L’INTERVIEW « La santé est politique par nature »
Didier Tabuteau, Sciences-Po
Le PHaRMaCIeN w w w. l e p h a r m a c i e n . f r
Le jeûne, espoir ou arnaque ?
Fumer sans feu
Moderniser son informatique
DÉCRYPTAGE p. 22
ENQUÊTE p. 28
INVESTISSEMENT p. 38
DEFRANCE N o 1 2 4 4 n o v e m b r e 2 0 1 2
Le PHaRMaCIeN
il tt es dra u u nd so s ? e e é tt . r ur a . . t nt rti up t. a r t t t so es ten .16 e p cr en e d dou te é m d em è n uê Le al obl p e nq fin pr cou re e le au ot n be IRE L
DEFRANCE
L’Éditorial
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Le médicament, c’est nous
Philippe Gaertner
© Miguel Medina
Président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France
No 1244 I 55e année I 02/11/12 ISSN 0031-6938 I CPPAP : 0217 T 81323 www.lepharmacien.fr LE PHARMACIEN DE FRANCE 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09 Tél. : 01 42 81 15 96 Télécopie : 01 42 81 96 61 DIRECTEUR de la publication : Éric Garnier DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Jocelyne Wittevrongel RÉDACTEUR EN CHEF : Laurent Simon (lsimon@lepharmacien.fr) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : Anne-Laure Mercier (almercier@lepharmacien.fr) RÉDACTRICE : Pauline Michel (pmichel@lepharmacien.fr) secrétaire de rédaction : Joséphine Volat (jvolat@lepharmacien.fr) Ont collaboré à ce numéro : Anaïs Bellan I Claire Grevot I Marie Léon création et réalisation : Rampazzo & Associés www.rampazzo.com - blog.rampazzo.com correction : Francys Gramet IMPRESSION : Lescure Théol 27120 Douains ILLUSTRATIONS : Photos : Miguel Medina Dessins : Martin Vidberg DIRECTEUR commercial ET RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Christophe Bentz (cbentz@lepharmacien. fr). Tél. : 01 42 81 56 85 Fax. : 01 42 81 96 61 ABONNEMENTS : Tél. : 01 42 81 15 96 L’abonnement d’un an France-Corse : 90 € TTC I Guyane : 89,08 € TTC Guadeloupe, Martinique, Réunion : 89,08 € Étranger : 154 € I Achat au numéro : 12 € TTC I Certificat d’inscription à la Commission paritaire de la presse : no 0212 T 81323 ORGANE D’INFORMATIONS SCIENTIFIQUES ET PROFESSIONNELLES PHARMACEUTIQUES Le Pharmacien de France est édité par la SARL « Le Pharmacien de France ». Siège : 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09. Durée 99 ans à compter de 1977 Capital : 93 000 euros I Cogérants : Éric Garnier I Jocelyne Wittevrongel I Date du contrôle OJD : 28/11/2011.
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est un fait : de leur utilité et prête à s’y lancer. Reste mainMarisol Tou- tenant à en parfaire les mécanismes. J’en prends raine n’était pas l’engagement dans cet éditorial : la plus symau 65e Congrès bolique des mesures que nous avons portées des pharma- depuis la première des nouvelles missions – la ciens. Tous les délivrance de la pilule du lendemain, actée il y congressistes présents et moi le premier l’avons a treize ans déjà – sera lancée sans coup férir. regretté. Pourtant la ministre a parlé : par la voix Néanmoins, les entretiens ne seront pas initiés de Thomas Fatome, son représentant à la tribune à n’importe quelle condition ; la FSPF a d’ores de Lille, les pharmaciens ont compris et appré- et déjà tracé quelques lignes jaunes à ne pas cié plusieurs choses. Tout d’abord qu’il n’y aurait franchir. Ne nous y trompons pas : la conception pas d’atermoiements : la des entretiens pharmaceumarche vers l’honoraire est L’Assurance tiques a été volontairement résolument engagée depuis maladie a besoin centrée sur le médicament. la signature de la Convention La bonne observance des jusqu’au 1er janvier prochain. de spécialistes anticoagulants oraux dans Mais les combats se mènent du médicament un premier temps puis le bon jusqu’au dernier instant : usage des bronchodilatateurs sachez que la volonté des pour mener les chez les asthmatiques non négociateurs de la Fédération entretiens sur contrôlés à partir de juillet ne faiblira pas jusqu’à ce que prochain relèvent de notre les anticoagulants les 12,5 % d’honoraires cœur de métier. L’Assurance soient actés. Malgré les oraux. maladie a besoin de spéciacoupes claires prévues dans listes du médicament pour la Loi de financement de la Sécurité sociale, mener à bien ces entretiens. En dépossédant malgré les négociations sur les dépassements les pharmaciens de « leurs » entretiens, l’initiad’honoraires des médecins qui mobilisent tive perdrait de sa pertinence… et certainement jusqu’aux plus hautes sphères de l’État, malgré de son efficacité. Les pharmaciens veulent ce le calendrier plus que serré qui nous est impo- face-à-face avec leurs patients non parce qu’il sé par l’Assurance maladie, la FSPF tiendra le est rémunérateur mais parce qu’il est essentiel cap fixé depuis la loi Hôpital, patients, santé et pour les patients et gratifiant pour leur exercice territoires. Il en ira de même pour les entretiens professionnel. En laissant l’initiative de ces pharmaceutiques sur les anticoagulants oraux. entretiens à l’officine, depuis l’inclusion jusqu’au Le dernier Congrès des pharmaciens a montré suivi, l’Assurance maladie fera un pari qu’elle que la profession était pleinement convaincue ne regrettera pas.
