mais après, les évènements s’accumulent et que retiendrons nous ? L’architecture est plus pérenne que l’histoire. Les ruines d’Athènes et les monuments des guerres qu’on ne commémore plus (1870) sont la preuve physique que la pierre reste et que l’éthique nous empêche de l’effacer. Quand l’histoire s’en va, l’objet fait souvenir, mais fait-il toujours sens ? Le risque majeur du mémorial est la désolidarisation de l’histoire et de l’objet. La production du mémorial en tant qu’artefact évolue avec les générations mais le monument en soit, semble figé et le risque est qu’il devienne obsolète ou tombe en désuétude. Le monument du temps est détaché de son contexte et devient invisible. Dans la création du mémorial, il est donc primordial de prendre en considération le facteur temps afin de générer une persistance du sens et une immortalisation de l’évènement. Mais comment ? Même critiquables, Le tourisme, les associations puissantes, et la commémoration sont des outils essentiels à la stabilité de la mémoire. Acteurs de l’institutionnalisation, ils assurent également la survivance du lieu. L’expérience fait que nous avons conscience de ce risque de désolidarisation. Il faut alors anticiper un espace qui puisse supporter ce risque. Ainsi l’histoire et la mémoire se scindent dès le début du projet. Le centre d’interprétation apparait et permet la conservation du contexte. Le mémorial, lui, fait vivre l’émotion, transmet les sensations avec une conscience du contexte en arrière-plan. Il n’y a plus besoin d’épitaphes car il réveille en chacun le souvenir lointain de l’histoire. Les concepteurs ne désirent plus créer des lieux abandonnés de vie, où seul un banc abrité d’un platane se retrouve face à la statue. Ils choisissent dès le départ, d’offrir le mémorial au monde des vivants. Ce n’est plus seulement un monument, c’est un quotidien, c’est une place, c’est un lieu unique. Là, vivants et morts cohabitent, et le mémorial s’intègre parfaitement dans le paysage de la ville.
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En désolidarisant l’objet de l’histoire à la génèse du projet, le message est presque absent, indirect mais l’expérience sensorielle reste. Le travail de mémoire est plus complexe mais le lieu devient plus riche. Aujourd’hui le mémorial est un lieu de mémoire vivant, un espace de réflexion, de recueillement et d’apprentissage. Il assure sa fonction d’unificateur en devenant un lieu de rencontre et d’échange.
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Conclusion
Au terme de cette réflexion, il semble nécessaire de rappeler les questionnements qui nous ont amenés à réaliser cette étude : Quelle place les mémoriaux et leurs pratiques ont-ils aujourd’hui dans la société, la ville et la production architecturale ? Comment s’effectue le processus de conception de ce nouveau programme ? En quoi joue-t-il un rôle dans la mémoire collective ? Autrefois, monument aux morts que nous contournions sur la place de la mairie, le mémorial aujourd’hui se traverse, se parcourt, se vit. S’il était lieu de rassemblement lors des grandes dates de commémoration, le mémorial demeure un véritable repère dans la ville. Lieu attractif et unique par l’originalité des espaces proposés, ces lieux de mémoire acquièrent une grande notoriété. La difficulté de l’analyse de ce nouveau programme réside dans la diversité morphologique des mémoriaux existants. Certains sont murs, d’autres places urbaines et d’autres encore prennent une forme hybride entre l’installation et la sculpture. Chaque mémorial est la représentation d’un évènement précis dans un contexte particulier. Ainsi, la coexistence de styles architecturaux variés dans le programme du mémorial, crée une image urbaine plurielle et reflète la continuité historique. Le mémorial s’accroche à la grande pérennité de la ville qui s’étale, mute se refait sur elle-même mais surtout se constitue de temporalités différentes permettant alors d’accepter un représentant du passé. Il est important de comprendre qu’en représentant de l’histoire et du passé, ce monument exprime le rapport que la société entretient avec le drame. Tout d’abord une sculpture sur un socle de pierre éditée en série, le monument aux morts permet d’exprimer et de partager sa perte jusque sur l’espace public. Il est