Woodland Cemetery ou Les Chroniques de l'Effondrement

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STUDIO STOCKHOLM 2020

WOODLAND CEMETERY ou les chroniques de l’effondrement Charles Dilphy, Lénaïck Kunze


 L’architecture nous permet de percevoir et de comprendre la dialectique de la permanence et du changement, de nous situer dans le monde, et de nous placer dans le continuum de la culture et du temps.  Pallasmaa (Juhani), Le regard des sens, Linteau, Paris, 2010

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WOODLAND CEMETERY ou les chroniques de l’effondrement Charles Dilphy, Lénaïck Kunze

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Ceci n’est pas une fiction. Notre pensée est basée sur une certitude, celle de voir notre civilisation s’effondrer. Le capitalisme a progressivement usé, abîmé et altéré l’identité de l’humanité. Par confort et par égoïsme, l’Homme, prisonnier volontaire du système, a de lui-même laissé l’idéologie dominante capturer son droit de pensée et d’action, son fondement et son identité. Voici donc l’étrange réalité de notre époque qui fait de l’instantanéité une ruée, et du chaos, un sombre Eldorado érigé sous le blason de la Globalisation. Voilà le mauvais rêve collapsologique de l’Homme contemporain qui se laisse finalement aller dans la danse macabre du système de l’aliénation. Dans le paysage actuel, la ville se meurt. Sous couvert d’utopies sociétales, les architectes n’ont fait qu’observer passivement la chute de la civilisation industrielle. L’urbanisme s’est développé en domination absolue de l’être humain, érigeant le décor de la société du rendement, sombre miroir de son conditionnement. Sur le plateau de l’Urbain en expansion, l’architecture se donne à regarder comme des trophées starifiés, et la standardisation de la création est devenue l’outil de concrétisation d’une société de l’uniformisation. Oublié par les architectes, l’Homme contemporain, aux premières loges de la rupture, erre seul dans un espace poly-topique. L’édification a été troquée pour les lois du marché planétaire et tout allait, d’une manière ou d’une autre, s’effondrer.

L’abri primitif, seul refuge aux intempéries, avait été le premier réceptacle de la Société ; une construction idéale d’un lieu de simple nature. Le socle les élevait, les pièces de bois verticales formaient la structure, les branches et les feuilles les protégeaient du vent et de la pluie. Ces premières architectures incarnaient les refuges de l’Homme et le fondement de sa société, un abri, mais aussi un lien entre l’individu et le territoire qu’il habite, une édification profondément humaine, moteur de sociabilité, une architecture tolérante en harmonie avec l’environnement. L’heure n’est plus au déni face à la réalité objective de l’effondrement de la société. L’heure est au débat des consciences éveillées. L’architecture, comme moteur et reflet sociétal, doit réédifier, accompagner l’éveil de l’individu contemporain face à cette nouvelle réalité.

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Territoire L’appréhension, l’observation et la compréhension du WoodLand Cemetery (Skogskyrkogarden) de Stockholm mènent à une réflexion sur l’évolution des territoires et le développement de notre société. La formation de cette œuvre majeure de la culture suédoise est intimement liée aux motivations d’expansion de la capitale suédoise et au conditionnement de l’espace sociétal. L’île, bastion de nature, qui a pris place au sein du quartier Enskede, en retrait du centre de la ville, est un témoin métropolitain qui se construit et se déconstruit perpétuellement. C’est un territoire composite d’intérêt qui génère au sens urbanistique, des situations de choc.

Refuge Dans une réalité faite de quête de vitesse et de conquête de rendement, le cimetière constitue, de part sa nature et sa fonction, un antagonisme au système dominant. C’est un asile à la société capitaliste, un refuge à la condition du monde contemporain. C’est un lieu «foucaldien», étrange et étranger, un lieu « autre » ayant sa propre définition du temps et des usages qui en fait un espace de méditation. C’est un lieu d’histoire dans un monde qui la rejette, un refuge à la mémoire des individus, mais plus encore à la mémoire de la culture et de la nature. Woodland Cemetery est un lieu d’introspection ancré dans l’espace et le temps.

Relecture Le Woodland Cemetery offre à la fois un terrain historique d’observation, mais aussi un lieu d’expérimentation. L’évolution des pratiques sociétales liées aux progrès techniques et technologiques génère à Skoskyrkogarden une situation de confrontation. Un siècle après la première pierre débarquent les nouveaux

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visiteurs. Au nord, à l’ombre des pins, deuil et tourisme se rencontrent et redéfinissent l’atmosphère du cimetière. Au sud, le jeu du foncier voit naître une situation de choc où les services industriels s’emparent progressivement des terres du bastion de nature, laissant entendre sa relecture.

Dualité La relecture du programme du Skogskyrkogarden amène une ambiguïté accentuée par son évolution. Au regard des programmes architecturaux et paysagers implantés sur le site, et des usagers endeuillés qui le parcourent, tout laisse à croire qu’il s’agit d’un cimetière. Au regard de la volonté du projet d’Asplund et de Lewerentz, des colonisateurs qui s’y implantent, des joggeurs, touristes et pic-niqueurs, tout laisse à croire qu’il s’agit d’un parc. Skogskyrkogarden est double. C’est un refuge pour le deuil de l’individu pour certains, mais également pour le deuil de la société pour d’autres, y trouvant une échappatoire.

Structure Ce récit est amorcé par un ensemble de notions distinctes, à l’image de la fragmentation qui semble ériger le modèle d’organisation de l’archipel suédois. Origines et Oeuvre, interrogent la formation du cimetière dans son rapport intrinsèque au territoire, à l’architecture et au paysage. Relecture et Le paysage du XXIème siècle, amorcent les problématiques contemporaines du territoire de confrontation et de ses usages. Les chroniques de l’effondrement démarrent la narration du projet architectural et paysager. Une conciliation contemporaine qui, par le prisme de l’architecture, propose une relecture du territoire, confrontant le voyageur moderne à la propre réalité de notre société, à son absurdité, à son effondrement.


« Skogskyrkogarden, un refuge dans l’archipel de Stockholm » Carte territoriale, 2020.

Archipel La condition du territoire de Stockholm est induite par deux facteurs. D’une part, c’est un archipel territorial constitué de plus de 30.000 îles et îlots qui s’étendent jusqu’à la mer Baltique, 80 kilomètres à l’Est de la ville. De l’autre, c’est une ville patchwork, qui se développe via de multiples plans urbains. Le territoire fragmenté de la capitale suédoise se donne à lire comme un kaléidoscope d’identités urbaines. La petite île centrale de l’archipel voit naître la ville de Stockholm au début du 13ème siècle, dont les tracés organiques se donnent encore à lire aujourd’hui. Le développement sur les rives est tardif, ralentit par le gigantesque incendie de 1620 qui donna naissance aux premières réflexions urbanistiques et à la mise en place d’une grille au nord de la vieille ville. Les futures planifications sont confiées à des architectes du continent et témoignent du caractère diversifié de l’organisation globale de la ville. Leurs propositions forment un plan rigide, idéal de la Renaissance, qui accueille les châteaux et les palais en périphérie de la ville. A ce moment, la campagne environnante n’est constituée que de forêts et de terres agricoles.