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Le Pharmacien de France lauréat ! Votre magazine a la fierté de vous annoncer que notre Décryptage Hors AMM, hors-la-loi ? paru dans notre numéro de décembre dernier est le candidat pour la France du prix européen du journalisme santé, qui sera officiellement décerné en janvier prochain à Bruxelles. L’équipe du Pharmacien de France et moi-même voulions partager avec vous cette reconnaissance pour le travail engagé sur le journal depuis plusieurs années. Jocelyne Wittevrongel, directrice de la rédaction
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Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Actualité
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novembre 2012 Sommaire Santé
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L’INTERVIEW idier Tabuteau : D « La santé est politique par nature » L’actu en bref Le kiosque
16 enjeux Ruptures de stock, décret en toc
28 ENQUÊTE Fumer sans feu 31 Panorama 32 conseil Dépister sans excès 33 fiche conseil L’incontinence urinaire masculine 36 International Et les lauréats sont…
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38 investissement Moderniser son informatique 40 NOUVELLES TECHNOS Le diaporama en pratique 43 ANALYSE Élections, premières du nom 44 En bref 46 Produits 48 SUBSTITUONS ! 50 BANC D’ESSAI Opération nez propre
20 dossiers de la fÉdÉ
décryptage
Officine
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Aperçu
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culture humour
Le jeûne, espoir ou arnaque ? Jeûner pour se sentir bien, pourquoi pas ? Si cette pratique est couramment admise dans certains pays comme l’Allemagne ou la Russie, en France les travaux qui évoquent une meilleure résistanceà la chimiothérapie ou bien
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encore les propos sur le jeûne thérapeutique comme remède à l’asthme, à la polyarthriteou à l’hypercholestérolémie provoquent des réactions quelque peu controversées. Explications pour trier le bon grain de l’ivraie…
ABONNEZ-VOUS maintenant au Pharmacien de France. Rendez-vous sur www.lepharmacien.fr Ce numéro comporte un encart inséré broché de 16 pages « Congrès des pharmaciens ». Novembre 2012 I No 1244 I 3
Actualité En bref
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ce qu’ils ils l’ont dit ont dit
Un rapport Attali bis ?
Attendu pour le 5 novembre, le rapport Gallois sur la compétitivité suggérerait, à l’instar du rapport Attali remis en 2007, une réforme des professions réglementées. S’il y a certes réflexion, le gouvernement assure ne pas vouloir ouvrir ce chantier. « Si vous pensez que l’avenir de la France dépend du statut des chauffeurs de taxis et des pharmaciens, il vaudrait mieux que j’arrête ce que je fais aujourd’hui », a déclaré le Premier ministre JeanMarc Ayrault. ❙
minier
La concertation (re)commence Marisol Touraine avait annoncé début août un moratoire sur la réforme du régime minier initiée par le précédent gouvernement, qui prévoyait sa fusion avec le régime général à fin 2013 et une fin programmée des pharmacies minières. L’alternance passée, la réflexion est relancée au sein du gouvernement puisque la ministre de la Santé a nommé Jean Bessière, ancien directeur général adjoint des relations du travail, pour mener le « dialogue qui a jusqu’à présent manqué », a précisé Marisol Touraine à l’Assemblée nationale. Le droit d’inventaire du précédent gouvernement n’est pas encore achevé. ❙ 10 I No 1244 I Novembre 2012
« Je ferai mes comptes à la fin du mois mais je gagnerai plus d’argent que lorsque j’étais ministre. »
DR
Dans un entretien avec Télé 2 semaines, l’ancienne ministre de la Santé Roselyne Bachelot réagit au sujet du cachet annoncé pour sa chronique dans l’émission Le Grand Huit sur D8, soit 20 000 euros mensuels.
