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I. 3. Technologies de l’information : réactions architecturales

I Chapitre 3 Technologie de l’information, réactions architecturales

Premières appropriations architecturales

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Par l’analyse de plusieurs auteurs, le chapitre précédent a permis de soulever l’étroite co-production du couple technique/société et de mettre en avant le progrès technique comme fédérateur de phénomènes de ruptures. Si le champ théorique nous semble pertinent, il appartient à cette recherche d’observer et de questionner les premières appropriations et réactions architecturales face à l’émergence de la société de l’information et l’arrivée des technologies de l’information et de la communication (T.I.C.). Les projets abordés dans ce chapitre constituent une base référentielle non-exhaustive pour l’étude de la période de l’InstaWorld.

Comme le souligne Dominique Rouillard dans sa contribution au livre Interactive cities, on trouve les premières notions de rencontre entre architecture et société de l’information dès les années 1950. Très tôt, on trouvera chez les architectes du moment les notions d’ « ordinateur, computateur électronique, automation, robotique, calculateur 53 ». La période de l’après-guerre nous a semblé très fertile à analyser tant elle représente une avant-garde 54 du projet architectural lié à un contexte et une société technologique émergente. En témoigne l’intérêt suscité des notions « de relation, de lien, de lieu, d’échange, de hasard, d’indétermination, d’ouverture, de contact, de connexion, et même d’esthétique de la connexion

55 »

plus d’une décennie avant l’avènement d’ARPANET 56 .

53 Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit., p.14. 54 La notion d’avant-garde sera par ailleurs remise en cause plus tard dans ce chapitre. 55 Ibidem, p.20. 56 ARPANET ou Arpanet (acronyme anglais pour « Advanced Research Projects Agency Network ») constitue le premier réseau de transfert lancé en 1966. Il constitue en sorte les prémices de l’INTERNET dans sa forme actuelle. Nous reviendrons sur sa mise en place par la suite. [En ligne], https://fr.wikipedia.org/wiki/ARPANET, [consulté le 10 mai 2019].

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Fig. 7 : La technologie, comme co-ordinateur de l’espace.

Le programme du Fun Palace est assez proche de ce qu’on peut désigner comme un programme informatique : un tableau de fonctions algorithmiques et des passerelles logiques qui contrôle des évènements et des processus temporels dans un dispositif d’environnement virtuel.

Par ailleurs, la structure tri-dimensionnelle du Fun Palace se veut représenter une matrice opérationelle spatio-temporelle d’une architecture dite virtuelle.

Numérisation, Centre Canadien d’Architecture, 1. Cedric Price, Perspective du Fun Palace - 2. Gordon Pask, Organizational Plan as Program in. Collection Centre Canadien d’Architecture, Montréal, 1965

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Architecture et technologie de l’information : Mise en réseau

Comme le précise Dominique Rouillard, ce vocabulaire, qui annonce le discours d’une architecture « connectée », existe « alors en dehors de toute référence à l’informatique, et même sans relation à la cybernétique qui va pénétrer le milieu del’architectureàlafindesannées1950 57 ». Si l’outil technique est au cœur d’une grande partie des recherches menées par mes confrères, nous nous intéresserons ici à questionner l’implication des T.I.C. comme vecteur d’origine au projet architectural.

Vers 1958-1960, certains architectes

(Yona Friedman et Constant entre autres) donnent de leur contribution aux prémices de la relation entre architecture et technologie de l’information. L’ordinateur, bien que peu répandu à cette époque, prend place au cœur de la conception, et assume le rôle de l’organisation du changement 58 , plaçant la technologie émergente comme co-ordinateur de l’espace (Fig. 7). C’estle cas duprojetde « ville spatiale » deYonaFriedmanen1959 ou encore de celui de « New Babylon » de Constant en 1963. L’un comme l’autre propose unearchitecturequel’onpourraitqualifierde réseau, une méga-structure devenant support technologique à l’instar d’une infrastructure de machine. Si le principe de gestion de l’espace semble novateur, Dominique Rouillard y adosse une critique : « Sans entraîner une expression architecturale nouvelle, la structure tridimensionnelle qu’adoptetouteméga-structureapparaîtcommeunréseauàlacomplexitésuffisante 59 ». Bien que peu novatrices sur le plan architectural formel, ces méga-structures mettent en lumière les premières applications de l’organisation des technologies de l’information dans le projet architectural et urbain et une première rupture dans le champ de la conception de l’Habité.