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Fuite

Métamorphose

A l’heure de l’industrialisation, Stockholm capitale, jouit d’une influence naissante et de nouvelles classes migrent sur l’archipel. Le développement du chemin de fer apporte avec lui un énième plan urbain: le Lindhagen Plan 1866, qui fait écho à l’organisation urbaine des villes européennes. On assiste à l’explosion démographique de la ville et de nouvelles institutions sont construites (le Nordic Museum pour la culture et le Town Hall pour les institutions). Dès lors, une réticence envers les conditions de vie au centre de la ville se fait ressentir. Face à une densité qui progresse jusqu’à obstruer la respiration du milieu urbain, la fuite s’organise. Les industries s’installent dans les campagnes, générant parfois de véritables bidonvilles pour les ouvriers. Les classes bourgeoises fuient la densité du centre et s’enferment, le long du chemin de fer, dans des communautés de villages privés.

Jusqu’à la fin du XIXème, les régions du sud sont agricoles, et seules quelques paroisses viennent ponctuer l’étendue de champs et de fermes, composant le territoire. Le quartier Enskede, futur terrain d’accueil de Skogskyrkogarden, est occupé par une ferme qui profite de ses terres arables. Avec l’exode rural stockholmoise qui s’organise en même temps que le développement du chemin de fer, la zone se voit rapidement colonisée par la classe bourgeoise, encouragée par les plans économiques facilitant l’achat et la construction en périphérie de la ville. Le succès de l’opération financière est grandiose. Véritable phénomène au tournant du siècle 1900, les maisons individuelles incarnent l’utopie de l’habitat rural et forment un véritable terrain de jeu du foncier. En moins de 30 ans, le paysage autrefois constitué de forêts de pins et de champs se métamorphose laissant place à un patchwork urbain.


Idéal

Identité

Avec le soutien de l’architecte urbaniste Per Olof Hallman et du maire de la ville, Carl Lindhagen, le mouvement des cité-jardins prend place. Le travail de planification s’attache à l’idéal de la villejardin, théorisée moins d’une décennie plus tôt par le britannique Ebenezer Howard. Réalisées sur la base de plans simples et répétés, avec des matériaux bon-marchés et faciles à manipuler, ces constructions, pensées pour des habitants-constructeurs profanes, s’organisent en compositions urbaines privées à la morphologie parfois loufoque. Les plans pour «Enskede garden city» comprennent, à l’origine, trois «quartiers», chacun ayant son propre plan numéroté. Le 9 avril 1908, la colonisation par les cités-jardins commence. Les typologies architecturales y sont proposées sous forme de catalogues aux allures de brochures des arts ménagers et derrière leurs façades de peinture, la collectivité des propriétaires bourgeois se rassemble dans un paysage aussi homogène que consternant.

Les premières intentions d’implantation d’un cimetière au sud du centre ville débutent en 1890 lorsque la municipalité de Stockholm achète une parcelle de 15 hectares. Elle donne forme au Southern Cemetery (renommé par la suite : «Sandsborgs Cemetery»), embryon du futur Skogskyrkogarden. Au regard du développement exponentiel, l’intervention ne suffit pas, seulement vingt ans après, la ville décide de l’agrandir. En 1912, la municipalité achète 78 hectares supplémentaires au sud du premier cimetière. Dès lors, la volonté est couplée à une ambition, celle de créer un lieu à l’identité ancrée dans l’histoire et l’environnement suédois, à contrario de l’urbanisation progressive qui englobe le futur programme. A cette époque, la majorité des «jardins des morts» sont dessinés comme des parcs grandioses, méticuleusement structurés par des avenues bordées d’arbres, accueillant d’impressionnantes pierres tombales. La lutte des classes s’illustre alors jusque dans la mort. Cherchant à s’éloigner de tous ces modèles uniformisés, le comité décisionnaire met l’accent sur la volonté de développer un projet identitaire, centré sur le paysage sous-jacent.

A GAUCHE « Panorama de Stockholm », Lithographie, Billmark (Carl Johan), Kugle Biblioteket, 1868.

A DROITE « La matérialité du territoire du Woodland Cemetery », Photographie, Stockholm digitala stadsmuseum, début XXème.

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Culture

Tallum

En 1914, un concours international d’architecture est ouvert. Il offre un propos orienté par la topographie locale et les bois sans pour autant restreindre les fonctionnalités d’un tel programme. De toute l’Europe, les propositions affluent. Cependant, la Première Guerre mondiale éclate, et rapidement de nombreux projets sont écartés par le jury. Ce dernier, composé en partie par Ragnar Östberg et Lars Israel Wahlman, décerne le premier prix à Gunnar Asplund et Sigurd Lewerentz, deux architectes suédois de trente ans. Leur proposition «Tallum» se distingue par sa capacité à proposer une expérience des bois propre à la culture scandinave, témoignant déjà du grand intérêt porté par les deux concepteurs quant à la réalisation d’un projet tolérant lié à son environnement.

A l’occasion du concours, Gunnar Asplund et Sigurd Lewerentz inventent la devise « Tallum », latinisation du terme suédois « tall» qui signifie pin. A travers ce terme, les architectes anticipent de nombreux thèmes architecturaux et paysagers qu’ils vont emmener jusqu’à la réalisation du projet. Cryptes, tombeaux, clairières et jardins s’harmonisent entre les hauts pins reliés par des parcours sinueux gardant intacte la forêt et la morphologie du terrain. Le projet, imaginé comme un parc, ne peut être isolé du paysage pour lequel il est conçu, tout y est fondé. De l’image de la forêt noire venant souligner la mélancolie des pierres tombales, aux ombres profondes de la lumière rasante du nord, en passant par le relief millénaire d’une ancienne ère glacière, les architectes exploitent tout ce qui caractérise le paysage suédois. À l’heure du «Plan Voisin» de Le Corbusier, Asplund et Lewerentz proposent une architecture tolérante qui jamais ne cherche à rivaliser avec le paysage.

« Skogskyrkogarden, île à l’identité résistente » Photomontage, 2020.

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Imagerie primitive

Première pierre

Contrairement aux nombreux cimetières de l’époque, bien plus hiérarchisés et organisés, les architectes cherchent à évoquer ici une imagerie plus primitive. Impacté par les cimetières et parcs forestiers allemands de Friedhof Ohlsdorf à Hambourg (1877) et de Waldfiredhof à Munich (1907), le projet incarne un nouveau modèle culturel. En grande partie inspiré des travaux de la peinture romantique allemande du XIXème siècle, le paysage s’applique à exprimer la sérénité et à accompagner le deuil vers une acceptation. La croix géante de granit sombre que met en scène l’entrée, véritable écho au tableau de Caspar David Friedrich, image l’espoir dans un monde abandonné. Suivant le désir des architectes mais aussi avec cette honte coupable typique des chrétiens progressistes, cette dernière, tout comme l’ensemble du projet, se veut libre de toute interprétation religieuse. Loin des cimetières de la culture française, le cimetière illustre le cycle vie-mort-vie dans un paysage de dérive romantique.

La construction débute en 1917. Malgré un projet initial uniquement paysager, il est demandé aux architectes de bâtir une première chapelle. En 1920, Asplund réalise un premier édifice : la chapelle des bois. Suite au rejet d’une première esquisse d’église en pierre, l’architecte s’oriente vers une vision plus pittoresque inspirée d’une cabane primitive qu’il découvre lors d’un voyage au jardin de Liselund en Allemagne. Pourtant fondatrice du projet, la devise «Tallum», s’efface, et ce, dès la première pierre. Le bâtiment est implanté dans un petit jardin rectangulaire, lui même au cœur d’un enclos de la même forme, bien loin de l’imagerie pittoresque de la hutte dissimulée dans la clairière apparaissant sur les premiers dessins de l’architecte. Au même moment, depuis l’entrée du cimetière, se dessine une grande avenue, et, parallèle à celle-ci, se trace le chemin des sept puits, véritable boulevard planté traversant la forêt originelle.