vaccination
Revoilà la piqûre à l’officine L’Académie de pharmacie repose la question d’autoriser le pharmacien d’officine à pratiquer les injections vaccinales.
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e 17 octobre, au cours d’une séance sur la problématique de la couverture vaccinale en France, l’Académie de pharmacie a émis plusieurs propositions, dont la possibilité pour le pharmacien de pratiquer l’injection, dans certains cas et sous certaines conditions. Déjà suggérée dans son rapport
de 2011, sur le modèle des infirmiers, cette idée avait aussi été soumise par l’Inspection générale des affaires sociales dans son rapport sur la pharmacie également présenté l’an dernier. L’Académie de pharmacie remet donc le couvert, en admettant toutefois que cela pose un certain nombre de questions : quels vaccins, quels patients, etc. ? Pendant ce temps, l’Ordre national des infirmiers demande à élargir la vaccination antigrippale sans prescription médicale à l’ensemble de la population adulte. Rappelons qu’ils peuvent déjà le faire pour certains patients depuis 2008. À qui la prévention demain ? ❙
POLÉMIQUE
Allianz fait de l’OTC par téléphone Téléconseil santé est un tout nouveau service d’assistance médicale lancé par Mondial Assistance, filiale de l’assureur santé Allianz. « Votre enfant a de la fièvre, il est 19 heures et vous souhaitez savoir si vous pouvez lui donner un médicament présent dans votre pharmacie » ou « Vous souhaitez savoir si les différents médicaments que vous prenez sont bien compatibles » ? Si c’est le cas et que vous avez souscrit au service proposé par Mondial Assistance, vous avez encore une heure pour
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compétitivité
Christian Lajoux, président du Leem, appelle à une « décrispation » des relations entre l’industrie et les pouvoirs publics.
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DR
Michelle Rivasi, députée européenne, au sujet de la surconsommation de médicaments en France.
« L’industrie pharmaceutique ne peut pas être “blacklistée” comme elle l’a été au cours des dernières années. »
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« Les laboratoires orchestrent la surconsommation en faisant un chantage à l’emploi et à l’innovation. »
appeler le numéro fourni par votre complémentaire et obtenir immédiatement un avis d’un professionnel diplômé. Le service est en effet ouvert du lundi au vendredi de 8 h à 20 h et propose une équipe de médecins et d’infirmières chargés de faire du conseil à dis-
t a n ce a u x p at i e n t s q u i cherchent un recours immédiat à un professionnel de santé et « un besoin de réassurance rapide ». Le service existe dans d’autres pays européens comme la Suisse ou la GrandeBretagne où il remporte évidemment un « vif succès », selon Mondial Assistance. On pourra tout de même remarquer que les pharmaciens font le même travail de nuit comme de jour sans abonnement. Il suffit juste au patient de se déplacer jusqu’à la pharmacie la plus proche.
En bref Actualité
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
REPÈRES
6 000 3 304 euros
euros
21,7
5 %
C’est la somme que toucheront en moyenne de l’Assurance maladie les médecins généralistes au titre du paiement à la performance en mars 2013, selon des prévisions publiées par la Cnam-TS.
C’est la moyenne de rémunération d’un pharmacien adjoint calculée par l’Appel médical sur la base de 800 000 fiches de paie d’intérimaires.
C’est le marché des médicaments en officine, estimé par l’ANSM dans son dernier rapport sur les ventes de médicaments. Un chiffre en augmentation de 0,3 % sur l’année 2011.
