Mika Rottenberg Palais de Tokyo 23.06 – 11.09 2016
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p. 2 – 21 Vues de l’exposition personnelle de Mika Rottenberg, Palais de Tokyo (Paris), 23.06 – 11.09 2016 Views of Mika Rottenberg’s solo show, Palais de Tokyo (Paris), 23.06 – 11.09 2016 Photos : Aurélien Mole
p. 2 – 3 Ceiling Fan Composition #3 (2016) Matériaux divers / Mixed media Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) Bowls Balls Souls Holes (2014) Installation vidéo / Video installation (27 min 54 s), sculptures (Bingo & Hotel Room) Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) Sneeze (2012) Vidéo mono-bande / Single channel video (3 min 02 s) Courtesy de l’artiste / of the artist, Andrea Rosen Gallery (New York) & Galerie Laurent Godin (Paris) p. 4 – 5 Bowls Balls Souls Holes (2014) Installation vidéo / Video installation (27 min 54 s), sculptures (Bingo & Hotel Room) Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) p. 6 – 7 Ceiling Fan Composition #2 (2016) Matériaux divers / Mixed media Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) Bowls Balls Souls Holes (2014) Installation vidéo / Video installation (27 min 54 s), sculptures (Bingo & Hotel Room) Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) p. 8 – 9 NoNoseKnows (Artist Variant) (2015-2016) Installation vidéo / Video installation (22 min), sculpture Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) AC Trio (2016) Matériaux divers / Mixed media Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) Ponytail (Black) (2016) Matériaux divers / Mixed media Courtesy de l’artiste / of the artist & Galerie Laurent Godin (Paris) Ceiling Fan Composition #2 (2016) Matériaux divers / Mixed media Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York)
p. 10 – 11 NoNoseKnows (Artist Variant) (2015-2016) Installation vidéo / Video installation (22 min), sculpture Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) SEVEN (Sculpture Variant) [en collaboration avec / in collaboration with Jon Kessler] (2011-2016) Installation vidéo / Video installation (36 min 08 s), matériaux divers / mixed media Une commande de Performa pour Performa 11 / A Performa commission for Performa 11 Courtesy des artistes / of the artists & Andrea Rosen Gallery (New York) AC Trio (2016) Matériaux divers / Mixed media Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) p. 12 – 13 NoNoseKnows (Artist Variant) (2015-2016) Installation vidéo / Video installation (22 min), sculpture Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) p. 14 – 15 Bowls Balls Souls Holes (2014) Installation vidéo / Video installation (27 min 54 s), sculptures (Bingo & Hotel Room) Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) Ceiling Fan Composition #3 (2016) Matériaux divers / Mixed media Courtesy de l’artiste / of the artist & Andrea Rosen Gallery (New York) p. 16 – 17 & 18 – 19 SEVEN (Sculpture Variant) [en collaboration avec / in collaboration with Jon Kessler] (2011-2016) Installation vidéo / Video installation (36 min 08 s), matériaux divers / mixed media Une commande de Performa pour Performa 11 / A Performa commission for Performa 11 Courtesy des artistes / of the artists & Andrea Rosen Gallery (New York) p. 21 Squeeze (Mary Boone with Cube) (2010) Impression numérique / Digital C-print Collection Antoine de Galbert (Paris)
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Lips (Study #3) (2016) Installation vidéo sur écran unique, matériaux divers / Single channel video installation, mixed media Dimensions variables / Dimensions variable Courtesy Andrea Rosen Gallery (New York, NY)
p. 23 Lips (Study #3) (2016) Vue de l’exposition personnelle de Mika Rottenberg / View of Mika Rottenberg’s solo show, 23.06 – 11.09 2016, Palais de Tokyo (Paris) Photo : Aurélien Mole
Lips (Study #3) (2016) Photogrammes / Stills