aussi un moyen de représenter un deuil national et une mémoire collective fédératrice. Puis à l’image de l’horreur des guerres, il devient international et monumental. La France possède des cimetières étrangers et des édifices de pierres qui pointent vers le ciel. La douleur du passé nous écrase autant qu’elle nous impressionne. Cependant, les mémoriaux, édifiés sur les champs de bataille, sont impersonnels et non propices au recueillement. Symétriques et imposants, ils appartiennent à une architecture classique et hors d’échelle. Comme les conflits ont évolué, le mémorial s’est adapté. Ce ne sont plus des noms de soldats mais de civils et le profil de l’ennemi est plus floue, dans une société qui aspire à la paix. Alors le mémorial se creuse dans le sol et tente de disparaitre. Il n’en devient pas moins impressionnant. Saisissant devant l’immensité verticale qu’il est capable de prendre avec les 2ha de stèles du mémorial de Berlin ou avec les 10 m (soit 4 étages)
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de profondeur de celui de New York. Le constat de la perte de la monumentalité et de la volonté du mémorial de se faire discret annonce une nouvelle façon de considérer le drame. Il s’intègre dans la ville autant que notre quotidien. Marqueur de société, le mémorial apporte des indices sur les comportements sociaux et politiques, ainsi que les rites d’une communauté. En analysant spatialement et sociologiquement les pratiques de ce monument, nous découvrons qu’il s’inscrit non seulement dans le territoire et notre mémoire mais qu’il est aussi une forme de construction d’un espace politique. Le mémorial est la représentation physique de la nation et de ses institutions. C’est en étudiant les notions d’éthique et de patrimoine qui se rattachent aux lieux de mémoire, que nous comprenons le fonctionnement du mémorial avec sa communauté. La valeur du patrimoine, qu’il soit architectural ou immatériel, n’est pas mesurable économiquement mais de façon historique et mémorielle. Ce nouvel édifice devient un objet de valeur par ses pratiques, ses usages et sa représentation. Nous pourrions donc dire que le lieu accède au rang de patrimoine parce que le contexte historique a changé son usage et sa forme. Il possède alors une valeur émotionnelle et mémorielle plus forte que la qualité architecturale. L’éthique justifie la conservation de certains lieux et l’édification des mémoriaux. C’est par respect envers le drame, les victimes, les familles, mais aussi l’architecture et la mémoire du lieu, que le programme du mémorial n’est pas remis en question dans la production. Plus encore, il est important pour la morale de notre société de réaliser des mémoriaux, et il est bon pour le mémorial de le considérer avec éthique. Certes cette notion de respect provient de mécanismes intrinsèques mais il est fortement encouragé par la société et les institutions. Celles-ci dictent le comportement approprié face à notre histoire, en appliquant des processus de patrimonialisation et créant une législation autour de la mémoire. Elles ne nous montrent pas seulement l’exemple à suivre, elles nous imposent un devoir, un devoir de mémoire envers notre histoire et les lieux où elle se cristallise. L’intérêt pour le passé a évolué, avec la prise de conscience que la conservation de notre héritage commun n’est pas seulement un devoir moral dû aux générations futures mais aussi un besoin essentiel pour la survie de notre génération et de la nation. Nous réalisons qu’avoir un passé, c’est avoir une identité aussi bien individuelle que collective, et que le mémorial est un de ses témoins. Ainsi, conscients d’être soumis à une obligation de mémoire, nous comprenons l’importance du maintien de l’équilibre de la communauté et investissons du sens collectivement. Certains voient dans cette reconnaissance un moyen essentiel à la résilience pour la reconstruction des individus et des sociétés après les crises. D’autres croient cet outil capable d’éviter la rupture de la chaine de transmission. Chacun a sa place dans le réseau d’acteurs de la mémoire. De l’historien au touriste, du politique à l’architecte, tous participent à reconnaitre le trauma et la nécessité d’édifier un monument. De cette façon ils sont liés autour d’un évènement, d’un discours, d’un lieu.