57 Ibidem, p.14. 58 VoirEckhardSchulze-Fielitzetses travauxàlafindes années 50 où« ilexpérimentele potentiel de principes mathématiques et morphologiques dans l’organisation et la division de l’espace tridimensionnel. Pionnier de la recherche sur la morphologie structurale, il travaillera avec YonaFriedmansurleconceptde«villespatiale»en1959. ». [Enligne],http://www.frac-centre.fr/ collection-art-architecture/rub/rubauteurs-58.html?authID=172, [consulté le 07 mai 2019]. 59 Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.20.

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Fig. 8 : Play Brubeck !

« Idéogramme d’un réseau de relations humaines. Uneconstellationdepartiesdevaleurdifférente,dans un réseau extrêmement compliqué de lignes croisées et entrelacées. Brubeck! De là, un complot peut émerger »

Numérisation personnelle, Trad. personnelle SMITHSON, Alison, Team 10 printer, Ed. The MIT Press, 1968, p.79.

Fig. 9 : Déplacement dans Paris

Repris par Guy Debord dans Théorie de la dérive, figurant l’ensemble des déplacements d’une étudiante du XVIe arrondissement de Paris. Une des premières représentations d’un schéma en réseau basé sur l’individu.

Numérisation, Schéma de Combart de Lauwe, 1952 Guide psychogéographique de Paris, Discours sur les passions de l’amour, Guy Debord, 1957.

Fig. 10 : Représentation de la Toile.

Ce projet de l’an 2000, modélise sous forme de cartes les liens qui existent entre les sites de l’internet, et plus généralement, le “chemin” des informations. Ces visions nous permettent de bien comprendre que l’aspect de toile (web) résulte de la mise en relations des sites entre eux.

Hal Burch and Bill Cheswick, Maps of the internet, [en ligne] https://www.researchgate.net/figure/HalBurch-and-Bill-Cheswicks-2000-map-of-the-coreof-the-internet-charting-over_fig4_292383469

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Concernant l’implication de la cybernétique (évoquée dans le deuxième chapitre de ce mémoire avec la pensée de Norbert Wiener), elle n’apparaîtra dans le discours architectural qu’à partir du milieu des années 1960, et ce, particulièrement chez les métabolistes japonais, sous l’influence de Kenzo Tange. «La maison réceptive» d’Isozaki où la technologie est utilisée principalement pour des effets sonores ou visuels, en est un exemple pertinent. Bien qu’il soit important de le mentionner,iln’appartientpasàcetravailderecherchedes’emparerdel’influence des technologies émergentes sur l’environnement du projet architectural.

Surlascèneeuropéenne,leTeamTenet,plusspécifiquement,PeteretAlison Smithson 60 marquerontles prémisses de laréflexionautourducouple technologie /société. Le croquis Brubeck ! (Fig.8), présenté par les architectes comme un «idéogramme 61 », nous donne à imaginer un réseau de relations humaines qui se croisent et s’entrecroisent à la manière d’un réseau technique de communication. Si Dominique Rouillard y voit un rapprochement avec le schéma de Combart de Lauwe (Fig. 9), nous nous permettrons de le mettre en relation avec les représentations de ce qu’on appelle aujourd’hui la toile de l’Internet (schématisée notamment par les travaux de Burch et Cheswick 62 (Fig. 10)). Brubeck! nous semble important par sa capacité à interroger, par la pensée architecturale, le fonctionnement technologique. À son sujet, les Smithson annoncent l’idée « que les architectes étaient soucieux de ne pas travailler tant sur des choses que sur les relations qui s’établissent entre eux. 63 ». Une notion très présente chez les avant-gardistes de l’époque.