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Essor Très vite, la première chapelle s’avère être trop petite et il est demandé aux architectes de prendre en charge l’extension du cimetière. En 1924, les travaux commencent et induisent une nouvelle modification des tracés du parc. Lewerentz conçoit la Chapelle de la Résurrection, à laquelle le chemin des sept puits mène désormais. Exemple raffiné du classicisme nordique, la chapelle s’inspire des temples et de leurs portiques pour venir dessiner l’atrium, une série de colonnes surmontées d’un tympan, formalisant un espace tampon. Entre nature et bâti, entre extérieur et intérieur, le seuil forme ici, une architecture paysagère. A l’est du parc, entre les deux chapelles, Asplund construit son second bâtiment, un édifice cette fois-ci destiné aux services : le « Tallum pavillon». Composé de quatre pavillons carrés surmontés de pyramides métalliques vertes, ce projet abritant cantine et vestiaires pour le personnel de Skogskyrkogarden questionne par son design atypique. Premier marqueur de l’expansion fonctionnelle du cimetière, il amorce une nouvelle philosophie du projet, éloigné de l’idéologie de « Tallum » qui trouve ici une limite face aux besoins pratiques du lieu.

DE HAUT EN BAS DE GAUCHE A DROITE « Sandsbörg cemetery » XIXème siècle « Projet lauréat, Tallum » 1915 « Premier essor » 1920 « Nouveau plan directeur » 1933 « Modifications modernisme » 1940 « Situation d’excroissance » 2000s.

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Modernisme

Dernière pierre

Entre 1922 et 1932, l’affiliation architecturale d’Asplund change et il rejoint progressivement le mouvement moderniste. Dans une recherche de pureté et d’équilibre des formes, l’architecte repense le tracé du cimetière pour que celui-ci devienne le reflet de sa nouvelle pensée architecturale. Il définit un cheminement plus fin, aux proportions plus équilibrées, s’éloignant finalement des grands boulevards plantés perforant le paysage. En 1940, dans un style plus fonctionnaliste, Asplund vient terminer l’oeuvre totale de Skogskyrkogarden avec le crématorium des bois et ses trois chapelles de la Foi, de la Sainte Croix et de l’Espoir. Dans la perspective d’entrée, en dialogue avec la colline, l’ensemble se détache du sentier pour laisser une série de portiques se raccrocher au chemin et faire appel au visiteur. Les techniques et besoins modernes se développent également et amènent une progressive reconfiguration de l’organisation spatiale du projet. Si les dessins du concours de Lewerentz et Asplund donnent à voir une unité dans son organisation générale, des quartiers commencent à se former. Ces derniers s’organisent désormais sur des systèmes tramés et les tombes qui autrefois se dispersaient parmi les hautpins s’organisent désormais à la manière d’îlots : alignés, rangés, identiques.

Le progrès technique et sociétal apporte toujours avec lui de nouveaux outils, nouvelles normes et usages. Si l’ensemble du projet construit a fonctionné, sans grandes modifications, pendant plus de soixante ans, le début des années 2000 voit la nécessité d’une refonte contemporaine. Dans le but de ne pas défigurer l’œuvre architecturale d’Asplund, le choix est fait par la ville d’organiser un nouveau concours international d’architecture. Dans une quête d’identité nationale et dans la continuité symbolique du travail des deux architectes fondateurs, la proposition se voulant intemporelle de l’architecte Johan Celsing est retenue en septembre 2009. Au delà de la critique subjective architecturale, le projet «Une pierre dans la forêt» marque son intérêt dans sa compréhension du site. Il ajoute aussi une autre caractéristique à l’expérience globale du parc puisqu’il propose dans la forêt une promenade à la fois intérieure et extérieure, affirmant, une fois de plus, l’identité de l’œuvre.

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Conflit

Forteresse

En tant qu’entité urbaine, le cimetière d’Asplund et de Lewerentz s’est vu rattaché à une portion de territoire délimitée dorénavant par la récente implantation de l’autoroute. Ce territoire lui procure une sorte de « talon » urbain non définie, qui donne à lire une situation de conflit d’intérêt. De l’autre côté du mur d’enceinte originel, le cimetière juif, volontairement mis à l’écart du cimetière principal s’installe. A ses abords, une maigre zone de développement du cimetière actuel se développe et une portion de la forêt encore intacte constitue un témoin historique du passé du quartier. Cachée à la vue de tous, dans l’enclave rocheuse du sud, a été placée la décharge du cimetière. Une conséquente zone industrielle de Data-center et de robotique s’implante également. Elle s’accompagne d’un espace de promotion immobilière ainsi que d’une bretelle de la nouvelle rotule autoroutière qui amène avec elle son attirail architectural automobile (garagiste, station service) et ses services de proximités de voies rapides (McDonald’s, hôtel de fortune, bureaux....). Ces différents éléments forment sur le même territoire que Skogskyrkogarden une zone de nonsens, un talon gangrené par les besoins de la société moderne qui met en péril l’ensemble de l’œuvre.

Traversant le site du nord au sud, la crête rocheuse, relief résistant d’une ère glacière tardive, fournit une quantité de matière première indéniable pour le projet. Cette dernière est exploitée dès le début de l’expansion pour isoler le projet de son contexte. Constituée de roches présentes sur le site, la frontière forme le pourtour de l’œuvre sur plus de 3,6km. Face à la prolifération urbaine du modèle des cité-jardins environnantes, le mur protège autant qu’il met à distance. Ce dernier enferme le projet initial qui se donne encore à lire aujourd’hui dans la partie nord de l’îlot urbain. Le talon de l’île laisse profiter certains acteurs foncier de sa position stratégique et sa relation avec la ville par l’autoroute. La faible présence du mur dans cette zone, laisse divers programmes s’implanter générant un micro-territoire de juxtaposition programmatique. En délaissant le sud de l’île, le bastion de nature a ouvert la porte aux colonisateurs modernes.


« Skogskyrkogarden, un talon urbain gangrèné » Cartographie rapprochée, 2020.

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Lége

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Image © 2020 Maxar Technologies

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« Atlas des limites » source image: Google Map, 2020.

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« Un territoire de Non-sens fragmenté » source image: Google Map, 2020.

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« Relevé de l’existant » Carte schématique, 2020.

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« Le déjà-là comme matière à projet » source image: Google Map, 2020.

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Mutations Par ses multiples modifications progressives, le Woodland Cemetery a muté. La devise «Tallum» dressée face au conformisme des espaces publics n’a pu s’imposer et les tracés sinueux du projet initial se sont soustraits aux trames de la planification mortuaire. Impacté par les nouveaux modes de circulations et l’accélération, le temps n’est plus aux sentiers et à la déambulation. Les touristes se ruent sur les chapelles des Bois et de la Résurrection et la curiosité morbide des individus n’a fait qu’altérer l’identité discrète des sépultures et des tombes qui se dispersaient dans l’ombre des sous-bois. Aujourd’hui, cette image bucolique laisse place aux alignements tramés sur les berges de l’île, figeant à jamais leur temporalité. La société, dans laquelle tout est image, ne laisse même pas aux quelques habitants célèbres du cimetière l’opportunité d’un repos espéré. Prenant part aux artefacts paysagers du cimetière, la tombe de Greta Garbo devient, elle aussi, une relique à visiter, placée seule sur son plateau végétal.

