InstaWorld, Signes de ruptures de l'architecture - Lénaïck Kunze

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INSTAWORLD Signes de ruptures de l’architecture Lénaïck Kunze




Page de garde et Quatrième de couverture, photo-collage personnel.


Séminaire de recherche «Conception et expérimentation architecturales, urbaines et paysagères» Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille.

INSTAWORLD Signes de ruptures de l’architecture

Lénaïck Kunze Année 2018-2019 2ème Cycle Master. Mémoire de Master, réalisé sous la direction de Séverine Bridoux-Michel et Jean-Christophe Gérard


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Sommaire

Remerciements

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Avant-propos

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Résumé / Abstract

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Introduction

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Boite à Outils

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I. Le progrès technique comme manifestation de ruptures

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I. 1.

Technique et Civilisation, progrès et incidences sociétales

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I. 2.

Émergence de la société de l’information

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I. 3.

Technologies de l’information : réactions architecturales

45

II. Un boulversement contemporain, l’avènement de l’Instaworld

61

II. 4. Signes de l’émergence d’un nouvel individu

63

II. 5. Temps et espace, la ruée vers l’instantanéité

73

II. 6. Habiter le monde contemporain, de partout à nulle part

81

III. Appropriations et questionnements pour l’architecture de l’InstaWorld

91

III. 7. Transgression, l’architecture globalisée

93

III. 8. Critiques et enjeux pour l’édification de l’architecture

101

Conclusion

111

Table des matières

119

Bibliographie

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Table des illustrations

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Remerciements

Je tiens à remercier tous ceux qui ont collaborés, de près comme de loin, à la mise en place de ce mémoire de recherches. Je remercie en premier lieu Séverine Bridoux-Michel, Jean-Christophe Gérard et Véronique Patteeuw, qui m'ont apporté soutien et encouragements, mais également qui ont su, m'orienter lorsque je m'éloignais de mon propos. Les apports de Michel Serres et d’Antoine Picon ont été déterminants dans ma démarche. Leurs pensées m’ont guidé tout au long de l'année, tant à la rédaction du présent mémoire que dans la réflexion du projet architectural. Je tiens à remercier ma famille, qui m'a toujours écouté et soutenu tout au long de mon parcours d'étudiant en école d'architecture. Je les remercie également pour les nombreuses relectures, ô combien nécessaire, qui m’ont permis d’affiner cet écrit afin d'adoucir le voyage du lecteur. En dernier lieu, je souhaite remercier Clémence, Thomas, ainsi que tous mes amis pour ces longues années d’échanges, de partages et de camaraderies. Ils m'ont permis de sortir maintes fois la tête de l'eau, de prendre du recul, de respirer.

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Avant-propos

Les problématiques et enjeux actuels de la ville contemporaine liés à

l’émergence des outils technologiques sont au coeur des discours d’auteurs qui constituent, dans le cadre de cette recherche, un corpus de référence. Ceux-ci laissent entrevoir un phénomène de rupture de la société et notamment de l’individu dont ils font le portrait et qui est aujourd’hui en âge de tenir le monde. Plus que jamais, les notions de temps et d’espace semblent compromises par un phénomène de démocratisation des technologies de l’information et de la communication, provocant des bouleversements dans tous les domaines. Le progrès technologique apparaît comme l’un des facteurs d’émergence de la rupture contemporaine.

En tant que tel, le sujet de l’apparition des nouvelles technologies du point

de vue de l’outil dans le sens de l’aide à la conception est d’ores et déjà traité, notamment par mes confrères dans le cadre de cette initiation à la recherche. Leurs lectures ont fait émerger en moi le sentiment que peu d’écrits se sont finalement intéressés à leur influence sur la société, et les répercussions sur la manière de penser l’architecture. Le cinéma de Lang ou de Scott, serait-il le seul concerné ?

Notre situation présente est issue d’un ensemble complexe de strates

auquel notre recherche fait naître différents niveaux de lecture. L’histoire, toujours rassurante, est l’éclaireuse, le présent est l’observateur, le futur, un improbable conteur. J’ai conscience de l’itinéraire complexe auquel l’exercice se confronte, il a pris tant de direction depuis que je me suis penché sur son élaboration. En cela, j’aimerais avertir le lecteur du caractère non exaustif de son contenu.

Ce mémoire constitue le fragment d’un portrait de notre monde, celui qui se

dit connecté, celui qui se parcourt en un clic, celui qui voit naître l’urbain et la mort de la ville de Choay et Webber, celui du réseau et du village de McLuhan, celui des cyborgs de Picon, celui de la coproduction de Jasanoff, celui où le voyage a laissé place au déplacement de Virilio, celui de la gouvernance urbaine de Moreno, celui du changement de Rifkin, finalement, celui où je prétends, un jour, édifier.

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Résumé / Abstract

L’Homme semble être aujourd’hui parvenu au point culminant d’une course à l’instantanéité, qui trouverait son origine dès le XIIème siècle. Ce combat contre le Temps est matérialisé par le récent progrès technologique qui aurait engendré une rupture des notions de Temps et d’Espace. Le développement lié à la société de l’information, est décrit par certains auteurs, comme à l’origine d’un changement de civilisation. Les interrogations liées au couple Technique / Civilisation apparaissent dès la période de l’après-guerre, réflexion qui pourrait faire sens aujourd’hui.

L’objet de cette étude est de proposer une approche du monde contemporain par les entrées de la TECHNIQUE, du TEMPS, de l’ESPACE et de l’INDIVIDU. Les observations s’appuieront principalement autour des sociétés du nord qui nous semblent être au cœur des mutations de l’INSTAWORLD. Au regard de l’impact du progrès technique sur la condition de notre monde, nous interrogerons les défis et enjeux de l’édification de l’architecture. _______

Man seems to be today at the culmination of instantaneity, which would find is origine in the twelfth century. This fight against the Time materialized by the early technological progress, it may generate a break of the notions of Time and Space. The development related to the information society, is described by some authors, as the origin of a change of civilization. The questions related to the couple Technique / Civilization appearing since the period of the post-war period and could make sense today. The object of this study is to propose an approach of the contemporary world by the entries of TECHNIQUE, TIME, SPACE and INDIVIDUAL. The observations mainly concern northern societies that seem to be the most concerned by these changes. On the impact of technical progress on the state of our world, we ask ourselves questions and issues of the edification of architecture.

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Introduction

Les interrogations de ce mémoire s’articulent autour de deux facteurs : la

technique et la société. Le premier facteur est issu d’un constat, celui d’une prise en compte de la colonisation progressive des technologies dans nos modes de vie et de nos espaces du quotidien. Le second facteur concerne un besoin, en tant qu’architecte, celui d’interroger l’Homme et son fonctionnement dans un monde tel qu’il nous est donné à l’étudier, à le comprendre, à le bâtir. C’est ce couple technique/société, comme nous le montrerons plus tard, qui nous a semblé être un point d’entrée à la définition de l’époque que nous traversons actuellement et que nous avons nommée : InstaWorld.

Ce mémoire prend sa source dans les écrits de Michel Serres. L’académicien

français décrit dans ses récents ouvrages1, un changement de civilisation. Il analyse notre situation, en la comparant à celle de la Renaissance ou de la Paideia, comme celle d’une rupture. Cette rupture se manifesterait principalement par la mise en service d’une technologie capable de bouleverser nos rapports à l’espace, au temps, (soit) au monde. Ce monde, l’auteur le dit peuplé de «Petite Poucette», l’individu issu des nouvelles générations. La lecture de l’auteur nous a menés à interroger l’espace, le temps et l’individu émergents de cette rupture.

La formulation de cette problématique met en avant les divers enjeux de ce

travail de recherche. 1) La technique est-elle un élément déclencheur de ruptures ? 2) Quel est cet individu émergent ? 3) Quel est son rapport à l’espace et au temps ? 4) Quelles répercussions cette rupture engendre-t-elle dans le domaine de l’architecture ? On abordera ces enjeux comme des fragments de pensées ouverts en proposant d’interroger la technique comme manifestation de rupture, puis la condition du monde contemporain issue de cette dernière. Ces fragments nous permettront d’interroger, à travers quelques exemples, la production architecturale actuelle pour soulever les critiques et les enjeux liés à la condition même de l’architecture décrite par nos auteurs référents. Technique, Espace, Temps, Individu, quatre notions qui forgent ici une ligne directrice de réflexion pour l’architecture. 1

On citera à titre d’exemple le livre Petite Poucette, qui constitue, dans cette recherche, un ouvrage de référance. Michel, Serres, Petite Poucette, Ed. Le Pommier, Paris, 2012.

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Boite à outils

Le lecteur est invité à prendre connaissance des présents éléments qui

constituent des notions d’intérêt abordées aux cours du travail de recherche. Bien que non-exhaustive, cette liste permet d’apporter quelques outils nécessaires à la bonne compréhension du propos. InstaWorld Le néologisme « InstaWorld », pour Instantaneity-World, est ici utilisé pour décrire une époque régie par un phénomène de course à l’instantanéité. Ce phénomène, bien que présent depuis plusieurs siècles, connaît un gain d’importance par la mise en place progressives de récentes avancées technologiques. Selon certains auteurs, cette course au temps serait à l’origine de ruptures notables, et ce, dans tous les domaines dont celui de l’architecture. Si la conquête du temps semble devenir notable dès le XIIème siècle au monastère, la période de l’InstaWorld pourrait prendre racine avec la naissance de la société de l’information, et plus précisement avec la découverte de la nano-seconde. Alors, et pour la première fois, la rapidité des échanges dépasse le champ de perception du temps chez l’Homme. À l’heure où la durée des échanges se réduit, où les services de l’information, voire des transports, se jouent de la géographie, on pose la question des répercutions de l’InstaWorld, sur le rapport de l’individu au territoire, à la ville et à l’architecture. Michel Serres, Antoine Picon, Paul Virilio ou encore Etienne Klein, se sont emparés de la notion d’instantané/instantanéité. Ils constitueront un corpus de références2. Cependant, d’aucun semble s’être saisis du phénomène pour tenter de proposer une lecture de notre époque et de ses ruptures, c’est pourquoi nous nous permettons d’en proposer un. Nous questionnerons l’avènement de ladite période ainsi que les mutations qu’elle engendre sur les notions d’espace, de temps et d’individu, notamment dans le champ de l’architecture, entre habiter et édifier. L’anglicisme «InstaWorld» sera ici mobilisé pour appuyer la notion de monde connecté où la langue de Shakespeare entretient le rôle de traducteur universel. 2

Ce corpus de références est mis en exergue à la fin de cet écrit, sous le titre de Bibliographie. Elle propose au lecteur une liste alphabétique détaillée des différents ouvrages analysés et cités tout au long de cette recherche.

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Ruptures / Révolutions

Il ne s’agira pas ici de retracer scientifiquement l’histoire même des mutations

engendrées par le progrès technique, d’autres auteurs ont participés à sa rédaction. Toutefois, au regard des propos tenus par Michel Serres, il s’agira de comprendre ce qui induit le changement de civilisation tant par les révolutions industrielles qui en dessinent le pourtour, que par les différentes ruptures des notions de temps et d’espace rencontrées au cour de l’histoire de l’architecture. Les mots sont forts et il nous appartiendra de prendre soin à ne pas en abuser. Le terme de mutation constituera, à multiples reprises, un outil qui permettra de mesurer notre propos. Les différentes ruptures auxquelles nous ferons écho nous conduiront à la période de l’aprèsguerre, celle qui a fait émerger certaines réflexions architecturales en relation avec la technologie émergente, notamment avec la naissance de l’ordinateur et de l’Internet qui ont aujourd’hui pris une place notable dans nos environnements quotidiens. Pour analyser les boulversements introduit par l’évolution de la technique, nous proposerons un cheminement croisé aussi bien rétrospectif que prospectif en appelant certains auteurs qui se sont emparés de ces notions. Individu contemporain

À maintes reprises, nous utiliserons l’analogie de l’individu contemporain pour

évoquer différentes figures exposées chez les auteurs, telle celle du Cyborg chez Antoine Picon3, de l’Homo-prothéticus chez Choay4, ou encore celle de Petite Poucette, chère à Michel Serres5. Le sujet sera discuté au travers du mémoire de recherche grâce à la confrontation des multiples auteurs qui ont caractérisés les nouvelles générations par leurs intimes relations aux outils de l’information et de la communication. Ces jeunes générations issues de la révolution de l’Internet, et bientôt en recherche d’Habiter, constitueront l’une des interrogations de la présente recherche. Ces individus sont au coeur de l’InstaWorld, et constituent, en soit, les récepteurs-acteurs futurs de la pensée architecturale. 3 4 5

Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, Ed. Armand Colin, Paris, 2016 Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, Ed. du Seuil, Paris, 2006. Michel, Serres, Petite Poucette, Ed. Le Pommier, Paris, 2012.

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Sociétés du Nord

Il nous est nécessaire d’apporter une mise en garde au lecteur quant à

l’utilisation du terme de « société » et de l’ensemble des termes généralistes qui y réfère. Le chemin prit par le travail de recherche portera un cadre d’étude axé sur les territoires des sociétés du Nord, c’est à dire des sociétés dont l’infrastructure technologique est suffisamment développée pour rencontrer les situations que nous mettrons en avant. Bien que ce chiffre soit en expansion, il nous semble important de rappeler qu’à l’heure actuelle, seule la moitié de la population mondiale peut se dire connectée à l’Internet. Cependant, un pays comme le nôtre comptabilise aujourd’hui 90% de sa population ayant accès à ce service. Au regard de cela, notre terrain d’étude se voudra ethnocentré, notamment sur la ville, bien que nous rejoignons Rem Koolhaas lorsqu’il énnonce dans son livre Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville6, à quel point le monde rural constitue un terrain de plus en plus fertile à la recherche. Ceci pourrait faire l’objet d’un travail à venir. Technologie de l’Information et de la Communication - T.I.C.

L’utilisation régulière de l’acronyme T.I.C. (voir N.T.I.C. pour Nouvelles)

fera référence à la notion de Technologie de l’Information et de la Communication, concernant l’ensemble du domaine de la télématique. Nous utiliserons couramment cette expression tout au long du mémoire au croisement entre technique et société. Cette appelation sera principalement énnoncée lors de l’étude des différentes techniques qui permettent aux individus de communiquer, de stocker, d’accéder à l’information, de produire et de transmettre l’information. Par ailleurs la transition linguistique entre technique et technologie sera explorée au sein de notre recherche, elle permettra de se positionner sur l’utilisation abusive de ces deux termes. L’étude de ces outils constituera l’un des enjeux de cette recherche, tant dans leurs utilisations à proprement dite technique que dans leurs implications. 6

Rem, Koolhaas, Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, Ed. Manuels Payot, Paris, 2017.

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Habiter

Étymologiquement, le verbe « Habiter » est emprunté au latin habitare, soit

‘‘avoir souvent’’, non loin du dérivé habitudo, qui deviendra dans la langue française habitude. Il se réfère également à l’action de demeurer, de rester quelque part, d’occuper une demeure. Comme le souligne Thierry Paquot, « le verbe ‘‘habiter’’ est riche, son sens ne peut se limiter à l’action d’être logé, mais déborde de tous les côtés, ‘‘habitation’’ et ‘‘être’’, au point qu’on ne puisse plus penser l’un sans l’autre 7», c’est en ce sens que nous utiliserons cette notion, soit l’imbrication de l’individu dans la demeure, dans l’architecture, il s’agit ici d’un processus d’action. Cette dernière sera par ailleurs caractérisée par l’utilisation de la majuscule pour en appuyer le sens, voir la nécessité, à la vue de la récurrence d’emplois faite dans les écoles d’architecture, de paysage, et de la profession. Espace, Temps

Au regard des définitions lexicales de ces deux termes, on peut mettre en

complémentarité l’espace, comme un milieu «dans lequel se situe l’ensemble de nos perceptions et qui contient tous les objets existants ou concevables 8» et le temps comme un milieu « indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses et qui est caractérisé par sa double nature, à la fois continuité et succession 9». Cette complémentarité est rendue indissociable par les scientifiques qui ont associé ces deux notions sous un concept plus général d’espace-temps, milieu total dans lequel nous évoluons. Cette notion est d’ailleurs bien connue de la branche architecturale, déjà en 1941, Sigfried Giedon publiait Espace, Temps, Architecture10, liant art et science dans une branche sémantique commune, histoire hégélienne. 7

Thierry, Paquot, Habitat, Habitation, Habiter, Ce que parler veut dire..., in. Informations sociales n°123, 2005/3, p.49 8 Espace. (s.d.). Dictionnaire en ligne du CNRTL, [En ligne], https://www.cnrtl.fr/espace 9 Temps. (s.d.). Dictionnaire en ligne du CNRTL, [En ligne], https://www.cnrtl.fr/temps 10 Sifried, Giedon, Espace, Temps, Architecture, Ed. Gallimard, Paris, 1978.

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Globalisation / Mondialisation

Nous avons découvert, au sein de notre recherche, un grand débat entre

deux notions que l’étymologie rapproche en parfaits synonymes. D’un point de vue linguistique, globalisation ne serait que la traduction anglophone de mondialisation. Pourtant, la tendance viserait à distinguer la mondialisation comme une dynamique d’agrandissement « du champ d’activité des agents économiques, conduisant à la mise en place d’un marché mondial unifié11», là où la globalisation caractériserait plus précisément un phénomène lié à la mutation de la technologie (transport, information et communication). En cela, l’utilisation du terme mondialisation désigne une volonté économique d’escalader les échelles et se faisant de rayonner à l’échelle planétaire, là où l’utilisation du terme globalisation rendrait compte d’un état du monde rendu globale par l’émergence et le développement des technologies. Dans le sens où le mémoire veut, avant toute chose, orienter la réflexion autour des rapports entre l’individu, l’espace et le temps au sein du globe issu des mutations technologiques, nous avons choisi d’employer le terme de globalisation afin de limiter toutes tentatives de rapprochement politiques et économiques.

11

Mondialisation. (s.d.). Dans le dictionnaire en ligne Le Larousse, [En ligne], https:// www.larousse.fr/encyclopedie/divers/mondialisation/71051

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« Oui, nous vivons une période comparable à l’aurore de la paideia, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; comparable à la Renaissance qui vit naître l’impression et le règne du livre apparaître ; période incomparable pourtant, puisqu’en même temps que ces techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance et la mort, la souffrance et la guérison, l’être-aumonde lui-même, les métiers, l’espace et l’habitat. » Michel Serres.

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PARTIE I

Le progrès technique comme manifestation de ruptures

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I Chapitre 1 Technique et Civilisation, progrès et incidences sociétales

La technique, comme clef d’interrogation des sociétés contemporaines

Selon certains auteurs, le progrès technique constitue le rôle principal des

ruptures liées au processus de mutation de la ville dans les sociétés du Nord. Historien américain, Lewis Mumford s’est intéressé, dès le milieu du siècle dernier, à placer la technique comme « fondement à partir duquel sont interrogées les sociétés contemporaines 12». Une volonté qualifiée de rare et originale pour l’époque, qui peut faire sens aujourd’hui. Ce chapitre fait office de fondation. Il tente de replacer la question du progrès technique dans le contexte historique que Lewis Mumford (et ensuite de Françoise Choay) a choisit de mettre en évidence.

Traduit tardivement en français en 2016, l’ouvrage de Mumford Technique

et civilisation offre un apport colossal sur l’histoire des techniques. On notera que l’auteur américain emploie en anglais le terme technique au pluriel dans son titre de 1934 : Technics and Civilization, (Fig. 1) qui laisse déjà entendre une réflexion terminologique. L’auteur, pionnier en la matière, nous amène à découvrir une relation dynamique du couple éponyme : « Encore plus rares étaient les tentatives de croiser cette histoire avec celle des sociétés et des cultures. Bien avant qu’on parle de ‘‘construction sociale des techniques’’, Mumford avait livré des analyses pénétrantes de la façon dont techniques et sociétés se déterminent mutuellement13». Plus tard, certains auteurs évoqueront un phénomène de co-production, tenant compte d’une « interaction dynamique entre technique et société 14». 12

Lewis, Mumford, introduit par Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, Ed. du Seuil, Paris, 2006, p.69. 13 Antoine, Picon, « Préface », in. Lewis, Mumford, Technics and Civilization [1934], Ed. Harcourt, Trad. fr. par N. Cauvin et A. Thomasson, sous le titre Technique et Civilisation, Ed. Paranthèses, 2016, p.5. 14 Andrew, Christenson L., The Co-production of Archaeological Knowledge, in. Revue Complutum (Universidad Complutense de Madrid), 2013, Volume 24, p. 63.