60 Le Team Ten, ou Team X, est un groupe d’architectes ayant contribué à repenser l’architecture et l’urbanisme en rupture avec les conceptions de l’époque, dans les années 50-70, Alison et Peter Smithson sont deux membres de ce groupe. 61 On s’accordera à penser que le terme Ideogram évoque ici un signe graphique traduisant le sens de pensée du groupe Team X envers le sujet Brubeck. Cet ideogramme sera d’ailleurs utilisé par Alison Smithson, plus tard, pour décrire le groupe d’architecte. 62 Au début des années 2000, Burch et Cheswick s’intéresse à représenter la mise en réseau des sites web dans l’Internet. Ce travail fut commandé par la société technologique Lumeta 63 Fernandez Villalobos, Nieves, Alison y Peter Smithson : Play Brubreck!. Mise à jour le 25 mai 2018. in. Arquetipos, [En ligne], http://arquetipos.arquia.es/articulo/alison-peter-smithson-play-brubreck/, [consulté le 25 avril 2019].

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Archigram et la vision de la ville

Les Smithson représenteront par la suite une référence majeure pour les architectes européens et les débuts d’un intérêt certains de la part des architectes envers la société de l’information. C’est le cas du groupe londonien Archigram (association des termes architecture et télégramme). Ces derniers aborderont la pensée du réseau relationnel, comme le souligne Dominique Rouillard, dans le contexte « du développement des sciences, celui de la robotique et de l’informatique, et grâce aux ouvrages de vulgarisation ou aux récits de science-fiction 64 » . Cet

attraitpourlascience-fictionse matérialiserapardes méthodes de représentations originalesetleurpermettrad’appuyerlecaractèrefictifetfuturistedeleurprojet. À ce propos, Reyner Banham, membre du groupe anglais, placera le roman de science fiction, tel Les cavernes d’acier 65 d’Isaac Asimov, comme une des bases à acquérir

dans la culture architecturale.

Si aujourd’hui, les références architecturales de ce chapitre rejoignent le corpus de base du parcours de l’étudiant architecte, il nous faut rappeler que cellesci sontloind’être majoritaires pourl’époque. Eneffet, suite àladeuxième guerre mondiale, la grande majorité de la profession se focalise sur la reconstruction de l’Europe. Par ailleurs, cette « avant-garde 66 » architecturale ne connaîtra que peu de mise en pratique construite de leurs idées. A ce sujet, Dominique Rouillard, laisse supposer que notre époque contemporaine se prêterait plus favorablement à cette rencontre TIC et architecture, 50 ans plus tard. Si cette supposition explique en partie l’intérêt contemporain pour les références de ce chapitre, elle met surtout en avant le caractère visionnaire des architectes de papier 67 de l’après-guerre.

64 Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.18. 65 Dans son ouvrage publié en 1954, Isaac Asimov met en scène un robot humanoïde dans une histoire policiène confrontant Terriens et Spaciens. Isaac, Asimov, The Caves of Steel [1954], Ed. Doubleday, Trad. fr. par J. Brécard, sous le titre Les Cavernes d’acier, Ed. Gallimard, 1956. 66 Dominique Rouillard avoue ne pas vouloir utiliser l’expression d’avant-garde, argumentant que le discours des architectes concernés est essentiellement basé sur la nouveauté technique. 67 Architecte de papier pour paperstudio, expression utilisée à l’encontre des architectes des références que nous mettons en avant dans ce chapitre.

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L’introduction des technologies de l’information dans le champ architectural connaît une véritable expansion avec la publication du cinquième numéro de la revue éponyme du groupe londonien Archigram 68 (publié en 1964 sous le titre Les villes sont-elles encore nécessaires ? (Fig 11.)). Les lecteurs y découvrent premièrement le projet Plug-In City de Peter Cook (Fig. 12). On lit : « Plug-in City se crée en disposant une structure en réseau à grande échelle, qui offre les voies d’accès et les services essentiels, sur n’importe quel terrain [...] L’intérieur contient diverses machines et installations électroniques destinées à remplacer les fonctions de travail actuelles 69 ». Le projet est ici conçu comme un système général qui laisse entendrel’applicationdufonctionnementdel’ordinateuretuneréflexionportéesur l’accélération de la ville en mutation : « Plug-In City a été conçu pour favoriser la circulation et accélérer la ville en mutation. 70 ».