C’est la baisse du nombre de généralistes constatée par l’Ordre des médecins dans son dernier Atlas de la démographie. D’ici à 2017, leur nombre devrait passer de 92 477 à 88 860 sur le territoire.
milliards d’euros
(Source : Baromètre Appel médical)
sur cinq ans.
coordination
belgique
Le décret permettant le déploiement officiel du dossier pharmaceutique (DP) dans les pharmacies à usage intérieur (PUI) a paru au Journal officiel du 7 octobre. Les pharmaciens exerçant dans les PUI peuvent donc désormais créer, consulter et alimenter un DP dans les mêmes conditions que les officinaux, sous réserve également de l’accord du patient. Les pharmaciens hospitaliers bénéficient aussi du même système de réception d’alertes sanitaires. En juin, 530 établissements de santé sur 2 600 s’étaient portés volontaires. Prochaine étape : l’expérimentation de l’utilisation du DP par les médecins hospitaliers. ❙
Certains patinent, d’autres avancent… Un arrêté royal publié le 28 septembre institue un cadre légal concret pour la préparation de médication individuelle (PMI), l’équivalent belge de la préparation des doses à administrer. Qu’elle soit manuelle ou automatisée, elle pourra être offerte par tous les pharmaciens à leurs patients à compter du 1er décembre 2012. Un service qui ne pourra d’ailleurs être réalisé qu’en pharmacie. En cas de PMI automatisée, la délégation de l’acte technique d’une pharmacie à une autre est possible. L’Association pharmaceutique belge revendique maintenant le droit à un honoraire complémentaire. ❙
Le DP entre à l’hôpital !
PDA réservée à l’officine
MACRO / ÉCO
Proximité ne rime pas toujours avec accessibilité Une étude de la Drees remet en cause le dogme de la proximité des praticiens libéraux comme raison première de consultation. « Le professionnel de santé libéral le plus proche est-il forcément celui auquel on a le plus recours ? » Cette question toute bête, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a tenté d’y répondre. Et les réponses qu’elle apporte sont paradoxales : « Les patients ne consultent pas toujours le professionnel de santé le plus proche pour les soins de premier recours. » Le phénomène est surtout marqué pour les gynécologues et les ophtalmologues (voir graphique cicontre), deux spécialistes en accès direct, qui exercent dans la commune du patient dans seulement 30 % des cas contre plus de 50 % pour le généraliste. Et vous, combien de kilomètres font vos patients ?
100
Part des consultations (en %)
90 80 70
Médecins généralistes
60
Masseurskinésithérapeutes
50
Ophtalmologues
40
Gynécologues 30 20 10 0
dans la commune de résidence
à moins de 5 minutes
à moins de 10 minutes
à moins de 15 minutes
à moins de 30 minutes
à moins d’1 heure
à moins de 2 heures
Sources : SNIIR-AM, CNAM-TS, 2010 ; distancier Odomatrix, Inra.
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Actualité Enjeux
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Après des mois d’âpres discussions, le décret sur les ruptures d’approvisionnement a vu le jour. Dépouillé de toutes les mesures initialement prévues pour réguler la distribution du médicament, il ne ressemble plus qu’à un rappel à la loi. Au grand dam des patients. par Anne-Laure Mercier
ruptures de stock, décret en toc Tout ça pour ça ! Un été 2011 de battage
médiatique, puis une année de réunions, de négociations et de tergiversations entre pouvoirs publics et acteurs de la chaîne du médicament, une année de coups de gueule et de communiqués belliqueux pour que le décret tant attendu voit le jour… délesté de toutes les mesures envisagées pour faire des ruptures une exception. Le texte qui circule depuis le mois de février encadrait dans ses premières versions toute passerelle entre les activités de répartition et d’exportation : il était interdit de cumuler au sein d’un même établissement des activités de grossiste-répartiteur et de distributeur en gros à l’exportation. En outre, les grossistes-répartiteurs devaient informer les laboratoires des quantités exportées et des pays destinataires et n’étaient autorisés à exporter qu’à deux conditions : avoir rempli leurs obligations de service public et n’exporter « En croyant bien faire, que les médicaments ne figules pouvoirs publics créent rant pas sur une liste que devait définir l’Agence nationale de un circuit parallèle. » sécurité du médicament (ANSM). À raison de près de Emmanuel Déchin, secrétaire général de la CSRP 300 spécialités – antiviraux, anesthésiques, anticancéreux, antidotes, produits de cardiologie, d’endocrinologie et d’ophtalmologie, immunosuppresseurs et vaccins –, cette liste de médicaments « d’intérêt thérapeutique majeur » limitait d’emblée la possibilité d’exporter. Il pouvait même être réclamé aux titulaires des autorisations de mise sur le marché de ces spécialités un « plan de gestion des pénuries ». Ce plan prévoyait notamment « des constitutions de stocks 16 I No 1244 I Novembre 2012