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Fig. 1 : TechnicS and Civilization Si l’édition originale de l’ouvrage de Lewis Mumford présente la notion avec l’anglophone pluriels: Technics, on peut se demander pourquoi la traduction française propose le dit terme au singulier. De technics à technique, une erreur linguistique ? Ou une négation récente (traduction en 2016) (gauche) Photographie, [en ligne] https://www.worldofbooks.com. in. ,Lewis, Mumford, Technics and Civilization, Ed. Harcourt, publié en 1934, page de garde. (droite) Numérisation personelle. in. ,Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit., réédition de 2016, page de garde.

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En 2004, Sheila Jasanoff, spécialiste de la notion de co-production,

déclarera dans l’ouvrage collectif States of knowledge (aujourd’hui encore introuvable en français) : «La texture de toute période historique, et peut-être surtout celle de la modernité, ainsi que celle de formations culturelles et politiques particulières, ne peuvent être correctement appréciée que si nous tenons compte de cette coproduction 15». Si cette interaction productive nous intéresse, c’est qu’elle semble être source de mutations auxquelles l’architecture peut se référer.

En ouvrant le propos de Technics and Civilization, Lewis Mumford annonce

les problématiques liées à l’interaction entre technique et société: « Depuis un millénaire, les fondements matériels et les formes culturelles de la civilisation occidentale ont été profondément modifiés par le développement du machinisme. Comment cela s’est-il produit ? Où cela s’est-il passé ? Quelles furent les principales causes de cette transformation radicale de l’environnement et de nos habitudes de vie? [...] Quelles valeurs inattendues sont nées de ce phénomène ? 16». L’auteur place au centre de son récit la question du développement du machinisme comme vecteur des mutations qui nous animent. L’histoire des techniques est proposée à lire chronologiquement par l’utilisation d’une périodisation. Le développement est présenté en trois phases : l’âge éotechnique, que l’auteur invente ici et qui constitue une transition à l’âge paléo-technique, suivit de l’âge néotechnique (dont on attribue la découverte à Patrick Geddes17). L’avènement de chaque période fait émerger des phénomènes de ruptures qui nous sont donnés à lire. 15

Sheila, Jasanoff, States of Knowledge, The co-production of science and social order, Ed. 1st Edition, Ontario, 2004, p.2. « The texture of any historical period, and perhaps modernity most of all, as well as of particular cultural and political formations, can be properly appreciated only if we take this co-production into account. », Trad. de l’anglais par Lénaïck Kunze. 16 Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit. , p.23. 17 Pour de plus amples informations sur les notions définies par Patrick Geddes, on se reportera à l’étude du texte : L’évolution des villes : une introduction au mouvement de l’urbanisme et à l’étude de l’instruction civique (1915), où l’auteur explique ce qu’il entend par les termes « eutopie », « paléo-technique » et « néo-technique »

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Fig. 2 : Développement d’une localité Cette illustration du Dr Bauer image le livre De Re Metallica qui fait le portrait de l’industrie de la phase éotechnique, telle que la nomme Mumford. On remarque sur cette image le lien entretenu entre l’habitat, le lieu de travail et le paysage. Il se développe une localité de vie.

Numérisation, Science Source, [en ligne] https://urlz.fr/9Rq7 in. ,Georgius, Agricola, De Re Metallica,1556, illustration du Dr Bauer.

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Mise en place de la technique moderne

L’auteur entame son analyse avec la mise en place de la technique moderne.

Cette phase, dite pré-machiniste, Mumford la nomme éotechnique (Fig. 2). Il fait le choix de traquer l’histoire des techniques dès le Moyen-Âge, là où des auteurs comme Georges Friedmann « plus focalisé sur le rythme des transformations, les recense surtout à partir du XVIème siècle 18». Bien que l’analyse diverge d’un écrivain à l’ autre, tous deux semblent définir l’émergence de cette période vers l’an mille et sa mutation aux alentours du milieu de XVIIIème siècle.

Cette phase est principalement caractérisée par l’utilisation du bois comme

matière première, par la maitrise du vent et celle de l’eau comme sources d’énergies. La période éotechnique voit « l’essor des sciences et la naissance du capitalisme19» et la « restriction de l’emploi des êtres humains comme source d’énergie

».

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L’auteur expose l’accélération du progrès technique par de multiples découvertes révolutionnaires. Ainsi, on assiste à l’optimisation de la gestion de l’énergie avec l’expertise du moulin dont Vitruve s’empare dans son Traité sur l’architecture. L’invention du harnais et du fer-à-cheval permet une accélération de la production agricole et des déplacements, la découverte du compas du navigateur ou du gouvernail permanent contribue également à cette accélération dans le champ maritime. En architecture, l’expertise liée à la fabrication du verre assurait également « un rôle conséquent dans la conception et la réalisation d’une habitation 21» dès la fin du XVIeme siècle. La découverte de l’imprimerie par Gutenberg (1440) ou encore celle de l’horloge par Huygens (1657), l’émergence des sciences et de l’école, et tant d’autres soulignées par l’auteur, constitueront des évènements majeurs, signes d’une première accélération le passage à l’âge paléo-technique. 18 19 20 21

Lewis, Mumford, par Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.72. Antoine, Picon, « Préface », in. Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit. , p.10. Ibidem. Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit. , p.142.

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Fig. 3 : L’environnement de « l’ère barbare » « Pittsburgh. Environnement industriel paléotechnique typique : cheminées d’usines, pollution de l’air, désordre, habitations humaines réduites au minimum de confort et d’esthétique. Groupez ces maisons plus étroitement et vous aurez Philadelphie, Manchester, Preston ou Lille. Intensifiez la congestion, et vous aurez New York, Glasgow, Berlin ou Bombay ». Photographie proposée par Lewis Mumford pour soutenir son développement de pensée.

Numérisation, auteur de la photographie inconnu, in. ,Lewis, Mumford, Technics and Civilization, op. cit. , p. 213

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Si Mumford caractérise l’ère éotechnique comme capable d’unir la technique

et la civilisation dans une « harmonie relative 22», il ne manquera pas de qualifier le nouvel âge paléo-technique comme celui d’une ère barbare, en complète rupture avec le passé (Fig. 3). L’auteur s’attachera par ailleurs à l’analyse des différents changements sociétaux, que semble introduire la nouvelle période technicienne.

Là encore, il est difficile de cerner son étendue concrète. On peut situer

les prémices au début du XVIIIème siècle avec l’introduction du charbon comme source d’énergie mécanique et son apogée vers 1870 avec la découverte de la machine à vapeur ainsi que l’expansion des moyens de transport (utilisation du fer et premier mouvement de masse). Lewis Mumford définit la fin de la phase paléotechnique au moment de la première exposition mondiale de 1851, au Crystal Palace de Hyde Park.

Selon Mumford, cette première révolution industrielle plonge l’humanité

dans une conquête au rendement, ce qu’il nomme le capitalisme carbonifère, soit le sacre de l’énergie du charbon. L’auteur considère que les nouvelles méthodes d’industrie poussent à leur paroxysme un phénomène de brisure. Là où le paysan de l’ère précédente voguait entre ateliers, église et champs dans une certaine harmonie, la société industrielle induit des schémas de rupture : dégradation de la condition ouvrière et de la vie, pollution de masse, notion de classe, ... qui feront l’objet de maintes critiques23. Si humainement, le bilan semble désastreux, cette période a intensifié la recherche et le progrès technique par la mise en place de système aujourd’hui devenu routinier, tel le chemin de fer. Comme le souligne Mumford « le rôle le plus significatif de la phase paléo-technique ne se situe cependant pas dans ce qu’elle a produit, mais dans ce qu’elle a apporté 24». 22 23

Ibidem. p.164 On pense à la doctrine de Kant, où tout être humain devrait être traité comme une fin et non comme un moyen, mais encore Engels et Marx pour les questions de luttes des classes. 24 Ibidem. , p.218.

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Fig. 4 : Associer la ville et la campagne, une vision déjà utopique. En 1898, Howard publie To-morrow : A Peaceful Path to Real Reform, que l’on peut traduire par Demain, une vraie réforme par une voie pacifique. Son projet apparaît en tant que critique du système capitaliste anglais, aujourd’hui mondialement théorisée, le concept d’Howard ne donnera lieu qu’à deux uniques applications sacralisée par Raymon Unwin : Letchworth Garden City & Welwyn Garden City.

Numérisation, auteur inconnu in. Ebenezer Howard, The Three Magnets. N° 1, 1902, in. Garden Cities of To-morrow.

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Émergence de la société industrielle

La phase néotechnique est amorcée par Mumford comme une mutation. «

Elle diffère de la phase paléo-technique comme le blanc diffère du noir 25» incarnant la concrétisation de plusieurs siècles de progrès technique et de recherche. L’auteur a cependant du mal à définir l’étendue de cette période puisqu’à la parution du livre en 1934, celle-ci n’est pas encore révolue. Bien plus tard, Françoise Choay, affirmera que nous sommes aujourd’hui encore engagés dans cet âge « caractérisé par l’utilisation de l’énergie électrique 26». De son côté, Georges Friedmann, y lira une phase transitoire, celle d’une deuxième révolution industrielle « précédant la troisième révolution industrielle, celle de l’énergie atomique et de l’électronique 27».

L’époque est marquée par des découvertes scientifiques majeures dans

l’ensemble des domaines (sciences, matériaux, ...) et notamment celui de la mobilité (l’accumulateur, la dynamo, le moteur, ...). L’émergence de ces machines couplée à l’invention de nouveaux moyens de communication entraînent une transformation radicale dans l’aménagement des villes et l’utilisation de l’environnement en général « d’abord le télégraphe, puis le téléphone, la télégraphie sans fil, le téléphone sans fil et finalement la télévision 28» (Fig. 4). Dès le début du XIXe siècle, se fait ressentir les prémisses des principaux changements de rapport à l’espace, au temps et au monde que l’on peut observer aujourd’hui. On constate surtout une opposition radicale à l’âge paléo-technique, qu’explique Lewis Mumford du fait de la caractéristique majeure de l’électricité, qui, contrairement au charbon, peut provenir de multiples sources d’énergie possibles. L’arrivée du néotechnique laisse percevoir le portrait d’une nouvelle civilisation basée sur le développement des télécommunications, l’évolution des mobilités, la conquête de l’espace et de nouveaux rapports possibles entre Homme, technique et société. 25 26 27 28

Ibidem, p.221 Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.72. Ibid, p.72 Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit. , p.246.

35


Mutation technique et transformation des sociétés

La progressive mise au point de nouveaux matériaux (verre, acier, béton), les équipements électriques, la société industrielle, l’ensemble des moyens de

télécommunication « ont directement multiplié les échanges d’informations des citadins, étendu leur champ d’action, transformé leur expérience de l’espace, du temps, et, par la même, la structure de leur comportement 29». L’historienne Françoise Choay nous semble définir un lien de cause à effet avec la structuration urbaine, notamment en attribuant au progrès technique l’émergence des mouvements de masse (ville/campagne) dans la société occidentale dès 1850, la standardisation du bâti ou même l’étalement « diffus du territoire entier par la construction 30». Selon l’auteure, les transformations opérées sur les moyens de production et le transport, l’émergence de nouveaux modes de consommation, de nouvelles fonctions, contribuent à faire imploser le schéma de la ville médiévale et de la ville baroque31. « Ce processus d’éclatement des structures anciennes se retrouve tout au long de l’histoire, à mesure des transformations économiques des sociétés 32».

À travers le livre de Choay, Pour une anthropologie de l’espace, la mise

en discussions des pensées de Mumford et Friedmann laisse place à une réelle co-production du couple technique/société. Cette dualité semble induire à chaque époque de l’histoire une rupture avec les schémas établis et une mutation des modes de faire la ville, le territoire, l’Habité. Si le progrès scientifique et technique a pu contribuer fortement à des modifications profondes de la société, la compréhension de l’environnement technologique contemporain apparaît comme une entrée logique à la lecture de la période de l’InstaWorld. 29 30 31

Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.173. Ibidem. Par ville médiévale et ville baroque, Françoise Choay fait ici référence aux schémas urbains de la période du Moyen-Âge. Ces villes sont régies par le système urbain de l’époque, en s’organisant principalement autour d’un centre historique munit d’édifices religieux, comme c’est le cas avec la ville de Reims en France par exemple. L’essor des révolutions industrielles va contribuer à bouleverser leur organisation urbaine. 32 Ibidem, Note de bas de page.

36


I Chapitre 2 Émergence de la société de l’information

De l’art à la technology : mutation linguistique

Si la traduction française de l’ouvrage de Lewis Mumford semble avoir fait

l’impasse de la pluralité des technics, ce n’est pas sans oublier la tendance actuelle qui, dans le langage courant, a anéanti le terme au profit de celui de technologie. Ce chapitre explore ce passage linguistique et tente de comprendre, par la pensée de différents auteurs, l’interaction entre les techniques, devenues technologies, et la société émergente au XXème siècle.

Étymologiquement, les termes de technique et d’ art sont issus de la même

origine : techné, en grec, ars en latin, toutes deux renvoient à un savoir-faire. Comme le souligne Françoise Choay, « le terme ‘‘art’’ désignait au départ les savoirs faire et outils grâce à laquelle les humains ont pu pendant des siècles façonner et transformer leur environnement. 33». Pour ainsi dire, l’art désignait au départ une activité productive. C’est cette relation à la production et au travail qui fait évoluer le terme en technique au passage de la première révolution industrielle. Comme le souligne Marc Le Bot, professeur à l’université de Paris I : « la séparation pratique des deux domaines et l’opposition des deux concepts sont l’un et l’autre des éléments constitutifs d’une transformation radicale ou révolution des rapports sociaux : celle dont les historiens de l’économie nomment la « première révolution industrielle », telle qu’elle s’amorce en Europe occidentale au cours du XVIIIe siècle et s’accomplit au siècle suivant. 34» 33 34

Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.109. Marc, Le Bot, Technique et Art, Date inconnue. in. Encyclopædia Universalis, [En ligne], http://arquetipos.arquia.es/articulo/alison-peter-smithson-play-brubreck/, [consulté le 28 avril 2019].

37


Lorsque la Grande Bretagne est devenue le berceau de la première révolution industrielle, le terme technique a été abandonné au profit de technology. Rappelons que le suffixe -logie vient du grec logôs, qui signifie « discours, traité ». On le rencontre notamment dans les sciences courantes (sociologie, anthropologie, biologie, ...). La technologie se définirait alors par l’étude critique des techniques, soit théorique et non-pratique, ce qui mène Françoise Choay à qualifier technology d’impropre à son usage. Comme nous le rappelle Antoine Picon, déjà Lewis Mumford, en privilégiant technics à technology, « affiche d’emblée l’une des lignes directrices de l’ouvrage qui consiste à ne pas séparer la technique du reste des activités humaines, du geste élémentaire de l’artisan 35». L’émergence du terme technologie, serait-il synonyme de mutation ?

Si la pratique courante du langage a substitué la technique à la technologie,

c’est peut-être que la relation entre l’Homme et ces technologies a évolué. Comme le soutient Jean-Marc Mandosio, «L’homo faber36 contemporain est technologiquement dispensé d’être lui-même, en tant qu’individu, technicien 37». Des propos soutenus par Picon lorsqu’il déclare l’altération de la signification des techniques, voir, la mort de la technique : « le triomphe des techniques est en train d’altérer leur signification aussi profondément qu’à l’époque de la première révolution industrielle qui avait vu la fin de l’Ancien Monde des arts et métiers ». Ce à quoi, l’historien et sociologue, James Beniger39 répond que ce serait la

38

société de l’information qui a rendu ces mutations possibles et non l’inverse. 35 36

Antoine, Picon, « Préface », in. Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit. , p.10 L’auteur cite ici Bergson pour qui Homo faber désigne l’homme maître de la technique, appliquant son intelligence à la «fabrication». 37 Jean-Marc, Mandosio, Après l’effondrement - Notes sur l’utopie néotechnologique, Ed. Encyclopédie Des Nuisances, 2000, Paris, p.124. 38 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, Ed. Armand Colin, Paris, 2016, p.57 39 A ce sujet, nous pourrons consulter, James, Beniger R., The Control Revolution, Harvard University press, Cambridge, 1989.

38


Prémisse de la société de l’information

C’est au tournant du XIXème et du XXème siècle que la société accorde une

importance de plus en plus capitale à l’information, et à son traitement. Face à l’augmentation de la productivité et une poussée démographique due à la seconde révolution industrielle, il devient difficile de traiter l’information. Pour répondre au besoin du recensement américain de 1890, Hermann Hollerith40 invente la tabulatrice41 (Fig. 5), définie aujourd’hui comme l’ancêtre de l’informatique, soit, le traitement automatique de l’information. A titre comparatif, là où le recensement de 1870 a demandé sept années de travail, celui d’Hollerith s’est effectué en seulement quelques mois. Cette accélération technique de traitement de l’information sera au cœur du progrès technologique, en témoigne la Loi de Gordon Moore42, encore vérifiable à l’heure de cette recherche.

Accompagnant le traitement de l’information et comme le souligne

Dominique Boullier dans son livre, Sociologie du numérique, « d’autres impératifs étatiques sont directement associés à la naissance de l’informatique, ceux de la sécurité équipée par la cryptographie 43». Les travaux de dé-cryptologie d’Alan Turing tenu secret, dans les années 1940, sur la machine Enigma et mis en lumière par le biopic Imitation Game (2014), verront naître le premier ordinateur permettant de répondre à des tâches bien plus complexes que celles de la tabulatrice. Finalement, c’est la capacité de calcul des machines de traitement de l’information qui va réellement nous faire passer dans l’âge informationnel. 40

Hermann Hollerith est un ingénieur américian, inventeur de la tabulatrice et fondateur de l’entreprise, aujourd’hui planétaire, IBM (créée en 1911). 41 La tabulatrice est une machine équipé de 60 cadrans compteurs qui totalisent les informations contenues sur des cartes perforées. C’est le principe du binaire (deux solutions) qui est ici mis en oeuvres, comme dans les ordinateurs aujourd’hui. [En ligne], https://urlz.fr/9GNm, [consulté le 05 mai 2019]. 42 Annoncée en 1965 par le cofondateur de la société Intel (Gordon Moore), la Loi de Moore fixe un cycle de dix-huit mois pour le doublements de nombre de transistors, rendant les ordinateurs rapidement obsolètes. [En ligne], https://www.futura-sciences.com/tech/definitions/ informatique-loi-moore-2447/, [consulté le 05 mai 2019]. Sources : consulté le 05 Mai 2019. 43 Dominique, Boullier, Sociologie du numérique, Ed. Armand Colin, Paris, 2016, p.34.

39


Fig. 5 : La tabulatrice d’Hollerith, à l’origine de la société de l’information Le procédé de la mécanographie utilisé ici représente aujourd’hui l’ancêtre du système binaire. Cette machine, représente pour beaucoup l’ancêtre de l’ordinateur, pouvant effectuer 150 additions par seconde. Aujourd’hui encore, on trouve les mêmes dispositions de schéma de calcul (lignes et colonnes) dans les fenêtres de codage de nos systèmes informatiques.

Photographie, IBM in. ,Charles et Ray, Eames, A Computer Perspective: Background to the Computer Age, Harvard University Press. First Edition 1973; Second Edition 1990, IBM, 1971.

40


Naissance de la société de l’information

Cette transition que rencontrent les pays développés au passage de l’ère

industrielle à la société de l’information est au cœur des recherches d’Alvin Toffler44. L’auteur définit trois types de sociétés qu’il conceptualise en vagues, chaque vague éloignant les sociétés et les cultures plus anciennes. La première société, agricole et sédentaire, est celle qui a chassé les chasseurs-cueilleurs. La deuxième commence en Europe avec la révolution industrielle et se caractérise par son style d’organisation de bureaucratie. La troisième qu’il caractérise de postindustrielle fait émerger l’ère de l’information. La classification de Toffler n’est pas sans rappeler la périodisation de Lewis Mumford, que nous avons évoqué au chapitre précédent. Dès lors, on peut lire dans l’ère de l’information une suite, comme une nouvelle phase, au récit industriel de Lewis Mumford.