Dans le même numéro, Dennis Crompton expose Computer City, la Ville réactive (Fig. 13). Leprojetpourlavilleestdécrit«commeunréseaudeflux-des flux de trafic, des marchandises, des personnes et surtout de l’information. 71 » à

l’image de la société de l’information émergente que nous avons décrite lors des pages précédentes. Làoù Plug-In-City se positionne comme une superstructure de branchement de fluide à un réseau, Computer City se définit lui-même comme le réseau, sans structure et sans architecture signant une des premières manifestations de rupture du rôle de l’architecte et de l’architecture face à l’arrivée des T.I.C.

68 Archigram est une revue d’architecture des années 60 dont 9 numéros sortiront de 1961 à 1974, support de production et de communication du groupe londonien composé de Peter Cook, David Greene, Mike Webb, Ron Herron, Warren Chalk et Dennis Crompton. 69 Alain, Guiheux, Archigram, Ed. Centre Pompidou, Paris, 1994, Archigram 5. 70 Simon, Sadler, Archigram : architecture without architecture, Ed. The MIT Press, Massachussets, 2005, p. 16, «Plug-In City was devised to prompt circulation and accelerate the cityin-flux.»,TraductionLénaïckKunze. 71 Ibidem,p. 21,«ComputerCitydescribedthecityasanetworkofflows—flowsoftraffic, goods, people, and above all information.» Traduction Lénaïck Kunze.

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Fig. 11 : ARCHIGRAM N°5.

Les Revues d’Archigram représenteront le principal support d’expression du groupe londonien. On compte aujourd’hui 10 numéros, numéroté de 1 à 9 1/2 , publiés de 1961 à 1974. On y découvrera les principaux projets : Sin Center, Living City, Plug-In City, Walking City, Instant City. Dans ce dernier, Peter Cook explore une ville évènement nomade, héliportée. Une numérisation desdits magazines est présente sur le site web : http://archigram.westminster.ac.uk

Photographie personnelle, in. Alain, Guiheux, Archigram, op. cit. , 1994. pp. 80. in. ,Revue Archigram n°5, Archives Archigram, 1964.

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Fig. 12 (haut), Fig 13 (bas) : Superstructure de branchement : le réseau de vi(ll)e.

Au regard de ces deux projets théoriques, on remarque par les méthodes de représentation le langage technique et informatique de « l’architecture de la ville ». La seconde image, Computer City, pourrait d’ailleurs s’adresser à un public de technicien, dans le sensoùl’onimagineunschémadetransistorouderéseauélectrique.

Photographie personnelle, in. Alain, Guiheux, Archigram, op. cit. , 1994. pp. 88-89. 12. Peter Cook, Plug-In City, composants primaires, 1964, Photo Archives Archigram. 13. Dennis Crompton, Computer City, 1964. Coll. Centre Georges Pompidou, photo J.C. Planchet.

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Fig. 14 : Technologie bucolique ou architecture de l’information ?

Les dispositifs de Rockplug et Logplug sont envisagés par David Greene comme un moyen de dissimuler dans la nature (plus exactement sous la nature) des équipements technologiques, agissant comme des tableaux de bords. L’individu voyageur peut ainsi se connecter en tout point duglobeàdesservicesspécifiquesensebranchantdirectementsurdesartéfactsnaturels.

