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L’ENFANT AFRICAIN VAMBA SHERIF

VAMBA SHERIF

THE AFRICAN CHILD

Il existe une version africaine de la création du monde dans laquelle la femme, la mère, est représentée sous la forme d’une marmite, les bras ouverts, prête à recevoir et à protéger son enfant. Dans cette version, qui varie légèrement d'une région à l’autre, l’amour d’une mère pour son enfant occupe une place essentielle. C’est un amour ancré dans le fait qu’elle a été le premier être humain à parcourir le monde et à ressentir les douleurs de l’enfantement et la joie de donner la vie. Dans de nombreux pays d’Afrique, le rôle de la mère transcende les restrictions que la société impose à la femme, même dans les sociétés où ses droits sont limités. Bien avant l’avènement de l’Islam et du Christianisme, la mère était vénérée comme une déesse. Pour un enfant africain, la mère représente bien davantage que la somme des rôles qu’elle occupe en tant que parent. L’enfant la considère comme son point d’ancrage, à partir duquel il ou elle relève les défis de la vie. Il existe d’innombrables récits d’enfants qui, séparés de leur mère, restent reliés à elle par un lien plus puissant que tout lien physique, qui les pousse finalement à revenir vers elle, vers le berceau de leur existence.

There is an African version of creation in which woman, the mother, is represented as a cooking pot; as open arms, ready to receive and protect her child. In this version, which slightly varies from one place to another, a mother’s love for her child stands central. It is a love grounded in the fact that she was the first human being to roam the earth; the first to feel the pain and joy of birth and life. In many countries in Africa the role of the mother transcends the restrictions society imposes on women, even in those societies where her rights are limited. Long before the advent of Islam and Christianity, the mother was worshipped as a goddess. To an African child, the mother is much more than the sum of her roles as a parent. The child regards her as the anchor point, from where he or she undertakes life’s challenges. There are countless stories of how children, separated from their mothers, remain bound to them by a connection deeper than any physical bond. This leads the children in the end to return to the mother; to the cradle of their existence.

Le voyage de l’enfant et de sa mère commence à sa naissance, mais est en soi un voyage qui ne se termine jamais. Il prend de multiples formes alors que l’enfant grandit, se manifestant dans les expériences qu’ils partagent tous les deux, seuls ou ensemble. Les histoires qu’ils se racontent, la douleur de la séparation et la joie des retrouvailles, le voyage physique qu’ils entreprennent tous deux, ainsi que le voyage spirituel, sous la forme de l’amour qui les relie, ne sont que les variations d’un même cheminement. Ils se complètent tous deux de manière indescriptible.

The journey of child and mother begins with birth, but in essence, the journey has no ending. The journey takes on many forms as the child grows, manifesting itself in the experiences the two share, either alone or together. The stories they tell each other, the pain of separation and the joy of reunion, the physical journey both undertake, the spiritual journey in the form of the love that binds them; are all variations of the same journey. The two complement one another in indescribable ways.

Le lien entre mère et enfant prend une signification particulière lorsque cet enfant se trouve appartenir à deux mondes: celui de l’Afrique et celui de l’Europe. Un enfant qui possède ce double héritage doit, pour survivre, être préparé à porter le poids de ces deux univers, différents et parfois opposés. Son propre bien-être en dépend. C’est là qu’intervient le rôle des parents. L’enfant doit apprendre à accepter ces deux mondes, avec le passé et les imperfections de chacun.

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Le lien entre Noah Saliou et sa mère Judith Quax est l’alliance de ces deux mondes. C’est un cheminement entre leurs sphères d’influence. Mère et enfant sont comme un balancier, oscillant d’un monde à l’autre, tiraillés par ces deux mondes, tout aussi attrayants l’un que l’autre. Parfois, l’un d’entre eux prend le dessus, et l’enfant subit une grande perte. Judith a dû en être consciente lorsqu’elle était enceinte de Noah. Le père de l’enfant vivait ailleurs et elle a sans doute réalisé que ce serait à elle