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L’accessibilité moderne s’est emparée du Woodland Cemetery. Les visiteurs, endeuillés ou non, s’y rendent et s’y déplacent en voiture quand d’autres aventuriers prennent le bus. En véritable colons du territoire, arrêt de bus et signalétiques grossières parasitent les perspectives. Les machines lourdes, les bus et les automobiles se croisent, se garent, et s’approprient progressivement l’espace végétal. Dans un soucis d’efficacité et dans une nouvelle politique de rendement, les espaces de services se regroupent dans des bâtiments génériques, clairières utiles à l’identité discutable. Face au Tallum Pavilion transformé en centre des visiteurs, on aperçoit même une station service, à peine dissimulé au cœur de son enclos technique, antithèse du parc naturel donné à voir au voyageur. Ces mutations modernes représentent des ajouts fonctionnels ne faisant pas partie du projet initial. Celles-ci n’ont pas su trouver leur place au sein de ce paysage, et mettent en danger l’appréhension du projet, au point tel que le talon soit aujourd’hui détaché du Woodland Cemetery. Incubateurs de la perte d’authenticité, les nouveaux colonisateurs accélèrent l’effacement du Tallum et laissent émerger les prémisses d’une relecture identitaire primordiale pour Skogkyrkogarden.


Confrontations La condition contemporaine de l’île s’induit par les nouveaux usages, nouvelles fonctions et la récente célébrité du lieu. Si les intentions originelles du projet laissaient présager la mise en place d’une ambiguïté de ses fonctions, entre parc et cimetière, elle atteint aujourd’hui son paroxysme. Titrée par l’UNESCO en 1994, l’île s’est starifiée sur la sphère mondiale si bien qu’elle est devenue une icône identitaire de la ville. Nombreux sont désormais les aventuriers qui traversent la mer de l’urbain pour y accoster et ramener dans leurs valises le témoignage de leur exploration. Aux familles endeuillées du cimetière, aux usagers du parc, aux pèlerins de l’œuvre, sont venus se greffer les visiteurs modernes de la société du divertissement, en quête de gloire et d’images. Malgré elle, l’île est devenue un « incontournable à ne pas rater », une attraction à faire et à photographier. Les saunas et lacs gelés, les safaris maritimes, ABBA, le Woodland Cemetery, et tant d’autres, forment à Stockholm, les décors de la société contemporaine en quête d’identité.

A la rencontre des âges, des usages, de l’attraction, des fonctions, Skogskyrkogarden présente une situation originale. Cette île dont l’identité construite est revendiquée, est en proie à de multiples conquêtes qui produisent une étrange ambivalence. Le lieu polysémique, renforcé par la condition du «talon urbain», continue d’exercer sa fonction de cimetière mais s’est vu attribuer de nouvelles catégories d’usagers bien étrangers de la « population originelle » de l’île. Les rites et coutumes s’y mêlent, voir s’y confrontent, générant des situations de conflits aussi curieuses qu’invraisemblables. Au sud, le cimetière juif, détaché du fonctionnement global du Woodland Cemetery, génère une rupture, une limite, un sentiment d’exclusion volontaire. La mise en place de la zone industrielle et des services qui s’y attachent matérialise également une frontière franche entre la forêt originelle du cimetière et la tabula rasa des data centers. Couplée à la quête de foncier et la nondéfinition générale du talon urbain du Woodland Cemetery, un territoire de confrontation se dessine, un champ de bataille entre le projet tolérant d’Asplund et de Lewerentz, l’histoire du quartier, et la société nouvelle qui les parasite. La confrontation du territoire de Skogskyrkogarden est un miroir glacé à la condition contemporaine de la société.

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Protection La condition urbaine contemporaine du territoire de Skogskyrkogarden amène à se pencher sur la question de la protection de l’œuvre du Woodland Cemetery qui s’illustre notamment sur la partie sud de l’île. Bien qu’ils aient été sujet à de multiples mutations, les tracés du cimetière ont permis au projet de s’adapter aux exigences modernes du service funéraire, derrière le mur d’enceinte au nord. Cette frontière physique tient le paysage à l’abri du territoire de confrontation qui le borde. Pourtant, le cimetière présente aujourd’hui de nouveaux besoins d’expansion et cherche à s’étendre au delà de son enceinte. Au delà du cimetière juif, autonome, qui s’est implanté sur les berges sud, on observe de nouveaux parcellaires mortuaires à peine protégés par un embryon de mur qui le garde à distance les cités-jardins. Parce que le projet initial ne les envisageait pas au début du XXème siècle, ces nouveaux « quartiers des morts » dessinent une frange informe du cimetière dont l’emprise et les limites semblent indécises et participent à la confusion générale de la relecture du territoire.

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Par sa fragmentation et ses multiples programmes, ce micro-territoire met en scène un large panel de conditions métropolitaines qui, en constituant un ensemble, révèle l’absurdité de sa noncomposition. A la manière de l’organisation stockholmoise, ces fragments métropolitains n’offrent aujourd’hui aucune relation d’ensemble. Pourtant, ils représentent une partie de l’histoire du développement du quartier, et, comme le cimetière d’Asplund et Lewerentz l’a montré, ce sont l’histoire et la mutation du territoire qui mènent le lieu à trouver une justesse dans son époque. En ce sens, une volonté de protection ne doit pas ici mener à une tabula rasa qui générerait un faux paysage pseudo-historique en imaginant « poursuivre » le travail de l’oeuvre du Woodland Cemetery. Une telle volonté peut au contraire profiter de cette situation absurde produite par la société, les entreprises, mais également les architectes et urbanistes, pour former un nouveau témoin du monde, à la manière du cimetière. Ce paysage de non-sens, reflet de la planification contemporaine, trouve un sens en tant que miroir de l’effondrement imminent de la société.


Résilience ? Skogskyrkogarden demeure malgré ses nuances, un système exemplaire. Colonisée par ses nouveaux visiteurs au nord et ignorée au profit du rendement industriel au sud, l’île centenaire, est questionnée tant en sa condition d’œuvre identitaire que dans sa capacité à se protéger. Face aux colons de la planification et de l’étalement urbain, les berges du cimetière se redessinent. Bien que Skogskyrkogarden soit sujet à conquête, l’identité du lieu, élevé au statut de bastion face à la conquête de l’Urbain, incarne le gardien d’une histoire qu’elle protège. L’enceinte originelle du projet, résiste. Terre d’accueil d’une succession de plans urbains et architecturaux, elle n’en perd pas pour autant son rôle de modèle. S’il est vrai que cette île se caractérise tant par son projet originel que par ses modifications, elle n’en a pas perdu son essence. En parfait système résilient, le cimetière a su s’emparer de ses nouveaux visiteurs et de leurs usages sans jamais délaisser son identité. Bien que la devise «Tallum» ait, depuis sa première pierre, été sujette à conquête, son fondement se maintient par sa capacité à se construire et se reconstruire. Unique et plurielle, l’île, constitue un témoin d’évolution. A la fois reflet de sa conception et image de ses déformations, cimetière et parc, elle forme par sa nature, un lieu double qui trouve, dans son unité, une capacité à résister.