Numérisations, Wrinkled and lapping mat, Dimensions: 352x343, Archigram Archives David, Greene, RockPlug, LogPlug, 1969, [en ligne] http://archigram.westminster.ac.uk/projectphp?id=136

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Les Technologies de l’information et le territoire

Les architectes de l’époque ont par la suite poussé les principes de gestion des technologies de l’information à l’échelle du territoire, présentant une architecture d’interface à l’instar des machines technologiques, de gestion, d’organisation et la rendant accessible à tous. Elle agit, selon Dominique Rouillard, « sans ostentation, sansfiguration,sansméga-structure,surtouslespointsduterritoire 72 ». Plus que jamais c’est l’architecture elle-même qui est interrogée, et avec elle, le rôle de l’architecte. C’est le cas des projets Rokplug, Logplug (1969) de David Greene, membre fondateur d’Archigram (Fig. 14),oùl’architecturetechnologiqueseretrouvedissimuléesousdes apparences d’artefacts naturels. Au travers cet amalgame de technologie bucolique, on se questionne sur la nature du rôle de l’architecture et de l’architecte. Est-il devenu un technicien ? L’architecture n’est-elle plus qu’une interface technique ?

Il appartiendra au groupe italien Superstudio 73

de s’emparer de la structure de lasociété de l’époque etde considérerl’architecture comme « laconfiguration formelle de la société avant de pouvoir être considérée comme structure utile 74 ».

Le groupe fondé à Florence en 1966-67, sera au cœur de l’architecture radicale de l’après-guerre et à l’initiative des esquisses de refonte anthropologique de l’architecture. L’élaboration en 1969 du projet Le Monument continu (Fig. 15) marque une véritable volonté de questionner le rôle de l’architecte de la société de l’après-guerre. Le projet est décrit comme une ligne de pensée extrême où l’architecture « devient un objet immobile fermé qui ne conduit nulle part, excepté à lui-même et à l’usage de la raison 75 ». Superstudio décrit une architecture sans architectereflétantunmonderenduuniformeparlatechnologieetlasociété.

72 Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.19. 73 Superstudio est composé des architectes Adolfo Natalini, Cristiano Toraldo di Franci, Roberto Magris, Piero Frassinelli, Alessandro Magris et Alessandro Poli. 74 Toraldo Di Francia, in. IAC Villeurbanne (sous la direction de.), Architecture radicale, Ed. HYX, Orléans, 2001, Superstudio & Radiaux, p.153. 75 Ibidem.

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Fig. 15 (haut), Fig. 16 (bas) : Vers un modèle alternatif de vie sur terre ?

Le « Monument Continu » (haut) est présenté pour la première fois lors de l’exposition Trigon à Graz en 1969. Le projet est conçu comme une grille tridimensionnelle, absorbant tout sur son passage, et réduisant le monde à un paysage d’infrastructure.

Photographie personnelle, in. Marie-Ange, Brayer (sous la direction de.), Architectures expérimentales 1950-2012, op. cit., p.581. Fig. 15 : Monumento Continuo, 1969, Un Logo di nuvole tra eterne montagne, Dessin, photomontage. Fig. 16 : Marchi, réa. Supersurface - An alternative model for life on the Earth, op. cit. , 1972.

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Le questionnement de Superstudio autour de l’architecture est mis en images, cinq années après Le Monument continu, aveclaréalisationdufilm Supersurface 76

(Fig. 16). La narration de l’histoire présente « un modèle alternatif de vie sur terre dans lequel le ‘‘réseau d’énergie et d’information’’ est représenté par des grilles et des images de technologie superposées à un collage de paysages naturels et habités peuplés de familles dans les activités domestiques et de loisirs 77 ». Face à

l’émergence de la société de l’information, l’approche du groupe se matérialise par une « architecture réduite à l’état de neutralité absolue 78 ». Si le monde s’organise sur les lois de traitement de l’information, l’architecture est réduite à l’état de support.

Cette rupture de l’architecture sera également questionnée par le groupe Archizoom, autre référent de la période, qui développera le projet No-Stop City (1969). Le projet fictifquestionne et met en œuvre « l’idée de la disparition de l’architecture 79 ». No-Stop City incarne le modèle d’une ville immatérielle. Sans qualitéetérigéeparlefluxcontinudesinformations, No-Stop City est l’expression des réseaux technologiques des marchés et des services, introduisant selon les architectes du projet « la disparition de l’architecture.