THE AFRICAN CHILD

L'ENFANT AFRICAIN

The bond between mother and child takes on a special significance when that child happens to be of two worlds: the African and the European. A child who inherits these two worlds must, for his or her survival, be prepared to carry the baggage of these two different and sometimes opposing worlds. His or her very wellbeing depends on this. Here, the role of parenting comes in. The child needs to learn to accept these two worlds, with all their histories and imperfections. The bond between Noah Saliou and his mother Judith Quax is a union of these two worlds. It is a journey between these spheres of influence. Mother and child are like a pendulum moving between one world and the other; each of the two worlds pulling at them, one as appealing as the other. Sometimes one of the two gains the upper hand, and the child experiences a great loss.

qu’incomberait la tâche de l’élever, tâche partagée occasionnellement et aussi souvent que possible avec le père. Mais comment préparer l’enfant à une vie dans laquelle manquait une facette de son héritage? Comment l’élever aux Pays-Bas de manière à ce qu’il reste fier d’un héritage le plus souvent absent de sa vie? Ce sont ces questions qui ont dû rendre nécessaires les mesures que Judith prendrait plus tard, afin de préparer son fils aux défis que ces deux mondes lui poseraient. Le défi n’était pas de savoir si Noah allait privilégier son héritage européen par rapport à l’africain, mais de savoir comment marier en lui ces deux mondes. Il ne s’agissait pas de regarder de haut l’un d’entre eux pour des raisons historiques, mais de ne faire qu’un avec les deux.

Judith must have been aware of this while pregnant with Noah. The child’s father lived elsewhere, and she must have realised that the effort of raising him was hers. Shared with the father on an occasional basis – but as often as possible. How to prepare the child for a life in which one aspect of his heritage was absent? How to raise him in the Netherlands in such a way that he would be and stay proud of a heritage mostly absent from his life? These questions must have necessitated the steps Judith would later take to prepare her son for the challenges these two worlds would pose. The challenge was not whether Noah should choose his European heritage above the African, but rather how to unite both of these worlds within him. Not looking down at one for reasons of history, but rather being one with both. The child could be better informed, and his views better shaped if he were to see the continent of his father up close and personal; from a unique perspective. He needed to travel through it, not fly over it from one port of entry to another, but proceed in a slower, more gradual way. This way was by car. It allowed Noah to see and smell Africa in ways that would permanently shape his views of the world. It let him see that the Africa he’d heard about, and which was portrayed so negatively in the media, is in fact a huge continent that contains within its borders cultures as various as the colours of the world. Journey to Dakar was born.

L’enfant pourrait être mieux informé et ses opinions mieux formées s’il avait l’occasion de voir de près le continent de son père, depuis une perspective unique. Il fallait qu’il le parcourt, non pas par avion, ce qui signifierait aller d’un port d’accès à un autre, mais à un rythme plus lent, plus progressif. C’est en voiture que cela s’est fait. Grâce à elle, Noah a vu et a senti l’Afrique d’une façon qui façonnerait définitivement sa vision du monde. Elle lui a permis de voir que l’Afrique, dont il avait entendu parler et qui était décrite de manière si négative dans les médias, est en fait un immense continent, dont les frontières abritent des cultures tout aussi variées que les couleurs du monde. Ce fut la naissance de Voyage à Dakar.

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VOYAGE À DAKAR CHRISTINE OTTEN

