Magazine Palais #20

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SOMMAIRE CONTENTS PALAIS 20 Le magazine du Palais de Tokyo The magazine of the Palais de Tokyo www.palaismagazine.com E contact@palaismagazine.com

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Directeur de la publication, Publisher : Jean de Loisy Rédacteur en chef, Editor-in-chief : Frédéric Grossi Éditeur, Editor : Vincent Simon Assistantes éditoriales, Editorial assistants :  Aurore Bano, Julie Chateignon Conception graphique, Graphic design : Helmo Traducteurs, Translators : Caroline Burnett, Peter Connor, Ian Monk, Émilie Notéris, Adel Tincelin, Robert Vallier Relectures, Proofreading : Nolwenn Chauvin, Tiffany Thomas

MONOGRAPHIE / MONOGRAPH

David Maljkovic´

Résolution spatiale & écart temporel Spatial resolution & temporal displacement Par / By Julien Fronsacq

26 PROJET SPÉCIAL / SPECIAL PROJECT

Shahryar Nashat

Ont participé à ce numéro, Have contributed to this issue : Jean-Marie Appriou, Daria de Beauvais, Marie-Thérèse Champesme, Paquita Chaton, Jean Clottes, Françoise Dastur, Gallien Déjean, Marianne Derrien, James Elkins, Julien Fronsacq, Virginie Gouband, Alexa Hagerty, Frédérique Ildefonse, Katell Jaffrès, Renaud Jerez, J. David Lewis-Williams, Li Gang, Edwin Lo, David Maljkovic´, Bernard Marcadé, Shahryar Nashat, Aude Pariset, Louise Pressager, Enrique Ramírez, Jo-ey Tang, Georges Teyssot, Camille Viéville, Wang Chunchen, Wu Hao, Qingmei Yao, Yu Ji, Zhao Yao

150 PROJET SPÉCIAL / SPECIAL PROJECT

INSIDE CHINA : L’INTÉRIEUR DU GÉANT Avec les contributions de / With contributions by : Yu Ji, Renaud Jerez, Edwin Lo, Aude Pariset, Li Gang, Zhao Yao, Wu Hao, Wang Chunchen, Jo-ey Tang

170 Focus

PALAIS est édité par, is published by : Palais de Tokyo SAS, 13 avenue du Président Wilson, F-75116 Paris, T +33 1 4723 5401 www.palaisdetokyo.com

Enrique Ramírez Louise Pressager Qingmei Yao Virginie Gouband Jean-Marie Appriou

Publicité, Advertising : Mazarine Culture, 2 square Villaret de Joyeuse, F-75017 Paris, T +33 1 5805 4970 www.mazarine.com Contacts : Françoise Meininger, Carole Nehmé

Interviews par / by : Marie-Thérèse Champesme, Marianne Derrien, Bernard Marcadé, Camille Viéville, Gallien Déjean

Diffusion, Distribution PALAIS est diffusé en France et à l’étranger. Liste et coordonnées des diffuseurs, voir www.palaismagazine.com / PALAIS is distributed internationally. List and contact details of distributors, see www.palaismagazine.com Abonnements et ventes en ligne, Subscriptions and online orders : www.kdpresse.com / www.palaismagazine.com Conseil en fabrication, Production advisor : Ex Fabrica (Paris) Imprimé en Union européenne par, Printed in European Union by : D’Auria Printing spa, S. Egidio alla Vibrata (TE), Italie, Italy Dépôt légal à parution, imprimé en octobre 2014 ISSN 1951-672X / ISBN 978-2-84711-056-2 © Palais de Tokyo et les auteurs, 2014 © Adagp (Paris), 2014 pour les œuvres de ses membres Image de couverture / Cover image : Numen  / For Use, Tape Tokyo, 2013 Courtesy Spiral/Wacoal Art Center (Tokyo) Photo : Junpei Kato

PALAIS 20

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SOMMAIRE CONTENTS

39 Dossier / Main Theme

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La boîte en os The bone box Entretien de Jean de Loisy avec Paquita Chaton Interview of Jean de Loisy by Paquita Chaton

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L’intérieur comme intériorité : habiter en soi The inside as interiority: living in oneself Par / By Daria de Beauvais