Cette nouvelle phase, en tant que « ère de l’information », est pronostiquée

dès 1948 par l’Américain Norbert Wiener, en stipulant que la circulation de l’information allait et devrait devenir une condition nécessaire au bon fonctionnement de la société. Une société « dominée par l’immatériel, où le savoir et la flexibilité sont des éléments déterminants 45», et qui serait capable d’entraîner des mutations fondamentales et des ruptures sans équivalents historiques, qu’elles soient politiques, économiques ou sociétales. Car si les nouvelles technologies de l’information et de la communication (N.T.I.C.) peuvent, selon Jacques Robin46, être utilisées par l’économie capitaliste de marché, et aider à l’émergence d’une économie mondiale à fonctionnement instantané, elle permettrait la mise en place du village planétaire47, idéologie sociale à laquelle nous reviendrons. 44

Voir, Alvin, Toffler, The Third Wave [1980], Ed. Bantam Books, Trad. fr. par M. Deutsch, sous le titre La 3ème vague, Ed. Denoël-Gonthier, Paris, 1984. 45 Gaetan, Moreau, Les défis de la société de l’information. Mise à jour le 25 mai 2018. in. Tierney chez, [En ligne], http://tierney.chez.com/chapitre1.html, [consulté le 19 mai 2019]. 46 Jacques, Robin, Les dangers d’une société de l’information planétaire, in. Le Monde diplomatique, Février 1995, p.16. 47 McLuhen y qualifie les effets de la mondialisation, des médias et des Technologies de l’Information et de la Communication. Selon l’expression de l’auteur, le monde est ainsi identifié comme unifié. Nous y reviendrons plus tard dans la suite de cette recherche.

41


Fig. 6 : À la conquête de la planète. En 1948, lors des élections présidentielles américaines, les machines de l’UNIVAC se sont révélées presque aussi précises que le dépouillage final, par pronostique. (Prévision de la machine : 438 à 93, dépouillage : 442 à 89). Nous remarquons sur l’affiche, la volonté de conquête du globe déjà présente dans les années 1950, et notamment le rapport à la vitesse avec cette légende «Doubling Univac’s Speed !»

Numérisation, Fortune magazine, Publicité pour l’UNIVAC, in. Fortune Magazine, 1954

42


La mise en place de l’ « ère de l’information » amène avec elle des réflexions

et des théorisations de l’utilisation des machines de l’information émergentes. La rencontre du mathématicien Norbert Wiener, des techniciens Bush, Bigelow ainsi que les physiologistes Cannon et Mac Culloch, donne naissance, dans les années 40, à la cybernétique (du grec kubernêtês « gouverner »). Cette dernière se présente comme une science de la commande et de la transmission des messages chez l’homme et chez la machine. Une théorie de la commande visant à « lutter contre la perte ou l’altération de l’information lors des échanges 48».

Cette « ère de l’information » est au cœur de l’ouvrage Norbert Wiener,

The Human Use of Human Beings, paru en 1950, traduit en français sous le nom Cybernétique et société. « La thèse de ce livre est que la société peut être comprise seulement à travers une étude des messages et des «facilités» de communication dont elle dispose et que, dans le développement futur de ces messages et de ces «facilités» de communication, les messages entre l’Homme et les machines, entre les machines et l’Homme, et entre la machine et la machine sont appelés à jouer un rôle sans cesse croissant 49». Si le roman utopique de Samuel Butler, Erewhon ou de l’autre côté des montagnes, paru en 1870, laissait entrevoir une société machiniste et tirait une sonnette d’alarme sur le jour où les machines seraient rendues autonomes, la science de la cybernétique pourrait bien faire passer la vision d’utopie à la réalité. À ce sujet, Raymon Ruyer, déclarera dès 1954, que le jour est venu où les machines seraient capable de s’exécuter par « la délicatesse de leur propre organisation 50». Au-delà du progrès technique, les technologies de l’information et de la communication ouvrent un débat sur la nature de l’Homme dans la société naissante (Fig. 6). 48

Gaspard, Vivien, Les Castors dans le village global, Mémoire de recherche de master, sous la direction de Jean-Christophe Gérard et de Frank Vermandel, Lille, ENSAPL, 2015, p.23. 49 Norbert, Wiener, The Human Use of Human Beings [1950], Trad. fr. par Pierre-Yves Mistoulon, sous le titre Cybernétique et société, Ed. UGE 10/18, Paris, 1954, chapitre 1. 50 Raymond, Ruyer, La Cybernétique et l’origine de l’information, Ed. Flammarion, Paris, 1954, p.9.

43


Processus de technicisation

Aujourd’hui, ces technologies font partie intégrante de notre environnement.

On pense au Royaume-Uni et à son réseau de plus de 4 millions de caméras de surveillance, aux détecteurs de lumière et de portes automatiques, auxquels on ne porte plus la moindre attention, ou plus simplement au téléphone portable qu’on ne quitte plus aujourd’hui. Dans le recueil de discours, Interctive Cities51, Dominique Rouillard met l’accent sur les équipements wireless (en français «sans fil», concerne les équipements qui utilisent des signaux d’onde pour échanger des informations) qui reconfigurent nos modes de vie. Ironie du sort de se rendre compte que l’on passe plus de temps à recharger nos batteries portables qu’à les utiliser. Ces prothèses du quotidien, Françoise Choay les décrit comme un des principal facteur de ce qu’elle nomme un « processus de technicisation » des sociétés contemporaines. Si l’auteur n’y apporte aucune définition précise, on caractérisera ce processus comme une application de la technicisation, soit de la technologie, sur les réalisations pratiques, les productions industrielles, économiques et les modes de vie de la société 52. De ce fait, le progrès technique et la forme de société émergente laissent entrevoir une réelle corrélation entre la société et la technique, entre l’Homme et la machine. La mutation linguistique et lexicale des notions art, technique puis technologie, semble soutenir le propos de cette recherche selon lequel les techniques émergentes seraient intimement liée au conditionnement de la société contemporaine, voir pourraient être signe de mutations sociétales, comme s’en emparent les récits de fiction lors de l’émergence de la société de l’information.

51

Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, Ed. HYX, Paris, 2006, p.15. 52 Définition donnée à partir de celle du CNRTL (Technicisation. (s.d.). Dictionnaire en ligne du CNRTL, [En ligne], https://www.cnrtl.fr/technicisation).

44


I Chapitre 3 Technologie de l’information, réactions architecturales Premières appropriations architecturales

Par l’analyse de plusieurs auteurs, le chapitre précédent a permis de soulever

l’étroite co-production du couple technique/société et de mettre en avant le progrès technique comme fédérateur de phénomènes de ruptures. Si le champ théorique nous semble pertinent, il appartient à cette recherche d’observer et de questionner les premières appropriations et réactions architecturales face à l’émergence de la société de l’information et l’arrivée des technologies de l’information et de la communication (T.I.C.). Les projets abordés dans ce chapitre constituent une base référentielle non-exhaustive pour l’étude de la période de l’InstaWorld.

Comme le souligne Dominique Rouillard dans sa contribution au livre

Interactive cities, on trouve les premières notions de rencontre entre architecture et société de l’information dès les années 1950. Très tôt, on trouvera chez les architectes du moment les notions d’ « ordinateur, computateur électronique, automation, robotique, calculateur 53». La période de l’après-guerre nous a semblé très fertile à analyser tant elle représente une avant-garde54 du projet architectural lié à un contexte et une société technologique émergente. En témoigne l’intérêt suscité des notions « de relation, de lien, de lieu, d’échange, de hasard, d’indétermination, d’ouverture, de contact, de connexion, et même d’esthétique de la connexion 55» plus d’une décennie avant l’avènement d’ARPANET56. 53

Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit., p.14. 54 La notion d’avant-garde sera par ailleurs remise en cause plus tard dans ce chapitre. 55 Ibidem, p.20. 56 ARPANET ou Arpanet (acronyme anglais pour « Advanced Research Projects Agency Network ») constitue le premier réseau de transfert lancé en 1966. Il constitue en sorte les prémices de l’INTERNET dans sa forme actuelle. Nous reviendrons sur sa mise en place par la suite. [En ligne], https://fr.wikipedia.org/wiki/ARPANET, [consulté le 10 mai 2019].

45


Fig. 7 : La technologie, comme co-ordinateur de l’espace. Le programme du Fun Palace est assez proche de ce qu’on peut désigner comme un programme informatique : un tableau de fonctions algorithmiques et des passerelles logiques qui contrôle des évènements et des processus temporels dans un dispositif d’environnement virtuel. Par ailleurs, la structure tri-dimensionnelle du Fun Palace se veut représenter une matrice opérationelle spatio-temporelle d’une architecture dite virtuelle. Numérisation, Centre Canadien d’Architecture, 1. Cedric Price, Perspective du Fun Palace - 2. Gordon Pask, Organizational Plan as Program in. Collection Centre Canadien d’Architecture, Montréal, 1965

46


Architecture et technologie de l’information : Mise en réseau

Comme le précise Dominique Rouillard, ce vocabulaire, qui annonce le

discours d’une architecture « connectée », existe « alors en dehors de toute référence à l’informatique, et même sans relation à la cybernétique qui va pénétrer le milieu de l’architecture à la fin des années 1950 57». Si l’outil technique est au cœur d’une grande partie des recherches menées par mes confrères, nous nous intéresserons ici à questionner l’implication des T.I.C. comme vecteur d’origine au projet architectural.

Vers 1958-1960, certains architectes (Yona Friedman et Constant entre

autres) donnent de leur contribution aux prémices de la relation entre architecture et technologie de l’information. L’ordinateur, bien que peu répandu à cette époque, prend place au cœur de la conception, et assume le rôle de l’organisation du changement58, plaçant la technologie émergente comme co-ordinateur de l’espace (Fig. 7). C’est le cas du projet de « ville spatiale » de Yona Friedman en 1959 ou encore de celui de « New Babylon » de Constant en 1963. L’un comme l’autre propose une architecture que l’on pourrait qualifier de réseau, une méga-structure devenant support technologique à l’instar d’une infrastructure de machine. Si le principe de gestion de l’espace semble novateur, Dominique Rouillard y adosse une critique : « Sans entraîner une expression architecturale nouvelle, la structure tridimensionnelle qu’adopte toute méga-structure apparaît comme un réseau à la complexité suffisante 59

». Bien que peu novatrices sur le plan architectural formel, ces méga-structures

mettent en lumière les premières applications de l’organisation des technologies de l’information dans le projet architectural et urbain et une première rupture dans le champ de la conception de l’Habité. 57 58

Ibidem, p.14. Voir Eckhard Schulze-Fielitz et ses travaux à la fin des années 50 où « il expérimente le potentiel de principes mathématiques et morphologiques dans l’organisation et la division de l’espace tridimensionnel. Pionnier de la recherche sur la morphologie structurale, il travaillera avec Yona Friedman sur le concept de «ville spatiale» en 1959. ». [En ligne], http://www.frac-centre.fr/ collection-art-architecture/rub/rubauteurs-58.html?authID=172, [consulté le 07 mai 2019]. 59 Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.20.

47


Fig. 8 : Play Brubeck ! « Idéogramme d’un réseau de relations humaines. Une constellation de parties de valeur différente, dans un réseau extrêmement compliqué de lignes croisées et entrelacées. Brubeck! De là, un complot peut émerger »

Numérisation personnelle, Trad. personnelle SMITHSON, Alison, Team 10 printer, Ed. The MIT Press, 1968, p.79.

Fig. 9 : Déplacement dans Paris Repris par Guy Debord dans Théorie de la dérive, figurant l’ensemble des déplacements d’une étudiante du XVIe arrondissement de Paris. Une des premières représentations d’un schéma en réseau basé sur l’individu.

Numérisation, Schéma de Combart de Lauwe, 1952 Guide psychogéographique de Paris, Discours sur les passions de l’amour, Guy Debord, 1957.

Fig. 10 : Représentation de la Toile. Ce projet de l’an 2000, modélise sous forme de cartes les liens qui existent entre les sites de l’internet, et plus généralement, le “chemin” des informations. Ces visions nous permettent de bien comprendre que l’aspect de toile (web) résulte de la mise en relations des sites entre eux. Hal Burch and Bill Cheswick, Maps of the internet, [en ligne] https://www.researchgate.net/figure/HalBurch-and-Bill-Cheswicks-2000-map-of-the-coreof-the-internet-charting-over_fig4_292383469

48


Concernant l’implication de la cybernétique (évoquée dans le deuxième

chapitre de ce mémoire avec la pensée de Norbert Wiener), elle n’apparaîtra dans le discours architectural qu’à partir du milieu des années 1960, et ce, particulièrement chez les métabolistes japonais, sous l’influence de Kenzo Tange. «La maison réceptive» d’Isozaki où la technologie est utilisée principalement pour des effets sonores ou visuels, en est un exemple pertinent. Bien qu’il soit important de le mentionner, il n’appartient pas à ce travail de recherche de s’emparer de l’influence des technologies émergentes sur l’environnement du projet architectural.

Sur la scène européenne, le Team Ten et, plus spécifiquement, Peter et Alison

Smithson60 marqueront les prémisses de la réflexion autour du couple technologie /société. Le croquis Brubeck ! (Fig.8), présenté par les architectes comme un «idéogramme 61», nous donne à imaginer un réseau de relations humaines qui se croisent et s’entrecroisent à la manière d’un réseau technique de communication. Si Dominique Rouillard y voit un rapprochement avec le schéma de Combart de Lauwe (Fig. 9), nous nous permettrons de le mettre en relation avec les représentations de ce qu’on appelle aujourd’hui la toile de l’Internet (schématisée notamment par les travaux de Burch et Cheswick62 (Fig. 10)). Brubeck! nous semble important par sa capacité à interroger, par la pensée architecturale, le fonctionnement technologique. À son sujet, les Smithson annoncent l’idée « que les architectes étaient soucieux de ne pas travailler tant sur des choses que sur les relations qui s’établissent entre eux.63». Une notion très présente chez les avant-gardistes de l’époque. 60

Le Team Ten, ou Team X, est un groupe d’architectes ayant contribué à repenser l’architecture et l’urbanisme en rupture avec les conceptions de l’époque, dans les années 50-70, Alison et Peter Smithson sont deux membres de ce groupe. 61 On s’accordera à penser que le terme Ideogram évoque ici un signe graphique traduisant le sens de pensée du groupe Team X envers le sujet Brubeck. Cet ideogramme sera d’ailleurs utilisé par Alison Smithson, plus tard, pour décrire le groupe d’architecte. 62 Au début des années 2000, Burch et Cheswick s’intéresse à représenter la mise en réseau des sites web dans l’Internet. Ce travail fut commandé par la société technologique Lumeta 63 Fernandez Villalobos, Nieves, Alison y Peter Smithson : Play Brubreck!. Mise à jour le 25 mai 2018. in. Arquetipos, [En ligne], http://arquetipos.arquia.es/articulo/alison-peter-smithson-play-brubreck/, [consulté le 25 avril 2019].

49


Archigram et la vision de la ville

Les Smithson représenteront par la suite une référence majeure pour les

architectes européens et les débuts d’un intérêt certains de la part des architectes envers la société de l’information. C’est le cas du groupe londonien Archigram (association des termes architecture et télégramme). Ces derniers aborderont la pensée du réseau relationnel, comme le souligne Dominique Rouillard, dans le contexte « du développement des sciences, celui de la robotique et de l’informatique, et grâce aux ouvrages de vulgarisation ou aux récits de science-fiction 64» . Cet attrait pour la science-fiction se matérialisera par des méthodes de représentations originales et leur permettra d’appuyer le caractère fictif et futuriste de leur projet. À ce propos, Reyner Banham, membre du groupe anglais, placera le roman de science fiction, tel Les cavernes d’acier65 d’Isaac Asimov, comme une des bases à acquérir dans la culture architecturale.

Si aujourd’hui, les références architecturales de ce chapitre rejoignent le

corpus de base du parcours de l’étudiant architecte, il nous faut rappeler que cellesci sont loin d’être majoritaires pour l’époque. En effet, suite à la deuxième guerre mondiale, la grande majorité de la profession se focalise sur la reconstruction de l’Europe. Par ailleurs, cette « avant-garde 66» architecturale ne connaîtra que peu de mise en pratique construite de leurs idées. A ce sujet, Dominique Rouillard, laisse supposer que notre époque contemporaine se prêterait plus favorablement à cette rencontre TIC et architecture, 50 ans plus tard. Si cette supposition explique en partie l’intérêt contemporain pour les références de ce chapitre, elle met surtout en avant le caractère visionnaire des architectes de papier67 de l’après-guerre. 64

Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.18. 65 Dans son ouvrage publié en 1954, Isaac Asimov met en scène un robot humanoïde dans une histoire policiène confrontant Terriens et Spaciens. Isaac, Asimov, The Caves of Steel [1954], Ed. Doubleday, Trad. fr. par J. Brécard, sous le titre Les Cavernes d’acier, Ed. Gallimard, 1956. 66 Dominique Rouillard avoue ne pas vouloir utiliser l’expression d’avant-garde, argumentant que le discours des architectes concernés est essentiellement basé sur la nouveauté technique. 67 Architecte de papier pour paperstudio, expression utilisée à l’encontre des architectes des références que nous mettons en avant dans ce chapitre.

50


L’introduction des technologies de l’information dans le champ architectural

connaît une véritable expansion avec la publication du cinquième numéro de la revue éponyme du groupe londonien Archigram68 (publié en 1964 sous le titre Les villes sont-elles encore nécessaires ? (Fig 11.)). Les lecteurs y découvrent premièrement le projet Plug-In City de Peter Cook (Fig. 12). On lit : « Plug-in City se crée en disposant une structure en réseau à grande échelle, qui offre les voies d’accès et les services essentiels, sur n’importe quel terrain [...] L’intérieur contient diverses machines et installations électroniques destinées à remplacer les fonctions de travail actuelles 69». Le projet est ici conçu comme un système général qui laisse entendre l’application du fonctionnement de l’ordinateur et une réflexion portée sur l’accélération de la ville en mutation : « Plug-In City a été conçu pour favoriser la circulation et accélérer la ville en mutation. 70».

Dans le même numéro, Dennis Crompton expose Computer City, la Ville

réactive (Fig. 13). Le projet pour la ville est décrit « comme un réseau de flux - des flux de trafic, des marchandises, des personnes et surtout de l’information. 71» à l’image de la société de l’information émergente que nous avons décrite lors des pages précédentes. Là où Plug-In-City se positionne comme une superstructure de branchement de fluide à un réseau, Computer City se définit lui-même comme le réseau, sans structure et sans architecture signant une des premières manifestations de rupture du rôle de l’architecte et de l’architecture face à l’arrivée des T.I.C.

68

Archigram est une revue d’architecture des années 60 dont 9 numéros sortiront de 1961 à 1974, support de production et de communication du groupe londonien composé de Peter Cook, David Greene, Mike Webb, Ron Herron, Warren Chalk et Dennis Crompton. 69 Alain, Guiheux, Archigram, Ed. Centre Pompidou, Paris, 1994, Archigram 5. 70 Simon, Sadler, Archigram : architecture without architecture, Ed. The MIT Press, Massachussets, 2005, p. 16, «Plug-In City was devised to prompt circulation and accelerate the cityin-flux.», Traduction Lénaïck Kunze. 71 Ibidem, p. 21, «Computer City described the city as a network of flows—flows of traffic, goods, people, and above all information.» Traduction Lénaïck Kunze.

51


Fig. 11 : ARCHIGRAM N°5. Les Revues d’Archigram représenteront le principal support d’expression du groupe londonien. On compte aujourd’hui 10 numéros, numéroté de 1 à 9 1/2 , publiés de 1961 à 1974. On y découvrera les principaux projets : Sin Center, Living City, Plug-In City, Walking City, Instant City. Dans ce dernier, Peter Cook explore une ville évènement nomade, héliportée. Une numérisation desdits magazines est présente sur le site web : http://archigram.westminster.ac.uk Photographie personnelle, in. Alain, Guiheux, Archigram, op. cit. , 1994. pp. 80. in. ,Revue Archigram n°5, Archives Archigram, 1964.

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Fig. 12 (haut), Fig 13 (bas) : Superstructure de branchement : le réseau de vi(ll)e. Au regard de ces deux projets théoriques, on remarque par les méthodes de représentation le langage technique et informatique de « l’architecture de la ville ». La seconde image, Computer City, pourrait d’ailleurs s’adresser à un public de technicien, dans le sens où l’on imagine un schéma de transistor ou de réseau électrique.

Photographie personnelle, in. Alain, Guiheux, Archigram, op. cit. , 1994. pp. 88-89. 12. Peter Cook, Plug-In City, composants primaires, 1964, Photo Archives Archigram. 13. Dennis Crompton, Computer City, 1964. Coll. Centre Georges Pompidou, photo J.C. Planchet.

