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À LA DÉCOUVERTE DE LA PHARMACIE EN RÉGION ÉLOIGNÉE

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MOT DE LA FACULTÉ

MOT DE LA FACULTÉ

ENTREVUE AVEC IULIA ANDREI, ÉTUDIANTE EN 3E ANNÉE AU PHARM. D.

L’été dernier, Iulia a eu la chance de participer à un projet bien particulier à Kuujjuaq, dans le Nord-du-Québec, en tant qu’étudiante en pharmacie. Je l’ai rencontrée pour qu’elle nous raconte son expérience.

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PAR PÉNÉLOPE LEGAULT (III)

Présente-toi brièvement

Je m’appelle Iulia, j’ai 22 ans et je suis étudiante en 3e année au Pharm. D. à l’Université de Montréal. Après mes études au Collège Montmorency, je savais que je voulais continuer dans le domaine de la santé, mais je ne savais pas quelle profession exactement m’intéressait. J’ai donc fait un an en physiothérapie à l’Université de Sherbrooke avant de changer pour le programme de pharmacie. Sinon, j’aime le plein air et le sport. Je passe beaucoup de mon temps dehors!

Quel est le projet auquel tu as participé l’été dernier?

J’ai passé cinq semaines à Kuujjuaq où j’ai participé à un projet d’amélioration du circuit du médicament. L’approvisionnement en médicaments et en soins est très difficile dans le Nord-du-Québec. Des erreurs ont amené le gouvernement à réaliser qu’une réorganisation de l’approvisionnement et de la distribution des médicaments était nécessaire sur l’ensemble du territoire. Le Ministère a donc alloué un montant pour régler cette situation. J’ai été engagée pour aider la pharmacienne chef en tant qu’étudiante en pharmacie. J’étais logée en face de la pharmacie de l’hôpital dans ce qui ressemblait à une résidence (chambre privée avec des aires communes pour cuisiner). Il y avait d’autres professionnel.le.s de la santé avec moi qui avaient obtenu un « congé nordique ». C’était des infirmier.ère.s, des médecins et des technologues en radiographie gradué.e.s qui avaient pris un congé de leur emploi à Montréal pour venir travailler 1 à 2 ans dans le Nord.

De façon plus concrète, qu’as-tu fait durant ces semaines?

Il y avait deux parties au projet : Premièrement, j’ai rédigé des formulaires pour des ordonnances collectives, un peu comme les algorithmes proposés par l’ABCPQ, pour faciliter la prescription de médicaments. Même s’il y a quelques médecins à Kuujjuaq, les villages autour comme Quaqtaq, Kangiqsualujjuaq (aussi appelé George River) et Salluit n’ont pas toujours des médecins. Ce sont souvent des infirmier.ière.s qui prescrivent avec des ordonnances collectives. Ils et elles trouvaient difficile de savoir quoi prescrire. Nous avons donc créé des formulaires pour leur permettre de prescrire plus facilement.

Deuxièmement, j’ai aidé à revoir la gestion des patient.e.s en service de pilulier. Les piluliers sont préparés dans une pharmacie à Montréal. Ils sont toujours préparés à l’avance pour s’assurer qu’ils soient reçus à temps, mais parfois les piluliers étaient distribués en avance au lieu de bien suivre les dates. Cela causait donc des problèmes dans la continuité des soins, surtout pour ce qui est des changements dans la médication. Il y avait aussi des problèmes de suivi avec les FADM (feuille administration des médicaments par les infirmier.ière.s). Elles n’étaient pas toujours reçues, et souvent pas à jour. J’ai aidé à réorganiser la distribution des piluliers et l’envoi des bonnes FADM . Tout cela a permis de faciliter le travail des infirmier.ière.s. Je leur lève mon chapeau puisqu’ils et elles sont parfois les seul.e.s professionnel.le.s de la santé dans des communautés plus reculées. Ils et elles se retrouvent à faire un peu de médecine et de pharmacie en plus de leur rôle d’infirmier.ère. C’était très stressant pour eux et elles puisque c’est leur licence qui était en jeu si une erreur était commise.

J’ai aussi aidé la pharmacienne chef à revoir la gestion de l’inventaire. Le laboratoire n’est pas un comptoir comme on les connaît ici, mais plutôt un local où tous les médicaments sont entreposés. On a réalisé qu’il n’y avait pas de liste de l’inventaire ce qui entraînait des pertes. Par exemple pour les statines. En faisant le ménage, on a dû jeter différentes statines car peu de patient.e.s les prenaient. J’ai donc regardé combien de patient.e.s prenaient chaque type de statine pour voir s’il était possible de commander moins de statines différentes. Cela permet de sauver de l’argent, d’éviter les pertes, de commander des plus grandes quantités de chaque médicament et d’avoir moins de médicaments à ranger puisque l’espace est aussi un enjeu. On a fait cette démarche pour tous les médicaments de la pharmacie.

Comment as-tu entendu parler de cette expérience?