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Le regardeur à l’œuvre : l’art comme possible exploration de soi The viewer at work: art as possible self-exploration 6

Par / By Katell Jaffrès

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Espace et habitation Space and dwelling Par / By Françoise Dastur

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Les plis de la membrane An enfolded membrane Par / By Georges Teyssot

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Introduction à une histoire de l’intériorité An introduction to a history of interiority Par / By Frédérique Ildefonse

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Les corps inversés Inverted bodies Par / By James Elkins

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L’esprit dans la grotte. La grotte de l’esprit. Conscience modifiée au paléolithique supérieur The mind in the cave. The cave in the mind. Altered consciousness in the upper paleolithic Par / By J. David Lewis-Williams & Jean Clottes

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Une belle mort après la mort : au-delà de l’art de bien mourir After the arts of dying: funerals and a search for a good death Par / By Alexa Hagerty

PALAIS 20


MONOGRAPHIE DAVID MALJKOVIC ´

DAVID


MONOGRAPHIE DAVID MALJKOVIC ´

MALJKOVIC´


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L’exposition « In Low Resolution » de David Maljković met en scène les temps du souvenir individuel et de l’imaginaire collectif autant que le temps de l’expérience et de sa représentation. L’occasion de s’interroger sur la façon dont, partant d’un travail sur la difficulté à hériter du passé, l’artiste développe une pensée plus vaste du temps, menée au moyen d’une pratique élargie du collage.

DAVID MALJKOVIC´

Monochromes [2013] Capot plexiglass, tréteaux, feuille de palme, petites œuvres sur toile / Perspex cover, trestles, palm leaf, small works on canvas Vue d’exposition / Exhibition view, « Sources in the Air », 04.11 2013 – 06.01 2014, GAMeC (Bergame / Bergamo)

MONOGRAPH DAVID MALJKOVIC ´

Courtesy de l’artiste / of the artist, Annet Gelink Gallery (Amsterdam) & Metro Pictures (New York) Photo : Antonio Maniscalco (Milan)

p. 7-9 DAVID MALJKOVIC´ In Low Resolution [2009-2014] (dÉtail / detail) Papier peint / Wallpaper Courtesy de l’artiste / of the artist


MONOGRAPHIE DAVID MALJKOVIC ´

Résolution spatiale & écart temporel par Julien Fronsacq

David Maljković explore les effets du temps. Les temps de l’histoire, de la technique et de l’œuvre sont mis en situation. De ces rapports et écarts sont exposées l’érosion de la mémoire et la corruption de l’information, confrontant le visiteur à l’usure du sens autant qu’à la déstabilisation de ses sens. Pour son exposition au Palais de Tokyo intitulée « In Low Resolution » [En basse résolution], David Maljković conçoit un dispositif ambivalent. Deux socles sont agrandis pour devenir de véritables plates-formes. Ne donnant à voir que partiellement les œuvres qui y sont intégrées, la plus grande des deux plates-formes est accessible aux visiteurs. Il s’agit de soustraire à l’exposition deux de ses propriétés habituelles qui sont l’information et une présentation claire 1. Les plates-formes obstruent autant qu’elles révèlent les espaces, évoquant simultanément l’excavation autant que l’enfouissement. La réception critique de l’œuvre de David Maljković s’appuie habituellement sur ces références modernes notamment celles à l’architecture des années 1960. Au-delà de ces références, la question de l’histoire est essentielle à l’œuvre de l’artiste. Le film Scene for a New Heritage (2004-2006) qui prend pour décor une ruine moderne constitue une des prémices de son parcours artistique. Né en 1973 à Rijeka en Croatie, David Maljković a connu, enfant, la république fédérative socialiste de Yougoslavie avant son démembrement. Parallèlement à la glasnost et à la réunification allemande, l’œuvre de David Maljković voit le jour en pleine période d’effritement du projet national de Tito, qui s’était construit sur la résistance au nazisme et l’édification d’une fédération socialiste garante d’une autonomie à l’égard de l’URSS. September 8 th, 2007 —

Gora, gigantesque mémorial aux partisans victimes du nazisme, pour lui adresser d’étranges cantiques. La tentative d’entrer en relation avec l’édifice se solde par un échec, celui d’une mémoire que le monument ne délivre plus. À propos du lieu de tournage, l’artiste déclare avoir été conduit par l’inconscient dans un voyage rétrofuturiste 4. S’il ne cède pas à la nostalgie et qu’une force mystérieuse l’a amené à l’endroit d’un édifice souffrant d’une récente amnésie collective, quelle relation au temps David Maljković engage-t-il ? August 1st, 2007 — I collect pictures that have lost their owners, pictures that are not anybody’s emotional support any more, and that are now on the market. It reminds me of the film, Blade Runner, where replicants possess photographs from the past that is not their own 5 …

Last night I dreamt that I was tired 2.