A l’heure de l’instantanéité et du changement permanent, le Woodland Cemetery a su faire preuve de résilience, pourtant son «talon» peut aujourd’hui être lu comme une terre de colonisation capable de mettre en péril l’entièreté de l’île. La confrontation des acteurs qui s’y opère ouvre une brèche dans le bastion de nature. Elle laisse entrevoir les prémisses d’un travail de requalification qui utilise le déjà-là et la mémoire du lieu comme matière à projet. Ainsi, ce « talon » urbain pourrait générer à Skogskyrkogarden un apport nouveau, accompagnant plutôt que confrontant le WoodLand Cemetery du nord. Un tel territoire d’enjeu sociétal, trouverait finalement un sens, non pas dans sa négation, mais plutôt, comme l’ont fait Asplund et Lewerentz, dans l’acceptation et la formation d’un nouveau paysage pour le XXIème siècle. Un paysage proche de l’absurdité portant le deuil d’une société prête à s’effondrer.

A SUIVRE « Territoires de Non-sens » Photographies, Exposito Nathan, 2020.

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Cimetière Le cimetière en tant que programme forme un espace de souvenir, un lieu de mémoire collective. Il est à la fois reflet des mœurs, des croyances et des civilisations, mais aussi un bastion face au monde de l’uniformisation et de la planification territoriale. Lieu sacré dans un monde où plus rien ne l’est, il s’adapte au changement perpétuel faisant de l’île un parfait terrain d’expérimentation. Profondément ancré dans la culture scandinave et protestante, le cimetière est un lieu de vie, de couleurs et d’évasion. Il est parc et jardin, rythmé par les tombes plantées, les chemins arborés et les visiteurs enjoués, bien loin des alignements de sépultures minérales occidentaux ou des grandes étendues enherbées des cimetières militaires. Refuge physique et temporel, il forme un « lieu autre », un lieu d’éveil pour l’individu qui décide d’y pénétrer. En tant que support de deuil, il ne renvoie pas qu’à la perte d’un être cher, mais s’étend à toutes pertes ou frustrations. «Il est l’épreuve même de l’existence et amène le visiteur à penser la nécessité de la perte consentie». Dans une société en proie à l’effondrement, il permet à l’individu de prendre conscience de l’imminence des crises futures.

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La mixité des usages qu’il abrite donne au territoire de Skogskyrokogarden un caractère binaire, espace de confrontation et d’expériences. A la fois lieu de mémoire des individus et témoin historique d’une société qui s’effondre, il est un manifeste d’identité, un espace du deuil de l’individu mais également de la société. En ce sens, le cimetière du XXIeme siècle se joue de l’originalité de son terrain et de l’absurdité de ses nouveaux colons pour révéler son époque. Il accompagne l’individu, premier acteur du lieu, vers un éveil nécessaire, une prise de conscience de la condition actuelle. Mémorial d’un monde et des individus disparus, reflet de civilisation et bastion de nature, Woodland cemetery laisse entendre une mise en places des « chroniques de l’effondrement ».


Etrangeté En tant que territoire de non-sens, le «talon» urbain du Woodland Cemetery questionne quant à sa capacité à trouver une unité et une continuité au cimetière du nord. En tant que nouveau terrain d’expérience, cet espace fragmenté offre, de part sa condition métropolitaine une riche matière à projet. Si le projet architectural et paysager veut trouver une justesse dans la continuité qu’il offre avec le Woodland Cemetery, il doit en comprendre les codes et s’inscrire dans une relecture contemporaine de ce dernier. Il s’organise alors autour d’expériences révélant l’absurdité du lieu, source d’introspection pour le visiteur. Plus que dans l’agencement d’espaces architecturés, c’est dans l’atmosphère et la mise en valeur des éléments qui composent le territoire, que le visiteur est placé face à un sentiment d’étrangeté, d’incompréhension, voir de choc, sans pour autant l’emporter sur le paysage total de l’île. Tout comme au nord, le cimetière sociétal cherche une acceptation.

L’inquiétante étrangeté, dérivé de l’essai de Sigmund Freud « Das Unheimliche», s’intéresse à l’expérience faite par les individus d’un lieu connu ou familier qui, par sa pratique génère un sentiment de bizarrerie dont le visiteur ne sait plus distinguer le bien du mal, le plaisir du déplaisir, le vrai du faux. Fondamentalement, l’étrange en architecture cherche une incompréhension dans la lecture de l’espace, utilisant des éléments familiers pour les détourner et confronter le visiteur à des situations incongrues générant alors une réflexion, un éveil. En cela, le talon, de par son organisation, ses changements d’atmosphère brutaux, ses fractures et ses confrontations est déjà particulier. Il produit un premier sentiment d’étrangeté sensible dès la découverte complète de l’île. En extrapolant avec justesse un déjàlà amené jusqu’à l’absurde, le projet architectural et paysager génère une atmosphère inconnue, un paysage propre au cimetière du XXIème siècle. L’étrangeté génère ainsi la mise en scène de l’espace dans l’atmosphère familière du Woodland Cemetery. Elle ne devient cependant pas une attraction mais sert d’élément déclencheur dans l’appréhension et la compréhension du projet. En équilibre fragile entre absurdité et réalité, l’étrangeté évite la caricature, c’est en cela qu’elle devient belle.

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Dérive Le Woodland Cemetery incarne un espace autre tant par sa condition insulaire que programmatique. En ce sens, il représente aussi une temporalité nouvelle qui s’absout du rythme incessant de la société du rendement. La technique l’a aujourd’hui emporté sur l’espace et le temps, et l’individu erre dans l’océan de l’urbain où l’île apparait comme un refuge à l’accélération. La notion de temps, niée par une société qui cherche à la surpasser, revient ici comme une composante primordiale. Élément didascalique du cimetière, il dicte l’évolution du lieu et des matériaux transformant le paysage à chaque instant. Alors que le Woodland Cemetery s’applique à démontrer l’absurdité de situations illustrant notre époque, il place l’individu au cœur du propos, spectateur actif de tous ces moments. Le temps, support de chacune de ces expériences les révèle. Temps du mouvement premièrement, reconnectant le visiteur à son rapport dans l’espace, parfois contemplatif, parfois mouvant, prenant toujours part à sa propre narration au travers des différentes chroniques thématiques. C’est aussi le temps des saisons, rythmant les espaces et leur parcours. Saisons dont la révolution industrielle et technologique tend à abolir la variété. C’est pour finir le temps de croissance des essences végétales qui dans ce paysage nordique filtre la lumière rasante, dévoile les cheminements et habille les ruines d’un monde oublié.

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Le visiteur, en dérive, se laisse porter par les expériences de l’île. Cette errance qu’offre Skogskyrkogarden dès qu’on se laisse aller à sortir du sentier et déambuler entre les pins est aujourd’hui une denrée rare. Dans une société aliénée où l’individu est sans cesse guidé, tenu par la main dans chaque action, la dérive offre le choix, celui de découvrir son territoire, de décider de son chemin. Au fil de sa découverte, l’individu s’éveille, témoin de l’inquiétante ironie des situations contemporaines. Il arpente le lieu à son propre rythme, rebrousse parfois chemin, s’y perd puis se retrouve. En pleine errance, il s’amuse, se projette et se questionne, découvrant le cimetière comme aucun autre ne le fera. Sa seule contrainte revient finalement au temps, laissant le soleil achever sa dérive, à moins que n’apparaisse une seconde journée...


