It Will All End in Tears (2006) Film anamorphique 35 mm / Anamorphic film 35 mm 20 min Courtesy de l’artiste / of the artist & Galerie Perrotin, James Cohan Gallery (New York, Shanghai), Galleri Nicolai Wallner (Copenhague / Copenhagen)
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A Vicious Undertow (2007) Super 16 mm, noir et blanc / Super 16 mm, black and white 10 min Courtesy de l’artiste / of the artist & Galerie Perrotin, James Cohan Gallery (New York, Shanghai), Galleri Nicolai Wallner (Copenhague / Copenhagen)
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A Question of Silence (2008) Super 16 mm transféré en Blu-ray / Super 16 mm transferred onto Blu-ray 6 min 18 s Courtesy de l’artiste / of the artist & Galerie Perrotin, James Cohan Gallery (New York, Shanghai), Galleri Nicolai Wallner (Copenhague / Copenhagen)
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Intercourses (2013) Vidéo 2K, installation vidéo cinq canaux, noir et blanc / 2K video, five-channel video installation, black and white 10 minutes en boucle (chacune) / 10 minutes in loop (each) Dimensions variables / Dimensions variable Courtesy de l’artiste / of the artist & Galerie Perrotin, James Cohan Gallery (New York, Shanghai), Galleri Nicolai Wallner (Copenhague / Copenhagen)
p. 29 Vue de l’exposition / View of the exhibition « Intercourses », Pavillon danois / Danish Pavilion, 55e Biennale de Venise / 55th Venice Biennial, 01.06 2013 – 24.11 2013 Photo : Paul Mazzega
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DANS LA DOUBLURE DES RÊVES Par Fabien Danesi « Le plus souvent, je suis dans l’obscurité même de mon désir ; je ne sais ce qu’il veut, le bien lui-même m’est un mal, tout retentit, je vis au coup par coup : estoy en tinieblas. Mais, parfois aussi, c’est une autre Nuit : seul, en position de méditation (c’est peut-être un rôle que je me donne ?), je pense à l’autre calmement, tel qu’il est ; je suspends toute interprétation ; j’entre dans la nuit du non-sens ; le désir continue de vibrer (l’obscurité est translumineuse), mais je ne veux rien saisir ; c’est la Nuit du non-profit, de la dépense subtile, invisible : estoy a oscuras : je suis là, assis simplement et paisiblement dans l’intérieur noir de l’amour 1. » – Roland Barthes Heurter la conscience vigile
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À l’observation des œuvres de Jesper Just, une structure récurrente apparaît : ses films mettent en scène une situation – sans avant ni après – ayant pour fil conducteur les actions de personnages dépourvus d’identité psychologique. Ces moments ouverts, selon l’expression de l’artiste 2, prennent place dans des lieux fortement connotés qui déterminent l’atmosphère flottante dans laquelle se développent ses récits abstraits. La dramaturgie emprunte une forme lacunaire qui passe le plus souvent par des rencontres où ne cesse d’échapper la nature de la relation entre les personnages. Aucune explication n’est donnée. Et le spectateur doit s’accrocher aux images à la recherche d’indices pour tenter de comprendre la scène. Mais la narration reste énigmatique tant elle se développe à travers un jeu de contradictions et d’ambiguïtés. Dans The Sweetest Embrace of All (2004), un jeune homme descend l’escalier d’un night-club pour retrouver un homme plus âgé, seul dans le lieu en train de boire et fumer. Déstabilisé par cette arrivée, ce dernier se lève et explique qu’il n’aurait pas dû venir. L’autre rétorque qu’il s’en va avant de se diriger dans sa direction
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pour se mettre à genoux et le serrer dans ses bras en guise d’adieu. La douceur se fait violence lorsque le vieil homme cherche à se dégager de ce geste d’affection. L’étreinte se transforme en combat : les deux protagonistes roulent à terre, le serrement devenant de plus en plus fort, au point de mener à la mort. Le jeune homme se relève alors et fuit rapidement, nous laissant avec la cruelle indécision de savoir si la conséquence de son acte avait été préméditée. Face à l’absence de lien logique entre les éléments, les détails de la scène déterminent des pistes interprétatives sans amener à une conclusion. Ce sont par exemple les gants blancs que porte le jeune homme et qu’il sort de manière ostensible des poches de sa veste lors de la rencontre. Ils semblent être la preuve de sa volonté de ne pas laisser de trace, mais dans le même temps, ils reprennent la couleur de ses chaussures, tel un simple accessoire de mode. À moins qu’ils ne soulignent la phobie de tout contact – vite déniée cependant. De même, les photographies érotiques de femmes qui servent de décoration pencheraient pour une relation de père à fils. Mais l’équivoque sexuelle ne peut être écartée, comme si Jesper Just avait incarné de façon littérale le conflit œdipien ou qu’il avait dessiné l’hypothèse d’une bisexualité. En fait, ses fictions elliptiques – à la fois concises et complexes – partagent avec les rêves les principes de la condensation et des associations sans contrainte qui leur confèrent une dimension « intraduisible pour la conscience vigile 3 ». Les antinomies invitent à délaisser la raison sourcilleuse afin de traverser dans toute leur densité ces histoires incomplètes. Elles assurent une prodigieuse instabilité de lecture, à même d’ouvrir les multiples portes de la psyché. A Voyage in Dwelling (2008) est emblématique de ce traitement onirique qui permet d’accentuer les tensions entre ruptures et continuités, à l’image du passage de la terre ferme à la mer – saisi ici à travers une césure. Une femme se promène parmi les arbres près d’une maison. Elle semble irrésistiblement attirée par l’eau en bordure. Sous un soleil rasant d’hiver, elle continue à avancer jusqu’à se rendre compte qu’elle a déjà quitté l’île sur laquelle elle se trouvait et qu’un travelling ascendant découvre dans sa totalité, perdue au milieu d’une étendue maritime sans limite. À la faveur d’un plan en accéléré, la mer se retire avant que la femme ne revienne dans la
p. 48 – 61 Vues de l’exposition de Jesper Just / Views of Jesper Just’s exhibition, « Servitudes », Palais de Tokyo, 24.06 2015 – 13.09 2015 Photo : Aurélien Mole Servitudes (2015) Vidéo 2K, installation vidéo neuf canaux et interventions architecturales / 2K video, nine-channel video installation and architectural interventions Courtesy de l’artiste / of the artist, Galerie Perrotin & Anna Lena Films
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