Lié à une perte de perspective politique et à une mémoire historique devenue problématique, le projet de David Maljković ne saurait se résumer à une nostalgie moderne. Le film Scene for a New Heritage [Scène pour un nouvel héritage], dont le titre désigne la mise en scène d’un héritage, a pour décor un monument. Selon Luc Baboulet, le monument est justement fondé sur un principe de mémoire et de sa transmission. Dans une tradition qui remonte à l’édification des temples et aux légendes saintes, le monument « met en scène » la mémoire. « La (…) valeur “monumentaire”. “Ce qui doit être lu” signifie alors la manière d’interpréter le monument : ce qu’il faut y voir, c’est-à-dire l’événement qu’il commémore, et qu’il n’évoque que par l’allusion, ou le symbole 3. » Le film narre le voyage de jeunes hommes qui se rendent sur le site de Petrova

DAVID MALJKOVIC´ Temporary Projections [2011] Table pour projecteur et cube / Projector table and cube Vue d’exposition / Exhibition view, « Sources in the Air », 04.11 2013 – 06.01 2014, GAMeC (Bergame / Bergamo) Courtesy de l’artiste / of the artist & Georg Kargl Fine Arts (Vienne / Vienna) Photo : Antonio Maniscalco (Milan)




Projet spécial / special project

Shahryar Nashat

Shahryar Nashat Né en 1975. Vit et travaille à Berlin. Diplômé de la Rijksakademie (Amsterdam) en 2002. Parmi ses expositions personnelles et collectives récentes : 8e biennale de Berlin (2014) ; « Der Brancusi-Effekt », Kunsthalle Vienne (2014) ; « Prosthetic Nord », Städtische Galerie (Nordhorn, 2013) ; « Exhibiting », Folkwang Museum (Essen, 2013) ; « When Attitudes Become Form Became Attitude », CCA Wattis / Detroit Museum of Art (2012) ; 54e biennale Internationale de Venise (2011). Il est lauréat du Swiss Art Awards (2001, 2002 et 2003), ainsi que du Prix Lafayette 2013. —— Exposition personnelle de Shahryar Nashat du 20/10/14 au 23/11/14 au Palais de Tokyo. Cette exposition est organisée dans le cadre du Prix Lafayette 2013, avec le soutien de Groupe Galeries Lafayette. Born in 1975. Lives and works in Berlin. Graduated from the Rijksakademie (Amsterdam) in 2002. Solo and group exhibitions include: 8 th Berlin Biennial (2014); “Der Brancusi-Effekt,” Kunsthalle Wien (2014); “Prosthetic Nord,” Städtische Galerie (Nordhorn, 2013); “Exhibiting,” Folkwang Museum (Essen, 2013); “When Attitudes Become Form Became Attitude,” CCA Wattis / Detroit Museum of Art (2012); 54 th International Venice Biennial (2011). He is the recipient of the Swiss Art Awards (2001, 2002 and 2003), as well as the Prix Lafayette 2013. —— Solo exhibition by Shahryar Nashat from 20/10/14 to 23/11/14 at the Palais de Tokyo. This exhibition is organized within the context of Prix Lafayette 2013, with the support of Groupe Galeries Lafayette.

