WABI-SABI Hugo LEONARD ENSA Normandie 2017-2018 Séminaire Architecture Art Cinéma : Des dispositifs géosensibles Arnaud François, Anne Philippe
Sommaire : I.
Introduction…………………………………………..…………………………………5
II.
L’expérience du milieu……………………………………………………………..8 1) Sensibilité de nature :................................................................................8 2) Architecture et nature : la voie de l’harmonie .......................................13 3) Le pavillon de Rikiu :................................................................................16
III.
L’univers du wabi-sabi……………………………………………………………24 1) Une définition ?.......................................................................................24 2) Le wabi.....................................................................................................26 3) Le sabi......................................................................................................33 4) Libre et changeant.....................................................................................40
IV.
Analyses de projets……………………………………………….....……………41 1) Piscine de mer de Leça............................................................................41 2) Great Bamboo Wall House......................................................................45 3) Chapelle Saint-Nicolas-de-Flue................................................................50 4) La maison Marika Alderton.....................................................................57 5) Go Hasegawa : « Supernormal building »...............................................61
V.
Conclusion……………………………………………………………………..………67
Références.................................................................................70 4
Introduction :
L'architecture japonaise a toujours puisé son inspiration au travers de la nature. En effet sa géographie, ainsi que sa diversité de milieux ont laissé une empreinte profonde dans la culture nippone depuis des siècles (du langage, à la spiritualité, à la cuisine en passant par les jardins et l'architecture). Au travers de l'architecture japonaise, on ne peut dissocier un bâtiment de son environnement, que ce soit dans l'utilisation des matériaux naturels ou au travers de différents concepts spatiaux qui composent son architecture. Cette architecture est un regard et une pensée différente de celle occidentale qui révèle les nuances possibles d'une architecture environnementale ou d'ordre paysagère. Parmi les nombreux processus ayant amenés l'architecture contemporaine japonaise à ce qu'elle est désormais, réside la quête de la spiritualité au travers du bouddhisme et du zen, et l'apparition des pavillons de thé.
Ces notions d'éveil et de méditation transmises depuis des siècles ainsi que cet ancrage entre la nature et l'architecture a fait naître un esthétisme propre à la culture nippone : Le Wabi-Sabi - le wabi ou la simplicité tranquille, le sabi ou la patine de l'âge. Cette recherche de la beauté particulière tiré de la nature a notamment été appliqué et formalisée dans le pavillon de thé et dans sa cérémonie. L’appréhension du temps et de toutes les manifestations de la nature sont alors mises en valeurs afin de révéler l’essence de cette beauté dans la nature et de concevoir un équilibre entre l’homme, le bâtiment et son milieu.
Tout cela, étant autant de nouvelles sources potentielles d'inspirations et de perceptions qui ont leur place dans l'architecture contemporaine à l'heure où l'architecture et le BIM laissent de moins en moins de place à l'imprévu et à la vérité matérielle. A l’heure où la réflexion en architecture doit se tourner vers les matériaux biosourcés et limiter son impact énergétique, il est bon d’envisager un équilibre avec notre environnement. 5
Nous allons donc tout d’abord comprendre le rapport entretenu par les japonais avec cette nature et comment celle-ci à influencer tout un pan esthétique des arts nippon notamment au travers de l’expérience du pavillon de thé. Le processus de la cérémonie du thé et sa formalisation s’inscrit dans une temporalité très étendu et fût codifié au fil de sa pratique. Aujourd’hui elle perdure et entretien une forme esthétique particulière ayant marqué la culture japonaise. Comment définir ou du moins comprendre ce concept appelé wabi-sabi ? Une analyse de projets d’architectures contemporaines permettra d’entrevoir et comprendre l’esprit de ce concept encore mystérieux de nos jours et ses potentialités…
En quoi la notion de Wabi-sabi est-elle porteuse de potentialité dans l'architecture contemporaine ?
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Vue des ÂŤ Montagnes Juanes Âť, province du Zhejiang, Chine, Murielle Hladik
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L’expérience du milieu :
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Sensibilité de nature :
Si l’essence de l’architecture et du concept de wabi-sabi résident en une recherche du beau au cœur des manifestations de la nature les plus humbles, cela a pour origine un rapport unique entre nature et culture au japon. Cela est notamment dû à sa géographie si particulière qui a façonné une grande richesse de paysages.
« Les quatre milliers d'îles qui forment l'arc nippon s'étirent sur environ 3000 kilomètres du sud au nord, […] soit à peu près de la latitude de Cuba jusqu'à celle de Québec. La gamme climatique y va donc de la zone tropicale à la zone tempérée froide. » 2
Il existe au Japon une variété de paysages extrêmement riche ayant pour origine les différences de latitudes et de températures (celles d'Oran, en passant par les températures moyennes de Paris ou de Moscou, pour certaines régions à une même période de l'année). On peut donc y rencontrer des forêts luxuriantes aux arbres ancestraux, des îles désertiques de la mer de Chine en passant par des montagnes majestueuses dont le célèbre mont Fuji. Né de l'union des dieux ces éléments du paysage sont également des esprits ou des divinités à respecter et protéger afin de récolter tous les dons de cette nature. Ainsi sa géographie étendue et la position de l'archipel vis à vis de l'océan pacifique, du continent asiatique et sa situation sismique très active a amené la culture japonaise à acquérir un profond respect pour la nature et à y développer une mythologie et une croyance en elle.
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· Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice : Les japonais devant la nature, 1986, Editions Gallimard, p 21.
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Raffinerie de zinc, Honshu, Japon, Yann Arthus Bertrnad, Vue du mont Fuji, Hiroshige
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Les catastrophes naturelles démontrent la force de la nature et c’est en saisissant toute cette puissance que les japonais ont développé une sensibilité certaines aux plus humbles et délicates manifestations de la nature.
Cette sensibilité pour la nature peut s’illustrer par les estampes minimalistes, à l’encre, des paysages chinois, jusqu’aux plus célèbres estampes d’Hokusai et d’Hiroshige, pour qui le paysage avec ses cascades, ses montagnes ses arbres et ses oiseaux était une source d’inspiration et de contemplation infinie. Ces peintres utilisant des couleurs crues et des lignes d’une précision véritable, captèrent l’extraordinaire vérité de toute manifestation de la nature et du temps, dans d’innombrables paysages afin de faire surgir leurs atmosphères propres et l’âme ineffable qui les habitait faisant écho au paysage intérieur qui nous est propre, méditatif. Cette sensibilité se manifeste, aujourd’hui encore, au quotidien dans la culture nippone, comme par exemple au travers de la langue. Ainsi un phénomène banal comme « la pluie » possède dans la langue nippone une dizaine de traductions possibles comme nous l’explique Augustin Berque :
« Telle pluie ne tombe qu'en telle saison, voire à tel moment de la journée, parce qu'elle est inséparable de tout un monde de sensations, d'émotions, d'évocations dont l'enchaînement plus ou moins codifié l'enclave dans un certains paysage. La langue japonaise reflète ces nuances. »
“kosame : petite pluie, bruine, crachin ôame :grosse pluie, averse hisame : cataracte, déluge jiame : pluie longue et régulière niwaka ame : ondée, grain, pluie soudaine et brève yûdachi : ondée vespérale en saison chaude 10
shigure : averse en début de saison froide gôu : déluge, pleuvoir à tombereaux kôu : “pluie bienfaisante” bakuu : “pluie des céréales” shûrin : pluies d'automne correspondant au retrait de la mousson hakuu : “pluie blanche” etc” 5
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Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice : Les japonais devant la nature, 1986, Editions Gallimard, p 24-25.
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Peinture à l’huile de Akihito Takuma,
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On découvre ainsi la grande sensibilité de la culture japonaise à la temporalité, aux saisons et au climat au regard des différentes traductions du mot. C'est alors une multitude d'univers et de potentiel d'interprétation de cette nature qui est révélée et stimule notre imaginaire, comme au travers de cette peinture d’un paysage abstrait de Akihito Takuma évoquant toute l’humidité omniprésente dans l’archipel nippon. De cette fascination de la nature est née la volonté de vivre en harmonie avec elle et notamment au travers du courant bouddhiste zen. C'est son essence même, la recherche de l'harmonie avec ce qui nous entoure, le temps, l'espace et l'expérience vécu.
Dans cette quête de l'harmonie s'est développé un certain nombre de pratiques et d'instructions visant à appliquer cette culture du zen dans les moindres instants de notre quotidien, de la question de l'entretien de la maison et du jardin en passant par la cuisine et l'architecture.
"Quand vous faites de la cuisine, ne regardez pas les choses ordinaires d'un regard ordinaire, avec des sentiments et des pensées ordinaires. Quand vous avez affaire à une matière grossière, ne la traitez pas sans égards, faites preuve avec elle d'autant de diligence et d'attention que si vous étiez en présence d'un objet précieux"7
Enfin en parallèle au développement du bouddhisme zen est apparu la pratique de la cérémonie du thé Chanoyu, ainsi que le développement d'une architecture permettant l'éveil de soi au cœur de la nature. C’est au sein de ces pavillons de thé que s’est dessinée une esthétique construite au cours du temps. En effet, c’est grâce à la succession des maîtres de thé et à la transmission de leur enseignement, que cette cérémonie du thé, de son déroulement à son environnement a été pensée de manière optimale et précise afin d’atteindre l’éveil de soi.
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Dôgen, Instructions au cuisinier zen, 1994, Editions Gallimard, p 18.