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Fig. 14 : Technologie bucolique ou architecture de l’information ? Les dispositifs de Rockplug et Logplug sont envisagés par David Greene comme un moyen de dissimuler dans la nature (plus exactement sous la nature) des équipements technologiques, agissant comme des tableaux de bords. L’individu voyageur peut ainsi se connecter en tout point du globe à des services spécifiques en se branchant directement sur des artéfacts naturels.

Numérisations, Wrinkled and lapping mat, Dimensions: 352x343, Archigram Archives David, Greene, RockPlug, LogPlug, 1969, [en ligne] http://archigram.westminster.ac.uk/projectphp?id=136

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Les Technologies de l’information et le territoire

Les architectes de l’époque ont par la suite poussé les principes de gestion

des technologies de l’information à l’échelle du territoire, présentant une architecture d’interface à l’instar des machines technologiques, de gestion, d’organisation et la rendant accessible à tous. Elle agit, selon Dominique Rouillard, « sans ostentation, sans figuration, sans méga-structure, sur tous les points du territoire 72». Plus que jamais c’est l’architecture elle-même qui est interrogée, et avec elle, le rôle de l’architecte. C’est le cas des projets Rokplug, Logplug (1969) de David Greene, membre fondateur d’Archigram (Fig. 14), où l’architecture technologique se retrouve dissimulée sous des apparences d’artefacts naturels. Au travers cet amalgame de technologie bucolique, on se questionne sur la nature du rôle de l’architecture et de l’architecte. Est-il devenu un technicien ? L’architecture n’est-elle plus qu’une interface technique ?

Il appartiendra au groupe italien Superstudio73 de s’emparer de la structure

de la société de l’époque et de considérer l’architecture comme « la configuration formelle de la société avant de pouvoir être considérée comme structure utile 74». Le groupe fondé à Florence en 1966-67, sera au cœur de l’architecture radicale de l’après-guerre et à l’initiative des esquisses de refonte anthropologique de l’architecture. L’élaboration en 1969 du projet Le Monument continu (Fig. 15) marque une véritable volonté de questionner le rôle de l’architecte de la société de l’après-guerre. Le projet est décrit comme une ligne de pensée extrême où l’architecture « devient un objet immobile fermé qui ne conduit nulle part, excepté à lui-même et à l’usage de la raison 75». Superstudio décrit une architecture sans architecte reflétant un monde rendu uniforme par la technologie et la société. 72

Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.19. 73 Superstudio est composé des architectes Adolfo Natalini, Cristiano Toraldo di Franci, Roberto Magris, Piero Frassinelli, Alessandro Magris et Alessandro Poli. 74 Toraldo Di Francia, in. IAC Villeurbanne (sous la direction de.), Architecture radicale, Ed. HYX, Orléans, 2001, Superstudio & Radiaux, p.153. 75 Ibidem.

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Fig. 15 (haut), Fig. 16 (bas) : Vers un modèle alternatif de vie sur terre ? Le « Monument Continu » (haut) est présenté pour la première fois lors de l’exposition Trigon à Graz en 1969. Le projet est conçu comme une grille tridimensionnelle, absorbant tout sur son passage, et réduisant le monde à un paysage d’infrastructure. Photographie personnelle, in. Marie-Ange, Brayer (sous la direction de.), Architectures expérimentales 1950-2012, op. cit. , p.581. Fig. 15 : Monumento Continuo, 1969, Un Logo di nuvole tra eterne montagne, Dessin, photomontage. Fig. 16 : Marchi, réa. Supersurface - An alternative model for life on the Earth, op. cit. , 1972.

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Le questionnement de Superstudio autour de l’architecture est mis en images,

cinq années après Le Monument continu, avec la réalisation du film Supersurface76 (Fig. 16). La narration de l’histoire présente « un modèle alternatif de vie sur terre dans lequel le ‘‘réseau d’énergie et d’information’’ est représenté par des grilles et des images de technologie superposées à un collage de paysages naturels et habités peuplés de familles dans les activités domestiques et de loisirs 77». Face à l’émergence de la société de l’information, l’approche du groupe se matérialise par une « architecture réduite à l’état de neutralité absolue 78». Si le monde s’organise sur les lois de traitement de l’information, l’architecture est réduite à l’état de support.

Cette rupture de l’architecture sera également questionnée par le groupe

Archizoom, autre référent de la période, qui développera le projet No-Stop City (1969). Le projet fictif questionne et met en œuvre « l’idée de la disparition de l’architecture 79». No-Stop City incarne le modèle d’une ville immatérielle. Sans qualité et érigée par le flux continu des informations, No-Stop City est l’expression des réseaux technologiques des marchés et des services, introduisant selon les architectes du projet « la disparition de l’architecture. 80» (Fig. 17). Une vision critique et négative de l’architecture incarnant la société de l’information telle qu’elle est donnée à comprendre. Le projet bien que théorique pousse à son paroxysme la confrontation de la société des T.I.C. et de l’architecture. 76

Marchi, réa. Supersurface - An alternative model for life on the Earth. 1972. Marchi Produzioni, 9’28 minutes, à l’occasion de l’exposition Italie: le nouveau paysage intérieur organisée par Emilio Ambasz au MoMA en 1972 à New York. 77 «Supersurface presents «an alternative model for life on earth» in which the «network of energy and information» is represented by grids and images of technology superimposed on a collage of natural and inhabited landsvcapes peopled by families engaged in domestic and leisure activities.» Traduction Lénaïck Kunze. 78 Marie-Ange, Brayer (sous la direction de.), Architecture expérimentales 1950-2012, Collection du Frac Centre, Ed. Hyx, Orléans, 2013, p.581. 79 Frac Centre-Val de Loire, Archizoom Associati, No-Stop City, 1969. Date inconnue, in. Frac-centre, [En ligne], http://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/archizoom-associati/ no-stop-city-64.html?authID=11&ensembleID=42, [consulté le 25 avril 2019] 80 Ibidem.

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Fig. 17 : No-Stop City, vers une disparition de l’architecture ? Au regard des documents produits dans le cadre du projet théorique de No-Stop City, on aperçoit une négation de l’espace construit qui se résume en une trame technique qui englobe à la manière du Monument Continu d’Archigram l’entièreté du paysage, qu’il soit naturel ou artificiel (habitations et services de consommation, photo haut).

Photographie personnelle, in. Andrea, Brazi, No-stop city, Ed. HYX, Orléans, 2006.

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Technologies émergentes, vers une mutation de l’architecture ?

L’introduction émise par quelques groupes d’architecte de la seconde

moitié du XXe siècle fait émerger les premières esquisses d’une (im)possible architecture de la société de l’information, il ne faut pas oublier leur dimension critique et idéologique. Si quelques architectes de l’après-guerre ont dessiné un conditionnement de l’architecture par des médiums tels que ceux de la sciencefiction, leur récits critiques n’ont su donner une concrétisation construite. Au-delà d’une possible construction, on retiendra leur capacité à interroger la technologie et la société émergente au cœur du projet architectural et urbain. Comme le précise Dominique Rouillard « L’informatique était à l’œuvre dans la conception même du projet, voire à son origine - peut-être parce qu’elle ne pouvait encore opérer effectivement dans les agences comme outil d’assistance à la conception... 81».

Par leur dimension fictive et critique, les projets de l’après-guerre nous

ont semblés apporter un regard sur les possibles ruptures de l’architecture et de la profession face à l’essor des technologies de l’information. Nous garderons une distance critique à leur propos, du simple constat qu’un demi-siècle plus tard, l’architecte et l’architecture continuent de professer ? Si Yona Friedmann déclare l’inutilité de l’architecte en 1970, l’auteure du livre Interactive cities semble amorcer une approche moins fermée par cette question : « où est l’architecture, et surtout l’architecte ? Est-il devenu un super programmateur ? 82». Les technologies émergentes seraient-elles signe d’une mutation de l’architecture et du rôle de l’architecte dans les sociétés contemporaines ? Les questionnements mis en exergue dans cette première partie ne sont pas sans rappeler la problématique de ce travail de recherche, et cette base historique constitue un appui référentiel aux réflexions qui sont les nôtres dans le cadre de cette recherche. 81

Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.20. 82 Ibidem, p.30.

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60


PARTIE II

Un bouleversement contemporain, l’avènement de l’InstaWorld

- Transition -

Par notre retour historique, nous avons vu que la technique pouvait

formuler des signes de ruptures. En architecture, la réception de la société de l’information a laissé entrevoir une mutation possible du rôle de l’architecte, voir, pour certains protagonistes, une disparition. Au travers

de cette

seconde partie, nous allons interroger la période actuelle, dont le portrait est l’objet du livre de Michel Serres, Petite Poucette. Nous tenterons de clarifier l’avènement de l’InstaWorld et d’interroger les nouveaux rapports de l’individu à l’espace-temps. Nous questionnerons l’occupation du monde, le statut de l’espace, pour mettre en avant les enjeux qui en découlent.

61


62


II Chapitre 4 Signes de l’émergence d’un nouvel individu

Mutation : l’avènement d’une nouvelle société ?

L’implication des nouvelles technologies de l’information et de la

communication (N.T.I.C.) dans notre environnement quotidien s’est accéléré depuis l’arrivée de l’Internet. Michel Serres s’empare de ce phénomène dans son ouvrage Petite Poucette et annonce une révolution83 liée à l’émergence de la Toile. Nous vivrions les débuts d’une nouvelle civilisation, dont l’individu, connecté, est nommé Petite Poucette84. Il témoigne alors la difficulté que peuvent rencontrer les générations déjà actives dans la société à comprendre ce nouvel individu et les rapports intimes qu’il entretient avec la technologie. L’académicien français raconte alors : « comme je suis un vieillard, je dirige mon ordinateur comme un outil, comme si j’étais extérieur à cet outil. Tandis que Petite Poucette à l’air de faire comme moi, mais ce n’est pas vrai, elle vit dans un monde impliqué par ces outils. Ce qui est très différent 85». Ce chapitre tente d’explorer les raisons de l’avènement de ce nouvel individu. Pour cela, il nous est nécessaire de regarder en arrière et d’observer l’origine d’une mutation, c’est-à-dire de comprendre comment l’Internet a engendré cette révolution dont l’auteur s’empare et a induit les questionnements qui sont nôtres au sein de ce mémoire de recherche. Le progrès technologique pourrait-il incarner un changement de civilisation ?

83

Michel, Serres, Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive, , Conférence, INRIA, 2007, Vidéoconférence mise à jour le 24 juillet 2012, in. Youtube, [En ligne], https:// www.youtube.com/watch?v=ZCBB0QEmT5g, [consulté le 05 janvier 2019]. L’auteur tente de définir selon trois facteurs (temps, espace, individu) un basculement de civilisation dont il attribue l’origine aux nouvelles technologies. 84 Michel, Serres, Petite Poucette, Ed. Le Pommier, Paris, 2012. 85 Michel,Serres, Le gaucher boiteux, Conférence,TNBA, 18 septembre 2015, Vidéoconférence mise à jour le 18 septembre 2015, in. Youtube, [En ligne], https://www.youtube.com/ watch?v=_RWY8b45QNs, [consulté le 22 février 2019].

63


Fig. 18 : Cartographie du réseau ARPAnet. L’utilisation du terme ‘‘cartographie’’ peut ici questionner quant à la signification que l’on peut lui donner dans le champ architectural et paysager, qui nous rappelle une fois de plus l’ensemble des représentations auquels nous avons déjà fait écho : (Brubeck! ; Combart de Lauwe ; La Toile de Burch & Cheswick) Une étude sur la cartographie de l’Internet pourrait être pertinente à ce sujet.

Numérisation, Jon, Postel, [en ligne] https://urlz.fr/9RA4 in. ,Institut des sciences informatiques, Cartographie du test du réseau TCP / IP, 1982

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Origine et naissance d’une rupture : le phénomène de l’Internet

Il nous semble important, sans vouloir nous égarer, d’insister sur le

contexte particulier de l’apparition de l’Internet, pour en comprendre les possibles mutations induites. L’Internet prend sa dynamique en Amérique dans un contexte de Guerre Froide. La volonté américaine est de « récupérer la première place face à l’avancée technologique soviétique dans le domaine de l’industrie spatiale et plus particulièrement de l’industrie de défense

». Dwight D. Eisenhower,

86

président américain, crée en 1958 l’agence ARPA qui évoluera peu de temps après en DARPA87. En celà, l’Internet est un outil créé dans un contexte de guerre, et notamment de guerre de l’information, notion propre à la condition sociétale dont nous avons consacré un chapitre dans la première partie. L’Internet s’inscrit dans le cadre des progrès liés à la conquête, à la guerre, à l’accélération de l’information.

Afin de coordonner les différents acteurs de la recherche du pays, le

professeur Joseph Carl Robnett Licklider imagine un système novateur de mise en réseau informatique (Fig. 18). Ce système est basé sur l’idée d’une accélération de l’échange d’informations. En août 1968, ces travaux conduisent au lancement du projet ARPANET88, le premier réseau informatique à grande échelle de l’histoire. L’université de Californie à Los Angeles UCLA et l’Institut de recherche de Stanford constitueront les deux premiers points connectés de la planète. Ils échangeront pour la première fois, la même année, une information par réseau. Il s’agira du message « login », en français, s’identifier/se connecter. 86

Christine, Leteinturier, L’Internet, une mondialisation en trompe l’œil, CARISMUniversité Panthéon-Assas, Séminaire « L’internationalisation des médias : état des connaissances et perspectives », dirigé par Jean-Baptiste, 2007, Paris, p. 6. 87 L’agence DARPA (agence gouvernementale de recherche pour les projets avancés de défense pour Defense Advanced Research Projects Agency), créée en 1958, est chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies dans le cadre militaire. 88 ARPANET, acronyme anglais de «Advanced Research Projects Agency Network» développe une technologie de transfert de paquets. Le concept de transfert de paquets deviendra la base du transfert de données sur Internet. L’information est optimisée en morceau avant d’être assembler au moment de sa réception permettant sa lecture.

65


Fig. 19 : Propagation du réseau d’ARPAnet 1969-1977 Le réseau ARPAnet connaît une croissance rapide depuis la première connexion de 1969, ces cartographies ont étées produites par ‘‘BBN engineers’’ qui ont principalement été mis en charge de la gestion du projet. A propos de ces cartes, elles « n’étaient que des croquis de la topologie des liens entre les noeuds, ignorant complètement la géographie du monde réel.» laissant percevoir, dès les fondements du réseau, la volonté de dépasser les contraintes spatiales. ( «Some of the first maps were merely sketches of the topology of the links between nodes, completely ignoring real-world geography», Souces [en ligne] https://mappa.mundi.net/maps/maps_001/ )

Numérisation, Christine, Leteinturier, L’Internet, une mondialisation en trompe l’œil, p.8-12 in. An Atlas of Cyberespaces, Historical Maps of Computer Networks, [en ligne] https:// personalpages.manchester.ac.uk/staff/m.dodge/cybergeography/atlas/historical.html

66


Le réseau s’étendra très vite pour atteindre dès 1972, vingt-trois ordinateurs

connectés, certains déjà situés en dehors des Etats Unis (Fig. 19). Cette propagation est rendue possible par l’innovation technologique qui accompagne le projet ARPANET et qui jouera un rôle déterminant dans l’échange de l’information. C’est le cas des travaux menés sur les protocoles TCP/IP89 par Vinton G. Cerf et Bob Kahn et la mise en place en 1972 de l’arobase @ par Ray Tomlinson. Ils marqueront les débuts du courrier électronique. La même année, Robert E. Kahn introduit pour la première fois le nom « Internet » lors de la première ICCC90 à Washington. Le terme est alors dérivé du concept d’internetting, soit ‘‘interconnecter des réseaux’’, plaçant la notion de connection comme principe premier de l’outil. Il faudra attendre 1983 avant que ce terme désigne l’ensemble de la technologie d’échange et de communication.

Comme le souligne Licklider, en connectant les scientifiques, chercheurs,

militaires à un réseau technologique d’information, une première communauté, peut se créer. « L’évolution est d’interconnecter des communautés séparées et ainsi de les transformer en ce que nous pouvons appeler une supercommunauté91». Par cette volonté de générer une supercommunauté au-delà des contraintes spatiales, on peut entre-lire les prémisses d’une rupture avec la géographie, questionnant les notions de temps et d’espace. L’idée est novatrice, toutefois, il est bon de mentionner qu’elle ne concerne qu’une infime partie de la population américaine liée au projet et ayant la possibilité d’accéder à un ordinateur. Au-delà de l’idée de communauté que revendiquent les acteurs de l’outil, être connecté nécessite des moyens, une infrastructure, ne serait-ce que de l’électricité. 89

TCP/IP pour «Transmission Control Protocol / Internet Protocol» représente d’une certaine façon l’ensemble des règles de communication sur Internet et se base sur la notion d’adressage en organisant le réseau de façon homologue au fonctionnement des boites aux lettres. 90 ICCC pour International Conference on Computer Communications. 91 Patrice, Flichy, Internet ou la communauté scientifique idéale. in. Réseaux, volume 17, n°97, 1999. p.88, à propos de LICKLIDER et TAYLORS, 1968, 1990, p.31, p.88.

67


Fig. 20 : Au delà de la géographie, la structure de l’Internet. Cette illustration produite par le laboratoire du MIT, SENSEable City, « Global encounters » en 2008 présente les flux d’échange de l’Internet entre New York et les régions urbaines connectées. Est-ce l’avènement d’une dématérialisation de la structure sociale dans un territoire de type non-géographique ? Internet, une utopie du XXIème siècle ? Numérisation personnelle, SENSEable City Lab. SENSEable City Laboratory, MIT, Global encounters, 2008 in. Antoine, Picon, Culture numérique et architecture : une introduction, Ed. Birkhäuser GmbH, Basel, 2010, p. 193.

68


L’Internet : démocratisation et planétarisation

Il faudra attendre les années 1990 pour voir émerger les débuts d’une réelle

volonté de démocratisation de l’Internet. Cette révolution survient en 1991, avec l’invention du World Wide Web, lorsque la Toile à l’échelle mondiale (littéralement) voit le jour. L’inventeur, Tim Berners-Lee, imagine, tel un annuaire téléphonique, un moyen de cataloguer l’information par un système de lien. Pour permettre à l’individu de se diriger dans l’annuaire de la Toile, il invente le browser, soit, le navigateur. Un enjeu apparaît, celui de rendre public cet outil et de permettre à l’ensemble de la population d’ajouter et de consulter les ressources d’information.

En architecture, cette mise en réseau va permettre aux agences de collaborer

de plus en plus étroitement avec les différents corps de métier, sur des projets de plus en plus complexes. Ce processus est décrit comme une organisation sociale par les termes de « communauté d’intérêts », ou encore de « network nation92», c’est le début d’une démocratisation93 de l’information. Mais comme le souligne Olivier Donnat, ce discours de démocratisation n’est pas nouveau, « en réalité, les militants de la démocratisation des années 1960 et ceux de l’internet des années 1980 ou 1990 94» partagent les mêmes convictions 95. La Toile émergente est ainsi imaginée comme une structure sociale dans un territoire non-palpable, non-géographique, non-physique, un territoire de l’information (Fig. 20). Alors se pose la question de l’individu et de son attache physique au monde et à l’architecture.

92 93

Ibidem, p.112. Nous utiliserons le terme démocratisation dans le sens de l’action de mettre à la portée de tous un bien, à partir de la définition du dictionnaire. Même si nous admettons que le bien n’est rendu accessible qu’aux personnes jouissant des infrastructures nécessaire. 94 Olivier, Donnat, Internet et la question de la démocration, Mise à jour le 20 octobre 2014, in. La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014. [En ligne], http://chmcc.hypotheses.org/836 [mis en ligne le 20 octobre 2014], [consulté le 10 mai 2019]. 95 Pour éviter de perdre notre fil conducteur, nous nous permettrons de rediriger le lecteur vers la recherche de fin d’étude de Gaspard Vivien sur les contre-cultures de l’information. Gaspard, Vivien, Les Castors dans le village global, op. cit.

69


Fig. 21 : Extension de l’Homme de l’information. Pour McLuhan, les technologies de l’information et de la communication, et plus spécifiquement les médias qui sont au coeur de son oeuvrage, Understanding Media - The Extensions of Man, génèrent chez l’individu un environnement, un espace autre. Par exemple, pour l’auteur, la télévision génère un espace acoustique et tactile (que McLuhan entend par visuel, il fera le même constat avec la lecture). Numérisation, auteur inconnu, in. ,Marshall, McLuhan, Understanding Media - The Extensions of Man, 1964 New York ; Toronto : McGraw-Hill Book Co., [c1964] -- vii, 359 p. ; 22 cm.

