Laure Prouvost « Ring, Sing and Drink for Trespassing » Palais de Tokyo 22.06 – 09.09 2018
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We Will Feed You, Cooling Fountain (For Global Warming) (2018) Matériaux divers / Various materials ; 183 × 75,8 × 75,8 cm Photo : George Darrell
p. 27 – 29 Vues de l’exposition / Views of the exhibition « GDM – Grand Dad’s Visitor Center », 19.10.2016 – 09.04.2017, Pirelli HangarBicocca (Milan) Photo : Agostino Osio
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Sans titre / Untitled (2013) Céramique, peinture acrylique / Ceramic, acrylic paint ; 12 × 18 × 7 cm Steaming for You, Teapot Made by Grand Ma to Get Grand Dad Back (2013) Céramique, peinture acrylique / Ceramic, acrylic paint ; 35 × 35 × 53 cm Vues de l’exposition / Views of the exhibition « Greater than the Sum », 05.05 – 29.07.2017, 10 e / 10 th DRAF Curators’ Series, par / by Kunsthalle Lissabon (Lisbonne / Lisbon), David Robert Art Foundation (Londres / London) Photo : Tim Bowditch
Behind the Lobby Doors, the Pepper is in the Right Eye (2016) Tapisserie / Tapestry ; 290 × 545 cm Vue de l’exposition / View of the exhibition « And She Will Say: Hi Her, Ailleurs, to Higher Grounds... », 29.10.2016 – 12.02.2017, Kunstmuseum Luzern (Lucerne) Photo : Marc Latzel
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Vues de l’exposition / Views of the exhibition « Softer and Rounder so as to Shine Through Your Smooth Marble », 20.04 – 11.06.2017, SALT Galata (Istanbul) Photo : Mustafa Hazneci
p. 46 Into All That Is Here (2015) Vidéo / Video ; 9 min 42 s Vue de l’exposition / View of the exhibition « Dropped Here and Then, to Live, Leave It All Behind », 25.06 – 25.06.2016, le Consortium (Dijon) Photo : André Morin Into All That Is Here (2015) Photogrammes / Stills Vidéo / Video ; 9 min 42 s
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p. 47 Into All Shovel (2016) Matériaux divers / Various materials ; 160 × 40 × 40 cm Photo : Bertrand Huet
A Way to Leack, Lick, Leek (2016) Matériaux divers / Various materials ; Dimensions variables / Dimensions variable Vue de l’exposition / View of the exhibition « A Way to Leak, Lick, Leek », 31.01 – 09.04.2016, Fahrenheit by FLAX Foundation (Los Angeles, CA) Photo : Jeff McLane
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The Wanderer, The Wet Sequence (2017) Écran de television, aquarium / TV screen, fish tank ; 90 × 56 × 30 cm Vue de l’exposition / View of the exhibition « The Wet Wet Wanderer », 27.01 – 02.04.2017, Witte de With Center for Contemporary Art (Rotterdam) Photo : Kristien Daem page ci-contre / opposite page Vues de l’exposition / Views of the exhibition « Wot Hit Talk », 10.03 – 30.04.2017, Laznia Centre for Contemporary Art (Gdansk) Photo : Paweł Józwiak
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Laure Prouvost : les échappées du langage par Karen Archey
Laure Prouvost est une artiste reconnue depuis le milieu des années 2000 pour ses vidéos tactiles aux cadences syncopées et ses installations. Il pourrait être toutefois suggéré que son médium de prédilection n’est pas la vidéo, mais avant tout le langage. Née en France, vivant entre Londres et Anvers en Flandres, Laure Prouvost a passé toute sa carrière artistique installée dans des pays où sa langue maternelle n’est pas parlée. Ses œuvres construisent leur sens à travers la traduction délibérément défaillante et poétique de la langue anglaise usuelle. L’artiste dit elle-même, dans un anglais teinté d’un fort accent français, le texte de ses œuvres vidéos qui épousent astucieusement les coquilles orthographiques décorant les intertitres des vidéos et des « signs » [signes, panneaux] à lire dans ses installations. En fait, une grande part du travail vidéo de Laure Prouvost, et peut-être même ce qui en fait son charme, réside dans l’écriture de ses scripts. Un style basé sur la narration de scénarios absurdes aux tournures proches du papotage, ou de déclarations purement fictives qui remettent en question continuellement et avec fantaisie son autorité de narratrice digne de confiance. Par exemple, l’une de ses premières vidéos intitulée Burrow Me [Creusemoi] (2009) lie deux plans par cet intertitre inattendu * : « C’était trop stressant alors nous avons décidé de partir pour la russie (sic) en montgolfière. Mais elle était pleine de trous. » Dans une œuvre de 2014, un panneau peint placé au-dessus d’un verre d’eau proclame : « La nuit, cette eau devient noire. » Ces histoires s’articulent souvent autour de son entourage domestique et familial tel que ses animaux de compagnie ou