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2) Architecture et nature : la voie de l’harmonie :
L’expérience du pavillon de thé
En 1906, Kakuzö Okakura publie un ouvrage marquant pour comprendre un pan esthétique et spirituel de la culture japonaise « Le livre du Thé ». Après une expérience de sept ans dans un temple bouddhiste, cherchant à parfaire sa connaissance des classiques chinois, il s’est tourné vers les arts japonais. Ayant la volonté de faire découvrir cette culture orientale en occident il publie alors ce célèbre ouvrage. Dans « Le livre du Thé », Kakuzö Okakura dresse un chapitre concernant la chambre de thé et la cérémonie du thé. Cette chambre du thé (Sukiya) nous est décrite comme étant qu’une simple maison de paysan. Mais au fil du temps, des pratiques chinoises originelles et de son écriture en Kanji (symboles) elle a pu être réinterprété de plusieurs façons qui ont toutes laissé une empreinte dans l'esthétique japonais. Cette maison de thé peut être envisagée comme étant :
La Maison de la Fantaisie par son caractère éphémère et le fait qu’elle n’a pour influence dans sa conception que l’humeur de l’hôte et les saisons : « Bâtie pour servir d’asile à une impulsion poétique ». (p.25) La Maison du Vide car permettant l’éveil de l’esprit et la méditation, elle ne dispose d’aucun ornement superflu. Elle peut cependant accueillir les plus simples objets propices à la méditation, où satisfaisant « un caprice esthétique passager » (Ikebana, calligraphie). Enfin la Maison de l’Asymétrique car elle vient se confronter à la beauté naturelle, l’empreinte de la nature sur notre environnement, sur les objets. C’est le lieu qui révèle la beauté de l’inachevé, du rugueux, de l’imparfait, de l’accident qui font sens dans notre imaginaire. 13
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Grange traditionnelle dont le type a servi de modèle pour les pavillons de thÊ wabi-sabi, Leonard Koren
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Concernant la cérémonie si son apparition exacte reste incertaine, elle était depuis des siècles, un art. Elle était même le point de convergence de plusieurs formes artistique comprenant l’architecture, l’art des jardins, l’ikebana (art concernant l’arrangement floral), la peinture, la cuisine ainsi que la célébration rituelle. L’hôte avait alors pour tâche à partir de toute ces pratiques de créer, susciter un évènement artistique avec une thématique cohérente afin d’atteindre la voie du thé : Chanoyu.
« Dans l’idéal, la cérémonie du thé était un rituel structurant complexe auquel toute personne présente était censée participer. Un peu comme une composition musicale de John Cage, dans laquelle ne sont notées que les instructions de base spécifiant la procédure à suivre, chaque nouvelle cérémonie créait de nouvelles circonstances artistiques dont résultait une nouvelle « pièce ». » 9
Tout cette pensée artistique menait à concevoir l’esprit du wabi-sabi. Cependant chaque cérémonie étant soumise à de nouvelles variations depuis des siècles, la cérémonie avait atteint un haut degré de complexité dans son déroulement, paradoxalement à l’esprit de simplicité et de tranquillité auxquelles elle devait amener. C’est avec Sen no Rikiu, au XVI ème siècle, que la forme de la cérémonie se simplifia et ce codifia.
Léonard Koren, Wabi-sabi à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes, 2015, Editions Sully, p 90-91. 9
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Le pavillon de Rikiu :
Le premier pavillon de thé fût créé au XVI -ème siècle par Sen Rikiu (1522-1591), le plus célèbre maître de thé. Ce pavillon de thé avait pour origine, non pas un pavillon, mais uniquement un espace séparé par des cloisons dans une partie du salon de l’habitat traditionnel - Kakoi, il était séparé du reste de la pièce par des paravents en papier de riz - shoji. Mais pour Rikiu, la cérémonie du thé avait besoin de plusieurs espaces, adapté à un rituel bien précis, hautement réglé jusque dans son architecture. Cela commence dès l'entrée de la parcelle, où se trouve un portique (Machiai) et où les invités attendent que l’hôte les accueille avant de pouvoir rejoindre la chambre du thé – Sukiya. Pour traverser le jardin zen (Roji) renfermant le pavillon de thé, il faut emprunter une allée pavée de pierres disposées de façon à ce que chaque pas soit un moment de concentration dans l’approche de la méditation. On est alors attentif à chaque pas que l’on fait vers le pavillon, mais c’est aussi un moment de contemplation du jardin et un éveil à la pureté et la simplicité de notre environnement. Ces jardins peuvent également susciter la solitude et simuler l’ermitage propice au recentrement de soi des maîtres de thé. Ces derniers s’inspirent d’une chanson traditionnelle pour concevoir les Roji : « Je regarde au-delà ; Il n’y a point de fleurs Ni de feuilles colorées. Sur le bord de la mer Il y a, solitaire, une maison de paysan, Parmi la lumière défaillante D’un soir d’automne. »10
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Okakura-Kakuzo, Le livre du thé, 1927, A. Delpeuch, p 92 – Chant traditionnel
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Axonométrie du pavillon de thé de Sen Rikiu Photographies du pavillon de thé de Sen Rikiu
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A l’extrémité de ce Roji on se retrouve face à l’ultime passage pour pénétrer au cœur du pavillon, c’est le Cha no yu. C’est une petite ouverture dans le mur qui oblige le visiteur, quel que soit son statut, à s’incliner face vers la terre et faire preuve d’humilité en entrant. Puis une fois à l’intérieur, c’est la coupure avec le monde extérieur, aucune paroi amovible ne permet de profiter de l’extérieur. Aucune lumière directe, les avancés du toit brisent les rayons du soleil sur les parois. A l’intérieur tout est dans des teintes naturelles, discrètes et chaleureuses. Les invités eux-mêmes doivent faire corps avec le lieu en se revêtant d’habits aux teintes du pavillon préférant la toile comme tissu, à la. On fait alors face à un espace réduit à une simplicité totale, des murs, un toit et des tatamis en guise de sol. Le pavillon Sukiya extrêmement normé se compose de la chambre de thé dimensionnée par 4 tatamis, destinés à recevoir un maximum de cinq personnes, ainsi que d’une antichambre où les ustensiles sont préparés avant le service du thé. Rikiu limite à l’intérieur les objets et ornements, préférant une calligraphie à une estampe, et des bols en terre crue ou un arrangement floral Ikebana. Le vide doit révéler la beauté du lieu. Seul un objet d’art particulier peut ainsi permettre de reconnaître ce potentiel. C’est alors le seul objet autorisé ne faisant pas partie des ustensiles de préparation. L’hôte peut ainsi montrer son intérêt pour l’art de façon minimale et faire écho à la cérémonie et sa dimension temporelle à la manière d’un haiku.
« La justesse du haïku (qui n’est nullement peinture exacte du réel, mais adéquation du signifiant et du signifié, suppression des marges, bavures et interstices qui d’ordinaire excèdent ou ajourent le rapport sémantique), cette justesse a évidemment quelque chose de musicale (musique des sens, et non forcément des sons) : le haïku a la pureté, la sphéricité et le vide même d’une note de musique ; c’est peut-être pour cela qu’il se dit deux fois, en écho ; ne dire qu’une fois cette parole exquise, ce serait attacher un sens à la surprise, à la pointe , à la soudaineté de la perfection ;
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le dire plusieurs fois, ce serait postuler que le sens est à découvrir, simuler la profondeur ; entre les deux, ni singulier ni profond, l’écho ne fait que tirer un trait sous la nullité du sens. » 13
C’est ainsi selon l’humeur et la saison et les événements que l’évocation de l’art prendra différentes formes et changera aussi souvent que nécessaire afin de révéler une instantanéité et la profonde beauté de la nature qui enveloppe cette cérémonie. C’est ensuite une succession de protocoles et de gestes minutieusement réglés chorégraphiés et répétés pour dilater le temps, rendre compte de la beauté des gestes les plus simples et quotidiens (le nettoyage des ustensiles, le versement de l’eau, de la poudre de thé). Chaque geste minutieusement et mécaniquement répété, permet de ne pas être distrait par des prises de décisions. Comme dans la croyance du zen, c’est le corps et non le langage qui permettrait d’atteindre la connaissance de soi. Il faut ainsi que les pratiquants de cette cérémonie, les Chajin, s’imprègnent du présent, de chaque étape de ce protocole minutieusement établi au travers de chaque intervention. Cette appréciation d'une certaine temporalité, du présent se fait également au travers de l’échange. Lorsque l’hôte rentré après son ou ses invités aura procédé au service du thé, ce sera à ce dernier de le servir en retour suivant le même rituel. Cela permet ainsi à chacun d’eux de pouvoir contempler chaque séquence de ce savant service ancestral.
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Roland Barthes, L’empire des signes, Edition originale : 1970, réédition de 2007, Editions du Seuil, p. 103
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Ikebana, Arrangement floral de Kawase Toshiro Photographie de la cérémonie du thé
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Durant cette cérémonie c’est finalement l’ensemble des sens qui est interpelé : La vue, pour contempler les matériaux enveloppants de cette cérémonie, la lumière sur les bois patinés et les pierres brutes ; le toucher par la manipulation des différents objets conçus en terre pour les bols, en bambou pour la cuillère ou encore le tissu permettant d’essuyer les ustensiles. Tout cela dans un silence enveloppant que seul le bruit de l’eau bouillante vient troubler avant de finalement déguster le thé vert préparé avec tant de soin et de précision. C’est une véritable expérience du corps en osmose avec l’instant, et l’environnement au travers de l'architecture.
« Fais un délicieux bol de thé ; dispose le charbon de bois de façon à chauffer l'eau ; arrange les fleurs comme elles sont dans les champs ; en été, évoque la fraicheur, en hiver, la chaleur ; devances-en chaque chose le temps. Prépare-toi à la pluie. » 16
Ce pavillon est une traduction artistique précise de l’état du zen propice à la méditation et à la cérémonie.