Rendu d’images par Andrea Faraguna Image renderings by Andrea Faraguna


in si d e DOSSIER / MAIN THEME


Collection Instituto Inhotim ; Photo : Pedro Motta

Marcius Galan Seção Diagonal [2008] Peinture, bois, cire pour sol et filtres de lumière / Paint, wood, floor wa x and light filters Vue de l’installation / Installation view, Instituto Inhotim (Brumadinho, Brésil / Brazil)


DoSSIER / MAIN THEME INSIDE

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L’intérieur comme intériorité : habiter en soi par Daria de Beauvais

J’interroge le visible. Je cherche dans le visible une dimension perdue. Car le visible n’est pas tant ce qu’on voit que ce qu’il donne à voir, en le dissimulant 1. Le motif de l’intériorité trouve chez de nombreux artistes un écho particulier dans la représentation de l’intérieur. Ce que le sujet vit en lui, au plus profond de sa conscience ou dans les replis de son être, prend la forme d’une extériorité, d’un lieu qui existe dans le monde (un habitat, une maison, etc.) et dont la caractéristique principale est de disposer d’un intérieur. En se cherchant en luimême, l’homme cherche aussi bien à habiter le monde, à habiter dans le monde. De l’intériorité à l’intérieur, il est question d’un lieu de vie, d’un espace à domestiquer, mais aussi parfois d’une chambre de mémoire ou d’un espace de projection mentale : on y retrouve des peurs anciennes, des fantasmes nouveaux et tout un appareillage qui transforme l’intérieur en un lieu de production des images, voire de théâtralisation de la vie. L’intérieur s’ouvre au regard du public et du visiteur. D’intime, il devient partagé : on entre à l’intérieur de la conscience de l’artiste, il nous ouvre son intériorité. L’exposition « Inside » nous fait pénétrer


Courtesy Semiose galerie (Paris) ; Photo : S. Lloyd

abraham poincheval Ours [2014] 160 × 220 × 110 cm Matériaux mixte / Mixed materials Vue d’exposition / Exhibition view, « (Dans la peau de) l’ours », musée de la Chasse et de la Nature (Paris), 01.04 – 20.04 2014


Courtesy Gallery Koyanagi (Tokyo)

ATARU SATO Sans titre [2014] Matériaux divers sur papier / Various material on paper 21 × 29,7 cm


Courtesy de l’artiste / of the artist & Galleria Zero (Milan)

Yuri Ancarani Da Vinci [2012] VidĂŠo / video 25 min.


Courtesy de l’artiste / of the artist & Ishikawa Collection © Ryan Gander Photo : Keizo Kioku

Ryan Gander I is… (viii) [2012] Résine de marbre / marble resin 174 × 109 × 110 cm


AN ENFOLDED MEMBRANE

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« Conclave Catoptricum », in Johannes Zahn, Oculus artificialis teledioptricus, sive Telescopium (sumptibus J. C. Lochneri, Nuremberg ; Bibliopolae : typis johannis Ernesti Adelbulneri, 1702), 2e édition / 2nd edition Courtesy ETH-Bau Library (Zurich)

Diller & Scofidio, Blur Building, pavillon réalisé à l’occasion de l’exposition nationale suisse « Expo.02 » flottant dans un brouillard artificiel au-dessus du Lac de Neuchâtel, Yverdonles-Bains, 2002. Pavillion built at the occasion of the Swiss National Exhibition “Expo.02” floating in an artificial fog over Lake Neuchâtel, Yverdon-les-Bains, 2002. Photo: © Beat Widmer

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Toyo Ito, Œuf des Vents, porte virtuelle à l’entrée de l’ensemble résidentiel de Okawabata Rivercity 21, Tsukuda, Chuo-ku, Tokyo, 1991 ; un volume elliptique laissant apparaître en version nocturne des images vidéos sur cinq écrans LCD installés en son sein. Toyo Ito, Egg of Winds, virtual gate at the entrance of Okawabata River City 21 condominium, Tsukuda, Chuo Ku, Tokyo, 1991; during the night video images appear on 5 LED screens located inside the elliptical volume. Photo: © Tomio Ohashi 3

J. MAYER H. und Partner, Architekten, Metropol Parasol, Plaza de la Encarnacíon, Séville, 2004-2011. Construits en éléments de bois lamellé-collé enduit de polyuréthane, les parasols sortent du site archéologique pour devenir un édifice emblématique contemporain. Made from bonded timber with a polyurethane coating, the parasols grow out of the archaeological excavation site into a contemporary landmark. Photo : David Franck (Berlin) Courtesy J. MAYER H. und Partner, Architekten

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Kengo Kuma, Tee Haus [Maison de thé], Museum für Angewandte Kunst, Francfort, 2007. Un nouveau matériau appelé Tenara est utilisé pour créer une double membrane gonflable. Les deux membranes sont reliées par une corde en polyester. La membrane se dilate et se contracte comme si elle respirait. A new material called Tenara is used to create a double inflatable membrane. The two membranes are connected by a polyester string. The membrane expands and contracts as though it breathes.