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Bowls Balls Souls Holes (2014) Sculpture et installation vidéo / Video and sculptural installation 27 min 54 s ; dimensions variables / Dimensions variable Courtesy Andrea Rosen Gallery (New York, NY) p. 30 Bowls Balls Souls Holes (Bingo) (2014) Vue de l’installation / View of the installation, « Mika Rottenberg: Bowls Balls Souls Holes », 04.05 – 14.06.2014, Andrea Rosen Gallery (New York, NY) Photo : Lance Brewer p. 30 – 31 Bowls Balls Souls Holes (Tinfoil Moon) (2014) Vues de l’installation / Views of the installation, « The Great Acceleration: Art in the Anthropocene », 13.09.2014 – 04.01.2015, Taipei Biennial, Taipei Fine Arts Museum (Tapei) Photo : Courtesy Taipei Biennial, Taipei Fine Arts Museum (Taipei)
p. 32 – 33 Bowls Balls Souls Holes (2014) Photogrammes / Stills
Sneeze (2012) Vidéo sur écran unique / Single-channel video 3 min 02 sec Courtesy Andrea Rosen Gallery (New York, NY)
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Mika Rottenberg et / and John Kessler SEVEN (2011) SEVEN (Marshall) (2012) Matériaux divers, vidéo trois canaux (36 min 08 s) / Mixed media with three channel video (36 min 08) 93,3 × 115,6 × 50,8 cm (fermé / closed) / 93,3 × 231,1 × 25,4 cm (ouvert / open) Une commande de Performa pour Performa 11 / A Performa Commission for Performa 11 Courtesy Andrea Rosen Gallery (New York, NY) et / and Galerie Laurent Godin (Paris) Photo : Jessica Eckert
p. 38 SEVEN (2011) Photogrammes / Stills Performance avec 9 participants : installation techniques mixtes et vidéo / Live performance for 9 performers; mixed media installation with video 36 min 08 sec Une commande de Performa pour Performa 11 / A Performa Commission for Performa 11 Courtesy Performa et / and Nicole Klagsbrun Gallery (New York, NY) p. 39 SEVEN (2011) Performance avec 9 participants : installation techniques mixtes et vidéo / Live performance for 9 performers; mixed media installation with video 36 min 08 sec Une commande de Performa pour Performa 11 / A Performa Commission for Performa 11 Nicole Klagsbrun Project (New York, NY) Courtesy Performa Photo : Paula Court
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Faire éclater la bulle : les attractions industrielles de Mika Rottenberg par Amy Herzog
« La morale nous apprend à aimer le travail : qu’elle sache donc le rendre aimable, et d’abord introduire le luxe dans les cultures et l’atelier. Si l’appareil est pauvre, dégoûtant, comment exciter l’attraction industrielle ? » – Charles Fourier, Attraction industrielle 1 « Briser la boule, ou “Possible/Quine” : La quine est le nombre minimum de boules nécessaires pour compléter la grille de bingo. C’est la ligne qui permet à tout joueur d’espérer obtenir un bingo complet. » – Terminologie du Bingo 2 Une récente étude du MIT sur la mécanique des fluides de l’éternuement a cartographié l’impact considérable de ces « violents événements expiratoires ». Le rapport révèle que les plus petites gouttes de mucus et de salive dans les nuages d’éternuement gazeux restent en suspension dans l’air suffisamment longtemps pour être remises en suspension et emportées par les courants d’air ambiant, « des gouttelettes pathogènes en interaction avec un souffle dynamique turbulent et flottant 3 ». Le souffle mobile de l’éternuement existe dans une sorte d’état liminal – à la fois vaporeux et liquide, il est vigoureusement expulsé du corps infecté. Porté passivement par les lois de la physique et les caprices de l’environnement, le souffle, néanmoins, est poussé à se répandre, à pénétrer, à se reproduire. Les nuages produits par les éternuements peuvent flotter suffisamment haut pour pénétrer et contaminer les systèmes d’aération, se propageant entre des espaces apparemment clos. Ils sont imperceptibles mais résolument physiques ; ils établissent des liens entre les organismes dispersés et fonctionnent de pair avec les architectures que ces corps et ces flux occupent conjointement. Les retombées du turbulent nuage flottant de l’éternuement sont à la fois physiquement prévisibles (sa portée pouvant être prévue et retracée) et aléatoires (sa direction pouvant être modifiée par un courant d’air inattendu). Les éternueur.es peuplent les architectures de Mika Rottenberg (comme c’est le cas par exemple dans Sneeze [2012], NoNoseKnows [2015] et Cheese [2008]). Pourtant l’artiste met leur corps au travail, en extrayant non pas des éternuements, mais des produits matériels de leurs expectorations : lapins, morceaux de viande, ampoules, plats de nouilles gélatineuses. Plutôt que de se répandre imperceptiblement, ces éternuements tombent au sol avec un bruit sourd bien audible. Le lapin, le steak,