Tolérance Composer dans un paysage aussi saisissant que le Woodland Cemetery amène une notion de tolérance quant à la richesse et la force du lieu. Le projet construit pourrait se définir comme la corrélation entre le programme et le lieu, une recherche d’harmonie et de justesse défendue au travers des réalisations qui accompagnent notre approche du territoire. Des édifices de Sigurd Lewerentz à la cabane de Ralph Erskine, l’appréhension du lieu montre, dans la culture scandinave, une capacité certaine chez les architectes à se positionner humblement vis-à-vis de leur intervention sur le site. En tant que tel, c’est la qualité environnementale du lieu qui fait loi. C’est elle qui dicte, avant toutes choses, les composantes mêmes de l’architecture ; la topographie, le climat, la lumière, mais également les rapports aux matériaux de la localité. Finalement, c’est le rapport à l’identité du lieu qui ne doit pas être mis en danger par l’empreinte du concepteur. L’architecte doit aborder le territoire qu’il envisage construire avec émerveillement et délicatesse.

Il s’agit bien de comprendre la réalité contemporaine de l’architecture, comme pensée et acte culturel, dans ce qu’elle a générée sur le paysage actuel gouverné par l’image. La globalisation de la profession génère des objets types repris de culture en culture comme des symboles, dont la seule efficacité est d’unifier l’atmosphère pourtant propre à chaque territoire dans une vision générique. Ces architectures formelles ont sombré dans le paraître, ont oublié l’homme et sa présence. Elles sont devenues des marques qui doivent aujourd’hui être réinterrogées, dans une recherche de simplicité et de cohérence, capable de trouver une contemporanéïté dans un retour aux sources, seule option possible, dans un monde qui a perdu ses ancrages. Le pouvoir de l’architecture peut se réaffirmer dans sa capacité à connecter l’Homme et le territoire, sans faire de l’architecture un objet de spectacle. Plus que jamais, l’économie des moyens peut être source de création en offrant la plus grande liberté d’expérience possible à l’Homme. L’enjeu est donc de préserver une dimension culturelle en retournant aux fondamentaux architecturaux, sans artifices, capables de trouver une richesse dans la «banalité », sans démonstration. Face à la crise sociétale et la remise en cause du mode de vie planétaire, l’architecture s’inscrit dans la compréhension des époques et des cultures, trouver sa radicalité dans sa simplicité.

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Stratégie En tant que paysage, le projet propose une relecture du « talon » du Woodland Cemetery afin de constituer un paysage témoin de son histoire cherchant à éveiller les nouveaux visiteurs quant à leur condition d’individu contemporain en vue d’un effondrement sociétal. La stratégie se découpe en plusieurs points : Protéger l’identité du territoire du Woodland Cemetery ; Redéfinir ses limites ; Déterminer des qualités d’appréhension et d’appréciation du lieu ; Faire du déjà-là une matière première en extrapolant la condition territoriale pour produire un paysage d’éveil ; Fabriquer l’architecture du lieu comme un dialogue entre volonté programmatique et force du paysage. Dans un premier temps, il est question de renforcer le périmètre actuel du cimetière qui n’a pas su se développer une fois sa première enceinte historique franchie. L’implantation de cette limite, à la nouvelle matérialité assumée, vise à protéger le cimetière, tout en lui prodiguant une redéfinition urbaine. Il offre alors de nouvelles entrées connectées au voisinage des cités jardin et fait disparaitre l’automobile et les bus au sud favorisant l’approche du territoire par la dérive pédestre.

Dans un second temps, il s’agit d’extrapoler la condition des franges sociétales du territoire (garage, McDonald’s, data center, bureaux, ...) pour produire un paysage atypique, support de chroniques sociétales, jouant de «l’inquiétante étrangeté». Ces chroniques utilisent le déjà-là comme essence de conception et cherchent à questionner le visiteur moderne dans son rapport à la nature du lieu, au territoire, ainsi qu’à son évolution. Pour finir, les programmes architecturaux s’organisent autour de la limite, proposant des situations de confrontation, d’introspection et d’éveil. Ces typologies que sont le plateau, la galerie, la tour et la place, se diversifient dans leur rapport au territoire en se jouant des codes de l’architecture. Ils participent à la mise en place des chroniques de l’effondrement. Ces architectures cherchent une liberté d’usages et d’expériences où le visiteur reste toujours au centre de la pratique du projet. Elles questionnent le rapport au sol, à la matière, mais également à la nature et au grand territoire.

DE HAUT EN BAS « Dérive », Carte du sol « Atmosphère », Carte de la structure « Etrangeté », Carte de l’éveil

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« Les Chroniques de l’Effondrement » Axonométrie, 2020.

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Le Safari moderne Prisonnier de la voirie, le voyageur effacé, observe, d’un côté les cités jardins, et de l’autre le mur du cimetière. Près de l’échangeur, il aperçoit un lieu étrange mais familier, une zone commerciale comme il en existe des dizaines le long des bretelles d’autoroutes. Zones de non sens où s’amassent les hangars décorés des chaines de restauration rapide et de services en tout genre. On y retrouve quelques habitations dispersées entre les grandes marques sans aucune architecture réfléchie si ce n’est pour faire vite et si possible à peu près bien. Le lieu semble désertée, comme si lui aussi, s’était fait happer par le rythme mortuaire du cimetière. Dans cet océan des lotissements, décor fade et uniforme de l’évolution de notre époque, le grand M jaune flottant dans les airs rassure, image iconique de la fast-food, rapide, économique, gras.

Le voyageur quitte alors l’autoroute, attiré par une imagerie connue, pour rejoindre cette bretelle. La zone commerciale, normalement bétonnée se retrouve ici complètement boisée dialoguant avec la topographie et la végétation du Woodland Cemetery. Entre le concessionnaire automobile et la station service, la végétation reprend sa place, grimpant sur les structures et masquant les enseignes. Depuis son véhicule, en pleine dérive, le voyageur observe, passif, les restes d’une société de l’accélération et des services. Les restaurants, habituellement bondés, offrent à voir le ballet incessant des véhicules et des files de clients, reliques vivantes du néolibéralisme. Toutes ces activités, reflet de notre époque, qui ne fonctionnent que grâce à leur clientèle, se meurent et lentement deviennent elles aussi les sépultures du XXIème siècle. Dans ce décor glacé, on se prend à rêver, laissant les souvenirs d’une vie passée peupler ces scènes familières. En mémorial d’un monde très contemporain, il devient un espace dont on fait le deuil. En face, les pins de Skogskykogarden rythment l’horizon. Mélancolique face au paysage, il aperçoit la Zone, ses visiteurs, ses curieux, qui ont surement connu précédemment le même décor. Il se gare en amont du cimetière et entre dans le territoire des chroniques de l’effondrement.

« Le Safari moderne » Plan de quartier, 2020.

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« Le Safari moderne » Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Les mausolées contemporains » Collage, 2020.

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« I’m Loving it » Collage, 2020.