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Cette volonté est cependant largement exprimée par le politique car c’est surtout à lui que revient la tâche d’assurer la conservation de la stabilité de la nation. Entretenant naturellement une relation affective avec notre patrimoine et sa valeur mémorielle, nous sommes d’autant plus sollicités face à la commémoration, aux médias, aux marches de solidarité, aux minutes de silence… Le politique cultive ce culte moderne, se servant de notre affect afin d’uniformiser la lecture de l’histoire. Cela n’est pas un mal, quand l’idéologie tend vers la paix et qu’il n’y a pas récupération du passé. L’homme se réunit naturellement dans la souffrance et le traumatisme, et afin de garder cette union, le drame s’entretient par la représentation physique, par le mémorial. L’espace, composé de représentants spatiaux de l’unité nationale comme le mémorial participe à la création au maintien d’une société. Tel notre Marianne, il s’édifiait sur des lieux emblématiques pour la nation(mairie, place…), aujourd’hui, c’est le mémorial qui est un lieu emblématique à part entière. Les acteurs du patrimoine n’ignorent pas la question du sens, de la cohérence et de la forme que doit prendre la transmission d’un événement traumatique. C’est pourquoi, le mémorial doit accueillir les rassemblements futurs, les codes et symboles de la communauté qu’il représente afin que chacun s’y reconnaisse et souhaite commémorer à leur tour. L’intégrer dans notre quotidien ne le rend pas pour autant banal mais il faut accepter également de ne pas le sacraliser au risque d’en faire un lieu non fréquenté. Le politique prend une décision quant au poids et à la portée que cet évènement prendra, dans notre société, notre histoire et même notre espace. Cette décision induit l’importance et le caractère du mémorial. Les acteurs de la mémoire sont responsables de sa transmission et souhaitent tous défendre l’importance de la perte qu’ils ont subie. Que ce soit une nation entière qui défend son honneur et son pouvoir, les familles de victimes qui portent le souvenir, l’état qui se montre en victime, ou l’historien qui se pose en savant de la transmission, chacun défend un idéal à travers le programme du mémorial. Le rôle de l’architecte est ensuite de le formaliser. Au service de la population, il met en forme les différents usages que ce programme doit permettre. Il a le rôle de sublimer la mémoire, tout en gardant une certaine mesure et pudeur. Lieu touristique, le mémorial est de plus en plus esthétique, et créateur d’émotion. Il n’a pas de vocation didactique et souhaite par son silence susciter l’empathie et le questionnement du visiteur concentré sur l’espace qui l’entoure. Il retrace l’absence et la catastrophe par une évocation qui appartient au domaine du symbolique. Avec un grand engouement pour l’histoire, le visiteur découvre un monde hors du temps où il éprouve sensoriellement l’évènement. Ce programme libre et unique joint symboles et recueillement comme le faisaient les concepteurs des monuments religieux.
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Cependant, cet artefact de la mémoire est laïc, et utilise des symboles neutres et universels qui s’adressent « à l’humain et non à un homme venant d’une culture». Le message est véhiculé de façon inconsciente et souhaite provoquer une réflexion personnelle sur l’évènement. L’utilisation de l’émotion dans le cadre du mémorial permet de s’approprier des faits historiques avec lesquels nous sommes en distance et ainsi de mieux transmettre notre passé. Il représente l’histoire de la communauté, mais aussi ses coutumes et sa façon de cohabiter avec son passé. Si les pratiques traditionnelles ne sont pas toujours claires sur cet espace hybride et que les autorités s’alarment évidemment de certains comportements, il semble cependant important de les considérer aussi comme un fait de la vie sociale et culturelle du monde dans lequel nous vivons. L’espace a sa part de responsabilité dans les conduites qu’il induit. Un lieu ouvert et planté laisse le public libre d’appropriations quotidiennes, un autre à la forte spatialité attire des visiteurs curieux. Nous pourrions même penser que ce type de programme offre la possibilité d’un double usage : celui de commémorer car la trace du passé reste cruciale, et celui du loisir en allant s’y balader. Acteur de la transmission et de l’interprétation, ce nouvel espace public apparait à chaque drame que nous vivons. Des mémoriaux sont construits lorsque nous nous apprêtons à oublier, comme l’anneau de la mémoire, et ceux qui relisent l’histoire passée, comme l’abolition de l’esclavage. Ce dernier trauma relève du choc culturel et implique de nombreux pays. La reconnaissance spatiale de cette erreur humaine n’en est qu’à ses débuts et apporte une dimension internationale supplémentaire au mémorial. En observant une floraison de mémoriaux, ne craignons nous pas d’observer une banalisation du drame ? Un espace encombré de lieux sacralisés, recouvert de plaques ? Que notre mémoire collective devienne une « mémoire saturée »? Si nous finissons par nous lasser de ces espaces, comme nous l’avons fait auparavant avec notre « Poilu », ou nos obélisques de champ de bataille, quelle forme devra prendre le mémorial pour le rendre toujours plus vivant et attractif ? En d’autres termes, si la question était de savoir comment nous allons conserver la mémoire dans ces lieux, aujourd’hui elle est plutôt de trouver comment conserver la vie dans ces espaces ?