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le plat de nouilles regardent fixement la caméra, nous confrontant à leur présence absurde et indéniable. Ils sont le matériau talismanique des contes de fées ou de l’imaginaire – non sans me rappeler la nouvelle de Julio Cortázar, « Lettre à une amie en voyage », dans laquelle le narrateur vomit régulièrement des lapins, ou la vieille sorcière du film de Jacques Demy, Peau d’âne, qui crache des crapauds quand elle parle 4 . Mais Mika Rottenberg exploite et détourne la production de ses éternueur.es. Dans Cheese, une femme aux cheveux longs est interrompue dans son travail par des crises allergiques occasionnelles que seule l’expulsion nasale d’un lapin blanc duveteux peut venir soulager. Ces lapins sont apparemment libres d’explorer la cour de ferme verte et pastorale de la communauté qui produit fromage et élixir. Mais d’autres crises d’éternuement semblent être directement intégrées aux circuits de fabrication. Ainsi dans Sneeze, une série d’hommes en costumecravate sont assis à un bureau en bois stratifié dans une pièce de briques blanches. Nous voyons, en d’insoutenables gros plans, leurs pieds nus pédicurés. Des orteils au vernis brillant s’étirent et se replient sur le linoléum imitant des galets beiges, tandis que leurs corps se préparent à l’action à venir. Le moment venu, les hommes se convulsent et leurs nez rouges, absurdement distendus, propulsent un steak ou une ampoule électrique, ou encore un lapin sur la table. Les hommes ont l’air un peu gêné, mais la parade des lapins, des orteils, des steaks, des nez et des ampoules continue sans relâche. On ne sait rien du cadre de travail de ces éternueur.es, mais NoNoseKnows met en place un circuit économique plus large. Là, un ventilateur souffle à travers un bouquet de fleurs dans le visage d’une grande femme blanche assise dans un très petit bureau. Ses yeux pleurent et son nez rouge est à vif, irrité par la stimulation ininterrompue d’allergènes. Ses éternuements, ainsi produits artificiellement, font partie intégrante du processus de fabrication. Ce nez, qui émet parfois de petits éclairs d’étincelles irisées, grossit et bat de manière effrayante, jusqu’à ce que la femme soit frappée d’un véritable éternuement. Une assiette pleine de nouilles tombe sur son bureau, chacune comme tirée d’un menu de plats asiatiques ou occidentalisés (spaghettis bolognaises et boulettes de viande, lo mein avec haricots mange-tout flasques et brocolis flétris, etc.). On pourrait imaginer que cette nourriture est produite dans le but de nourrir les cultivateur.es de perles chinoises dans l’espace de travail attenant et la jeune fille qui fait tourner la manivelle du ventilateur à fleur, mais rien n’est moins certain. Les nouilles s’empilent toujours plus haut et le chariot ne désemplit pas. La plupart des assiettes ont l’air d’être restées là intactes depuis un certain temps.
1 Charles Fourier, Sommaire du traité de l’association domestique-agricole ou Attraction industrielle (Paris, 1823), p. 1401. 2 On trouve des terminologies du Bingo dans des publications ou des ressources en ligne. Voir « Bingo (U.S.) », Wikipedia (https://en.wikipedia.org/wiki/Bingo_(U.S.)) et Noël Powell, Money Honey, Delivering the Sweet Ideas of Prosperity (WestBow Press, Bloomington, 2013), p. 18. 3 Lydia Bourouiba, Eline Dehandschoewercker, John W. M. Bush, « Violent Expiratory Events, On Coughing and Sneezing », Journal of Fluid Mechanics, vol. 745, 2014, p. 537-563. 4 Voir Julio Cortázar, Nouvelles Histoires et autres contes (Gallimard, Paris, 2008) et Jacques Demy, Peau d’âne (France, 1970).
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