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La Zone Au Sud de l’île, dialoguant avec les ruines des services autoroutiers, il aperçoit son nouveau point d’amarrage. Première étape de la dérive dans le cimetière de l’effondrement sociétal, l’entrée s’y effectue sous une structure désossée flanquée de rochers. Au centre de ce vestige industriel, et cerclé de colonnes, les reliques de l’ancien monde apparaissent tels des ossements retrouvés d’une fouille archéologique. Préparé à entrer dans une mise en scène de l’effondrement, le visiteur découvre en réalité un jardin aux allures primitives, entre nature et culture, résultante naturelle d’une vision de la société d’après crise. Tout ici est orchestré pour donner l’illusion d’un territoire post apocalyptique. Quelques reliques ont été maintenues. Les portiques et passerelles des anciennes usines ponctuent le jardin comme des sculptures historiques rappelant des figures propres à l’architecture industrielle. Dans ce terrain sans cheminement, le voyageur trace sa propre voie entre les monticules de gravats, les arbres et les dalles se jouant de la topographie pour créer ce décor Tarkovskien. Alors que le visiteur vient au Nord faire le deuil de ses pairs, il comprend au Sud qu’il entre dans un temps autre, une époque factice testimoniale, nécessaire à la compréhension d’un effondrement imminent.

Au sein de la plaine où se côtoient familles, badaud et autres visiteurs curieux, l’histoire du lieu se révèle. Excavation archéologique des restes d’une architecture anti-humaine, souvenirs fades du data center Equinix, le paysage devient l’inverse de ce pour quoi il avait été construit, un espace de vie et de loisirs. Quelques casiers enfermant les milliards de données sont encore dispersés au sol rythmant l’espace de façon aléatoire. Autour, les voyageurs s’amusent sur les plateaux enherbés, se reposent et méditent à l’ombre des feuillus, la vie afflue dans ce paysage d’après crise. En fond de l’étendue verte et derrière les arbres, le mur. Il délimite cet oasis et marque la frontière avec les autres quartiers, nouvelles chroniques de l’histoire de notre société. Tout proche du marécage, une structure perfore le mur dévoilant une simple porte métallique. Elle intrigue autant qu’elle appelle, une entrée unique vers la foret noire.

« La zone » Plan de quartier, 2020.

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« La porte » Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Archéologies contemporaines » Collage, plan & coupes, 2020.

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« La Zone » Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Un paysage Tarkovskien » Collage et coupe, 2020.

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« Regénérescence » Collage et coupe, 2020.

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La Forêt noire Véritable forteresse boisée au cœur du parc, la forêt noire s’affirme par son atmosphère singulière. Cette bande de paysage brut où la nature est reine évoque l’imagerie du Myrkvior, bien connue du folklore suédois. L’écosystème s’y développe sans aucune entrave de l’homme et la nature y reprend ses droits recouvrant les tombes et sentiers, symboles d’une époque passée. Paysage résistant d’un environnement contrôlé et colonisé par l’Homme, la forêt forme ici un Tiers Paysage où la biodiversité retrouve toutes ses libertés.

Au dessus de lui, d’autres admirent la nature depuis la jetée, se dirigeant eux aussi vers la grande émergence en bois qui le termine, unique verticalité bâtie parmi les centaines de pins centenaires. Tous espèrent atteindre le sommet de la tour, le belvédère, étape finale du triptyque observatoire proposé dans ce lieu autre, image d’un monde où la nature a encore une puissance face à l’architecture. Mais le voyageur ne constate qu’une fois en haut la petitesse du lieu. Après son ascension, il découvre le paysage de l’île, gigantesque depuis le sol, mais perdu face à l’immensité de l’océan urbain qui l’entoure.

Au cœur des pins, surmontant légèrement la cime, se dresse le phare. Il attire le curieux et guide le téméraire dans son parcours initiatique au cœur du cimetière. Unique émergence construite perdue dans la densité des conifères, le bâti se dessine comme si l’une des multiples verticalités plantées avait été édifiée pour que l’on puisse y pénétrer. Dans un espace naturel que l’homme ne peut qu’observer, il est difficile d’y trouver un accès. C’est au Sud de la forêt, de l’autre coté du mur qu’apparaît la porte. Par cet unique point, le visiteur découvre une galerie. Empreinte architecturale radicale de l’homme sur son territoire, elle pourfend la topographie et laisse le visiteur démarrer son safari. A travers la jungle des conifères, la nature forme l’abri et l’homme piégé dans son aquarium change de position. Il prend conscience de son impact, brisant les couches sédimentaires, à la fois observant mais aussi observé par son environnement.

« La Forêt noire » Plan de quartier & coupe, 2020.

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« La Galerie » Plan de quartier & coupe, 2020.

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« L’Empreinte» Collage, 2020.

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« Matière et lumière » Axonométrie, 2020.

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« L’ascension » Collage, 2020.

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« Regard sur l’environnement » Coupes, 2020.

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ÂŤ Elevation sur le grand territoire Âť Plans, 2020.

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« L’observatoire » Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Une oasis submergée » Collage, 2020.

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Le Zootrope Suivant les plaines, les bosquets et les clairières rythmant le cimetière, l’enclave singulière au sud ouest apparait comme un lieu atypique. Ancienne décharge de Skogskyrkogarden cachée aux visiteurs passés, elle devient ici l’une des attractions principales de l’île. Deux buttes s’affirment dans le paysage, l’une naturelle, évocatrice de la crête rocheuse millénaire traversant le site, et l’autre artificielle, amas de terre sur un sol goudronné, remblai des opérations paysagères antérieures. Dans un espace à mi-chemin entre l’urbanisme construit et le parc paysager, le visiteur slalome entre les pins qui transpercent le goudron et découvre l’édifice en brique émergeant des roches naturelles.

Alors que la nuit tombe entraînant avec elle la fermeture d’un parc se voulant sans aucun éclairage artificiel, l’enclave, elle, reste ouverte. Halo luminescent dans la pénombre, elle offre au cœur de la place une deuxième journée. La foule s’attroupe et s’installe sur le platelage de bois prête à vivre une nouvelle expérience cinématographique. Dans une société régie par l’image, le zootrope place l’individu au centre du discours, acteur principal de la séance. Un cinéma d’été à 360 degrés. Au changement des saisons, lorsque viennent le froid et la neige, une solution subsiste encore sur le parking où le grand écran du drive-in illumine l’entrée.

Faisant face à la butte artificielle, la brique, élément récurant du cimetière appelle le voyageur. Il s’enfonce alors dans la topographie, encadré par le sol et observant chacune des strates rocheuses se développer. Il atteint l’édifice qu’il longe, entre linéarité de la brique et rugosité du granit pour atteindre l’entrée. Il découvre finalement une place circulaire et une simple colonne au centre orientant des projecteurs éteints vers la périphérie de l’enceinte. Les roches percutent le platelage, devenant parfois sculpture parfois assises. Dans ce lieu de débat et d’échange, étape clé du parcours, le voyageur solitaire ou non, intrigué par l’endroit se questionne mais ne peut s’empêcher de questionner l’autre.

« Le Zootrope » Plan de quartier, 2020.

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« Un relief d’histoire » Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Le Zootrope » Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Géométrie » Plan, 2020.

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« Progression » Coupes, 2020.

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« Matérialité » Axonométrie fondamentale, 2020.

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ÂŤ Entre Nature et Culture Âť Collages, 2020.

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« Double journée » Collages, 2020.