selon la part de marché de l’exploitant, des sites alternatifs de fabrication des matières premières, des sites alternatifs de fabrication des spécialités pharmaceutiques ainsi que, le cas échéant, l’identification de spécialités pouvant se substituer à la spécialité pharmaceutique en défaut ». En d’autres termes, un carcan très serré pour éviter toute rupture... Dans la version définitive, parue le 30 septembre au Journal officiel, la notion d’exportation parallèle a tout bonnement disparu. La liste des médicaments « d’intérêt thérapeutique majeur » aussi. La mise en place de « plans de gestion de pénuries » avec. Reste un rappel à la loi des obligations de chacun (grossistes et industriels) – loi qui semble pourtant avoir montré ses lacunes – et quelques « mesurettes ». Bref, une similiréforme qui inspire colère et déception aux patients, à l’instar du collectif d’associations de lutte contre le sida TRT-5, dont le travail mené depuis trois ans déjà avait déclenché le débat sur les ruptures de stocks d’antirétroviraux. Une centralisation… par l’industrie In fine, les ruptures d’approvisionnement sont désormais définies comme étant « l’incapacité pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur [PUI] de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures », délai qui peut être réduit par le pharmacien « en fonction de la compatibilité avec la poursuite optimale du traitement ». Le décret prévoit aussi la mise en place par les laboratoires de « centres d’appel d’urgence permanents » accessibles aux pharmaciens d’officine, aux PUI et aux délégués des grossistes-répartiteurs pour signaler les ruptures. « Ces centres sont organi-
Enjeux Actualité
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
« Le texte de santé publique est passé à la trappe au bénéfice des intérêts des uns et des autres. » Claude Bougé, directeur général adjoint du Leem
sés de manière à prendre en charge à tout moment les ruptures d’approvisionnement qui concernent les médicaments et à permettre la dispensation effective de la spécialité manquante. » De nombreux industriels mettent déjà à disposition de leurs clients des numéros verts, voire des platesformes d’appel joignables 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour les « dépanner ». Ce que le Leem (Les Entreprises du médicament), organisme représentatif des industriels, confirme. Officialiser ainsi la vente directe fait bondir la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), dont le secrétaire général Emmanuel Déchin avait déclaré, la première fois que la mesure avait été annoncée : « Les pouvoirs publics, croyant bien faire, [organisent ici] la création d’un circuit parallèle qui va permettre [aux laboratoires] d’atteindre directement les pharmaciens d’officine. » « C’est une possibilité mais pas la seule », se défend Claude Bougé, directeur général adjoint du Leem. Même l’Autorité de la concurrence, dans son avis rendu le 20 juillet sur le projet de décret, recommandait que « la centralisation de l’information en matière de pénuries et en particulier la mission conférée aux centres d’appels d’urgence, soit prise en charge directement par les pouvoirs publics – les-
quels relaieront l’information aux laboratoires pharmaceutiques – et non par les laboratoires », ceci « dans un souci de plus grande neutralité »… Le décret prend le chemin inverse. Là où l’on pouvait par ailleurs imaginer une rationalisation des fameux quotas mis en place par l’industrie depuis les années 1990 et accusés d’être pour partie responsables des ruptures apparaît dans le décret la notion « d’approvisionnement approprié et continu de tous les établissements autorisés au titre d’une activité de III
Les chiffres de la CSRP La Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) a mené auprès de ses adhérents sa propre enquête sur les ruptures d’approvisionnement. Sur le mois de juin, 18 % des unités commandées par les grossistesrépartiteurs aux laboratoires pharmaceutiques ne leur étaient pas livrées, a indiqué Emmanuel Déchin. Les grossistes n’étaient pas en mesure de livrer les officines pour 5 % des unités. « Sans la répartition, il y aurait trois fois plus de ruptures en officine », conclut le secrétaire général du syndicat, qui a noté par ailleurs que les trois-quarts des références concernées par les ruptures n’étaient pas des produits mis sous quota par l’industrie. « Cela montre que la problématique des ruptures excède largement la question des exportations. »
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Actualité Enjeux [Ruptures de stocks, décret en toc]
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