70


Ces innovations s’opèrent dans un environnement économique nouveau,

celui d’une planétarisation96 de l’information et qui agît en écho avec les phénomènes de mondialisation induits par l’industrialisation croissante partisane d’un système d’économie mondial. Bien que théorisés avant la mise en réseau de l’Internet, des théoriciens comme Norbert Wiener (que nous avons mobilisé dans les pages précédentes) ou Marshall McLuhan97 ont exploré une possible unification du monde par la mise en réseau planétaire d’une technologie de l’information. Ce processus de planétarisation est au cœur de leur discours et tend, selon eux, à « favoriser l’apparition d’une culture unique et partagée à l’échelle de la planète 98». Un discours qui peut faire sens au regard des critiques liées à la culture des réseaux sociaux dont nous sommes aujourd’hui, pour la plupart, des acteurs réguliers.

Le mythe d’un « village global » mit en scène par McLuhan tend ainsi

à questionner la notion d’échelle et de relations de l’Homme dans une société connectée. Bien que cette prophétie soit critiquée sur la scène contemporaine comme « absurde99», elle nous laisse entrevoir des questionnements autour de la figure de l’individu contemporain (Fig. 21), de ses rapports au monde, mais également du rapport à l’identité et l’ancrage urbain et architectural dans un contexte de planétarisation. Quelle architecture pour le village connecté ? 96 Christine, Leteinturier, L’Internet, une mondialisation en trompe l’œil, op.cit. , p. 11. «Le terme de « planétarisation » est entendu ici au sens le plus concret, à savoir le fait que pro-

gressivement, la planète va se trouver reliée au réseau internet. Ce mouvement passe à la fois par le renforcement des capacités de transport des réseaux de télécommunications tant sur la planète ellemême que dans son espace proche avec le recours aux deux cadres techniques déjà évoqués. » 97 Marshall, McLuhan, H. LAPHAM, Lewis, Understanding Media - The Extensions of Man [1964], Ed. McGraw-Hill, Trad. fr. par Jean Paré, sous le titre Pour comprendre les média: Les prolongements technologiques de l’homme, Ed. Points, 1967. 98 Dominique, Wolton, À propos du Village global de Marshall Mcluhan, Date inconnue, in. Dominique Wolton, [En ligne], http://www.wolton.cnrs.fr/spip.php?article230, [consulté le 10 mai 2019]. 99 Patrick, Roy, Le médium est le message dans le village global : le vrai message de Marsahll McLuhan, in. Aspects sociologiques, vol 7, n°1, juillet 2000, citant la critique de Dominique Wolton dans une entrevue au quotidien Le Devoir en 1997.

71


Petite Poucette, individu contemporain

Bien que non-scientifique, la pensée de McLuhan constitue une porte

d’entrée à la compréhension des rapports à la technologie de l’individu contemporain. En 1968, l’auteur proposera l’idée qu’ « après trois mille ans d’une explosion produite par des technologies, mécaniques et fragmentaires, le monde occidental ‘‘implose’’. Pendant l’âge mécanique, nous avons prolongé nos corps dans l’espace. Aujourd’hui, après plus d’un siècle de technologie de l’électricité, c’est notre système nerveux lui-même que nous avons jeté comme un filet sur l’ensemble du globe, abolissant ainsi l’espace et le temps, du moins en ce qui concerne notre planète. Nous approchons rapidement de la phase finale des prolongements de l’homme : la simulation technologique de la conscience

».

100

Cette idée nous ramène à cette mutation dont parle Michel Serres selon lequel le progrès technologique induirait l’avènement d’un nouvel individu.

Celui-ci est présenté par Fred Tuner comme appartenant à une «‘‘génération

numérique’’ nouvelle (enjouée, autosuffisante et dotée d’une psyché propre)101». Il apparaît également chez Antoine Picon lorsqu’il écrit, en 1998, La ville territoire des cyborgs. Bien que présenté pour son caractère fictif par l’auteur, le cyborg, « hybride d’homme et de machine, individu parfait parce que rendu pleinement autonome par la technologie

» amène une intimité contemporaine

102

entre individu et technologie émergente, celle que François Choay définit comme ayant «transformé notre environnement ainsi que nos comportements physiques et mentaux, en particulier nos rapports avec l’espace et le temps 103». Grand absent des discours architecturaux, l’individu nous apparaît comme le sujet premier de toute architecture. En ce sens, il nous est nécessaire, en tant que futur architecte, de questionner les pratiques des nouvelles générations. 100 101

Marshall, McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit. , pp. 19-20. Fred, Turner, From counterculture to cyberculture. Stewart Brand, the Wole Earth network, and the rise of digital utopianism [2006], Ed. University of Chicago Press, Trad. fr. par Laurent Vannini, sous le titre Aux sources de l’utopie numérique, de la contre-culture à la cyberculture, Ed. C&F, Caen, 2012, p.35. 102 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p.p. 11-12. 103 Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.108.

72


II Chapitre 5 Temps et espace, la ruée vers l’instantanéité

A vos marques, prêt, arrivé !

L’individu et la société contemporaine nous semblent s’adonner à une forme

de culte pour la vitesse et la gestion du temps. Mis en lien avec la performance, la réussite, la rentabilité, le système économique et politique nous est donné à lire comme dicté par une conquête de l’instantanéité

104

. Cette conquête forme

une sorte de norme, si bien qu’il nous est devenu courant, si ce n’est quotidien, d’utiliser l’expression «je n’ai pas le temps 105». Plusieurs auteurs ont questionné notre rapport au temps par l’analyse de l’histoire des techniques. Selon certains, les récents progrès auraient manifesté une rupture de la pratique de l’espace chez l’individu contemporain. Dans son ouvrage, La Troisième Révolution Industrielle, Jérémy Rifkin déclare « L’infrastructure émergente anéantit le temps et rétrécie l’espace

106

», des propos que nous serons amené à nuancer. Pour Antoine Picon,

ce rapport de temps et d’espace est très intime dans notre situation contemporaine. La perception du temps l’emporte sur celle de l’espace effectivement parcouru ». Ce chapitre du mémoire de recherche interroge cette course à l’instantanéité,

107

qui semble faire loi, tant comme facteur que comme acteur de mutation urbaine.

104 On préférera le terme instantanéité à instantané pour souligner la notion de caractère de l’objet donné à étudier, à partir de la définiton du CNRTL : Instantanéité (s.d.). Dans le dictionnaire en ligne CNRTL, [En ligne], https://www.cnrtl.fr/definition/instantan%C3%A9it%C3%A9. 105 A cette défense, mon premier enseignant de projet à l’école d’architecture m’a donné comme réponse : ‘‘ce n’est pas que tu n’as pas le temps, mais que tu ne t’es pas donné le temps’’. Denis, Delbaere, à mon encontre, à l’occasion d’une présentation d’atelier de projet au premier semestre où je défendais une maquette non aboutie. 106 Jeremy, Rifkin, The Third Industrial Revolution [2011], Ed. Palgrave MacMillan, Trad. fr. par François et Paul Chemla, sous le titre La troisième révolution industrielle, comment le pouvoir latérial va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Ed. Les Liens qui Libèrent, 2012, p.31. 107 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 22.

73


Fig. 22 : Calendrier carolingien, 818, cycle de vie. Ce calendrier présente les douzes mois de l’année en illustrant des activités de la vie de l’époque. On remarque avant tout un lien direct avec la production de l’agriculture, mais également un rapport avec la chasse, le besoin de se protéger selon les saisons (mois de janvier avec le foyer).

Numérisation, auteur inconnu. Henri, Stern, Poésies et représentations carolingiennes et byzantines des mois, in. Revue Archéologique, 1555, I. , in. Georges, Comet, Le temps agricole d’après les calendriers illustrés. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 13ᵉ congrès, Aix-en-Provence, 1982. pp. 18.

74


Le temps, ce crédo des sociétés modernes

Comme le souligne Carl Honoré dans son ouvrage Eloge de la lenteur, «

L’humanité a toujours été fascinée par le temps, ressentant sa présence et son pouvoir, sans jamais être sûre de pouvoir le définir 108». À son tour, Lewis Mumford fait ce rapprochement entre la volonté de définition du temps et l’histoire des techniques. Il constate que les premières manifestations de bouleversement des notions de temps et d’espace trouvent leur origine « par l’utilisation des méthodes quantitatives, l’étude de la nature a trouvé sa première application dans la mesure régulière du temps 109». En cela, on note que la notion de temps est étroitement liée à l’évolution de la technique. Cette dernière serait-elle à l’origine d’une accélération du temps ?

On trouve une première volonté de définition du temps, par la mesure, dès

l’Antiquité, qui voit apparaître le premier calendrier110. Ce dernier repose sur l’étude des phénomènes astronomiques. Le rythme de vie y est déterminé en fonction des saisons, mois et jours, et est lié aux différents cycles de production de l’agriculture (Fig. 22). On assiste dès le XIIème siècle, à une classification des tâches en relation au temps dans le fonctionnement des monastères. Dans son livre, Technique et Civilisation, Lewis Mumford analyse le rapprochement de l’invention de l’horloge avec la gestion rigoureuse et l’ordre de vie des moines, déterminant le monastère comme le siège d’une vie parfaitement réglée. La régulation du temps était devenue une seconde nature apportant une rigueur quotidienne dans la société du monastère. Selon l’auteur, l’ordre des Bénédictins voit naître, ce qui sera nommé plus tard, le capitalisme moderne, définit par la volonté d’organiser le temps : « la pendule ne marque pas seulement les heures, elle synchronise les actions humaines 111».

108 109 110

Carl, Honoré, Eloge de la lenteur, Ed. Marabout, Paris, 2004, p.30. Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit. , p.36. Le premier calendrier a été élaboré au 3e millénaire avant Jésus-Christ par les cités de Babylone. Il était basé sur les mouvements de la lune et comptait 12 mois composés de 29 ou 30 jours. Il était possible de rajouter des jours, ou même des mois supplémentaires pour rester en adéquation avec les différentes saisons de l’année. 111 Ibidem, p.37.

75


Si la volonté de mesurer le temps n’est pas éloignée de la capacité à

l’organiser, le phénomène d’accélération auquel nous nous attachons dans le cadre de ce mémoire s’explique « également à travers les terminologies liées au temps » ainsi que les incidences sociétales qu’elles engendrent. L’apparition de la minute

112

et de la seconde à la première révolution industrielle va ainsi accroître l’idéologie productiviste dont la formule de Benjamin Franklin « le temps c’est de l’argent » deviendra un credo. Plus tard, le fordisme114 s’attachera également à cette

113

volonté d’industrialiser le temps, en cela et comme le soutient Lewis Mumford, « la machine clé de l’âge industriel moderne n’est donc pas la machine à vapeur, mais bien l’horloge. À chaque phase de son développement, l’horloge est à la fois le fait marquant et l’emblème typique de la machine. Aujourd’hui encore, aucune autre machine n’est aussi omniprésente 115».

L’un des véritables bouleversements survient avec la découverte de la nano-

seconde. Pour la première fois, une mesure de temps n’est plus perceptible par l’Homme. Depuis, le progrès technologique s’est accéléré. A l’heure où la constante de Planck (10-44 de la durée d’une seconde) est devenue l’une des unité fondamentales de mesure du temps et que celui-ci, selon Carl Honoré, est devenu «le credo de notre société industrielle

», ferion-nous de la course au temps, la condition de notre

116

société, affirmant ainsi une rupture possible sur les rapports de l’individu à l’espace et au temps, alors incapable de les percevoirs ? Tel l’ouvrier Chaplin, serions-nous devenus esclave d’un temps que l’on ne maîtrise plus ? 112

Anne-Rose, Bouyer, AKairos et architecture : regard(s) vers la slow architecture, Mémoire de recherche de master, sous la direction de Benjamin Chavardés, Lyon, ENSA Lyon, 2014, p.17. 113 Dont la forme complète est «Remember that time is money», in. ,Benjamin, Franklin, «Advice to a Young Tradesman » (1748), in. The Complete Works of Benjamin Franklin, Ed. G. P. Putnam’s Sons, 1887, t. 2, p. 118. 114 Le fordisme, comme modèle d’organisation et développement, est mis en oeuvre au début du XXème siècle par Henry Ford. Le principe est de corréler la productivité de l’ouvrier et le gain salarial. 115 Lewis, Mumford, Technique et Civilisation, op. cit. , p.40. 116 Carl, Honoré, Eloge de la lenteur, Ed. Marabout, Paris, 2004, p.32.

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Perception de l’espace-temps

Pourtant, rappelons que le temps en tant que tel, n’accélère pas. Une minute

dure une minute qu’importe l’activité qu’on lui accorde. Comme le rappelle Anne-Rose Bouyer « nous attribuons souvent au temps les caractéristiques des phénomènes qu’il contient 117». Ce n’est donc pas la durée du temps qui raccourcirait, mais celle qui nous est nécessaire pour accomplir nos actions. Comme le soutient Etienne Klein, la notion de vitesse n’est, en effet, pas applicable au temps. L’auteur met en garde l’Homme sur la compréhension des notions de vitesse et de temps : « sous prétexte que nous faisons tout plus vite, que tout s’accélère autour de nous, nous déclarons à l’envie que c’est le temps lui-même qui s’accélère

». Notre

118

abus de langage témoigne de notre condition actuelle, identifier le temps aux phénomènes de changement, c’est prôner l’innovation constante.

La définition de la vitesse, en physique, pourrait être comprise par le

‘‘rapport d’un espace parcouru en fonction du temps nécessaire pour la parcourir’’. Cette notion met en avant deux enjeux, d’une part l’espace en tant que tel et deuxièmement la diminution du temps nécessaire pour le parcourir. De ce fait, le progrès technologique permettant l’accélération des moyens de déplacement et de communication engendrerait un phénomène de compression de l’espace. On rejoindra Antoine Picon, selon lequel l’importance donnée, dans notre époque contemporaine, à la notion de temps l’emporte sur celle de l’espace. À ce sujet, ceux de Jérémy Rifkin nous semblent venir d’un abus de langage lorsqu’il annonce que l’infrastructure émergente anéantit le temps, celui-ci n’évolue pas, et ce qu’importe la période. Il semble cependant nous rejoindre sur la notion d’espace. Il nous faut comprendre ce phénomène d’espace-temps pour pouvoir appréhender le projet architectural et urbain avec une meilleure compréhension du territoire. Si le temps l’emporte sur l’espace, la distance devient un enjeu crucial. 117 118

Anne-Rose, Bouyer, AKairos et architecture : regard(s) vers la slow architecture, op. cit. p.15 Etienne, Klein, De la vitesse comme doublure du temps, in. Etudes, Tome 400, 2004/3,

p.344.

77


Fig. 23 : Masterplan d’Euralille, un projet d’espace de transfert ? A regarder ce dessin de Rem Koolhaas pour le masterplan du projet Euralille, on remarque en premier lieu la congestion des chemins de fer, lignes de métro, autoroutes et voies automobiles. Seul le piéton semble être absent de ce dessin, une volonté de réfléchir à l’échelle territoriale ? L’horizon pointé comme objectif (le schéma peut être interprété comme une flêche directionnelle vers une skyline qui pourrait représenter Bruxelles et Londres, à en interpréter le point de vue). Numérisation de dessin, OMA in. Rem, Koolhaas, concept for Euralille, [en ligne] https://www.northernarchitecture.us/urbandesign-3/euralille-lille-france-a-new-city-heart-1987-to-the-present.html

78


Prenons l’exemple de la ville de Lille. En 1994, Pierre Mauroy, maire de la

ville, inaugure EuraLille, projet urbain mis en place par Rem Koolhaas. Le projet est imaginé comme une gestion des infrastructures de connexions : il permet de rassembler au centre de la ville l’ensemble des infrastructures de transports à destination de tout le nord de l’Europe (Fig. 23). À l’époque, Rem Koolhaas imagine que la baisse progressive des temps de transport « va réduire l’importance des distances et donner à Lille, d’un coup une position stratégique 119». De sorte que depuis Londres, Paris ou Bruxelles, on se rendra plus rapidement à un concert sur Lille que le temps nécessaire pour se rendre dans un autre arrondissement de sa ville. Le lointain deviendrait désormais le proche. Deux décennies plus tard, Lille devient la capitale mondiale du design.

Comme le souligne Antoine Picon, les contraintes spatiales, s’appréhendent

désormais « en termes d’accessibilité plus que de distance

». Si la notion

120

d’accessibilité se substitue à celle des distances, qu’en est-il de la délimitation du territoire ? En effet, les infrastructures des réseaux de transports émergentes ont permis à certaines zones industrielles d’être perçues plus au centre de la ville que des quartiers anciens mal servis. Marseille en est un bon exemple. Un quartier tel que La Belle de mai, bordant le centre-ville, mais très mal desservit par les transports est perçu par les habitants comme plus éloigné que le quartier de la Gare St-Charles qui le borde. Ce phénomène est également observable pour l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle et la capitale. À ce sujet, Paul Virilio met en avant une des conditions urbaines de la ville contemporaine « la gare, l’aéroport, deviennent des sortes de carrefour, de plateformes logistiques, qui fonctionnent comme des centres-villes 121». L’espace se substituerait-il à celui du transfert ? 119

Rem, Koolhaas, Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, Ed. Manuels Payot, Paris, 2017. 120 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 22. 121 Paul, Virilio, L’ère de la vitesse et des grandes migrations, in. Etudes, Tome 410, 2009/2. p.p. 199-207.

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La période InstaWorld : espace-temps, technologie, individu

Là où les voies romaines nous permettaient de parcourir une centaine de kilomètres par jour, puis le double au XVIIIème, l’arrivée de l’industrialisation permet dès 1900 de dépasser le millier de kilomètres en une seule journée de transport. L’accélération des réseaux, serait-elle synonyme d’une contraction de l’espace ? Les nouveaux réseaux de l’information semblent également « annoncer la disparition des contraintes spatiales au profit des seuls temps de transfert et de traitement des données

».

122

Ces technologies de l’information et de communication jouent également un rôle déterminant dans la perception et l’aménagement de l’espace contemporain, comme nous le verrons plus tard.

À l’heure où le TGV le plus rapide du monde est en période d’essai123, qu’un

train-fusée a atteint plus de 10.000 km/h sur une base militaire américaine124 et qu’il semble s’opérer « un changement de nature de la sédentarité et du nomadisme125», on se pose la question de l’espace Habité enclin à l’accélération des modes de déplacements. À l’aube de la technologie 5G, qui permettra à l’échange de l’information de s’opérer jusqu’à 100 fois plus rapidement que la précédente et 1000 fois plus rapidement que les réseaux de la décennie passée, on peut supposer, au même titre qu’Etienne Klein126, que notre période voit l’avènement de l’instantanéité, du moins, dans le champ de la perception de l’Homme. On se questionne alors : comment l’architecture, qui par définition est temporelle puisqu’inscrite dans une période donnée, peut-elle s’inscrire dans un monde de l’instantané ? 122 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 22. 123 « L’Alfa-X, est un TGV japonais «nouvelle génération» qui a atteint les 603 km/h

devenant ainsi le train le plus rapide du monde. Il sera mis en service dès 2030 sur le réseau nippon. » in. [En ligne] https://www.20minutes.fr/monde/2517803-20190514-japon-premierstests-alfa-x-train-plus-rapide-monde-passagers. [Publié et consulté le 14 mai 2019]. 124 Un projet de la NASA a donné naissance à un train fusée qui a atteint la vitesse record de 10 430 km/h sur la base Holloman de l’US Air Force au Nouveau-Mexique. 125 Paul, Virilio, L’ère de la vitesse et des grandes migrations, op. cit. , p.p. 199-207. 126 « La vie moderne n’ontologise que l’instantané », in. , Etienne, Klein, De la vitesse comme doublure du temps, op. cit. Pages 344,

80


II Chapitre 6 Habiter le monde contemporain, de partout à nulle part

Vers une accélération du temps ?

Dans sa conférence tenue à l’USI, Humain et révolution numérique, Michel

Serres décrit ce phénomène en prenant l’exemple du secteur de l’agriculture

.