Cependant si cette construction ne se détache pas à première vue d’une habitation traditionnelle, c’est un bâtiment d’une taille humble, avec des matériaux rustiques qui doivent évoquer le refuge, la pauvreté raffinée, c’est que précisément dans la conception du zen l’imperfection contient la beauté véritable. La recherche de la perfection est plus importante que la perfection en elle-même. L’imperfection et l’inachevé sont des caractéristiques physiques de ce qui relève de la beauté profonde de la nature.
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Sen No Rikyû 21
Ces matériaux d’apparences fragiles, tenus, imparfaits, toit de chaume (Sôan), frêles poteaux de bambou, matérialités primitives, s’installent et s’incarnent dans l’esprit du visiteur. Ainsi « la véritable beauté, seul peut la découvrir celui qui mentalement a complété l’incomplet ». C’est l’état d’esprit du Wabi.
« Dans la chambre de thé appartient à chaque invité de compléter par l’imagination, selon ses goûts personnels, l’effet de l’ensemble. » 17
Même si cela à l’air de relever d’installations primitives simples, la réalité en est tout autre. La mise en œuvre de ces matériaux et leur choix (pour leur patine) est très réfléchie et complexe. Ainsi ce pavillon modeste coûte davantage qu’une habitation traditionnelle par le degré de précision qu’il requiert. Ils exigent un entretien, une manipulation des plus fines. C’est pourquoi les artisans de ces pavillons de thé forment une classe à part et se distinguent par leur savoir et leur techniques délicates et précieuses. Ainsi ce rapport au corps et aux manifestations essentielles de la nature dans le choix des matériaux et leur assemblage, la temporalité de la cérémonie et ces pratiques ont pour finalité un espace propice à la méditation, la recherche d’une essence de la beauté au travers de la nature. C’est également au travers de cette cérémonie un temps, suspendu, permettant de se révéler à soi son paysage intérieur à travers des projections entre le signifiant et le signifié. Cette expérience de la cérémonie est à l’origine de ce concept du Wabi-sabi.
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Okakura-Kakuzo, Le livre du thé, 1927, A. Delpeuch, p 102
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Surface d’un mur d’entrepôt portant la marque de temps passé, Leonard Koren
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II) L’univers du wabi-sabi
1) Une définition ?
« On saisit l’essence la plus pure d’une règle ou d’un concept en le comprenant dans sa totalité. »19
Le wabi-sabi bien que décrit dans le « livre du thé », n’est jamais clairement nommé dans l’ensemble du discours de Kazukö Okakura. De même que pour l’ensemble des japonais bien que comprenant l’expression, ils ne peuvent en donner une définition précise. Ce terme « wabi sabi » est une expression contemporaine apparûe suite à la parution de l’ouvrage dans des revues et livres concernant la cérémonie du thé et la culture japonaise en général. Il est utilisé aussi bien par les étrangers que les japonais eux-mêmes. Malheureusement les essais sur la définition de ce therme n’ont jamais été aboutis.
Leonard KOREN, architecte de formation, a publié alors un livre intitulé : Wabi-sabi à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes, en 1994. Il tente dans cet ouvrage de nous édifier « un système signifiant » du wabi-sabi. Bien que recherchant dans cet ouvrage la compréhension immédiate du wabi-sabi, l’auteur dès le premier chapitre prévient :
« Certains critiques japonais sont d’avis qu’il faut entretenir son caractère mystérieux et imprécis (difficile à définir) parce que l’ineffabilité fait partie de sa spécificité. Le wabi-sabi est à leur sens un repère téléologique (une fin en soi) qui ne peut jamais être réalisé entièrement. De ce point de vue, l’absence de définition n’est jamais qu’un aspect de son inhérente « incomplétude ». 19
Léonard Koren, Wabi-sabi à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes, 2015, Editions Sully, p 86.
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La clarté ou la transparence n’étant pas une qualité essentielle du wabi-sabi, vouloir expliquer celui-ci pleinement risquerait, en fin de compte, d’être réducteur. »20
Ainsi bien qu’étant une expression reconnue et indéfinissable clairement, il faut pour percevoir son âme ineffable en comprendre ce qui la construit, son enveloppe, sa surface, ce qui la contient et laisse apparaître son essence même. Le wabi-sabi peu s’assimiler à un mode de vie, basé sur l’expérience de l’ermitage du bouddhisme zen. Ce mode de vie suit ces quelques fondements comme nous l’explique Leonard Koren :
« Fondements métaphysiques : -Soit les choses se détériorent jusqu’au non-être, soit elles se développent à partir du non-être. Valeurs spirituelles : La vérité découle de l’observation de la nature. La grandeur réside dans les détails discrets et négligés. La beauté peut être obtenue à partir de la laideur.
Etat d’esprit : Acceptation de l’inévitable Perception de l’ordre cosmique.
Préceptes moraux Se défaire du superflu. Se concentrer sur l’intrinsèque et ignorer toute hiérarchie entre les matériaux. » 21
Bien qu’indissociable les deux termes wabi et sabi ont étymologiquement des sens différents.
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Léonard Koren, Wabi-sabi à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes, 2015, Editions Sully, p21 Voir même référence ci-dessus, p 46.
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2) Le wabi :
Le wabi désigne la solitude et la pauvreté volontaire de l’ermite vivant seul dans la nature. Celui-ci souhaitant s’isoler du reste de la ville, de la société. L’expérience de l’ermitage permettait aux esprits ouverts à la poésie de redécouvrir la beauté de l’existence et de l’instant au travers de la nature.
« La notion de wabi, à l’origine, exprimait un état de manque, d’imperfection, ou les sentiments négatifs qu’appelait un tel état. Le terme évolua vers la fin de l’époque Heian (794-1185) pour se doter d’une connotation positive : une impression de beauté se trouvait justement provoquée par cette imperfection ou ce manque, rejoignant une certaine tradition esthétique qui existait déjà au Japon et appréciait la beauté simple, pauvre et dépouillée, mais dotée d’un pouvoir évocateur » 22
Pour Kôshirô Haga (1908-1996), historien et auteur de « The wabi Aesthetics through the Ages », wabi signifie « frustration », « dépouillement » et « sobriété ». Le wabi porte la marque de l’absence. Pour Alain Delaye, auteur de « Les fleurs dans l’art et la vie »,
« le wabi c’est le raffinement dans la simplicité, l’élégance rustique, la noblesse sans sophistication, la beauté réduite ou plutôt ramenée à sa simplicité essentielle »23
Cette idée du dépouillement inspirée par l’expérience de l’ermitage, et du refus de la richesse matérielle et du luxe s’expriment notamment dans la matérialité. C’est en effet la matérialité et l’univers convoqués par le pavillon d’ermitage qui a nourri la formalisation du pavillon de thé.
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Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice : Les japonais devant la nature, 1986, Editions Gallimard, p 258 Sous la direction de Jean-Marie Bouissou, Esthétiques du quotidien au japon, 2004, Editions du regard, p.41
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DĂŠtail de mur de pisĂŠ, au Mali,Cindy Palermo
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Comme évoqué précédemment la matérialité de ce pavillon semble composé de matériaux fragiles, un assemblage de matériaux locaux : branches, fibres, chaume, pierre, terre. Les matériaux ne portent la trace de l’homme que par leur assemblage en abris. Mais ils ont la particularité étant issu de la nature environnante d’avoir des qualités plastiques identifiables constituteurs de l’univers du wabi. Ils ont la singularité d’être tous différents les uns des autres de par leur expérience de vie, d’apparitions et de transformations qui ont façonnés leur irrégularité. S’opposant tout comme l’ermite à l’idée de l’industrie, omniprésente dans nos sociétés, de recherche de performance et d’uniformité, ils constituent une forme de beauté à part entière.
« Souvent étranges, difformes, inélégants ou laids au goût de beaucoup. Ils peuvent présenter des traces d’accident, tel un bol qui s’est brisé et dont les morceaux ont été recollés. »25
Ces matériaux portent l’empreinte du hasard, de l’évènement. Quoique détenant une forme de spontanéité par leur vérité formelle, ils ne sont jamais pour autant clinquant et « tape à l’œil ». Ils font plutôt encore une fois écho à la vie de l’ermite, une empreinte modeste et sans autorité ou hiérarchie quelconque sur leur environnement. Ils coexistent avec leur milieu. Ainsi un objet wabi-sabi venant d’un artisan reconnu, conservera cet esprit, l’homme en s’effaçant derrière son objet et en restant anonyme pour ne lui donner une quelconque valeur.
En proie à ne faire qu’un avec la nature, et soumis à l’irrégularité, la rugosité, de nombreux objets artisanaux dans l’esprit du wabi sabi, sont confectionnés en terre cuite tout comme les murs des pavillons de thé traditionnels. La terre conserve ainsi sa surface brute et sa couleur d’origine et ne semble ainsi n’avoir subi aucun traitement de la part de l’homme.
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Léonard Koren, Wabi-sabi à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes, 2015, Editions Sully, p.74
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Si le wabi convoque une matérialité brute, il fait d’avantage appel à l’immatérielle, le flou, le vague, la dilution, et notamment l’ombre.
« Ce qui fut d’une solide matérialité prend un aspect spongieux ? Des couleurs qui furent brillantes et saturées perdent de leur intensité et cèdent la place à des tons évoquant la glaise, ou les teintes grises de l’aube et du crépuscule. »26
Ici on révèle la dimension mystique et raffinée de l’ombre. Cette ambiance est également relatée dans le célèbre ouvrage « l’éloge de l’ombre » de Junichirô Tanizaki.
« Ce que l’on appelle le beau n’est d’ordinaire qu’une sublimation des réalités de la vie, et c’est ainsi que nos ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l’ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l’ombre en vue d’obtenir des effets esthétiques. En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire. » 27
Dans cet ouvrage il y dépeint l’ambiance traditionnelle esthétique des maisons japonaises et leur relation avec l’obscurité et la lumière. Du jeu des cloisons en papier de riz (shoji) filtrant les rayons éblouissant du soleil, à la lueur des pierres de jade, il construit sa réflexion sur l’application de ces principes esthétiques vis-à-vis de notre contemporanéité.