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LES PLIS DE LA MEMBRANE

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Open Source Architecture (Chandler Ahrens, Eran Neuman, Aaron Sprecher), White Out, développement du Hylomorphic Project, Indianapolis Art Center, 2014. White Out explore l’idée de différence et de singularité en intégrant des objets aux formes géométriques disparates sous une membrane homogène blanche. La perception de la différence se trouve transformée quand les multiples formes géométriques poussent et déforment la surface élastique tentant de repousser les différents éléments pour former un ensemble unique et cohérent. White out explores the idea of difference and singularity through the process of embedding disparate geometries and objects under a homogenous white skin. The perception of difference is transformed when multiple unique geometries push and deform the surface while the white elastic skin attempts to pull the parts back into a cohesive singular object. Photo : Chandler Ahrens Courtesy Open Source Architecture

Open Source Architecture (C. Ahrens, E. Neuman, A. Sprecher), SlrSrf, rénovation d’une résidence privée (extérieur et escalier), Culver City, Californie, 2012-13. L’optimisation du toit avec l’implantation de panneaux photovoltaïques afin de rendre le bâtiment autonome énergiquement génère la forme de la nouvelle construction de 42 m2 et de la rénovation de la maison existante. Un nouvel escalier qui relie ces deux éléments inclut de nouveaux rayonnages pour la bibliothèque. Open Source Architecture (C. Ahrens, E. Neuman, A. Sprecher), SlrSrf, private residence, renovation (exterior view and staircases), Culver City, California, 2012-13. Optimization of the roof as a solar receiving surface for net zero photovoltaic electrical production generates the form of the 450 square foot (42 sqm) addition and renovation of an existing house. New stairs located between the addition and existing house integrate the library shelving displaced by the stairs. Photo : Benny Chan / fotoworks Courtesy Open Source Architecture


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DoSSIER / MAIN THEME INSIDE

Introduction à une histoire de l’intériorité par Frédérique Ildefonse

L’idée du moi et les problématisations de la subjectivité occupent abondamment les champs littéraire et philosophique depuis l’Antiquité tardive. Remontant en deçà, jusqu’aux Grecs des temps archaïques, on peut désarticuler des notions trop rapidement associées, telles que le moi et l’intériorité. Ainsi, de Platon aux formes contemporaines de polythéisme, une autre pensée de l’individu se dessine, non plus isolé en lui-même mais habité par ses autres.


Introduction à une histoire de l’intériorité

Dans La Fabrique de soi, Jean-Pierre Vernant soulignait combien « l’organisation mentale et psychique du Grec est telle qu’il ignore totalement l’introspection, il est entièrement orienté vers l’extérieur 1 ». Il écrit dans un dialogue avec Pierre Kahn sur La Mort dans les yeux : « Pour dire les choses en deux mots et grossièrement, l’expérience de soi n’est pas orientée vers le dedans, mais vers le dehors. » En effet, « l’individu se cherche et se trouve dans autrui, dans ces miroirs que sont pour lui tous ceux qui constituent à ses yeux son alter ego : parents, enfants, amis. L’individu se situe aussi lui-même dans les opérations qui le réalisent, qui l’effectuent “en acte”, energeia, et qui ne sont jamais dans sa conscience. Il n’y a pas d’introspection. Le sujet est extraverti. Il se regarde au-dehors. Sa conscience de soi n’est pas réflexive, elle n’est pas repli sur soi, travail sur soi, élaboration d’un monde intérieur, intime, complexe et secret, le monde du Je. Elle est essentielle », c’est-àdire qu’elle a trait à l’essence. La Fabrique de soi s’achevait sur une phrase programmatique : « Il y a toute une histoire de l’intériorité et de l’unicité du moi qui est à faire 2. » On peut choisir de raccourcir cette séquence et de s’attacher plutôt à une histoire de l’intériorité, mieux, à une histoire des manières dont on a problématisé l’intérieur mental. En s’attachant à certaines références grecques (chez Homère, Platon, dans le stoïcisme impérial), on peut montrer combien les mentions d’un intérieur mental ne l’envisagent pas comme un intime. L’intérieur n’est pas non plus problématisé comme un « en soi-même ». L’injonction de Marc Aurèle que l’on traduit par : « Regarde en toi-même » permet une traduction plus littérale : « Regarde à l’intérieur 3 . » D’autres échos peuvent alors se faire entendre, comme avec les passages où Marc Aurèle, qui enjoint à ne pas se disperser, à « ne pas observer ce que dit le voisin 4 », à ne pas « regarder dans la partie directrice d’autrui 5 », écrit aussi : « Entrer dans la partie directrice de chacun ; permettre aussi à autrui d’entrer dans notre partie directrice 6 ». Cette suggestion, ce programme d’une telle circulation des âmes – la partie directrice désigne pour les stoïciens la partie principale de l’âme – paraît remettre en cause la distinction entre soi-même et autrui qu’elle présuppose pourtant.