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Södra judiska Dans un lieu qui dès sa création se voulait refuge d’identité culturelle mais sans aucune appropriation religieuse, Södra Judiska pose une contradiction. Excroissance bâtie au sud de Skogskyrkogarden, il s’affirme d’une appropriation religieuse dans un lieu qui la rejette. Dans le parcours du parc, le cimetière juif devient alors un quartier à part, dont l’intimité se doit d’être préservée tout en offrant un terrain d’observation quant à la place actuelle de la religion. La foi est en effet remise en question et le scepticisme ambiant défie toute forme d’autorité supérieure et de croyance. Sans limites franches, le visiteur s’interroge sur la légitimité de sa traversée. Il s’aventure sur les grandes allées plantées qui traversent la zone mais sa témérité s’arrête au moment de franchir les portes végétales qui semblent séparer le chemin principal des sentiers des familles endeuillées. Alors que quelques heures plus tôt, il se prélassait entre les tombes et les vergers, il se retrouve freiner dans son parcours, intimidé par l’histoire et la religion affirmée du lieu.

« Södra Judiska » Plan de quartier & coupe, 2020.

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« Frontières » Collages, 2020.

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« Limites douces » Collages, 2020.

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L’échiquier A l’Est du cimetière s’étend l’échiquier. La grille urbaine, véritable antithèse du Tallum se développe, soulignée en trame de fond par la géométrie infinie des cités jardins. Dès les premiers pas, la linéarité du territoire dénote face à la singulière sinuosité de l’île. L’unité et la tolérance des sépultures dispersées au pied des pins de Skogskyrkogarden a ici totalement disparu. Le visiteur arpente les allées de l’échiquier où assises, bouleaux et caveaux s’alternent dans une géométrie quasi systématique. Véritable reflet d’un monde capitaliste et matérialiste, le système se développe en négation totale du site et offre à ses usagers une dernière occasion de se montrer, un cimetière du paraître. Le temps, lui aussi, semble être une composante ignorée sur ce plateau. Comme un pied de nez à l’idéologie d’Asplund et de Lewerentz, les mausolées semblent immortels, fait pour durer, loin d’être laissés pour disparaître au fil du temps et laisser le paysage évoluer et se renouveler. L’investisseur prend possession complète de sa parcelle dont il peut disposer à sa guise. S’affichent alors à la manière de pièces de collection les plus beaux caveaux et chaque tombe devient une démonstration. A chaque pas se tourne une page du catalogue funéraire de l’architecture contemporaine dans lequel se côtoient les pièces les plus cotées. A l’image de notre monde, la forme prédomine sur le fond, présentant un paysage en mono-matière en brique. Plus que jamais c’est un retour au détail qui y est proposé, un retour à la nuance, un retour à l’architecture et à sa capacité à se transformer par son assemblage.

Dans le même décor et suivant la trame qui régit la planification du lieu, les visiteurs endeuillés exposent leurs véhicules à la vue de tous. Les sépultures côté cour et les voitures côté jardin, les richissimes endeuillés deviennent sur l’échiquier, les acteurs de leur propre scénario morbide. Spectateurs involontaires du défilé des tombeaux, les banlieusards des cités jardins, assistent face à eux, à l’effondrement d’une société.

« L’ Echiquier » Plan de quartier et coupe, 2020.

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« L’ Echiquier » Plan perspective, 2020.

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« Un monument à la trame » Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Une ville de brique projetée sur le territoire » Collages, 2020.

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« Un cimetière du paraître » Collages, 2020.

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« Figures » Axonométries, 2020.

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« Structures » Axonométrie détaillée, 2020.

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Le Bras-Mort Le paysage se développe à l’Ouest en continuité directe du cimetière. Il lie des deux territoires du deuil et offre une lecture tolérante, en écho à l’idéologie Tallum. Le bras mort s’arpente comme un parcours, celui d’un individu et d’une société qui évolue, de la naissance à la mort, de la genèse à l’effondrement. Les tombes continuent de se déployer entre les pins et s’alternent désormais aux terres nourricières qui ponctuent la promenade. Au plus proche de l’idée d’un cycle vie/mort/vie évoqué par Lewerentz et Asplund, la mise en terre des corps s’accompagne du développement des cultures. Le lieu, légèrement ensoleillé mais boisé permet une agriculture sylvicole alternant les sépultures, les parterres de buissonneux et les vergers d’arbres fruitiers. Alors que le capitalisme laisse de moins en moins de place à la récolte naturelle, le visiteur peut ici cueillir son fruit et le déguster sur l’herbe. Du jeune enfant dévalant les petites collines aux amoureux se retrouvant dans les alcôves des vignes, le bras mort devient ironiquement le versant le plus exaltant de vie.

« Le Bras mort» Plan de quartier, 2020.

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« Le Bras mort» Axonométrie fondamentale, 2020.

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« Un paysage pittoresque » Collage, 2020.

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« Transitions » Coupes, 2020.

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Ceci n’est (toujours) pas une fiction. La situation de crise planétaire amorcée dès les premières semaines de cette recherche continue de bouleverser nos rapports au monde. Plus que jamais, c’est la société dans son ensemble qui est remise en question. Bien qu’aucune prévision ne semble aujourd’hui être possible, les évènements tragiques que nous avons vécus renforcent le besoin d’interroger la manière de concevoir nos territoires, nos approches et nos architectures. Plus que jamais, notre profession doit réagir et permettre à notre époque de se ré-édifier, non pas en évacuant cet épisode, mais en en tirant des enseignements. Dans l’époque de deuil que nous vivons et que nous vivrons à nouveau, l’architecte doit mobiliser sa pensée au service de l’Homme en accord avec ses fondements, ses cultures, ses identités.

Ces lieux témoins d’histoire seront ceux de la mémoire de la société et les lieux d’éveil d’une société à re-fonder. En tant que tels, ils forment déjà une source d’inspiration. La relecture du Woodland Cemetery et la mise en place d’un tel paysage ne cherchent pas à apporter des solutions à notre effondrement. Ce n’est pas le rôle de l’architecte, qui a produit les cages de béton dans lequel le monde s’est enfermé pendant des mois. Le paysage qui y est proposé a une valeur d’histoire. C’est un témoin de ce qu’est la société. Il est parc chez certains, cimetière pour d’autres. Il se définit par le regard du visiteur qui en détient les clés de compréhension. Il est un temps long, une nouvelle étape pour le cimetière centenaire, mais qui ne pourra jamais être figée. Il sera un jour redéfini, tout comme il l’a été durant le siècle passé, c’est en cela qu’il saura rester juste et résilient.

La quête d’iconification de notre profession a produit un espace d’objets dont témoigne la crise que nous traversons dans son incapacité à être résiliente. Cet espace générique dans lequel l’Homme a été enfermé pendant des semaines et des mois, ne pourra constituer le paysage de demain. L’Homme a besoin de se reconnecter au territoire, à son environnement, à sa matérialité, à son climat, à son histoire mais aussi à son prochain. Plus que jamais les lieux d’échappatoire, les parcs, les forêts, le Woodland Cemetery, vont devenir les centres névralgiques de la cité nouvelle.

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Merci à Véronique Patteeuw, Mathieu Berteloot et Jean-François Caille Merci à Nathan sa collaboration Merci à Clémence, à Mathilde, à tous ceux qui nous accompagnent Merci au Covid 19-SARS-CoV-2 pour ce semestre si particulier et inoubliable

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STUDIO STOCKHOLM 2020


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