grossiste-répartiteur ». Une terminologie ville ». Xavier Desmas, président de la commisvague que Claude Bougé dit ne pas savoir expli- sion Exercice professionnel à l’Ordre des pharquer et qui, de toute façon, « ne semble pas de maciens, considère aussi que, « si la parution de nature à remettre en cause les pratiques actuelles ». ce texte est positive, elle ne suffira pas ». Enfin, en guise de restriction des exportations, figure un renforcement du régime de déclaration Après le décret, une loi ? du territoire de répartition par les grossistes- La FSPF se montre moins pessimiste : « Nous répartiteurs. Le territoire déclaré doit être com- n’avions rien avant, rappelle Philippe Gaertner, patible avec leurs obligations de service public président du syndicat. Ce décret a le mérite (stocks, délais de livraison, astreintes…) et d’exister et constitue un texte équilibré qui permet l’ANSM peut « demander tout élément justifiant de rappeler aux différents acteurs leurs obligations. du respect de ces obligations » et refuser « tout Notre seul objectif était et reste d’avoir le médiou partie de la modification demandée du territoire cament à disposition des patients. » Mais « si les de répartition déclaré ». Pour la CSRP, ces dis- choses ne se passent pas bien, la ministre aura positions permettront de « clarifier la situation recours à la loi ». En effet, le gouvernement a de certains opérateurs dont le statut juridique ne justifié la faiblesse du décret auprès notamment correspond pas à la réalité de leur activité ». Les du TRT-5 et du Leem par « une insuffisance de acteurs visés sont ici les base légale ». Et Marisol short liners*. « Le texte de « Ce décret a le mérite Touraine a promis, dans santé publique initialement d’exister et constitue une intervention enregisprévu est passé à la trappe trée et diffusée lors de la au bénéfice d’un texte sur un texte équilibré soirée de l’Association des les intérêts des uns et des rappelant à chacun cadres de l’industrie pharautres, sans réel intérêt maceutique le 1er octobre, ses obligations. » pour le patient, estime « d’aller encore plus loin Claude Bougé. Le Leem Philippe Gaertner, président de la FSPF en passant par la loi. Sur est très critique sur ce ce sujet majeur, je serai décret, comme les associaparticulièrement vigilante : tions de patients et les autres professions. Et il est je mettrai rapidement un comité de surveillance rare qu’un décret fasse autant l’unanimité contre ad hoc ». Claude Bougé s’attend ainsi à « une lui. » Le TRT-5 ne contredira pour une fois pas convocation dans les prochaines semaines » pour le Leem en évoquant, « après un déchaînement « reprendre le dossier au printemps prochain ». d’intérêts corporatistes, un décret sans aucun Les propositions des différents acteurs de la impact sur les situations génératrices de ruptures chaîne du médicament (re)fleurissent déjà : d’approvisionnement dans les pharmacies de CSRP et Leem appellent de concert à collecter les données chiffrées de toutes les parties prenantes et, avec l’Ordre, à définir la notion « d’intérêt thérapeutique majeur » pour « se focaliser en priorité sur les traitements les plus importants ». La fameuse liste des spécialités sensibles pourLe décret organise le signalement des rait donc revenir sur le tapis. « Très bien, comruptures par les pharmaciens. mente Philippe Gaertner, mais du point de vue I Le pharmacien peut informer le laborade l’officinal tous les produits sont concernés. Et toire, notamment par les centres d’appels inscrire un médicament ne suffit pas à le "désend’urgence, d’une rupture qui ne lui a pas sibiliser". » La CSRP propose en outre d’instaudéjà été indiquée. rer « un dispositif d’approvisionnement d’urgence I Une rupture peut être signalée quel que des officines, dont la mise en œuvre serait déclensoit le délai dans lequel elle est constatée, « en fonction de la compatibilité avec chée par les pouvoirs publics (ANSM) et qui la poursuite optimale du traitement ». consisterait à concentrer sur vingt-six établisseI Le pharmacien ayant contacté un centre d’appels d’urgence doit en informer ments pivots de la répartition (plateformes natioson Agence régionale de santé et tenir à sa disposition les preuves de la rupture. nales ou régionales des répartiteurs adhérents de Le laboratoire, lui, communiquera aux ARS les destinataires et quantités fournies. la CSRP) les stocks d’urgence des spécialités I Les grossistes-répartiteurs sont désormais tenus, le samedi à partir de 14 heures, concernées ». Ce serait donc reparti pour un le dimanche et les jours fériés, de livrer « dans les délais et au maximum dans les round de réunions, négociations et tergiversahuit heures ». tions. En attendant, les patients patientent. x III
En pratique
* Short liners : grossistes-répartiteurs qui ne proposent qu’une livraison, journalière ou hebdomadaire, des spécialités les plus courantes à des prix plus avantageux.
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