80 »

(Fig. 17). Une vision critique et négative de l’architecture incarnant la société de l’information telle qu’elle est donnée à comprendre. Le projet bien que théorique pousse à son paroxysme la confrontation de la société des T.I.C. et de l’architecture.

76 Marchi, réa. Supersurface - An alternative model for life on the Earth. 1972. Marchi Produzioni, 9’28 minutes, à l’occasion de l’exposition Italie: le nouveau paysage intérieur organisée parEmilioAmbaszauMoMAen1972àNewYork. 77 «Supersurface presents «an alternative model for life on earth» in which the «network of energy and information» is represented by grids and images of technology superimposed on a collage of natural and inhabited landsvcapes peopled by families engaged in domestic and leisure activities.» Traduction Lénaïck Kunze. 78 Marie-Ange, Brayer (sous la direction de.), Architecture expérimentales 1950-2012, Collection du Frac Centre, Ed. Hyx, Orléans, 2013, p.581. 79 Frac Centre-Val de Loire, Archizoom Associati, No-Stop City, 1969. Date inconnue, in. Frac-centre, [En ligne], http://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/archizoom-associati/ no-stop-city-64.html?authID=11&ensembleID=42, [consulté le 25 avril 2019] 80 Ibidem.

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Fig. 17 : No-Stop City, vers une disparition de l’architecture ?

Au regard des documents produits dans le cadre du projet théorique de No-Stop City, on aperçoit une négation de l’espace construit qui se résume en une trame technique qui englobe à la manière du Monument Continu d’Archigram l’entièreté du paysage, qu’ilsoitnaturelouartificiel(habitationsetservicesdeconsommation, photohaut).

Photographie personnelle, in.Andrea,Brazi,No-stopcity,Ed. HYX,Orléans,2006.

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Technologies émergentes, vers une mutation de l’architecture ?

L’introduction émise par quelques groupes d’architecte de la seconde moitié du XX e siècle fait émerger les premières esquisses d’une (im)possible architecture de la société de l’information, il ne faut pas oublier leur dimension critique et idéologique. Si quelques architectes de l’après-guerre ont dessiné un conditionnement de l’architecture par des médiums tels que ceux de la sciencefiction, leurrécits critiques n’ontsudonnerune concrétisation construite. Au-delà d’une possible construction, on retiendra leur capacité à interroger la technologie et la société émergente au cœur du projet architectural et urbain. Comme le précise Dominique Rouillard « L’informatique était à l’œuvre dans la conception même du projet, voire à son origine - peut-être parce qu’elle ne pouvait encore opérer effectivementdanslesagencescommeoutild’assistanceàlaconception...

81 ».

Par leur dimension fictive et critique, les projets de l’après-guerre nous ont semblés apporter un regard sur les possibles ruptures de l’architecture et de la profession face à l’essor des technologies de l’information. Nous garderons une distance critique à leur propos, du simple constat qu’un demi-siècle plus tard, l’architecte et l’architecture continuent de professer ? Si Yona Friedmann déclare l’inutilité de l’architecte en 1970, l’auteure du livre Interactive cities semble

amorcerune approche moins fermée parcette question: « oùestl’architecture, et surtout l’architecte ? Est-il devenu un super programmateur ? 82 ». Les technologies émergentes seraient-elles signe d’une mutation de l’architecture et du rôle de l’architecte dans les sociétés contemporaines ? Les questionnements mis en exergue dans cette première partie ne sont pas sans rappeler la problématique de ce travail de recherche, etcettebasehistoriqueconstitueunappuiréférentielauxréflexions qui sont les nôtres dans le cadre de cette recherche.

81 Dominique, Rouillard, in., Valérie, Châtelet, (sous la direction de.), Anomalie digital arts, n°6: Interactive cities, op. cit. , p.20. 82 Ibidem, p.30.

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