CHRISTINE OTTEN

JOURNEY TO DAKAR

Du moment qu'elle était sur la route dans sa vieille mercedes de couleur sable, achetée à un vendeur de voiture d'occasion du quartier nord d'Amsterdam pour une bouchée de pain, son fils de quatre ans à côté d’elle, comme s'il était un ange gardien, les mains au volant et le regard fixé sur l’asphalte ou le ou la piste ensablée, les montagnes au lointain, l’étoile de la Mercedes comme une boussole sur le capot, scintillante dans la lumière limpide du Sahara, le sable et la poussière qui s’envolent, la mouvance du paysage qui défile, presque comme un film, mais plus réel, plus authentique que ne lui paraissait sa vie ‘d’avant’ à Amsterdam; du moment qu’ils roulaient. Parfois accompagnée d'un passager assis à l'arrière ou à côté d'elle, Noah dans le rétroviseur, un autostoppeur retournant dans sa famille, chez lui, enfin, après des années; du moment que la voiture ne tombait pas en panne et que les policiers et les douaniers voyaient immédiatement la ressemblance entre elle et son fils, et qu’elle et Noah débataient pour savoir lequel des deux était le plus fort: l’incroyable Hulk ou Spiderman, et qu’elle jetait de temps en temps un coup d’œil sur l’autocollant qu’à Paris, l’oncle de Noah avait collé sur le tableau de bord en guise de talisman: un portrait de Serigne Saliou, homonyme de Noah et guide spirituel du père de Noah à New York; du moment qu’il était clair qu’ils étaient en route pour Dakar, au Sénégal, où habitaient le grand-père et la grand-mère de Noah; du moment que –

Just as long as she was moving, on the road, in the sand-coloured, almost forty-year-old Mercedes she had got for a knock-down price from a second-hand car dealer in Amsterdam-Noord, with her four-yearold son Noah beside her, almost like a guardian angel, hands on the wheel, eyes on the asphalt or dirt track, mountains in the distance, the Mercedes star leading the way like a compass, sparkling in the lucid light of the Sahara, sand and dust billowing in their wake, the changing landscape passing by, like in a film, but more real, more real than her ‘old’ life in Amsterdam seemed to her – just as long as they were driving, sometimes with a temporary passenger in the back, or even in the front next to her, Noah in the rear view mirror, hitchhikers on their way back to their family, home, finally, after so many years, just as long as the car didn’t break down and the police and customs officers saw the resemblance straight away between her and her son, and she and Noah chatted about who is stronger – The Hulk or Spiderman – and every now and again she glanced at the sticker Noah’s uncle had stuck on the dashboard in Paris as a kind of talisman – a picture of Serigne Saliou, Noah’s namesake and Noah’s father in New York’s Senegalese spiritual leader – just as long as they knew the final goal of their journey, Dakar in Senegal, where Noah’s grandpa and grandma live, just as long as – When life and work are as intimately connected as in the oeuvre of Dutch visual artist and photographer Judith Quax (1973), it’s no surprise that the meaning and impact of her work grow and change as Judith grows and changes and the way she sees the world evolves. Since 2007, she has been documenting the lives of migrants leaving Senegal for Europe. In Presence in Absence (2013), she photographed the empty rooms left behind by men who had made the journey to Europe; in Washed up clothing (2011), the washed-up remnants of the clothes of fishermen

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Lorsque l’existence et le travail de quelqu’un sont aussi interconnectés que dans l’œuvre de l’artiste plasticienne et photographe néerlandaise Judith Quax (1973), il n’est pas étonnant que la signification et l’impact de cette œuvre augmente et évolue au fur à mesure que Judith elle-même progresse et évolue, et avec elle, son regard. Depuis 2007, elle documente la vie des migrants qui ont quitté le Sénégal pour venir en Europe. Dans Presence in Absence (2013), elle photographie des chambres vides, abandonnées par des hommes qui ont fait la traversée vers l’Europe; dans Washed up Clothing (2011) ce sont les lambeaux de vêtements de pêcheurs et d’autres migrants échoués après leur départ sur la plage de Yoff, un village de pêcheurs situé sur la côte près de Dakar. Aux travers des images de ces deux projets artistiques, l’absence des gens, des êtres aimés – fils, filles, époux, pères, frères, sœurs – est douloureusement perceptible, presque tangible. Les photographies poétiques de ces deux séries révèlent un profond engagement, social et personnel, mais ce n’est qu’avec Voyage à Dakar, le voyage entre Amsterdam et Dakar qu’elle a effectué avec son fils en 2015, que Judith a osé prendre explicitement pour sujet sa propre vie et celle de son fils néerlando-sénégalais Noah, la mêlant aux récits et aux histoires d’autres personnes. Voyage à Dakar a pour elle toujours été davantage qu’un simple projet artistique. Elle désirait que son fils fasse connaissance avec sa famille sénégalaise,