Un coup de chance! Je voulais faire quelque chose de différent pendant l’été et j’ai vu un poste à Kuujjuaq de technicienne en pharmacie sur une plateforme de remplacement. L’expérience me tentait beaucoup et je trouvais ça intéressant, mais le temps que je me décide le poste n’était plus disponible. J’étais déçue, mais mon copain m’a encouragée à appeler à Kuujjuaq pour voir s’il n’y avait pas un autre poste de disponible. J’ai trouvé le numéro de l’hôpital sur Internet, qui est aussi lié à la pharmacie de Kuujjuaq. La pharmacie est à la fois une pharmacie « communautaire » et celle de l’hôpital. Un côté est accessible au public ; en arrière du local, c’est la pharmacie de l’hôpital. Je ne pensais pas que ça fonctionnerait, mais j’ai réussi à parler avec un pharmacien. Il m’a dit qu’ils n’avaient pas de poste pour moi, mais que je pouvais envoyer mon CV par e-mail pour être mise sur la liste de rappel. Deux semaines plus tard, la pharmacienne chef m’a contactée pour me proposer le projet. Un mois plus tard, je partais pour cinq semaines à Kuujjuaq.

Pourquoi voulais-tu vivre une expérience de travail dans le Nord-du-Québec?

Pour mieux comprendre les enjeux de ces communautés. Je ressentais aussi une grande inégalité entre ce que nous avons et les ressources auxquelles ils et elles ont accès, et je souhaitais aider comme je le peux. Le budget qui a été reçu pour réaliser le projet, tant mieux qu’il ait été donné, mais ça aurait dû arriver il y a 10 ans. Je trouve ça frustrant qu’il y ait tant de difficulté d’accès aux soins de santé physique et psychologique. Je voulais aussi découvrir cette région et j’ai eu la chance de le faire durant mon travail en visitant plusieurs villages.

As-tu une anecdote inusitée qui t’es arrivée pendant le projet?

Ce n’est pas directement lié au projet, mais plutôt à ma vie lors de ces cinq semaines. Les gens avec qui j’habitais m’ont invitée à jouer au volleyball les mercredis soirs avec eux et elles. Étant quelqu’un de sociable et sportive, je n’ai pas dit non. C’est lors de ces soirées que j’ai rencontré mes ami.e.s inuit avec qui j’ai passé le reste de mon séjour. Mon anecdote préférée s’est passée avec eux et elles. Une journée, il faisait 25 °C à Montréal, mais il neigeait à Kuujjuaq. Deux jours plus tard, il faisait un beau gros soleil et les gens parlaient d’été en ce début de juin. Mes ami.e.s ont donc proposé qu’on se jette à l’eau. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y avait des glaciers sur cette eau deux semaines plus tôt… Sous l’encouragement de mes ami.e.s qui me disaient que c’était une des plus belles journées, on s’est tous et toutes lancé.e.s à l’eau. Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie!!! Tout mon corps a gelé en 3 secondes. Pour souligner ce début d’été, une soirée sur la plage s’est organisée et nous avons été rejoints par des gens qui jouaient du tam-tam et de la guitare. On a aussi eu des cours de salsa sur la plage! Au final, ce fut un magnifique samedi de début d’été.

Le budget qui a été reçu pour réaliser le projet, tant mieux qu’il ait été donné, mais ça aurait dû arriver il y a 10 ans.

Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées?

Qu’est-ce que le projet t’a apporté?

J’ai eu un gros choc culturel en arrivant. Je devais suivre une formation sur ce à quoi m’attendre avant de partir. Par contre, comme j’ai été engagée rapidement, je n’ai pas eu la chance de la recevoir. Aussi, de réaliser que malgré mon ouverture d’esprit et mon désir de les écouter, le fait que je sois blanche, je fais partie indirectement du problème. J’ai eu beaucoup de difficulté à accepter ça, j’ai trouvé ça triste. Ça a été une prise de conscience. Enfin, vers la fin de mon séjour, je commençais à m’ennuyer de mon monde. Habituellement, quand tu as un emploi pour plus longtemps, tu travailles 2 mois, puis tu as un mois de congé pour revenir à Montréal. Je n’ai pas fait 2 mois complets, mais après 5 semaines, je commençais à m’ennuyer!

J’ai beaucoup appris sur leur communauté et sur moi-même. J’ai aussi eu la chance d’avoir des discussions avec mes ami.e.s inuit sur la situation des pensionnats. Pendant mon séjour à Kuujjuaq, des sépultures d’enfants envoyés dans les orphelinats ont commencé à être retrouvées. Ce n’était pas facile à digérer pour les habitant.e.s de la région. Par contre, mes ami.e.s ont accepté qu’on aborde ce sujet douloureux ensemble. Ils et elles m’ont ouvert les yeux. Ce qu’on apprend à l’école et dans les livres d’histoire, c’est 10% de ce qui s’est réellement passé. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas dites, et ce qui est raconté est souvent romancisé pour que le colonialisme ait l’air plus gentil. Par contre, j’ai réalisé que ce qui a été vécu par ces communautés, c’est très très difficile.

Quel est l’intérêt de participer à ce type d’expérience?

Ça permet de grandir et de sortir de sa zone de confort. C’est aussi extrêmement utile pour la pratique plus tard. À l’école, on nous apprend à être empathique, on nous parle de communication avec des populations différentes, mais la seule façon de vraiment le comprendre c’est à travers des expériences. De plus, si tu travailles dans un milieu avec une population marginalisée ou fragile, ça te donne des outils sur comment adapter tes

soins pharmaceutiques. C’est une expérience extrêmement enrichissante. Aussi, ça nous amène à réaliser à quel point on est privilégié.e. Oui, notre programme est difficile, les heures à la pharmacie sont parfois longues. Mais de se retrouver dans des conditions plus difficiles, c’est une bonne leçon d’humilité.

Un mot de la fin pour les étudiant.e.s

De se laisser déstabiliser, de ne pas avoir peur de sortir de sa zone de confort. Quand on se laisse déstabiliser, on est dans le moment présent et on vit des belles choses.

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