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Architecte : Philippe Prost Maître d’Ouvrage : Conseil Régional Nord Pas de Calais Localisation : Nécropole nationale de Notre Dame de Lorette à Albain Saint Nazaire – Pas de Calais. Programme : Mémorial International Notre Dame de Lorette Typologie de la catastrophe : Conflits militaires survenus durant La Grande Guerre Typologie de réponse : Réalisation d’un mémorial contemporain Nombre de morts : 579 606 Date de la catastrophe : 28 juin 1914 - 11 novembre 1918 Date inauguration du projet : 11 Novembre 2014 Coût du projet : 5,4 Million d’euros. Surface du projet : 15000 sur un terrain de 2,2 hectares Matérialité :Acier Inoxydable doré et béton Autres intervenants conception : Yann Toma création lumière - David Besson Girard Paysagiste Frédéric Reverseau - Pierre di Sciullo graphiste, typographe Autres :Prix Equerre d’argent dans la catégorie « culture, jeunesse et sport »
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Architecte : Service territorial de l’Architecture et du Patrimoine de la Haute-Vienne Maître d’Ouvrage : Conseil Régional du Limousin Localisation : Ville d’Oradour sur Glane Programme : Mémorial du Village des Martyrs Typologie de la catastrophe :Massacre d’un village entier par la division das Reich SS nazis. Typologie de réponse : Ruines conservées et centre d’interprétation Nombre de morts : 642 Date de la catastrophe : 10 juin 1944 Date inauguration du projet : mars 1945 visite du Général de Gaule Coût du projet : Surface du projet : surface inconue, enceinte autour du village Matérialité : Acier corten et pierre d’origine Autres intervenants conception : Autres : Nouvelle vile construite à l’identique à côté de l’ancienne.
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Architecte : Daniel Libeskind Michel Arad Maître d’Ouvrage Corporation (LMDC)
:New York City and Lower Manhattan Development
Localisation : New York - centre d’affaire Programme : Mémorial-centre d’information et 5 tours Typologie de la catastrophe :Attentat terroriste contre les tours du Worl Trade Center Typologie de réponse : Centre d’information sous un place végétalisée Nombre de morts : 2 977 Date de la catastrophe : 11 septembre 2001 Date inauguration du projet : septembre 2011 Coût du projet : 510 millions de dollars Surface du projet : 6 ha Matérialité : Métal - eau Autres intervenants conception : Peter Walker architecte paysagiste Autres : Compris dans un nouveau complexe urbain - gare de Calatrava - Projet inclu dans un Master PLan
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Architecte :Conan Gilles Collectif Lab[au] Maître d’Ouvrage :Ville de Toulouse et associations Localisation : Toulouse Programme : Mémorial Typologie de la catastrophe :Explosion chimique de l’usine AZF Typologie de réponse : Sculpture traversante en tubes Nombre de morts : 33 Date de la catastrophe : 21 septembre 2001 Date inauguration du projet : 21 septembre 2012 Coût du projet : 1% artistique Surface du projet : inconnu Matérialité : Inox Autres intervenants conception : Autres : Oeuvre sonore
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