« Le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre. »28
Léonard Koren, Wabi-sabi à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes, 2015, Editions Sully, p.78 Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre, 2011, Editions Verdier, p. 43-44 28 Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre, 2011, Editions Verdier, p. 64 26 27
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Cette volonté de se complaire en restant dans l’ombre, est l’essence du wabi à rester simple, sobre et sans éclat. Passer par l’expérience de l’ermitage et du wabi encore une fois vise à un recentrement sur soi et son environnement. Mais cela se fait par l’intériorité et le rapport à l’intime. Le wabi possède une dimension modeste, visant à se rapprocher de nos sens olfactifs, et de son propre « être » dans l’instant. Cela invite à se rapprocher physiquement des représentations du wabi, contempler les choses les plus humbles. Cela rappelle aussi la formalisation de petits espaces de 4 tatamis pour constituer un pavillon de thé. Ce sont des espaces sans prétention, tourné vers l’intérieur, retirés, ternes. Les couleurs chaudes des matériaux brutes favorisent l’intériorité et l’apaisement. Cette empreinte du désir d’intériorité à également marqué les japonais dans leur rapport au paysage comme l’exprime Augustin Berque :
« la métaphore de l’enveloppement domine de nombreux essais sur le paysage, où la nature est clairement assimilée à une matrice. Wakimizu, par exemple, donnait la note quand il jugeait que « la beauté, l’avantage des paysages de montagne nippons ne résident pas dans l’altitude, la forme et le panorama des cimes, mais dans les vallées » (cité p. 105 in KATSUHARA, op. cit. ci-dessus, n. 1 p.2016). Véritable négatif donc : ce qui compte dans la montagne, ce n’est pas la hauteur c’est la profondeur ; ce n’est pas la lumière, c’est l’ombre. »29
Paradoxalement même si ces espaces suggèrent et installent une forte intériorité dans ce type de bâtiments, la nature environnante n’en est pas moins écartée grâce à l’intériorisation du paysage au travers des matériaux locaux. Ces dispositifs accompagnent eux même celui qui fait l’expérience du wabi, vers une introspection révélant ses propres paysages intérieurs. C’est l’expérience de l’immatériel, la voie de la rêverie. Cela donne une richesse et une multitude de niveaux de lectures de son être intérieur et des représentations du wabi.
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Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice : Les japonais devant la nature, 1986, Editions Gallimard, p 225
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Ces notions que convoquent le wabi trouvent un véritable écho avec le travail de Pierre Soulage. Influencé par une expérience primitive, rustique entre l’homme et la nature, au travers des dessins préhistoriques en charbons sur la paroi des grottes, il c’est construit une réflexion très proche du wabi-sabi. Partant d’une surface et en dessinant par-dessus celles -ci des motifs à la peinture noir, il révèle la lumière par l’obscurité. Les infimes particules de lumières rasantes au tableau s’accrochent aux irrégularités. En nous rappelant l’univers de l’éloge de l’ombre, il conçoit tous ses tableaux au travers du reliefs, des irrégularités dû au hasard de ces mouvements, de ses outils ou encore au travers des matières qu’il utilise :
« Les matières [que j’utilise] sont proches de ce qui m’est fraternel : la terre, les pierres, les vieux bois, le goudron, le fer rouillé […] Je les ai toujours préférées aux matières lisses, unies, pures et sans vie. […] Cette rudesse contient aussi de grandes subtilités »30
Cette profondeur suscite alors des images dans l’esprit du spectateur et fait lien entre la matière et l’esprit. Ainsi dans le même esprit que le wabi-sabi, pour P. Soulage :
« une peinture est une organisation, un ensemble de relations entre les formes, lignes, surfaces colorées, sur lequel vient se faire et se défaire le sens qu’on lui prête »31
De plus ces traces sur la surface de chaque tableau n’ayant aucune hiérarchie font état d’une instantanéité. On ne cherche pas à deviner la hiérarchie ou le processus ayant abouti à l’œuvre que l’on regarde. C’est un effet d’ensemble qui est produit. La temporalité du tableau passe par le temps de contemplation de son spectateur en quête de sens. Ces tableaux sont une structure pour la pensée. Ils permettent une médiation sensuelle au travers de lignes et de formes assemblées sous la lumière. Il
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Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages Pierre SOULAGES, 1948, Catalogue de l’exposition, Grosse Französischer abstrakter Malerei Ausstellung,
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produit alors un espace entre la peinture et le spectateur, un entre deux propice à la méditation.
Mais toutes ces expériences que l’on peut faire du wabi ne font sens qu’au travers de la relation au sabi. 32
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Peinture, P. Soulage, 202x452 cm, 29 juin 1979, Diptyque, Huile sur toile Peinture, P. Soulage, 57 × 81 cm, 9 mars 2014, Acrylique sur toile
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3) Le Sabi :
« Le sabi représente la patine du temps, le renoncement à l’éclat de la beauté première, la résignation du temps qui s’écoule inexorablement. » 34
C’est la vision d’un autre aspect de la nature que le sabi traite, celui du temps. En effet, c’est l’inclination au caractère éphémère de la vie. C’est le dépassement de cette néfaste destinée et la recherche des traces du passage de la vie passée et présente. Dans la nature, les matériaux qui la constituent sont tous emprunt des traces de l’expérience de leur vie. Ils sont marqués par l’humidité, le climat, la lumière, le vent. Le bois change alors de couleurs s’assombri, le fer s’oxyde et rouille, les pierres se recouvrent de mousse, la végétation se développe. Des évènements et des accidents viennent également raconter une temporalité à la surface des matériaux comme des fissures, des ébréchures, des rayures, toutes sortes de marques dues au hasard. Les fibres sèchent, la pierre se poli, la matière se désagrège pour tendre à changer de forme. Ces nouvelles apparences dégagent alors une esthétique nouvelle, une autre forme de beauté au travers de l’usure. Ce sont ces transformations et la traces du temps qui sculptent également les irrégularités caractéristiques qui renvoient au wabi.
Cela justifie également l’utilisation de la paille, du bois dans les constructions des pavillons de thé car cela donne un véritable caractère éphémère au pavillon. On suggère alors que comme cette nature le bâtiment est périssable, et s’incline face au temps qui s’écoule. La terre comme matériau de construction est également le support de cette patine du temps à travers les différentes techniques de constructions qui laissent lire la mise en œuvre du bâtiment uniquement à partir de la surface.
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Sous la direction de Jean-Marie Bouissou, Esthétiques du quotidien au japon, 2004, Editions du regard, p.41
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Les matériaux ajoutés à ces murs en terre se laissent également découvrir par une lente érosion. Fibres et granules fabriquent des irrégularités sur les murs et captent chacun selon leur qualité propre la lumière.
« Des branchages Assemblez et les nouez Voici une hutte Dénouez-les vous aurez La plaine comme devant »35
Il est un autre facteur de la patine du temps, qui ne soit dû à l’usure naturelle. C’est la trace de l’homme, de sa vie sur les matériaux, leur utilisation, le frottement régulier, la rayure. Pour certains architectes contemporains comme Peter Zumthor, la pratique du bâtiment dans le temps et son usure est à prendre en compte vis-à-vis notamment du choix des matériaux :
« I am convinced that a good building must be capable of absorbing the traces of human life and taking on a specific richness… I think of the patina of age on materials, of innumerable small scratches on surfaces, of varnish that has grown dull and brittle, and of edges polished by use. » « Je suis convaincu qu’une bonne construction doit être capable d’absorber les traces de la vie de l’homme et d’en faire une richesse spécifique…Je pense à la patine de l’âge sur les matériaux, aux innombrables petites égratignures sur les surfaces, au vernis devenu terne et cassant, et des bords polis par l'utilisation. »36
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Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre, 2011, Editions Verdier, p. 63 http://archeyes.com/summer-restaurant-ufenau-island-peter-zumthor/ , Peter Zumthor, Summer Restaurant in Ufenau Island, Mars 2016, article de archeyes.com 36
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Entrée de l’atelier de Peter Zumthor, marqué par le temps qui s’écoule
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Atelier de Peter Zumthor, au cœur du paysage Suisse, à Haldenstein
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C’est également la vision que porte Tadao Ando lors de l’élaboration de ces projets. Pour lui la nature se révèle par l’acte de construire, cela met en lumière tout l’univers organique qui interagie avec elle.
« Il ne s’agit pas d’utiliser la géométrie pour réguler et soumettre la nature environnante ; il convient de l’employer pour faire surgir de ses stricts contours le visage vrai de la nature et de réintroduire celle-ci dans l’existence humaine. » ... « A partir de cette réflexion, des lignes géométriques audacieuses et délicates furent tracées sur la pente recouverte de végétation sauvage. ». Pour Tadao Ando : « Chaque terrain est un champ de forces particulier ». La géométrie est un moyen de les révéler, de « sentir la force du lieu qui sommeille »39
Cette prise en compte du temps et son questionnement dans l’architecture, que se soit dans l’élaboration, la construction ou la vie du bâtiment, est nécessaire à l’heure du tout numérique. Dans une époque où la recherche de la performance, de la rapidité et de la durabilité est plus que jamais d’actualité, certains concours d’architecture interroge ses problématiques et sa relation avec notre environnement.
C’est notamment le cas pour le concours LIXIL encadré par Kengo Kuma. Au travers de ce concours un projet démontre d’un regard plus technique une réflexion sur la dégradation et la trace du temps dans une architecture : « A Recipe to Live »
Dans ce projet, des étudiants de l’université de Waseda, ont expérimenté une maison ou l’action du temps et de la dégradation des matériaux influe à la fois sur l’esthétique et la modénature générale de la maison mais également concernant ces performances thermiques. En effet ces murs sont composés d’étagères comportant des caissons transparents contenant de la paille sèche.