127

Au-delà d’une mutation des secteurs du travail, l’académicien pointe du doigt le rapport de l’individu au monde. En habitant aujourd’hui principalement en ville, l’Homme n’a plus de rapport avec la ruralité, il n’est plus paysan, une première depuis le néolithique. En effet, et comme le souligne Françoise Choay, «l’Europe est aujourd’hui triomphalement urbaine128». Le siècle passé serait celui de la désertification du monde rural. À l’heure où plus de trois quarts de la population française habite en ville129, où plus de deux personnes sur trois habiteront dans des secteurs urbains d’ici 2050130, il nous parait important de questionner cette notion au sein de notre recherche comme vecteur de conditions de l’espace contemporain. Ce chapitre tente de mettre en discussion la conquête du temps précédemment mise en exergue et l’occupation de l’espace à l’heure de l’InstaWorld. Ainsi émergent les questions contemporaines de statut, de limites, d’ancrage et d’identité du territoire. 127

« Aujourd’hui, il n’y a pas un seul d’entre vous qui ait l’expérience directe de l’agriculture. Cette désertification progressive du monde rural à changé notre rapport au monde.», in. , Michel, Serres, Humain et révolution numérique, Conférence, USI, Date inconnue, Vidéoconférence mise à jour le 06 septembre 2013, in. Youtube, [En ligne], https://www.youtube.com/watch?v=i7Rj2x2vGzY, [consulté le 05 janvier 2019], 6:25 min. 128 Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.165. 129 Centre d’observation de la société, La part de la population vivant en ville plafonne depuis dix ans . Mise à jour le 5 mars 2019, in. Observationsociete, [En ligne], http://www.observationsociete.fr/population/donneesgeneralespopulation/la-part-de-la-population-vivant-en-villeplafonne.html, [consulté le 28 avril 2019]. 130 Liu, Zhenmin (sous la direction de.), 2,5 milliards de personnes de plus habiteront dans les villes d’ici 2050. Mise à jour le 16 mai 2018, in. Nation Unies, [En ligne],https://www.un.org/ development/desa/fr/news/population/2018-world-urbanization-prospects.html, [consulté le 28 avril 2019].

81


Fig. 24 : Le paysage incertain de l’urbain. «L’espace géographique s’étend horizontalement et le niveau de spécialisation verticalement dans le dessin. Les barres représentent ensuite les domaines qui se chevauchent sur le continent, les niveaux les plus élevés étant les plus étendus. Les individus participent au premier, puis à un autre royaume, car ils jouent d’abord un rôle, puis un autre. Les modèles spatiaux des royaumes sont donc indistincts et instables.» Trad. personnelle, « Geographic space [...] unstable », p.119 Numérisation, Melvin M. Webber, Diagram in. Melvin M., Webber, The Urban Place and the Nonplace Urban Real, in. Melvin M. Webber (sous la direction de.) Ed. University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 1964, p.119.

82


L’urbain, condition de l’espace contemporain

Jusqu’à peu, l’Homme pratiquait un espace métrique euclidien, c’est-à-dire, mesurable. En positionnant son édifice, il dotait à son habitat d’une définition donnée de l’espace construit, un code déterminant une position géographique, son adresse. Avec l’évolution des technologies, et notamment l’arrivée des prothèses portables (smartphone, ordinateur portable, objets connectés comme les montres), les messages ont dépassé les contraintes géographique, ils sont émis et reçus à tout moment, en tout lieu et à toutes personnes. Par cette analyse, Mathis Stock définit l’espace contemporain comme poly-topique131. L’Homme n’y serait plus référé. Sans adresse, sans espace, l’individu contemporain est décrit par les auteurs comme un oiseau migrateur qui vogue entre banlieue et capitale, entre ville et nation, entre espace construit et réseau immatériel. L’individu est donc partout et nulle part en même temps, il n’a plus d’ancrage, où habite-il ?

Antoine Picon s’empare cette question dans son ouvrage La ville teritoire

des cyborgs, qu’il compare à l’espace physique contemporain comme échappant « aux règles du cadrage, c’est-à-dire qu’il ne présente pas de bord, de limite par rapport à laquelle se situer

». D’autres auteurs, tels Koolhaas, Choay, Pacquot

132

et principalement Webber, ont également théorisé l’urbain comme système de référence, support de la période de l’InstaWorld. C’est du moins ce que Melvin Webber annonce dans son article, The urban place and the nonplace urban realm, reconnaissant que le progrès technique en matière de transports et de communication changerait fondamentalement la définition de la ville (Fig. 24). La ville, à l’image de l’espace poly-topique de Mathis Stock, serait devenue un mécanisme de communication géant qui s’étendrait au monde entier, pouvant faire disparaître même la notion de lieu. 131 Dans son article, Mathis Stock définit l'espace habité comme essentiellement informé par la mobilité spatiale de biens matériels, d’informations ou de personnes. Mathis, Stock, L’hypothèse de l’habiter poly-topique : pratiquer les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles, Mise à jour le 26 février 2006, in. Espacestemps, [En ligne], https://www.espacestemps.net/ articles/hypothese-habiter-polytopique/, [consulté le 2 mai 2019]. 132 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 65.

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Fig. 25 : L’urbain parisien, nappe transfrontalière. Comme nous pouvons le remarquer sur cette carte de l’INSEE mentionnée par Florian Boizet dans son étude, la notion de l’urbain dépasse largement les frontières administratives de la capitale française. Avec la périphérisation qui s’accentue et l’exponentielle naissance des agglomérations urbaines en territoire rural, le coloriage cartographique nous mènera peut-être à saturation.

Numérisation, INSEE / DATAR in. Florian, Boizet, Les limites temporelles de l’urbain : vers un urbain sans limite - L’exemple de l’agglomération parisienne, op. cit. , p.24

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Induit au fur et à mesure des révolutions industrielles, le progrès

technologique pourrait expliquer certaines mutations de la ville. Le développement de l’accessibilité du territoire, le télétravail, les infrastructures de réseau et la volonté de fuir les milieux denses ont produit une expansion urbaine sans précédent. En effet, les villes semblent attirer de plus en plus d’individus qui, par soucis de place dans le centre, s’installent toujours plus loin en périphérie. L’espace de la ville s’étire alors, se transformant en vaste territoire construit, un étalement de l’Habité. Comme le souligne Thierry Paquot, « on n’hésite plus à se loger à une heure en train de la capitale, bénéficiant ainsi d’un emploi bien rétribué, de la possibilité de faire ses courses à Paris et de profiter de ses spectacles, tout en résidant dans une ville de taille moyenne, à la vie moins agitée et où les enfants se rendent à l’école en bicyclette

». On assiste à une multiplication et une accumulation des aires

133

métropolitaines, l’avènement de l’urbain propre à Webber.

Selon l’INSEE, l’urbain représente avant tout une zone de bâti continu «sans

coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions

». Dans son corpus de

134

recherche, Florian Boizet démontre que ce processus peut nous conduire à plus de 70 kilomètres des limites administratives de l’agglomération parisienne, soit à plus d’une centaine de kilomètres du centre de la capitale (Fig. 25). Selon lui, « l’espace, son organisation et ses maillages, interfère sur la place et le rôle des villes et des nœuds de communication sur l’ensemble d’un territoire 135». Le développement des réseaux techniques signe l’avènement d’une urbanisation diffuse. Le développement des réseaux, développe-t-il les signes d’une urbain-isation de l’espace contemporain ?

133

Thierry, Paquot, La ville aux prises avec l’urbain, in. Revue Projet, n° 277, 2003/5. 134 Unité urbaine / Agglomération / Agglomération multicommunale / Agglomération urbaine, (s.d.). Dans le dictionnaire en ligne INSEE, [En ligne], https://www.insee.fr/fr/metadonnees/ definition/c1501. 135 Florian, Boizet, Les limites temporelles de l’urbain : vers un urbain sans limite L’exemple de l’agglomération parisienne. in.Travaux de l’Institut Géographique de Reims, vol. 29-30, n°113-114, 2003, p. 20.

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Fig. 26 : Ittinéraire de réseau pré-XVIIIème, ligne directive. Comme le souligne Antoine Picon dans sa conférence, pendant très longtemps on n’a pas perçu les infrastructures en terme de réseau (au sens étymologique du terme, le filet), le système des routes nationales présentées sur le document de gauche est pensé comme des itinéraires connectant Paris aux différentes villes du territoire, sur la droite il s’agit d’un itinéraire médiévale de Londres à Jérusalem en passant par Paris (symbolisé par un château au milieu d’une rivière). Documents de vidéoconférence, Antoine, Picon, Source inconnue in.Antoine, Picon, La ville de l’ère industrielle : monuments et réseaux, Conférence, Cité de l’architecture et du patrimoine, 10 mai 2007, Vidéoconférence mise en ligne le 02 mars 2018, in. Youtube, [En ligne], https://www.youtube.com/watch?v=e9JDX5SdMnw&t=828s, [consulté le 05 mai 2019].

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L’espace en réseau

Avant toute chose, rappelons que le mot réseau, du latin rétis, soit, le

filet, donne naissance à l’angliciste net, qu’on retrouve dans la formation lexicale de l’Internet. Dans son ouvrage, La société en réseau, Manuel Castells analyse l’avènement de la société de l’information et soulève les ruptures historiques induites par le progrès technologique auquel nous avons fait échos lors des précédents chapitres. Il met ainsi en avant le portrait d’une nouvelle forme urbaine qu’il nomme la ville informationnelle dont l’espace serait désormais celui du réseau136. Si depuis près de deux siècles, la ville se définit « au travers des réseaux qui l’irriguent et assurent sa bonne marche : eau, assainissement, électricité, transports, télécommunications, pour n’évoquer que quelques-uns d’entre eux 137», le filet contemporain des réseaux de transports et de communications questionne quant à sa relation avec la ville territoire qu’Antoine Picon annonce dans La ville territoire des cyborgs.

Historiquement, la route de la soie reliant la Chine à l’Europe constitue

«l’une des premières formes matérielles du réseau

». Reliant Changan, berceau

138

de la dynastie Han, à l’Europe, elle proposait une série d’options reliant des oasis de la région désertique. En France, les premières routes étaient également pensées comme des itinéraires, en témoigne certaines cartes de l’époque représentant une succession d’oasis là aussi entre un point A et un point B (Fig. 26). Le réseau est d’abord l’image d’une ligne, d’une direction. Dans sa conférence intitulée La ville de l’ère industrielle, monuments et réseaux, Antoine Picon met en avant la pensée d’un réseau novateur, à l’arrivée du Baron Haussmann en 1850. Sous prétexte d’assainir l’eau de la capitale française, Haussmann va faire de Paris un réseau, un filet, une maille technique tendue sur la ville, s’adaptant aux nouveaux besoins de la société, questionnant l’hétérogénéité de la ville et du territoire. 136

Dominique, Debois, A propos de Catells (Manuel). - La société en réseaux. L’ère de l’information. Tome 1, in. Revenue française de sociologie n°40-4, 1999, p.774. 137 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 9. 138 Nicholas, Mirzoeff, An introduction to visual culture, Ed. Second, Routledge, 1999.

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Le Paris d’Hausmann met en avant une possible théorisation de la ville-

réseau, celle de donner la capacité à une maille technique de tenir les monuments et lieux singuliers dans un ensemble global, fabriquer quelque chose d’organique, cohérant, mais qui en préserve les différences. En ce sens, « le réseau manifeste l’appartenance de la ville à un monde de circulations qui vont s’accélérant, tandis que le monument renvoie à des valeurs identitaires et patrimoniales 139». On peut également retrouver cette idée à Manhattan avec les notions de grille et gratteciel théorisées par Rem Koolhaas dans son livre Delirious New York140, ou faire le parallèle avec la théorise de McLuhan sur le village global auquel nous avons déjà fait écho. La ville informationnelle rejoint également cette dualité de l’espace contemporain. Il y aurait à lire un double mouvement d’organisation spatiale suite à l’émergence de la société de l’information, « l’espace des flux constitué par des réseaux connectant des lieux en une unité transterritoriale, et l’espace des lieux, enracinant le sens dans l’expérience vécue d’un territoire 141». L’urbain pourrait constituer aujourd’hui un réseau planétaire, reliant entre elles les anciennes notions de villes dans un territoire ponctué d’oasis, formé de lieux et de monuments. De ce point de vue, l’Internet pourrait en constituer son image. L’ordinateur, comme support, pourrait s’apparenter à la machine de l’urbain, le navigateur représenterait l’espace des flux constitué par le réseau et le site web en formerait le monument et le lieu. Par cette image, nous pourrions mettre en avant la condition de l’espace contemporain comme celui de l’information soumis à la dictature du mouvement. En cela, seul persisterait l’espace du lieu comme réelle place de l’individu contemporain, l’urbain ne constituerait selon les auteurs, que l’espace du croisement, du déplacement, du partout et du nulle part. 139 140

Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 18. Voir, Rem, Koolhaas, Delirious New York [1978], Ed. Oxford University Press, Trad. fr. par Catherine Collet, sous le titre New-York délire: Un Manifeste rétroactif pour Manhattan, Ed. Parenthèses, 2002. 141 Manuel, Castells, L’ère des réseaux, entretien avec Serge Lellouche, Mise à jour Juin 2000, in. Sciences humaines, [En ligne], https://www.scienceshumaines.com/l-ere-des-reseauxentretien-avec-manuel-castells_fr_12093.html, [consulté le 17 mai 2019].

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Défis de l’espace contemporain

Le progrès technique et technologique des infrastructures de communications

et de transports semble apparaître comme une des sources des mutations de l’espace contemporain, autant dans son occupation que dans la notion même de rapport de perception. Comme les auteurs le soutiennent, en nous impliquant dans un système de mise en relation à très grande échelle, on se libère des contraintes spatiales. Cependant, si l’espace se contracte, s’étend, voir s’anéantit, les implantations spatiales « ne coïncident plus et ne présentent plus de stabilité dans la durée 142». En effet, si l’espace se résume à des questions de fluidité et de mobilité, il est difficile d’imaginer que la ville puisse donner naissance à des lieux, au sens premier du terme. Comme le souligne Rem Koolhaas, « comment une entité pourrait-elle être un lieu, si elle n’a ni début, ni fin ? 143». Si l’architecture et les équipements de nos territoires semblent vouloir prendre part à la société de l’urbain, la tendance irait « à nier le lieu, afin, croit-on, de se trouver partout chez soi ou du moins dans les mêmes représentations 144». En cela, l’individu contemporain habiterait partout et nulle part, dépourvu de tout ancrage géographique et de lieux réellement spatiaux.

Plus nomade, plus adaptable, plus flexible145, l’Homme parcourt « l’espace

illimité de la ville territoire146», sans réellement être capable de savoir se situer. L’anthropologue Marc Augé s’est emparé de ces questionnements pour définir ce qu’il a nommé la condition surmoderne de notre société selon les trois facteurs de temps, d’espace et d’individu. À la suite de cette exploration, il pose cette question : « Comment, dans ces conditions, imaginer la ville de demain ? 147» 142 143 144 145

Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.191. Rem, Koolhaas, Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, op. cit. ,p.138. Thierry, Paquot, La ville aux prises avec l’urbain, op. cit. , p. 57. L’utilisation même de ces termes pour décrire l’Homme, fait références au monde technologique, voir aux notions développées dans l’architecture moderne en réponse au progrès technique, nous y reviendrons plus tard dans ce mémoire de recherche. 146 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 22. 147 Marc, Augé, Pour une anthropologie de la mobilité, Ed. Payot & Rivages, Paris, 2009, p.73

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PARTIE III

Appropriations et questionnements pour l’architecture de l’InstaWorld

- Transition Notre tentative de dresser un portrait de la scène actuelle

aboutit inévitablement à constat temporaire, un recul est nécessaire. La précédente partie a pu mettre en évidence des éléments propres au territoire de l’InstaWorld. Qu’il s’agisse d’occupation du monde, de rapport à l’espace-temps, mais encore de l’Habité contemporain, les ruptures sont majeurs. Cette troisième partie va mettre en discussion l’actuelle

production

architecturale, et plus exactement celle de la transgression de la globalisation ; le dernier chapitre, se veut critique, et interroge le sens de cette architecture globalisée. Nous

interrogerons

un

échantillon

de

l’architecture

contemporaine

au regard des enjeux et défis que nous avons pu mettre en avant au cours de cette recherche. Finalement, nous questionnerons le discours de certains auteurs, qui propose un regard critique pour une ré-édification de l’architecture.

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III Chapitre 7 Transgression, l’architecture globalisée

De re aedificatoria, quel devenir architectural ?

Les mutations des notions de temps et d’espace chez l’individu

contemporain nous ont menés à mettre en avant les enjeux d’identité et d’ancrage. Comme nous l’avons décrit dans les précédents chapitres, la ville d’aujourd’hui s’apparente à un espace indéfini dilué sur le territoire, érigé par le réseau de flux de communication et d’information instantané auquel l’architecture semble se soumettre. Par ailleurs, il nous faut rappeler que l’étude de la réception des technologies de l’après-guerre nous avait déjà fait émerger certaines questions quant au devenir de l’architecture. Compte-tenu de l’avènement de l’InstaWorld, dont nous essayons de faire le portrait, il nous faut maintenant questionner les réactions architecturales contemporaines face à l’émergence de ces phénomènes.

Selon Hans Ibelings, le phénomène de globalisation, déjà présent

en économie, est actuellement en train de se projeter au sein du domaine de l’architecture. Tandis que la mobilité croît, que l’instantané se substitue au temps, l’auteur caractérise l’espace contemporain comme « une zone que l’on traverse, un intervalle dans un mouvement continu, interrompu tout au plus par une brève étape 148». En cela résiderait, selon lui, le paradoxe de notre condition contemporaine, « le monde connu a beau être plus étendu que jamais, il semble pourtant de moins en moins signifiant

149

». Les phénomènes émergents sur la

scène planétaire marqueraient-ils une nouvelle rupture de l’architecture? Ce chapitre met en avant les conditions de la pratique architecturale au croisement des phénomènes de globalisation issue du progrès technologique. 148

Hans, Ibelings, Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation, Ed. Hazan, Paris, 2003, p.65. 149 Ibidem, p.70.

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Globalisation : (re)mise en question de l’architecture

Avant de poursuivre, il nous semble important de rappeler le sens de

l’utilisation du terme globalisation dans ce chapitre. La distinction avec le terme mondialisation est par ailleurs exposée dans notre boite-à-outils. Pour Henri Bartoli, professeur d’économie à l’université de Paris, il s’agit d’un phénomène «qui tend à devenir un ensemble régit par des règles tel que le tout organisé constitue un système 150», induit par « la compression de l’espace et du temps151», dont nous avons fait auparavant la description. En ce sens, la progressive mise en place de la période InstaWorld tend à mettre en avant un processus de mutation des règles de ce système, que semble incarner une part de l’architecture émergente.

Selon plusieurs auteurs, l’architecture se serait emparée du phénomène de

globalisation, produisant des objets dont le statut est instrumental, qui n’auraient «plus rien à voir avec la pratique anthropogénétique telle que la définissait Alberti152». Au regard du De re ædificatoria153, où l’acte d’édifier est défini comme « ce qui autorise l’architecte à donner une forme matérielle à la durée154», on s’interroge sur la capacité d’édification dans un monde où l’instantanéité des échanges fait loi. Comme le souligne Antoine Picon, « de tels jeux sur les limites semblent n’avoir d’autre fonction que de briser la clôture de l’œuvre architecturale 155». 150 151

Henri, Bartoli, cit. in. Brigitte, Rollet, Avant-propos, in. Diogène n° 245, 2014/1. Anna, Dimitrova, Le « jeu » entre le local et le global : dualité et dialectique de la globalisation, in. Socio-anthropologie n° 16, 2005. 152 Françoise, Choay, Les ressorts de l’urbanisme européen : d’Alberti et Thomas More à Giovannoni et Magnaghi, in. Esprit No. 318 (10), propos recueillis par Olivier Mongin et Thierry Paquot, Octobre 2005, p.88. 153 Traduit en français sous le nom de l’art d’édifier, l’ouvrage de Leon Battista Alberti interroge l’architecture comme une science humaine globale, et notament la notion d’édifier. Voir, Leon Baptista, Alberti, De re aedificatoria, Trad. fr. par Françoise Choay et Pierre Caye; sous le titre L’art d’édifier, Ed. Le Seuil, Paris, 2004. 154 Olivier, Remaud, Le métier d’architecte et l’art d’édifier, lire Alberti aujourd’hui, in. Esprit No. 318 (10), Octobre 2005, p.58. 155 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 96.