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Il est possible de problématiser l’inté- matise l’âme ou l’esprit – même si Platon, rieur mental sans le relier nécessairement par exemple, définit la pensée comme le à un moi ou à un soi : à l’intérieur ce n’est pas « dialogue intérieur et silencieux de l’âme moi-même que je trouve. On peut aborder avec elle-même 7 ». Cette tradition de penet chercher à explorer la manière dont, à sée a choisi d’insister moins sur la liaison partir de là, les concepts se trouvent noués entre intérieur et raison, et, par exemple, ou dénoués – principalement les concepts sur la nécessité d’un retour en soi-même, d’unité, d’unicité et de personne – d’une que sur l’organisation politique des parmanière différente de celle qu’on peut ties de l’âme et le caractère dominant ou constater lorsque l’intériorité est considé- directeur de la partie rationnelle. Le fait rée comme le fait, et la qualité même, qui que la réflexion sur l’âme passe immédiapermet au sujet d’accéder à lui-même sur tement par la considération de ses parties un mode de vérité. Il importe aussi de cher- engage une réflexion sur le composé dans cher à établir quels sont les effets des diffé- des termes politiques : l’âme est une microrentes problématisations de l’intérieur sur pole 8 . Quant à l’injonction à un retour en l’individu lui-même comme sur sa carac- soi-même, qui apparaît chez Marc Aurèle par exemple, elle n’est d’ailleurs pas synotérisation. Je n’entends pas par intériorité la nyme du retour à une intériorité constituée simple expérience d’un intérieur mental, et identique à un moi. Il faut aussi veiller à ne pas s’empresdisons : d’un espace mental retranché, non visible, thématisé ou non comme privé, ser de gloser l’intérieur, ou seulement préservé, voire secret, mais la qualité d’un l’esprit, par le fond, par l’idée d’une prosujet convaincu que les phénomènes psy- fondeur dernière, d’un abri mental. De chiques ou intérieurs qui lui arrivent et même, on doit distinguer entre profonse produisent en lui lui appartiennent en deur des viscères et profondeur de l’esprit. propre ; la caractéristique d’un sujet qui Chez Homère, la variété des termes en prés’approprie les phénomènes psychiques sence est grande : le cœur qui est désigné qui se produisent en lui, qui considère les par trois mots distincts ; le foie qui est le phénomènes intérieurs comme siens ou centre de l’attention divinatoire ; l’esprit ; le diaphragme ; l’énergie, la force ; la colère, encore s’identifie à ses états intérieurs. Il y a d’autres possibilités conceptuelles le cœur, la vaillance ; l’âme ; l’esprit ; les ainsi que d’autres expériences d’un inté- viscères. La psychologie est liée à la phyrieur mental : il n’est pas nécessaire d’ad- siologie. Ce qui est à l’intérieur, ce sont hérer à ses états intérieurs, ou psychiques, alors les entrailles. Si l’intérieur est alors de considérer qu’ils nous appartiennent, obscur et caché, les sentiments, les états nous expriment ou nous révèlent ; il n’est d’esprit ne sont pas seulement situés et pas nécessaire de nous identifier à eux. Une cachés à l’intérieur des entrailles ; ils sont, partie de la cure psychanalytique repose comme l’a expliqué Vernant, l’état même sur cette expérience, qu’elle cont r ibue à Il est possible de problématiser permettre. De même, l’intérieur mental sans le relier il n’est pas nécessaire nécessairement à un moi ou à un soi : de parler en termes à l’intérieur ce n’est pas moi-même de « vie intérieure », que je trouve. qui apparaît comme l’expression sensible d’une complexité singulière. Le second objectif poursuivi si de ces entrailles : la profondeur est viscél’on s’attache à une histoire des probléma- rale, elle n’est pas la profondeur mentale tisations de l’intérieur consiste à chercher qui apparaît dans différentes expressions à défaire une alliance qu’on croit souvent d’Augustin, ainsi dans le De magistro : obligée entre intérieur et subjectivité, et à « le sanctuaire de l’âme » ; Dieu qui doit montrer que l’intériorité n’est qu’une des être cherché et prié « dans les profondeurs multiples manières de problématiser l’in- mêmes de l’âme raisonnable, dans ce qu’on appelle l’homme intérieur ». térieur mental. Lorsqu’on parle d’intériorité, on Chez Platon, Aristote et dans le stoï- parle le plus souvent à la fois de quelque cisme ancien, ce n’est pas en insistant chose comme un centre commun fédérasur son caractère intérieur qu’on problé- teur – centre ou origine, invisible, d’une