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Tadao Ando, Partir de la topographie, 1993, dans Yann Nussaume, Tadao Ando et la question du milieu, Le Moniteur, Paris, 2000, p. 249
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Cela est entièrement pensé afin de réguler l’ambiance thermique interne : En été, les blocs herbes fraîches seront mises sur les étagères et libéreront de la fraicheur et de l'humidité dans la maison en séchant. Puis la paille sera ensuite compostée dans des caisses en acrylique à l'intérieur de la maison pendant l'hiver et afin de pouvoir chauffer la maison jusqu'à 30 degrés Celsius pendant quatre semaines grâce à une technique de compostage japonaise n’émettant qu’une très faible odeur : «bokashi ». Ce processus à l’avantage d’être très économique car ne faisant appel à aucun moyen technique particulier et car ne nécessitant un changement de palle qu’une fois par an. Enfin le projet n’utilisant que du bois et la paille récoltée aux alentours confère une intégration parfaite à son environnement et caractère éminemment wabi-sabi.
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A Recipe to Live' Straw House, projet construit dans le cadre du concours lixil.
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A Recipe to Live' Straw House, projet construit dans le cadre du concours lixil.
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Le Sabie enfin est le nom de l’organisation d’une école du thé, qui a notamment élaborés les nombreux ustensiles de la cérémonie du thé. Cette école prônait une inspiration de la tradition et une recherche de l’élégance et du raffinement. Sabie a pour origine sa- qui signifie = thé, -bi signifiant beauté et -e signifiant rencontrer. Ainsi le sabie : « rencontrer la beauté du thé » nous renvoie à son tour à l’univers esthétique du thé à savoir le wabi. Mais en portant une attention particulière à la rencontre, au processus, au chemin permettant d’accéder à cette beauté.
4) Libre et changeant :
Ainsi l’univers du wabi-sabi fait appel à un grand nombre d’idées ainsi qu’à une certaine plasticité. L’idée du wabi-sabi est l’idée d’un corps organique, composées d’une structure élémentaire portant une peau infime. Ces formes organiques renfermant une intériorité qui nous est propre révélant notre expérience de la nature et de l’instant. Un objet construit sur des incertitudes, des évènements, portant l’empreinte du temps et nous faisant prendre conscience de la beauté du présent et de notre environnement proche. Tout un univers d’osmose entre une architecture, le corps, l’instant, et ce qui nous entoure. Cette importance de l’instant présent ce manifeste également par la révélation de la beauté du quotidien et des choses les plus modestes et humbles qui ne semble plus donner d’intérêt à la majorité du monde. Ainsi l’architecture à un rôle majeur dans cet équilibre puisqu’elle est le nœud de toutes ces interactions entre l’homme et son milieu. Si l’on peut discerner une intuition quant au caractère propre au wabi-sabi, on ne peut véritablement la saisir. Le wabi-sabi s’éveil dans l’ambiguïté et la contradiction, de chacun qui tente de le cerner véritablement. Cependant si cette esthétique est par essence ineffable, il existe paradoxalement des exemples d’architectures recélant cet esprit nippon du wabi-sabi. 40
III) Analyses de projets : Le wabi-sabi, mystérieux esthétique japonais bien que très rarement évoqué à bel et bien marqué l’univers des arts au Japon mais également de l’architecture. Au travers de l’étude de quelques projets suggérant un esprit wabi-sabi, nous allons étudier quelle pensée à conduit les architectes à de tels résultats malgré une inconscience presque certaine de l’esprit nippon qui les habites.
1) Piscine de Mer à Leça de Palmeira, Alvaro Siza :
Ouverte en 1966, cette célèbre piscine dessinée par Alvaro Siza à Leça est un projet bien que portugais faisant écho au pavillon de thé et notamment à la notion de wabisabi.
Tout d'abord concernant son site, puisque comme les japonais, Siza porte une grande attention à son environnement. Il étudie minutieusement chaque site où il aura à intervenir, afin de ne pas défigurer le paysage dans lequel il s'implante et d'intégrer volontairement le mieux possible ses projets dans leur contexte. Dans le cas de cette piscine de mer dont il a la commande, lorsqu'il visite le site pour la première fois, il à découvert une côte rocheuse faisant face au aléas variés de l'Atlantique. Ce paysage a depuis toujours été sculpté par la mer, le vent et les embruns. Pour le pratiquer il faut faire attention à chaque pas, prêter attention aux roches qui induisent un parcours lent du site.
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Plan et coupe de la piscine de Siza Photographie de la piscine de Siza, Sofia Balters
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DÊtails d’assemblages du toit en bois, couvrant les vestiaires de la piscine
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Durant cette visite du site au milieu des rochers Alvaro Siza à découvert de nombreuses retenues d'eau dût aux rochers. Pour lui c'est alors une évidence il faut se servir de ce qui est déjà présent sur le site pour minimiser son intervention. Il souhaite alors un projet ou les rochers constitueraient un maximum la retenue d'eau de la future piscine de mer. Il va à l'essentiel de son projet à savoir dessiner une piscine ayant une retenue d'eau sachant que déjà des roches jouent ce rôle. Ainsi étudiant la topographie du site et la disposition des roches l'architecte dessine son plan accompagnant les lignes de topographie. Les tracés francs et droits du projet s'inclineront toujours face à la présence de la falaise. Il se construisit alors un dessin aux formes dissymétriques dictées par la nature et révélées par l'architecte. Mais pour parfaire cette intégration du projet dans le site il décide d'inscrire l’entièreté du programme dans le sol afin que depuis la route et les terres plus intérieures on puisse jouir de la vue sur l’horizon malgré la présence de la piscine.
Ce projet illustre aussi parfaitement la notion de wabi à savoir l’ombre, le vide, la simplicité des matériaux. C’est ainsi que dans un désir d'intégration du site de sa piscine épousant le profil des roches de la cote, il choisit d'utiliser le béton et le bois. Il voulut par le béton rappeler la rugosité, la masse des rochers, la plasticité du site. Et tout en utilisant du bois pour les vestiaires et tous les espaces individuels auxquels il pourra aisément intégrer le mobilier et entretenir le bâtiment dans le temps.
La temporalité est en effet un autre élément qui a fortement son empreinte dans ce projet. Tout le parcours depuis la route jusqu'aux bassins donnant sur l'horizon en passant par les vestiaires obscurs qui entrecoupent la vue de l'horizon ont été pensé comme une véritable promenade séquencée. Si le trajet semble tout tracé par les grandes lignes des parois de béton patinées par les embruns et longeant la mer, le visiteur pénétrant dans la pénombre découvrira une configuration de parcours plus complexe induisant des retournant, des contournements pour arriver aux bassins. 44
Une fois devant ces bassins il découvre l'horizon infini et la ligne de la cote s'étendant jusqu'à lui c'est le cœur du projet. C'est un espace complètement ouvert sur le vide et l'infini de l'océan. Finalement le plan ainsi que l'ensemble des détails constructifs adapté au site appuient concrètement les potentialités de la notion de wabi-sabi dans l'architecture contemporaine.
2) Great Bamboo wall house, de Kengo Kuma, Pékin
Situé à proximité de la Grande Muraille de Chine, cet hôtel conçu par Kengo Kuma est un projet contemporain illustrant particulièrement bien quelques éléments du wabisabi. Kengo Kuma à la particularité d’essayer de faire disparaître son architecture avec l’environnement de ses sites de projet, il nourrit l’ensemble du processus de projet de sa compréhension du site afin qu’architecture et paysage ne soient plus dissociables. Situé dans un paysage avec un relief très marqué, et une végétation remarquable emblématique de la Chine, il a souhaité minimiser son intervention sur le site. Ce choix à été pensé en étudiant la Grande Muraille de Chine. Bien qu’elle soit une limite physique et ayant servie de ligne de défense pour le peuple Chinois, elle est remarquable par le lien qu’elle fait entre nature et architecture. Tout d’abord par ces choix matériaux, étant donné l’ampleur de la construction et la nécessaire « rapidité » de construction, l’essentiel des matériaux servant à la construction devaient être à proximité. Mais son implantation a également fortement inspiré Kengo Kuma. Cette muraille est une ligne qui souligne et accompagne tout le relief ondulant environnant. La Muraille n’est que posée dessus et tout son tracé est dicté par les crêtes et vallées qui ont construit ce paysage, la plaçant comme ligne d’horizon entre la terre et le ciel.
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Photographies de l’intérieur et l’extérieur du projet de Kuma Plan longiligne du projet faisant référence à la Grande Muraille de Chine
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Ainsi Kuma à souhaiter également ne pas façonner ce paysage par des interventions lourdes mais plutôt trouver une stratégie constructive permettant d’accompagner la topographie du terrain et révéler la beauté première de ce territoire. Il fallait trouver une construction permettant l’adaptation à ces différentes pentes du terrain. Il s’est alors dirigé vers la construction de son projet en bambous, plante « sacrée » symbolisant « le soleil » en Chine. Ce matériau est un choix pertinent pour de nombreuses raisons. Il permet de concevoir une trame régulière adaptable à la topographie puisque composé de centaines d’éléments dissociés qui composent une même structure, donc non contraint des creux et bosses du terrains. De plus ce matériau étant locale il représente une économie de matière grise et permet un dialogue évident avec le paysage. C’est à partir de cet unique choix matériel qu’il va alors concevoir un projet dans l’esprit wabi-sabi à la grande richesse architecturale.
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Intégration du projet dans son paysage naturel.