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Pour Picon, l’architecture émergente tient « désormais autant à la

démarche, à la façon de poser la question de l’architecture dans le cadre de la ville territoire, qu’à la manière d’y répondre156», mais quelle question ? Au regard de la production théorique de Rem Koolhaas qui semble avoir fait de la globalisation son terrain de jeu. On peut observer une tendance à aller dans le sens de ces phénomènes, la starification de certains architectes en témoigne. Cette tendance naissante est introduite par Ibelings dans son livre, Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation. Faisant le constat, que le progrès technologique a récemment modifié notre perception du temps et de l’espace, et a engendré un phénomène de globalisation, il s’intéresse à nommer le mouvement architectural qui l’accompagne et s’approprie le phénomène. L’auteur donne à lire l’avènement d’une nouvelle tendance sur la scène architecturale, qu’il nomme le supermodernisme, en réaction aux idéologies du postmodernisme.

Confronté à une impossibilité de faire face à un contexte de globalisation,

Hans Ibelings voit en l’architecture émergente, « l’expression d’une attitude inédite considérée désormais comme objet neutre, aux moyens formels limités157», les architectes de la tendance se seraient réfugiés derrière une « impartialité de la boîte 158». D’après l’auteur, cette architecture abandonnerait toute attitude avantgardiste pour s’inscrire dans le processus de mutation, dans une volonté de rupture avec les fondements de la discipline. Pour Antoine Picon, « il semble du même coup que les objets architecturaux ne puissent signifier quelque chose dans les villes territoires d’aujourd’hui qu’en mettant en scène les conditions de leur propre dépassement

», le contexte de l’InstaWorld aurait-il dépassé l’architecture au

159

point de l’inscrire comme élément du réseau mondial ? 156 157 158

Ibidem, p. 94. Hans, Ibelings, Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation, op. cit. , p.69 Elise, Bandin, Discussions autour de l’architecture Superpost, Mémoire de recherche de master, sous la direction de Jean-Didier Bergilez, La Cambre, I.S.A.C.F., 2008, p.6. 159 Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 96.

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Fig. 27 : Globalisation, identité vs paysage contemporain. Lors de l’exposition de la Biennale d’architecture de Venise en 2014, l’équipe de OMA sous la direction de Rem Koolhaas, met en scène un catalogue des éléments architecturaux, il invite le visiteur à porter un regard critique sur la diversité architecturale face aux phénomènes de globalisation, c’est du moins ce que laissent entendre ces deux photomontages.

Photomontage, OMA, Biennale d’architecture de Venise 2014, Fondamentaux [en ligne] https://www.floornature.eu/14e-exposition-internationale-d-architecturefundamentals-9383/

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Une réaction à la globalisation : fuck the context !

Comme le souligne Marc Augé dans un récent article, le contexte de la

globalisation porte ses conséquences sur les domaines de l’esthétisme, de l’art et de l’architecture. En inscrivant les villes dans un réseau mondial, elles entrent dans un système de compétition, où la réalisation d’un édifice sert de « valeur de témoignage : il prouvera sa présence au monde, c’est-à-dire son existence dans le réseau, dans le système

». L’auteur semble laisser entendre que c’est

160

le système mondial qui prônerait aujourd’hui sur la singularité architecturale et l’affranchissement de l’ancrage, de l’identité et du local. Alors qu’au départ, « le registre formel traduisait un rejet du monde des signes capitalistes, l’architecture supermoderne s’inscrit aujourd’hui dans la logique dénoncée 161 ». Nombreux en sont les exemples : Tschumi pour la Villette, Piano pour Beaubourg et Nouméa, Gehry pour Bilbao, Peï pour le Louvre, ...162.

Dans ce cadre, la production de l’hollandais Rem Koolhaas nous a semblé

pertinente à interroger. A la lecture de ses écrits, tels Junkspace, Bigness ou encore Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois la ville), on remarque que l’auteur met en avant une réflexion au sujet de la globalisation dans le domaine architectural, son travail mené pour la Biennale d’architecture de Venise de 2014 en témoigne. Sous le titre «Fondamentaux », l’exposition a enquêté sur la perte de l’identité et l’expansion de la mondialisation (Fig. 27). Comme Choay le souligne, la globalisation au coeur des écrits de Koolhaas « est décrite avec justesse, mais fallacieusement posée comme incontournable 163», c’est cette position de l’architecte qui nous a semblée intéressante à mettre en avant, cependant, elle n’est pas universelle. 160

Marc, Augé, Retour sur les «non-lieux», les transformations du paysage urbain, in. Communications n° 87, 2010/2, pp. 171 - 178. 161 Elise, Bandin, Discussions autour de l’architecture Superpost, op. cit. , p.6 162 A ce propos, nous nous interrogeons sur la pertinence de réaliser une encyclopédie répertoriant l’ensemble de ces types architecturaux. 163 Françoise, Choay, Le patrimoine en question, in. Esprit No. 318 (11), 2009, p.195.

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Fig. 28 : Bigness, Fuck the context ! Présenté comme un gros-objet indépendant de son contexte, le Centre des congrès de Lille est bâti en 1994. On remarque l’absence des infrastructures et du paysage lillois sur la maquette du projet, ainsi que sur les dessins de conception, le noir pouvant être interprété comme une négation totale.

Photographie de maquette et dessins de conception, OMA, Archives OMA [en ligne] https://oma.eu/projects/congrexpo

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Les villes contemporaines sont-elles, toutes les mêmes ?

En débutant son récit par « Les villes contemporaines sont-elles, comme

les aéroports contemporains - « toutes les mêmes » ?

164

», Koolhaas pose le

fondement d’interrogation de la condition contemporaine, à savoir l’identité. Selon l’auteur, La Ville Générique deviendrait « la ville libérée de l’emprise du centre, du carcan de l’identité [...] elle n’est rien d’autre qu’un reflet des besoins actuels et des moyens actuels. Elle est la ville sans histoire 165». L’architecte fait ainsi, tout au long de son récit, le portrait de cette ville globalisée, en abordant des notions fortes comme celle de géographie, de politique, de culture, sans pour autant énnoncer l’ambition achitecturale en action ou réaction à cette examination du monde contemporain. On trouvera l’une des postures de l’architecture globale dans un deuxième texte du néerlandais, avec la naissance du « fuck the context !».

Sous l’effet de la conquête de la vitesse, la ville contemporaine deviendrait

un complexe archipel où l’architecture, livrée à elle-même, ne ferait plus partie d’aucun tissu urbain. Au regard du Centre des congrès de Lille, que l’architecte à bâti en 1994 (année de parution du texte officiel de Bigness, or the Problem of Large), l’architecture est imaginée comme un gros objet indépendant, reniant son contexte, son ancrage et l’identité locale (Fig. 28). Pour l’architecte, « la Bigness peut exister n’importe où sur le plan 166». Paradoxalement, cette architecture globalisée, met en avant une rupture de l’architecture, rejoignant les propos de Hans Ibelings lorsqu’il décrit la supermodernité comme « ce qui relève, de manière floue, des transformations contemporaines de l’environnement bâti qui, dans bien des cas, ont un effet d’érosion sur la notion de lieu 167». Sans lieu, peut-on parler d’architecture ? 164

Rem, Koolhaas, Junkspace [2006], Ed. Quodlibet, Trad. fr. par Jean Attali, sous le titre Junkspace. Repenser radicalement l’espace urbain, Ed. Manuel Payot, 2011, p.45. 165 Ibidem, p.49. 166 Ibidem, p.33. 167 Hans, Ibelings, Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation, op. cit. , p.10

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L’introduction de la pensée de l’architecte hollandais nous a permis de

nourrir notre interrogation liée au phénomène de globalisation, en aucun cas elle se veut être universelle. Si Rem Koolhaas semble se situer aux frontières de la condition de l’architecture, Antoine Picon nous rappelle que « dans des perspectives différentes, Renzo Piano et Jean Nouvel indiquent peut-être une autre façon de continuer de faire des objets architecturaux au sein d’un contexte

».

168

Le travail de Koolhaas est décrit comme « controversé, mais majeur 169», il divise et provoque, au regard de la faible contribution théorique actuelle de la part des architectes, il tente de faire émerger des questionnements qui nous animent.

En ce sens, bien que l’écrit Supermodernisme d’Ibellings n’offre pas

un champ théorique à étudier proprement et qu’il s’essaye plutôt à une écriture descriptive et journalistique, il nous offre à entrelire une attitude architecturale contemporaine où « le projet d’installation humaine n’est plus contraint de s’insérer, s’intégrer et se loger dans un contexte local, naturel ou culturel.

170

». Au regard

des questionnements portés sur le rôle de l’architecture à la première réception des technologies de l’information et de la communication, et des théorisations liées à la mise en réseau planétaire, l’architecture d’aujourd’hui semble être à ré-interroger. Comme Choay le souligne, il est devenu nécessaire d’évaluer les conditions architecturales maintenant que le monde « est libéré des contraintes spatio-temporelles, contraintes que le De re aedificatoria définit si précisément comme conditionnant l’exercice de notre pouvoir d’édifier 171».

168 169

Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 94. Arnaud, Curie, Fuck the context - dans la tête de Rem Koolhaas. Mise à jour le 16 novembre 2016. in. Cycle urbanisme 2016-2017: Nos chroniques, [En ligne], https://cremaschiblog. wordpress.com/2016/11/16/fuck-the-context-dans-la-tete-de-rem-koolhaas-arnaud-curie/, [consulté le 18 mai 2019]. 170 Françoise, Choay, L’utopie et le statut anthropologique de l’espace édifié, in. Esprit No. 318 (10), Octobre 2005.p.103 171 Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.397.

100


III Chapitre 8 Critique et enjeux pour l’édification d’une architecture

Fonder, acte 1.

L’interaction des individus peut désormais être partout et nulle part. La

ville elle-même peut être partout et nulle part. L’espace se mute pour ne laisser place qu’aux flux de déplacements et de communications. Les groupes d’intérêts ne se fondent plus sur la proximité, mais sur les outils technologiques permettant de s’affranchir des distances et donc de l’espace. Plus que jamais, les questions du fondement spatial sont à interroger. Il nous faut dorénavant mettre en avant, au regard de la description du Supermodernisme, de la production théorique de Rem Koolhaas, et des avertissements de Marc Augé, cette notion et les critiques formulées par les auteurs envers le sens de la production architecturale émergente.

Ce chapitre explore principalement deux pensées qui semblent être

en contradiction avec le processus de globalisation. La première met en avant les propos de Marc Augé quant à sa définition des notions de lieux et de nonlieux, où l’auteur interroge le besoin d’identité de l’individu enclin à la condition contemporaine. La seconde fait le parallèle entre cette condition et la pensée de l’édifier propre à Alberti auquel la récente traduction semble faire sens au sein de notre recherche. À la question d’Antoine Picon, « la discipline architecturale peut-elle éviter l’écueil du cynisme consistant à répondre à une demande de signes réduits au statut de consommables sans jamais s’interroger sur son bien-fondé?172», nous tenterons de faire émerger les conditions propres de l’acte de fonder, dans le sens premier du terme, soit celui de prendre l’initiative « d’établir, de construire (une ville), d’édifier (une œuvre) 173». 172 173

Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit., p. 96 Fonder. (s.d.). Dans le dictionnaire en ligne L’internaute, [En ligne], https://www. linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/fonder/.

101


Réseau et lieu, la naissance des non-lieux

La notion de lieu constitue l’un des thèmes exploré par Marc Augé dans

son ouvrage Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, qu’il publie en 1992. Au cœur du discours de l’auteur, on retrouve les différentes notions qui animent notre recherche, le temps, l’espace, le sujet, face à ce qu’il nomme la surmodernité (que l’on suppose induire le terme de supermodernité exploré au chapitre précédent). Celle-ci se distingue de la modernité auquel « tout se mêle, tout se tient : les clochers et les tuyaux sont les ‘‘maîtres de la cité’’. La surmodernité, elle, fait de l’ancien (de l’histoire) un spectacle spécifique – comme de tous les exotismes et de tous les particularismes locaux.

». La pensée de

174

Augé porte un regard sur cette surmodernité qui « génère, en de plus en plus grand nombre d’espaces largement dépourvus, de telles mises en forme ou n’en laissant percevoir que de très sommaires 175».

Cette notion de lieu renvoie à celle de « culture localisée dans le temps et

dans l’espace

» chère à Mauss ou Lévi-Strauss. Le lieu est celui où l’individu

176

s’identifie, y établit des relations sociales et contribue à l’élaboration d’une histoire collective. Il écrit alors : « nous réservons le terme de lieu anthropologique à cette construction concrète et symbolique de l’espace qui ne saurait à elle seule rendre compte des vicissitudes et des contradictions de la vie sociale, mais à laquelle se réfère tous ceux à qui elle assigne une place, si modeste soit-elle. Le lieu anthropologique est principe de sens pour ceux qui l’habitent

177

». En cela,

l’espace chargé de sens du lieu entre en contradiction avec la définition de l’espace que nous avons mis en avant tout au long de cette recherche. 174

Marc, Augé, Perdus dans l’« espace », La fabrique du conformiste, in. Manière de voir n° 96, décembre 2007 - janvier 2008. 175 Jean-Pierre, Dozon, Jean-Paul, Colleyn, Lieux et non-lieux de Marc Augé , Mise à jour le 01 janvier 2010, in. Open Edition, [En ligne], http://journals.openedition.org/lhomme/24099, [consulté le 30 avril 2019], pp. 185-186. 176 Marc, Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, op. cit. , p.48. 177 Ibidem, p.68.

102


Aujourd’hui, « La tendance dominante débouche sur un espace de flux en

réseaux, hors de l’histoire, qui entend bien imposer sa logique à des lieux éparpillés et segmentés, de moins en moins raccordés les uns aux autres

». Aéroports et

178

autoroutes, grandes surfaces et hôtels, tel est le territoire de la globalisation où l’on circule dans l’anonymat. Face à ce constat, Augé introduit la notion de nonlieux, « si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique, définira un non-lieu179». Cette notion est également forgée chez Michel de Certeau, où le non-lieu constitue l’espace traversé auquel on ne donne plus de signification. Ces non-lieux peuvent, selon Hans Ibelings, « être vus comme l’expression caractéristique de l’ère de la globalisation180».

Comme Augé le rappelle dans son article, Retour sur les «non-

lieux», la multiplication de la présence de ces non-lieux « a des conséquences anthropologiques importantes, car l’identité individuelle et collective se construit toujours en relation et en négociation avec l’altérité

181

». Selon Bruno Ollivier,

l’identité n’est « ni un phénomène biologique, ni un phénomène naturel. Elle est construite

182

», en ce sens l’édification architecturale participe à l’ancrage de

l’individu et l’élaboration de son identité. Notre paysage contemporain propose un tout autre type d’expérience de cette notion de lieu. En cela, la pratique contemporaine marquerait-elle une rupture avec la notion d’édifier ?

178

Manuel, Castells, La société en réseaux - Tome 1 : l’Ere de l’information, Ed. Fayard, Paris, 2001, p. 529. 179 Marc, Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, op. cit. , p.100. 180 Hans, Ibelings, Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation, op. cit. , p.10 181 Marc, Augé, Retour sur les «non-lieux», les transformations du paysage urbain, in. Communications n° 87, 2010/2, pp. 171 - 178. 182 A ce sujet, se reporter à Bruno, Ollivier, les identités collectives à l’heure de la mondialisation, Ed. CNRS, Paris, 2009, p.8.

103


Condition de l’édification

Dans un contexte de globalisation, où l’espace des flux dominerait sur

celui du lieu, les manifestations spatiales pourraient engendrer « le déracinement de l’expérience vécue, de l’histoire et de la culture spécifique

» conduisant à

183

une généralisation de l’architecture hors de l’histoire, de la culture, de l’identité et de l’ancrage. Comme le souligne Joseph Mecarsel dans sa thèse, dans le monde globalisé « il n’y a plus de place pour les cultures ou les identités autochtones qui doivent obligatoirement se faire à l’idée de muer en citoyens du monde, renier leur identité propre au profit d’une globalité conquérante, se fondent dans l’image d’un monde universalisé, pour assurer leur présence dans leur propre ville qui n’est plus la leur puisqu’ils ne s’y identifient plus

». Ce qui signifie que « l’architecture

184

elle, en se globalisant, fusionne les repères de cultures des peuples et des nations ou du moins les unifie sur la base d’un modèle unique 185».

Or, comme le rappelle Choay, « l’édification architecturale tient en la

différenciation, l’élaboration des différences qui constituent l’identité et la richesse des cultures et des sociétés186», elle énonce à ce propos que la notion d’édifier d’Alberti, qu’elle « appelle à être lu aujourd’hui, dans le cadre de la mondialisation, comme un vibrant et pertinent avertissement

187

». Dans son texte, Choay pointe

l’urgence d’étudier l’impact exercé sur l’identité et l’ancrage de l’individu dans la société contemporaine. Notions mises à mal par le phénomène de globalisation et par la révolution technologique qui engendré un bouleversement sans précédent depuis notre sédentarisation, selon l’auteur.

183 184

Manuel, Castells, La société en réseaux - Tome 1 : l’Ere de l’information, op. cit. , p. 519. Joseph, Mecarsel, Architecture et présence : entre idée, image et communication, These, sous la direction de Pierre Litzler et de Michel Durampart, Toulon, Université de Toulon, 2014, p.27. 185 Ibidem, p.337. 186 Françoise, Choay, Les ressorts de l’urbanisme européen : d’Alberti et Thomas More à Giovannoni et Magnaghi, op. cit. , p.80. 187 Françoise, Choay, Pour une anthropologie de l’espace, op. cit. , p.375.

104


L’histoire nous le montre, c’est par volonté de sédentarisation que l’Homme

se regroupe et forme une communauté dans un espace géographique : une ville. Or, l’expansion de l’urbain et les mutations de notions d’espace et temps que nous avons mis en avant au cours des derniers chapitres interrogent le statut de l’individu contemporain. Parce qu’ils sont connectés « par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes ; par GPS, en tous lieux ; par la Toile, à tout le savoir 188», parce qu’ils ont la capacité à habiter en tout lieu, avec le portable, l’ordinateur, le TGV, l’avion, etc. Ils sont à la fois sédentaires et nomades en tout temps. A ce sujet, Alberti semble désigner le « besoin de s’extraire d’une condition d’errance 189» à laquelle l’architecture par son acte doit répondre. Tel qu’il la définit, l’architecture constitue pour Alberti la condition même de l’édification de la société.

La récente retraduction du De re aedificatoria en français par Pierre

Caye et Françoise Choay met en évidence la notion d’identité, de communauté, pourrait-on dire d’humanisme, dans l’acte d’édification chez Alberti. En témoigne les propos tenus par l’auteur lui-même, dès le prologue du livre, «certains ont prétendu que l’eau ou le feu furent à l’origine du développement des sociétés humaines. Pour ma part, considérant l’utilité et la nécessité du toit et du mur, je me persuaderai qu’ils ont joué un rôle bien plus important pour rapprocher les hommes les uns des autres et les maintenir unis

190

». Au regard des enjeux de

l’InstaWorld, la notion de l’édifier191 offre des possibilités de réflexions. 188 189

Michel, Serres, Petite Poucette, op. cit. , Acte II. Olivier, Remaud, Le métier d’architecte et l’art d’édifier, lire Alberti aujourd’hui, in. Esprit No. 318 (10), Octobre 2005, p.58. 190 « Fuere qui dicerent aquam aut ignem praebuisse principia, quibus effectum sit, ut hominum coetus celebrarentur. Nobis vero tectiparietisque utilitatem atque necessitatem spectantibus ad homnies conciliandos atque una continendos maiorem in modum valuisse nimirum persuadebitur. », Leon Baptista, Alberti, L’art d’édifier, Prologue, p.48. 191 A la lecture de différents auteurs, il faut préter attention aux propos que l’on emploie concernant la pensée d’Alberti, aussi, il semble s’opérer une distinction entre architecture et édification, ce à quoi, nous préférons dans le cadre de cette recherche, ne pas prendre de risque.

105


Vers une architecture de l’InstaWorld

Bien que la ville et l’architecture au cœur des écrits d’Alberti ne ressemblent

que vaguement au milieu construit dans lequel la majeure partie de notre société vit aujourd’hui, le bouleversement dont témoigne l’auteur au passage de la Renaissance semble comparable en certains points avec la rupture contemporaine. À l’heure où la globalisation fait de l’architecture un objet-technique connecté au réseau, la notion d’édifier, de lieux et de non-lieux semble assumer une rupture. En effet, si les valeurs d’ancrage, d’identité et culture sont écartées de l’acte architectural en proie au réseau planétaire, la notion de l’édification sera vouée à disparaître. En ce sens, des projets comme les tours forêts verticales de Stéfano Boeri constitueraient un prototype technique architectural du réseau, émergents quelque part dans l’espace, devenant en quelque sorte, un élément de plus au paysage technologique mondial, comme le souligne Picon, « c’est au sein de ce paysage qu’il s’agit désormais de s’orienter, sans carte, sans manuel et sans mode d’emploi 192».