JOURNEY TO DAKAR

VOYAGE À DAKAR

and other departed migrants on the beach at Yoff, a fishing village on the coast close to Dakar. In the images resulting from both projects, the absence of people, loved ones – sons, daughters, spouses, fathers, brothers, sisters – is painfully evident, almost physical. The poetic photos from both projects are ample evidence of strong social and personal commitment, but it was not until Journey to Dakar, the journey from Amsterdam to Dakar she undertook with her son in 2015, that she dared explicitly make her own life and that of Dutch-Senegalese Noah the subject of a work, and to interweave this with the stories and histories of others. For her, Journey to Dakar has always been more than an art project. She wanted her son to get to know his Senegalese family and Senegalese culture. She would also record the stories and images of the people she met along the way, who travelled along with them, with whom they sometimes stayed. They travelled against the flow of migration – an idea born of an impulse. She saw the sand-coloured Mercedes for sale at a garage while cycling through Amsterdam-Noord one day. The car’s colour reminded her of the desert. If she could sell the car in Senegal, she could get enough money for a plane ticket back. She hadn’t even really planned a route. It was only after the trip, when she was back in Amsterdam, that all kinds of questions bubbled to the surface. Had she used her son to as an excuse to realise her own ambitions and desires? What was this project really all about? What was her own voice?

avec la culture sénégalaise. Parallèlement, elle allait enregistrer les récits et les images des gens qu’ils rencontreraient en chemin, qui feraient un bout de route avec eux et chez qui ils logeraient parfois. Ils ont voyagé dans le sens opposé au flux migratoire. L’idée est née de manière très impulsive. Elle a aperçu un jour la Mercedes couleur sable chez un vendeur de voitures, alors qu’elle se déplaçait à bicyclette dans le quartier nord d’Amsterdam. La teinte du véhicule lui a fait penser au désert. Si elle revendait la voiture au Sénégal, ils auraient de quoi acheter un billet d’avion pour rentrer. Elle n’avait même pas réellement réfléchi à leur itinéraire. Ce n’est que le voyage terminé, une fois de retour à Amsterdam, que de multiples questions ont surgi: n’était-elle pas en train d’utiliser son fils pour légitimer ses propres ambitions et désirs? Quel était le véritable objet de ce projet? Quelle était sa propre voix?

Judith Quax grew up in the area known as the ‘kop van Noord-Holland’: a broad, open landscape by Dutch standards, much of it flat, windy and bare. You could hardly imagine a bigger sky. A Roman Catholic family typical for the province of Noord-Holland, lacking pretension or any great expectations. Somehow, she is now fulfilling her mother’s dreams. ‘She was a little different from the other people in the village, in

Judith Quax a passé sa jeunesse dans le nord de la Hollande septentrionale, dans un paysage qui est vaste pour les Pays-Bas, un horizon plat, exposé au vent, dénudé. On n’y voit guère que le ciel. Une famille catholique typique de la Hollande septentrionale, sans prétentions et sans grandes ambitions. Elle réalise en quelque sorte maintenant les rêves de sa mère. Celle-ci était un peu différente du reste du village, et de la famille, elle était audacieuse, ambitieuse, voulait voir le monde. Mais elle a aussi fini par se faire à l’idée que cela n’était pas possible. La mère de Judith est décédée très jeune, elle n’avait qu’une cinquantaine d’années. Noah n’était même pas encore né.

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L’immensité du paysage hollandais contrastait fortement avec le sentiment d’oppression qu’elle ressentait dans le village, à l’école, et même au sein de sa propre famille, avec les conceptions rigides concernant les diverses classes sociales, avec l’absence d’opportunités et de perspectives. Le désir de Judith faire les beaux-arts a également été accueilli de la même manière; avec incompréhension, considéré trop mondain. Une étrangère dans sa propre vie. Le fait qu’elle tienne de sa mère ne l’aidait pas vraiment non plus. Elle se mit à ressentir une sorte de Fernweh, cette nostalgie d’un horizon lointain où l’on n’a encore jamais été, un désir d’évasion, de départ.


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