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Dans ce projet en bambou, nombreuses sont les résonnances avec le wabi-sabi. En effet quoi de plus primitif et rustique que ce choix de matériau traditionnel. Toute les maisons traditionnelles alentours en sont constituées. De plus son apparence fragile et frêle a séduit l’architecte dont la volonté était de limiter l’impact sur le site. Un bâtiment à l’allure fragile et frêle renvoie explicitement aux pavillons de thé ancestraux, à leur inclination face à la nature. En effet cette idée de savourer l’instant présent durant la cérémonie du thé peut se faire par l’utilisation de matériaux qui semblent être éphémère. Le bambou étant vivant, le temps va le travailler, le sécher, le craquer, le courber sous son propre poids. Cette poétique l’inclination au temps des matériaux intéresse l’architecte qui mit au point une structure en bambous mais contenant à l’intérieur de ses tiges porteuses une structure métallique invisible garantissant la stabilité du bambou malgré la patine du temps en surface. Ainsi tout le projet est structurellement constitué d’acier, invisible. Cherchant toujours une communion entre nature et architecture, le bambou permettait de concevoir des filtres pour construire les espaces tout en brouillant la limite entre l’intérieur et l’extérieur, en suggérant et dématérialisant les murs. En fonction du degré d’intimité des espaces, les tiges de bambous verticales sont disposées avec plus ou moins d’espacements afin d’obstruer la vue et contrôler la lumière et l’ambiance des espaces intérieurs. Il se fabrique alors une forêt artificielle, où la lumière et les lignes d’ombres captées par les tiges de bambous striées, vibrent à chaque déplacement pour se figer lorsque l’on tente de les contempler. Elle donne ainsi une autre lecture de l’éphémère, et de cette sensibilité de la résignation du temps qui s’écoule et invite à la lenteur et la contemplation de l’instant. On remarque dans le plan, les espaces de nuit et les espaces de jour qui sont séparés par une chambre de thé en son centre qui justifie l’esthétique fidèle wabi-sabi du lieu. Ce « salon de thé a été aménagé pour flotter à la surface de l'eau et a été conçu comme un espace où la nature et les êtres humains puissent s’unir en buvant du thé ».48
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Kengo Kuma, d’après le site internet de l’agence Kengo Kuma and associates, http://kkaa.co.jp/works/architecture/great-bamboo-wall/
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Pour accéder à cet espace dédié au zen, il faut traverser un bassin d’eau ou le ciel se reflète et s’entremêlent au travers de la finesse des filtres successifs. Pour cela on emprunte un chemin de pierre, le plus simple appareillage pour un passage que sont les pas japonais des jardins zen, avant d’arriver sur une petite plateforme métallique recouverte sur le sol de bambou et entouré encore de ces filtres. Cet espace à la différence des autres bien que propice à l’éveil de soit et la contemplation de son paysage intérieur, est en proie à la légère brise du vent ainsi qu’au seul son de la nature puisque non entouré de parois de verre comme le reste des espaces. C’est une architecture d’introspection, où sons contenu symbolique se manifeste à partir de la « peau » du bâtiment qui fait la médiation entre paysage intérieur et extérieur. Finalement se sont bien toutes les principales notions du wabi sabi qui sont convoquée dans ce projet que ce soit de l’ombre, l’élégance rustique, ou la patine du temps. Il se dévoile alors l’ambiance tant désirée par Kengo Kuma
Kengo Kuma est l’un des rares architectes contemporains avec Tadao Ando, ou Teunobu Fujimori faisant perdurer la tradition de la cérémonie du thé en réinterprétant et construisant encore aujourd’hui et partout dans le monde des pavillons de thé.
3) Chapelle Saint-Nicolas-de-Flue, Wachendorf, Allemagne, de Peter Zumthor
Cette chapelle « Bruder Klaus Kapelle », « Chapelle de frère Nicolas », à été commandé par un paysan du village de Wachendorf (situé à 50 kilomètres de Cologne) à l’architecte Peter Zumthor. Si ce projet peut s’analyser véritablement au travers de la notion de wabi-sabi c’est qu’il a pour fondement une histoire commune.
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Chapelle Saint-Nicolas-de-Flue, Wachendorf, Allemagne, de Peter Zumthor
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En effet cette église est dédiée à Saint Nicolas de Flue (1417-1487), juriste et père de famille qui partit s’exiler en ermite, afin de se concentrer exclusivement à l’exercice de la contemplation à Ranft en Suisse à la suite d’une vision mystique. Il édifia alors avec ses propres moyens une chapelle afin de pouvoir pratiquer son culte. C’est cette expérience de l’ermitage qui a inspiré ce projet tout comme le wabi-sabi.
Surplombant la vallée creusée par les rivières de l’Eifel, l’architecte a conçu avec des artisans et des agriculteurs locaux un lieu de recueillement et de contemplation du paysage. C’est une masse de 12 mètres de haut qui repose au milieu d’un des champs de l’agriculteur commanditaire. Ce monolithe vertical se dresse au bout d’un chemin et se présente à nous en un volume asymétrique à 5 faces, immobile, contrastant avec le caractère végétal et vallonée du site. Ce volume n’est cependant jamais appréhendable dans sa globalité tout comme son contexte. On ne peut lire ce volume et le dialogue qu’il entretiens avec son paysage qu’en se rapprochant, et en découvrant qu’elle invite par un banc périphérique à l’ouvrage à contempler le paysage et s’adosser à cette immense masse de béton afin de confronter le corps à la matière.
En avançant on découvre également que cette pierre est en fait une architecture et qu’elle contient un espace intérieur comme l’indique la porte d’acier qui fait alors face à nous. Cette porte en acier triangulaire est dirigée vers le haut nous invitant dès l’entrée à nous tourner vers le ciel. Elle semble également massive tout comme le monolithe avec l’épaisseur d’acier qu’elle suggère. Cependant à l’ouverture de cette dernière, il n’en est rien.
C’est un basculement, la masse devient légère, et le volume clair sobre extérieur de béton laisse place à un espace étroit sombre et rugueux, strié d’un bout à l’autre. Cette cavité nous recoupe du ciel par ses parois inclinées. L’ombre et l’obscurité des parois accrochent les quelques rayons de lumière servant à nous guider un peu plus vers l’intérieur de cette grotte. 51
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IntĂŠrieur de la chapelle
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En continuant le cheminement, l’espace étriqué laisse place alors à une nouvelle atmosphère. Les plans de béton inclinés s’ouvrent de nouveau vers le ciel dans un espace ovoïde moins étroit. L’oculus laisse inonder la chapelle de lignes de lumières et d’ombres, toutes tournées vers le ciel, et façonnant l’espace. Le ciel se présente également à travers d’innombrable taches de lumière provenant des trous laissés par le coffrage du béton (comblés par des bouchons de verre) et dessinant une voûte céleste, vitraux de cette chapelle de « Frère Nicolas ».
A l’intérieur de cette chapelle, la présence d’objet est minimisée. Un banc pour s’installer et profiter du cadre qu’offre cette chapelle pour se recueillir. La roue de médiation de Frère Nicolas Une statue de méditation de Frère Nicolas, situé en hauteur elle n’est pas beaucoup visible et s’efface au sein de la chapelle. Et un autel accueillant les bougies des visiteurs et pèlerins. Tous ces objets n’ont que pour vocation que d’inviter et se donner complètement à la méditation, et à devenir acteur du lieu et de l’atmosphère par le simple geste d’allumer une bougie. Ce dépouillement et cette atmosphère propice à la médiation résonne vis-à-vis du wabi-sabi.
Enfin la matérialité aboutissement et point de départ de la pensée du lieu, fait également écho à une approche wabi-sabi. En effet dans cette chapelle tout l’environnement est convoqué dans l’esprit du visiteur au travers de la mise en œuvre. N’ayant que peu de moyen pour construire et l’architecte souhaitant faire écho à l’expérience de l’ermitage de Frère Nicolas, le projet fût construit uniquement à l’aide de matériaux locaux.
En effet pour concevoir sa chapelle, Zumthor éleva 112 troncs d’épicéas de la vallée, disposé de façon à créer une sorte d’abris, de tipi formant le futur espace intérieur de la chapelle. Cette structure de bois fût ensuite utilisée comme coffrage perdu. En effet la masse extérieure en béton, composé de graviers de la rivière avoisinante fût coulé ensuite par strate de 50 cm d’épaisseur durant 24 jours consécutifs. Le béton de la couleur de la terre locale s’inscrivit alors parfaitement dans son propre paysage. 53
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Mise en Ĺ“uvre de la chapelle. Croquis de la chapelle de P. Zumthor 53 P. Zumthor sur le chantier de la chapelle. 52
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54Puis
afin de libérer l’espace renfermé à l’intérieur du béton, on brula pendant trois
semaines les troncs afin de ne conserver que leur trace et pour teinter en noir le béton à l’intérieur et d’y inscrire une ambiance et une odeur particulière. Cette référence au feu est particulièrement importante pour l’architecte car elle renvoie à tout un univers de la croyance et de la foi, et fait appel à une ambiance accueillante, la chaleur, la lumière. C’est pourquoi le sol à été fait d’un mélange de zinc et de plomb fondu et moulé à la louche par l’un des artisans locaux, créant ainsi de légères irrégularités. Ce sol vient alors convoquer l’univers du feu mais également de l’eau puisqu’il est légèrement creux en son centre de façon à recueillir l’eau tombé depuis l’oculus et ainsi refléter la lumière zénithale qui y plonge.
L’eau symbole de vitalité dans la religion, ayant façonnée tout le paysage de la vallée environnante et bien précieux pour l’agriculture et également un des éléments guidant le projet. En effet c’est un élément également repris dans la forme de goutte d’eau du cumulus ainsi que dans les motifs aqueux du sol.
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Oculus en forme de goutte d’eau, au sommet de la chapelle.