Courtesy de l’artiste / of the artist

Sookoon Ang Exorcise Me [2013] Vidéo / video, 3 min. 13 sec. Vue d’exposition / Exhibition view, « If the World Changed », Singapore Biennial, 29.10 2013 – 16.02 2014


Collection Nicoletta Fiorucci (Londres / London) Courtesy of Gladstone Gallery (New York, Bruxelles / Brussels) © Andro Wekua

Andro Wekua Untitled [2011] Cire, bois, acier, tissus / Wa x, wood, steel, fabric 150 × 72 × 223.5 cm


PROJET SPÉCIAL INSIDE CHINA

Inside China 150

L’intérieur du Géant

SPECIAL PROJEcT INSIDE CHINA


PROJET SPÉCIAL INSIDE CHINA

Avec les contributions de  With contributions by  Yu Ji (p. 152-153) Renaud Jerez (p. 156-157) Edwin Lo (p. 158-159) Aude Pariset (p. 160-161) Li Gang (p. 162-163) Zhao Yao (p. 166-167) Wu Hao (p. 168-169) & Wang Chunchen (p. 164-165) Jo-ey Tang (p. 154-155) (commissaires de l’exposition curators of the exhibition)

Nadar Intérieur du Géant [1863] Contret ype gélatino-argentique (ca. 1900), d’après un négatif sur verre au collodion (1863) / Silver gelatine duplicate (ca. 1900), from collodion glass plate negative (1863) 10,9 × 8,2 cm Bibliothèque nationale de France – Département des estampes et de la photographie (Paris)

En partenariat avec la K11 Art Foundation, le Palais de Tokyo présente une exposition conçue par Jo-ey Tang, commissaire d’exposition au Palais de Tokyo, en concertation avec Wang Chunchen, commissaire d’exposition délégué par la K11 Art Foundation. Cette exposition inaugure une collaboration de trois ans entre la K11 Art Foundation et le Palais de Tokyo consacrée à la découverte et à la présentation réciproque des scènes émergentes chinoises et françaises. Fondée par Adrian Cheng en 2010, la K11 Art Foundation est un organisme à but non-lucratif qui soutient le développement de l’art contemporain chinois, en proposant une plate-forme de création artistique visant à encourager les talents de l’ensemble des territoires chinois et à améliorer leur visibilité sur la scène internationale. Le K11 Art Village apporte son soutien aux jeunes artistes qui n’ont pas les moyens de financer leur vocation. Ces derniers sont invités à participer aux programmes de résidences artistiques et à faire de leurs idées singulières des œuvres de création. Ces jeunes talents ont également accès à un large éventail de ressources à l’échelle nationale et internationale, à des possibilités d’exposition, à des échanges universitaires, ainsi qu’à une visibilité élargie auprès du grand public et des médias. Jo-ey Tang, commissaire d’exposition au Palais de Tokyo, a effectué de nombreux voyages en Chine en 2014, grâce au soutien de la K11 Art Foundation. Il y a découvert une nouvelle génération d’artistes confrontés à la surproduction, à la monumentalité et à l’évolution rapide de leur environnement. Intégrant ces bouleversements dans leurs systèmes de production, ces artistes, suivant leurs temporalités propres, font de leur quête interne une présence matérielle étrange et se saisissent de l’ineffable : esprit, attitude, sensibilité ou mode de vie individuel. Avec le soutien de la K11 Art Foundation et de son commissaire d’exposition invité, Wang Chunchen (Central Academy of Fine Art Museum, Pékin), « Inside China : l’intérieur du Géant » forme le premier chapitre de ce nouveau voyage, qui présente cinq artistes chinois en dialogue avec trois artistes français, dont le photographe français du xixe siècle Nadar. —— « Inside China : l’intérieur du Géant », exposition collective du 20/10/14 au 11/01/15 au Palais de Tokyo. Cette exposition est réalisée en coproduction avec K11 Art Foundation et avec le soutien de Chow Tai Fook.