son « grand-père conceptuel » fictionnel : un célèbre artiste conceptuel égaré pendant la construction d’un tunnel. La relation de ce dernier avec la grand-mère de Laure Prouvost (également imaginaire) est fréquemment mise en exergue. Celle-ci est une artiste redécouverte récemment, qui aime réaliser des fesses et des seins en céramique pour son époux (qui pourrait ou non être perdu). Lorsque je visitais récemment son atelier, Laure Prouvost, malgré l’invraisemblance désopilante de ces personnages, n’a rien laissé paraître tandis qu’elle me parlait tout naturellement de son grand-père et de sa grand-mère conceptuel·le·s, qui avaient justement conçu le mobilier sur lequel nous étions assises. Tandis que la fonction sociale du langage consiste à signifier et à clarifier, dans le travail de Laure Prouvost ce dernier joue plutôt le rôle d’obscurateur poétique. Ses scripts ainsi que ses vidéos fonctionnent dans leur ensemble comme des formes poétiques dans lesquelles des éléments disparates sont associés les uns aux autres au sein de formations inattendues, superposant le visuel et le sonore de manière à la fois contradictoire sur le
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plan sensoriel mais aussi révélatrice. Prenons par exemple le script pour la vidéo que réalise l’artiste en 2005, Abstractions quotidiennes. Le texte est énoncé en voix off de séquences où apparaissent tour à tour des toasts brûlés, un gros plan sur une langue en train de lécher et des aplats de couleur : « Un peu de salive, un peu de salive humide. Un peu de sable. Un peu de bleu dans le sable. Le contact d’un serpent froid similaire à un liquide transparent jaune. Il fait chaud comme un rouge intense. Salive. L’odeur d’un toast qui brûle. Le côté supérieur gauche, quelques gouttes chaudes coupures sang chaud, un peu de salive humide sur du coton flottant sur fond orange. Une éclaboussure de lait sur ton visage. Tu tiens le coup. Odeurs rouges. Tu aimes cette musique. Une énorme quantité de rouge. À l’extrémité gauche, un camion prend de la colle, l’odeur du toast est plus forte, avec ta langue tu touches le sol. Tu te brûles. Sirop délicieux. L’étrange impression d’être tirée par le dos. Sur les arbres à droite, des plumes au lieu des feuilles. L’odeur de brique avec du plastique et du bleu entre les deux. » Le montage percutant de la vidéo amplifie le caractère synesthétique déjà présent dans ses scripts. Les images sont placées sur la même hiérarchie visuelle que les mots par l’usage fréquent d’interventions en voix off et d’intertitres, et de séquences vidéo parfois floues ou de scènes d’une fraction de seconde. Son montage peut même parfois apparaître agressif (un gros plan sur l’aile décharnée d’un oiseau ou l’écrasement d’une fourmi, puis la tache maculée de son cadavre) jusqu’à intensifier la réalité physique du médium vidéo, souvent prolongé par des installations vidéo où s’unissent l’image et l’architecture. Faire l’expérience de l’œuvre fabuleusement haptique et frénétique de Laure Prouvost est comme se lancer dans une course folle, avec l’artiste au volant, sans savoir où l’on va, mais où, à l’arrivée, nous jouissons d’une totalité supérieure aux parties disparates qu’elle articule. La figure poétique appelée « parataxe » est pertinente pour comprendre l’approche du montage vidéo par Laure Prouvost. Cette notion décrit l’acte de juxtaposer des éléments disparates côte à côte, sans logique apparente. Cette technique contraint les lecteur·rice·s à chercher un sens dans les interstices entre différentes propositions qui ne semblent partager aucun lien entre elles, ou en tout cas pas de manière explicite. Cette figure de style accorde ainsi aux lecteur·rice·s un espace et une capacité d’interprétation. La vidéo intitulée DIT LEARN réalisée en 2017 permet d’illustrer ce procédé. Elle débute avec plusieurs intertitres : « VOUS AVEZ SIX MINUTES DE RETARD », et, « VOUS ÊTES LÀ, VOUS ÊTES LE PRÉSENT, VOUS ÊTES LES PROCHAINES DOUZE MINUTES, VOUS ALLEZ DIT-LEARN [dit-apprendre], EN QUATRE PARTIES, VOUS ALLEZ DEVENIR, LE SIÈGE SUR LEQUEL, VOUS ÊTES ASSIS. » Dans la vidéo, une Laure Prouvost masquée nous invite à prendre place et prévient « Êtes-vous prêt·e·s ? » La vidéo se poursuit par une succession d’images où l’on peut observer des animaux, des actions et des objets liés à des concepts qui n’ont
* N.D.T. : Nous avons pris le parti de traduire en français ces différents éléments. Leur version originale peut être consultée dans le texte de Karen Archey en anglais, voir page 82.
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