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Enfin le vent est alors le dernier élément du site constituant l’ambiance du lieu puisque provoquant un sifflement lorsqu’il s’engouffre dans les quelques trous du coffrage. C’est le seul élément audible une fois à l’intérieur de la chapelle silencieuse. Ainsi par le jeu des matériaux et de leur assemblage savant, Peter Zumthor réussit à créer une atmosphère primitive ou l’eau, la terre, le feu et le vent sont constitutifs d’une architecture magistrale. Ce projet démontre à quel point Zumthor conçoit ces projets de façon à ce dans son entièreté il soit harmonieux avec son environnement, son programme et le corps du visiteur tout comme l’invite à le faire le wabi-sabi.
4) La maison Marika Alderton de Glenn Murcutt :
Le climat très varié de cet immense pays qu’est l’Australie a sensibilisé Glenn Murcutt à la variété de paysage, de faune et de flore de sa terre natale. L’histoire de son pays et la culture aborigène a également toujours accompagné sa vie depuis son enfance en Nouvelle-Guinée. Cela lui a notamment enseigné de ne pas déranger la terre, la nature qui l’entoure, selon les mœurs aborigènes. Ces nombreuses expériences ont façonné en lui un langage architecturale particulier ou le lieu marquera chaque projet de façon unique de façon à en tirer le plus de richesses possibles. L’architecture devenant uniquement un outil révélateur du lieu. Commandé par Banduk Marika chef aborigène et son partenaire Mark Alderton, ce projet se situe à Yirrkala sur des terres associées au clan Marika. Ce projet démontre bien sa pratique architecturale et son rapport à la nature. Il relève d’une autre sensibilité du wabi-sabi qui est la relation avec le temps et notamment les saisons et le climat. Dans un climat tropicale soumis à la mousson, aux conditions cycloniques violentes et à une chaleur constante les enjeux climatiques n’ont pu que s’imposer lors de la conception de ce projet.
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Cette maison s’inscrivant dans le respect culturel de la terre par les habitants, à été conçu de manière à ne pas écorcher le sol par une mise en œuvre trop lourde. De même tout le projet fût pensé par Glenn Murcutt comme une habitation extrêmement simple dans sa configuration et adaptable à un maximum de situation de confort ou de pratiques. Il pense ces projets afin d’utiliser un maximum de matériaux à proximité et limiter l’énergie grise du bâtiment notamment au travers de la phase de mise en œuvre.
C’est pourquoi cette habitation fût conçu pour être préfabriqué, facilement montable et démontable. Il pense à la durée de vie des matériaux, pourront-ils être réemployés plus tard pour une nouvelle construction ? Ainsi cette maison fût préfabriquée à quelques kilomètres seulement et fût ensuite acheminée par conteneurs avant d’être assemblée en seulement 4 mois. Le bâtiment à la forme élémentaire se compose d’une plateforme en bois disposée sur des pilotis métalliques qui continuent leur prolongement pour former le système structurel de base et posant un cadre à l’ajout d’éléments en bois locaux. Entre ce cadre métallique se trouvent des panneaux de remplissage formant des filtres contre les rayons du soleil et laissant le vent circuler librement pour refroidir l’intérieur.
La façade Sud est composée différemment à cause de son orientation, en effet elle est composée de lames de contreplaqué verticales créant un relief dans la façade de bois. Ce dispositif créant une épaisseur supplémentaire habitable permet pendant les heures les plus chaudes de se protéger des rayons du soleil et de capter les légères brises de vent qui s’y confronteraient. Ces éléments permettent également d’intégrer par leur épaisseur des éléments de mobilier dans toute la longueur de l’habitation comme par exemple au travers de bancs de cuisines, des rangements, de lits. Ces panneaux fins rythment la façade par leur relief et forment différentes couches d’ombres limitant la température intérieure. Pour couvrir l’entièreté du bâtiment, un toit de tôle peut couteux vient couvrir l’ensemble et laisse s’échapper l’air au travers de cheminées de ventilation.
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La maison Marika Alderton de Glenn Murcutt
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Visiblement tournée vers l’intérieur depuis l’extérieur, elle fait écho aux pavillons de thé ou la nature est paradoxalement convoquée à l’intérieur puisqu’au travers de ce dispositif le bâtiment est en réalité complétement ouvert sur le vent et les bruits environnants. Il n’y a aucun dispositif de parois de verre, tout les vides le sont bel et bien. Et c’est le contexte qui a formalisé cette architecture.
C’est alors une architecture légère, frêle et aérienne par sa suspension sur pilotis, qui est élaboré par G. Murcutt. Elle est élaborée d’après le vent, élément nécessaire au confort de ces habitants. Cette empreinte aérienne se ressent dans sa mise en œuvre. Elle invite le visiteur à venir se rafraichir aux brises de ce haut plateaux et par ses nombreux jeux et dispositifs d’ombre permet au visiteur une fois à l’intérieur de contempler le paysage et l’horizon faisant face. Ce bâtiment s’incline face aux aléas climatiques de cette nature. Il s’y adapte et c’est alors toute ces données environnementales qui façonnent le bâtiment au travers la main de l’architecte. De même tous les dispositifs sont adaptables à chaque situation de façon mécanique et manuel, ainsi le visiteur prend conscience par son action des manifestations de la nature.
Les matériaux utilisés sont uniquement des matériaux qui sont à disposition des habitants et peu onéreux. Ils renvoient à une forme de simplicité de construction et paradoxalement d’une technicité invisible dans la conception comme c’est le cas pour les pavillons de thé. Chaque menuiserie et dispositif technique est pensée en détail et constitue le peu d’ornement de la maison, sa modénature (modeler d’après nature ?).
Cette démarche de Glenn Murcutt concernant le paysage peut ainsi s’inscrire dans l’esprit du wabi-sabi et interroger sur la question du confort. L’appréhension d’une simplicité rustique contemporaine ou la nature est appréhendée et évoquée au travers de la question du climat et non de ce qui la compose physiquement (sa matérialité).
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5) Go Hasegawa : « Supernormal building »
Cette fois-ci nous n’allons pas étudier un projet en particulier faisant état du wabisabi, mais une pensée le convoquant. Au travers de son langage architectural on ressent l’empreinte de la culture nippone et d’un certain univers proche du wabi-sabi.
En effet Go Hasegawa, architecte japonais, qui durant des études et en visitant de nombreux bâtiments d’architectes de renom, c’est rendu compte qu’il y avait une véritable coupure entre l’architecture vernaculaire locale et les constructions d’architectes modernes. L’un et l’autre semblaient s’ignorer. Pour Hasegawa les architectes semblaient ne pas tenir compte de ces types d’habitation lors de l’étude de leurs sites comme si les maisons banales des japonais ne faisaient pas partie du paysage environnant. Ainsi lors de ses premiers projets il essaya de faire dialoguer ces différents types d’architectures en en leur insufflant un regard nouveau afin d’aboutir au : « Supernormal Buildings ».
Pour concevoir ce type de projet, l’architecte part ainsi d’un élément extrêmement simple ou banal. Celui-ci peut soit être suggéré par le client, soit être le résultat de l’étude du site et la présence récurrente d’un élément ou une forme architecturale qui n’a plus d’intérêt aux yeux de la majorité. C’est alors que sa réflexion entre dans le domaine du wabi-sabi. Il s’interroge sur le potentiel des choses les plus humbles et banales afin de les réinterpréter et de révéler leur beauté disparue. En partant de cette méthode voici à quels types de projet Go Hasegawa a abouti.
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House in Karuizawa,
En partant de l’idée de l’archétype de la maison et son toit à double pente, Go Hasegawa a créé un projet riche de dispositifs architecturaux. La maison se trouve au cœur du forêt très humide, elle s’y camoufle par la couleur noire rappelant les troncs alentours. Elle semble modeste par ses rares ouvertures et sa forme d’habitation traditionnelle et le peu d’ouvertures qu’elle possède.
En effet le projet fût pensé avec peu d’ouverture sur la nature environnante afin de créer une atmosphère chaleureuse et intimiste tournée vers l’intérieur. Ainsi limitant les ouvertures sur la forêt, et souhaitant travailler véritablement sur le toit comme dispositif architectural, il désira en faire l’élément attractif de son projet. Cet élément devait attirer le regard du visiteur qui entrait dans le bâtiment. Ce projet conçu majoritairement à partir de la coupe, laisse voir que le projet repose sur un système de double peau et que celle-ci est habité. A partir de ce dispositif, Go Hasegawa à conçu la maison afin que depuis chaque pièce de la maison on puisse apercevoir le ciel afin de créer un rapport continu avec la nature malgré l’absence d’ouvertures. Ainsi l’espace entourant la pièce de vie d’une blancheur extrême dématérialise les parois au travers des ouvertures zénithales du toit. La lumière ne permet alors que de révéler quelques éléments, ponctuellement, de vie de la maison et de percevoir « l’habité » autrement. Toutes les pièces sont ainsi connectées au travers d’un espace de lumière commun dématérialisé. Il élabora également une pièce de vie dialoguant véritablement avec la forêt tout en bois et sublimant ce matériau et la lumière environnante avec un plafond d’une finesse extrême laissant une lumière douce traverser les 0.3 millimètres de bois de ce plafond. Ce dispositif révélant alors les richesses de la texture du bois, sa vie, ses veines, ses nœuds, ses lignes organiques. La pièce de vie est alors envahie d’une atmosphère proche de celle qu’évoque le wabi-sabi.
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Projet de la maison Karuizawa, Go Hasegawa
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Le projet de maison pour sa sœur, House in Sakuradai
Démontre également cette pensée architecturale en partant d’un élément du quotidien puisque le point de départ fût la demande de sa sœur d’avoir une grande table pour pouvoir travailler. Ainsi au travers de ce projet, Hasegawa conçut en partant d’une table de 4m x 4m tout les espaces de la maison. La table créant un atrium permettant de faire le lien entre toutes les pièces de la maison et permettant une impression d’extérieur au cœur du dispositif. Les habitants de cette maison partagent toutes leurs activités autour de cette table qui devient à elle seul un espace à part entière. Une sorte de place publique au cœur de la maison. Il révèle ainsi toute la beauté d’un des éléments les plus commun de la maison : la table.