SPECIAL PROJEcT INSIDE CHINA

In partnership with the K11 Art Foundation, Palais de Tokyo presents an exhibition conceived by Jo-ey Tang, curator of Palais de Tokyo, in consultation with Wang Chunchen, curator appointed by the K11 Art Foundation. This exhibition inaugurates a threeyear collaboration between the K11 Art Foundation and Palais de Tokyo, dedicated to the discovery of emerging art scenes in China and France, with a series of presentations in both countries. Founded by Adrian Cheng in 2010, the K11 Art Foundation is a not-for-profit organisation that advances the development of Chinese contemporary art by providing the creative incubating platform to nurture artistic talents in Greater China and to facilitate their exposure on the international stage. Across Greater China, K11 Art Foundation’s initiatives include the K11 Art Village which provides support for young artists who do not have the financial means to support their vocation. These young talents will also gain access to a wide range of nationwide and international resources, exhibition opportunities and academic exchanges, as well as the greater public and media exposure. In 2014, Jo-ey Tang, curator at the Palais de Tokyo, thanks to the support of the K11 Art Foundation, made numerous trips to Greater China. There, he witnessed a new wave of artists negotiating over-production, monumentality, and rapid development of their surroundings. Embedding these challenges into their own systems of production, these artists abide by their own temporalities, turn internal investigation into the strangeness of material fact. They capture something ineffable: a spirit, an attitude, a sensitivity, and an individual mode of existence. With the support of the K11 Art Foundation and its appointed curator Wang Chunchen (Central Academy of Fine Arts Museum, Beijing), “Inside China : l’intérieur du Géant” is the first chapter of this new journey; presenting five Chinese artists in dialogue with three French artists, including the 19 th-century French photographer Nadar. —— “Inside China : l’intérieur du Géant,” group exhibition from 20/10/14 to 11/01/15 at the Palais de Tokyo. This exhibition is coproduced with K11 Art Foundation and with the support of Chow Tai Fook.

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FOCUS #1

Les films et installations d’Enrique Ramírez témoignent de l’histoire de son pays, le Chili, et des échanges et migrations dans un monde globalisé. Discussion autour de son dernier projet, Los durmientes, évocation poétique et politique d’un épisode particulièrement sinistre de la dictature chilienne. Marie-Thérèse Champesme |

Dans tes films, tes installations et tes photographies, tu abordes des questions actuelles comme l’émigration (Horizon, Cruzar un muro) ou le commerce maritime dans une économie mondialisée (Océan). Tu fais souvent, aussi, référence à l’histoire de ton pays, le Chili, et notamment à la dictature de Pinochet. Tu reviens sur ce sujet dans le triptyque vidéo présenté au Palais de Tokyo, Los durmientes. Peux-tu nous expliquer ce titre, que tu as souhaité laisser en espagnol ? Enrique Ramírez |

« L os durmientes » désigne à la fois des gens qui dorment et des traverses de chemin de fer. Le titre fait référence à un fait particulièrement abominable de la dictature chilienne : on jetait des hommes et des femmes à la mer et, pour être sûr que les corps ne Enrique Ramírez


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