Si Ibelings considère que « partout, l’architecture adopte une physionomie

révélatrice d’une certaine absence de sens193», Françoise Choay, en position critique sur la question, fait appel à sa reconquête : « Il s’agit, à mesure que la mondialisation poursuit la normalisation de notre espace aménagé, de renouer avec la dimension humaine, consubstantielle au politique. [...] En d’autres termes, il faut redécouvrir à présent une échelle du politique et une entité spatiale à quoi elles correspondent et qu’il nous reviendra de réinventer

194

». En cela, on peut

lire une volonté de reconquête de l’architecture critique envers le bouleversement contemporain des notions d’espace et de temps, retrouvant dans la définition de l’édifier, la naissance d’une architecture de l’InstaWorld ?

192 193 194

Antoine, Picon, La ville territoire des cyborgs, op. cit. , p. 65. Hans, Ibelings, Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation, op. cit. , p.67 Françoise, Choay, Les ressorts de l’urbanisme européen : d’Alberti et Thomas More à Giovannoni et Magnaghi, op. cit. , p.80.

106


Comme nous l’avons déjà exposé, si les cloches commencent à imposer

un rythme journalier puis l’horloge mécanique au XIVème siècle définit un étalonnage de la journée en vingt-quatre séquences égales. Cette horloge, passe du clocher à la tour du château, du fronton de l’hôtel de ville aux salons mondains, pour finalement gagner la poche du veston au XVIIème siècle. Dès lors le rapport physique qu’entretient l’Homme au temps s’intimise, se rapprochant toujours un peu plus à portée de la vue, incarnant ce que Charlie Chaplin195 et Jeremy Rifkin semblent dénoncer, une aliénation, une incapacité pour l’Homme à sortir de sa condition d’esclave du temps. Hartmut Rosa, fait de cette aliénation le sujet principal de son livre, Accélération. Une critique sociale du temps, il fait le constat que le projet contemporain est « radicalement menacé par l’accélération196».

Comme le souligne, Anne-Rose Bouyer, « notre obsession d’en faire

toujours plus en moins en moins de temps, s’est transformé en dépendance, en addiction

197

». Pour s’en libérer, elle pose cette question : devrions-nous nous

diriger vers la lenteur ? Il est difficile de le dire, tant cette notion porte des préjugés encore bien ancrés. Notre idée ne serait pas d’en finir avec la vitesse, mais plutôt d’interroger la mise en scène planétaire quant à nos rapports au temps, à l’espace et à l’individu. Le terme de décélération semble se prêter plus au jeu. Cette notion était par ailleurs le terme central du congrès de la Société pour la décélération du temps tenu en 2010, à Wagrain, en Autriche198. Serait-ce la naissance d’une Slowarchitecture ? À ce jour, ce regard est encore absent de la scène architecturale.

195 196

Charlie, Chaplin, réa. Les Temps modernes (Modern Times). 1936. United Artist. Elodie, Walh, Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps. Mise à jour le 16 avril 2010. in. Les comptes rendus, [En ligne], http://journals.openedition.org/lectures/990, [consulté le 13 mai 2019]. 197 Anne-Rose, Bouyer, AKairos et architecture : regard(s) vers la slow architecture, op. cit. p.48 198 DNA, En Autriche, on calme le jeu. Numérisation journal du lundi 11 octobre 2010, in. DNA n°41, [En ligne], http://pfeuh.free.fr/shared/swing67/slow.pdf, [consulté le 22 mai 2019].

107


108


« Nous ne pouvons pas échapper à l’architecture tant que nous ferons partie de la civilisation, parce que l’architecture représente tous les changements qui ont été effectués sur la surface terrestre en réponse aux besoins humains » William Moris.

109


110


Conclusion

Au cours de cette recherche, un certain nombre de prises de conscience, de

découvertes et de remises en cause ont pu se développer. Rencontrant une première difficulté à définir le néologisme InstaWorld, ainsi que les termes gravitant autour du sujet, nous avons emprunté des notions liées à divers écrits, pour constituer une boîte à outils. Cette nécessaire base lexicale a constitué un premier bagage aux interrogations liées à notre problématique.

Dans une première partie, la lecture des écrits de Lewis Mumford a

contribué à mettre en avant l’histoire des techniques, comme acteur de mutation sociétal. Nous avons exposé notre interrogation quant à sa traduction française, proposant ainsi une première prise de distance vis-à-vis de l’utilisation des notions abordées par nos différents auteurs. Nous avons étudié la dissociation entre les différentes phases historiques : éotechnique, paléo-technique et néotechnique en mettant en avant les conditions propres à chaque période. Par nos études et recherches nous avons distingué une première phase pré-machiniste développant chez l’individu une localité d’interaction et de vie, d’une « ère barbare » affirmant une première rupture avec la première révolution industrielle. L’étude, par la découverte de l’âge néotechnique a fait émerger les premiers réels intérêts pour le développement et les transformations engendrées sur l’architecture et la ville.

Par la suite, nous avons interrogé la mutation linguistique des notions art,

technique puis technologie. Cette exploration a fait émerger deux constats. L’un concerne la mutation possible de la langue liée au progrès technique, l’autre met en exergue un lien de plus en plus intimiste entre ces termes et l’individu qui verra naître l’homo faber, l’individu technicien.

111


Puis, nous avons étudié la mise en place progressive de la société de

l’information en soulignant les travaux pionnier d’Hollerith et de Turing. La découverte des réflexions vis-à-vis de cette ère de l’information a fait émerger plusieurs discours des auteurs, laissant apparaître craintes et enjeux d’actualité, dès le milieu du XXème siècle. La naissance de la cybernétique, par son caractère futuriste et auto-réalisateur, nous a permis de lier cette époque avec notre période contemporaine en interrogeant le paysage actuel des prothèses techniques.

Enfin, nous avons conclu cette première partie en nous intéressant aux

réactions architecturales liées à la progressive colonisation des technologies de l’information et de la communication. Leur production, bien que souvent théorique, nous a mené à étudier la période de l’après-guerre. Par la recherche, nous avons fait le rapprochement entre les projets des mégastructures des années 1950 et la programmation informatique, plaçant la technologie comme co-ordinateur de l’espace. L’étude du projet Fun Palace a ainsi constitué une référence en la matière. Le voyage de la recherche nous a rapidement menés au Japon. Nous y avons découvert une architecture cybernétique. De retour sur la scène européenne, nous avons interrogé le travail du Team Ten. La mise en exergue des schémas Combart de Lauwe (1952), Play Brubeck ! (1968) et La Toile (2000) ont constitué des éléments importants à notre recherche sur la dualité individu et réseau. Nous n’aurions pas été en mesure d’interroger l’architecte et l’architecture sans explorer une part du travail des groupes Archigram, Superstudio et Archizoom. Les différents projets abordés ont sû faire émerger des possibles mutations du projet et rupture de la profession. Le parcours, par la recherche, des années 50 et 60 ont fait émerger les premières remises en question de notre domaine. Nous avons vu comment les groupes de l’après-guerre ont potentiellement fait de l’architecte un technicien, et annoncé sa disparition.

112


Dans une seconde partie, nous avons tenté de dresser un portrait de notre

situation actuelle. La découverte des écrits de Michel Serres nous a interrogés sur l’émergence d’un nouvel individu. Cet individu s’est vu affablé d’une multitude de noms laissant entendre différents degrés de compréhension du lien qu’il entretient avec la technologie. Un retour historique a été nécessaire pour replacer le contexte de l’apparition de la technologie de l’Internet, dont nous avons découvert l’aspect militaire. La mise en place progressive du réseau nous a appris que la fonction sociale était déjà présente à son origine, le principe de communauté liant scientifiques, chercheurs et militaires en a témoigné. Dès lors, une prise de recul à été nécessaire quant à l’accessibilité de cette technologie.

L’étude des années 1990 a fait émerger une possible démocratisation de

l’Internet, laissant entrevoir les prémisses du travail de l’architecte au-delà des contraintes spatiales. Ce constat a fait naître une première interrogation quant à l’émergence d’un territoire non-géographique. Nous avons ensuite découvert les apports théoriques de McLuhan autour de la notion de planétarisation. Ceux-ci ont été déterminants pour renforcer notre compréhension de l’individu contemporain connecté, futur bénéficiaire du projet architectural.

Puis, nous avons interrogé l’avènement de ce que nous avons nommé la

période InstaWorld. Notre hypothèse d’une course à l’instantanéité s’est confirmée par l’étude historique de la relation Homme-Temps. Celle-ci nous a appris que l’organisation de la vie des individus est depuis longtemps liée à la mesure du temps. Ainsi, nous avons appris que l’horloge, présente à chaque période, constitue un élément marquant du développement sociétale. Ces études nous ont permis d’interroger l’apparition du capitalisme et de la possible aliénation des individus.

113


Le regard porté sur le récent progrès scientifique de mesure du temps, a

fait émerger une possible rupture des rapports de l’Homme d’aujourd’hui. Un recul critique a cependant été nécessaire quant à ces notions de temps et d’espace. Par la recherche, nous avons été amenés à contredire Rifkin lorsqu’il énonce une possible accélération du temps. Cette étude a permis de faire émerger une étroite relation entre temps et espace. L’analyse du projet d’Euralille en a été déterminante. Ce chapitre se conclu par la découverte d’une substitution des notions de temps de parcours à celle de distance parcourue. Le recours à des références récentes nous a permis de souligner la conquête de l’instantanéité.

Enfin, nous avons tenté de comprendre comment les mutations des notions

d’espace et de temps pouvaient se répercuter sur le rapport au monde. Au regard des propos de Serres et de Choay, nous avons appris que l’individu contemporain avait transité d’un espace métrique à un espace de voisinage. Il habite partout et nulle part à la fois. Les interrogations liées au territoire de cet individu nous ont menés à nous interroger sur la désertification du milieu rural et à la naissance de l’urbain, induite par le progrès technologique. Par la suite, nous avons interrogé l’occupation du territoire contemporain. L’étude de la notion d’urbain a été explorée au sein de l’agglomération parisienne, nous menant en dehors des limites administratives de la région. Notre étude nous a appris que la notion de filet, ou de toile, telle que nous l’entendons, est assez récente. Elle s’est substituée aux itinéraires de commerces et de voyage d’autrefois. Un regard vers l’hausmannisation de Paris a fait émerger des enjeux et des défis quant à la mise en réseau planétaire. Ainsi, nous avons fait émerger une interrogation quant à la dualité Réseau-Individu. Nous avons appris que le réseau, à l’image des projets architecturaux de l’après-guerre, se déploie sur un territoire sans frontières, englobant lieu et monument.

114


La troisième partie a tenté d’explorer les appropriations et questionnements

liés au domaine de l’architecture. En ce sens, notre choix s’est porté sur deux attitudes architecturales liées au contexte de la période InstaWorld. Une première attitude a été explorée dans le sens d’une possible transgression de la globalisation au domaine de l’architecture. Puis, une seconde, plus critique, a interrogé le sens de cette architecture vis-à-vis des précédents enjeux.

Ce premier chapitre s’est interrogé sur les conséquences de l’impact de la

globalisation dans le domaine de l’architecture. L’étude du livre Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation, a été déterminante dans la compréhension de cette transgression. Pour affiner notre étude, nous avons appris à différencier la mondialisation de la globalisation. Par la suite, et notamment par la figure de Rem Koolhaas, nous avons découvert une possible soumission de l’architecture face à la condition sociétale. En ce sens, nous avons été amenés à étudier sa contribution à la biennale d’architecture de Venise 2014, ainsi qu’un de ses projets : le Centre de congrès de Lille. Dès lors, notre recherche a mis en avant une attitude de rejet à l’ancrage et à l’identité du territoire d’implantation. Cette étude nous a demandé de prendre une certaine distance avec cette production architecturale, en insistant sur le fait qu’elle ne se veut pas représentative.

Puis, nous avons tenté de mettre en parallèle cette précédente architecture

et la notion d’édification. Notre étude s’est ainsi intéressée à la question du lieu et de l’émergence des non-lieux. Nous avons tenté d’ouvrir une réflexion plus profonde sur les notions d’identité et de culture dans un monde oscillant entre local et global. La notion propre d’ancrage de l’individu dans un lieu géographique est ainsi abordée dans une dimension prospective.

115


Ensuite, par la recherche, nous avons interrogé la condition de l’édification

architecturale au sens de la théorie du De Re aedificatoria. La récente traduction du texte en français par Choay et Caye nous a été d’une grande aide quant à la compréhension de la pensée Albertinienne. Cette édification appellerait la nécessité de placer l’individu comme clef d’une possible architecture. Enfin, nous avons fait le choix de ne pas apporter de conclusion à la confrontation des deux pensées, mais plutôt de souligner les enjeux et défis de l’édification à l’ère de l’InstaWorld.

Enfin, nous sommes retournés à l’origine de l’InstaWorld, soit autour de la

notion du temps, pour formuler une critique. Au regard porté par certains auteurs et par notre étude, nous avons pu décrire une possible aliénation, telle que le dénonçait Charlie Chaplin dans Les Temps modernes. Nous avons émis l’hypothèse, face à l’accélération des rythmes quotidiens, d’un possible appel au ralentissement. Cependant et malgré l’unique livre de Beaudouin, nous n’avons à ce jour pas trouvé de documentation suffisante pour en restituer un contenu au lecteur. Nous avons observé une utilisation, voir une revendication, de la Slow-architecture par quelques architectes, cependant leur discours ne semble pas s’accorder. Là où certains parlent de durabilité, d’autre parle de temps de réflexion, une conférence nous a même fait découvrir une Slow-architecture comme méthode marketing d’architecture globalisée.

Si nous disposions de plus de temps pour étudier cette question, et si cette

recherche pouvait se prolonger, nous poursuivrions dans le sens d’une éventuelle Slow-architecture. Pour cela, nous convoquerions les différents antagonistes de la notion, et tenterions de comprendre la signification qu’ils donnent à leur architecture. De plus, nous essayerions d’avantage d’orienter cette recherche sous une forme critique, pour mieux interroger la réception des ruptures dont nous avons fait le portrait par cette recherche. InstaWorld, préparation ou dénonciation?

116


117


118


Table des matières

Sommaire Remerciements Avant-propos Résumé / Abstract Introduction Boite à Outils

7 9 11 13 15 17

I. Le progrès technique comme manifestation de ruptures

25

1. Technique et Civilisation, progrès et incidences sociétales

27

_La technique comme fondement d’interrogation de la société

27

_Mise en place de la technique moderne

31

_Emergence de la société industrielle

35

_Mutation technique et transformation des sociétés

36

2. Émergence de la société de l’information

37

_De l’art à la technology : mutation linguistique

37

_Prémisse de la société de l’information

39

_ Naissance de la société de l'information

41

_Processus de technicisation

44

3. Technologies de l’information : réactions architecturales

45

_Première appropriation architecturales

45

_Architecture et technologie de l'information : Mise en réseau

47

_Technologie de l’information et le territoire

55

_Technologies émergentes, vers une mutation de l’architecture ?

59

II. Un bouleversement contemporain, l’avènement de l’Instaworld

61

4. Signes de l’émergence d’un nouvel individu

63

_ Révolution : l’avènement d’une nouvelle société ?

63

_Origine et Naissance d’une rupture : le phénomène de l’Internet

65

_L’Internet : démocratisation et planétarisation

69

_Petite Poucette, individu contemporain

72

119


5. Temps et espace, la ruée vers l’instantanéité

73

_ A vos marques, prêt, arrivé !

73

_ Le temps, ce crédo des sociétés modernes

75

_ Perception de l’espace-temps

77

_ La période InstaWorld : espace-temps, technologie, individu

80

Habiter le monde contemporain, de partout à nulle part

81

_ Vers une accélération du temps ?

81

_ L’urbain, condition de l’espace contemporain

83

_ L’espace en réseau

87

_ Défis de l’espace contemporain

89

6.

III. Appropriations et questionnements pour l’architecture de l’InstaWorld

91

7. Transgression, l’architecture globalisée

93

_ De re aedificatoria, quel devenir architectural ?

93

_ Globalisation : (re)mise en question de l’architecture

94

_ Une réaction à la globalisation : fuck the context !

97

_ Les villes contemporaines sont-elles toutes les mêmes ?

99

8. Critiques et enjeux pour l’édification de l’architecture

101

_ Fonder, acte I

101

_ Réseau et lieu, la naissance des non-lieux

102

_ Condition de l’édification

104

_ Vers une architecture de l’InstaWorld

106

Conclusion Bibliographie Table des illustrations

111 121 129

120


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128


Table des illustrations

- Figures Fig. 1 : TechnicS and Civilization

28

Fig. 2 : Développement d’une localité

30

Fig. 3 : L’environnement de « l’ère barbare »

32

Fig. 4 : Associer la ville et la campagne, une vision déjà utopique

34

Fig. 5 : La tabulatrice d’Hollerith, à l’origine de la société de l’information

40

Fig. 6 : A la conquête de la planète

42

Fig. 7 : La technologie, comme co-ordinateur de l’espace.

46

Fig. 8 : Play Brubeck !

48

Fig. 9 : Déplacement dans Paris

48

Fig. 10 : Représentation de la Toile.

48

Fig. 11 : ARCHIGRAM N°5

52

Fig. 12 (haut), Fig 13 (bas) : Superstructure de branchement : le réseau de vi(ll)e.

53

Fig. 14 : Technologie bucolique ou architecture de l’information ?

54

Fig. 15 (haut), Fig. 16 (bas) : Vers un modèle alternatif de vie sur terre ?

56

Fig. 17 : No-Stop City, vers une disparition de l’architecture ?

58

Fig. 18 : Cartographie du réseau ARPAnet.

64

Fig. 19 : Propagation du réseau d’ARPAnet 1969-1977

66

Fig. 20 : Structure non-géographique de l’Internet.

68

Fig. 21 : Extension de l’Homme de l’information.

70

Fig. 22 : Calendrier carolingien, 818, cycle de vie.

74

Fig. 23 : Masterplan d’Euralille, un projet d’espace de transfert ?

78

Fig. 24 : Le paysage incertain de l’urbain.

82

Fig. 25 : L’urbain parisien, nappe transfrontalière.

84

Fig. 26 : Ittinéraire de réseau pré-XVIIIème, ligne directive.

86

Fig. 27 : Globalisation, identité vs paysage contemporain.

96

Fig. 28 : Bigness, Fuck the context !

98

129


130


131


L’Homme semble être aujourd’hui parvenu au point culminant d’une course à l’instantanéité, qui trouverait son origine dès le XIIème siècle. Ce combat contre le Temps est matérialisé par le récent progrès technologique qui aurait engendré une rupture des notions de Temps et d’Espace. Le développement lié à la société de l’information, est décrit par certains auteurs, comme à l’origine d’un changement de civilisation. Les interrogations liées au couple Technique /Civilisation apparaissent dès la période de l’après-guerre, réflexion qui pourrait faire sens aujourd’hui. L’objet de cette étude est de proposer une approche du monde contemporain par les entrées de la TECHNIQUE, du TEMPS, de l’ESPACE et de l’INDIVIDU. Les observations s’appuieront principalement autour des sociétés du nord qui nous semblent être au cœur des mutations de l’INSTAWORLD. Au regard de l’impact du progrès technique sur la condition de notre monde, nous interrogerons les défis et enjeux pour l’édification de l’architecture.


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Table des illustrations

2min
pages 129-132

Bibliographie

8min
pages 121-128

Conclusion

8min
pages 111-118

III. 8. Critiquesetenjeuxpourl’édificationdel’architecture

11min
pages 101-110

III. 7. Transgression, l’architecture globalisée

10min
pages 93-100

II. 6. Habiter le monde contemporain, de partout à nulle part

11min
pages 81-90

II. 4. Signes de l’émergence d’un nouvel individu

12min
pages 63-72

II. 5. Temps et espace, la ruée vers l’instantanéité

11min
pages 73-80

I. 2. Émergence de la société de l’information

10min
pages 37-44

I. 3. Technologies de l’information : réactions architecturales

17min
pages 45-60

I. 1. Technique et Civilisation, progrès et incidences sociétales

11min
pages 27-36

Résumé / Abstract

1min
pages 13-14

Introduction

1min
pages 15-16

Boite à Outils

7min
pages 17-24

Remerciements

0
pages 9-10

Avant-propos

1min
pages 11-12
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