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Espace de la table, du projet House in Sakuradai
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La maison dans la forêt, Pilotis in a forest, Gunma
Projet le plus célèbre de Go Hasegawa, au cœur d’une forêt japonaise, « la maison sur pilotis » porte encore la marque du wabi-sabi et de la méthode de travail de l’architecte. Le client souhaitant une maison sur pilotis comme l’ensemble des maisons traditionnelles environnantes, ce fût le point de départ de la réflexion de Hasegawa. En effet ces derniers permettent de se mettre à l’écart de l’humidité quotidienne du sol et de pouvoir installer une intimité au niveau du feuillage des arbres. Les pilotis ainsi que leurs contreventements ont été dimensionné à partir du diamètre de la végétation alentours, afin d’installer un dialogue entre nature et architecture. Ainsi pour respecter cette nature et le calme ambiant, la structure et la composition de la maison furent pensées de façon minimaliste avec des assemblages très simples et les plus fins possible. La maison semble flotter dans cette nature. Elle procure une sensation de légèreté et de fragilité renvoyant également à l’univers des pavillons de thé. Sous l’espace de la maison, révélé par les pilotis se fabrique une place de vie au cœur de la forêt. Cet espace à une acoustique particulière créant une résonnance avec le moindre bruit. De ce fait la vie quotidienne encore de cet espace est amplifiée. Cela permet de prendre conscience de l’instant et de chaque activité qui s’y passe, que ce soit de jouer au ballon, déjeuner, discuter, ou bien justement profiter du son de la forêt, tout prend d’avantage d’ampleur de façon sonore.
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Les logements collectifs de Okachimachi, Tokyo
S’inspirant encore des ruelles étroites banales résultantes des normes de construction (50 Cm) Hasegawa à produit un projet unique. Ces ruelles fabriquent un véritable labyrinthe dans la ville de Tokyo, et interrogent l’architecte sur la valeur de ces espaces qui sont délaissés. En effet pour lui ces espaces ont une grande richesse car comprenant tout les réseaux, gaines de ventilations et bien d’autres éléments techniques ils permettent véritablement de comprendre la vie à l’intérieur du bâtiment. De plus ces espaces étroits perdus sont souvent soumis à une lumière particulière s’engouffrant dans l’épaisseur de ces interstices. Ainsi, il a souhaité lors de la commande de ses logements recréer ses caractéristiques ou du moins s’en inspiré pour obtenir le résultat qu’il imaginait. Il a donc travaillé à ce que la lumière traverse les 10 étages pour venir baigner le rezde-chaussée d’une lumière particulière. Il a fait également en sorte que chaque logement soit séparé par cet espace résiduel d’une ruelle et que cette dernière permette de façon minimale d’entrevoir des traces de la vie de ses habitants par des petites ouvertures donnant sur ce puit de lumière. Ainsi peut importe l’étage ou l’on se trouve, on peut regarder le ciel directement, ou au travers de l’épaisseur de la tour d’habitation.
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Vue de l’atrium et coupe du logement collectifs de Okachimachi
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IV) Conclusion :
Depuis des siècles, se perpétue la cérémonie du thé permettant l’osmose entre l’homme, son esprit et la nature. Aujourd’hui notre environnement occupe toujours une place importante dans nos vies et il est plus que jamais un sujet d’actualité. A l’heure où certains hauts politiciens ne veulent prendre conscience de l’influence de l’homme sur son milieu ; des catastrophes naturelles de plus en plus violentes nous amènent à nous interroger chaque fois d’avantage sur notre mode de vie, ainsi que sur notre rôle au sein de ce système complexe qu’est la nature. On s’interroge alors sur nos modes de consommation mais également sur notre pratique professionnelle. Etant étudiant et formalisant d’avantage, chaque nouvelle année d’étude, mon projet professionnel, ce mémoire fût l’occasion pour moi de regarder la pratique de l’architecture avec un œil nouveau.
Le wabi-sabi loin du monde du numérique et de ses certitudes invite à se questionner sur des problématiques spécifiques à l’environnement et au paysage. S’il s’oppose en de nombreux points au mouvement moderne, il permet de se construire une pensée architecturale mettant la nature au centre du processus du projet. Aux vues des différents bâtiments analysés l’approche du wabi-sabi peut être multiple. Il permet de porter une grande attention aux ressources du site, leur impact sur leur mise en œuvre. Cette considération des ressources va évidemment influer sur une modénature propice à un dialogue entre paysage et architecture. Elle invite à penser une atmosphère particulière et une relation de proximité entre les matériaux et le corps.
Réfléchir la temporalité, la réversibilité et prendre en compte l’imprévisible comme donnée du projet peut permettre d’accéder à de nouvelles richesses, par exemple : le réemploi des ressources et des matériaux d’un projet, pensé en amont, permet de
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limiter son empreinte environnementale et de faire perdurer, au travers de nouvelles formes, l’atmosphère de ce bâtiment à travers le temps. Concevoir des projets avec une certaine forme de légèreté et de respect envers un milieu est une posture architecturale qui doit être d’actualité à l’heure ou d’immenses tours vides sont construites aux Emirats et provoquent la défiguration de paysages côtiers situés à des centaines de kilomètres.
« L’industrialisme rend aujourd’hui, par le monde entier, tout vrai raffinement de plus en plus difficile. Plus que jamais nous avons besoins de Chambres de thé » 59
Bien qu’étant un terme japonais le wabi-sabi prend sens dans toute situation. Il est une pensée de notre quotidien. Le wabi-sabi n’admet aucune hiérarchie. Rendre nos actions de tous les jours moins ternes, considérer que chaque détail à autant d’importance qu’un autre peu importe l’échelle du projet, permet une qualité de vie plus agréable et viable de faire intervenir l’architecture à toute les échelles et pour tous. Le wabi-sabi trouve finalement sa place grâce au mouvement moderne et au numérique. Il existe par le contraste. Il doit être évoqué et pensé dans les processus de projet mais pas en faisant fi du progrès, et des avancées techniques.
« A l’occasion de la sortie de leur nouvel album Random Access Memories, le groupe français Daft Punk expliquent le titre de leur album précédent, Human After All, sorti en 2005. Puisque la musique est désormais produite par des machines, le fruit du mixage de matières diverses, d’époques différentes, c’est la part de l’humain qui fait l’Art. […] Derrière l’idéal de vie des architectes, les processus atypiques, la commande réinventée, l’expérience libre de la matière, la cause première est toujours la même. L’architecture, after all ! » 60
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-- Frédéric Bonnet Obras, Collectif AJAP14
Okakura-Kakuzo, Le livre du thé, 1927, A. Delpeuch, p 105 Frédéric Bonnet Obras, Collectif AJAP14, http://www.nouvellesrichesses.fr/fr/prjets/architecture-after-all/
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Takasugi-An de Terunobu Fujimori
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Référence :
Bibliographie :
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Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice : Les japonais devant la nature, 1986, Editions Gallimard
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Augustin Berque, Vivre l’espace au Japon, 1982, Presse Universitaires de France
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Jean-Marie Bouissou, sous la direction de, Esthétiques du quotidien au japon, 2004, Editions du regard
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Dôgen, Instructions au cuisinier zen, 1994, Editions Gallimard
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Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre, 2011, Editions Verdier
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Murielle Hladik, Traces et fragments dans l’esthétique japonaise, 2008, Mardaga
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Léonard Koren, Wabi-sabi à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes, 2015, Editions Sully
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Léonard Koren, Wabi-sabi , Further Thoughts, 2015, Point Reyes
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Okakura-Kakuzo, Le livre du thé, 1927, A. Delpeuch
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Roland Barthes, L’empire des signes, Edition originale : 1970, réédition de 2007, Editions du Seuil
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Tadao Ando, Partir de la topographie, 1993, dans Yann Nussaume, Tadao Ando et la question du milieu, Le Moniteur, Paris, 2000
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Sitographie : •
Peter Zumthor, Summer Restaurant in Ufenau Island, Mars 2016, article de archeyes.com
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Article sur l’œuvre de P. Soulages http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-soulages/ENSsoulages.html#r28
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"A Recipe To Live": Modern Japanese Straw House Naturally Heated By Compost https://archinect.com/news/article/76255489/a-recipe-to-live-modern-japanese-straw-housenaturally-heated-by-compost
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Frédéric Bonnet Obras du Collectif AJAP14,
http://www.nouvellesrichesses.fr/fr/prjets/architecture-after-all/ •
Site de l’agence de Go Hasegawa : http://ghaa.co.jp/
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Portrait de Glenn Murcutt : https://www.youtube.com/watch?v=lnthbqIT-Co
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Site du Prix pritzker : Glenn Murcutt : http://www.pritzkerprize.com/2002/essay
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Article sur la Chapelle saint Nicolas de Peter Zumthor :
https://www.archdaily.com/106352/bruder-klaus-field-chapel-peter-zumthor
Revue :
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d’a : Peter Zumthor- Réalisations http://davidleclercarchitecture.com/content/3-publications/1-critique/1darchitectures/20080301-peter-zumthor-le-musee-kolumba-et-la-chapelle-saint-nicolas-deflue/zumthor-da-171.pdf
Conférences : •
Conférence de Go Hasegawa : Amplitude in the experience of space http://www.gsd.harvard.edu/event/amplitude-in-the-experience-of-space/
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Conférence de Kengo Kuma : From concret to wood : why wood matters ? http://www.gsd.harvard.edu/event/kengo-kuma-from-concrete-to-wood-why-wood-matters/
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